mercredi 31 octobre 2018

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 - Gosccinny et Tabary

Je suis bien trop jeune pour avoir connu Valentin le vagabond au moment de sa création en 1962 (ben oui, quand même!) mais je me rappelle l'avoir découvert dans les vieux magazines Pilote de mon père quand j'avais une douzaine d'années (il n'y a donc pas si longtemps que ça^^). Quoi qu'il en soit, c'est un plaisir de le retrouver aujourd'hui dans le premier tome de cette intégrale qui en comptera au total deux.

Valentin est une création de Jean Tabary et René Goscinny. D'emblée, ce dernier précise à son dessinateur que « Valentin doit plutôt être du genre Charlot que clodo sous les ponts ». Le ton est donné, Valentin sera un vagabond naïf, épris de liberté, rêveur et poète à ses heures. Un vagabond qui ne se plaint pas de son sort et aime les arbres, les fleurs et le grand air. Un vagabond qui va où ses pas le mènent, nez au vent, son baluchon sur l'épaule, le port altier et les poches trouées. Le personnage est sympathique en diable mais il a la sale habitude de se fourrer dans des situations difficiles. Goscinny ne scénarisera que quatre mini-récits, Tabary prenant sa suite pour commettre en tout sept albums, publiés entre 1973 et 1977.

Bien sûr, c'est de la BD à l'ancienne qu'il faut lire en gardant en tête le contexte de l'époque mais contrairement à bien d'autres personnages, Valentin a plutôt bien vieilli. L'humour porte la marque de Goscinny, même dans les histoires qu'il n'a pas lui-même scénarisées. Quiproquos, comique de situation et de répétition, méchants toujours crétins qui finissent par boire le calice jusqu'à la lie, les « marqueurs » propres au papa d'Astérix se reconnaissent au premier coup d’œil. Il y a en plus chez Valentin une présence récurrentes des forces de l'ordre, toujours tournées en dérision. Le gendarme est dans chaque récit un benêt au QI de tasse à café dont la bêtise n'a d'égale que l'incompétence.

Valentin, c'est du franco-belge old school comme j'aime, un personnage injustement méconnu qui trouve dans cette réédition l'occasion de revenir sur le devant de la scène. L'intégrale est en plus somptueuse, regorgeant d'infos et d'anecdotes avec, cerise sur le gâteau, une histoire de 28 pages  inédite en album. Le second tome est prévu pour le 14 février 2019. Si, pour une fois, ma femme souhaite me faire un cadeau de Saint Valentin, il est tout trouvé ! 

Valentin le vagabond, l'intégrale volume 1 de Gosccinny et Tabary. Imav éditions, 2018. 250 pages. 29,90 euros. 






mardi 30 octobre 2018

Dans la gueule du Loup - Michael Morpurgo et Barroux

Au crépuscule de sa vie, Francis Cammaerts se souvient. De sa jeunesse en Angleterre, de la seconde guerre mondiale à laquelle il n'a pas voulu prendre part par conviction pacifiste et qu'il a fini par vivre au sein de la résistance française après la mort de son frère aviateur abattu par l'armée allemande. Une période sombre passée à fuir, à se cacher, à coordonner les actions de sabotage. Le jour des 90 ans il repense aux années de clandestinité, aux rencontres inoubliables, aux camarades arrêtés et fusillés, aux combats menés dans l'ombre, la peur au ventre, jusqu'à la libération.

Francis Cammaerts a vraiment existé, c'est un oncle de Michael Morpurgo. Ce dernier donne l'impression de se glisser dans la peau de son aïeul avec une certaine forme de retenue. On ne bascule pas dans un torrent d'émotion malgré l'emploi récurrent de la première personne. Le récit des événements peut paraître uniquement factuel mais il gagne en force en refusant de jouer sur la corde sensible. Surtout, la voix de Francis s'attarde moins sur son propre cas que sur ceux de ses proches, de Pieter le frère adoré à Nancy, sa femme aimante, en passant par son père, philosophe anarchiste lui ayant enseigné très tôt les vertus du pacifisme. 

Son rôle de résistant, sans être minimisé, ne donne pas dans l'héroïsme. Là encore le narrateur préfère s'attarder sur ses camarades de lutte qui, à ses yeux du moins, méritent bien plus d'éloges et de gloire que lui. Le texte montre également la difficulté de concilier ses convictions d'homme de paix avec sa volonté de venger la mémoire de son frère et la certitude que l'inaction ne peut que servir les intérêts de l'ennemi.

