vendredi 30 janvier 2015

Fin de mission - Phil Klay

Des soldats. Américains. En Irak. Celui-là rentre chez lui après avoir passé son temps, là-bas, à abattre des chiens qui se nourrissaient de cadavres. A la maison il retrouve sa femme et son labrador, couché au pied du canapé. Celui-là vient de délivrer des policiers irakiens torturés dans la cave d’une maison tenue par des insurgés. Celui-là a du mal à se remettre de la mort d’un gamin de 14 ans, tué sous ses yeux par son collègue. Lui, il était affecté aux « affaires mortuaires », chargé de récupérer et transporter les corps de combattants, qu’ils soient américains ou irakiens. Cet autre, civil, rêvait de remettre en service une station de traitement de l’eau pour venir en aide à la population. Eux, ils débriefent à la cantine après avoir envoyé leur premier obus sur des cibles humaines. Combien en ont-ils eu en tout ? Combien ça fait de morts par membre de la section ? Et puis il y a cet aumônier recueillant des confessions difficiles à entendre, cet étudiant revenu du front, pointé du doigt par une camarade musulmane sur les bancs de la fac ou encore ce pauvre gars, défiguré par une mine, qui raconte son histoire dans un bistrot de New-York...

Attention, grosse claque ! Douze nouvelles que j’ai dévorées en à peine deux jours. On comprend à la lecture pourquoi ce recueil d’un débutant totalement inconnu s’est vu octroyer le National Book Award, l’un des plus prestigieux prix littéraires de la planète.

Phil Klay, vétéran du corps des marines ayant servi en Irak entre 2007 et 2008, a l’intelligence de ne pas sombrer dans les clichés, de ne pas jouer au « pro » ou au « anti » guerre. Son angle d’attaque est beaucoup plus fin : de l’artilleur à l’aumônier, du civil engagé par l’armée à l’administratif n’ayant jamais vu une zone de combat, il multiplie les points de vue et alimente la réflexion. Avec un réalisme sidérant, il décrit la vie d’une compagnie au jour le jour, il dit la peur du soldat sur le terrain, la haine absolue et aveugle de l’ennemi, les traumatismes physiques et psychologiques, l’impossible retour à une vie normale à la fin d’une mission, mais aussi l’incompréhension des proches, la quête de sens face à l’absurdité de certaines situations, les nombreux suicides, le regard, parfois difficile à supporter, de ceux qui vous jugent sans avoir la moindre idée de ce que vous avez vécu.

Aucun pathos, aucun jugement, pas d’envolée lyrique, le ton est sec comme un coup de trique, empreint d’une lucidité qui fait froid dans le dos. Plus proche, dans l’esprit, de « Yellow Birds » que de « Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn », deux autres textes abordant le conflit irakien, ce recueil marque la fracassante entrée en littérature d’un jeune trentenaire incroyablement talentueux.

Fin de mission de Phil Klay. Gallmeister, 2015. 310 pages. 23,80 euros.


Extraits :

« J’avais pensé qu’il y aurait au moins une certaine noblesse dans la guerre. Je sais qu’elle existe. On raconte tant d’histoires, il faut bien que certaines d’entre elles soient vraies. Mais je vois surtout des hommes ordinaires, essayant de faire le bien, abattus par l’horreur, par leur incapacité à apaiser leur propre rage, par les airs virils qu’ils affectent et leur prétendue dureté, leur désir d’être plus implacables et par conséquent plus cruels que la situation dans laquelle ils se trouvent. »

« Qu’est-ce qu’on fait ? […] Nous, on vient ici, on leur dit, On va vous apporter l’électricité. Si vous travaillez avec nous. On vous garantira la sécurité. Si vous travaillez avec nous. Mais attention, votre meilleur ami sera votre pire ennemi. Si vous nous faites chier, vous vivrez dans la merde. Et ils nous répondent, OK, on vivra dans la merde. Alors qu’ils aillent se faire foutre. »

« Tout le monde présumait que mon âme était profondément marquée par ma rencontre avec le Réel : le monde-tel-qu’il-est, dur, sans fard, violent, loin de la bulle protectrice de l’Amérique et du monde universitaire, un séjour au Cœur des Ténèbres qui, s’il ne vous détruit pas, vous rend plus triste et plus sage. C’est des conneries, bien sûr. »











mercredi 28 janvier 2015

Moby Dick - Chabouté

Moby Dick ou la baleine blanche entraînant dans son sillage le capitaine Achab et son bateau, jusqu’aux frontières de la folie. Achab avec la vengeance comme moteur, comme seule et unique raison d’être. L’obsession d’un homme, son entêtement, son jusqu’auboutisme qui causera la perte de l'équipage…

Tout le monde connaît l’histoire, l’originale et ses innombrables adaptations. Quel intérêt d’en proposer une de plus ? Peut-être parce que le texte de Melville exerce encore une fascination sur bien des auteurs d’aujourd’hui, peut-être aussi parce qu’il véhicule des thèmes universels et intemporels. Quoi qu’il en soit, quand Chabouté s’en empare, le résultat est à la hauteur. « Adapter Moby Dick est venu d’une envie, celle de me frotter à Achab, qui est à la fois fort et fragile, faible et puissant, et dont l’acharnement me fait penser à ce que l’on peut parfois ressentir lorsque l’on fait une BD. »

Avec son noir et blanc dense et profond, sa mise en scène des silences, sa capacité à représenter l’océan en mouvement, il installe une atmosphère pesante où l’intensité dramatique du huis clos maritime en train de se jouer est magnifiée. Clairement, il faut lire ce diptyque d’une traite pour en extraire « la substantifique moelle ». Le premier tome ne fait que poser les bases et s’achève sur un goût de trop peu, c’est dans le second que le récit prend toute son ampleur tragique. Pas envie d’en faire des caisses ni d’en dire plus, je préfère vous laisser plonger la tête la première dans l’écume et profiter, entre autres merveilles, des incroyables séquences muettes qui illuminent ces deux albums de leur envoûtante présence (si vous avez lu « Tout seul », vous savez parfaitement de quoi je veux parler…).


