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vendredi 4 janvier 2013

Le guide du mauvais père - Guy Delisle

Delisle © Delcourt 2012
- Papa ! C’est quoi la pénétration ?
- La pénétration c’est quand le monsieur est sexuellement excité et que son pénis devient tout dur. Ça s’appelle une érection. Ensuite le monsieur fait entrer son pénis dans le vagin de la madame. C’est ça qu’on appelle la pénétration.
- Mais moi je parlais dans Zelda...

On a tous connu ces grands moments de solitude avec nos enfants. Guy Delisle déroule ainsi quelques anecdotes sur la façon dont il vit sa paternité. Un mauvais père ? En aucun cas. Juste un papa maladroit, gaffeur et pas toujours très attentif à sa progéniture. Un père normal, quoi. Je me suis retrouvé dans certaines situations. Oublier de faire passer la souris et voir le petit bout tout penaud le lendemain matin sa dent à la main ça nous est arrivé il y a peu. Pareil quand il emmène sa fille à la piscine, promet qu’il va la regarder et file à la cafète boire un coup pour revenir deux minutes avant la fin du cours, j’ai fait ça aussi. Et ces discussions sur Pâques, du genre, "comment c’est possible qu’un lapin géant saute par-dessus la clôture avec son panier rempli d’œufs en chocolat" et nous qui tentons juste de noyer le poisson en constatant que ce bambin, malgré son âge, il cogite déjà drôlement et qu’il va être de plus en plus en plus difficile de le rouler dans la farine. Après il y a des choses plus spécifiques à la vie du dessinateur, comme quand sa fille lui amène un dessin fait pour lui et qu’il analyse la chose avec l’œil du pro : « J’te le dis franco, c’est pas avec ça que tu risques de ramener un Fauve d’or à la maison. »

Il fallait forcément m’offrir cette BD en ce moment. Le cadeau tout trouvé qui fait bien marrer. Le pire c’est que c’est vrai, je me suis bien marré. Il n’y a que le titre que je trouve franchement mauvais (c’est du marketing diront les pros du commerce). C’est tout sauf un guide et ce n’est en aucun cas le portrait d’un mauvais père. Où alors nous le sommes tous. Des papa-poules raides dingues de leurs têtes blondes qui sacrifient tout pour eux et ne font jamais la moindre erreur en matière d’éducation, j’en connais pas beaucoup et je suis certain de ne jamais le devenir. Suis-je pour autant un mauvais père ? J’ai pas l’impression. Tant que je suis là pour leur donner la main en sortant de l’école, leur faire un câlin dès que l’envie s’en fait sentir, leur offrir des tas de bouquins et leur tenir les cheveux au-dessus de la cuvette à 4 heures du mat pendant qu’elles vomissent comme ce fut le cas la nuit dernière (la gastro cartonne sévère cette année en Picardie, c’est une réalité !), je me dis que je ne m’en tire pas si mal. Vous allez sans doute me rétorquer que je n’ai pas non plus d’ambitions démesurées. Certes, mais rassures-toi ma petite pépette à venir très bientôt, tu aurais pu tomber plus mal...

En tout cas Le guide du mauvais père est une bonne BD d’humour. Ça se lit peut-être un peu vite mais c’est vraiment drôle, n’est-ce pas là le principal ?

Le guide du mauvais père de Guy Delisle. Delcourt, 2012. 190 pages. 9,95 euros.





samedi 29 décembre 2012

Lou ! 6 : L’âge de cristal - Julien Neel

Neel © Glénat 2012
Lou a grandi et elle se cherche. Elle tente de répondre à des questions qu’elle n’arrive pas à formuler. Les garçons, sa mère, son petit frère, Richard, son beau père, qui a fui avant la naissance du bébé, les cours, les soirées en boîte de nuit. Est-ce que tout cela a un sens ? Et pendant ce temps là, en ville, d’étranges cristaux roses émergent un peu partout et mettent le gouvernement sur les dents.

Trois ans depuis le tome 5. On avait quitté Lou à 14 ans, on la retrouve à la fac ! Sa relation avec le beau Tristan est toujours aussi compliquée et si sa mère a connu le succès avec son premier roman, l’adaptation du texte en comédie musicale sur glace s’avère plus difficile que prévu. Si l’on rajoute l’intrusion du fantastique dans le quotidien à priori bien réglé de la jeune fille, il y a de quoi perdre plus d’un lecteur en route.

Une rupture totale, voila ce qu’a choisi Julien Neel pour donner un nouvel élan à sa série. Vu le succès public, il aurait pu se contenter de continuer dans la bluette ado façon sitcom. Il a choisi de surprendre avec l’irruption du fantastique et la mise en place d’élément de prime abord difficilement compréhensibles. Alors, courageux ou suicidaire ? Dans une interview au magazine Spirou, l’auteur s’est justifié : « Je ne cherche pas à dérouter le lecteur. Des images, que je ne comprends pas toujours moi-même, s’imposent à moi, et j’essaie simplement de les relier en une sorte d’histoire. Pas question de les expliquer aux lecteurs, car j’ai envie que chacun trouve sa propre explication. » Un peu facile me direz-vous. Certes, mais je crois à la sincérité de sa démarche et je n’y vois en aucun cas une forme de désinvolture. Et puis pour ceux qui se sentent vraiment perdus, les pages de gardes apportent de nombreuses informations permettant de mieux comprendre ce qui s’est passé entre les tomes 5 et 6.  

C’est un fait, je ne crierais pas au chef d’œuvre mais je m’attendais à bien pire. Les aspects fantastiques relèvent davantage de l’anecdote qu’autre chose. Tant que l’on continuera à voir grandir cette adorable gamine entourée de son chat, d’une maman immature, d’un petit frère trop mimi et d’une ribambelle de garçons lui faisant tourner la tête, ça me va.

Lou ! T6 : L’âge de cristal de Julien Neel. Glénat, 2012. 48 pages. 10,45 euros.

