mardi 16 octobre 2018

Tranquille comme Baptiste - Yaël Hassan

Baptiste est un solitaire, un rêveur incapable de se défendre dans la cour du collège. Un gamin calme, élevé par sa mère et sa grand-mère, qui passe le plus clair de son temps à lire dans l’atelier de Barnabé, son vieux voisin bricoleur. Mais le jour ou débarque Clara, qui prétend être la petite-fille de Barnabé, Baptiste se doute que les choses vont changer. Parce que du haut de ses douze ans, Clara traîne derrière elle un passé mouvementé. Sans filtre, impulsive, jurant comme un charretier, cette  incontrôlable tornade risque bien de faire voler en éclat le quotidien tranquille du pauvre garçon.

Un roman jeunesse sans prétention qui joue sur le registre de la bienveillance. Un texte plein de bons sentiments ou tout semble parfois trop beau pour être vrai mais on a envie d’y croire, envie de se persuader que de belles âmes existent, prêtes à tendre la main et à aider leur prochain sans jugement ni arrière-pensée. La différence de registre de langue entre Baptiste et Clara donne lieu à des échanges savoureux et montre à quel point il n’est pas toujours simple de se comprendre quand on ne possède pas le même niveau de vocabulaire.

Comme souvent chez Yaël Hassan les secrets de famille et une relation très forte entre enfants et personnes âgées sont au cœur du récit. Et comme toujours chez Yaël Hassan la tendresse et l’humour finissent par l’emporter sur les coups durs. Un petit livre positif qui fait du bien, il serait dommage de ne pas en profiter !

Tranquille comme Baptiste de Yaël Hassan. Syros, 2018. 175 pages. 6,95 euros. A partir de 10 ans.












mercredi 10 octobre 2018

Sacha et Tomcrouz T2 : La cour du roi

Sacha et Tomcrouz, le retour ! Pour ceux qui ne les connaîtraient pas, Sacha est un enfant surdoué et Tomcrouz le chihuaha qu'il a reçu pour ses dix ans et qu'il a baptisé en hommage à l'idole de sa maman. le problème avec Tomcrouz c'est qu'à chaque fois qu'il éternue sur un objet ancien son maître et lui sont transportés à l'époque de cet objet. Dans leur première aventure une fiole les avait emmenés chez les vikings, ici c'est une cuillère de Louis XIV qui va leur faire découvrir le quotidien de la cour du roi soleil.

Une série jeunesse sympa comme tout, qui allie humour, aventure et informations historico-scientifiques absolument véridiques. C'est ainsi que dans ce tome on découvre le rituel du dîner du roi, la médecine, l'hygiène, les conditions de vie du peuple et quelques anecdotes surprenantes, comme le fait que les gens dormaient assis pour éviter que le diable ne rentre dans leur corps. Il y a même une expérience réalisée par Sacha pour se sortir d'une situation difficile que l'on peut reproduire à la maison. Tous les éléments « instructifs » n'arrivent pas comme des cheveux sur la soupe, ils prennent place naturellement dans le récit sans l'alourdir.

Un second tome plus rythmé, plus palpitant, mieux construit. le dessin de Bastien Quignon, tout en souplesse et en vivacité, illustre parfaitement l'enchaînement des événements et ses superbes illustrations pleine-page offrent des respirations bienvenues au coeur d'une intrigue sans temps mort.

Un voyage dans le temps trépidant et instructif qui ravira à coups sûrs les petits lecteurs férus d'aventure et d'histoire.





mardi 9 octobre 2018

Papa est en bas - Sophie Adriansen

Le papa d'Olivia est arrivé en bas. Au rez-de-chaussée. Avant, sa chambre était à l'étage. Avant, il jouait au foot, il courait, il adorait les balades en forêt, il n'avait pas besoin de tenir la rampe de l'escalier pour monter les marches. Olivia a constaté cette évolution sans trop se poser de questions, au début du moins. Et puis l'évidence lui a sauté aux yeux : son papa avait un problème. du coup elle a demandé des explications à sa mère, qui lui a tout avoué. Une maladie orpheline, dégénérative, inarrêtable. Et un quotidien chamboulé où la famille tente de tenir le cap dans la tempête. Sans nier la réalité, sans faire semblant de croire que tout va s'arranger, mais en essayant de prendre les choses comme elles viennent, sans se plaindre malgré les difficultés et l'inéluctable conclusion qui s'annonce…

Tellement difficile de parler de la maladie dans un roman jeunesse. Surtout d'une maladie incurable dont on connaît d'avance l'issue. le risque est grand de sortir les mouchoirs, de verser des torrents de larmes, de crier à l'injustice. Sophie Adriansen n'a pas choisi ce chemin et c'est tant mieux. Son Olivia est une battante d'une étonnante maturité. Une jeube fille qui ne se voile pas la face mais parvient à faire face, avec pudeur et sans colère. Difficile de trouver le point d'équilibre, de montrer sa fragilité sans misérabilisme ni chercher à la rendre trop forte par rapport à la situation, au risque de la faire passer pour insensible.

Le trio familial est touchant de solidité dans l'adversité, la résignation se fondant dans une forme de sérénité apaisante. Un très beau texte, plein de vie, qui aborde à la fois la question de la maladie et du deuil avec une justesse et une sensibilité bouleversantes.









vendredi 5 octobre 2018

Trois fois la fin du monde - Sophie Divry

Trois fois la fin du monde, comme les trois parties de ce roman étrange, atypique et plein de charme. Joseph Kamal en est le héros, un candide embarqué par son frère dans un braquage qui tourne mal. Emprisonné, Joseph découvre les horreurs de l’univers carcéral jusqu’au jour où une catastrophe nucléaire lui ouvre les portes de la liberté. Errant seul dans un monde déserté par ses congénères, il trouve refuge dans une ferme au fond des bois dont il va faire son domaine, avec un chat et un mouton pour seuls compagnons.
La première partie, « Le prisonnier », est étouffante. La seconde, « la catastrophe », le libère de ses chaînes. Et la troisième, de loin la plus longue, déplie son quotidien d’ermite, les avantages et les inconvénients d’une existence solitaire où la quête de nourriture et l’entretien du logis deviennent les uniques et indispensables (pré)occupations. 

Rien de révolutionnaire sur le fond dans cette fiction survivaliste lorgnant du coté de Robinson Crusoé mais sur la forme, Sophie Divry étonne. J’avais gardé d’elle le souvenir d’une écriture enlevée, drôle, débridée, et d’une narration un poil foutraque. Je la retrouve ici avec une intrigue extrêmement construite d’un surprenant classicisme et un style beaucoup plus académique malgré le mélange des points de vue (première et troisième personne) et l’utilisation de divers registres de langue.

La solitude est pour Joseph une renaissance, une occasion de remettre les compteurs à zéro, de se reconstruire. Et même si le désir de « l’autre » est présent, le dégoût de la nature humaine pousse notre Robinson à se persuader qu’il vaut définitivement mieux vivre seul que mal accompagné. Au final, c’est un vrai plaisir de partager ses questionnements sur son isolement et de traverser avec lui les épreuves et les saisons.

Trois fois la fin du monde de Sophie Divry. Notabilia, 2018. 235 pages. 16,00 euros.




mercredi 3 octobre 2018

Un automne à Beyrouth - Lisa Mandel

Invitée par une ONG au Liban pour faire un reportage dans un camp de réfugiés syriens à l’automne 2017, Lisa Mandel va y rester trois mois et tenir sur son blog le carnet de bord de son périple. Histoire, géopolitique, condition féminine, place de la communauté gay, classe dirigeante exploitant ses domestiques comme des esclaves, les sujets montrent à quel point le Liban est un pays aussi fascinant que compliqué.

L’air de rien je commence à être calé niveau carnet de voyage en BD. De Florent Chavouet à Julie Blanchin Fujita en passant par Emmanuel Lepage, Maïté Verjux, Benjamin Flao, Troubs ou Simon Hureau, j’en ai parcouru des kilomètres autour du monde. Si je devais classer celui-ci, je ne le mettrais malheureusement pas en haut de la pile, loin s’en faut. A vrai dire rien ne m’a plu dans cet album regroupant des pages prépubliées sur le site du Monde.

