lundi 31 janvier 2011

American Falls

Un enfant invité à une fête d’anniversaire va se mettre tous les participants à dos. Une jeune mexicaine est tuée par un junkie. Un serial killer rentre dans sa chambre crasseuse après avoir commis l’irréparable. Un ado tombe amoureux de sa baby-sitter et fugue avec elle avant de commettre un hold-up. Des culs-terreux du fin fond du Mississipi s’entretuent dans un road house un soir de concert. Voila juste quelques exemples de nouvelles contenues dans ce recueil de Barry Gifford. Il y en a bien d’autres, à l’ambiance totalement différentes : certaines se déroulent en Tunisie, en Egypte, en France, en Italie… Mais les plus pertinentes sont celles qui radiographient le déclin de l’Empire américain.

Barry Gifford est l’auteur culte de Sailor et Lula. C’est lorsqu’il se transforme en chroniqueur des maux de son pays que son œuvre prend une dimension époustouflante. Le problème de ce recueil c’est qu’il y a trop de différences entre les textes. A tel point que l’on se demande si l’on n’est pas dans un ouvrage collectif tant l’ensemble apparaît hétéroclite. Tout cela ressemble à du collage d’éléments tellement disparates qu’il est difficile d’y déceler un quelconque fil conducteur. Autre point important, le fait que Gifford aime faire basculer ces textes dans les toutes dernières phrases. Un peu comme un peintre qui, après s’être consciencieusement appliqué sur sa toile, la déchire à coup de cutter.

Un recueil étrange donc, un peu bancal. Néanmoins, je suis content d’avoir découvert un auteur américain d’importance qui porte un regard acéré sur la décrépitude de la nation américaine. Pour finir et vous donner un aperçu du contenu, je vous mets ce petit extrait qui est en fait la quatrième de couverture. C’est d’ailleurs suite à la lecture de ce texte que je me suis décidé à acheter le livre, même si au final, ce n’est qu’une infime facette du recueil et de sa très grande variété.

« Tico Mariposa emmena Cookie Cruz dans sa chambre, au-dessus du bar Buena Suerte, au coin des avenues 16 de Septiembre et Pancho Villa. Fatiguée après sa journée de travail, Cookie n'était pas pressée d'aller préparer le dîner pour sa mère; alors, elle accepta le shoot qu'il lui proposa. A un moment, elle tomba dans les pommes ; quand elle se réveilla, Tico était en train de la violer. Elle se mit à crier si fort qu'il lui flanqua son poing droit dans la mâchoire. Elle saignait et pleurait ; Tico la retourna pour essayer de la lui coller dans le cul.

Cookie se traîna à quatre pattes, saisit une petite lampe sans abat-jour et la balança derrière elle, dans la figure de Tico ; l'ampoule vola en éclats. Tico lâcha Cookie ; elle se releva d'un bond mais, trop étourdie par la drogue pour tenir sur ses pieds, elle retomba et le regarda. [...] Tico se redressa sur les genoux, enleva lentement les morceaux de verre de sa figure. Puis il tendit le bras et saisit un pistolet qu'il pointa sur elle. »

Extrait de « Deux récits de frontière ».

American Falls, de Barry Gifford, 13e note éditions, 2009. 240 pages. 19,00 euros.

L’info en plus : Les éditions 13e note ont publié en septembre 2010 un roman de Gifford intitulé Une éducation américaine. L’histoire, à Chicago dans les années 1950-1960, de Roy, enfant de parents divorcés qui s'entend mal avec ses beaux-parents successifs et mène, très jeune, une double existence : celle d'un écolier sage, et celle d'un jeune adulte travaillant le samedi pour gagner un peu d'argent de poche et aider sa mère.



mercredi 26 janvier 2011

Coeur de glace

Le carrosse dans lequel se trouve la petite Gerda est attaqué sur un chemin de campagne par des ogres. Avant d’être dévorée par ces derniers, elle se lie d’amitié avec une enfant ogresse et lui raconte son histoire. Depuis des années, Gerda est sur les routes à la recherche de son ami Kay. Celui-ci a un jour été enlevé par la Reine des Glaces et depuis, Gerda se dirige vers le nord car elle pense que c’est là-bas que se trouve le palais de la Reine. Avant d’atterrir chez les ogres, elle a dû s’enfuir du jardin d’une vieille sorcière qui voulait la transformer en plante et elle a involontairement détruit le château d’une princesse qui était en réalité un horrible monstre. Lorsque son amie ogresse la relâche, Gerda peut enfin accomplir sa quête et retrouver Kay. Mais le garçon est-il toujours celui dont elle rêve ?