L'avis de Sara

Neel © Glénat 2012

mercredi 26 décembre 2012

Texas Cowboys - Trondheim et Bonhomme

Trondheim et Bonhomme
© Dupuis 2012
Envoyé par son rédacteur en chef réaliser un reportage au cœur de l’Ouest sauvage, Harvey Drinkwater quitte Boston pour le Texas. La commande de son boss est on ne peut plus claire : « Je veux du sensationnel. Je veux des duels au colt entre cowboys, aventuriers de tout poil, chasseurs de bisons et escrocs à la petite semaine. Je veux des culs-terreux qui se flanquent des peignées pour une éclaboussure de jus de chique sur une botte. Je veux des couteaux plantés dans des mains tenant deux as de cœur. Je veux des cowboys à cheval qui cavalcadent dans des saloons bondés. Je veux tout ça en mille fois plus violent. »

En débarquant à fort Worth, Drinkwater sait ce qui l’attend : « le pire de toute la racaille des ploucs de l’ouest rassemblé sur un espace grand comme le cul d’une mouche. »

Mais le jeune homme n’est pas là pour jouer au journaliste. Il a accepté le deal pour trois raisons : se venger de l'ex-mari de sa mère, s'enrichir et trouver l'amour. Le premier cowboy qu’il rencontre calme ses ardeurs : on ne peut pas venir dans l’ouest pour autant de choses à la fois, il faut en choisir une seul et unique pour rester concentré...

Parce qu’il a avant tout été conçu comme un hommage aux grands classiques, ce western accumule tous les poncifs du genre. Les personnages pittoresques à souhait forment la colonne vertébrale du récit : le blanc-bec naïf, la prostituée joueuse de poker, le shérif corrompu, le bandit cruel, etc. Un univers codifié qui ne constitue que le cadre de départ et que les auteurs s’amusent à modeler à leur guise, en jouant notamment sur la façon dont les éléments s’enchaînent. L’originalité tient donc dans la chronologie aléatoire qui régit l’ensemble de l’album. Les nombreuses intrigues sans lien apparent finissent par se rejoindre, les mêmes scènes sont présentées à différents endroits sous plusieurs angles et selon des points de vue qui varient en fonction des personnages, bref la construction de l’ensemble de l’histoire suit un canevas aussi complexe qu’imparable.

Le dessin de Mathieu Bonhomme, ultra précis et s’appuyant sur une abondante documentation, est volontairement vintage : utilisation récurrente du gaufrier (6 cases identiques par planches) et des effets de trame, mise en couleurs « à l’ancienne » avec un nombre de teintes limité (une quinzaine en tout), on a vraiment l’impression d’avoir sous les yeux une BD des années 60.

Un album à la narration d’une redoutable efficacité qui ne brille certes pas par son scénario mais qui mérite que l’on s’attarde sur son cas, ne serait-ce que pour son incontestable qualité graphique.


Texas Cowboys, de Trondheim et Bonhomme. Dupuis, 2012. 144 pages. 20,50 euros.

L'avis d'Yvan

L'avis de Mo'

Trondheim et Bonhomme © Dupuis 2012



mercredi 19 décembre 2012

Joe l’aventure intérieure - Grant Morrison et Sean Murphy

Morrison et Murphye
© Urban comics 2012
Joe a perdu son père à la guerre. Ado solitaire, atteint par un sévère diabète, il vit avec sa mère. Un soir en rentrant chez lui, il est foudroyé par une crise d’hypoglycémie. Le chemin le menant de sa chambre au frigo, où se trouve la canette de soda qui pourra le remettre sur pieds, va se transformer en parcours du combattant. En proie à des hallucinations, Joe devient dans son monde parallèle « l’enfant-qui-meurt » tandis que son rat domestique se transforme en samouraï protecteur prêt à affronter les armées des ténèbres.  

220 pages racontant le trajet effectué par un gamin insulino-dépendant entre sa chambre et son frigidaire, il fallait oser. Le cerveau en manque de sucre de Joe créé un univers d’héroïc-fantasy  violent et crépusculaire. Régulièrement, le lecteur revient dans la maison près de l’enfant malade avant d’être à nouveau projeté en plein délire. Cette alternance dans la narration n’est pas du tout perturbante, elle renforce le coté halluciné et désespéré de la quête de Joe.

Le trait de Sean Murphy est incroyable de vivacité et de précision. Certaines scènes de combat sont absolument bluffantes. Le découpage est un modèle du genre, à montrer dans les écoles. Seules les couleurs sont fades et sans grand intérêt, malheureusement comme souvent dans les comics (ok, j’avoue, je préférerais toujours le noir et blanc à la couleur, que voulez-vous, on ne se refait pas).  
  
Un one shot qui a vraiment tout pour plaire et pourtant je suis passé complètement à coté. L’univers parallèle est riche mais ne repose sur aucune fondation solide (rien de plus normal me direz-vous puisqu’il est issu d’une sorte de cauchemar incontrôlable). Du coup, je suis resté très éloigné des différentes péripéties, comme si je regardais tout cela de loin sans m’y intéresser le moins du monde. J’enrage parce qu’à lire les avis ici ou là, tous plus positifs les uns que les autres, je voudrais me persuader que cet album est un petit bijou d’intelligence à la construction imparable. Rien à faire, je n’y parviens pas. Je n’aime pas cette sensation d’avoir raté quelque chose, d’avoir manqué la finesse de l’analyse psychanalytique qui fait de ce récit une parabole sur les difficultés de l’adolescence, ce moment clé où l’on préfère parfois se réfugier dans des mondes imaginaires plutôt que d’affronter la dure réalité. Bref, je ressors insatisfait de cette lecture, en colère contre l’indifférence qui ne m’a pas lâché de la première à la dernière page. Un vrai gros raté.

Joe : L’aventure intérieure de Grant Morrison et Sean Murphy. Urban Comics, 2012. 224 pages. 19 euros.  

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Mo’. Je suis certain qu’elle a su apprécier cet album à sa juste valeur.



Morrison et Murphye  © Urban comics 2012




mercredi 12 décembre 2012

Les souvenirs de Mamette 3 : La bonne étoile

Nob © Glénat 2012
L’année 1935 touche à sa fin. A la veille des vacances, Jacques et Jeannot, les deux amoureux de Marinette, règlent leurs comptes à coup de bourre pif devant l’école. Excédée par ce spectacle désolant, la petite fille décide de rentrer seule à la maison. En chemin elle croise la camionnette de son père, qu’elle n’avait pas vu depuis des mois. Persuadée qu’il est venu la chercher pour la ramener enfin chez elle, Marinette est heureuse. Elle ne se doute pas que ce papa syndicaliste, au moment où le front populaire vit ses premiers instants, n’est pas là que pour elle et qu’il a bien des choses à cacher….

