samedi 30 mai 2015

Portrait de lecteur


Vu hier chez Moka, qui m'a donné envie de me prêter à mon tour au jeu des questions/réponses.


1. Plutôt corne ou marque-page ?
Je corne à mort. Même les livres empruntés à bibli (je suis un rebelle). Vous êtes prévenus si vous me prêtez un bouquin un jour !

2. As-tu déjà reçu un livre en cadeau ?
Voui, ça m’arrive très souvent. Toujours le même bonheur. Je ne jardine pas, je ne bricole pas, je ne suis pas sportif pour deux ronds, je n’ai aucun DVD à moi, je ne suis pas fan de sucreries… bref, offrez-moi un livre et vous serez certain de me faire plaisir.

3. Lis-tu dans ton bain ?
Toujours. Impensable d’aller dans le bain sans un livre, je m’occuperais comment sinon ? En regardant le plafond ? La seule exception possible, c’est quand je ne suis pas seul dans le bain…

4. As-tu déjà pensé à écrire un livre ?
Jamais. Ça ne m’intéresse pas une seconde.

5. Que penses-tu des séries de plusieurs tomes ?
En BD ça ne me pose aucun souci. En littérature j’ai tendance à fuir les séries. J’ai lu quelques trilogies de Fantasy dans le temps, je ne le ferais plus aujourd’hui.

6. As-tu un livre culte ?
Plusieurs même. Le voyage de Céline, les nouvelles de Bukowski, le Septentrion de Calaferte, Selby et son « Last Exit », « Demande à la poussière » de Fante…

7. Aimes-tu relire ?
Oui, j’aime bien, notamment pour voir si mon ressenti a changé ou si le bouquin a mal vieilli.

8. Rencontrer ou ne pas rencontrer les auteurs de livres qu’on a aimés ?
La plupart sont morts et étaient de toute façon d’affreux salopards qu’il ne valait mieux pas fréquenter. Et parmi les vivants, je ne conçois pas une rencontre comme quelque chose d'indispensable. Du tout même.

9. Aimes-tu parler de tes lectures ?
Ça se voit non ? J’aime essayer de donner envie de lire et pour cela, rien à faire, il faut parler de ses lectures. J’adore me rendre dans les classes et tenter de convaincre les élèves d’aller vers un livre. J’en fais des caisses, je survends le truc parfois, au risque qu’ils soient déçus après au moment de la lecture mais tant pis, ce sera trop tard. J’aime créer un horizon d’attente autour des livres.

10. Comment choisis-tu tes livres ?
Les conseils des copines en premier, la presse écrite, les sites des éditeurs et bien sûrs les nouveautés des auteurs que j'apprécie. J’aurais aimer rajouter mon libraire mais malheureusement il n’y en a aucun de compétent par chez moi.

11. Une lecture inavouable ?
Non. J’assume toutes mes lectures. Et pourtant parfois il ne vaudrait mieux pas…

12. Des endroits préférés pour lire ?
Le canapé, le lit, la voiture, les transports en commun, la plage, une salle d’attente chez le médecin, n’importe où en fait. Si la salle n’était pas plongée dans le noir, je pourrais même lire au cinéma.

13. Un livre idéal pour toi serait…
Un livre pas encore écrit et dont la découverte me mettrait les poils au garde à vous à chaque page.

14. Lire par-dessus l’épaule ?
J’adore ! Dès que je vois quelqu’un lire j’essaie de regarder le titre sur la couverture. Pas toujours évident, pas toujours très discret, mais je ne peux pas m’en empêcher.

15. Télé, jeux vidéo ou livre ?
Juste livre.

16. Lire et manger ?
Pas mon truc, trop difficile de se concentrer sur ces deux activités en même temps.

17. Lecture en musique, en silence, peu importe
Peu importe, je peux lire dans tous les environnements.

18. Que deviendrais-tu sans livres ?
Une coquille vide.

19. Tu achètes un livre sur le Net et tu le reçois un peu abîmé. Que fais-tu ?
Ben je le lis et après je le range sur mes étagères. Pour moi le livre n’est pas un objet sacré à manipuler avec les plus grandes précautions (Vous êtes prévenus si vous me prêtez un bouquin un jour - bis)

20. Quel est l’élément qui t’a donné le goût de la lecture ?
L’ennui. La recherche d’une occupation sans trop d’efforts physiques. Et une libraire qui a su me guider au départ.

21. Que penses-tu de toutes ces adaptations cinématographiques ?
Je n’en pense strictement rien, je ne regarde jamais de films. Je constate juste que la littérature est un filon inépuisable pour le cinéma alors que l’inverse ne fonctionne pas du tout, ce qui est finalement une très bonne chose.

22. Si tu ne devais retenir qu’un seul personnage rencontré dans tes lectures, ce serait lequel ?
Sans réfléchir, le premier qui me vient à l’esprit est Ignatius Reilly, l’antihéros de « La conjuration des imbéciles ».

23. Quels sont les cinq livres de ta PAL qui te font le plus envie ?

– Maus d’A. Spiegelman (promis, promis, promis je m’y lance bientôt !).
– Confiteor de J. Cabre
– La préface du nègre de K. Daoud
– Annabel de K. Winter
– Incandescences de R . Rash

24. Si tu ne pouvais plus lire qu’un seul type de livre, lequel ce serait ?
Impossible de répondre à cette question, je ne vois pas pourquoi ça m’arriverait d’ailleurs !!!!!

25. Comment classes-tu tes livres dans ta bibliothèque ?
Par ordre alphabétique pour tout ce qui est littérature. Les BD, je les mets un peu partout où je trouve de la place, même dans les chambres de mes filles.

26. Livres papier ou ebook?
Papier, définitivement. Je lis en numérique de temps en temps mais j’ai l’impression de ne pas avoir la même attention, de survoler les choses.

27. Que fais-tu de tes livres une fois lus ?
J’en garde (la plupart), j’en offre, j’en donne. Je fais une brocante par an pour faire un peu de place. Dans ma ville certaines boulangeries proposent des paniers dans lesquels on peut laisser des livres, j’utilise beaucoup ce procédé pour faire voyager mes livres vers d’autres cieux.

28. Connais-tu la règle de la page 99 ? Et si oui, est ce que tu l’appliques parfois à tes lectures ?
Jamais entendu parler.

29. Quel est, parmi toutes tes lectures, ton « méchant » préféré ?
Préféré, ce n’est pas le mot mais le père Thénardier des misérables m’a traumatisé pendant très longtemps.

30. Que penses-tu des challenges littéraires ?
Je n’en fais plus. Je préfère de loin les lectures communes et les rendez-vous récurrents avec certaines personnes que je ne raterais pour rien au monde.