Moby Dick, livre premier de Chabouté. Vents d’Ouest, 2014. 118 pages. 18,50 euros.
Moby Dick, livre second de Chabouté. Vents d’Ouest, 2014. 134 pages. 18,50 euros.

Les avis de SandrineSaxaoul et Yvan






mardi 27 janvier 2015

High Line - Charlotte Erlih

« De là où je suis, il ne reste rien de l’agitation de la ville, du fouillis des vies qui y grouillent ni des ordures qui souillent les rues. Rien des passions des uns ni des désespoirs des autres. Rien des visages fatigués de ceux qui partent suer une énième journée dans des lieux qu’ils exècrent, ni des visages encore plus las de ceux dont personne n’attend la sueur aujourd’hui, ni demain, ni aucun jour à venir. Rien non plus des corps abîmés de ceux qui viennent de passer une nouvelle nuit dehors. De là où je suis, la souffrance et la saleté sont invisibles. La terre doit être belle pour un dieu. »

Un gamin sur un fil, marchant entre deux immeubles, à cent mètres de haut. Il n’a aucune protection, aucune attache. Sous lui le vide, devant lui, une sangle d’à peine deux centimètres de large et six ou sept minutes de traversée, à devoir poser un pied devant l’autre sans trembler. « Libre ! Entièrement et résolument libre ! Le jour et la nuit par rapport aux sensations que j’ai avec un baudrier qui m’entrave et un leash qui me retient à la ligne… Tout est décuplé. Intensité extrême. Plus de limite. Mon corps et le vide. L’air et le ciel. Du tout pur. Un shoot d’absolu en barre. Je ne me suis jamais senti aussi puissant. »

La voix de cet ado dont on ne connaîtra jamais le prénom résonne. Le lecteur entre dans son esprit avant et pendant le périlleux exercice auquel il se plie. Ses doutes, ses certitudes, sa motivation. Le vide comme un symbole, celui d’une quête d’identité, d’un chemin vers l’avenir : « ça y est, j’ai dépassé la moitié. A présent, tout retour en arrière serait plus long que de poursuivre droit devant. Peut-être un jour me dirai-je cela aussi de ma vie : j’aurai fait le plus gros, donc autant continuer. Et je serai de plus en plus impatient et de plus en plus inquiet de voir le trajet s’achever. » Le narrateur n’est pas sur un bateau, il n’a pas de coup de barre à donner pour changer de cap. Il est face à un gouffre, sans filet. Face à lui-même aussi. Franchir le pas et aller de l’avant. Ou chuter. Définitivement.

Phrases courtes, très descriptives, monologue intérieur qui remue et laisse pantelant, Charlotte Erlih respecte à la lettre l’ADN de la collection « d’une seule voix ». Une réussite, indiscutablement.

High Line de Charlotte Erlih. Actes sud Junior, 2015. 92 pages. 9,00 euros. A partir 14 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.







lundi 26 janvier 2015

Mon p’tit univers : Mon abcdaire de la nature - Aurélie Barbe et Caribou

Enrichir le vocabulaire de bébé Charlotte est un vrai plaisir, surtout qu’elle est très demandeuse et joue à merveille les perroquets dès que l’on prononce un mot nouveau. Coté livres, l’abécédaire (comme l’imagier) est un outil parfait pour l’augmenter de façon ludique, ce vocabulaire.

Celui-ci propose des termes issus de travaux menés par le linguiste Etienne Brunet et a pour but d’offrir un corpus de mots indispensables à l’enfant. Il fait découvrir l’environnement proche et apprends à connaitre la nature qui nous entoure : campagne, désert, jardin, forêt, etc. Il n’y a qu’un seul mot par page mais les illustrations permettent d’en proposer d’autres. Par exemple, dans celle ci-dessous, on a pu pointer le nuage, le cactus et le sable et préciser que le cactus, ça pique ! Page suivante, sur l’île, il y a un arbre et dans l’eau un requin alors que dans le jardin on trouve une balançoire. Au final, ce petit livre allie richesse et simplicité en évitant l’accumulation un peu gratuite qui surcharge et finit par ne proposer qu’un catalogue sans fin aussi vite vu qu’oublié.



Un abécédaire idéal pour permettre à bébé de comprendre et se faire comprendre. Il en existe un second dans la même collection, consacré aux animaux. Autant vous dire qu’il sera nôtre bientôt !

Mon p’tit univers d’Aurélie Barbe et Caribou. Marmaille & Compagnie, 2015. 24 pages. 8,00 euros. A partir de 18 mois.


L'avis de MyaRosa


samedi 24 janvier 2015

La parole contraire - Erri de Luca

« Si mon opinion est un délit, je continuerai à le commettre. »

Poursuivi en justice pour avoir soutenu le mouvement NO TAV qui s'oppose à la construction de la ligne à grande vitesse du val de Suse devant permettre de relier Lyon à Turin, Erri de Luca a rédigé pour sa défense un pamphlet de 40 pages sur la liberté d’expression et la responsabilité de l’écrivain. Un texte publié par tous ses éditeurs dans le monde à la veille de son procès. Il risque cinq ans de prison pour « incitation au sabotage ».