Superbement illustré par l'excellent Barroux, Dans la gueule du loup est un roman jeunesse porteur de valeurs d'amitiés et de solidarité doublé d'une belle déclaration d'amour aux femmes engagées dans la résistance. Un texte par ailleurs plein de respect et d'admiration pour Francis Cammaerts qui a néanmoins l'intelligence de ne pas tomber dans l'hagiographie.

Dans la gueule du Loup de Michael Morpurgo et Barroux (traduit de l'anglais par Diane Ménard). Gallimard jeunesse, 2018. 176 pages. 14,50 euros. A partir de 10 ans.










vendredi 26 octobre 2018

Sakari traverse les nuages - Jan Costin Wagner

J’ai voulu tenter le polar allemand, j’aurais dû m’abstenir. En fait ce polar est comme un épisode de l’inspecteur Derrick : il ne se passe rien, les dialogues sont soporifiques, les personnages sonnent creux, on dirait qu’ils s’ennuient autant que nous. Une scène avec des gens coincés dans une maison en feu est aussi excitante qu’une tranche de foie de veau grésillant dans une poêle à frire, une autre où un flic tue à bout portant un jeune homme nu dans une fontaine laisse l’encéphalogramme du lecteur totalement plat. Vous voyez le genre, quoi…

L’intrigue est vraiment mollassonne, elle s’ouvre sur le meurtre perpétré par le flic (légitime défense, évidemment) et s’enchaîne avec l’enquête menée sur la victime et ses proches. Il en ressort que le gamin était dérangé (tu m’étonnes) et qu’un sombre drame de voisinage serait la cause de tous ses maux. Les chapitres s’attardent l’un après l’autre sur un personnage différent, c’est le seul vrai point positif car cette construction du récit donne un peu de rythme et évite l’essoufflement complet.

Je ne vais pas en rajouter des tonnes, ce n’est clairement pas un roman pour moi. Trop psychologique, pas assez descriptif, pas assez réaliste, je n’y ai pas cru une seconde en fait. Seul point positif, j’ai pu grâce à lui m’endormir chaque soir sans somnifère pendant une petite semaine, je dois au moins lui reconnaître cette qualité.

Sakari traverse les nuages de Jan Costin Wagner (traduit de l’allemand par Marie-Claude Auger). Actes Sud / Jacqueline Chambon, 2018. 250 pages. 22,00 euros.





mercredi 24 octobre 2018

La Croisade des Innocents - Chloé Cruchaudet

Fuyant son foyer pour éviter le courroux paternel, Colas trouve refuge dans une sinistre taverne où il est employé à des tâches ingrates avec d'autres enfants. Après avoir découvert sous la glace d'un étang un visage qu'il prend pour celui de Jésus, le jeune garçon s'imagine investi d'une mission divine et il convainc ses camarades de le suivre jusqu'à Jérusalem pour délivrer le tombeau du Christ. Commence alors un périple de plusieurs mois où la caravane des enfants gueux, ne cessant de grossir au fil de ses étapes, va devoir affronter mille défis pour poursuivre sa route.

L'innocence ne dure qu'un temps, voilà sans doute la morale à retenir de cette fable cruelle concoctée de main de maître par une Chloé Cruchaudet au sommet de son art. S'inspirant d'une histoire vraie datant de 1212, elle propose ici un roman graphique initiatique puissant, porté par un sens du récit d'une grande maîtrise et un trait nerveux, sans fioriture, laissant les décors à leur strict minimum pour concentrer son attention sur les mimiques des personnages. Le jeu des couleurs, nuances de marron, gris, bleu et violet ne laisse passer que peu de lumière et renforce l'ambiance crépusculaire qui traverse tout l'album.

La croisade de ces miséreux avance au gré des obstacles rencontrés sur des chemins aussi tortueux que les esprits du Moyen-âge. Le froid, la faim, la promiscuité, l'altruisme, la solidarité et la débrouillardise forment un mélange détonnant, oscillant entre réalisme cradingue, mélancolie, douceur et poésie. L'évolution des relations entre les enfants à l'intérieur du groupe est fascinante et n'est pas sans rappeler par moment l'esprit du terrible « Sa majesté des mouches ».

