mercredi 30 mars 2016

Chlorophylle et le monstre des trois sources - Hausman et Cornette

Particule Piquechester, jolie souris des villes, a décidé de s’installer à la campagne, près du lac des trois sources. Minimum la musaraigne tombe de suite sous le charme de la belle et l’aide de bon cœur à aménager sa tanière. Le jour où elle disparaît sans crier gare, l’amoureux transi appelle à l’aide son ami Chlorophylle. Les deux compères, accompagnés d’autres animaux de la forêt, se lancent alors sur les traces d’un kidnappeur pour le moins effrayant…

Revoilà donc Chlorophylle, série mythique du non moins mythique Raymond Macherot créée à l’origine dans les années 50. Si Zidrou et Godi avaient tenté l’an dernier une reprise pas franchement convaincante, Cornette et Hausman sont plutôt dans un hommage où l’esprit est respecté mais où l’univers graphique l’est beaucoup moins. La nuance est de taille et, pour le coup c’est bien plus intéressant.

Une histoire animalière qui ne paye pas de mine, à première vue gentillette. Mais sous ses abords un brin naïfs affleurent une réflexion sur l’amitié, l’entraide, la différence, ainsi qu’une pointe de cruauté qui est un peu la marque de fabrique d’Hausman (vous n’avez qu’à lire le fabuleux « Prince des écureuils » pour vous en convaincre). D’ailleurs, toute la puissance de l’album tient dans le trait naturaliste précis et un poil torturé de ce maître de la couleur directe dont chaque case, véritable aquarelle fourmillant de détails, est à tomber par terre. Au milieu de l’album, l’histoire bascule de façon inattendue vers un fantastique lorgnant clairement du coté de Frankenstein et de King Kong, tandis que la fin laisse en bouche une certaine amertume que Macherot lui-même, en grand adepte d’une certaine forme de noirceur et de désespoir, n’aurait pas renié.

Un conte animalier à la fois classique et surprenant, sublimé par les dessins de l’un des derniers géants de la BD franco-belge. L’objet-livre en lui-même est superbe, ce qui ne gâche rien.

Chlorophylle et le monstre des trois sources d’Hausman et Cornette. Le Lombard, 2016. 48 pages. 15,00 euros.


Macherot à gauche et Hausman à droite...





Les BD de la semaine
sont aujourd'hui chez Stephie









mardi 29 mars 2016

Je sais que tu sais - Gilles Abier

Axelle se souvient de ce jour funeste, il y a trois ans. L'arrivée du CPE dans sa classe, le trajet jusqu'au bureau de la principale, l'annonce de la mort de son grand frère Martial. Assassiné. Le tueur était son meilleur ami, Bastien, un garçon qu'elle trouvait très sexy. Il a tiré six balles. Malgré le procès, la perpétuité avec une période de sûreté de vingt-deux, rien ne peut effacer la peine, la douleur. La famille est partie en lambeaux, le drame a mis à vif des plaies qui jamais ne se refermeront. Et aujourd'hui, Axelle s'apprête à rencontrer Bastien derrière les barreaux. Pour rompre le lien, se libérer de sa présence, pouvoir avancer. Enfin.

Gilles Abier interroge sur les notions de culpabilité et de pardon. Sans donner de réponse. Sans juger. Sans manichéisme. Parce que rien n’est simple. Le geste du coupable peut-il s’expliquer de façon rationnelle ? Peut-on lui trouver des « excuses » ? Qu’a pu faire la victime pour connaître un sort aussi funeste ? Comment accepté que Martial ait pu être un salaud ?

Depuis trois ans, Axelle ne vit plus. Elle s’autorise toutes les insolences, préférant la fuite en avant, persuadée que la tragédie qu’elle a vécue excuse tout. « Ma sœur m’avait hurlé dessus comme jamais, affirmant que j’étais une petite conne, incapable de gérer ma douleur dans mon coin, à leur infliger un calvaire quotidien avec mes caprices égoïstes, trop tournée sur soi-même pour voir comment mon comportement obscène ravivait leur peine, comment je leur volais la mémoire de Martial à me salir au nom de sa disparition ». « Est-ce que Martial aurait souhaité me voir fuir la vie au nom de sa mort ? ». Vivre de rage et d’amertume, à quoi bon ? Axelle s’interroge en permanence. La prise de conscience d’une nécessaire reconstruction va se faire, non sans mal, grâce au soutien d’une vieille femme rescapée du génocide cambodgien. Avec une infinie patience, madame Ngoun va permettre à Axelle de dépasser la haine, de choisir la vie.

Un roman qui interpelle sans chercher à mettre ko. Les interrogations demeurent, aucune solution miracle n'apparaît d'un claquement de doigts. Reste la voix d'Axelle qui résonne et touche en plein cœur.

Je sais que tu sais de Gilles Abier. Talents Hauts, 2016. 95 pages. 8,00 euros. A partir de 14 ans.


Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.







lundi 28 mars 2016

Les lectures de Charlotte (15) : Une histoire qui… - Gilles Bachelet

Un album rempli de personnages lisant une histoire du soir à leur petit. Un album plein de papas, de mamans, de bébés et de doudous. Un album où l’on croise un panda, un morse, une cigogne, une girafe, une autruche, un escargot, une chauve-souris, un poisson, un dragon, un extraterrestre, une tractopelle. Un album où l’histoire du soir naît, pousse, voyage, se balade, ondule et s’achève.

Sur un faux-air de comptine poétique, Gilles Bachelet nous emporte une fois de plus dans son univers bien à lui. Sous chaque illustration, trois lignes qui, scandées en rythme, offrent à la lecture une musicalité particulière. Et à chaque fois, le doudou tenu par le bébé devient le parent lecteur de la page suivante. Une mécanique narrative très rapidement comprise par les enfants, et dont le coté répétitif (un parent - un bébé – un doudou) finit par bercer et déclencher le sourire. Les illustrations sont toujours aussi expressives et colorées, incitant le regard à s’attarder sur les détails.