« Un écrivain possède une petite voix publique. Il peut s’en servir pour faire quelque chose de plus que la promotion de ses œuvres. Son domaine est la parole, il a donc le devoir de protéger le droit de tous à exprimer leur propre voix. Parmi eux, je place au premier rang les muets, les sans voix, les détenus, les diffamés, les analphabètes et les nouveaux résidents qui connaissent peu ou mal la langue. […] Telle est la raison sociale d’un écrivain, en dehors de celle de communiquer : être le porte-parole de celui qui est sans écoute. »

Tout tient dans cette affirmation. A la responsabilité pénale, De Luca oppose sa responsabilité d’écrivain. Ce projet ferroviaire est une aberration environnementale. Par exemple, le percement et la pulvérisation de gisements d’amiante va disperser dans l’air des milliards de fibres toxiques. Depuis des années, l’auteur de Montedidio participe à la lutte menée par les habitants de la vallée. Dans une interview, il a déclaré : « La TAV (ligne à grande vitesse) doit être sabotée. Voila pourquoi les cisailles étaient utiles : elles servent à couper les grillages. Pas question de terrorisme […] elles sont nécessaires pour faire comprendre que la TAV est une entreprise nuisible et inutile […] les discussions du gouvernement ont échoué, les négociations ont échoué : le sabotage est la seule alternative. »

La question est : y-a-t-il eu, à travers ces déclarations, incitation publique à commettre un délit ? Pour la défense, la réponse est non : « Pour parler d’incitation à la violence, il faut démontrer le rapport direct entre les mots et les actions commises. » Or, il est, dans ce cas précis, impossible de démontrer ce rapport tant il y a eu de faits et de délits commis sur le chantier par des militants NO TAV avant et après la publication de l’interview.

Pour étayer son propos, De Luca convoque les figures ayant marqué sa vie de lecteur et sa vie tout court, Orwel et Pasolini en tête. Il réclame aussi le droit d’utiliser les mots dans un sens qui n’est pas celui que leur attribue la justice : « Les procureurs exigent que le verbe "saboter" ait un seul sens. Au nom de la langue italienne et de la raison, je refuse la limitation de sens. Il suffisait de consulter le dictionnaire pour archiver la plainte. »

Je ne connais pas suffisamment le dossier pour me prononcer sur le fond de la question mais je dois bien reconnaître que la défense de l’auteur par lui-même est brillamment menée et que la lecture de ces quelques pages est une magnifique incitation à la réflexion.


La parole contraire d’Erri de Luca. Gallimard, 2015. 42 pages. 8,00 euros.


Un billet qui signe ma contribution mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.




vendredi 23 janvier 2015

Bleu éperdument - Kate Braverman

On ouvre ce recueil de nouvelles avec une femme qui se souvient de la petite fille qu’elle était et de sa mère, poétesse l’ayant éduqué de « façon excentrique selon une méthode de son cru ». On poursuit avec Erica et sa fille Flora, l’année de Tchernobyl, s’ennuyant à mourir au cours d’un hiver pluvieux. Puis on croise le chemin d’une écrivaine cocaïnomane harcelée par un type dont la toxicité s’avérera bien supérieure à celle de la drogue. Il y a aussi dans ce recueil Joan Moore, fêtant son quarantième anniversaire à Hawaï et bien décidée, enfin, à quitter son mari, Laurel Sloan, qui repense aux années d’université où elle écoutait Dylan à plein volume, Suzanne Cooper, fraîchement divorcée et en pleine reconstruction ou encore Jessica, aussi riche que désœuvrée…

Des portraits de californiennes au bord du précipice. Des femmes seules, désespérées, neurasthéniques, fréquentant les Alcooliques Anonymes. La mélancolie suinte à chaque page, les illusions perdues ne faisant qu’attiser les regrets. L’héritage des années hippies a laissé chez beaucoup de douloureuses cicatrices qu’elles traînent comme un boulet alors que le 21ème siècle approche à grands pas.

Ça pourrait (ça devrait même) être totalement plombant si la langue de Kate Braverman n’était pas aussi belle. « Sensuelle et luxuriante », précise la 4ème de couverture, j’avoue que ce n’est pas faux, même si c’est finalement beaucoup plus que ça : « La vallée est une gigantesque plaine qui s’étire indéfiniment jusqu’au pied des montagnes infécondes et hallucinatoires. Cette vallée abrite les tombeaux ouverts de femmes à l’aube du millénaire. C’est un vrai quadrillage de pavillons agglomérés en lotissements, où vivent des femmes soit seules, soit avec leurs enfants. Des femmes empêtrées dans une dépression nerveuse mais plus à même de payer leur traitement. Des enfants qui laissent derrière eux leurs maisons de poupée et leurs leçons de violon pour s’installer dans des immeubles où les voisins ne parlent pas la même langue qu’eux. »

Ou encore : « Elle a trente-sept ans, elle est divorcée, l’ex-femme de Jake, la mère de Stéphanie et Mark. Elle est membre des Alcooliques Anonymes. Elle est sobre. Elle ne boit plus, plus jamais. Cette année, ses enfants passeront le réveillon et le jour de Noël avec elle. Plus jamais elle ne s’endormira en laissant une cigarette allumée dans le cendrier, plus jamais elle ne s’évanouira dans le jardin en chemise de nuit. Elle ne fume plus et elle n’a plus de jardin. On peut compter sur elle maintenant. […] Elle est en passe de devenir le genre de femme qui met de la monnaie dans les parcmètres et poste ses cartes de vœux en temps et en heure. Elle est en train de devenir le genre de femme qu’on peut contraindre à s’exiler dans un appartement à Santa Monica en sachant qu’elle s’y pliera dans la plus grande discrétion, en toute dignité. Elle est le genre de femme qu’on peut bannir à moindre frais. »

Un magnifique recueil et, pour l’amateur de nouvelles que je suis, la découverte d’une voix envoûtante.