La conclusion, empreinte de pessimisme et d'une douloureuse lucidité, signe la fin de l'insouciance et plonge les âmes pures dans ce que l'humanité peut révéler de plus impitoyable. Un roman graphique magistral !






mardi 23 octobre 2018

Jefferson de Jean-Claude Mourlevat

A quoi ça tient une vie paisible ? A un rendez-vous chez le coiffeur qui tourne à l’accusation de meurtre par exemple. C’est la terrible mésaventure que va connaître le hérisson Jefferson au cours d’une belle matinée d’automne. Trouvant la porte du salon close mais distinguant derrière les rideaux une chèvre assoupie sous son casque à permanente, Jefferson décide de passer par une fenêtre ouverte. Une fois à l’intérieur, il découvre le corps du coiffeur sur le sol de la boutique, des ciseaux enfoncés dans la poitrine. Formellement identifié par la chèvre comme le meurtrier, le hérisson s’enfuit. Aidé par son ami Gilbert, le placide animal va devoir se faire violence pour prouver son innocence en se lançant dans une enquête dont il ne soupçonne pas la dangerosité.

Pauvre petit Jefferson ! Embarqué malgré lui dans une histoire qui le dépasse, sa naïveté et sa maladresse sont aussi touchantes que sa détermination. Jean-Claude Mourlevat ne se contente pas d’un polar animalier mignon et sans enjeu. A travers les malheurs de Jefferson il aborde la question du droit des animaux et de leur rapport aux humains. Sa prise de position est claire mais son apologie de la cause animale se fait en finesse, avec le talent de conteur qui le caractérise, associant une touche de romance à un zeste d’humour et une énorme dose d’entraide à une grosse pincée d’amitié.

Autant d’ingrédients qui, au-delà du message engagé, permettront aux jeunes lecteurs de passer un excellent moment en compagnie de Jefferson et de ses acolytes à poils et à plumes. Un régal de roman jeunesse, parfait pour les vacances qui s’annoncent.

Jefferson de Jean-Claude Mourlevat. Gallimard jeunesse, 2018. 264 pages. 13,50 euros. A partir de 10 ans.












vendredi 19 octobre 2018

Nirliit - Juliana Léveillé-Trudel

« Le Nord est dur pour le cœur. Le Nord est un enfant balloté d’une famille d’accueil à une autre, le Nord ne veut pas être rejeté de nouveau, le Nord te fait la vie impossible jusqu’à ce que ton cœur n’en puisse plus et que tu le quittes avant d’exploser, et il pourra te dire : voilà, je le savais, tu m’abandonnes. Parce qu’on vous abandonne tout le temps, on a fait de vous des parenthèses à l’infini, des aventures que l’on vient vivre pour un temps avant de retrouver nos vies rangées du Sud ou repartir vers de nouvelles expériences qui nous semblent maintenant plus alléchantes que votre exotisme du Nord. »

La narratrice sait de quoi elle parle. Venant régulièrement du Sud jusqu’à Salluit, village du grand nord canadien « roulé en boule au pied des montagnes », cette missionnaire-aventurière passe ses journées au grand air à s’occuper des enfants des rues et à constater l’état de délabrement avancé des infrastructures et des âmes. Quand l’hiver s’annonce, elle repart vers Montréal, consciente de laisser les autochtones à leurs conditions de vie difficilement supportables.

Elle s’adresse à Eva, l’amie disparue dont on n’a jamais retrouvé le corps. A Eva la « locale », qui connaissait parfaitement la situation, elle dresse le portrait sans concession d’une jeunesse perdue, d’adultes irresponsables, de familles en totale décomposition, de filles dont la beauté se fane au fil des saisons, d’enfants qu’elle « quitte heureux et libres à la fin de l’été pour les retrouver démolis et perdus l’année suivante, sans arriver à comprendre ce qui se passe entre dix et onze ans dans ce village du bout du monde. »

Il y a l’alcool, la malbouffe, la violence endémique, les cancers, les dépressions et les suicides, la natalité galopante, la rudesse du climat. Il y a les ouvriers blancs venus pour quelques mois avec lesquels on fricote en rêvant d’un avenir meilleur alors que pour eux la femme inuite n’est qu’une parenthèse refermée le jour où ils montent dans l’avion du retour.