31. Quel est le livre que tu as le plus détesté ?
Zones Humides de l’allemande Charlotte Roche. Une nana sur le point de se faire opérer des hémorroïdes et qui dissertent sur sa vie. Nul, nul, nul ! Je me suis fais berner par le titre, que je voyais comme une invitation au stupre et à la luxure, ça m’apprendra à être si faible !

32. Tes derniers coups de cœur littéraires ?
Mes derniers énormes coups de cœur sont « Je refuse » de P. Peterson et la BD « Ce n’est pas toi que j’attendais » de F. Toulmé. En littérature jeunesse j’ai été récemment très secoué par « Trop tôt » de J. Witek.

33- Quel livre lis-tu en ce moment ?
J’en lis plusieurs, je lis toujours plein de livres en même temps en fait. En ce moment c’est « Un été 63 » de T. Guzeman, « Finir la guerre » de M. Serfati, « Saphira, sa fille et l’esclave » de W. Cather et « Le principe » de J. Ferrari.

Voila, voila, je passe le flambeau si le cœur vous en dit...




vendredi 29 mai 2015

Le panier à pique-nique - Gabriele Rebagliati et Susumu Fujimoto

J’aime passer d’un extrême à l’autre. Hier, une lecture coquine pour adultes, aujourd’hui un album pour enfants. Varier les plaisirs, il n’y a rien de mieux pour éviter de s’ennuyer, non ?

Première chose à propos de cet album : il en impose ! Du grand format que l’on a envie de porter à bout de bras pour profiter, avec le recul nécessaire, des somptueuses illustrations aux couleurs pétaradantes. Un trait vintage plein de charme, des personnages et des décors dessinés sans encrage pour un rendu particulièrement chaleureux. Absolument magnifique !

Mais de quoi il parle cet album au fait ? D’une petite fille qui découvre par hasard un pré à l’abandon. Chaque jour elle y retourne et chaque jour elle le voit se métamorphoser : des fleurs s’y installent, puis des légumes. La petite fille se doute alors que ce pré n’est pas si abandonné que ça et qu’un jardinier s’en occupe. Ce jardinier, au panier à pique-nique si appétissant, elle va commencer à l’espionner, l’admirer. Puis elle va peu à peu nouer le contact, d’une façon pour le moins étrange…

Un très beau texte prônant des valeurs aussi simples qu’essentielles : le partage, le bonheur d’une rencontre, l’amour de la terre. Il se dégage de cet album une atmosphère doucereuse, hors du temps. Un petit quelque chose de désuet, une parenthèse enchantée où l’on se plait à déambuler dans un jardin extraordinaire. Un album qui fait du bien.




Le panier à pique-nique de Gabriele Rebagliati et Susumu Fujimoto. Grasset jeunesse, 2015. 40 pages. 15,90 euros.




jeudi 28 mai 2015

Les provocations d’Ava - Ava Castel

Les provocations d’Ava, c’est une longue lettre de rupture. Sans cris ni larmes. Au contraire, c’est une lettre de libération, du corps et de l’esprit. Ava écrit à William, son amour, son mentor, celui qui lui a tout appris. Elle n’était qu’une oie blanche, il en a fait une experte en matière de sexe, l’a initiée à des jeux coquins et à des pratiques jusque-là inimaginables pour elle. Entre eux, une fidélité absolue, William, jaloux à l’excès, n’aurait de toute façon pardonné aucun écart. Mais si Ava n’a jamais dérogé au contrat moral qui les liait, lui a fauté. Et il s’est fait prendre en flagrant délit. Aujourd’hui, il est temps de solder les comptes, son ex-chère et tendre prend la plume pour lui raconter ses frasques depuis leur séparation. Et le pauvre homme va boire le calice jusqu’à la lie.

Vous voulez une confidence ? Je connais Ava, je l’ai déjà rencontrée. Pas le personnage de cette histoire bien sûr, mais l’auteure qui se cache derrière ce pseudo. Je peux même vous dire qu’il lui arrive de me demander conseil. Pas en matière d’écriture, cela va de soi, je suis totalement incompétent dans ce domaine (et surtout, elle n’a pas besoin de moi), mais en matière de lectures. De lectures érotiques pour être plus précis. Il m’est déjà arrivé de lui recommander quelques titres et elle m’a toujours fait confiance, une confiance qui m’honore sincèrement. Alors forcément, au moment de me lancer dans ce texte, il serait facile d’imaginer que mon regard critique n’allait plus vraiment l’être. Sauf que je ne vois rien de constructif dans la complaisance. Et que je n’aime pas faire semblant, je déteste quand on simule. Donc je ne vais pas faire semblant et vous dire le plus sincèrement du monde pourquoi j’ai apprécié cette longue nouvelle.

C’est frais et léger. Le sexe est joyeux, décomplexé, assumé, sans entrave mais dans le respect de l’autre. Une question d’envie, de désir partagé. Rien de douloureux là-dedans, rien de glauque, rien de maladif. Ava n'est pas une nympho, elle choisit ses proies, elle ne saute pas sur le premier venu. Et elle ne se lance jamais sans préservatif, ce n’est pas un détail, loin de là. Elle est joueuse, gourmande, se soumet en gardant toujours le contrôle, affichant une forme d’égoïsme pleine d’assurance. Une femme d’aujourd’hui, moderne et bien dans sa peau, quoi.

Aucune vulgarité ni surenchère, le texte est émoustillant, explicitement coquin. On varie les plaisirs, les lieux, les positions, les partenaires, les situations. Seule la scène des photos m’a laissé de marbre, question de sensibilité personnelle.

Au final, j’ai beaucoup aimé le ton de cette lettre un poil ironique, un poil cynique, un poil méchante. La lettre non dénuée d’humour d’une femme trahie, d’une femme trompée devenue garce sublime éprise de liberté. La lettre que j’espère ne jamais recevoir un jour, même si, pour le coup, je sais que (théoriquement) je ne risque rien…

Les provocations d’Ava d’Ava Castel. Collection Paulette, 2015 (livre numérique). 40 pages. 2,99 euros.

Disponible sur le site de l’éditeur









mercredi 27 mai 2015

Un amour exemplaire - Florence Cestac et Daniel Pennac

Pennac et Cestac se retrouvent dans une brasserie. Daniel veut proposer à Florence d’illustrer une histoire d’amour, le genre de truc qu’elle déteste. Mais attention, pas n’importe quelle histoire, l’histoire de Jean et Germaine, un couple hors du commun auquel il s’était lié, enfant, lorsqu’il passait ses vacances chez sa grand-mère dans l’arrière pays niçois. Une histoire d’amour selon lui exemplaire, celle d’un couple excentrique qui faisait jaser le voisinage.

Comment Germaine a pu tomber amoureuse de ce gaillard moche comme un pou ? Pourquoi personne n’a jamais vu Jean travailler ? Que faisaient tous ces bouquins dans leur minuscule maison, envahissant chaque pièce, de la cave à la cuisine ?  Pourquoi Jean et Germaine n’ont jamais eu d’enfants ? Le petit Pennac, à force de stratagèmes plus ou moins finauds, parvint à tirer ces mystères au clair et à entrer de plain-pied dans l’intimité de ces inclassables énergumènes.