Quel bonheur de retrouver la jeunesse de Mamette ! Ce troisième tome est un peu moins léger que les précédents. Le retour du père permet à l’enfant de vivre de merveilleux moments mais le lendemain de Noël lui laissera en bouche un goût amer. Nob maîtrise son univers et ses personnages à la perfection. Menant en parallèle deux intrigues qui finissent par se rejoindre, il continue à distiller au compte goutte des informations essentielles pour la compréhension de l’histoire, notamment concernant la relation houleuse entre le père et le grand-père maternel. Dans les dernières pages, on comprend aussi en une case que la tata Suzon est enceinte, un événement tout sauf anodin… Une fois de plus on referme l’album en se disant « vivement la suite ! »


Coté dessin c’est toujours aussi magnifique grâce aux couleurs pastels, au découpage dynamique et à ces sublimes illustrations pleine page qui constituent autant de respirations bienvenues dans une narration parfois un peu dense.

Voila donc une histoire qui ne tourne pas du tout en rond et avance à son rythme en abordant des thèmes douloureux sans jamais oublier de les saupoudrer d’un soupçon de légèreté. Une atmosphère délicieusement rétro et une tendresse infinie se dégagent de cette chronique d’une enfance rurale vraiment tous publics. Un petit trésor à déposer au pied du sapin, même s’il n’était pas sur la liste. M’étonnerait qu’on vous reproche un tel cadeau !

Les souvenirs de Mamette T3 : La bonne étoile de Nob. Glénat, 2012. 88 pages. 13,25 euros.  
  
PS : petit coup gueule en passant contre l’augmentation stratosphérique du prix de vente. Le tome 2 affichait 10,45 € pour autant de pages et un format strictement identique. Pour ce 3ème volume l’addition passe à 13,25 €. Presque 30% de plus, il me semblait pas que la TVA avait autant augmenté. Si quelqu’un à une explication rationnelle, je suis preneur.

lundi 10 décembre 2012

Cul nul

Baraou et Dalle-Rive © Olivius 2012
J’aurais pu me garder ce recueil sous le coude pour le rendez-vous de Stephie. J’aurais aussi pu me dispenser de l’acheter mais c’est une autre histoire. Cul nul est une succession d’historiettes présentant des plans cul foireux. Par exemple le gars qu’on ramène à la maison et qui ne pense qu’à discuter au lieu de passer à l’action. Ou celui qui a quelques soucis d’hygiène corporelle, le roi de la performance, le maladroit congénital, le donneur d’ordre, celui qu’on ramène un soir de biture, le marrant qui enchaîne blague sur blague et finit par casser l’ambiance. La loose, quoi…

Chaque scène tient sur une double page, au maximum en huit dessins. Un trait ultra-minimaliste et une quasi absence de décor rend l’ensemble très épuré (qui a dit vide ?). Un petit quart d’heure de lecture, pas plus. Au moins, ça ne fait pas trop de temps perdu. Ben oui, franchement, je n’ai rien trouvé à sauver de cette somme sans intérêt. Un travail davantage adapté à la publication sur un blog ou dans la presse. Regrouper ces petites histoires dans un livre, c’est souligner la vacuité de l’exercice.

Est-ce que tout cela sent le vécu ? Je n’en sais strictement rien. Ce que je sais c’est que ça ne m’a pas arraché le moindre sourire. Je suis peut-être trop cul serré. Pourtant, il ne me semblait pas… 

En tout cas je découvre avec ce titre la nouvelle association entre les éditions de L’olivier et Cornélius. Leur rapprochement a pour but de "développer une collection de romans graphiques d’un type nouveau". Certes, alors on va dire que ce coup d’essai n’est pas un coup de maître. Mais bon, comme j’aime beaucoup ces deux maisons, je ne vais pas me montrer rancunier et je n’hésiterais pas à tenter à nouveau ma chance si un futur titre de leur catalogue me fait de l’œil.

Cul nul d’Anne Baraou et Fanny Dalle-Rive. Olivius, 2012. 66 pages. 12 euros.


Baraou et Dalle-Rive © Olivius 2012

mercredi 5 décembre 2012

Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012
Jours de destruction, jours de révolte est une BD-reportage qui dresse un panorama des États-Unis de la pauvreté. Cinq lieux, cinq chapitres au cours desquels on découvre la misère et le désespoir de tout un peuple. « Au travers de textes et de dessins, nous avons voulu décrire la vie de ces habitants écrasés par les lois d’un marché débridé ; dépeindre ces zones où êtres humains et milieu naturel sont laissés à l’abandon après avoir été exploités pour en tirer un maximum de bénéfices ; rendre compte de l’impact du capitalisme sauvage sur les familles, les travailleurs, les communes et les écosystèmes. » (extrait de la préface de Chris Hedges).

Voila donc le lecteur embarqué à Pine Ridge (Dakota du sud) dans une réserve indienne ravagée par l’alcoolisme, à Camden (New Jersey) dans une banlieue à l’abandon, un champ de ruines où la violence guette à chaque coin de rue, à Welsh (Virginie occidentale), auprès d’autochtones subissant les effets dévastateurs de l’exploitation du charbon dans des mines à ciel ouvert, à Immokalee (Floride) où les immigrés vivent une forme d’esclavage abominable dans les champs de tomates de grands propriétaires terriens et enfin à New-York, pour découvrir le mouvement Occupy Wall Street, symbole pour les auteurs d’une révolte en marche.
  
Très attiré au départ par la thématique et la forme du recueil, j’avoue que j’en suis ressorti assez déçu. D’abord, la redondance du discours anticapitaliste m’a quelque peu saoulé. La charge contre les financiers et leurs alliés politiques qui dirigent le monde et le ravagent avec avidité est très clairement exprimée et ne souffre d’aucune contestation mais il n’est pas nécessaire selon moi de répéter 36 fois la même chose. Ensuite, le ton général, entre le prédicateur et le donneur de leçon, m’a souvent gêné. Ce coté sentencieux masque le manque de finesse de l’analyse à certains moments. Enfin, le déséquilibre entre le reportage écrit et la BD est trop important. Une abondance de textes pas toujours passionnants alors que les quelques planches de Sacco (moins de 50 en tout) apportent une fluidité et un éclairage lumineux sur les situations présentées. Le dessin donne beaucoup plus de force au témoignage, c’est incontestable.