Trop autocentré, survolant les sujets, anecdotique, bavard… le propos n’a rien de passionnant. Quelques traits d’humour et d’autodérision font sourire mais je dois dire que deux jours après ma lecture il ne m’en reste pas grand-chose. J’aime beaucoup ce que fait Lisa Mandel pourtant, son travail de coéditrice de la collection Sociorama par exemple est remarquable (je vous conseille d’ailleurs chaudement sa Fabrique pornographique) mais là, rien à faire, je n’ai pas accroché du début à la fin.

Il faut dire que graphiquement, le dépaysement n’est pas garanti. Le dessin tient plus du crayonné brouillon que du croquis léché et l’absence de décor pose quand même un vrai problème dans un carnet de voyage ! La forme en elle-même, idéale pour une publication sur un blog, perd de son attrait et de sa force dans un ouvrage papier. Le manque de liant saute aux yeux, on a trop souvent l’impression de passer du coq à l’âne, ou même de trouver des passages hors sujet. Que vient faire par exemple un chapitre entier sur le salon du livre de Francfort dans un carnet de voyage au Liban ? Surtout quand ce chapitre se résume à une quête de téléphone portable oublié au restaurant.

Bref, cet automne à Beyrouth ne me laissera pas un souvenir impérissable, voire pas de souvenir du tout, ce qui est encore pire. Je constate une fois de plus que le passage de dessins de blog au format papier est rarement une bonne idée et que le résultat est encore plus rarement convaincant. Dommage.

Un automne à Beyrouth de Lisa Mandel. Delcourt, 2018. 112 pages.

mardi 2 octobre 2018

Ce soir je le fais / Ce soir je le quitte - Cathy Ytak


C’est une soirée entre ados comme tant d’autres. L’alcool, la musique, les hormones en surchauffe. Simon se prépare à y aller avec soin, persuadé qu’il va y connaître sa première fois avec la jolie Méline. Emma, sa meilleure amie et l’hôte du jour, pense elle aussi qu’il va atteindre son but. D’ailleurs elle a changé les draps de la chambre d’amis pour que les tourtereaux se sentent comme chez eux. Pour Emma, la fête a également son importance. Ce soir elle est décidée à quitter Loïc. Entre eux il n’y a que le sexe qui compte. Et sans les sentiments, la jeune fille sait que cette relation ne la mènera nulle part. Il lui faut juste trouver le bon moment. Et espérer que Loïc va bien prendre la chose…

Je suis toujours bluffé par la facilité avec laquelle Cathy Ytak parvient à se mettre dans la peau des ados. Et dans leur tête surtout. Elle dit l’intime avec une justesse et une pudeur qui forcent l’admiration. Sans langue de bois, elle pousse Simon et Emma dans leurs retranchements, soulève des interrogations existentielles typiques de cet âge où l’on tâtonne, où l’on se cherche, où l’on expérimente, entre petites défaites et grandes victoires, l’incertitude chevillée au corps. Ainsi Emma, consciente que Loïc est son premier mec, se demande si c’est le bon : « Qui c’est qui va me dire : arrête-toi là, t’auras pas mieux ? Et si c’était mieux ailleurs ? Qu’est-ce que j’en sais ? Rien. »

Le récit fonctionne en miroir dans une sorte de recto-verso où Simon et Emma prennent tour à tour la parole pour raconter leur soirée. Certains événements sont vécus en commun et même si les points de vue diffèrent, la chute les réunit et boucle magistralement la boucle. Un superbe texte, qui prouve s’il en était encore besoin que les élans du corps ne sont pas forcément ceux du cœur.

Ce soir je le fais / Ce soir je le quitte de Cathy Ytak. Rouergue, 2018. 65 pages. 8,50 euros.

















mercredi 26 septembre 2018

Noise T1 - Tetsuya Tsutsui

La campagne japonaise se vide peu à peu. L’exode rural ne laisse que des villages fantômes hantés par des vieillards attendant sagement la grande faucheuse. A Shishikari, l’espoir de renouveau est pourtant palpable depuis l’installation de Keita Izumi. Ce trentenaire a connu un vif succès en relançant la production d’une figue noire au goût délicieux. Le développement de son verger a permis à l’économie locale de repartir sur les chapeaux de roue, à tel point que la recherche de main d’œuvre est permanente. Mais le jour où un inconnu au comportement étrange propose ses services, tout dérape. Apprenant que l’homme est un assassin fraîchement sorti de prison, Keita refuse de l’engager. Lorsqu’il le voit de nouveau rôder près de son exploitation le lendemain et qu’il le surprend en train d’observer son ex-femme et sa fille, la peur et la colère le poussent à réagir de façon inconsidérée…   

Un manga à lire comme le premier épisode d’une série où se posent les bases d’une intrigue addictive. Rien de glauque, de morbide ni de sanguinolent, tout se passe ici dans les têtes (pour l’instant du moins). Je ne suis pas un grand lecteur de thriller (loin s’en faut !) mais il me semble que la trame de celui-ci ne brille pas par son originalité. Pour autant, la qualité est au rendez-vous de ce récit où des hommes sans histoire sont poussés dans leur retranchement par la peur et l’angoisse. Il suffit parfois de l’arrivée d’un élément perturbateur pour faire vaciller la sérénité et l’équilibre d’une paisible communauté.

Au-delà des faits, Tetsuya Tsutsui fouille les recoins les plus sombres de la nature humaine. Il montre que sous des apparences tranquilles personne n’est à l’abri d’un écart de conduite. Dès lors les rôles se confondent ou s’inversent, les victimes ont tôt fait de basculer du côté des coupables. Et derrière les actes, les questions : Jusqu’où peut-on aller pour protéger les siens ? A quel moment s’autorise-t-on le droit de bafouer la loi ? Comment la simple méfiance peut se transformer en légitime défense ?
Aucune réponse dans ce premier tome mais autant d’hameçons lancés avec maestria pour ferrer un lecteur impatient de connaître la suite. Diaboliquement efficace !

Noise T1 de Tetsuya Tsutsui. Ki-oon, 2018. 190 pages. 7,90 euros.










mardi 25 septembre 2018

À la belle étoile - Éric Sanvoisin

Pierrot est différent. Son handicap mental lui a valu un placement en institut spécialisé mais depuis qu’il a eu 18 ans il est revenu à la maison et ne fait rien de ses journées. Sa petite sœur Yaëlle lui propose un matin de l’accompagner à l’école, pour le sortir un peu et lui faire plaisir, depuis le temps qu’il rêve de voir une « vraie » école ! Seulement, quand les copines de sa sœur se moquent de lui, Pierrot s’enfuit. Dans le square où il s’arrête pour reprendre son souffle, il découvre une dame vivant dans son château en carton. Une dame qui va essayer de l’aider à rentrer chez lui…

Honnêtement j’ai eu peur. Le handicapé, la SDF, les bons sentiments qui risquaient de dégouliner à chaque page et rendre mes doigts collants de sucre et de miel, bonjour l’angoisse ! Heureusement, Éric Sanvoisin n’est pas un perdreau de l’année. Il a suffisamment de bouteille pour éviter les écueils d’une bienveillance caricaturale.

D’abord il choisit une narration tout sauf linéaire en offrant successivement, pour une même scène, les points de vue de Yaëlle, Pierrot et La Dame. Un choix formel intéressant pour  mettre en perspective le fait que chacun ressent différemment un événement vécu en commun. Ensuite, et c’est de loin le plus remarquable, il trouve et les mots justes pour exprimer les pensées de Pierrot. Enfin, il a le bon goût de ne pas clore son histoire avec le happy end attendu, un point aussi rare que positif, surtout en littérature jeunesse.

Un très joli texte, intelligemment mené et d’une touchante humanité.