Quel plaisir de plonger dans cet album franchouillard et un poil foutraque. On sent tout l’attachement que porte Pennac à ce couple qui aura marqué son enfance et durablement influencé sa vision de l’amour. Cestac l’écoute et retranscrit ses propos, mais elle s’autorise aussi quelques digressions dont elle a le secret. C’est enjoué, bourré d’argot, plein de bonne humeur et de joie de vivre, hors des modes et du temps… tout simplement délicieux.

Graphiquement, pour la première fois l’auteure des « Déblok » abandonne sa marque de fabrique, « les tarbouifs en pomme au four » (autrement dit les gros nez ronds) pour affubler l’un de ses personnages (jean en l’occurrence) d’un pif en quart de brie. Aucune autre concession pour le reste, on retrouve ce trait reconnaissable au premier coup d’œil et ce découpage quasi systématique en gaufrier qui est son autre marque de fabrique.

Une ambiance doucereuse qui fleure bon les années 70, loin de toute mélancolie ou d’un pénible « c’était mieux avant ». Un amour idéal parce que tout sauf banal. Un amour sincère et durable, sans intermédiaire (entendez sans être pollué par les enfants ou le travail), comme l’explique Jean au petit Daniel. Un amour scandaleux pour l’époque et difficile à imaginer aujourd’hui. Exemplaire, quoi.

Un amour exemplaire de Florence Cestac et Daniel Pennac. Dargaud, 2015. 58 pages. 15,00 euros.


Les avis de L'irrégulière, Mo' et Violette.








mardi 26 mai 2015

La pyramide des besoins humains - Caroline Solé

Selon la théorie de Maslow, les besoins humains se classent en cinq catégories : besoins physiologiques, de sécurité, d’amour, de reconnaissance et de réalisation. Cette théorie est le principe d'un nouveau jeu de télé-réalité, "La pyramide des besoins humains", auquel s’est inscrit Christopher. Christopher a 15 ans, il vit sur un morceau de carton, à Londres, après avoir fui le domicile familial et les coups de son père. Passant les cinq niveaux pour se retrouver en finale, cet ado SDF que personne ne parvient à identifier fascine un public en mal de sensations fortes. Une gloire soudaine synonyme de raz de marée incontrôlable et dévastateur.

Caroline Solé porte un regard plein d’acuité sur les dérives de nos sociétés modernes : la célébrité qui crépite comme un flash et s’éteint aussitôt ; une télé-réalité, machine à broyer les candidats, prête à tout pour entretenir le buzz permanent ; des réseaux sociaux où l’on étale sa vie devant de pseudos amis que l’on ne rencontrera jamais « en vrai ». Et autour de nous la misère, la faim, le froid, la violence, ces hommes et femmes sans toit ni ressources à coté desquels on passe sans même se retourner.

J’ai beaucoup aimé entendre la voix de Christopher, lucide et sans misérabilisme, offrant de nombreux retour vers une enfance certes difficile, mais aussi pleine de jolis moments passés avec son frère. La vie dans la rue, malgré son réalisme et sa rudesse, révèle une belle dose d’humanité et d’entraide. Un premier roman très maîtrisé qui se dévore d’une traite. Un vrai plaisir de découvrir une jeune auteure avec autant de culot et de maturité.

La pyramide des besoins humains de Caroline Solé. L’école des loisirs, 2015. 125 pages. 12,80 euros. A partir de 13 ans.

Et une nouvelle lecture jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis d'Hélène et Leiloona














lundi 25 mai 2015

Les lectures de Charlotte (6) : Porte-bébés

Porte-bébés est le livre préféré de Charlotte actuellement. Depuis qu’il est arrivé à la maison, impossible de la coucher le soir sans lui avoir lu.

Une fillette s’amuse à porter ses doudous comme les animaux portent leurs bébés. A chaque page elle questionne : Quel animal porte son bébé dans sa poche ? Sur ses pieds ? Sur son ventre ? Sur son dos ? La tête en bas ? Pour découvrir la réponse, il suffit de déplier un rabat. Un système classique, simple et efficace. Même après la dixième lecture, même en le connaissant par cœur (surtout parce qu’ils le connaissent par cœur d’ailleurs !), les enfants y reviennent toujours.

Les illustrations sont à croquer, douces et colorées, et les postures de la petite vraiment rigolotes. Et puis l’air de rien, j’ai appris des choses. Au moins une question m’a posé une colle. Vous savez, vous, qui porte son bébé entre ses ailes ? Et bien moi je ne savais pas.

Un livre-surprise à la mécanique parfaitement huilée. Un livre-objet solide, aux coins arrondis et au petit format idéal pour les mains de bébé. Un livre testé et approuvé par le public auquel il s’adresse. Que demander de plus ?





Porte-bébés de Sylvie Misslin et Géraldine Cosneau. Amaterra, 2015. 26 pages. 9,50 euros. A partir de 2 ans.







vendredi 22 mai 2015

Toute la lumière que nous ne pouvons voir - Anthony Doerr

St-Malo, août 1944. La ville fortifiée, dernier bastion tenu par les allemands après la libération de l’ouest de la France, est sur le point de rendre les armes. Tandis que les bombes pleuvent sur les toits, Werner Pfenning et Marie-Laure Leblanc sont sur le point de se rencontrer pour la première fois. Lui est un soldat spécialisé dans la traque des transmissions radio de la résistance. Elle, aveugle, a été recueillie par son oncle après avoir fui Paris avec son père en juin 40. Le roman suit le destin de ces deux êtres que tout sépare, emportés par le tourbillon de la seconde guerre mondiale. Au fil des chapitres, à l’aide de flash-backs remontant jusqu’en 1934, le lecteur découvre comment, chacun de leur coté, ils sont arrivés dans la cité malouine…

Alors oui, ce roman phénomène vendu à 1,5 million d’exemplaires et couronné « livre de l’année » par l’Association des libraires américains est un best-seller en puissance. Un rouleau compresseur à la mécanique parfaitement huilée qui se dévore comme un feuilleton impossible à lâcher. La construction en micro-chapitres rend le récit addictif, comme le fait de suivre sans temps morts les trajectoires parallèles de ses deux personnages qui finiront par se croiser avant de s’éloigner à nouveau. C’est diablement efficace et il est évident que quiconque met le nez dans ce texte sera happé dès les premières lignes.