Une histoire sur les histoires que l’on lit chaque soir, Charlotte ne pouvait qu’adorer. Et impossible de fermer l’album sans rester quelques instants sur les pages de garde où sont représentés tous les personnages. Un à un il faut les pointer du doigt et un à un il faut qu’elle les nomme. Un rituel dans le rituel dont elle ne peut plus se passer.


Une histoire qui… de Gilles Bachelet. Seuil Jeunesse, 2016. 32 pages. A partir de 3 ans.




Un album dédicacé par l'auteur et offert à Charlotte par la délicieuse Framboise lors du salon du livre la semaine dernière. Un cadeau qui a fait mouche, c'était à prévoir. Merci Framboise !






samedi 26 mars 2016

Carnet du Pérou - Fabcaro

Plus difficile qu’il n’y paraît de réaliser un carnet de voyage en BD. Il faut trouver le ton juste. Entre profondeur de réflexion (Lepage à Tchernobyl), bonhommie et empathie totale pour les personnes que l’on croise (Chavouet au Japon) ou encore légèreté cocasse (Hureau, en Afrique et ailleurs). Si on ne trouve pas le bon ton, le bon angle d’attaque, le carnet de voyage peut vite devenir aussi chiant qu’une projection de diapos de vacances chez papy et mamy. Avec Fabcaro, aucun danger que ça ronronne. Et même si les premières pages donnent dans le très sérieux, on se doute que les choses vont rapidement partir en cacahuètes.

Parce que le monsieur ne peut jamais rester convenable trop longtemps. Il est en permanence dans une forme d’autodérision, d’auto-ironie même, que j’apprécie particulièrement. En ponctuant son récit de parenthèses incongrues, voire hors sujet (comme il le reconnait lui-même à un moment), il prend certes le risque de perdre une partie de son lectorat, qui pourrait assimiler ce procédé à du remplissage ou à une certaine de forme de facilité. Mais ce serait une erreur d’interprétation fatale je pense tant l’expérience m'a prouvé qu'il ne faut jamais au grand jamais prendre un album de Fabcaro au premier degré. Ce gars est fou, son humour flirtant avec l’absurde traite chaque sujet avec un angle décalé qui vire souvent au totalement barré. Et ce Carnet de Pérou ne fait pas exception à la règle.

Le délire est à la fois dans les apartés (photomontages, statistiques sans queue ni tête, parodie de Tintin, interventions moqueuses de sa femme, etc.) mais aussi dans les passages péruviens à première vue les plus sérieux, comme ce soi-disant concert d’une star locale de la chanson capable de jouer  « de la flûte de pan derrière la tête avant d’y mettre le feu » (m’enfin !!!!) ou ce running-gag sur la susceptibilité du lama dont les autochtones ont appris à tirer profit de façon pour le moins originale.

Tout cela est tellement énorme qu’au fil des pages, le doute s’installe peu à peu et la certitude finit par apparaître : ce gros mytho de Fabcaro n’a jamais mis les pieds au Pérou ! En même temps, je n’en attendais pas moins de sa part, s’il y a un dessinateur capable de bidonner de A à Z un carnet de voyage, c’est bien lui. Une fois encore, il m’a régalé. Et l’avoir vu garder son calme et son humour en dédicace samedi dernier devant une horde de blogueuses aussi hystériques qu’incontrôlables m’a conforté dans l’idée qu’il était décidément un homme à part. Chapeau bas monsieur !

Carnet du Pérou de Fabcaro. Six pieds sous terre, 2013. 96 pages.


Un grand merci à Mo' pour ce beau cadeau !

Son avis est ici.






jeudi 24 mars 2016

Blitz - David Trueba

 « Tout se finit mal, c’est une condition inhérente au fait d’être vivant » (punaise que je kiffe cette citation !)

Alors qu’il se trouve à Munich pour participer à une convention d’architectes paysagistes, Beto, arrivé la veille de Madrid avec sa femme Marta, reçoit de cette dernière un SMS qui ne lui est pas destiné. « Le message disait : Je ne lui ai encore rien dit. C’est si difficile. Pff. Je t’aime ».  Foudroyé par ce coup du sort inattendu, il décide de rester quelques jours en Allemagne, laissant son ex-compagne rentrer seule en Espagne. Déprimé, perdu, sans argent, il est recueilli par Helga, son interprète. Au lieu de passer la nuit à l’hôtel, elle lui propose sa chambre d’amis. Après quelques verres, ils finissent au lit. Problème, Helga a 63 ans et pourrait être sa mère…

« La nudité, isolée du désir sexuel, renvoie toujours à la froideur anatomique de la médecine légale. Elle avait les seins et les fesses qui ballotaient, ainsi que les cuisses et les bras décharnés, les cheveux en bataille, le visage de femme vieillissante. Ce n’était ni laid ni désagréable mais quelque chose en moi éprouva comme un malaise, presque inévitablement. J’avais baisé une vieille allemande. Je fus submergé par une vague de honte que je ne savais pas esquiver. »

Franchement, je l’ai adoré ce Beto ! Pensez donc, un pauvre gars plaqué par sa femme qui lui préfère « un chanteur uruguayen ». Un type lâche, faible, incapable d’assumer, de faire face, de se prendre en main. Un mec qui se ridiculise en public, qui jette ses principes aux orties après trois verres dans le nez, qui cède à la tentation dès que l’occasion se présente alors qu’il devrait être au trente-sixième dessous. Et tout ça en nous faisant marrer malgré lui, avec une sorte d’autodérision maladroite qui éloigne tout cynisme et toute geignardise. Et Helga est géniale aussi. Pas orgueilleuse pour deux sous, sans illusion, consciente que cette aventure d’un soir n’a pu avoir lieu que grâce à l’alcool, et lui lâchant le lendemain de leurs galipettes : « J’imagine que tu pourras classer ce qui s’est passé cette nuit dans le musée des horreurs de ta vie, vraiment. »

En filigrane, David Trueba dresse le portrait d’une jeunesse espagnole à la dérive, frappée de plein fouet par la crise. Beto imagine des projets de jardins qu’aucune commune ne peut plus financer et qui ne verront donc jamais le jour, mais il le fait avec passion parce qu’il a « toujours aimé avoir un métier inutile ». C’est à la fois tragique, désenchanté, drôle et touchant.

