mardi 26 mai 2020

Esperluette - Anne Vantal

« Tu es mon frère, mon ami, mon double, la moitié de moi. Tu es à jamais inscrit à mes côtés et relié à moi par une esperluette. »

C’est ainsi qu’elle conclut sa lettre. Une lettre qu’elle a mis des années à rédiger. Pour boucler la boucle, pour dire à Jordan ce qu’elle avait jusqu’alors enfoui profondément en elle. Revenir sur leur histoire commune remontant à la petite enfance. L’école, le collège, leur amitié inébranlable. Elle, l’élève brillante, lui, le cancre qu’elle n’a cessé d’aider pour qu’ils avancent dans leur scolarité au même rythme, jusqu’au lycée. C’est là que leurs chemins ont commencé à diverger. A 16 ans Jordan a arrêté les cours pour enchaîner les bêtises. D’abord petites, et puis de plus en plus « condamnables ». Quelques mauvaises rencontres plus tard, il a proposé un coup sans risque à sa meilleure amie. Elle a accepté du bout des lèvres, sans savoir qu’elle allait assister à un événement dont le souvenir la marquerait au fer rouge.

D’une seule traite elle couche sur le papier le passé et le présent. Pour tirer un trait, pour aller de l’avant. Les mots coulent avec fluidité, l’histoire est simple, tragique, tragiquement simple. Elle se lit comme le bilan d’une relation fusionnelle brutalement interrompue, une mise au clair limpide. Le retour sur les faits offre au lecteur un soupçon de suspens qui pousse à en savoir plus. D’emblée on comprend que cette lettre est une lettre à l’absent mais on voudrait comprendre le pourquoi de cette absence.

Pour la narratrice la lettre se veut cathartique, elle n’effacera jamais les souvenirs, bons ou mauvais, mais elle offre une libération intérieure, elle permet de repartir sur de nouvelles bases « pour commencer à vivre ». Une confession intime sans faux semblant, touchante et pudique.

Esperluette d’Anne Vantal. Actes sud junior, 2020. 90 pages. 9,80 euros. A partir de 15 ans.



Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette








samedi 23 mai 2020

Déceptions à répétition

Vous ne m’avez pas beaucoup vu par ici ces derniers temps. La faute à quelques contrariétés, notamment un accident domestique m’ayant privé de l’usage de mon bras gauche pendant plusieurs semaines et qui continue à grandement m’handicaper aujourd’hui.

Comme il m’est très pénible d’écrire un billet d’une seule main, j’ai limité ma modeste production aux pépites jeunesse partagées avec Noukette. Il faut dire aussi que j’ai eu la main particulièrement malheureuse concernant mes lectures ces deux derniers mois. J’ai voulu bien faire en piochant des titres prenant la poussière depuis trop longtemps sur mes étagères. Mauvaise idée...

Voici donc un rapide et succinct tour d’horizon de ces déceptions à répétition.


Là, je partais en terrain conquis. Un recueil de textes inédits d’Iceberg Slim, auteur de la fabuleuse Trilogie du ghetto (Pimp, Trick Baby et Mama Black Widow), ça ne pouvait que me plaire. Sauf que… pas vraiment. Du moins pas entièrement. Entre une magnifique lettre à son père, des conseils sur « les ficelles du maquereautage », ou des considérations plus politiques sur les droits civiques, l’ensemble est trop disparate. On passe de l’excellent au médiocre, de la gouaille rafraîchissante au discours mou du genou, du marquant à l’anecdotique.
Vraiment pas indispensable.


Du temps où j’étais mac d’Iceberg Slim (traduit de l’américain par Clélia Laventure). Belfond, 2015. 215 pages. 15,00 euros.


Dans les années 1870, Stevenson décide de descendre en canoë les rivières du nord de la France. Partant de Belgique, il chemine jusqu’à Compiègne avec la volonté de saisir « l’âme des campagnes françaises ». Problème, il se perd en digressions sans intérêt, consacre à peine trois mots aux villes et villages où il fait étape (à part une plus longue description de la cathédrale de Noyon et quelques éloges de Compiègne), pleurniche sur les mauvaises conditions de voyage (le gars était écossais pourtant, il devait si connaître en météo pourrie !), les hôtes pas toujours sympa, les berges de l’Oise trop hautes qui ne lui permettent pas de voir le paysage, bref des détails ennuyeux à mourir qui m’ont fait piquer du nez plus d’une fois.
Franchement, je n’ai jamais lu un récit de voyage aussi assommant. Mais vraiment… 

En canoë sur les rivières du nord de Robert Louis Stevenson (traduit de l'anglais par Léon Bocquet). Actes sud (Babel) , 2005. 200 pages. 7,70 euros.


Hap et Léonard. Le blanc hétéro et le noir homo. Des années que je lis leurs aventures et que je ne m’en lasse pas. Enfin jusqu’à ce Diable rouge. Ils sont toujours aussi drôles, sans filtre et sans limite mais niveau scénario Joe R. Lansdale peine à se renouveler. J’aime son coté trash, son écriture très orale et sa faconde. Cependant j’aime beaucoup moins avoir l’impression de lire toujours un peu le même roman, en tout cas le même déroulé du récit, avec le même rythme tranquille montant crescendo jusqu’à la conclusion finale à coup de flingues et d’hémoglobine. 

Une recette appréciée trop souvent servie, on finit par s’en lasser…

Diable rouge de Joe R. Lansdale. Denoël, 2013. 315 pages. 19,90 euros.