À la belle étoile d’Éric Sanvoisin. Le muscadier, 2018. 76 pages. 9,50 euros. A partir de 12 ans.










vendredi 21 septembre 2018

La générosité de la sirène - Denis Johnson

Denis Johnson cultive à merveille l'art de la chute. Pas la chute de ses nouvelles mais plutôt celle de ses personnages. Dans ce recueil sont présentées des histoires d'hommes simples, fragiles, perdus, loin des classiques portraits de mâles aux prises avec leur identité virile. Ainsi ce publicitaire constatant que son existence s'est écoulée trop vite et que le poids des ans commence à se faire sortir. Ou encore ce drogué en cure de désintoxication qui a « une douzaine d'hameçons dans le coeur », ce taulard imbibé de LSD, et ce poète obsédé par Elvis.

Ils sont là, en suspens, comme prêts à se dissoudre. Des âmes seules entourées de souvenirs, de fantômes. Et le lecteur de les accompagner avec une forme de retenue proche de la pudeur. Les découvrir sans les juger, sans chercher à les comprendre, avec l'impression de les observer de loin tout en partageant des confidences qui ne lui étaient pas forcément destinées.

Décédé en 2017, Denis Johnson était admiré par ses pairs (Jonathan Franzen et Don DeLillo en tête) et considéré par les critiques comme un des auteurs les plus importants de sa génération. Dans ses nouvelles la filiation avec Carver saute aux yeux : même limpidité dans l'écriture, même minimalisme saisissant d'émotion. Mais Johnson y rajoute une touche de poésie, un soupçon de lyrisme, un trait d'humour. Surtout il porte sur le monde un regard désabusé d'une lucidité qui touche en plein coeur.



vendredi 14 septembre 2018

Un nommé Peter Karras - George P. Pelecanos

J’ai dû lire une quinzaine de romans de Pelecanos. Tous à la suite ou presque. J’ai d’abord adoré, puis je me suis lassé. Toujours le même univers, toujours la même écriture, toujours les mêmes ressorts narratifs. Beaucoup trop de similitudes d’un titre à l’autre, comme si, après avoir trouvé la bonne formule, il se contentait de la reproduire à l’infini sans chercher à se renouveler. Des années que je ne l’avais pas lu, jusqu’à la semaine dernière où j’ai découvert dans ma pal un roman de sa meilleure période, celle se sa formidable trilogie sur la ville de Washington des années 70 (King Suckerman), 80 (Suave comme l’éternité) et 90 (Funky Guns). Un roman sorti en 1996 qui précède ces trois titres et qui est la pierre angulaire de ce que les critiques et les fans ont fini par appeler le « D.C. Quartet » (en référence au « L.A. Quartet » de James Ellroy).

Un nommé Peter Karras pose donc les fondations de la trilogie à venir et met en scène, comme son titre l’indique, le fameux Peter Karras, immigrant grec vivant dans un quartier populaire de la capitale américaine. Nous sommes en 1948, Karras est revenu miraculeusement indemne de la guerre du Pacifique et après avoir fricoté avec la pègre locale en compagnie de son meilleur ami italien, il travaille dans un petit restaurant tenu par un compatriote, Nick Stephanos.

 Pas la peine d’en dire plus, sachez juste que Pelecanos est à ici à son meilleur. Le scénariste de la série « The Wire » prend le temps de creuser la psychologie de ses personnages, il donne surtout à voir le Washington de l’après-guerre avec une précision quasi documentaire. Comme d’habitude, les dialogues foisonnent, comme d’habitude le personnage principal va peu à peu sombrer dans une forme d’autodestruction, comme d’habitude la musique est omniprésente, comme d’habitude les immigrants subissent les coups durs et comme d’habitude la tension ne cesse de monter jusqu’à l’explosion finale.

Pour ceux qui connaissent le bonhomme et ses origines grecques, pas besoin de vous faire un dessin, cet adepte de la tragédie ne ménage jamais ses personnages et d’emblée on sait que les choses vont mal tourner pour Karras. Il ne faut y voir aucune cruauté ni le moindre sadisme, c’est tout simplement l’aboutissement inéluctable et froidement réaliste d’une intrigue qui ne pouvait se conclure autrement.

Un roman noir urbain que j’ai dévoré d’une traite, dont l’écriture très visuelle et ultra-descriptive m’a permis une fois de plus d’arpenter en long, en large et en travers les rues de Washington. Pelecanos est sans conteste l’écrivain emblématique de cette ville dont il dissèque avec lucidité et pessimisme l’évolution depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Et si vous ne l’avez jamais lu, ce titre est parfait pour entrer de plain-pied dans son univers.

Un nommé Peter Karras de George P. Pelecanos. Points, 2001. 450 pages. 8,00 euros.






samedi 8 septembre 2018

Asta - Jon Kalman Stefansson

« Si tant est que ça l’ait été un jour, il n’est désormais plus possible de raconter l’histoire d’une personne de manière linéaire, ou, comme on dit, du berceau à la tombe. Personne ne vit comme ça. Dès que notre premier souvenir s’ancre dans notre conscience, nous cessons de percevoir le monde et de penser linéairement, nous vivons tout autant dans les événements passés que dans le présent. »

Tout est dit dès les premières pages. La vie d’Asta ne sera pas racontée chronologiquement. D’ailleurs est-ce vraiment elle « l’héroïne » de ce récit ? Elle en est évidemment un protagoniste principal mais c'est surtout son père Sigvaldi qui mène la danse des souvenirs. Depuis le trottoir sur lequel il vient de tomber du haut de son échelle, gisant sur le dos, incapable de se relever, le voila qui plonge dans son passé. Les années de bonheur avec Helga, la mère d'Ásta, avant qu'elle ne sombre dans un état proche de la folie et finisse par traîner sa carcasse d'alcoolique dans les rues de Reykjavik. L'enfance avec ce petit frère qu'il n'aura cessé de protéger, sa seconde épouse Sigrid, ses deux filles, dont l'une est morte et l'autre qu'il n'a pas eu le courage d'élever, l'exil d'Islande vers la Norvège et cette certitude au moment de faire le bilan : il n'aura donc pas assez aimé.

Ásta de son côté a grandi auprès d'une nourrice affectueuse. Après avoir cassé le nez d'un camarade de classe elle est condamnée à passer un été dans une ferme des fjords de l'ouest. Un été à la dure, en milieu hostile, où elle fera des rencontres inoubliables. Plus tard nous la retrouvons à Vienne, où elle étudie l'art. Tentative de suicide, internement en psychiatrie, Ásta navigue à vue, seule, livrée à elle-même, perdue.

Vous ne me ferez jamais dire du mal d’un roman de Stefansson. Je suis pourtant un adepte du qui aime bien châtie bien mais avec lui c’est juste impossible. Un roman de Stefansson est un breuvage au goût unique, un élixir magique porté par la fabuleuse traduction d'Éric Boury. Avec lui on sait d'avance qu'entre les pages, les époques, les pays, les destins, les petits bonheurs et les grandes tragédies vont s'entremêlées. On sait qu'avec ses personnages on va partager des méditations « qui ne font qu'alourdir le voyage à travers la vie », que le récit sera charnel, âpre, poétique, lyrique. On sais que l'on va naviguer entre l'ombre et la lumière, que rien d'extraordinaire ne va se passer, que l'ampleur romanesque tiendra dans des petites choses du quotidien.

La fresque familiale de Sigvaldi, d'Ásta et d'Helga ne cesse de jouer avec les sentiments, ne cesse de s'interroger sur le sens de l'existence, ne cesse de nous démontrer qu' « au bout du compte, nous finissons par perdre tout ce que nous avons gagné ». Une lucidité, un regard mélancolique sur le monde, une route sinueuse tracée par chacun dans un environnement rude, une nature sans pitié pour rappeler à quel point le chemin d'une vie peut être laborieux et finit toujours dans une impasse. Tout simplement magnifique.