Bleu éperdument de Kate Braverman. Quidam, 2015. 245 pages. 20,00 euros.








jeudi 22 janvier 2015

Le grand méchant Renard - Benjamin Renner

Hop, hop, hop, coup de cœur !

Cet album raconte les mésaventures d’un renard incapable de faire peur aux poules qu’il veut dévorer. Un renard tellement gringalet que tout le monde se fout de lui. Un renard à qui le loup souffle un jour une idée géniale : s’il veut manger de la volaille, il n’a qu’à dérober des œufs, les couver et attendre leur éclosion pour se faire un gueuleton digne de ce nom. Ni une ni deux, le goupil met son plan à exécution. Et ça marche ! Sauf qu’à la naissance, les poussins sont trop petits. Il décide alors d’attendre quelques mois, le temps de les engraisser. Erreur fatale… Ben oui, on s’y attache à ces petites bêtes. Surtout quand, en sortant de l’œuf, elles font de la première personne qui leur tombe sous les yeux leur « maman d’amour » !

Un album génial, ni plus ni moins. Totalement barré, plein de quiproquos, de personnages un peu crétins comme j’aime, de répliques et de mimiques à hurler de rire. Du comique de situation mais pas que. Des rapports parents-enfants compliqués, une naïveté désarmante et un enchaînement de séquences cocasses parfaitement maîtrisé. Benjamin Renner signe ici sa première BD. Co-réalisateur d’Ernest et Célestine, cet auteur venu de l’animation insuffle un sens du rythme et du dialogue absolument ébouriffant ! Ne s’encombrant pas de cases ni de bulles, découpant chaque planche en gaufrier de six à huit dessins et usant d’un décor minimaliste, sa narration est d’une grande fluidité. J’ai craint au départ la succession de scénettes sans véritable lien, de sketchs indépendants les uns des autres, mais il y a bien un fil directeur constant et une seule et unique histoire.



Pas envie d’en dire plus, sachez seulement que cet album fera sans aucun doute possible partie de mon top de l’année 2015. Un livre précieux, jubilatoire, qui fait un bien fou. Bref, à lire, à offrir et à faire lire aux enfants dès 8-9 ans. J’espère que j’ai été clair !

PS : je vous conseille aussi d'aller découvrir sur le site de l'éditeur la BD interactive qui respecte à la lettre l'esprit de l'album

Le grand méchant Renard de Benjamin Renner. Delcourt, 2014. 188 pages. 16,95 euros.



mercredi 21 janvier 2015

Capitaine Trèfle - Hausman et Dubois

Ardennes, 18ème siècle. Surpris par une tempête automnale, le Capitaine Trèfle trouve refuge dans une auberge abandonnée. Il y découvre un lutin séquestré par d’affreux pirates. Après un rude combat, il délivre le malheureux et l’amène au magicien Noctiflore afin qu’il panse ses blessures. Remis sur pieds, le Guib (nom donné à cette race de lutins des sables) raconte son histoire à ses sauveurs. Chassés par les hommes, les créatures fantastiques du petit peuple vivaient en paix depuis des siècles au-delà de la mer, de l’autre coté du monde. Jusqu’au jour où y débarquèrent le terrible Capitaine Écarlate et son sinistre équipage, bien décidés à faire des sirènes, elfes et autres dragons de vulgaires bêtes de cirque. N’écoutant que son courage, Trèfle se lance à la rescousse des opprimés au cours d’un périlleux voyage au fil des océans…

Plonger dans un album du duo Haussman/Dubois, c’est accepter de réinventer le monde. Conteurs hors-pair, ils cisèlent leur récit avec une rare minutie et nous emmènent dans un univers où l’imaginaire est roi. Loin des modes, cette ode au petit peuple  fleure bon les livres d’antan. Ici, le langage est précieux, une « enseigne rouillée ne cesse de grincer comme s’éraille le rire d’une sorcière » et les « chat-pitres » deviennent des « chat-clowns ». Artisan d’une BD à l’ancienne où chaque détail mérite la moindre attention, l’orfèvre Hausman signe des planches d’une beauté sidérante. Dubois ne pouvait trouver meilleur complice pour mettre scène le bestiaire fabuleux née de son imagination débordante. Un bijou d’album, idéal pour peupler les rêves des grands et des petits.


Capitaine Trèfle d’Hausman et Dubois. Le Lombard, 2014. 62 pages. 15,00 euros.

L'avis de manU

Une lecture que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette. C'est d'ailleurs elle qui, aujourd'hui, accueille les liens des participants à la BD de la semaine.











mardi 20 janvier 2015

Les bébés ont un goût salé - Dominique Sampiero

Pas simple, la vie de Malika. A treize ans, au cœur de la cité, elle doit gérer seule le départ de son père, les disparitions subites de sa mère et surtout cette petite sœur de cinq mois dont elle s’occupe comme une grande. Le jour où le centre social propose aux gamins du quartier une semaine à la mer, Malika doit y renoncer pour jouer la nounou. Pourtant, la mer, elle en rêve Malika, elle ne l’a jamais vue en plus. Alors avec l’aide de Steven, elle va imaginer un stratagème pour partir quand même, quitte à glisser un bébé dans ses bagages...

La vie de Malika est difficile, c’est une vie minuscule et âpre, comme tant d’autres. Les cages à lapin des HLM, le collège, les trafics, les copains. J’avoue que j’ai eu du mal à croire au déroulement de l’intrigue. Des éducateurs qui laissent une gamine les accompagner à la mer avec un bébé caché dans un sac de sport, ça me paraissait totalement improbable. Mais le fait est que l’anecdote est réelle, Dominique Sampiero devait même en tirer un film. Le projet n’ayant pas abouti, il en a fait un roman jeunesse. Je trouve quand même le trait un peu forcé. Je l’espère en tout cas, parce qu’un tel niveau d’irresponsabilité de la part des adultes accompagnateurs, c’est juste effrayant !