Par ailleurs, je n’ai pas de griefs particuliers contres les articles de Chris Hedges mais n’est pas Albert Londres qui veut. Je trouve son style plutôt plat et je me dis qu’avec de tels sujets, une pointe de lyrisme et une forme d’écriture vraiment engagée digne des grands journalistes-écrivains des siècles précédents m’auraient parues plus appropriées.

Attention, tout n’est pas à jeter dans cette somme assez colossale. Les différents chapitres révèlent une situation édifiante et mettent en lumière une face très sombre de l’Amérique. La découverte des conditions de vie de ces laissés pour compte du rêve américain a été pour moi un véritable choc. J’ai donc appris beaucoup de choses et je trouve que dans l’ensemble le travail des auteurs est vraiment intéressant, c’est juste qu’au niveau de la forme j’aurais largement préféré un véritable reportage en BD et non quelques planches de BD insérées dans des article de fond trop « journalistiquement » classiques. 

Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Mo’.


Jours de destruction, jours de révolte de Chris Hedges et Joe Sacco. Futuropolis, 2012. 320 pages. 27 euros.  

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012

Hedges et Sacco
© Futuropolis 2012






mercredi 28 novembre 2012

Dernière station avant l’autoroute

Daeninckx et Mako
© Casterman 2010
Le personnage principal, dont on ne connaîtra jamais le nom, est officier de policier judiciaire. Il fait les permanences de nuit. Toujours le premier sur les scènes de crime. Une prostituée flinguée à bout portant, un sénateur retrouvé raide comme un passe lacet dans une chambre d’hôtel miteuse, des squatteurs carbonisés dans un incendie… Au petit matin, il refile les enquêtes à l’équipe de jour. Juste là pour faire le sale boulot, il ne mène aucune investigation. Un loup solitaire au bord de la rupture qui ne s’est jamais remis d’une intervention sur un accident de train épouvantable. Ses collègues pensent qu’il est rincé, au bout du rouleau. Des jeunes gus aux dents longues lorgnent sur sa place et son patron ne peut pas le blairer. Le couperet tombe, il est muté dans un commissariat pourri au nord de Paris. Son nouveau chef est un ripou de première qui l’entraîne dans sa chute. Heureusement, une femme va lui maintenir la tête hors de l’eau avant qu’il ne sombre définitivement.

Vous savez sans doute que je ne suis pas fan de polar. En roman, je n’en lis quasiment jamais. En BD, je me contente du duo Tardi/Manchette. Mais quand j’ai vu Mako tout seul derrière sa table de dédicace au salon du livre de Creil la semaine dernière, j’ai pas pu m’empêcher d’engager la conversation. Et puis j’aime bien ce qu’il fait avec Daeninckx. J’ai découvert leur duo avec Octobre noir (merci Valérie !) et j’ai enchaîné avec Texas Exil. Dernière station avant l’autoroute est leur troisième collaboration. C’est l’adaptation d’un roman d’Yves Pagan. Mako m’a expliqué que c’était une histoire très autobiographique puisque Pagan était flic dans une équipe de nuit et qu’il a été traumatisé par un accident de train. Devenu écrivain, il s’est fait remarqué avec La mort dans une voiture solitaire ou encore L’étage des morts qui a été adapté au cinéma sous le titre Diamant 13 avec Depardieu et Olivier Marchal.

Dernière station avant l’autoroute est un récit noir de chez noir. Glauque, désespéré, avec une absence totale d’illusion sur le genre humain. Le quotidien du flic désabusé est retranscrit avec un réalisme glaçant. Ça sent vraiment le vécu à plein nez. Le seul souci pour moi, c’est la conclusion, beaucoup trop optimiste et en total décalage avec le reste. Quelque part, il vaut mieux terminer sur une note d’espoir mais j’avoue que voir cet homme finir avec son flingue dans la bouche prêt à appuyer sur la gâchette m’aurait paru plus cohérent.
   
En tout cas niveau dessin, c’est toujours un régal. Le jeu sur les ombres et l’absence de lumière renforce l’atmosphère oppressante et crépusculaire de la nuit. Pour une fois que je trouve un intérêt à la mise en couleur !
Finalement je me rends compte qu’à petite dose le polar me convient. Je n’y reviendrais pas toutes les semaines mais je dois reconnaître que quand c’est aussi bien réalisé, ça le fait, comme disent les jeunes.  

Pour info cet album remporté le prix polar du One shot au festival de Cognac 2010.

Dernière station avant l’autoroute de Mako, Daeninckx et Pagan. Casterman, 2010. 98 pages. 17 euros.  

Daeninckx et Mako © Casterman 2010





mercredi 21 novembre 2012

Le Klondike de Zach Worton

Worton  © Cambourakis 2012
Entre les années 1870 et le tout début du XXème siècle, le Yukon, un territoire sauvage du nord-ouest canadien, devint le théâtre d’une impitoyable ruée vers l’or. L’histoire du Yukon est liée à celle de ces milliers d’hommes (et de quelques femmes) persuadés qu’il n’y avait qu’à se pencher dans les cours d’eau traversant cette région frontalière de l’Alaska pour ramasser des pépites à la pelle. Seulement, les choses n’étaient évidemment pas si simples. L’extraction de l’or était harassante, les conditions climatiques abominables et surtout les véritables filons pouvaient se compter sur les doigts d’une seule main. La très grande majorité des concessions restèrent totalement stériles. Rapidement, un climat de violence s’installa, même si la police montée canadienne tenta de limiter les échauffourées. Certains, rares, tirèrent néanmoins leur épingle du jeu. Pour les autres, les désillusions se succédèrent devant ces chimères créées par une fièvre incontrôlable.