Seul reproche, le roman, présenté comme un journal intime censé couvrir une année de la vie de Beto, souffre d’un flagrant déséquilibre. Le mois de janvier, celui où se déroule le congrès de Munich, occupe 125 des 160 pages. Les onze autres mois sont balayés bien trop rapidement, c’est franchement dommage.

Reste que j’ai beaucoup apprécié découvrir cet auteur, ses personnages attachants malgré leurs nombreux défauts (ou plutôt grâce à leurs nombreux défauts) et cette écriture à la fois très psychologique et très visuelle (David Trueba est aussi scénariste et réalisateur, cela se ressent dans sa narration). Une belle surprise !

Blitz de David Trueba (traduit de l'espagnol par Anne Plantagenet). Flammarion, 2016. 166 pages. 18,00 euros.










mercredi 23 mars 2016

Les contes de la ruelle - Nie Jun

Dans un quartier paisible du vieux Pékin vivent Dubao et Yu’er, une petite fille infirme qu’il a adoptée. Le vieil homme, affectueux et tout en rondeurs, déborde d’amour et d’imagination, cherchant en permanence à illuminer la vie de la fillette. Quatre récits composent l’album. Dans le premier, alors que Yu’er se rêve en championne paralympique de natation, son grand-père lui invente un ingénieux système d’entraînement à la fois sans eau et « dans les airs ».  Dans les autres, il est question d’insectes musiciens, d’apprentissage du dessin ou encore d’une lettre à l’absente.

Qu’il est bon de se plonger dans cet univers aux accents parfois féériques où se conjuguent tendresse et optimisme. La relation de ce grand-père et de sa petite fille m’a rappelé non sans émotion la série Jojo du regretté André Geerts. Les récits sont rythmés par de fréquentes incursions dans un registre merveilleux et onirique empreint d’une bonne dose de poésie. Dans cette ruelle aux vieilles maisons et  aux cours ombragées où l’on prend le temps de faire la sieste, où on circule à vélo et où on explore des terrains vagues aux décors champêtres, l’ambiance est paisible, les rapports humains chaleureux. Ça pourrait vite tourner au cucul mais ce n’est jamais le cas, en grande partie grâce à la malice, la bonne humeur et la joie de vivre pétillante des différents personnages.

Le dessin à l’aquarelle de Nie Jun, sensible et lumineux, mélangeant les influences asiatiques et européennes, est, je trouve, dans la même veine que celui de Golo Zhao (La balade de Yaya). Son découplage simple et efficace, privilégiant les grandes cases, invite le regard à s’attarder sur les moindres détails.

Entre rêve et réalité, ces Contes de la ruelle proposent une échappée tout en douceur et en délicatesse, idéale pour s’évader quelques instants du quotidien et d’une actualité pour le moins sordide.

Les contes de la ruelle de Nie Jun. Gallimard, 2016. 128 pages. 18,00 euros.



Une jolie petite parenthèse enchantée dans laquelle j'ai eu le plaisir de m'isoler avec Noukette.








mardi 22 mars 2016

Le sorcier vert - Valentine Goby et Muriel Kerba

Longtemps que je n’avais pas parlé de Valentine Goby, trop longtemps (au moins deux mois). Avec certains auteurs (enfin surtout avec elle), je tombe sous le charme à chaque fois. D’ailleurs, si elle écrivait un jour sur la reproduction des gastéropodes en milieu hostile, je suis certain que je me passionnerais pour le sujet. Ici, point de gastéropodes mais des arbres et des hommes. Une forêt qui renaît après sa disparation, un message d’espoir et une histoire vraie.

La collection « Les décadrés », que j’ai découverte avec l’album Hors piste, propose une forme de création très particulière. L’écrivain reçoit une série d’images et les organise comme il le souhaite pour les mettre au service de son histoire. Ici, avec les illustrations très végétales à base de collages de Muriel Kerba, Valentine Goby a voulu raconter « l’extraordinaire défi relevé par le photojournaliste Sebastiao Salgado : replanter la forêt atlantique brésilienne dévastée par la sécheresse et la négligence des hommes ».

Un hommage à ce grand monsieur qui, revenant sur les terres de son enfance et constatant la disparition de la forêt  où il a grandi, décide de la replanter avec l’aide des rares habitants qui n’ont pas déserté les lieux. Un projet pharaonique totalement fou qui aboutira, après quinze années de labeur, d’échecs et de persévérance, à la résurrection de trois millions d’arbres et d’un écosystème qui avait totalement disparu à cause de l’intervention humaine. Où comment Sebastiao Salgado est devenu le sorcier vert…

Un conte écologique au message très positif montrant que la déforestation n’est pas une fatalité et qu’avec une volonté à toute épreuve, il est possible de renverser des montagnes. Le texte est évidemment superbe (comment ça je ne suis pas objectif) et les illustrations sont autant de tableaux mêlant le pastel gras, les crayons ou l’acrylique à différents types de papiers. Un travail d’artisan 100% fait main, d’où surgissent des couleurs, des formes et des textures aussi variées que surprenantes.

Il est splendide cet album, vraiment splendide. Et moi, quand Valentine Goby me parle des « branches d’un jequitiba », de « pau-Brasil à l’écorce de soie », de « bouquets de flor-do-beijo vernissées comme des bouches de femmes », de « caïmans au ventre d’or » ou de « félins dont les yeux luisent comme des gemmes », et bien je fonds, c’est aussi simple que ça (oui, je sais, il ne me faut pas grand chose et je suis faible, mais j'assume).