Après, qu’il ait décroché le Pulitzer 2015 avec un enthousiasme unanime de la presse et des professionnels du livre, j’avoue que cela m’interpelle un peu. Disons que j’attends plus de « littérature » d’un Pulitzer, plus de complexité (comme par exemple avec « Les foudroyés », récompensé en 2010). L’écriture est fluide mais simple, extrêmement simple. Certains passages frôlent le mélo (pour ceux qui l’ont lu, j’ai trouvé l’épisode de la petite Autrichienne assassinée vraiment « too much ») et le coté mécanique de la narration finit par devenir aussi répétitif que prévisible.

Finalement, c’est un grand roman tout public (et il n’y a rien de péjoratif là-dedans) et un formidable page turner. Mais je m’attendais à autre chose. J’avais apprécié la puissance et la maîtrise d’Anthony Doerr dans ses nouvelles (Le mur de mémoire), et le retrouver ici jouer dans un registre efficace mais un peu « facile » m’a dérouté. Maintenant, c’est une certitude, ce roman va connaître en librairie la belle carrière qu’il mérite, je m’en réjouis et je vous fiche mon billet que l’on n’a pas fini de voir cette jolie couverture avec la photo de St Malo sur les plages tout l’été.

Toute la lumière que nous ne pouvons voir d’Anthony Doerr. Albin Michel, 2015. 620 pages. 23,50 euros.





jeudi 21 mai 2015

L’incroyable journal (top secret) de monsieur Cochon - Emer Stamp

J’enchaîne les journaux intimes animaliers cette semaine. Après la chienne Gurty, je me suis frotté à la prose de monsieur Cochon. Depuis qu’il a trouvé un carnet et un stylo derrière les poubelles de la ferme, le brave animal couche son quotidien sur le papier. Un quotidien tranquille et agréable qu’il partage entre son copain Canard, les bains de boue à côté du champ aux moutons et la pâtée généreusement offerte par le fermier. S’il n’y avait pas les méchants poulets, la vie à la campagne serait paradisiaque.

Plus les jours passent, plus la ration de pâtée augmente et plus cochon grossit. Il s’en réjouit car il n’y a rien de mieux à faire au monde que de se bâfrer, mais Canard finit par lui faire comprendre que si le fermier l’engraisse à ce point, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Et devant l’évidence, Cochon est horrifié ! La seule échappatoire possible est de s’allier aux poulets qui ont construit une fusée spatiale et cherchent un pilote…

Vous l’aurez compris, l’anglaise Emer Stamp ne fait pas dans la dentelle avec ce premier roman jeunesse déjanté. Naïf, pas très fufute, Monsieur Cochon est un personnage haut en couleur. Bon, il est sale, glouton, pétomane et il rigole pour un rien, je vous le concède. Son journal est plein de tâches d’encre et de gras, Il écrit comme il parle et son style oral est particulièrement relâché, autant vous prévenir que si vous cherchez un livre au niveau de langue soutenu, mieux vaut passer votre chemin.

Si vous avez quelques réticences bien légitimes après le tableau peu ragoûtant que je viens de dresser, sachez juste que vos petits bouts vont adorer, c’est une évidence. C’est drôle, mené tambour battant, sans fioriture. Cochon interpelle son lecteur sans cesse avec des réflexions hautement philosophiques du genre : « Je ne peux pas faire ma crotte sans péter. Je parie que toi aussi, non ? »

De l’humour potache, une aventure aussi improbable que farfelue, des animaux de la ferme et un cochon-couillon attachant en diable, les ingrédients sont réunis pour que ce journal intime illustré emporte l’adhésion des enfants, quitte à froisser la susceptibilité des parents rabat-joie.

Personnellement, n'étant pas rabat-joie pour deux sous, je vais m'empresser de le mettre dans les mains de ma fille...

L’incroyable journal (top secret) de monsieur Cochon d’Emer Stamp. Seuil, 2015. 188 pages. 12,00 euros. A partir de 8 ans.










mercredi 20 mai 2015

Le jardin de Minuit - Edith

Parce que son frère a la rougeole, Tom doit s’exiler quelques temps chez son oncle et sa tante afin d’échapper à la maladie. Une perspective qui ne l’emballe pas plus que cela, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans une maison découpée en appartements, sans espaces verts et avec des barreaux aux fenêtres de sa chambre, Tom trouve le temps long. La seule chose qui l’intrigue est l’énorme pendule prenant la poussière dans l’entrée commune, une pendule appartenant à la vieille et très maniaque madame Bartholomée. Une pendule qui, Tom va le découvrir, sonne 13 fois à Minuit et ouvre une porte l’entraînant, non pas dans la courette bétonnée habituelle mais vers un somptueux jardin de l’époque victorienne. Un lieu étrange et un saut dans le temps dont le garçon se délecte chaque nuit, surtout depuis qu’il y a découvert la turbulente et ravissante « princesse Hattie ».

Adaptation d’un classique de la littérature jeunesse anglaise, cet album onirico-fantastique possède le charme suranné des récits d’antan. On y retrouve avec Tom le bonheur de l’exploration solitaire d’un lieu magique, on y rencontre ces amis imaginaires (ou pas !) qui parfois peuplent l’enfance. Beaucoup de souvenirs et de nostalgie, des passerelles qui se créent entre passé et présent et l’impression pour le lecteur d’être le seul à partager les mystères du jardin secret dans lequel le garçon pénètre chaque nuit.

Au début le charme a opéré et je m’y suis senti bien dans ce jardin. Mais au fil des pages, j’ai commencé à m’ennuyer. Je me suis un peu perdu aussi avec les incessants allers-retours temporels et j’ai vu la fin arriver grosse comme une maison. Pas le coup de cœur auquel je m’attendais, donc. Pourtant je reste fan du dessin d’Edith, découvert il y a fort longtemps avec l’excellente série « Basile et Victoria ». Mais ici c’est l’histoire d’origine et non son adaptation qui a fini par me lasser. Tant pis, ma référence en littérature jeunesse anglaise adaptée en BD restera le fabuleux « Vent dans les saules » de Michel Plessix. Une référence tellement intouchable à mes yeux qu’aucune comparaison ne sera jamais envisageable je pense.

Le jardin de Minuit d’Edith. Soleil, 2015. 96 pages. 17,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette

Les avis de Faelys, Jacques et L'ivresse des mots


Toutes les autres BD de la semaine
 sont chez Noukette







mardi 19 mai 2015

Le journal de Gurty - Bertrand Santini

Aujourd’hui Noukette et moi avons décidé de donner dans le léger. Dans le divertissant, le rigolo. Le super rigolo, même. Aucun drame à l’horizon, pas de thématique anxiogène mais plutôt un enchaînement de scénettes cocasses qui font jouer les zygomatiques. Voila qui change et qui fait du bien !