Zach Worton a construit son récit autour de quelques figures marquantes de cet épisode mythique de l’histoire américaine. Il lui aura fallu cinq ans de travail pour retranscrire fidèlement les événements majeurs qui ont jalonné cette épopée. Rapidement, il se rend compte que la vérité historique n’est pas toujours divertissante. C’est ainsi qu’il précise en postface : « J’ai dû faire appel à mon imagination pour développer plusieurs éléments, afin de faire avancer l’histoire et d’y incorporer tout à la fois certains faits. Des personnages inventés de toutes pièces servent à transmettre au lecteur des informations que ne peuvent lui offrir les principaux protagonistes. » J’avoue que les premiers chapitres ne m’ont pas emballé. Une succession de portraits sans véritable lien apparent, une collection d’anecdotes pas franchement intéressantes qui m’ont fait craindre le pire. Et puis peu à peu, c’est une saga qui prend forme, pleine de rebondissements, de moments tragiques et d’intrigues politiques. On découvre des indiens, des bandits, des voleurs, des arnaqueurs, des meurtriers, des hommes au bout du rouleau, le froid, la faim, les espoirs déçus et au final, pour beaucoup, la mort.

Au fait, pourquoi pourquoi parle-t-on de ruée vers l'or du Klondike ? Tout simplement parce que c’est dans les affluents de cette rivière traversant le Yukon que furent trouvées les premières pépites.
 
Toute l’épopée de ces forçats de l’or est réalisée en noir blanc, dans un style graphique fortement inspiré de la ligne claire européenne, même si il rappelle aussi parfois les premiers volumes de Bone (les meilleurs, ceux sans couleurs, évidemment).
 
J’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce pavé de plus de 300 pages contenant, en plus de l’histoire, des cartes géographiques, un index biographique, une note sur les techniques d’extraction de l’or ainsi qu’une bibliographie très complète sur la période. Peut-être pas un album grand public mais si comme moi vous appréciez les récits de ce genre, vous pouvez foncer les yeux fermés..   

Le Klondike de Zach Worton. Cambourakis, 2012. 332 pages. 24 euros.  


Worton  © Cambourakis 2012

 
 

lundi 19 novembre 2012

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor

Dauvillier et Kokor
© ed. de la Gouttière 2012
Manon a un frère jumeau avec lequel elle ne s’entend pas vraiment bien. Enfant taciturne et rêveuse, elle trouve souvent refuge dans sa chambre auprès d’un éléphant qu’elle seule est capable de voir. Le pachyderme est un copain sur qui elle peut compter en toute occasion : pour se confier, pour jouer ou pour la protéger. Et tant pis si personne ne veut la croire… 

Mon copain secret est un récit d’enfance tout en sensibilité. Il y est question de fratrie, de solitude, de ces jardins secrets que l’on se fabrique et qui participent à la construction d’une identité. Une histoire universelle et touchante.

Plus je lis Loïc Dauvillier et plus je compare son travail à celui d’un écrivain. Il possède une petite musique bien à lui qui fait qu’on le reconnaît au premier coup d’œil. Si vous lisez Modiano, vous constatez qu’il y a un style Modiano, assez inimitable. Pareil pour Joyce Carol Oates ou Amélie Nothomb (ok, ce dernier exemple n’est pas le meilleur, j’en conviens). Ce que je veux dire c’est qu’ils possèdent une patte si personnelle qu’on ne peut les confondre avec d’autres. Et bien c’est pareil pour Dauvillier. Depuis Mamé, je crois que je n’ai raté aucun de ses albums. Et j’avoue que c’est ce qu’il écrit pour le jeune public qui me bluffe le plus : toujours fin, intelligent et d’une grande profondeur. Si vous ne me croyez pas, plongez-vous donc dans L'enfant cachée ou Petite souris, grosse bêtise, vous en ressortirez forcément convaincu. Le plus important, c'est qu'il ne prend pas les enfants pour des imbéciles et n’hésite pas à leur proposer une lecture qui demande de la réflexion. Mon copain secret n’échappe pas à la règle. D’un lecteur à l’autre, les interprétations de l’histoire peuvent fortement varier car si nombre d’informations contenues dans le texte sont compréhensibles de manière explicite, certaines relèvent clairement de l’implicite. Disons pour faire court que si vous souhaitez solliciter l’imaginaire de vos enfants, choisir une lecture qui les interpelle et les pousse à la réflexion, cet album est fait pour vous.

Deux mots également sur le travail toujours aussi remarquable d’Alain Kokor. Son trait tout en douceur, sans véritable encrage, reste constamment au service du récit. A noter que la simplicité du découpage permet de proposer ce titre à des enfants n’ayant que très peu d’expérience du média BD.

Une fois encore, les éditions de la Gouttière se démarquent judicieusement de la concurrence. Liant constamment le ludique et le pédagogique, le catalogue de cet éditeur picard devrait à l’évidence être reconnu d’utilité publique. 

Mon copain secret de Loïc Dauvillier et Alain Kokor. Éditions de la Gouttière, 2012. 32 pages. 9,70 euros. A partir de 7-8 ans.



Dauvillier et Kokor © ed. de la Gouttière 2012

mercredi 14 novembre 2012

Mine, une vie de chat

Pandolfo et Risbjerg
© Sarbacane 2012
Léon est un grand gaillard taciturne et un peu gauche. La solitude lui pèse, même si son meilleur ami Gaspard veille sur lui avec bienveillance. Le jour où Léon croise la route d’une chatte noire au regard envoûtant  sa vie bascule. Non seulement la chatte s’installe dans son petit appartement sous les toits et ne le lâche plus d’une semelle, mais surtout, un matin, à la place de l’animal, il trouve à ses cotés une superbe jeune femme nue. Décontenancé, persuadé qu’il est en train de rêver, Léon se demande par quel tour de passe- passe un tel miracle à pu se produire…

Mine, c’est le nom de la jeune fille mais c’est aussi le titre de ce joli roman graphique qui a de faux airs de conte fantastique. Le schéma narratif quinaire propre au genre y est d’ailleurs parfaitement respecté : situation initiale, élément déclencheur, péripéties, résolution, situation finale, tout y est. Mais au-delà des aspects purement techniques, Mine est aussi et surtout une belle histoire d’amour riche de personnages hauts en couleur. Les auteurs ont su créer un univers original et personnel laissant une grande part à la rêverie et aux déambulations.