Le sorcier vert de Valentine Goby et Muriel Kerba. Thierry Magnier, 2016. 40 pages. 16,50 euros.


Une pépite jeunesse que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.










lundi 21 mars 2016

Ne m’appelez plus chouchou ! - Sean Taylor et Kate Hindley

Il en a ras le bol, le chienchien à sa mémère. Sous prétexte qu’il est tout petit et tout mignon, sa maîtresse lui donne du chouchou à tour de bras, le pomponne comme un chien de concours ridicule, l’attife d’un nœud papillon rose et lui propose à manger des croquettes en forme de cœur. Chouchou n’en peut plus, il voit bien les moqueries dans le regard de ses congénères croisés dans la rue. Au parc, c’est encore pire. Entre Bandit le gros chien, Roublard le chien rusé et chef le chien policier, chouchou est certain qu’avec ses airs de petite chose fragile, ils ne feront pas cas de lui. Mais il se trompe… Et au final, en entendant leurs maîtresses respectives les appeler, il se dit que quelle que soit sa taille, un chien est toujours affublé d’un surnom grotesque. « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un album drôle et coloré aux illustrations trop choupi (mais ne le dites pas à chouchou, ça va l’énerver !). Ce petit chien qui ne veut pas passer pour un cabotin n’a pas sa langue dans sa poche. Son courroux déclenche des sourires et ses réactions scandalisées, même si elles semblent justifiées, n’incitent pas pour autant le lecteur à s’apitoyer sur son sort. Chouchou fait la gueule et ça nous fait rire, « C’est comme ça, on n’y peut rien ».

Un vrai bonbon cet album. Le ton et les illustrations se complètent à merveille et offrent un moment de lecture des plus agréables à partager en famille.

Ne m’appelez plus chouchou ! de Sean Taylor et Kate Hindley. Urban Comics, 2016. 32 pages. 10,50 euros. A partir de 4 ans.





vendredi 18 mars 2016

Magic Time - Doug Marlette

Voila, c’est fait, j’ai lu mon pavé de l’année. 670 pages avalées d’une traite, cul sec.

Doug Marlette, prix Pulitzer pour ses dessins de presse, est mort dans un accident de voiture en 2007. Magic Time, son second et dernier roman, date de 2006 et s’ouvre au début des années 90 au moment où le journaliste Carter Ransom, en pleine dépression, quitte New-York et retourne auprès des siens dans sa ville natale de Troy, au fin fond du Mississipi. Il y retrouve ses amis d’enfance quelques semaines avant la réouverture d’un procès ayant marqué la région vingt-cinq ans plus tôt. En 1965, tandis que la lutte pour les droits civiques prenait une ampleur phénoménale, le Ku Klux Klan avait incendié une église et tué quatre personnes dont Sarah, la fiancée de Carter. A l’époque son père, juge respecté pour sa probité, avait conduit le premier procès qui s’était conclu sur la condamnation de deux membres du Klan. Alors que de nouveaux éléments devant permettre l’implication du réel commanditaire du crime sont apparus et que l’affaire va être à nouveau jugée, Carter s’apprête à revivre l’épisode le plus douloureux de sa jeunesse.

Un roman addictif à la construction très maline. Marlette alterne les épisodes entre 1965 et 1990, permettant de plonger le lecteur au cœur des événements tragiques d’une époque où une certaine Amérique xénophobe et violente ne pouvait accepter une quelconque émancipation des noirs. Il montre sans jugement un racisme atavique dû à des habitudes ancestrales où même les blancs les plus modérés voient dans les militants des droits civiques des agitateurs venus troublés la quiétude d’un sud profond où il ne semble à personne nécessaire de faire bouger les lignes. On découvre aussi que les activistes, blancs ou noirs, pour la plupart venus du nord, étaient partagés entre les partisans de la non-violence et ceux prônant une action beaucoup plus véhémente.

Même si  le nombre important de personnages implique de garder une attention constante pour ne pas perdre le fil, cette immersion extrêmement documentée et précise au cœur de l’un des épisodes les plus marquants de l’histoire américaine se révèle passionnante. Quelques bémols néanmoins, notamment une histoire d’amour bien trop romanesque pour moi et surtout un épilogue accumulant les « happy end » tellement sirupeux que j’ai tourné la dernière page avec les doigts collants. Il n’empêche, ce Magic Time vaut vraiment le détour. De toute façon, pour que je m’enfile un pavé aussi vite, il faut qu’il me plaise sacrément !  

Magic Time de Doug Marlette. Cherche Midi, 2016. 670 pages. 22,00 euros.

Les avis de Kathel et Léa

Et un grand merci à Solène pour ce cadeau d'anniversaire inattendu.













mercredi 16 mars 2016

Les poilus T1 : frisent le burn-out - Guillaume Bouzard

Depuis Tardi, il semblait difficile voire impossible pour les auteurs de BD d’aborder la première guerre mondiale. Mais depuis quelques années l’étau s’est desserré et beaucoup se sont affranchis de l’ombre tutélaire de l’auteur de « C’était la guerre des tranchées » pour se lancer et traiter le sujet. Pour autant, aucun avant Bouzard ne s’était écarté du registre dramatique pour s’aventurer du coté de l’humour. Rire des poilus ou avec eux ? Mission impossible à première vue. Et pourtant…

Les poilus de Bouzard jouent au rugby avec des grenades, creusent des tunnels pour découvrir le trésor des templiers, tombent sur un mexicain basané au détour d’une tranchée ou sont aidés dans leur progression par des guerriers navajos. Ridicule ? Ça devrait l’être oui. Complètement con même, n’ayons pas peur des mots. Et pourtant ça ne l’est pas. Parce que cette déclinaison de récits courts et le plus souvent absurdes finit par prendre sens malgré les anachronismes et le manque évident de crédibilité historique. Car quoi de plus absurde que cette infernale boucherie de 14-18 ? Quoi de plus absurde que la guerre tout court ? De ce grand n’importe quoi émerge donc une prise de position pacifiste clamée avec un humour très particulier. Et ça fonctionne.