Les points forts de ce texte tiennent dans les dialogues très travaillés, d’un grand réalisme, comme les interactions entre les différents personnages. La langue est parfois poétique, à d’autres moments très familière. La bienveillance et l’altruisme alternent sans cesse avec des scènes de tension, la tendresse se mêle à une certaine forme de violence. Et puis il y a cette fin que je ne m’imaginais pas une seconde. Ce ne pouvait être qu’une happy end, pas possible autrement. Sauf que…

Les bébés ont un goût salé de Dominique Sampiero. Rue du monde, 2014. 108 pages. 9,50 euros. A partir de 12 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, c'est une lecture commune que je partage avec Noukette.



dimanche 18 janvier 2015

Un été - Vincent Almendros

Jean et Jeanne sont dans un bateau. Ils s’apprêtent à y accueillir le frère de Jean et sa petite amie Lone. Le voilier n’est plus de première fraîcheur mais il suffira pour une croisière de quelques jours le long des côtes italiennes. Au fil des heures, au fil des jours, la chaleur et la promiscuité aidant, les corps se frôlent, les sens s’aiguisent et la tempête s’annonce…

C’est un roman d’ambiance un peu vain, dérisoire oserais-je dire. Très littéraire, finalement. Quelque part, c'est un roman d’aujourd’hui qui ressemble à un film des années 60. Un roman un poil nombriliste, autocentré, aux enjeux inexistants. Un huis clos maritime à l’érotisme contenu, se déroulant  dans un espace exigu et sous une chaleur étouffante. Des rapports humains ambigus, une tension palpable et une pirouette finale que je n’avais pas vu venir.

Est-ce que j’ai aimé ou pas ? Aucune idée. Je l’ai lu distraitement, sans lui accorder une attention particulière, ce qui n’est jamais bon signe. Je l’ai lu sans déplaisir mais les mots ont coulé sur moi sans laisser de trace. Je dois donc en conclure que j’y suis resté imperméable et c’est bien dommage. Mais ce texte trouvera ses lecteurs, c’est une certitude. Son charme suranné, sa sobriété et sa fluidité sont d’indéniables atouts. Un roman-aquarelle subtil, construit par petites touches. Sans doute trop subtil pour moi.


Un été de Vincent Almendros. Édition de Minuit, 2015. 95 pages. 11,50 euros.  








vendredi 16 janvier 2015

Entre frères de sang - Ernst Haffner

Incroyable destin que celui de ce livre ayant connu un immense succès en Allemagne au moment de sa publication en 1932 avant d’être interdit et brûlé par les nazis lors d’autodafés puis de tomber dans l’oubli après 1945. De son auteur, on ne sait presque rien, à part qu’il a été journaliste, sans doute travailleur social, et qu’il a vécu à Berlin entre 1925 et 1933.

Les frères de sang, c’est le récit des aventures d’une bande de garçons dans le Berlin des années 30. Des gamins des rues frappés par la crise économique ou dont les familles avaient été détruites par la première guerre mondiale. Placés par l’assistance publique dans des institutions destinées aux mineurs, ne supportant pas les brimades d’un système cherchant à les briser, ces enfants en fuite se réfugiaient le plus souvent dans les grandes villes. Se regroupant en bandes, ils vivotaient entre petits trafics et prostitution, toujours en quête d’un repas chaud et d’un toit pour la nuit. De jeunes voyous solidaires dans la souffrance, s’abrutissant au mauvais schnaps dans les bouges des quartiers populaires. Ceux qui se faisaient arrêter par la police passaient par la case prison avant de retourner en foyer et de s’en échapper à nouveau.

Ce roman dit la misère sans misérabilisme. Il tient du témoignage, même si c'est clairement une fiction. Haffner dénonce la brutalité de l’assistance publique. Il décrit la violence permanente de la rue, le froid, la faim, le désespoir. Son texte est d’un grand réalisme, douloureux sans être dénué d’espoir. Surtout, on sent la proximité de l’auteur avec ses personnages, sa compassion jamais larmoyante, sa sincérité totale.

Un livre important pour découvrir le sort d’innombrables jeunes gens qui, dans l’Allemagne en crise de l’entre-deux-guerres, essayèrent de survivre tant bien que mal avant sans doute (même si le roman ne nous le dit pas) d’être emportés par le tourbillon du nazisme.

Entre frères de sang d’Ernst Haffner. Presses de la cité, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

mercredi 14 janvier 2015

Fatale - Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette

Lorsqu’elle débarque à Bléville, la tueuse professionnelle Aimée Joubert se rapproche des notables de cette petite ville portuaire sans âme. Elle étudie longuement leurs comportements et leurs liens, identifie les forces et faiblesses de chacun avant de s’engouffrer dans une faille dont elle compte bien profiter. Dans quel but ? Mystère…

Je ne suis pas polar mais j’adore Manchette et sa façon bien à lui de mener un récit. Il était en quelque sorte le chantre du behaviorisme à l’américaine, ne décrivant que des comportements sans jamais entrer dans des considérations psychologiques. Au lecteur de s’interroger sur les pensées et l’état d’esprit des protagonistes. Avec Fatale, on est face à un polar qui n’en est pas vraiment un (d’ailleurs le roman avait été refusé dans la collection « série noire »). L’ambiance est plus contemplative, proche de l’étude de mœurs.

Manchette égratigne la bonne société provinciale et ses élites véreuses. Il fait sauter le vernis des apparences policées pour montrer les ambitions personnelles, les coups-bas, la respectabilité de façade. Sa tueuse est l’élément perturbateur qui va peu à peu faire bouger les lignes jusqu’à l’explosion finale. Beaucoup d’ambiguïté chez tous les personnages. D’ailleurs, les victimes sont souvent plus solides que leur bourreau.