Asta de Jon Kalman Stefansson (traduit de l'islandais par Eric Boury). Grasset, 2018.




vendredi 31 août 2018

Dans la cage - Kevin Hardcastle

Daniel a bourlingué sur les rings clandestins de boxe et de free fight. Il était un combattant reconnu et admiré avant qu’une blessure à l’œil abrège sa carrière. Devenu père de famille, ce travailleur précaire peine à joindre les deux bouts. Pour améliorer l’ordinaire il rend quelques services musclés à Clayton, un caïd local qu’il connaît depuis l’enfance. Ne supportant plus les débordements de ce dernier, Daniel décide de couper les ponts. Une décision de bon sens qu’il va devoir payer au prix fort. Très, très fort… 

Pas la peine de tourner autour du pot, j’ai trouvé beaucoup de défauts à ce roman. Des personnages à la psychologie peu fouillée auxquels j’ai eu du mal à accorder mon attention. Une écriture sans relief, parfois confuse dans la description des nombreuses scènes d’action. Un final  survitaminé qu’on voit venir de loin avec ses gros sabots et qui n’a d’autre but que d’en mettre plein la vue (bon, pas aussi excessif et ridicule que celui de Brasier noir mais il faut dire aussi que ce dernier a mis la barre trop haute). Et surtout, surtout, une mise en scène de la violence proche de la complaisance, le plus souvent totalement gratuite. Pas pendant les combats dans la cage dont le réalisme participe naturellement à la dynamique de l’histoire mais plutôt pendant les passages relatant les exactions de Clayton et sa clique, qui croulent sous les détails sordides et n’apportent aucune valeur ajoutée au récit. Un seul aurait suffi pour faire comprendre au lecteur les atrocités dont ses gros durs étaient capables, pas la peine d’y revenir à de nombreuses reprises, si ce n’est pour pousser gratuitement le curseur de la cruauté toujours un peu plus loin.

C’est vraiment la sensation très dérangeante qui m’a accompagné tout au long de ce roman. Pourtant je suis plutôt bon public pour ce genre de tragédie « à l’américaine » d’une infinie noirceur mais là, rien à faire, je suis passé à côté.

Dans la cage de Kevin Hardcastle (traduit de l’anglais par Janique Jouin). 352 pages. 22,00 euros.





mercredi 29 août 2018

L’ange de l’histoire - Rabih Alameddine

Assis dans la salle d’attente des urgences psy, Jacob le poète repense aux différents moments de son existence : son enfance au Caire dans un bordel où sa mère « travaillait », le retour sur sa terre natale du Liban où son père le mettra en pension chez les bonnes sœurs. Le détour par Helsinki avant l’arrivée aux États-Unis. San Francisco, sa communauté gay, des fréquentations inoubliables et les ravages du sida…

La maladie a arraché à Jacob son amour, ses amis. Pendant qu’il attend de voir le psy, la Mort et le Diable discutent dans son salon. Le Malin lui parle, c’est la raison pour laquelle il veut se faire interner. Trop de solitude, trop de désespoir, trop besoin d’aide, Jacob n’en peut plus. 

On alterne entre les souvenirs du poète, les discussions menées par la mort et le diable au sujet de son âme et le présent de sa soirée dans la salle des urgences de l’hôpital où il souhaite se faire interner. Si Rabih Alameddine décrit avec justesse la communauté homosexuelle de San Francisco dévastée par le sida pendant les années 80, si le travail de mémoire de Jacob, fragmenté et douloureux, révèle une personnalité abîmée par la perte des êtres chers emportés par la maladie, je suis resté en dehors de ce texte. Seuls les chapitres parlant de l’enfance au Liban et au Caire sont touchants, le reste n’a fait que glisser sur moi comme l’eau sur les plumes d’un canard : aucun effet, aucune réaction.

Au final un roman un roman original à la construction ambitieuse mais un roman loin d’être inoubliable, en ce qui me concerne du moins. 

L’ange de l’histoire de Rabih Alameddine (traduit de l’anglais par Nicolas Richard). Les Escales, 2018. 390 pages. 21,90 euros.





mardi 28 août 2018

Ueno Park - Antoine Dole

Ayumi est une Hikikomori, une ado isolée qui n’a pas quitté sa chambre depuis deux ans, trois mois et vingt-neuf jours. Sora est adepte du travestissement. Fuko, condamnée par la leucémie, vit ses derniers instants dans un fauteuil roulant poussé par sa grande sœur. Natsuki est une escort girl pour vieux grigous libidineux. Haruto est venu à Tokyo avec sa mère après le tsunami de 2011. Daïsuké est un freeter, un jeune précaire vivant chez ses parents. Aïri, folle amoureuse d’une pop star, est persuadée que l’affection qu’elle porte à son idole est réciproque. A 16 ans, Nozomu est SDF. Ils sont huit adolescents isolés, à la marge. Ils ne se connaissent pas mais vont se retrouver le même jour dans un parc de Tokyo pour célébrer le Hanami (la fête des cerisiers en fleur).

Huit chapitres, huit voix, huit solitudes. Des fantômes que personnes ne voient mais qui, à leur façon, brisent les codes d’une société étouffante. Antoine Dole fait du Antoine Dole. C’est beau, ça gratte, ça vous sert les tripes. Et pour une fois c’est plus mélancolique que désespéré. Bien sûr il y a de la souffrance, une vraie douleur, mais il y a aussi dans le discours de chacun une surprenante lucidité doublée d’une réelle note d’espoir.

La symbolique de l’Hanami est évidemment très forte. Fête du renouveau par excellence, ce « moment de l’année où l’impossible se passe, et où des fleurs roses poussent sur des arbres à l’écorce noire » est pour tous les protagonistes l’occasion de se réinventer, de renaître, d’éclore. Ou, dans le cas de Fuko, de partir sereinement, apaisée.

J’ai apprécié de découvrir un Antoine moins sombre, moins « jusqu’auboutiste » que dans ses romans précédents. Certes, il ne ménage pas ses personnages, et c’est tant mieux, mais il leur ouvre aussi une fenêtre vers un avenir où le chemin à suivre ne mène pas chacun au bord d’un précipice sans fond. Un très beau texte, plein de lumière malgré les tourments. 

Ueno Park d’Antoine Dole. Actes sud junior, 2018. 128 pages. 13,50 euros. A partir de 14 ans.









dimanche 26 août 2018

Miss Sarajevo - Ingrid Thobois

Il y a une rare délicatesse dans l’écriture d’Ingrid Thobois. Sa langue d’une grande richesse ne donne jamais dans l’esbroufe et reste en permanence au service du récit sans se perdre dans un lyrisme de façade. Dans Miss Sarajevo, c’est avec beaucoup de sensibilité qu’elle dresse le portrait de Joaquim, un photographe de guerre ne s’étant jamais remis du suicide de sa sœur à l’adolescence. Au fil de chapitres alternant les époques, on le retrouve au moment du drame, puis quelques mois plus tard en 1993 au cœur de Sarajevo sous les bombes et enfin de nos jours, alors qu’il s’apprête à retourner dans sa ville natale de Rouen pour enterrer son père.

Un superbe texte qui touche à l’intime avec pudeur. Ma crainte initiale d’un mélo tire-larmes a vite été balayée par la finesse avec laquelle sont abordées les questions du deuil et du long chemin vers la résilience. En se rendant dans des pays en guerre, Joachim cherche à la fois à se confronter à la mort et à tirer un trait définitif sur une enfance sclérosée par un milieu bourgeois étouffant. Sa démarche allie la fuite en avant à une prise de risque aussi inconsidérée que volontaire.

Les épisodes se déroulant avant le suicide de la sœur montrent une figure paternelle froide et distante et une mère effacée qui, après la disparition de sa fille, va sombrer définitivement. Dans le train qui le ramène vers Rouen, Joaquim ouvre son douloureux coffre aux souvenirs. Lui le solitaire, l’âme endurcie par les horreurs vues à travers le monde, revient vers le lieu où le traumatisme à l’origine de tous ses maux s’est noué. Pensant rouvrir des plaies qu’il pensait avoir profondément enfouies, il va se frayer un chemin vers la lumière et l’apaisement.