Bien sûr, les poilus sont tous ici un peu crétins, c’est ce qui fait leur charme d’ailleurs. Mais à travers ces portraits grinçants et sans avoir l’air d’y toucher, Bouzard dit les officiers belliqueux aux ambitions aussi ridicules que suicidaires pour leurs troupes, il dit les petites lâchetés bien compréhensibles de ces soldats qui n’ont rien de héros mais restent avant tout des hommes. Il alterne le délire, une certaine forme de légèreté et des moments plus graves, notamment les épisodes où le troufion Pierre écrit à sa chère Suzanne. En fil rouge de l’album, on suit la disparition progressive de la population d’un village de province dont les forces vives envoyées au front sont peu à peu décimées. Et quand le seul rescapé, blessé, retourne sur ces terres, les aïeux règlent vite son cas :

- Hé bé, il en reviendra au moins ! 
- Oui, et c’est pas le meilleur.
- Ah, c’est sûr que c’est pas avec ça que le village va se repeupler.

Décalé, irrévérencieux, engagé, drôle et sacrément casse-gueule. Autant vous dire que j’ai apprécié cet album inclassable qui, je l’avoue sans honte, m’a pris par surprise alors que je me réjouissais avant le coup de le descendre en flèche. Comme quoi.

Les poilus frisent le burn-out de Guillaume Bouzard. Fluide Glacial, 2016. 48 pages. 10,95 euros.



Toutes les BD de la semaine
sont chez Noukette






mardi 15 mars 2016

Dragon de glace - George R.R. Martin

Aujourd’hui Noukette et moi avons décidé de changer d’air, de nous écarter des thématiques très actuelles ancrées dans les soucis propres à l’adolescence pour nous plonger dans un conte signé par l’auteur de Game of Thrones et publié pour la première fois en 1980. Nous voila donc partis pour un royaume peuplé de dragons où les conditions de vie sont rudes et où la guerre fait rage.

Adara est une enfant de l’hiver, née « durant le pire gel dont quiconque se souvenait ». Sa mère mourut en la mettant au monde. La fillette avait « la peau bleue pâle et glacée à la naissance et ne s’était jamais réchauffée depuis lors malgré les années ». L’histoire raconte comment Adara rencontra un dragon de glace, le dompta, le chevaucha et affronta l’armée ennemie envahissant les terres de sa famille.

Un petit ouvrage qui a tout pour plaire aux enfants auxquels il s’adresse. Chaque épisode du récit (du quotidien à la ferme à l’exode des populations fuyant les combats, des chevauchées à dos de dragons aux affrontements épiques en plein cieux) est décrit avec une minutie et une force d’évocation qui emportera à coup sûr l’adhésion du lecteur. L’objet-livre en lui-même est somptueux, magnifié par les illustrations tout en nuances de bleu et de gris de l’artiste espagnol Luis Royo.

Métaphore du passage à l’âge adulte, ce conte initiatique à l’écriture des plus classiques (la concordance des temps passé simple/imparfait est un modèle du genre) sera idéal pour les jeunes lecteurs désirant découvrir la fantasy en douceur avec un texte de qualité.

Dragon de glace de George R.R. Martin (ill. Luis Royo). Flammarion, 2015. 116 pages. 12,90 euros. A partir de 8 ans.


Une lecture jeunesse que je partage une fois de plus avec ma complice préférée.










lundi 14 mars 2016

Avant l’apocalypse - Adèle Bourget-Godbout et Réal Godbout

Que seraient devenus les dinosaures s’ils ne s’étaient pas éteints ? Le québécois Réal Godbout et sa fille Adèle répondent à la question avec malice et imagination, nous transportant dans un univers peuplé de dinos humanisés évoluant dans un décor fortement inspiré du début du 20ème siècle. La société de l’époque nous est présentée à travers les yeux d’une petite fille dinosaure  s’interrogeant sur le monde qui l’entoure. Entre observation du quotidien et réflexions très personnelles, la fillette  porte un regard à la fois naïf et pertinent sur la vie et les autres.

Un album splendide, graphiquement très travaillé. Chaque illustration pleine page aborde une thématique différente, comme autant de tableaux fourmillant de détails. Le format XXL permet d’en prendre plein les yeux et la double-page centrale sous forme de planisphère vaut à elle seule le détour.

Coté texte, les cartouches de quelques lignes en bas de page rappellent le ton enfantin du journal intime. La narratrice observe, interroge, rêve. Elle parle de la vie, de la mort, de Dieu, elle constate l’industrialisation de la société et l’essor des loisirs, découvre les grèves, l’arrivée de migrants, les vacances au bord de mer… c’est à la fois frais, léger et profond, finalement typique des réflexions que peut se faire une petite fille en train de grandir.

Un ouvrage superbe d’inventivité, audacieux et décalé au propos d’une grande finesse. Aussi réjouissant qu’original.

Avant l’apocalypse d’Adèle Bourget-Godbout et Réal Godbout. Marmaille et compagnie, 2016. 70 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.







vendredi 11 mars 2016

Zaï zaï zaï zaï - Fabcaro

Quel couillon ce Fabrice ! Dessinateur de BD de son état, il s’est rendu compte en arrivant à la caisse de son supermarché qu’il avait oublié sa carte de fidélité. Une erreur impardonnable qui lui vaut une interpellation en bonne et due forme par le vigile. Menaçant ce dernier avec un poireau, il parvient à s’échapper in extremis. Commence alors pour lui une longue cavale avec, aux trousses, tous les flics et les médias du pays…

De l’or en barre cet album complètement déjanté au titre rendant un vibrant hommage à notre Joe Dassin national. Loufoque, absurde, fonctionnant sur le décalage permanent et drôlissime entre l’image et les dialogues, c’est simple, on se bidonne de la première à la dernière page. Et on déguste en arrière plan la critique sociale grinçante où tout le monde en prend pour son garde, des piliers de comptoirs complotistes aux forces de l’ordre décérébrées en passant par les journalistes apôtres de la non-information en continu, le tout saupoudré d’une bonne dose d’autodérision (l’auteur de BD ce parasite, ce nuisible, ce marginal…). En fait, le non sens poussé à ce point en deviendrait presque poétique par moments.