Marie Pommepuy et Patrick Pion ont choisi de s’attaquer à l’un des plus célèbres contes d’Andersen pour mieux le dynamiter. Des sept parties originelles de La Reine des neiges, les auteurs n’ont gardé que les épisodes pouvant être clairement mis en images : l’attaque des brigands, l’enlèvement de Kay, la sorcière du jardin, la princesse tyrannique… Mais si Andersen proposait un conte somme toute assez classique avec des méchants finalement assez bienveillants, Pommepuy et Pion donnent une vision macabre, étrange et sombre en écartant ce qu’ils considèrent être des bondieuseries inutiles : diable, anges, cantiques, prières… Leur version très librement adaptée se révèle effrayante et la fin, pleine d’amertume face à la réalité des choses, ne laisse aucune place à l’optimisme. Disons que la maxime finale de cet anti-conte de fées pourrait être : « Ils ne vécurent pas heureux et n’eurent jamais aucun enfant. »

Patrick Pion a jusqu’alors publié des séries où l’influence graphique était à chercher du coté des comics (Megaron ou Chrome). Il change ici totalement de registre pour proposer des planches dans un style « gravures d’avant la BD », entre vieux livres illustrés et images d’Epinal. Des couleurs plutôt ternes, une ambiance angoissante et torturée que certains pourront qualifier de gothique. Le coté pesant des épreuves que doit subir Gerda est en tout cas parfaitement rendu. Une histoire sombre, très sombre, voila ce qui se cache derrière ce Cœur de glace

Une adaptation très moderne et très personnelle dont certains aspects pourront déranger plus d’un lecteur. A ne pas mettre entre toutes les mains donc, et surtout pas celles des enfants.

Cœur de glace, de Marie Pommepuy et Patrick Pion, Dargaud 2011. 70 pages. 14.95 euros.





L’info en plus : Marie Pommepuy est plus connue sous le pseudonyme de Kerascoët, signature qu’elle utilise pour les projets menés à quatre mains avec son compagnon Sébastien Cosset. Leur série Miss pas Touche a notamment été récompensée en 2007 par le prix Jeune talent de la BD décerné par les magasins Virgin. Le second tome a quant à lui fait partie des 20 indispensables de l’année 2007 sélectionnés par les membres de l’ACBD (Association des Critiques et journalistes de Bande dessinée).





La BD du mercredi, c'est chez Mango


Le challenge Pal sèche de Mo'

Ma 1ère contribution au challenge Women BD de Theoma


lundi 24 janvier 2011

Le trottoir au soleil

Le bonheur de faire son marché le dimanche matin. Et cette sieste que l’on s’autorise en semaine au milieu de l’après-midi alors que les autres sont en plein boulot. Sans oublier le petit tour chez le brocanteur, les chaises du jardin du Luxembourg ou bien encore ce repas en terrasse, un soir d’été, dans une station balnéaire vendéenne…

Entre apologie de l’oisiveté, joie simple de la contemplation, déambulations tranquilles et réflexions générales sur l’ordre des choses, Philippe Delerm distille avec délectation ces plaisirs minuscules qu’il affectionne. Autant d’instantanés où le décor est planté en quelques mots. Bien souvent c’est une question d’ambiance, de ressenti ou alors un simple flash back sur des moments délicieux.

Le trottoir au soleil, c’est du Delerm pur jus. L’auteur de La dernière gorgée de bière va là où on l’attend. Les fans seront comblés et ses détracteurs ne risquent pas de changer d’avis sur son compte. Bien sûr, c’est assez inégal, mais la déception de tomber sur quelques lignes un peu fades ne dure jamais longtemps. L’intérêt de l’exercice, pour le lecteur, c’est que si un texte ne nous accroche pas, on peut très vite rebondir sur le suivant. En fait, on ne sait jamais où se cache la pépite, ces deux ou trois pages parfaitement ciselées qui vont nous procurer un rare plaisir. Delerm l’avoue à la fin d’un paragraphe : il se sent dérisoire avec son envie de dire les choses bonnes. Mais cette vision par trop optimiste ou sereine de l’existence fait aussi parfois du bien dans notre quotidien on ne peut plus anxiogène.

Un livre à déguster à petite dose qu’il serait malvenu de dévorer d’une traite. Ce modeste recueil demande une lecture morcelée : dix ou vingt pages et on le referme pour y revenir quelques heures ou quelques jours plus tard. Mon texte préféré ? On n’est pas invité, une réflexion féroce sur ces cérémonies de mariage où les familles des futurs époux se regardent en chiens de faïence. Bénabar en ferait surement une belle chanson !

Le trottoir au soleil, de Philippe Delerm, Gallimard, 2011. 178 pages. 14.90 euros.