Un album sombre à l’ambiance poisseuse magnifiée par le bleu électrique de la nuit et le jaune-orangé des scènes diurnes. Un album crépusculaire, sans concession, qui restitue l’atmosphère glauque des villes de province des années 70. Un album à la froideur clinique, sans espoir, proche de la tragédie. Vertigineux et impressionnant.


Fatale de Max Cabanes d’après le roman de Jean-Patrick Manchette. Dupuis, 2014. 136 pages. 22,00 euros.




mardi 13 janvier 2015

La règle d’or - Isabelle Minière

Léo le trouve étrange ce nouvel élève : « il s’est avancé dans la cour, il a regardé tout autour, l’air tranquille, comme s’il était en visite dans un musée et qu’il regardait les objets exposés. Les objets, c’était nous, alors ça nous a fait bizarre, à mes copains et moi, on n’avait pas l’habitude d’être exposés. A sa place j’aurais eu un peu peur d’arriver là sans connaître personne, lui non. » Quand la maîtresse a demandé à chacun ce qu’il voudrait faire plus tard, il a simplement répondu : « Je veux faire le bien, c’est tout ». Il y en a quelques uns qui se sont foutus de lui, l’ont baptisé Superman. A la sortie, trois garçons lui ont sauté dessus, c’était pas beau à voir. Il s’est relevé le visage en sang et une bosse sur le front, sans haine ni volonté de vengeance,  il a au contraire cherché à minimiser les choses. Décidément, pour Léo, ce n’est pas un garçon comme les autres…

La règle d’or du titre, c’est celle que Camille, cet enfant étrange, se répète comme un mantra. Il l’applique à chaque occasion, en a fait en quelque sorte un mode de vie. Léo est fasciné par sa liberté d’esprit et son altruisme. Camille est un enfant différent, un sage qui met le respect d’autrui et la tolérance au-dessus de toutes les autres valeurs.

Tout cela pourrait être bien naïf, moralisateur et limite ridicule. Mais ça ne l’est pas une seconde. Point de leçon ici, juste la démonstration par les faits que l’attention aux autres et la bienveillance sont les armes qui forgent les plus belles amitiés. Autant vous dire que par les temps qui courent, ce petit texte sans prétention au message tellement pacifique devrait être déclaré d’utilité publique.


La règle d’or d’Isabelle Minière. Ed. du jasmin, 2013. 60 pages. 8,00 euros. A partir de 8 ans.

Une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.




lundi 12 janvier 2015

Tout foutre en l’air - Antoine Dole

Si vous avez lu ses romans précédents, vous savez sans doute que l’on entre dans un texte d’Antoine Dole sur la pointe des pieds, en se demandant de quelle façon il va s’y prendre pour nous serrer les tripes. On s’attend à être bousculé, éprouvé, à en sortir rincé. Celui-là ne déroge pas à la règle, évidemment.

Une nuit froide et humide. Des trombes d’eau. « Les gouttières crachent une eau crasseuse qui dilue les murs, les couleurs ». Une ado quitte ses parents en claquant la porte. Elle part retrouver celui qu’elle aime. Ce soir, ils vont le faire. Ensemble ils courent sous la pluie. Leur destination ? Un immeuble en construction. La fin de l’histoire ? Ne compter pas sur moi pour vous la raconter.

Comme de coutume dans cette collection, une seule voix. La narratrice est cette gamine en fuite. Ses mots disent d’abord sa détermination. Son ras le bol aussi. De ces parents qu’elle ne supporte plus. « Combien de fois j’ai eu l’impression de vivre en dehors de tout cela, à coté, en marge. Mon existence sur leurs contours, jamais tout à fait dans leur vie à eux. » Marre de « toutes ces choses qu’on dit qu’on fera et qu’on ne fait jamais. » Alors, elle va le faire. Son amoureux a quatre ans de plus. Elle l’a rencontré sur internet. Ses parents ont découvert leurs échanges et l’ont privée d’ordi. Ils l’ont mise en garde, ont voulu la raisonner. Ça n’a fait que renforcer sa volonté de passer à l’acte. Mais plus la nuit avance et plus son discours évolue. Il évolue jusqu’à…

Décidément, j’adore la plume d’Antoine Dole. Ses phrases courtes, tendues, sa capacité à décrire les fêlures et la souffrance. Sa relation au corps, sa façon unique de lier le psychique et le physique, de glisser les mots sous la peau, de retranscrire les sensations les plus intimes sans en faire des caisses. Sa force d’évocation est sidérante, il lui suffit d’une phrase pour que l’image se forme, s’imprime sur la rétine du lecteur, y laisse une trace indélébile.

Il est des auteurs (rares) dont j’attends chaque nouvelle publication avec impatience. Pas comme un fan en transe (j’espère ne jamais être fan de qui que ce soit) mais simplement parce que je sais que je vais y trouver un univers à part, une voix unique qui m’interpelle. Antoine Dole fait incontestablement partie de ces auteurs.

Tout foutre en l’air d’Antoine Dole. Actes sud, 2015. 72 pages. 9,00 euros. A partir de 14 ans.