Honnêtement, je ne suis pas fan du dessin, qui me rappelle trop ce trait de Bastien Vivès avec lequel j’ai beaucoup de mal. Par contre le découpage en séquences d’une à deux pages donne un rythme parfait à la lecture et la bichromie de noir et brun délavé tirant sur le caca d’oie souligne à merveille la médiocrité ambiante.

Un album pour se détendre les zygomatiques, il serait stupide de ne pas en profiter, surtout par les temps qui courent. Et au-delà de l’humour « intelligemment absurde », la peinture de notre société et de ses nombreux travers fait mouche, sans manichéisme, sans que Fabcaro ait besoin d’enfiler le costume du donneur de leçon. Un régal, ni plus ni moins !

Zaï zaï zaï zaï de Fabcaro. Six pieds sous terre, 2015. 70 pages.


Un grand merci à Framboise pour ce bien joli cadeau ramené tout droit d'Angoulême !


Les avis de LunchLuocine, Mo, Noukette, SabineYvan








mercredi 9 mars 2016

Apache - Alex W. Inker

Paris, années 20. Dans un troquet désert, le patron tatoué et édenté attend le client. Un rupin adipeux entre en râlant parce que sa traction est tombée en rade alors qu’il se rendait aux courses. La jeune métisse qui l’accompagne ne pense qu’à se rincer le gosier et faire du gringue au tatoué. Quand le rupin fait un malaise et que son chauffeur débarque pour annoncer que la bagnole est réparée, l’atmosphère s’alourdit et la situation prend une drôle de tournure.

Ici, les julots ne se séparent jamais de leur pouliche, sauf pour les laisser michetonner. Ici, on ouvre grand ses esgourdes, on règle les problèmes à coups de surin, on extrait les ratiches à la pince monseigneur, on rêve d’ouvrir un claque avec le pèze gagné en sales combines…

Pour faire simple, tout m’a plu dans cet album. J’ai adoré ce Paris des années 20, l’univers des voyous de la Belle Époque, ces durs à cuire revenus de Cayenne et des Bat d’Af (bataillons disciplinaires d’Afrique du nord), la poulette qui n’a pas froid aux yeux et les dialogues fleuris plein d’argot. Sans parler de la tension sexuelle montant crescendo, des entourloupes et de l’appât du gain comme cause commune, d’une sombre histoire de vengeance, d’un flashback dans les tranchées, de trajectoires pas très nettes où se mêlent amour et trahison, etc.

Dis comme ça, ça peut paraître un peu fouillis mais au final la narration est limpide : quatre personnages pour un huis clos poisseux où chacun semble jouer carte sur table mais ne pense en fait qu’à sa pomme.

Alex W. Inker signe un premier album plein d’audace et de maîtrise. Son univers graphique rend hommage au dessin de l’entre deux-guerres (les Pieds Nickelés apparaissent d’ailleurs au détour d’une case) grâce à l’utilisation d’une bichromie noire et rouge en trame du plus bel effet. L’objet-livre en lui-même est superbe, un pavé à l’italienne au cartonnage épais fleurant bon l’encre comme les ouvrages d’antan.

Je le reconnais, au vu du sujet et de son traitement, ce ne sera pas l'album de tout le monde. Mais si vous cherchez de la nouveauté en BD, de la nouveauté de qualité fignolée avec amour, application et talent, je vous le recommande chaudement.

Apache d’Alex W. Inker. Sarbacane, 2016. 125 pages. 22,50 euros.











mardi 8 mars 2016

Dans le désordre - Marion Brunet

Le groupe
La bande
La famille
Le nœud
La meute
Ils sont là.

Ils sont sept. Sept parcours, sept destins, sept histoires, sept caractères réunis par la même envie de vivre autrement, à la marge. Vivre libre, ensemble, loin des carcans. La rage au ventre, ils débattent, s’engagent, manifestent. Face aux CRS, dans les effluves des gaz lacrymogènes, ils tissent des liens indéfectibles. Investissant une maison « abandonnée », ils mettent en œuvre dans leur squat une organisation collective permettant à chacun de s’épanouir. Et au milieu de ce terreau libertaire va pousser la plus belle des histoires d’amour. Entre Jeanne et Basile, c’est le coup de foudre, l’attirance incontrôlable, cet autre que l’on ne pensait jamais trouver et qui pourtant est bien là, bras, cœur et corps grand ouverts. Une relation fusionnelle, incandescente, intense, que l’on pense éternelle. Parce que demain ne leur a jamais paru aussi beau. Parce que « demain est une promesse »…

Marion Brunet ne donne aucune leçon avec ce roman engagé. Elle présente juste une façon d’envisager l’existence, certes marginale, mais qui en vaut bien d’autres. L’aventure humaine relatée ici conte le cheminement d’une bande d’amis unie par la colère et l’incompréhension face à un monde dont ils ne partagent pas les valeurs. Ils sont beaux ces enfants de la révolte. Attachants, sensibles, agaçants aussi parfois, tellement riches de leurs espoirs, de leur lucidité désenchantée, persuadés qu’ils ne changeront jamais les choses, car le pouvoir restera toujours à la force brute de l’état policier, mais incapables de rentrer dans le moule formaté que la société leur propose.