Gurty est une chienne qui va comme chaque année passer ses vacances à Aix-en-Provence avec son maître Gaspard. Sur place, elle retrouve vite ses marques, sa copine Fleur et Tête de fesse, le sale matou des voisins. Les jours passent et Gurty consigne dans son journal les petits riens du quotidien : se cacher dans le foin, songer à fuguer, faire peur à un écureuil, se coller une barbe à papa aux fesses lors d’une sortie en ville, j’en passe et des meilleures. Autant de sketches où la petite chienne pose un regard à la fois naïf et plein de malice sur son environnement. L’ensemble est rythmé, dynamique, porté par le style enlevé de Bertrand Santini, qui a illustré lui-même (et avec talent) chacun des courts chapitres.

Pourquoi ça ne peut que fonctionner avec un enfant ? Parce que c’est une lecture facile et récréative, parce que l’écriture est plaisante et coule toute seule, que les dialogues font mouches et que les situations imaginées par l’auteur du Yark sont pleines d’humour.

Si vous avez un coriace à la maison, du genre à penser que les livres c’est nul et ennuyeux, que la lecture n’est qu’une activité à vous arracher des bâillements, proposez lui donc de jeter un œil au journal du Gurty, il y a des chances qu’il change d’avis.

Allez, juste un exemple pour vous prouver que je ne mens pas :

« J’aime l’odeur des roses et des lavandes. Le parfum subtil du vent soufflant dans les figues m’enchante aussi. J’apprécie le fumet de la terre après l’orage et les senteurs nocturnes d’un jardin sous la lune. Mais mon parfum préféré, c’est celui du caca. »

Alors, franchement, ne me dites pas qu’il n’y a pas là de quoi emporter l’adhésion du lecteur le plus réfractaire ? On prend les paris ? Et encore, je ne vous ai pas parlé des jeux, tests et conseils qui offrent une dimension ludique en fin d’ouvrage. Bref, des arguments pour entraîner vers la lecture plaisir, Gurty en possède des tonnes. Sérieusement !



Le journal de Gurty de Bertrand Santini. Sarbacane, 2015. 140 pages. 9,90 euros. A partir de 7-8 ans.

L'avis de Stephie












lundi 18 mai 2015

Un thé pour Yumiko - Fumio Obata

 « Je me sens perturbée. Cet endroit… L’air, la terre… J’ai beau retourner ça dans tous les sens, mes racines sont ici, c’est certain. Je crois que je l’ai nié trop longtemps. »

Vivant depuis des années à Londres, fiancée à l’anglais Mark, la japonaise Yumiko doit rentrer dans son pays natal suite au décès de son père. Un retour particulier tant la jeune femme se sent déconnectée de ses origines.

L’enterrement traditionnel, respectant une cérémonie longue et fastidieuse, ne lui arrache aucune larme. Ce manque d’émotion de surface cache en fait une tempête intérieure où la quête d’identité va faire vaciller ses certitudes.
Un parcours sensible et subtil où, peu à peu, Yumiko tombe le masque.

Beaucoup de silence dans le parcours à la fois méditatif et introspectif d’une femme à la recherche de sens. Un portrait d’expatriée tiraillée entre ses racines et une carrière « à l’européenne » d’apparence plus émancipatrice et épanouissante, surtout pour une femme. Yumiko s’interroge, elle doute, avouant même à sa mère que si elle n’avait pas rencontré Mark, elle serait rentrée définitivement au Japon.

Le dessin à l’aquarelle est sobre et élégant, parfaitement raccord avec le propos. Une réflexion tout en pudeur sur le deuil et la construction de l’identité qui sonne juste. Touchant.

Un thé pour Yumiko de Fumio Obata. Gallimard, 2014. 155 pages. 22, 00 euros.


Les avis de ChocoMoka et Stephie


samedi 16 mai 2015

Carnaval - Ray Célestin

La Nouvelle-Orléans, 1919. Un Serial Killer provoque la panique, frappant ses victimes à coups de hache et laissant sur les lieux de ses crimes des cartes de tarot. Le policier Michael Talbot cherche à comprendre les motivations du tueur  mais il n’est pas le seul à mener des investigations. Le journaliste John Riley, la détective privée Ida Davis et l’ancien flic Luca D’Andrea, à peine sorti de prison, vont eux aussi, chacun de leur coté, tenter de résoudre le mystère. Le temps presse, un ouragan approche, les morts s’accumulent et la ville semble proche du chaos…  

Inspiré d’une histoire vraie, ce premier roman, au-delà d’un solide polar, est un roman d’atmosphère avec des personnages bien campés et une narration très maîtrisée. Ray Célestin décrit avec maestria le fourmillement unique de La Nouvelle Orléans au début du 20ème siècle : l’influence française, la musique omniprésente, une tension raciale permanente, des communautés vivant repliées sur elles-mêmes dans des quartiers spécifiques (noirs, juifs, irlandais, italiens), le rôle de la mafia, le vaudou, le bayou et ses mystères…

Pour moi, c’est typiquement un livre de vacances, un livre à glisser dans ses valises (et il n’y a rien de péjoratif là-dedans, d’ailleurs je l’ai lu pendant mes vacances). Un pavé que l’on sait pouvoir dévorer quasiment d’une traite parce que l’on va avoir davantage de temps à consacrer à la lecture. Un page-turner  que l’on retrouve avec plaisir au fil de la journée, sur la plage ou dans un transat, un verre de rosé bien frais à la main. Un livre de vacances, quoi !

Détail qui me turlupine, je me demande pourquoi il y a marqué « Thriller » sur la couverture. Je ne suis absolument pas un spécialiste du genre mais il me semble que ce texte n’a rien d’un thriller. Pas de suspense haletant, pas de considérations psychologiques à outrance, rien de véritablement angoissant, c'est simplement un bon vieux polar efficace et très documenté à la construction ambitieuse, ni plus ni moins.

Une vraie lecture plaisir, sans prise de tête, mais dont la dimension historique apporte une véritable valeur ajoutée. Je ne savais pas à quoi ressemblait La Nouvelle-Orléans de cette époque, me voila maintenant parfaitement renseigné sur le sujet. Cet aspect m’a d’ailleurs bien plus intéressé que la traque du serial killer, rien de surprenant finalement quand on sait à quel point je ne suis pas un grand fan des intrigues policières.

Carnaval de Ray Célestin. Le Cherche Midi, 2015. 495 pages. 21,00 euros.





vendredi 15 mai 2015

Mama Black Widow d'Iceberg Slim - L'avis de Valérie

La femme noire positive utilise son rayonnement, sa force, son pouvoir pour guider son homme vers un accomplissement de lui-même, pour renforcer son autorité, pour que ses enfants puissent avoir sous les yeux une image forte qui leur serve de modèle. 