    
Graphiquement, j’aime beaucoup le trait libre et souple du danois Terkel Risbjerg. Du noir et blanc épuré à l’encrage épais, presque charbonneux, qui fait la part belle aux mouvements. Ce dessinateur a longtemps travaillé dans l’animation, notamment comme storyboarder, et cela se ressent dans son découpage ultra-dynamique et très pêchu. A noter que le personnage de Léon rappelle Broussaille, un héros lunaire et poétique créé à la fin des années 80 dans le magazine Spirou par Bom et Frank Pé. Un bémol toutefois dans ce concert d'éloges, la construction trop elliptique donne parfois l’impression que le récit manque de profondeur.

Quoi qu’il en soit, si ce coup d’essai n’est pas tout à fait un coup de maître, voila néanmoins deux jeunes auteurs plus que prometteurs. C’est d’ailleurs tout ce que j’aime dans le catalogue BD de Sarbacane. On innove, on prend des risques et on n’hésite pas à sortir des sentiers battus pour proposer au lecteur des ouvrages toujours surprenants (rappelez-vous Le chien gardien d’étoiles ou encore Sous l’eau, l’obscurité).   

Mine, une vie de chat, d’Anne-Caroline Pandolfo et Terkel Risbjerg. Sarbacane, 2012. 174 pages. 22 euros.

PS : Rien à voir avec ce qui précède mais ceux ou celles qui souhaitent découvrir ma voix de velours (tu parles !!!!), peuvent m'entendre pour la troisième fois dans le cadre de  l'émission de radio La vie des livres. Je présente cette fois-ci L'enfance d'Alan, un des albums que j'ai le plus apprécié ces dernières semaines. Personnellement, je n'écoute jamais mes piètres prestations car j'ai horreur d'entendre ma voix mais si le cœur  vous en dit, je vous donne le lien : http://www.libfly.com/l-enfance-d-alan-emmanuel-guibert-livre-1686153.html
Et dites-vous bien que l'exercice n'étant pas facile, l'indulgence doit être de mise ;)


Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012

Pandolfo et Risbjerg  © Sarbacane 2012









mercredi 7 novembre 2012

Carmen Cru : l’intégrale

Lelong © Fluide Glacial 2011
Carmen Cru est une rebelle. Une vraie. Une pure et dure. Sans doute la dernière rebelle de la BD contemporaine. Pas pour rien que le 4ème volume de la série a pour titre Ni Dieu ni maître. Carmen Cru est indomptable, insubmersible, increvable. En fait, Carmen, c’est pour moi un amour de jeunesse. Je lisais ses frasques dans le Fluide glacial de mon père au milieu des années 80. Elle me fascinait autant qu’elle me terrorisait. Toute ratatinée dans son imper sans formes, ridée comme une vieille pomme, pédalant sur son vélo hors d’âge avec le fameux cageot accroché sur le porte-bagage, elle avait tout de la sorcière. Sous ses airs de pauvre femme en bout de course, elle cache le plus fichu caractère que l’on puisse imaginer. Quand elle fait la tournée des bars, elle oublie son porte monnaie et promet de revenir le lendemain. Les factures ? Elle ne les paie jamais parce qu’elle y comprend rien à toute cette paperasse et puis « c’est des voleurs, ils écrivent n’importe quoi, on veut m’escroquer. » Quand les voisins débarquent chez elle avec une pétition pour lui demander de quitter son taudis, elle fait semblant de ne rien comprendre et tous repartent la queue entre les jambes. Son âge avancé est son plus bel atout. Elle use et abuse de sa condition de vieille femme misérable pour profiter de tous les gens qui l’entourent. Sa méthode est simple et consiste à inverser les rôles en se plaignant haut et fort que l’on abuse de sa sénilité alors qu’en fait elle est en train mettre à la torture son interlocuteur. Résultat, les commerçants la craignent comme la peste, le médecin a perdu sa réputation à cause d’elle et le terrassier chargé de creuser une tranchée dans sa cour pour amener le gaz finit sa journée au bord de la dépression.

Carmen vit dans une maison entourée de murs qu’elle a fait construire pour s’isoler quand le quartier est devenu résidentiel. Ses voisins sont ses souffre-douleurs préférés, surtout Raoul, alcoolique notoire qui multiplie les crises de delirium et à qui elle demande constamment de porter son vélo dans les escaliers. Il y a aussi le Duc, un aristo qui a perdu sa fortune au jeu et qui s’émerveille devant le caractère entier de la vieille femme ou encore Poupi Mouvillon, un teigneux rêvant de voir son irascible voisine foutre le camp mais qui n’a pas assez de cran pour aller lui dire en face. Coté famille, Carmen a un neveu indigne qui ne pense qu’à récupérer son héritage et une mère à l’hospice qui lui écrit une fois par an.

Ces gens-là sont ceux que chantait Brel, l’humour (noir) en plus.

Jean-Marc Lelong a d’abord publié cinq volumes entre 1984 et 1987 avant de déserter sa planche à dessin pendant plus de dix ans. Il y revient au début des années 2000 pour réaliser deux nouveaux albums avant de disparaître le 24 février 2004, à 55 ans. Carmen Cru restera à jamais une série mythique de la BD humoristique pour adulte. Cette incontrôlable misanthrope m’aura en tout cas durablement marqué et c’est avec un bonheur non dissimulé que j’ai plongé la tête la première dans cette délicieuse intégrale.


Carmen Cru : l’intégrale de Jean-Marc Lelong. Fluide Glacial, 2011. 190 pages. 14 euros.

Lelong © Fluide Glacial 2011




dimanche 4 novembre 2012

Chi, une vie de chat 9 de Kanata Konami

Konami © Glénat 2012
A la fin du tome précédent, Chi, soignée pour une conjonctivite, rentrait à la maison affublée d’une collerette. Dans ce nouveau volume, la jeune chatte, débarrassée de cet instrument de torture qui l’empêchait de se déplacer à sa guise n’a qu’une envie, retourner jouer dehors avec Minou. Mais ses propriétaires décident de ne plus la laisser sortir pour éviter qu’il lui arrive d’autres malheurs. Devant sa détermination, son maître cède et décide de lui acheter une laisse. Mais lors de la première promenade, Chi parvient à se faire la malle. Une escapade au grand air et en totale liberté qui ne sera pas de tout repos...