Une plongée intérieure mélancolique tout en retenue d’une justesse bouleversante.     

Miss Sarajevo d’Ingrid Thobois. Buchet-Chastel, 2018. 225 pages. 16,00 euros.





mardi 21 août 2018

À l’étroit - Isabelle Vouin

« On n’en veut pas de leur vie. Qu’on nous fiche la paix. Qu’on arrête de nous changer de maison comme des sacs depuis dix ans. On n’avait rien demandé. Même pas de naître. Naître pour quoi ? Pour rester là ? Au milieu du bordel ? Avec nos doudous dans les mains ? Les regarder s’agiter ? Crier ? Être écartelés ? Vivre pour n’avoir que des morceaux de vie. Une moitié de maison ? Une moitié de Maman ? Un échantillon de papa ? Des débris ? Jamais plus rien d’entier ? Et une valise. Toujours la valise. Notre roulotte. On l’a fait, on la défait, on la refait. Les habits mal séchés, les miettes, les peaux de banane séchées, les bonbons collés, ça finit par puer. »

Le temps d’un voyage entre Agen et Toulouse, sur l’autoroute, Greg n’en peut plus. Coincé entre sa belle-mère et les bagages, avec également son père, ses trois demi-sœurs et son frère dans l’habitacle, il fulmine. Une colère dirigée contre cette vie de famille recomposée qui lui sort par les yeux, contre ces vacances à venir qu’il va détester, contre sa petite copine dont il attend désespérément le SMS lui annonçant qu’elle n’est pas enceinte. Une colère qui ne cesse de gonfler,  jusqu’au moment où…

Un petit roman sous forme de monologue intérieur. Greg n’est pas perdu dans ses pensées, il ne s’éparpille pas, il reste concentré sur la situation présente, ses causes, ses conséquences et ce ressentiment qui le ronge, le dévore. Tout lui semble injuste et insupportable. Certains de ses reproches sont légitimes, sa vision du statut d’enfant de divorcés en souffrance n’est pas discutable.
Mais il est aussi parfois excessif et j’ai souvent eu envie de le secouer pour lui faire comprendre qu’il n’était pas le nombril du monde et que sa rancœur pourrait être formulée avec un minimum de recul.

Après, c’est toute la force de ce texte d’exprimer le ressenti d’un ado de 17 ans de façon brute, sans filtre, réaliste. Les mots sont durs, la modération n’a pas sa place quand un gamin de cet âge s’emporte, même mentalement. Et j’ai beaucoup aimé le final inattendu qui coupe court à ses ruminations et lui permet de remettre son mal-être en perspective avec beaucoup de finesse.

Court et percutant, voilà un petit roman parfait pour ouvrir une nouvelle saison de pépites jeunesse que j’aurai une fois encore le plaisir de partager chaque mardi avec ma chère Noukette.

À l’étroit d’Isabelle Vouin. Talents hauts, 2018. 60 pages. 7,00 euros. A partir de 13 ans.









vendredi 13 juillet 2018

Ma chienne de vie - James Thurber

Vu le titre on pourrait penser à une autobiographie cradingue, poisseuse à souhait, de celles que j’apprécie particulièrement. Sauf que pas du tout. James Thurber, pilier du New Yorker, a publié ces textes accompagnés d’illustrations dans les pages du magazine américain au milieu des années 30. Et loin de donner dans la dramaturgie, il offre à voir avec légèreté et loufoquerie sa jeunesse au sein d’un foyer pour le moins atypique de l’Ohio. A l’évidence le trait est forcé pour faire rire le lecteur et l’autobiographie selon Thurber ne cherche pas l’exactitude la plus sincère. Chaque nouvelle du recueil se lit un peu comme un sketch et permet de découvrir la vie d’une famille américaine moyenne par le petit bout de la lorgnette.

L’effondrement du lit paternel, la voiture à bout de souffle, le grand-père se croyant encore en pleine guerre de sécession, le chien à l’agressivité incontrôlable,  le cousin persuadé qu’il va cesser de respirer en s’endormant chaque nuit, les employées de maison excentriques, les années à la fac ou son statut de soldat réformé, Thurber profite de chaque anecdote pour en rajouter des tonnes . Un humour exubérant pour l’époque, sans doute un peu daté aujourd’hui et qui n’a pas toujours bien vieilli mais cette réédition d’un grand classique de l’entre deux guerres permet de découvrir un écrivain trop peu connu dans nos contrées et un illustrateur dont le style aussi naïf que minimaliste a fortement inspiré des dessinateurs tels que Charles Schultz ou Sempé.

D’ailleurs les éditions Wombat profitent de la publication de cette « Chienne de vie » pour ressortir « La dernière fleur », un conte graphique écologiste et pacifique de 1939 traduit par Albert Camus en 1952.

Ma chienne de vie de James Thurber (traduit de l’anglais par Jeanne Guyon). Wombat, 2018. 155 pages. 15,00 euros.





La dernière fleur de James Thurber (traduit de l’anglais par Albert Camus). Wombat, 2018. 112 pages. 15,00 euros

vendredi 6 juillet 2018

Brasier noir - Greg Iles

Accusé d’avoir euthanasié une infirmière noire avec laquelle il travaillait dans les années 1960, le docteur Tom Cage refuse de répondre à la justice, se retranchant derrière le secret professionnel. Son fils, ancien procureur devenu maire de Natchez, Mississipi, va tenter par tous les moyens de l’innocenter. Pour y parvenir, il va devoir se plonger dans le passé d’une communauté meurtrie par les crimes du Ku klux klan. Se faisant, il va remuer des souvenirs que bien peu de monde en ville souhaite voir remonter à la surface.

Quelle déception, mais quelle déception !  Il avait pourtant tout pour me plaire ce monumental pavé. D’abord avec son sujet au cœur des préoccupations d’une Amérique dans l’incapacité de solder les épisodes nauséabonds d’un passé toujours très présent, ensuite avec son traitement que j’imaginais fouillé (vu le nombre de pages !) et enfin avec son ambiance brûlante magnifiée par des personnages et des décors caractéristiques du Sud profond. Tout s’annonçait donc bien et pourtant, patatras !

Premier écueil, j’avais beau savoir que j’avais dans les mains le volume inaugural d’une trilogie, je ne pensais pas pour autant que la conclusion me laisserait à ce point sur ma faim. C’est simple, j’ai eu l’impression d’avoir été abandonné au milieu du gué et pour ainsi dire pas plus avancé qu’au premier chapitre. Après plus de 1000 pages quand même !

Deuxième gros souci, la question raciale n’est absolument pas le nerf de la guerre pour les protagonistes. Du moins pour ceux menant les investigations. Le maire veut juste sauver son père, sa future femme cherche la gloire et un éventuel Pulitzer, le journaliste d’investigation œuvrant depuis des décennies pour la vérité le fait en souvenir de son enfance, l’agent du FBI veut venger la mort de l’un de ses confrères, etc. Tous sont blancs et aucun d’eux, à aucun moment, n’agit pour la communauté noire. Leurs actions pour connaître la vérité ne sont guidées que par une histoire ou des intérêts personnels, absolument pas par de quelconques convictions politiques. C’est du moins l’impression qu’ils donnent et c’est plutôt gênant.

Troisième problème, l’écriture (ou la traduction) est d’une grande platitude. C’est simple, il n’y a quasiment que des dialogues entrecoupés de descriptions au ton journalistique. C’est rythmé et bien mené mais littérairement, ça ne vole pas haut. Bien sûr le suspens ne cesse de croître, la tension monte et on se prend au jeu mais ce genre de page-turner d’une redoutable efficacité privilégie la forme au détriment du fond, ce qui est bien dommage. La scène finale, digne d’un film d’action, cherche à en mettre plein la vue mais je l’ai trouvée aussi inutile qu’excessive, pour ne pas dire ridicule.