Malgré les apparences il n’y a rien de misérabiliste dans les réflexions de la narratrice. Aucun jugement non plus, simplement un constat amer et désabusé doublé d’un regard lucide porté sur son propre statut : « nous sommes les nouveaux missionnaires blancs. Nous prêchons la bonne hygiène de vie. Ne fumez pas, ne prenez pas de drogue, ne mangez pas de fast-food, consommez plus de fruits et de légumes, dormez huit heures par nuit, […] utilisez un moyen de contraception lors de vos rapports sexuels, […] vaccinez les enfants et stérilisez les chiens. Vous devez nous trouver tellement fatigants. »

J’ai adoré ce texte elliptique où chaque chapitre tient en quelques paragraphes. Je l’ai lu comme une succession de micro-nouvelles formant un tout cohérent, même si les deux parties le constituant sont très différentes. J’ai d’ailleurs trouvé la seconde partie moins percutante que la première mais au final je suis resté sous le charme d’une écriture magnifique, rude, âpre, sincère, crue, poétique, à l’image de ce bout du monde d’une fascinante complexité.

Niirlit de Juliana Léveillé-Trudel. La peuplade, 2018. 175 pages. 18,00 euros.





mardi 16 octobre 2018

Tranquille comme Baptiste - Yaël Hassan

Baptiste est un solitaire, un rêveur incapable de se défendre dans la cour du collège. Un gamin calme, élevé par sa mère et sa grand-mère, qui passe le plus clair de son temps à lire dans l’atelier de Barnabé, son vieux voisin bricoleur. Mais le jour ou débarque Clara, qui prétend être la petite-fille de Barnabé, Baptiste se doute que les choses vont changer. Parce que du haut de ses douze ans, Clara traîne derrière elle un passé mouvementé. Sans filtre, impulsive, jurant comme un charretier, cette  incontrôlable tornade risque bien de faire voler en éclat le quotidien tranquille du pauvre garçon.

Un roman jeunesse sans prétention qui joue sur le registre de la bienveillance. Un texte plein de bons sentiments ou tout semble parfois trop beau pour être vrai mais on a envie d’y croire, envie de se persuader que de belles âmes existent, prêtes à tendre la main et à aider leur prochain sans jugement ni arrière-pensée. La différence de registre de langue entre Baptiste et Clara donne lieu à des échanges savoureux et montre à quel point il n’est pas toujours simple de se comprendre quand on ne possède pas le même niveau de vocabulaire.

Comme souvent chez Yaël Hassan les secrets de famille et une relation très forte entre enfants et personnes âgées sont au cœur du récit. Et comme toujours chez Yaël Hassan la tendresse et l’humour finissent par l’emporter sur les coups durs. Un petit livre positif qui fait du bien, il serait dommage de ne pas en profiter !

Tranquille comme Baptiste de Yaël Hassan. Syros, 2018. 175 pages. 6,95 euros. A partir de 10 ans.












mercredi 10 octobre 2018

Sacha et Tomcrouz T2 : La cour du roi

Sacha et Tomcrouz, le retour ! Pour ceux qui ne les connaîtraient pas, Sacha est un enfant surdoué et Tomcrouz le chihuaha qu'il a reçu pour ses dix ans et qu'il a baptisé en hommage à l'idole de sa maman. le problème avec Tomcrouz c'est qu'à chaque fois qu'il éternue sur un objet ancien son maître et lui sont transportés à l'époque de cet objet. Dans leur première aventure une fiole les avait emmenés chez les vikings, ici c'est une cuillère de Louis XIV qui va leur faire découvrir le quotidien de la cour du roi soleil.

Une série jeunesse sympa comme tout, qui allie humour, aventure et informations historico-scientifiques absolument véridiques. C'est ainsi que dans ce tome on découvre le rituel du dîner du roi, la médecine, l'hygiène, les conditions de vie du peuple et quelques anecdotes surprenantes, comme le fait que les gens dormaient assis pour éviter que le diable ne rentre dans leur corps. Il y a même une expérience réalisée par Sacha pour se sortir d'une situation difficile que l'on peut reproduire à la maison. Tous les éléments « instructifs » n'arrivent pas comme des cheveux sur la soupe, ils prennent place naturellement dans le récit sans l'alourdir.

Un second tome plus rythmé, plus palpitant, mieux construit. le dessin de Bastien Quignon, tout en souplesse et en vivacité, illustre parfaitement l'enchaînement des événements et ses superbes illustrations pleine-page offrent des respirations bienvenues au coeur d'une intrigue sans temps mort.