Le texte est porté par une écriture pleine de souffle, rythmée, percutante. Sans envolées lyriques malvenues mais avec un réalisme et une chaleur qui illuminent chaque page. Et puis cette fin tragiquement belle, qui vous empoigne et vous serre le cœur, vous laisse groggy et désemparé avant d’insuffler une petite dose d’optimisme qui redonne espoir. Un roman magnifique, qu’il serait stupide de réserver à un lectorat adolescent tant son propos est universel et ses qualités littéraires évidentes.

Dans le désordre de Marion Brunet. Sarbacane, 2016. 250 pages. A partir de 14 ans.


Une pépite que je partage évidemment avec Noukette.















lundi 7 mars 2016

Trois fois dès l’aube - Alessandro Baricco

Après Mr Gwynn, j’ai eu envie de retrouver au plus vite l’univers si particulier de Barrico. Trois fois dès l’aube s’est imposé comme une évidence puisque ce petit recueil de trois histoires est censé avoir été écrit par Mr Gwynn lui-même, sous pseudonyme. Et même s’il peut se lire indépendamment du roman, enchaîner sa lecture à la suite de ce dernier est un plus non négligeable je trouve.

Trois histoires se déroulant à l’aube, ce moment si particulier où un nouveau jour s’annonce, entre chien et loup, dans une lumière digne d’un tableau d’Edward Hopper. Trois histoires ayant comme point commun un hôtel miteux et impersonnel. Trois histoires de rencontres et de confidences entre un homme et une femme. Des rencontres qui vont provoquer un séisme, un bouleversement, un nouveau départ. Mais Baricco reste Barrico. Joueur, faisant de la fiction le lieu de tous les possibles. Pas pour rien qu’il précise en introduction : « ces histoires décrivent deux personnages qui se rencontrent à trois reprises, mais chaque rencontre est à la fois l'unique, la première et la dernière. Ils peuvent le faire parce qu’ils vivent dans un Temps anormal qu’il serait vain de chercher dans l’expérience quotidienne. Un temps qui existe parfois dans les récits, et c’est là un de leurs privilèges. »

Ainsi donc, ces personnages sont les mêmes. Cette femme qui fait un malaise dans le hall d’un hôtel et se retrouve dans la chambre de l’inconnu lui ayant porté secours. Cette jeune fille de seize ans s’enfuyant avec un veilleur de nuit pour échapper à son petit ami violent. Et cette policière devant prendre en charge un ado venant d’assister à l’incendie de sa maison et à la mort de ses parents. Inimaginable en théorie. Sauf que. La fiction permet toutes les audaces, et Baricco le sait mieux que quiconque.

Un bonheur de retrouver cette écriture élégante qui coule avec limpidité, cet art consommé des dialogues, cette mélancolie ensorcelante. Car Baricco est un charmeur qui ne cesse de nous rappeler « la mystérieuse permanence de l'amour dans le tourbillon incessant de la vie ». Un auteur vraiment unique qui, je pense, jamais ne me décevra.  

Trois fois dès l’aube d’Alessandro Baricco. Gallimard, 2015. 120 pages. 13,50 euros.



dimanche 6 mars 2016

Les lectures de Charlotte (14) : L’escargot - Magali Attiogbé

Petit escargot 
Porte sur son dos
Sa maisonnette. 
Aussitôt qu'il pleut, 
Il est tout heureux, 
Il sort sa tête.

Charlotte adore cette comptine que j’ai dû lui chanter un millier de fois. Elle n’est pas dans ce petit livre mais elle y aurait assurément sa place. Dans cet album de la collection « Ma petite nature », sont distillées quelques informations incontournables sur un ton proche de la comptine :
« Je suis un escargot. Je porte ma maison sur mon dos. Quand il fait trop chaud, je me cache dans ma coquille. Quand il pleut, c’est la fête ! »

Les enfants découvrent aussi que le gastéropode doit échapper au regard des oiseaux, qu’il adore la salade, qu’au printemps il est amoureux et qu’il cache ses œufs dans la terre.



Les illustrations sont rondes et colorées, quelques pages jouent avec des effets de découpe rendant la manipulation interactive. Le texte, simple et précis, va à l’essentiel sans se disperser et le petit format aux coins arrondis et à l’épais cartonnage assure une prise en main confortable.

Un album aussi ludique qu’instructif qui permet aux tout-petits une première approche en douceur du documentaire. J’ai déjà repéré d’autres titres de la collection susceptibles d’intéresser ma pépette. D’ici peu, la grenouille, la fourmi et le papillon rejoindront l’escargot sur les étagères de sa bibliothèque.



L’escargot de Magali Attiogbé. Amaterra, 2016. 20 pages. 9,50 euros. A partir de 3 ans.






vendredi 4 mars 2016

Corrosion - Jon Bassoff

Un vétéran d’Irak revenu au pays défiguré tombe en panne dans un bled paumé. Au troquet du coin, il assiste à une dispute entre un couple. Après avoir dérouillé le mari violent, l’ex-soldat repart avec la femme. Pas forcément l’idée du siècle, pour l’un comme pour l’autre, vu la façon dont les choses vont se dérouler par la suite…

C’est un fait, il n’est pas bon d’enchaîner deux lectures très, très sombres dans la même semaine. D’abord pour le moral. Avec l’actualité et la météo déprimantes en plus, ça plombe sérieusement. Ensuite parce qu’on ne peut pas s’empêcher de comparer. Et pour le coup, Corrosion ne sort pas gagnant de sa confrontation face à Un homme à terre. Le problème de Corrosion, c’est la folie. Le personnage est cinglé, sa démence permet tous les comportements déviants sans justification (à part peut-être un rapport à la mère et par extension un rapport aux femmes des plus compliqués). C’est facile je trouve. Dans Un homme à terre, les dérapages répondent à des situations tangibles, des urgences vitales, un désespoir lié à des choix extrêmement concrets à faire, ou pas. On dépiaute la nature humaine jusqu’à l’os, sans jugement mais en restant dans le rationnel. Et clairement, je préfère.