L’info en plus : Le même jour que Le trottoir au soleil est sorti en poche (Folio) le précédent roman de Philippe Delerm, intitulé Quelque chose en lui de Bartleby. C’est l’histoire d’Arnold Spitzweg, un employé de la Poste qui créé un jour un blog sur lequel, à contre-courant du discours ambiant, il fait l'éloge de la lenteur. A sa grande surprise, ses écrits intimes séduisent des milliers d'internautes, ce qui le confronte à une subite et inattendue notoriété.

vendredi 21 janvier 2011

Krotokus 1er, Roi des Animaux

Au royaume de Croland, le lion Krotokus 1er règne en tyran absolu. Aidé de sa garde personnelle et de son conseiller le chimpanzé Shita, il terrorise ses sujets, passant son temps à dormir et à se goinfrer dans son Château d’Os. Mais depuis peu, le peuple gronde. Il réclame l’application de la loi : si le roi ne se trouve pas un héritier avant la 13ème lune, il faudra organiser des élections. Pour éviter de perdre son trône, Krotokus a besoin que son fils Pupus se marie au plus vite afin de devenir l’héritier. Le problème, c’est que Pupus, depuis sa naissance, ne s’intéresse qu’aux garçons et passe son temps à jouer avec ses copains guépards.

Shita imagine un mariage blanc entre Pupus et une princesse papillon du pays des Danaïdes. Ainsi, le peuple verra dans le jeune lion son nouveau roi alors qu’il ne sera en fait qu’une marionnette manipulée par son père, ce dernier gardant le royaume entre ses pattes de fer. Le plan semble parfait, mais c’est sans compter sur les hyènes rebelles qui, pour éviter que le mariage puisse avoir lieu, enlèvent la princesse papillon…

Caryl Férey se lance avec Krotokus dans une énorme farce, enchaînant péripéties improbables et aventures trépidantes. Surtout, il dresse une galerie de personnages tous plus truculents les uns que les autres : Krotokus le tyran ridicule, Shita le conseiller sournois, le rusé Renard, l’efféminé Pupus, la naïve princesse papillon et sa servante la vache pâquerette… On a rarement vu un tel casting, même dans les fables de La Fontaine.

L’autre intérêt majeur réside dans le fait que le texte possède plusieurs niveaux de lecture. Pour les enfants, l’humour, l’aventure et la destitution finale du tyran seront les points marquants. Les plus grands verront quant à eux dans l’enchaînement des événements des clins d’œil à l’histoire et même à l’actualité récente : mainmise des patrons sur les salariés (sur l’île des éléphants), protectionnisme exacerbé et lutte contre l’immigration (sur l’île aux vieux) ou encore la recherche de légitimité des régimes dictatoriaux à travers le développement du tourisme (sur l’île de Komodo). Bref, Krotokus est une vraie fable, jubilatoire et fort bien menée, même si la fin apparaîtra peut-être trop simpliste aux adultes. A conseiller en tout cas à ceux qui veulent passer un bon moment de lecture avec une œuvre de littérature jeunesse que l’on pourra partager en famille entre plusieurs générations.

Krotokus 1er, roi des animaux, de Caryl Férey, Pocket Jeunesse, 2010. 219 pages. 14.90 euros. A partir de 9 ans.

L’info en plus : Caryl Férey est aussi et surtout un auteur de polars pour adultes dont le dernier roman, Zulu, a collectionné les récompenses : Prix Nouvel Obs et BibliObs du roman noir 2009 ; Grand prix des lectrices de Elle 2009 (policier) ; Prix Jean Amila 2009 ; Grand prix de littérature policière 2008.

mercredi 19 janvier 2011

De briques et de sang

Janvier 1914. Un crime a eu lieu au familistère de Guise, près de Saint Quentin. On a retrouvé le corps d’Aristide Latouche, un ouvrier, égorgé dans les jardins de l’usine. Lorsque que l’on découvre un mois plus tard le cadavre de la veuve Granger dans la piscine, les familistériens commencent à se regarder en chiens de faïence. Qui ose s’en prendre aux membres de la communauté ? Tandis que la police pense rapidement avoir bouclé l’affaire en arrêtant un suspect, le journaliste de l’Humanité Victor Leblanc va mener sa propre enquête, aidé d’une jeune familstérienne prénommée Ada.

Mais au fait, c’est quoi le familistère ? En 1846, Jean-Baptiste Godin, ancien ouvrier devenu ingénieur et ayant fait fortune dans le domaine du chauffage et des appareils ménagers, s’installe à Guise pour fonder une usine qui emploie plus de 300 salariés. En 1859, il lance la construction du Palais Social, un ensemble de bâtiments pour loger les ouvriers. Le complexe comprend, en plus des logements et de l’usine, une école, une pouponnière, des commerces, des jardins et une piscine. Surtout, les habitants du Palais sont propriétaires à titre collectif de l’ensemble du familistère. Les bénéfices dégagés par l’entreprise chaque année sont redistribués aux familistériens ou investis pour améliorer leur cadre de vie. Le projet de Godin, c’est une sorte d’utopie sociale réalisée. En 1914, le familistère compte près de 1500 habitants et, au seuil de la guerre, les tensions sont palpables chez les ouvriers…