Pas grand chose à sauver donc, de mon point de vue du moins. Qu’un sujet aussi sensible soit traité à la manière d’un thriller jouant davantage sur la corde du « divertissement » que sur l’aspect social et sociétale me pose un vrai problème. Je me passerai sans regret du second tome et pour ce qui est d’éclairer « avec maestria la question raciale qui continue de hanter les États-Unis » (dixit la 4ème de couv), je préfère retourner vers le fabuleux Ernest J. Gaines.

Brasier noir de Greg Iles (traduit de l’anglais par Aurélie Tronchet). Actes Sud, 2018. 1050 pages. 28,00 euros.








mardi 3 juillet 2018

Lise et les hirondelles - Sophie Adriansen

Paris, 16 juillet 1942. Lise, 13 ans, assiste impuissante à l’arrestation de sa famille. Se précipitant au commissariat, elle apostrophe le policier de garde et parvient, après avoir montré une détermination sans faille, à obtenir la libération de ses deux petits frères. De retour chez eux, les enfants sont recueillis par leurs voisins. Commence alors pour Lise une existence régit par la peur de tomber entre les mains de l’occupant et l’insupportable absence de ses parents, dont elle est sans nouvelles.

Après le magnifique Max et les poissons Sophie Adriansen revient une fois de plus sur le sort des enfants victimes de la rafle du Vel d’Hiv. Inspiré de l’histoire vraie d’Hélène Zajdman, Lise et les hirondelles dresse le portrait d’une enfant traversant les années de guerre entre espoir et douleur sans jamais s’appesantir sur son sort. Lise a conscience de la difficulté de la situation. Au cours de vacances près de la mer elle se rend compte que les français ne peuvent pas tous être dignes de confiance. De retour à Paris elle subit les nombreuses privations touchant une grande partie de la population. Au fil des mois Lise grandit, elle garde un œil maternel sur ses frères, découvre l’amour dans les bras de Roger, chemine bon an mal à an jusqu’à la libération, consciente que la guerre lui « a confisqué des années irrattrapables, perdues à jamais ».

Un texte simple, touchant et instructif. Une façon intelligente d’entretenir le devoir de mémoire en découvrant une histoire et un personnage féminin dont le courage et l’abnégation ne pourront que susciter chez les jeunes lecteurs une admiration sans borne. Forcément indispensable.

Lise et les hirondelles de Sophie Adriansen. Nathan, 2018. 235 pages. 14,95 euros. A partir de 12 ans.









vendredi 22 juin 2018

Smith et Wesson - Alessandro Baricco

Smith et Wesson. Un duo qui fait penser aux fameux marchands d’armes. Sauf que pas du tout. On parle ici de Tom Smith et Jerry Wesson, qui se rencontrent pour la première fois en 1902, au bord des chutes du Niagara. Le premier est météorologue amateur, le second récupère les cadavres de suicidés dans les tourbillons des rapides. A leur duo va venir se greffer la jeune Rachel, journaliste débutante débarquant de San Francisco pour leur proposer de l’aider à se jeter à l’eau dans le but d’en mettre plein la vue à son rédacteur en chef. Les deux hommes, d’abord réticents, vont finir par accepter et par tout mettre en œuvre pour que l’expérience inédite imaginée par Rachel soit couronnée de succès.

Baricco peut se permettre de faire ce qu’il veut. On dirait qu’il a eu envie de se lancer un défi avec cette pièce en deux actes.  Un défi consistant à écrire du théâtre qui se lirait comme un roman, à imaginer que l’on va faire couler sur scène des millions de litres d’eau, que le bruit sera tellement étourdissant que les acteurs devront hurler pour se faire entendre, que les décors seront aussi impressionnants que difficile à créer. Avouons-le, le lecteur se fiche un peu de cette machinerie folle. Il prend plaisir à découvrir cette histoire farfelue, il se délecte des savoureux dialogues, des passages proches de l’absurde, des personnages haut-en-couleur.  Et il lit le texte comme un roman, sans imaginer une seconde assister à une représentation théâtrale.

Clairement, ce n’est pas le texte le plus profond ni le plus puissant de Baricco. Je le vois surtout comme un divertissement, certes sans prétention, mais tout sauf bâclé. Après tout, il va de soi qu’un auteur aussi talentueux ne baisse jamais la garde, même quand il donne dans davantage de légèreté. 

Smith et Wesson d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2018. 156 pages. 16,00 euros.



vendredi 15 juin 2018

Au bord de la terre gelée - Eowyn Ivey

1885. Le lieutenant-colonel Allen Forrester est chargé de mener une expédition de reconnaissance en Alaska, le long de la rivière Wolverine,  afin de cartographier le territoire et de recueillir des renseignements concernant les tribus indigènes. Accompagné des soldats Pruitt et Tillman, d’un trappeur et de guides indiens, le lieutenant a laissé au fort son épouse Sophie, sans savoir qu’elle est enceinte.
Le texte inclut cartes, dessins, photos de paysages et images d’objets de l’époque. L’histoire se découvre à la lecture, en parallèle, des carnets d’Allen, du journal intime de Sophie et des échanges épistolaires d’un de leurs descendants et d’un conservateur de musée. C’est un vrai récit d’aventure à l’ancienne qui mêle la grande aventure du lieutenant-colonel et l’aventure intime de Sophie. Le premier défriche une terre vierge de la présence de l’homme blanc, conscient que si sa mission se réalise, elle ouvrira la porte à une colonisation de masse où les indiens ont forcément tout à perdre. De son côté sa femme aspire à briser le carcan d’une société militaire patriarcale pour gagner une forme d’autonomie et de liberté à travers sa passion pour la photographie.

Franchement, je ne m’attendais pas à être autant sous le charme d’un tel roman. C’est une superbe histoire d’amour et un hymne à la beauté et à la dureté de la nature sauvage qui invite à la contemplation tout en dressant le portrait d’un couple soudé malgré l’éloignement. Il y a également une surprenante dimension fantastique, étroitement liée aux croyances autochtones. C’est ainsi que l’on voit un enfant naître dans le creux d’un épicéa, que l’on retrouve les soldats aux prises avec un monstre lacustre, que des femmes se métamorphosent en oies ou que des fantômes hantent la montagne chaque nuit. Ce mélange entre fantastique et réalité, entre prosaïsme des explorateurs et légendes indiennes ne sonne jamais faux et fonctionne au final à merveille (à mon grand étonnement !).
Un pavé très « romanesque » traversé par le souffle de l’épopée des pionniers de l’Amérique. Et une excellente surprise en ce qui me concerne tant, à la base, je ne suis pas un adepte de ce genre de récit.

Au bord de la terre gelée d’Eowyn Ivey (traduit de l’américain par Isabelle Chapman). 10/18, 2018. 540 pages. 19,90 euros.





mardi 12 juin 2018

Pëppo - Séverine Vidal

Pëppo. Drôle de prénom pour un drôle de garçon, lycéen vivant avec sa sœur Frida et les jumeaux de cette dernière dans une caravane, sur le camping en piteux état de leur oncle. Un gamin fan de surf et de skate qui passe ses journées à buller, se balade à vélo et chaparde quelques trucs à droite à gauche pour améliorer l’ordinaire. Jusqu’à ce matin où, au réveil, il tombe sur un mot griffonné par Frida lui annonçant qu’elle s’en va pour quelques temps. Pëppo n’en revient pas. Le voilà seul avec deux nourrissons, lui qui ne sait même pas comment chauffer un biberon ni mettre une couche dans le bon sens.

Décidément, Séverine Vidal ne cessera jamais de me surprendre. Après l’humour de La drôle d’évasion et l’émotion de Nos cœurs tordus (écrit à quatre mains avec Manu Causse), elle change à nouveau de registre avec ce très beau roman d’initiation qui aborde, le temps d’un été, le passage de l’insouciance à la maturité, du j’menfoutisme  aux responsabilités. Pëppo se retrouve chargé de famille malgré lui. Pëppo a peur, Pëppo est terrorisé. Mais Pëppo va faire face, parce qu’il n’a pas le choix. Sans moyens, sans expérience, à l’intuition. Et Pëppo va s’attacher à ces jumeaux auxquels il n’avait jamais porté la moindre attention, à tel point qu’il ne savait même pas les différencier.