Après, Corrosion est un vrai bon roman noir à l’ambiance pesante et à la construction tout sauf linéaire. Mais sa lecture ne m’a pas procuré beaucoup de sensations. Pas forcément de l’ennui mais quelque chose ressemblant à de l’indifférence, ce qui est limite pire. Le parcours du narrateur ne m’a pas passionné, c’est le moins qu’on puisse dire. Et puis l’écriture manque un peu de caractère, de relief. Pas une déception à proprement parler mais je m’attendais à mieux. Et maintenant, pour me remettre de mes émotions après ces deux romans éprouvants, il va me falloir des textes dégoulinant de sucre et de guimauve, plein d’arc-en-ciel  et de licornes pailletées. Le problème, c’est que je n’ai pas ça en stock...

Corrosion de Jon Bassoff. Gallmeister, 2016. 230 pages. 17,20 euros.









mercredi 2 mars 2016

Le maître des crocodiles - Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx

1984. Léo, documentariste et militant écologiste, débarque dans un archipel d’Indonésie avec son ami Bernard et sa compagne Isabelle qui attend leur premier enfant. A l’occasion d’une baignade matinale, cette dernière est attaquée par un crocodile géant. Une chasse au « monstre » s’engage aussitôt mais le corps sans vie de la jeune femme est récupéré et l’animal parvient à s’échapper. Trente ans plus tard, Léo revient sur les lieux du drame pour clôturer définitivement ce qui sera resté à jamais le drame de sa vie.

Il y a bien sûr du Moby Dick dans ce « Maître des crocodiles ». La référence au chef d’œuvre de Melville est évidente. Léo possède la même obsession, le même entêtement qu’Achab. Un ennemi à affronter, une quête qui, au-delà d’un pur désir de vengeance, donne un sens à son existence. Mais le récit lorgne aussi du coté des dents de la mer avec quelques séquences assez sanglantes et propose une réflexion proche de la fable écologique où le lien entre l’homme et la nature apparaît dans toute sa complexité. Le lecteur découvre aussi le quotidien difficile des habitants de ces îles isolées où le tourisme se développe et où les ressources naturelles continuent de s’épuiser malgré une prise de conscience ayant permis jusqu’alors d’éviter une catastrophe de grande ampleur (notamment grâce à l’arrêt de la pêche aux explosifs qui détruisait les récifs coralliens et l’ensemble de l’écosystème marin).

Le dessin est superbe et le travail sur la lumière, notamment, est impressionnant. Les aquarelles de Jean-Denis Pendanx magnifient les paysages luxuriants, entre jungle et océan, et offrent une esthétique plus suggestive que réaliste, ce qui n’est pas plus mal, surtout pendant les scènes où le crocodile entre en action.

Une histoire forte et engagée qui, au-delà du duel entre l’individu et l’animal, interroge sur l’influence néfaste qu’exerce l’homme sur son environnement. Sans compter que les multiples niveaux de lecture donnent à l’ensemble richesse et profondeur.

Le maître des crocodiles de Stéphane Piatzszek et Jean-Denis Pendanx. Futuropolis, 2016. 140 pages. 20,00 euros.





mardi 1 mars 2016

Le premier mardi c'est permis (46) : Les filles d'Ève - Frédérique Martin

Une halle couverte aux vitres monumentales. Du monde partout, un brouhaha d’enfer. Un reporter, caméra sur l’épaule, suit un concierge de luxe à la recherche de bonnes affaires pour ses riches clients. La marchandise qu’il convoite est étudiée de près et doit répondre à des critères physiques précis. Seuls les plus beaux spécimens l’intéressent.

Ici, on vient acheter des femmes : « la tragique raréfaction du sexe féminin avait conduit les gouvernements à prendre des mesures draconiennes pour éviter sa disparition ». Privées de liberté, les femmes sont devenues des produits, du bétail rare et hors de prix. Asservies, exploitées, elles ont perdu le statut d’être humain. Mais la colère gronde. Soudain, alors que le chef de l’état arpente les allées, une étincelle embrase la foule et sonne le temps de la révolte. Dans la panique ambiante, le reporter suit la jeune femme qui a mis le feu aux poudres, bien décidé à évacuer la frustration qui l’habite depuis trop longtemps : « Je veux ce qui me revient de droit. Je veux tes seins et tes fesses. Ta bouche aussi. » Mais la belle est bien décidée à ne pas se laisser faire car « le temps des femmes dociles s’achève ».

Une nouvelle de Frédérique Martin dans l’esprit du recueil publié il y a peu. Avec ce soupçon d’étrangeté, cette ironie mordante et cette représentation d’un futur proche pour le moins effrayant. Sans compter qu’à ces ingrédients vient s’ajouter une tension sexuelle parfaitement mise en scène.

Que retenir de ce texte si joliment troussé ? Que le sexe fort n’est pas celui que l’on croit ? Bon, c’est tout sauf un scoop pour moi, je suis bien placé pour savoir à quel point les mâles sont faibles, lâches, opportunistes, prêts à jeter leurs principes aux orties dès que la situation le permet, et à quel point une virilité de façade et une force physique portée en étendard ne suffisent pas à asseoir une quelconque supériorité. Frédérique Martin le démontre avec finesse et conviction, sans gros sabots. Parce que l’évidence saute aux yeux : malgré les apparences, les rapports hommes/femmes sont toujours menés par ces dames. Et personnellement ce n’est pas pour me déplaire, l’orgueil et l’amour propre typiquement masculin, il y a fort longtemps que je m’en tamponne.

Les filles d’Ève de Frédérique Martin. Éditions In8, 2012. 25 pages.

Un grand merci et un gros bisou à Stephie pour le cadeau !

Les avis de Noukette et Stephie