Otis a quitté le Missippi lorsqu'il était adolescent. Sa mère a réussi à persuader son père d'aller vivre à Chicago alors que lui serait bien resté dans le Sud à vivre presque comme l'Oncle Tom, en domestique obéissant. L'arrivée à Chicago sonne le glas du bonheur familial (qui soyons honnête, n'existait pas vraiment non plus dans le Sud). Le père ne trouve pas d'emploi et sombre dans l'alcool, la mère laisse son fils Junior, vaquer à ses occupations louches afin d'en retirer l'argent qui lui permettra de ne pas travailler pour les blancs pendant quelques jours. Au milieu de tout ça, Otis tente de comprendre qui il est, entre sa relation avec la riche Dorcas et son irrésistible attirance pour les garçons.

Ce roman est exactement de ceux que j'aime découvrir, il possède son univers propre, celui des bas-fonds américains et pour cause, l'auteur était proxénète et connaissait donc bien ce milieu. On sent très bien la déception qu'ont éprouvé les noirs du Sud quand ils se sont installés dans le Nord, des rêves pleins la tête. On découvre aussi l'univers glauque des amours qui ne sont que de surface car Otis, malgré ses défauts, cherche l'amour ; or il ne parvient pas à aimer celle qui est prête à le rendre heureux et se fait avoir par ceux qui l'attirent. J'ai été désarçonnée par certains passages, notamment celui où il devient le jouet sexuel d'un diacre alors qu'il n'est encore qu'un jeune adolescent, Ce n'est pas tant la scène en soi que le fait qu'Otis finit par trouver ça « très agréable ». Nous noterons que l'auteur n'est pas de ceux que j'aurais eu plaisir à rencontrer en vrai, puisqu'il frappait les prostituées qui travaillaient pour lui avec des cintres en métal.

C'est un roman fortement inspiré de la vie de l'auteur, que je vous conseille si vous êtes curieux, surtout pas si vous êtes facilement choqué. Je l'ai lu dans la même pièce que mes enfants et mes parents et je peux vous dire que je vérifiais par dessus mon épaule qui était derrière moi en lisant certaines pages.

Merci à Jérôme pour cette lecture commune et pour m'avoir offert ce roman.

Publié chez Points en 2010, 345 p,







Mama Black Widow - Iceberg Slim

Un roman qui clôt une « trilogie du ghetto » unique dans la littérature américaine. Un roman lu il y a quinze ans. Un roman que j’avais envie de relire depuis longtemps. Un roman que j’avais envie de partager avec Valérie, pour lui faire découvrir un écrivain vraiment particulier et parce ce que je me demandais ce qu’elle pourrait bien en penser.

Iceberg Slim (1918-1992), venu à l’écriture sur le tard, fut un des plus célèbres proxénètes de Chicago dans les années 40-50. Une trajectoire qu’il raconte dans « Pimp », premier volet de la trilogie. Dans le second (« Trick Baby »), il plonge dans l’univers sans pitié des arnaqueurs. « Mama Black Widow », le dernier donc, est la biographie à peine romancée d’un travesti noir au terrible destin. Dans la préface, Slim explique sa démarche :

« En début de soirée, dans la première semaine de février 1969, je rendis visite à Otis Tilson. C'était un travesti incroyablement beau et tragique, rencontré de temps à autre, tout au long de ces vingt-cinq ans où moi-même j'étais un maquereau noir, à Chicago dans l'Illinois. Otis vivait dans un hôtel de troisième ordre à l'intersection de la 47e Rue et de Cottage Grove Avenue.
Nous nous installâmes sur un canapé défoncé dans son studio kitchenette. "Tout ce que tu as à faire c'est de raconter ton histoire." [...]
Lorsque j'ai écrit le livre, il m'a fallu restructurer des scènes, remettre en ordre des événements dans le récit d'Otis qui parfois s'égarait ou se noyait dans les larmes. Il n'y a pas de psychologie, de sermons ou de notes dans ce récit d'une vie. Les dialogues sont dans la langue crue des pédés, du ghetto noir, du Sud profond, des bas-fonds. Si peinture critique de la société il y a, elle se trouve dans l'âpreté de cette lutte tragique qu'Otis Tilson mène pour se libérer de la garce perverse brûlant en lui. »

Inutile de vous dire que je suis totalement fan d’un texte aussi décapant. L’histoire d’Otis dit les espoirs brisés d’une famille noire du Mississipi débarquant à Chicago en 1936 en pensant, comme beaucoup, y trouver un eldorado. Or c’est un autre enfer qui leur tend les bras, un enfer urbain où la ségrégation est toujours aussi présente. Son père ne trouve pas de travail, son grand frère va tomber peu à peu dans la délinquance et l’une de ses grandes sœurs dans la prostitution. Otis n’est qu’un enfant à cette époque et il voit le délitement progressif d’une cellule familiale pourtant soudée au départ. Sa mère jouera un rôle central dans la déchéance des siens (d’où le titre du roman), et lui ne pourra que constater les dégâts. Violé par un diacre, tiraillé entre sa volonté d’être un « homme comme les autres » et une homosexualité qui le dévore de l’intérieur, Otis va sombrer et enchaîner les coups durs. Tragique, il n’y a pas d’autres mots pour qualifier une existence à laquelle l’épilogue donne une terrible conclusion en quelques lignes…

J’adore Iceberg Slim  (en tant qu’auteur du moins parce l’homme en lui-même était plus que détestable, la lecture de Pimp vous le confirmera), c’est un écrivain de la rue, direct et sans concession, dont l’art des dialogues est un régal. Son écriture très orale et très crue retranscrit l’ambiance du ghetto noir, ses codes et sa violence. J'aime autant vous prévenir, certaines scènes sont d'un réalisme difficilement supportable, âmes sensibles s'abstenir !

Vous l’aurez compris et vous le savez si vous passez régulièrement par ici, c’est typiquement la littérature que j’aime. Il est bon parfois de se replonger dans des textes qui ont fait de nous des lecteurs passionnés et insatiables, et je ne remercierai jamais assez Valérie d’avoir accepté de m’accompagner dans cette relecture.

Mama Black Widow d’Iceberg Slim. L’Olivier, 2000. 302 pages. 20,10 euros.








mercredi 13 mai 2015

Rosario - Sampayo et Stassi

Comme souvent, c’est la faute d’une femme (pas taper !). C’est à cause de Raquelita que Rogelio croupit derrière les barreaux depuis vingt ans. C’est à cause d’elle qu’il a commis un meurtre. Du moins c’est ce qu’il raconte dans une confession à un mystérieux destinataire. Amoureux fou de cette belle blonde, il partit à sa recherche après sa soudaine disparition. Tombant dans les griffes d’une autre femme (eh oui, forcément !), la sulfureuse mademoiselle Galiffi, fille d’un parrain de la pègre locale, Rogelio plongea la tête la première dans un nid de vipères dont il ne pouvait ressortir indemne.

A Rosario, dans l’Argentine du début des années 30, la ville appartenait au crime organisé. Les italiens et les juifs, spécialisés dans la prostitution, se partageaient le gâteau et les pouvoirs publics, corrompus, fermaient les yeux. Mais avec les troubles sociaux prenant de l’ampleur et l’implantation de plus en plus importante des anarchistes et des syndicalistes, la mafia trouva un ennemi commun à combattre.