J’adore Barrico. Tout ce que j’ai lu de lui m’a emballé. M’avait emballé plutôt. Jusqu’à ce Emmaüs. Son livre le plus personnel annonce la 4ème de couverture. Le plus intime. Le plus chiant surtout (bon ça c’est pas marqué sur la 4ème de couv et c’est bien dommage, j’aurais gagné du temps sinon). Inspirée de sa jeunesse si j’ai bien compris, l’histoire ne décolle pas, les personnages sont sans relief  et le style m’a paru pompeux. Bref, la cata. 




Emmaüs d’Alessandro Baricco (traduit de l'italien par Lise Caillat). Gallimard, 2012. 135 pages. 15,90 euros.


Voila. Quatre tentatives et quatre ratés. Un sans faute en somme. Heureusement, je me suis refait la cerise depuis. Avec des nouvelles de grande qualité. Je vous en reparle bientôt. Ou pas.






mardi 19 mai 2020

Ailleurs meilleur - Sophie Adriansen

Alassane, 15 ans, décide de quitter la Côte d’Ivoire pour rejoindre l’Europe. Son rêve ultime est de venir en France, « pays des droits de l’homme, de Jacques Chirac et de la tour Eiffel ». Le périple qui l’attend va durer des mois, du Burkina Faso à Lorient en passant par le Niger, l’Algérie, le Maroc et l’Espagne. Après de nombreuses péripéties, son arrivée en Bretagne signe pour lui un nouveau départ et une nouvelle vie.

Sophie Adriansen dresse le portrait d’un ado en quête d’un monde meilleur. Un cas individuel évidemment inséré dans le mouvement général des migrants. Car même si Alassane ne les subit pas toujours directement, il découvre à travers le parcours de ses compagnons d’infortune les conditions de voyage exécrables, l’inhumanité des passeurs, la violence des forces de l’ordre, le racisme des pays d’accueil et les lourdeurs de l’administration.

La trajectoire du jeune garçon n’a rien d’un long fleuve tranquille mais elle se veut positive. Le récit s’attarde davantage sur son installation en France que sur le voyage qui l’a mené en Bretagne. Difficultés scolaires, volonté d’insertion grâce à une formation professionnelle, rencontres d’éducateurs et d’association apportant un soutien indispensable à ses démarches, tous les événements balisant son intégration s’enchaînent sans temps morts. Alassane avance en gardant à l’esprit l’extrême fragilité de sa situation, en ne perdant jamais de vue qu’il n’est pas toujours considéré comme le bienvenu et que pour l’administration il est un boulet dont certains aimeraient se débarrasser. Lucide mais optimiste, le jeune homme compte saisir chaque opportunité de se construire une nouvelle vie avec détermination et envie.

Un roman parfait pour aborder avec de jeunes lecteurs la question des migrants et surtout le sort des mineurs étrangers isolés. Un petit dossier en fin d’ouvrage vient d’ailleurs compléter les informations sur le sujet. Comme toujours dans les romans de Sophie Adriansen la prise de position assumée va de pair avec une grande dose d’humanité et de tendresse.  Une belle réussite !

Ailleurs meilleur de Sophie Adriansen. Nathan, 2019. 175 pages. 5,95 euros. A partir de 12-13 ans.




Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette





mardi 12 mai 2020

Un peu plus près des étoiles - Rachel Corenblit

Rémi n’en peut plus de suivre son père médecin à travers la France. Adepte des remplacements plus ou moins longs en milieu hospitalier, ce dernier impose à son fils des changements constants de collège que le garçon supporte de plus en plus mal. Leur nouveau point de chute est un centre de repos pour grands brûlés, accidentés et amputés venant de subir une chirurgie réparatrice. Rémi y découvre une galerie de monstres qu’il s’efforce d’éviter le plus possible, jusqu’au jour où ses pas l’amènent près d’une cabane au cœur du parc de la clinique. A l’intérieur il découvre sept jeunes patients, sept affreuses gueules cassées dont il ne se doute pas qu’ils vont devenir « les plus belles personnes du monde, du siècle, de [sa] vie ».

Rachel Corenblit ne prend pas de gant pour évoquer les dégâts subis par la troupe d’enfants qu’elle met en scène. Pour autant ses descriptions ultra-précises ne donnent pas dans l’étalage gratuit de monstruosités. Derrière le portrait physique difficilement soutenable, elle insiste sur l’importance de ne pas se contenter des apparences. Rien n’est simple pour autant. Rémi va avoir du mal à intégrer le groupe, du mal à aller au-delà de sa répulsion pour mieux apprendre à les connaître mais aussi du mal à se faire accepter par des camarades ne supportant pas le regard d’autrui et préférant rester entre eux, en vase clos. 

Ça se veut positif mais ça reste réaliste. Les traumatismes ne vont pas disparaître d’un coup de bistouri magique, chacun (Rémi compris) porte de biens trop lourds bagages pour son âge. Les barques sont donc sacrément chargées mais la vie continue avec ses coups durs, ses coups de blues et ses rayons de soleil venant réchauffer les âmes meurtries. Les amitiés sont belles, l’altruisme devient une règle d’or et les liens ne cessent de se renforcer, sans faux-semblant.

Un roman au sujet difficile mais terriblement bien mené. Mon seul bémol : la fin est un peu trop vite expédiée à mon goût.

Un peu plus près des étoiles de Rachel Corenblit. Bayard, 2019. 250 pages. 14,90 euros. A partir de 13 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse partagée avec Noukette