Un texte lumineux, peuplé de rois de la débrouille, d’une vieille peau acariâtre, d’un guitariste argentin, de bébés dodus, d’une boutonneuse au sourire ravageur et d’une Bibiche permanentée. Un texte qui déborde d’amour et de bonne humeur malgré les coups durs, malgré le quotidien difficile et l’avenir incertain. C’est tendre et plein d’humanité, ça réchauffe les petits cœurs tout mous et ça fait un bien fou. Que demander de plus ? 

Pëppo de Séverine Vidal. Bayard, 2018. 176 pages. 13,90 euros. A partir de 12 ans.














vendredi 8 juin 2018

Le chemin s’arrêtera-là - Pascal Dessaint

« Les pauvres gens, par nature, sont innocents. »

C’est une bande de terre perdue entre la mer du Nord et les raffineries. Une bande de terre coincée entre le monde sauvage et le monde industriel. Sur cette bande de terre vivent Jérôme, Cyril, Louis, Mona et Wilfried. Des ouvriers mis au rebut, des ados en perdition, des travailleurs précaires. Dans ce monde de laissés-pour-compte on habite une cabane déglinguée envahie par le sable où une caravane rouillée posée entre les dunes. On s’isole dans un entre-soi  où la nature humaine révèle parfois ses aspects les plus sombres et les plus malsains. On vit à la marge entre gens de peu de mots, entre gens frustes et sans illusion. On ne se plaint pas, on prend les choses comme elles viennent, on s’occupe comme on peut, on fait avec les moyens du bord.

J’ai adoré ce roman choral parlant de misère sans misérabilisme, ce roman noir débordant d’humanité dans une langue d’une magnifique concision, ce roman qui offre une  parole aux invisibles, ce roman qui dit un monde à l’agonie, une région rongée par la paupérisation galopante de sa population. Ici on ne juge pas, on ne minimise rien, on ne caresse personne dans le sens du poil. Chacun raconte son histoire, donne son point de vue, exprime son ressenti. C’est cash, lyrique, âpre, cruel, ou violent, drôle aussi parfois. On s’enlise, on glisse, on dérape, on se relève et on retombe. On n’est pas des saints, on traîne de douloureuses casseroles et on avance comme on peut, pas à pas jusqu’au bord du gouffre… 

Un grand merci à Emma qui a eu la gentillesse de m’offrir ce roman dédicacé par l’auteur. Ce fut l’occasion  pour moi de découvrir un écrivain dont la veine sociale ne pouvait que m’enchanter.

Le chemin s’arrêtera-là de Pascal Dessaint. Rivages, 2016. 255 pages. 8,00 euros.





mercredi 6 juin 2018

Strip-tease - Emma Subiaco

Camille prend une décision radicale après avoir découvert son mec au lit avec une autre : fini la gentille demoiselle qui marche dans les clous et ne fait pas de vague, fini ce boulot d’architecte qui ne lui apporte aucune satisfaction. Pour être libre et s’accomplir, la jeune femme décide de se lancer dans le strip-tease. A peine engagée dans un club par une patronne peu regardante sur son manque d’expérience, Camille devient Elise et après une formation express (à peine cinq minutes), la voilà lancée sur scène pour un tour de piste dont le but en de donner à envie au client de la solliciter pour un tête à tête privé où l’on peut juste regarder sans jamais toucher, où la danse est facturée 300 euros et la bouteille de champ 500.

Autour de Camille la concurrence est rude. De Pétra aux lèvres pulpeuses et aux énormes seins refaits à Linda qui porte la vulgarité à des sommets inégalés en passant par Amanda l’accro à la cocaïne et Judith la cougar, la néophyte découvre que ses consœurs ont des profils et des motivations bien différentes. Elle découvre aussi un univers très particulier et des clients qui font plus pitié qu’envie. Mais surtout, et c’est bien le plus important, elle se rend compte que ce job tant décrié lui permet de s’affirmer en tant que femme.

Basée sur l’expérience personnelle d’Emma Subiaco, qui a été barmaid puis strip-teaseuse dans un club, ce roman graphique jette un regard à la fois réaliste et décalé sur ce milieu d’habitude si fermé.

Un regard critique d’abord : sans salaire fixe, uniquement payées en fonction du nombre de danses « privées », en CDD de deux mois renouvelables ou pas au bon vouloir de la direction, les filles ont des conditions d’exercice particulièrement précaires. Les clients quant à eux sont soit des machos venus s’en payer une bonne tranche, soit des pauvres gars paumés à la sexualité inexistante ou des jeunes trouducs en virée entre potes. Aucun n’attire la moindre sympathie et au final tous sont bien plus fragiles que les femmes qu’ils viennent mater la bave aux lèvres. 

Un regard plein d’empathie ensuite sur les strip-teaseuses, bien plus soudées que les apparences ne pourraient le laisser penser. Des filles lucides, qui savent ce qu’elles veulent et comment s’y prendre pour l’obtenir, qui portent un jugement sans pitié sur les hommes et ne leur font pas le moindre cadeau.

Au final une chouette BD, qui brille plus par son propos que par son graphisme parfois tremblotant. Une BD engagée, féministe, qui a le mérite de ne jamais tomber dans le sordide, préférant empiler les anecdotes et les petits soucis plutôt que les grands drames. Emma Subiaco explique d’ailleurs sa démarche en fin d’ouvrage dans une postface instructive qui  éclaire son projet avec beaucoup de conviction. Une vraie réussite que ce premier album culotté en diable (même si la couverture pourrait laisser croire le contraire !).

Strip-tease d’Emma Subiaco. Editions du Long Bec, 2018. 144 pages. 20,00 euros.





mardi 5 juin 2018

Amir et Marlène : Coup de foudre en 6e - Ingrid Thobois

Quand, la veille de la rentrée en sixième, sa mère lui annonce qu’elle l’a inscrite dans un autre collège que celui où elle devait aller, Marlène n’en revient pas ! Tout ça parce que ce collège a de biens meilleurs résultats au brevet et que le principal est une copine de sa maman. Pour Marlène, le coup est rude à encaisser. Non seulement elle va devoir prendre le car tous les jours mais en plus elle va se retrouver dans un environnement inconnu sans un seul ami.

Les premiers pas dans son nouvel établissement tournent au drame. Elle se perd dans les couloirs et arrive en retard en cours sous les moqueries de ses camarades qui la traitent de baleine. Ces débuts cauchemardesques vont heureusement être oubliés quelques jours plus tard lorsqu’Amir, « le plus beau garçon de la terre », franchit le seuil de la classe. Marlène tombe raide dingue amoureuse de ce réfugié Syrien au français balbutiant, mais elle n’est pas la seule à vouloir s’attirer ses faveurs…

Une vraie bouffée de fraîcheur cette Marlène ! Malgré un physique « difficile », une meilleure amie traitresse, une mère surprotectrice et un grand frère pénible, elle affronte l’adversité bille en tête avec humour et franchise. L’histoire d’Amir est par ailleurs touchante et sa rencontre avec la jeune fille est mise en scène avec beaucoup de finesse. Entre éveil à l’amour et réflexion sur l’intégration des migrants, voila encore un roman jeunesse positif qui prend la vie du bon côté sans mettre sous le tapis les difficultés et les coups durs. Franchement, ça fait du bien !