C’est l’histoire d’un homme piégé par la passion amoureuse et devenu une marionnette dans les mains de malfaiteurs sans scrupules. Un polar noir à souhait, extrêmement classique, même si, vu le nombre de protagonistes et les incessants flash-back, l’ensemble peut paraître à première vu dense et complexe. L’ambiance de la ville portuaire sud-américaine au début du 20ème siècle, de sa coterie et de ses bas-fonds, est parfaitement restituée. Les manigances sont permanentes, les clans, en apparence soudés afin de lutter contre les mouvements d’extrême gauche, ne manœuvrent en fait que pour leurs propres intérêts. Un scénario mêlant affaires troubles et politique sans grande surprise qui ne me marquera pas durablement je pense. J’ai par ailleurs trouvé assez étrange ce tic du scénariste consistant à révéler l’avenir funeste de ses personnages en plein milieu de l’action, comme s’il voulait spolier son propre récit et lui ôter une bonne dose de suspens.

Graphiquement par contre, rien à dire, le trait épais et les couleurs directes à l’aquarelle sont superbes. Pas suffisant cependant pour emporter mon adhésion. Décidément, le polar, même en BD, j’ai du mal.

Rosario de Sampayo et Stassi. Ankama, 2015. 76 pages. 14,90 euros.



mardi 12 mai 2015

Trop tôt - Jo Witek

« Il est entré en moi. Je ne désirais rien d’autre. Je n’ai pas vu son sexe. J’ai simplement senti sa force dans mon ventre. Une légère douleur, puis une danse couchée sur le sable. »

Voila, c’est tout. Une première fois inattendue. Les choses n’étaient pas censées se passer comme cela au départ. Pia, 15 ans, voulait juste séduire. Avec sa cousine Marthe, elles ont bravé le couvre-feu parental de minuit et se sont retrouvées dans la boîte de nuit d’un camping de Royan, un soir de juillet. Elles cherchaient un flirt, rien de plus, histoire de ne pas conclure les vacances bredouilles. Nathan lui a adressé la parole et tout s’est emballé. Il a pris sa main et elle est « passée dans un autre monde ». Une aventure d’un soir, sur la plage, aux conséquences terribles : Pia est enceinte et sa vie bascule. Il est trop tôt, beaucoup trop tôt…

Incroyable petit roman d’une puissance phénoménale. Un récit sur un fil, pas caricatural pour deux sous, hyper réaliste au contraire. J'ai adoré la réaction des parents, le soutien de la cousine et du copain qui joue les grands frères, et puis sa réaction à elle, tellement lucide, ses réflexions sur le désir en décalage avec l'éducation sexuelle enseignée à l'école, sa colère, ses doutes, sa volonté sans faille une fois sa décision prise et sa peur (que dis-je, sa terreur !), tellement légitime face une situation aussi inimaginable.

Un roman engagé au parti-pris pro avortement totalement assumé. Un roman trop intelligent pour tomber dans un militantisme simpliste et braillard. Un roman trop délicat pour ne pas toucher en plein cœur ses lecteurs et lectrices, quelles que soient leurs convictions. Un roman trop important pour que vous fassiez l’impasse, qu’on se le dise.

Trop tôt de Jo Witek. Talents hauts, 92 pages. 7,00 euros. A partir de 14 ans.


Une pépite jeunesse, une vraie de vraie, que je partage cette semaine encore avec Noukette.


Beaucoup de passages marquants dans ce texte …

A propos de la réaction de la mère :

« Ça ne s’est pas passé comme dans les films avec des dialogues déchirants, des pleurs et des embrasements lyriques. Maman était trop bouleversée pour me consoler. Trop chamboulée pour me témoigner de l‘empathie. La nouvelle l’a complètement vidée de ses forces et c’est d’abord la colère qui s’est imposée. »

A propos de la nuit où tout à basculé :

« Face à la mer, j’ai compris que cette nuit d’amour volée à mes vacances en famille était mon premier choix d’adulte. Qu’il fallait assumer. Que c’était ça grandir. S’embarquer et essuyer des tempêtes. »

A propos du désir :

« Moi, je ne veux pas qu’on me pardonne. Je veux qu’on accepte. Je veux qu’on dise l’amour fait perdre la tête et les cours d’éducation sexuelle devraient être accompagnés d’autre chose que d’un kit de prévention des risques. Capote-pilule-MST. Tu parles d’un triptyque ! C’est comme ça qu’on nous parle de la première fois. Rien sur les frissons, les émotions, rien sur la force des désirs. C’est comme si un marin se préparait au tour du monde sans tenir compte de la puissance du vent. Moi, jai glissé dans une tornade et personne ne m’avait prévenue d’un tel cataclysme. »
[…]
« Pourquoi tu ne m’as pas prévenue, maman ? Le désir fou, ça existe. Mais peut-être qu’on ne peut pas dire l’amour, le frisson, la passion. Peut-être que l’amour ne peut que s’éprouver. Que les mots ne suffisent pas. Partenaire, orgasme, contraception, fécondation. Les mots pour dire la sexualité sont si laids. C’est sans doute pour cela qu’ils provoquent tant de malentendus. »










lundi 11 mai 2015

Le caillou - Sigolène Vinson

La narratrice quitte Paris pour la Corse à la mort de son voisin Monsieur Bernard. Là-bas, elle veut retrouver le portrait d’elle que le vieil homme sculptait dans la roche à chacun de ses voyages sur l’île. Une forme d’hommage au disparu mais aussi un nouveau départ pour une jeune femme seule et sans ambition particulière, une jeune femme « pas très en accord avec le fait d’exister ». Sur place, elle croise une « faune » étrange et un environnement minéral dans lequel elle va peu à peu se fondre avec l’ambition de devenir, à terme, un caillou.

Un roman qui, à bien des égards, m’a rappelé « La dictature des ronces », lu tout récemment. Même personnage enfoncé dans la solitude et mal dans sa peau, même départ vers une île où les autochtones sont de sacrés numéros, même attachement soudain à un décor qui les fascine et les « enracine », même fausse légèreté de ton où l’humour de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y paraît, même écriture nerveuse où le sens de la formule est un régal. Il y a peut-être là une nouvelle génération de jeunes auteurs français modernes et décomplexés, enfin prêts à botter les fesses de cette autofiction que j’exècre.

Un texte qui se lit tout seul et avec plaisir, bourré d’audace et de lâcher prise, sans la moindre trace de timidité. Une liberté de ton et une originalité qui font mouche, incontestablement.

Le caillou de Sigolène Vinson. Le Tripode, 2015. 200 pages. 17,00 euros.