Un voyage dans le temps trépidant et instructif qui ravira à coups sûrs les petits lecteurs férus d'aventure et d'histoire.





mardi 9 octobre 2018

Papa est en bas - Sophie Adriansen

Le papa d'Olivia est arrivé en bas. Au rez-de-chaussée. Avant, sa chambre était à l'étage. Avant, il jouait au foot, il courait, il adorait les balades en forêt, il n'avait pas besoin de tenir la rampe de l'escalier pour monter les marches. Olivia a constaté cette évolution sans trop se poser de questions, au début du moins. Et puis l'évidence lui a sauté aux yeux : son papa avait un problème. du coup elle a demandé des explications à sa mère, qui lui a tout avoué. Une maladie orpheline, dégénérative, inarrêtable. Et un quotidien chamboulé où la famille tente de tenir le cap dans la tempête. Sans nier la réalité, sans faire semblant de croire que tout va s'arranger, mais en essayant de prendre les choses comme elles viennent, sans se plaindre malgré les difficultés et l'inéluctable conclusion qui s'annonce…

Tellement difficile de parler de la maladie dans un roman jeunesse. Surtout d'une maladie incurable dont on connaît d'avance l'issue. le risque est grand de sortir les mouchoirs, de verser des torrents de larmes, de crier à l'injustice. Sophie Adriansen n'a pas choisi ce chemin et c'est tant mieux. Son Olivia est une battante d'une étonnante maturité. Une jeube fille qui ne se voile pas la face mais parvient à faire face, avec pudeur et sans colère. Difficile de trouver le point d'équilibre, de montrer sa fragilité sans misérabilisme ni chercher à la rendre trop forte par rapport à la situation, au risque de la faire passer pour insensible.

Le trio familial est touchant de solidité dans l'adversité, la résignation se fondant dans une forme de sérénité apaisante. Un très beau texte, plein de vie, qui aborde à la fois la question de la maladie et du deuil avec une justesse et une sensibilité bouleversantes.









vendredi 5 octobre 2018

Trois fois la fin du monde - Sophie Divry

Trois fois la fin du monde, comme les trois parties de ce roman étrange, atypique et plein de charme. Joseph Kamal en est le héros, un candide embarqué par son frère dans un braquage qui tourne mal. Emprisonné, Joseph découvre les horreurs de l’univers carcéral jusqu’au jour où une catastrophe nucléaire lui ouvre les portes de la liberté. Errant seul dans un monde déserté par ses congénères, il trouve refuge dans une ferme au fond des bois dont il va faire son domaine, avec un chat et un mouton pour seuls compagnons.
La première partie, « Le prisonnier », est étouffante. La seconde, « la catastrophe », le libère de ses chaînes. Et la troisième, de loin la plus longue, déplie son quotidien d’ermite, les avantages et les inconvénients d’une existence solitaire où la quête de nourriture et l’entretien du logis deviennent les uniques et indispensables (pré)occupations. 

Rien de révolutionnaire sur le fond dans cette fiction survivaliste lorgnant du coté de Robinson Crusoé mais sur la forme, Sophie Divry étonne. J’avais gardé d’elle le souvenir d’une écriture enlevée, drôle, débridée, et d’une narration un poil foutraque. Je la retrouve ici avec une intrigue extrêmement construite d’un surprenant classicisme et un style beaucoup plus académique malgré le mélange des points de vue (première et troisième personne) et l’utilisation de divers registres de langue.

La solitude est pour Joseph une renaissance, une occasion de remettre les compteurs à zéro, de se reconstruire. Et même si le désir de « l’autre » est présent, le dégoût de la nature humaine pousse notre Robinson à se persuader qu’il vaut définitivement mieux vivre seul que mal accompagné. Au final, c’est un vrai plaisir de partager ses questionnements sur son isolement et de traverser avec lui les épreuves et les saisons.

Trois fois la fin du monde de Sophie Divry. Notabilia, 2018. 235 pages. 16,00 euros.




mercredi 3 octobre 2018

Un automne à Beyrouth - Lisa Mandel

Invitée par une ONG au Liban pour faire un reportage dans un camp de réfugiés syriens à l’automne 2017, Lisa Mandel va y rester trois mois et tenir sur son blog le carnet de bord de son périple. Histoire, géopolitique, condition féminine, place de la communauté gay, classe dirigeante exploitant ses domestiques comme des esclaves, les sujets montrent à quel point le Liban est un pays aussi fascinant que compliqué.