Amir et Marlène : Coup de foudre en 6e d’Ingrid Thobois (ill. Gaël Henry). Sarbacane, 2018. 240 pages. 10,90 euros.






vendredi 1 juin 2018

Braconniers - Tom Franklin

Dans les nouvelles de Tom Franklin, la chaleur humide des marécages d’Alabama vous colle à la peau. Dans les nouvelles de Tom Franklin on se réveille au petit matin dans son pick-up avec une gueule de bois carabinée en se demandant ce qu’on a fait la veille. Dans les nouvelles de Tom Franklin le mâle blanc, pauvre et sans emploi, vient de se faire plaquer par sa nana ou va l’être incessamment sous peu. Dans les nouvelles de Tom Franklin on se retrouve dans un bar sombre et enfumé une bière à la main pendant que la voix pleine de gravillons de Calvin Russell sort d’un jukebox. Dans les nouvelles de Tom Franklin on pointe à l’usine, on pêche à la dynamite, on tue les chatons à la carabine, on offre un flingue à l’ami suicidaire ou on part vers l’Alaska.

Forcément, dans les nouvelles de Tom Franklin, je suis comme un poisson dans l’eau. Parce qu’il raconte des histoires d’hommes tristes à pleurer, cruelles, mélancoliques. Parce que son style est direct, sans chichi. Parce qu’on ne donne pas dans l’intime ou la psychologie de comptoir, parce qu’on ne cherche pas le salut ou la rédemption, parce qu’on accepte sa condition sans se faire d’illusion.

Cet ouvrage, réédité pour la première fois vingt ans après sa première publication, vous cueille comme un uppercut à la pointe du menton. La qualité va crescendo et les premières nouvelles, plutôt courtes, sont suivies par des histoires plus longues, plus denses, plus intenses, jusqu’au feu d’artifice final offert par le texte éponyme (près de 100 pages à lui tout seul) qui clôt les débats en apothéose. Aucune fausse note donc pour ce recueil impressionnant de maîtrise et de puissance.

Braconniers de Tom Franklin (traduit de l’américain par François Lasquin). Albin Michel, 2018. 275 pages. 20,00 euros.

mardi 29 mai 2018

Mon cœur en confettis - Fanny Vandermeersch

Les parents qui divorcent et c’est l’effet domino pour Axelle dont tout l’univers s’écroule : un déménagement, un beau-père, une meilleure amie qu’elle ne verra plus et un changement d’établissement en pleine année scolaire, ça fait beaucoup. Surtout que les premiers pas dans son nouveau lycée sont cauchemardesques. En plus de se ridiculiser le jour de la rentrée, un pion et son prof de français la prennent en grippe, sans parler d’Alicia, une peste qui pourrait faire de sa vie un enfer. Et puis il y a Yacine. Elle est tombée nez et à nez avec lui un matin en sortant de sa chambre. L’apparition de ce beau brun ténébreux, aussi surprenante qu’inexplicable, l’a perturbée au plus haut point…

Purée, une comédie romantique pour ados, au secours ! Voilà ce que j’ai pensé en ouvrant ce petit roman à la couverture girly. Mais j’ai vite compris que la guimauve ne serait pas de mise. D’ailleurs, au-delà de l’histoire d’amour entre Axelle et Yacine, le texte s’interroge davantage sur la difficulté à trouver sa place pour une jeune fille qui perd ses repères de manière brusque. Difficulté de prendre ses marques, d’appréhender un nouvel environnement, de créer des liens avec des camarades qui au mieux vous ignorent, au pire vous cherche des crosses.

J’ai aimé la fragilité d’Axelle, ses doutes, son manque de confiance en elle et en même temps sa capacité à aller de l’avant, à encaisser des coups sans jamais s’écrouler totalement. Loin du drame, ce cœur en confettis délivre un message positif et montre qu’un nouveau départ compliqué n’est pas forcément synonyme de naufrage à venir. Il suffit parfois d’avoir la tête sur les épaules et d’être bien entouré. Un roman qui trouvera à coup sûr son public tant son héroïne, simple et attachante, apparaît comme la parfaite copine que bien des ados aimeraient avoir.

Mon cœur en confettis de Fanny Vandermeersch. Ravet-Ancenau, 2018. 124 pages. 13,00 euros. A partir de 13 ans.









mardi 22 mai 2018

Mamie gâteau s’emmêle le tricot - Gwladys Constant

A quatre ans et demi Côme connaît bien plus de mots que les enfants de son âge. Il en connaît beaucoup mais il les mélange tous, ce qui inquiète sa maman. Une maman célibataire qui jongle entre sa vie de famille et ses deux emplois. Heureusement mamie Madeleine est là pour s’occuper du petit. Mais depuis peu il se passe de drôles de choses chez mamie Madeleine. Ses affaires disparaissent, comme si quelqu’un s’amusait à les cacher. Un fantôme pense mamie, un fantôme qui lui joue de vilains tours…

Côme confond les mots et mamie a des oublis. Troubles du langage et troubles de la mémoire, chacun se retrouve en difficulté, à l’école ou dans la vie quotidienne. Mais plutôt que de mettre un mouchoir sur le problème, mieux vaut l’affronter. A chacun son spécialiste, à chacun son analyse. Et main dans la main, la grand-mère et son petit fils vont aller de l’avant.

Ne sortez pas les violons ni les mouchoirs, ce petit roman plein de fraîcheur déborde de peps et de vitalité. Loin de l’abattement, on se soutient, on discute, on cherche de l’aide. Les dialogues sont joliment troussés, la maman courageuse affrontant les soucis de sa mère et de son fils est touchante et le petit bonhomme au vocabulaire « décalé » craquant.

Un texte enjoué, positif, où rien ne se règle d’un coup de baguette magique mais où on ne baisse pas les bras devant les obstacles à surmonter. Après La révolte des personnages et Philibert Merlin apprenti enchanteur, Gwladys Constant montre une fois de plus sa capacité à donner le sourire en alliant bonne humeur et simplicité.

Mamie gâteau s’emmêle le tricot de Gwladys Constant et Gilles Freluche (ill.). Oskar, 2018. 64 pages. 8,95 euros. A partir de 7 ans.   










mardi 15 mai 2018

Les étrangers - Éric Pessan et Olivier de Solminihac

« Ils ont traversé la guerre, […] la famine, le désert, la mer. Ils ont plusieurs fois échappé à la mort et ils sont morts plusieurs fois. Ils ne savent plus avec certitude comment ils s’appellent, ils n’ont plus de papiers d’identité valables. Et beaucoup de gens ne croient pas en leur existence, soit qu’ils ne les voient pas, soit qu’ils ne veulent pas les voir, et en même temps ils en ont peur, et en même temps ils croient qu’ils sont partout. Mais quand tu commences à voir les fantômes et à les connaître, tu t’attaches à eux. Tu essaies de les faire repasser du côté de la vie. Tu te bats pour ça. » 

Toute l’histoire de ce court roman tient dans cet extrait je trouve. Basile, un lycéen à la vie bien rangée, croise un soir quatre jeunes migrants dans une gare désaffectée. Ils sont tendus, effrayés, ils fuient quelque chose. Quand l’un d’eux se fait enlever sous ses yeux par un passeur, Basile va tout faire pour lui venir en aide, pour lui éviter de disparaître définitivement.

Les migrants, les passeurs, la mafia, le regard porté sur une population « d’invisibles », la découverte d’une réalité face à laquelle on préfère se voiler la face, il y a tout ça dans ce texte rédigé à quatre mains. Bien sûr il y a aussi cette nuit où les événements s’enchaînent, où le suspens va crescendo.
Mais la mécanique du récit ne repose pas sur l’action à tout prix. Le but est de pousser à la réflexion sur le sort des réfugiés, d’ouvrir les yeux sur sa propre condition pour relativiser ses propres tracas, pour ne pas s’émouvoir de petits drames personnels alors que d’autres en vivent de bien plus grands.

Éric Pessan et Olivier de Solminihac signent un titre malheureusement d’actualité aussi instructif que percutant. A travers le regard de Basile ils montrent la terrible situation d’une population abandonnée, l’inhumanité de ceux prêts à toutes les abominations pour profiter de leur désespoir et le soutien sans limite apporté par les personnes qui prennent le risque de leur venir en aide. 

Les étrangers d’Éric Pessan et Olivier de Solminihac. L’école des loisirs, 2018. 125 pages. 13,00 euros.