Une lecture commune partagée en nombre aujourd’hui avec Aifelle, Evalire, Noukette, Philisine, Une Comète et Zazy.






mercredi 6 mai 2015

Nora - Léa Mazé

On est-où avant d’être né ? Et pourquoi Mme Jeanne n’a jamais eu d’amoureux ? Maman m’a dit que tout le monde avait un amoureux ou une amoureuse quelque part et qu’un jour on le trouve. Si Mme Jeanne a toujours été seule, est-ce que c’est parce que son amoureux a oublié de naître ?

Été 1975. Nora est confiée à son oncle agriculteur pendant que ses parents préparent leur déménagement.  La petite fille, un peu sauvage, s’occupe comme elle peut et trouve refuge dans le tronc d’un arbre gigantesque. En escaladant les branches elle aperçoit la voisine, seule dans sa cour. Son oncle lui apprend que Mme Jeanne, 82 ans, est la vieille fille du coin. Pour Nora, il est temps de trouver à cette pauvre femme l’amoureux qui lui est forcément destiné…

La vie, l’amour, la mort, la sexualité, la solitude, tous ces thèmes sont abordés dans cet album. J’ai aimé que « Nora » soit un roman graphique intimiste qui sorte les jeunes lecteurs de leur zone de confort habituelle. J’ai aimé le fait que Léa Mazé installe son récit dans une certaine lenteur, qu’elle prenne le temps de dérouler des séquences muettes invitant à la méditation. J’ai aimé les réactions de l’oncle désarçonné par des questions existentielles auxquelles il n’est pas simple de répondre. J’ai aimé le point de vue à hauteur d’enfant, la naïveté et la logique du raisonnement de la fillette. J’ai aimé le dessin parfois proche du crayonné et la douceur du monochrome sépia. J’ai aimé refermer l’album en me disant que rien n’était gravé dans le marbre, qu’il y avait sans doute autant d’interprétations possibles que de lecteurs, que chacun pourrait y trouver son compte en fonction de son propre imaginaire.

En fait, je crois que j’ai tout aimé dans « Nora ».

Nora de Léa Mazé. Éditions de la Gouttière, 2015. 72 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage avec mes deux complices Noukette et Stephie.

Les avis de Mo’ et Moka.











mardi 5 mai 2015

Le premier mardi c'est permis (36) : Hanayoi - Yuka Murayama

A Tokyo, Asako tient un magasin de kimonos anciens. Des trucs affreusement chers et affreusement fragiles réservés à une clientèle haut de gamme. Asako est mariée à Seiji, et leur ménage est installé dans un quotidien planplan sans relief. Mais le jour où le couple va croiser Chisa et Masataka, les lignes vont bouger : persuadé que sa femme le trompe avec Masataka, Seiji va en faire de même avec Chisa. Commence alors un jeu de dupes et de mensonges où chacun va découvrir des plaisirs charnels jusqu’alors inconnus avec son nouveau partenaire.

Une variation autour de l’adultère qui aurait pu être brûlante mais qui s’avère au final bien trop sage. L’insatisfaction pousse chacun dans les bras d’un autre, rien de nouveau sous le soleil. La relation entre Seiji et Chisa, basée sur un équilibre entre domination et humiliation, offre quelques scènes qui auraient méritées d’être bien plus pimentées. Quant aux ébats d’Asako et Masataka, on reste dans du très classique. J’ai l’impression que l’auteure n’est pas parvenue à se lâcher totalement, qu’elle a écrit les scènes coquines avec le frein à main, et c’est bien dommage. Pour le reste, j’ai appris plein de choses sur les kimonos mais là encore, la déception domine : tenue sexy et suggestive s’il en est (enfin selon moi), ce vêtement affriolant à la douceur de la soie n’apparaît jamais « au cœur de l’action », comme s’il était trop sacré pour être souillé par des parties de jambes en l’air.

Cerise sur le gâteau, non seulement le ton devient moralisateur sur la fin (l’adultère, c’est mal !) mais j’ai en plus eu le sentiment que le roman n’était pas terminé, qu’il manquait des pages et qu’on me laissait en plan sans clore l’histoire de manière nette et précise.

Bref, une mauvaise pioche. Bien la peine de m’allécher avec un sous-titre aussi prometteur (La chambre des kimonos), je déteste quand il y a tromperie sur la marchandise !

Hanayoi : la chambre des kimonos de Yuka Murayama. Presses de la cité, 2015. 380 pages. 21,50 euros.











lundi 4 mai 2015

Comment ma femme m’a rendu fou - Dimitri Verhulst

A 74 ans, Désiré en a ras le bol de sa femme, insupportable mégère qui lui mène une vie infernale. Pour fuir cette épouse détestée, il simule une sénilité galopante et est placé en maison de retraite. L’occasion pour lui de retrouver un semblant de liberté et d’étudier les comportements parfois très étranges des autres pensionnaires.

J’avais adoré « La merditude des choses » et je me réjouissais de retrouver cet auteur belge à la plume au vitriol. Mais j’avoue que je n’ai pas tout compris et je n’ai pas saisi la démarche. Quel est l’intérêt finalement ? Une critique du mariage ? De la façon dont on traite nos vieux ? C’est une comédie ? Le but est de faire rire ? Je n’ai pris aucun plaisir à la lecture en tout cas. Le Désiré, s’il voulait fuir sa harpie, il n’aurait pas pu simplement faire ses valises et aller voir ailleurs plutôt que de s’obliger à chier dans son lit toutes les nuits afin de confirmer à tout le monde qu’il est bien un irrécupérable gâteux ? Franchement c’est une drôle de façon de finir sa vie, dans un carcan selon moi bien plus insupportable que s’il avait juste quitté sa femme. Clairement je n’ai pas tout compris !

Après, la description des mouroirs où le 4ème âge est « parqué » en attendant de faire le grand saut est plutôt bien vue. Le personnel qui se contente du strict minimum, les familles aux abonnés absents dont les visites ne cessent de s’espacer plus le temps passe, les jeux infantilisant pour occuper des après-midi sans fin… tout y est, et j’ai malheureusement trop fréquenté ce type d’établissement ces dernières années pour savoir que le portrait sonne juste. J’ai aussi par moments (trop rares) retrouvé le sens de la formule de Verhulst qui m’avait tant plu dans son premier roman. Pas suffisant cela dit pour apprécier ce texte manquant singulièrement de profondeur et dont je sais déjà qu’il ne me restera rien d’ici peu.

Comment ma femme m’a rendu fou de Dimitri Verhulst. Denoël, 2015. 142 pages. 14,90 euros.

Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.









samedi 2 mai 2015

Quand Galéa me met sur le grill...



Petit jeu de questions/réponses avec Galèa. Je me livre sans révélation fracassante mais sans langue de bois à propos des livres, des blogs et un peu de moi.


http://souslesgalets.blogspot.fr/2015/05/les-blogueurs-parlent-aux-blogueurs-1.html?m=1