Les deux ou trois tomes précédents m’avaient un peu lassé du chaton et de son environnement mais ce nouvel opus relance quelque peu la machine. Kanata Konami joue sur le contraste entre la difficile condition du chat des rues (Minou) et la vie confortable du chat d’appartement (Chi) qui n’a qu’à miauler pour qu’on lui donne à manger et qui possède un coussin moelleux pour faire la sieste. Chaque petit chapitre semble indépendant mais participe en fait à la progression de l’histoire, ce qui donne une vraie cohérence à l’ensemble.

Chi est une série qui plait vraiment à toute la famille (je parle de la mienne). C’est le seul manga à faire l’unanimité puisqu’il est lu par mes filles, ma femme et moi. Il faut dire que le dessin kawaï, les couleurs douces, les chapitres très courts et la publication dans le sens de lecture occidental sont des arguments de poids pour les jeunes lecteurs qui découvrent le manga. Les plus grands, surtout s’ils possèdent un chat, reconnaîtront dans les mimiques de Chi leur propre animal. L’auteur parvient avec une remarquable économie d’effets à traduire les attitudes et les sensations infimes qu’expriment nos félins préférés. C’est sans doute dans cette retranscription réaliste, dans ces observations précises et humoristiques qui rappellent au lecteur un univers familier que tient le succès grandissant la série. Une vraie belle réussite !


Chi, une vie de chat T9, de Kanata Konami. Glénat, 2012. 146 pages. 10,75 euros.

jeudi 1 novembre 2012

Les Sisters 7 : Mon coup d’soleil, c’est toi ! de Cazenove et William

Cazenove et William © Bamboo 2012
Les Sisters partent en vacances à Sète. L’occasion de faire quelques balades en bateau, de pêcher des « fruits de la mer » (dixit Marine, qui a une « téchenique » d’enfer pour les attraper) et de prendre de sacrés coups de soleil. A part ça ? Du catch, une benjamine qui aime toujours autant fouiller dans les affaires de son ainée et un constat implacable fait par cette dernière : « Avec ma sœur, on se ressemble de moins en moins. »

J’aime beaucoup les Sisters parce que j’ai deux filles à la maison et que Wendy et Marine me rappellent parfois mes petites pépètes. Les héroïnes de Cazenove et William grandissent quelque peu au fil des ans mais leurs traits de caractère respectifs ne changent pas. C’est peut-être de là qu’est venue ma lassitude à la lecture de ce nouvel album. J’ai l’impression que cette série tourne sacrément en rond. C’est un plaisir de retrouver le dessin dynamique, les couleurs pastel et l’univers girly de William mais pour le reste j’avoue que je me suis ennuyé.

Heureusement, ma grande qui est totalement fan a dévoré ce septième tome d’une traite et l’a refermé en le qualifiant de « trop cool ». Tant que le public cible apprécie, c’est bien là l’essentiel. De mon coté, j’ai dû dépasser la limite d’âge. Pas grave, je vais me consoler avec un bon vieux Spiderman époque John Romita Jr. Rien de tel qu’un super héros en collant moule-burnes pour vous remonter le moral !


Les Sisters T7 : Mon coup d’soleil, c’est toi !
, de Cazenove et William. Éditions Bamboo, 2012. 46 pages. 10,60 euros. Dès 8 ans.

Mon avis sur le tome 5

Mon avis sur le tome 6

Mon avis sur le journal intime des Sisters


Cazenove et William © Bamboo 2012

mercredi 31 octobre 2012

L’étoffe des légendes 2 : La jungle

Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2012
Rappelez-vous, je présentais le premier tome de cette série il y a un an. Dans une chambre d’enfant, le Croquemitaine vient kidnapper un jeune garçon et l’emmène dans son monde, le royaume de l’Obscur. Les jouets du gamin s’organisent alors pour partir à sa recherche. Au début de ce second volume, après avoir fui la ville de la Marelle, Max l’ours en peluche et ses compagnons trouvent refuge dans un zoo abandonné. L’armée du Croquemitaine les rejoint bientôt et lance une féroce attaque. Grâce à l’intervention de Golems sortis de nulle part, la petite troupe échappe au massacre et se dirige vers la jungle, où un danger plus terrible encore les attend…
  
Incroyable série que ce comics digne des contes les plus noirs. Un monde dangereux, des jouets « humanisés » à la psychologie extrêmement travaillée, une violence sourde et un méchant terrifiant au possible forment un cocktail détonnant. Amour, amitié, non-dit, trahison… quelques révélations vont sérieusement changer la donne pour la petite troupe. Si le cochon a depuis longtemps vendu son âme au diable, Max dévoile un secret qui va faire voler en éclat la cohésion du groupe. Et pendant ce temps-là, l’enfant parvient à quitter sa geôle sordide et part à l’aveuglette dans le monde de l’Obscur. Totalement addictif, je vous dis !
       
Le dessin est quant à lui toujours aussi stupéfiant. De grandes cases aux tons sépia qui rappellent les gravures sur bois d’antan et un découpage dynamique à souhait, notamment pendant les scènes de bataille. Comme le premier, ce second volume conserve un format carré atypique au cartonnage épais et une entêtante odeur d’encre qui vous saute aux narines dès que vous le feuilletez.
  
J’espère vous avoir convaincu de jetez un œil à ce titre totalement inclassable qui mérite vraiment que l’on s’attarde sur son cas. De mon coté, j’attends déjà la suite avec impatience.         
  
L’étoffe des légendes T2 : La jungle, de Mike Raicht, Brian Smith et Charles Paul Wilson III. Soleil, 2012. 128 pages. 19,99 euros.


Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011

Raicht - Smith - Wilson © Soleil 2011





lundi 29 octobre 2012

Les Bidochon 21 : Sauvent la planète

Binet © Fluide Glacial 2012
A quoi ça tient un changement de vie ? A un repas chez des amis qui vous font visiter leur maison écologique par exemple. Vous découvrez les joies du four solaire (40 minutes pour un œuf dur, véridique !), des toilettes sèches et des murs peints à la caséine de lait. Et votre femme ressort de là avec des idées vertes plein la tête. Pour vous, les temps s’annoncent difficiles. Entre le tri sélectif, les ampoules basse-consommation et le covoiturage, vos habitudes bien ancrées dans le train-train quotidien vont être sacrément bousculées…

Comme toujours, c’est Raymonde qui insuffle le vent du changement et Robert qui passe son temps à râler. Elle essaie de lui faire comprendre que chacun de nous peut sauver un petit coin de la planète en se montrant responsable : économiser l’eau en pensant « aux africains d’Afrique » ou lutter contre le réchauffement climatique qui frappe durement les inuits, obligés de s’acheter des climatiseurs (véridique !). Et lui de répondre : « Mais on les connaît même pas ! ».