Une lecture que je partage avec Noukette. Je ne pouvais décemment pas parler du nouveau Antoine Dole sans elle !







samedi 10 janvier 2015

Azami - Aki Shimazaki

Azami en japonais, c’est la fleur de chardon. « Cette fleur unique, avec sa forme particulière et sa couleur violette. On n’en offre pas en cadeau à cause des épines pointues sur ses feuilles. Une fleur d’un abord difficile. » Une description qui pourrait être celle de Mitsuko, le premier grand amour de jeunesse que Mitsuo, 36 ans, retrouve par hasard dans un bar à hôtesses. Mitsuo est marié et amoureux de sa femme Atsuko, mais depuis la naissance de leur second enfant le couple est « sexless », et pour satisfaire ses besoins « d’homme normal », ce rédacteur dans une revue locale fréquente régulièrement des établissements de service sexuels : « Simple, commode et rapide. Je ne passe à ces endroits qu’une demi-heure et c’est toujours après mon travail. Je ne cherche pas d’aventures. Je n’ai pas de conversations intimes avec les entraîneuses qui s’occupent de moi. Pour elles, je ne suis qu’un client ».

Seulement, avec Mitsuko, les choses sont différentes. Il la retrouve le soir chez elle, et pendant que le fils unique de cette mère célibataire dort dans la pièce d’à coté, ils font l’amour comme si leur vie en dépendait. Mais le jour où Atsuko apprend cette liaison, Mitsuo doit choisir entre la passion dévorante pour sa maîtresse et la préservation de son couple et de sa vie de famille…

Née au Japon, Aki Shimazaki vit à Montréal depuis 1991 et écrit en français. Elle propose ici un texte à la première personne très intime, tout en délicatesse. Beaucoup de pudeur chez Mitsuo le narrateur, une certaine froideur d’analyse aussi pour un homme cédant aux passions avec une retenue typiquement japonaise. Après, il y a des hasards et des coïncidences difficiles à croire, notamment dans la rencontre des deux amants, mais peu importe, il se dégage de ce très court roman une finesse et un charme en tout point séduisants.


Azami d’Aki Shimazaki. Actes Sud, 2015. 130 pages. 13.50 euros.



vendredi 9 janvier 2015

L’incendie - Antoine Choplin et Hubert Mingarelli

Pavle vit à Belgrade et Jovan en Argentine. S’étant revus après plusieurs années de silence, ils entament une correspondance. Au fil des lettres, le passé affleure, douloureux. La guerre en ex-Yougoslavie les a marqués au fer rouge. Un événement, surtout, a bouleversé leur existence et continue de les hanter…

Une couverture affichant Antoine Choplin et Hubert Mingarelli, avouez que ça fait rêver ! Je ne sais pas comment ils ont fonctionné autour de ce texte mais je suppose que chacun a endossé le rôle de l’un des protagonistes. Les lettres sont au départ plutôt insignifiantes, simples échanges de bons procédés après des retrouvailles appréciées. Mais peu à peu le ton change, les sujets abordés deviennent plus graves, les confidences plus intimes. Et tout les ramène dans cette maison où ils sont entrés un jour d’hiver, pendant la guerre. Ils étaient trois soldats. A l’intérieur, ils on trouvé une femme, seule. Une femme qui sera en quelque sorte l’étincelle mettant le feu aux poudres…

Pas simple comme exercice, l’épistolaire. J’ai aimé ici les silences, la difficulté à trouver les mots, à se livrer, à exprimer la honte et la culpabilité. J'ai aimé l'écriture discrète et sensible du duo Choplin/Mingarelli, même si, je le répète, je ne sais pas qui a écrit quoi. J’ai aimé l’interaction entre Pavle et Jovan, pleine de retenue et de non-dits jusqu’aux révélations crevant un abcès depuis trop longtemps enfoui. Et puis j’ai aimé la fin qui laisse une pincée d’espoir au cœur du chaos.

L’incendie d’Antoine Choplin et Hubert Mingarelli. La fosse aux ours, 2015. 80 pages. 13,00 euros.

Extraits :

« Chacun agit comme il peut pour vivre et s’arranger, et sans doute avons-nous fait de notre mieux jusqu’à aujourd’hui. »

« Regarder le monde comme il est, ce n’est pas si facile mais surtout, je me dis que ce n’est qu’une occupation parmi toutes celles qu’on peut avoir. Je trouve que c’est bien aussi de regarder le monde comme il pourrait être, ou comme on voudrait qu’il soit. Et c’est bien aussi de ne rien regarder du tout. […] Je t’écris ça parce que c’est ma façon à moi de me tenir debout, et j’ai envie que tu le saches. »

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette et Valérie et un billet qui signe ma première participation au challenge de la rentrée d'hiver 2015.






mercredi 7 janvier 2015

Poulbots - Patrick Prugne

1905. D’un coté il y a Jean, fils unique d’une famille aisée dont le père, entrepreneur, veut mettre sur pied à Montmartre un projet immobilier d’envergure. De l’autre, quelques gamins des rues, gavroches miséreux traînant leurs guêtres dans les terrains vagues de la butte. De leur rencontre naîtra une amitié improbable et un projet commun : mettre en échec les ambitions du promoteur pour préserver leur terrain de jeu, tout cela sous l’œil malicieux du dessinateur Francisque Poulbot.

Un bel hommage rendu par Patrick Prugne à des gamins débrouillards et à un quartier historique de Paris qui, à l’époque, n’était encore qu’un village. Dans cette campagne aux portes de la capitale, il a voulu créer une bulle pleine de douceur et montrer la joie de vivre et la solidarité malgré la misère. Une vision idéalisée occultant entre autres toute violence (alors qu’elle était évidemment très présente) mais qui, au final, n’a rien de cucul.

Un album qui vaut surtout pour son ambiance et ses dessins, son atmosphère délicieusement rétro et ses personnages attachants. Un vrai délice de se promener dans le Montmartre de la Belle Époque mis en images de la sorte. Prugne est un orfèvre, un auteur que j’adore, découvert il y a dix ans avec « L’auberge du bout du monde », et qui signe des aquarelles en couleur directe sans aucune retouche informatique de toute beauté. Son travail sur la lumière notamment est bluffant.