L’air de rien je commence à être calé niveau carnet de voyage en BD. De Florent Chavouet à Julie Blanchin Fujita en passant par Emmanuel Lepage, Maïté Verjux, Benjamin Flao, Troubs ou Simon Hureau, j’en ai parcouru des kilomètres autour du monde. Si je devais classer celui-ci, je ne le mettrais malheureusement pas en haut de la pile, loin s’en faut. A vrai dire rien ne m’a plu dans cet album regroupant des pages prépubliées sur le site du Monde.

Trop autocentré, survolant les sujets, anecdotique, bavard… le propos n’a rien de passionnant. Quelques traits d’humour et d’autodérision font sourire mais je dois dire que deux jours après ma lecture il ne m’en reste pas grand-chose. J’aime beaucoup ce que fait Lisa Mandel pourtant, son travail de coéditrice de la collection Sociorama par exemple est remarquable (je vous conseille d’ailleurs chaudement sa Fabrique pornographique) mais là, rien à faire, je n’ai pas accroché du début à la fin.

Il faut dire que graphiquement, le dépaysement n’est pas garanti. Le dessin tient plus du crayonné brouillon que du croquis léché et l’absence de décor pose quand même un vrai problème dans un carnet de voyage ! La forme en elle-même, idéale pour une publication sur un blog, perd de son attrait et de sa force dans un ouvrage papier. Le manque de liant saute aux yeux, on a trop souvent l’impression de passer du coq à l’âne, ou même de trouver des passages hors sujet. Que vient faire par exemple un chapitre entier sur le salon du livre de Francfort dans un carnet de voyage au Liban ? Surtout quand ce chapitre se résume à une quête de téléphone portable oublié au restaurant.

Bref, cet automne à Beyrouth ne me laissera pas un souvenir impérissable, voire pas de souvenir du tout, ce qui est encore pire. Je constate une fois de plus que le passage de dessins de blog au format papier est rarement une bonne idée et que le résultat est encore plus rarement convaincant. Dommage.

Un automne à Beyrouth de Lisa Mandel. Delcourt, 2018. 112 pages.

mardi 2 octobre 2018

Ce soir je le fais / Ce soir je le quitte - Cathy Ytak


C’est une soirée entre ados comme tant d’autres. L’alcool, la musique, les hormones en surchauffe. Simon se prépare à y aller avec soin, persuadé qu’il va y connaître sa première fois avec la jolie Méline. Emma, sa meilleure amie et l’hôte du jour, pense elle aussi qu’il va atteindre son but. D’ailleurs elle a changé les draps de la chambre d’amis pour que les tourtereaux se sentent comme chez eux. Pour Emma, la fête a également son importance. Ce soir elle est décidée à quitter Loïc. Entre eux il n’y a que le sexe qui compte. Et sans les sentiments, la jeune fille sait que cette relation ne la mènera nulle part. Il lui faut juste trouver le bon moment. Et espérer que Loïc va bien prendre la chose…

Je suis toujours bluffé par la facilité avec laquelle Cathy Ytak parvient à se mettre dans la peau des ados. Et dans leur tête surtout. Elle dit l’intime avec une justesse et une pudeur qui forcent l’admiration. Sans langue de bois, elle pousse Simon et Emma dans leurs retranchements, soulève des interrogations existentielles typiques de cet âge où l’on tâtonne, où l’on se cherche, où l’on expérimente, entre petites défaites et grandes victoires, l’incertitude chevillée au corps. Ainsi Emma, consciente que Loïc est son premier mec, se demande si c’est le bon : « Qui c’est qui va me dire : arrête-toi là, t’auras pas mieux ? Et si c’était mieux ailleurs ? Qu’est-ce que j’en sais ? Rien. »

Le récit fonctionne en miroir dans une sorte de recto-verso où Simon et Emma prennent tour à tour la parole pour raconter leur soirée. Certains événements sont vécus en commun et même si les points de vue diffèrent, la chute les réunit et boucle magistralement la boucle. Un superbe texte, qui prouve s’il en était encore besoin que les élans du corps ne sont pas forcément ceux du cœur.

Ce soir je le fais / Ce soir je le quitte de Cathy Ytak. Rouergue, 2018. 65 pages. 8,50 euros.