Le schéma narratif reste immuable et tient dans l’opposition entre la mentalité vieille France de Robert et la bonne volonté naïve de sa femme. Lui cherche en permanence à imposer son point de vue et elle continue à avancer malgré son boulet de mari. Il faut quand même reconnaître qu’au fil des albums les Bidochon ont gagné en subtilité.

Binet évite l’écueil du donneur de leçon. Il se contente de mettre le doigt sur quelques incohérences évidentes et sur la futilité de ces petits gestes censés avant tout nous donner une bonne conscience écolo. Le but premier reste de toute façon de mettre en place des situations et des dialogues où l’humour prime. Au final, sur un sujet aussi casse gueule, les Bidochon restent fidèles à eux-mêmes et continuent de faire rire les lecteurs. Pari réussi, donc. Et rendez-vous au prochain numéro, avec peut-être une réflexion sur les sextoys ou le militantisme, le choix de Binet n’est pas encore arrêté (véridique !).

Les Bidochon T21 : Sauvent la planète de Binet. Fluide Glacial, 2012. 46 pages. 10,50 euros.

Binet © Fluide Glacial 2012

  

mercredi 17 octobre 2012

Notre mère la guerre 4 : Requiem de Maël et Kris

Maël et Kris © Futuropolis 2012
Janvier 1915. Des cadavres de femmes sont déposés sur la ligne de front. Sur chaque corps, l’assassin a laissé un mot d’adieu. Les crimes ont lieu dans un secteur où est cantonnée une brigade d’adolescents délinquants envoyés dans les tranchées contre une remise de peine. Ils ont entre 15 et 17 ans, l’administration a dû changer leurs dates de naissance pour qu’ils puissent s’engager. A leur tête, le caporal Gaston Peyrac. Ces gamins font office de coupables tout désignés lorsque le gendarme Roland Vialatte arrive sur place pour mener l’enquête. Vingt après, sur son lit de mort, il raconte…

Vous connaissez peut-être mon habitude consistant à n’attaquer une série que lorsque tous les tomes qui la composent sont parus. Une sale manie, certes, mais dans le cas présent, ce fut vraiment une bonne chose. Ici, seule la lecture intégrale des quatre albums permet de comprendre le projet des auteurs. Difficile en effet de saisir les tenants et les aboutissants de l’intrigue sans avoir toutes les cartes en main. Et comme il faut attendre la seconde moitié du quatrième tome pour que l’enquête progresse de manière définitive, j’ai bien fait de patienter.

A quoi bon faire une BD sur la première guerre mondiale après Tardi ? Une telle entreprise a un sens si l'on aborde la question avec un point de vue différent. Chez Tardi, les hommes sont des victimes, ils ont été forcés de partir au combat. Kris ne voit pas les choses de façon aussi réductrice. Il veut comprendre pourquoi beaucoup ont agi de leur plein gré, par patriotisme. Surtout, il cherche à savoir comment ces hommes venus d’horizons différents ont tenu des années dans les tranchées et ont pu s’étriper comme des chiens enragés avec des gars qui ne leur avaient rien fait. Son propos insiste également sur la solidarité qui leur a permis de supporter l’enfer, qui les a poussés à risquer leur peau pour des types qu’ils connaissaient à peine, à faire pour eux des choses qu’ils ne feraient pas pour leur propre famille.

Notre mère la guerre vous prend aux tripes. La crudité du conflit est montrée dans toute son horreur. La dernière case du premier tome m’a par exemple laissé au bord des larmes (et pourtant il en faut beaucoup pour m’émouvoir, je peux regarder Bambi sans ciller, c’est dire !). Kris gratte jusqu’à l’os pour démontrer que chacun possède en temps de guerre un potentiel de cruauté et de destruction absolument sans limite. Une sorte d’inhumanité qui reste envers et contre tout le propre de l’homme… On pourra sans doute reprocher à cette série son coté trop bavard. Personnellement, je pense au contraire que cette abondance de mots donne à l’ensemble un aspect littéraire remarquable.

Niveau dessin, on est dans le haut de gamme. Maël parvient à dessiner l’indicible. Son trait puissant restitue la laideur et l’étrange beauté de la guerre. Il joue des cadrages plus ou moins serrés pour décrire la souffrance sans sombrer dans le romantisme ou le film d’horreur. Les planches, réalisées en couleurs directes, sont magnifiques. Toutes sont traversées par différents tons de gris. Cette absence de luminosité renforce le coté crépusculaire de l’ensemble.

Il suffit de lire le texte de Tim O’brien extrait de son ouvrage A propos du courage en appendice de ce tome 4 pour comprendre toute la philosophie de cette série : « Une histoire de guerre véridique n’est jamais morale. Elle n’est pas instructive, elle n’encourage pas la vertu, elle ne suggère pas de comportement humaniste idéal, elle n’empêche pas les hommes de continuer à faire ce que les hommes ont toujours fait. Si une histoire de guerre vous paraît morale, n’y croyez pas. Si, à la fin d’une histoire de guerre, vous vous sentez ragaillardi, ou si vous avez l’impression qu’une parcelle de rectitude a été sauvée d’un immense gaspillage, c’est que vous êtes la victime d’un très vieux et horrible mensonge. La rectitude n’existe pas. La vertu non plus. La première règle, me semble-t-il, est qu’on peut juger de la véracité d’une histoire de guerre d’après son degré d’allégeance absolue et inconditionnelle à l’obscénité et au mal. »

Point de salut, point d’espoir, point de lumière. Après trois complaintes, il est temps de conclure le récit par une dernière prière, un requiem pour le repos des âmes. Tout simplement sublime.

Notre mère la guerre T4 : Requiem de Kriss et Maël. Futuropolis, 2012. 64 pages. 16,25 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' (il y avait longtemps !). Filez vite découvrir son avis.

Maël et Kris © Futuropolis 2012