« Poulbots » sonne comme une parenthèse de tendresse, une plongée dans une enfance insouciante malgré les difficultés. C’est une lecture qui fait du bien, tout simplement.


Poulbots de Patrick Prugne. Éditions Margot, 2014. 80 pages. 16,90 euros.


Un billet qui signe ma première lecture commune de l’année avec Noukette (pas la dernière, assurément).


Les avis de L'ivresse des motsMarilyneMo' et Syl








mardi 6 janvier 2015

Le premier mardi c'est permis (32) : Osez… 20 histoires de sexe aux sports d’hiver

Lire des histoires coquines se déroulant aux sports d’hiver, voila qui me semblait être une bonne idée en ces temps de grands froids. Sauf que j’aurais pu m’abstenir. Mais alors, vraiment. Vingt histoires de sexe, donc, comme annoncé dans le titre. Les premières sont passables mais le pire c’est que par la suite la qualité, déjà loin d’être au firmament, baisse aussi vite que ma virilité plongée dans une eau glaciale.

Clairement, ça manque à chaque fois de profondeur. Enfin de profondeur psychologique je veux dire, parce que sinon de la profondeur, il y en a, et pas qu’un peu. Tout va trop vite, à peine le temps d’exposer une situation que l’on se retrouve les quatre fers en l’air. Comme dans un porno, quoi. Niveau dialogues, c’est pareil, on en reste au strict minimum. Comme dans un porno, quoi. Et puis zéro sensualité dans les scènes cochonnes, du bourrin et rien d’autre. Comme dans un porno, quoi. La couverture aussi est digne d’un porno. Et le titre de certaines nouvelles (« Avoir chaud au cul par -10° », « Ma bite en flocon ») ne relève pas le niveau. Les scénarios sont fades à pleurer (comme dans un porno !!!!!!!). Des femmes qui s’ennuient, des femmes qui ont le feu aux fesses, des femmes qui, d’un regard, invitent un inconnu (ou plusieurs) à les culbuter sans ménagement. On tourne les pages en se disant que la chair est triste, on cherche la petite dose d’originalité, le truc qui sort des sentiers battus… puis on tombe sur le texte intitulé « Apocalypse fondue » où une « sperme addict » est recouverte par des hectolitres de semence de yéti et on se dit que l’originalité, finalement, ça n’a pas toujours du bon.

Chaque histoire, rédigée sous pseudo, a un auteur différent. Un point commun quand même, c’est que toutes sont très mal écrites, avec un art de la formule pas forcément de bon aloi. Exemples : « Il me dit ça en me regardant droit dans les yeux. Son regard perçant de mâle dominant fait immédiatement se dresser mes poils dans mon slip. » ; « Il me bourre, me remplit, je me sens prise et pleine de lui. […] Je ne me reconnais plus. Fous-moi-la profond ! râlé-je. » ; « Avec Louis, elle était satisfaite en permanence, nourrie sous la bite comme un veau sous la mère. » Que dire de plus sinon que certains textes n’ont à l’évidence pas subi la moindre relecture avant publication, sinon on ne retrouverait pas la même phrase, dans le même paragraphe, à trois lignes d’intervalle.

Rien à sauver, donc. Nul, nul, nul. Et ce sera mon dernier mot.

Osez… 20 histoires de sexe aux sports d’hiver. La Musardine, 2014. 252 pages. 8,20 euros.

L'avis d'Hélène









vendredi 2 janvier 2015

Bienvenue à Mariposa - Stephen Leacock

1912. Stephen Leacock  narre la vie quotidienne d’une ville fictive de l’Ontario à travers quelques-uns de ses habitants. De chapitre en chapitre, le lecteur part à la rencontre de l’hôtelier roublard Mr Smith, du barbier boursicoteur Jefferson Thorpe, du révérend Drone, incapable de faire face à la dette engendrée par la construction d’une nouvelle église, ou encore de Peter Pupkin, guichetier de la banque de Mariposa dont la romance avec Zena, fille du juge Pepperleigh, alimenta bien des chroniques. Mais Leacock nous raconte aussi un naufrage qui aurait pu être tragique, un hold-up qui n’en était pas vraiment un et des élections locales mémorables.

Le propos est léger, un poil sarcastique tout en restant pétri de bienveillance. Dans la postface, l’illustrateur Seth résume parfaitement l’esprit de cet ouvrage devenu un grand classique populaire de la littérature canadienne anglophone : « Ces textes ne sont pas purement comiques, ni franchement satiriques. Pas juste méchants non plus : il y a trop d’amour dedans pour cela, et cependant pas assez pour être vraiment compassionnels. Leacock aime bien les gens de Mariposa, mais cela ne l’empêche pas de les regarder de haut. Il ne se gêne pas pour pointer leurs défauts. »

L’auteur se moque gentiment des petites villes de Province mais on le sent aussi sous le charme de cette vie simple. Souvent proche de l’absurde, il fait d’événements banals une odyssée et joue de quiproquos pour déclencher le sourire. Ses autochtones sont tantôt pragmatiques, tantôt rêveurs, ils retournent leur veste à la moindre occasion, disent tout et son contraire lorsqu’il est question de politique, mais ils savent aussi se montrer solidaires et très impliqués dans la vie de leur communauté.

 Une lecture vraiment agréable, qui coule toute seule. J’ai beaucoup aimé me promener dans les rues de Mariposa. Et que dire de l’ouvrage lui-même, superbe objet-livre à la jaquette dorée, à l’épais cartonnage et au texte richement illustré. Une édition de prestige particulièrement soignée.


Bienvenue à Mariposa de Stephen Leacock (ill. de Seth). Wombat, 2014. 260 pages. 29,00 euros.


L'avis de Choco