Hautière et François rendent hommage à leur région (la Picardie) et à un incroyable projet industriel et social de la fin du 19ème siècle. La vie au familistère est magistralement restituée : la promiscuité, la solidarité qui se lézarde au fil des événements politiques que connaît le pays, la méfiance des familistériens à l’égard du monde extérieur… tout n’était pas rose au sein de cette communauté si particulière. Et plutôt que de se lancer dans une BD purement didactique racontant l’histoire du Palais Social, ils ont préféré mâtiner leur intrigue d’éléments propres au roman policier. Et ce choix fonctionne car les meurtres et l’enquête du journaliste ne sont pas qu’un prétexte pour éviter le coté parfois scolaire du documentaire. Les motivations du tueur se comprennent parfaitement et cette petite histoire dans la Grande est très finement pensée.

Pour les dessins, David François a modélisé tout le site du familistère en 3D grâce à un logiciel spécifique, ce qui lui a permis de respecter les proportions des bâtiments d’une case à l’autre. Les personnages et les détails sont réalisés sur papier puis scannés avant d’être intégrés dans le décor virtuel. C’est à partir de ce premier jet imprimé que l’encrage est effectué de manière traditionnelle avant une colorisation assistée par ordinateur. Cela donne au final une ambiance graphique sombre aux textures grises et un peu sales qui collent parfaitement au paysage industriel du familistère, au ciel bas de la Picardie et à l’époque troublée à laquelle se déroulent les événements.

S’il fallait chercher dans cette BD une quelconque filiation, il faudrait regarder du coté de Maurice Leblanc ou plus surement chez le Rouletabille de Gaston Leroux. Quoi qu’il en soit, voila une belle occasion de découvrir un pan méconnu de notre patrimoine social, à une époque où l’utopie n’était pas encore un vain mot.

De briques et de sang, de Régis Hautière et David François, KTSR, 2010. 146 pages. 16 euros.



L’info en plus : Régis Hautière et David François ont collaboré pour la première fois en 2006. Dans L’étrange affaire des corps sans vie (éditions Paquet), ils mettaient en scène la traque d’un serial killer en 1898 dans une ville de Province. L’ouvrage est aujourd’hui épuisé mais on le trouve encore facilement d’occasion.



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Le challenge Pal sèche de Mo'

lundi 17 janvier 2011

Code 1879

A Londres, suite à une série de meurtres, la police doit faire appel à un généalogiste pour trouver le point commun entre les différentes victimes. Toutes ne se connaissaient pas, toutes sont d’âge et de catégories socioprofessionnelles différentes et toutes n’ont pas été tuées de la même façon, mais on a retrouvé sur chacune d’elle le code 1A137 « tatoué » avec un objet tranchant sur une partie du corps. Or, ce code correspond à ceux utilisés par les services municipaux pour enregistrer les naissances et les décès dans les registres d’état civil. Très vite, le généalogiste se rend compte que le code correspond à celui du certificat de décès d’un certain Albert Beck, poignardé en 1879 au même endroit et le même jour que la première victime du tueur. Apparemment, l’assassin actuel reproduit les meurtres perpétrés par un serial killer londonien de la fin du 19ème siècle. Pendant que la police utilise des méthodes traditionnelles, le généalogiste tente de comprendre le fonctionnement et les mobiles du psychopathe en décortiquant les registres et les archives criminelles du Londres victorien. Une course contre la montre s’engage pour stopper les méfaits du tueur avant que celui-ci achève sa sinistre besogne et ne disparaisse définitivement…

Dan Waddell s’est lancé dans un pari osé en choisissant de faire d’un généalogiste le héros d’une série policière. On pense généralement que la généalogie est un loisir de retraités aux cheveux blancs qui aiment par dessus-tout le silence et la poussière des salles d’archives. Rien de franchement glamour ni de trépidant. Et pourtant, son héros, Nigel Barnes, vous happe littéralement lorsqu’il se lance avec gourmandise sur les traces du tueur en dépouillant les registres d’états civils et les journaux du 19ème siècle. Son imparable méthode, la façon dont l’enquête évolue au fil des découvertes généalogiques et le suspens insoutenable des cinquante dernières pages où tout se joue en fonction du résultat de ses recherches… Il y a là de quoi embarquer le lecteur le plus réticent.

Oh, il y a bien quelques écueils. Déjà, l’écriture (ou la traduction) n’est pas exceptionnelle. C’est correct, sans plus. Ensuite, on peut se demander pourquoi, alors que le compte à rebours avant le dernier meurtre est enclenché, la police ne fait pas appel à d’autres généalogistes pour accélérer les recherches historiques. Enfin, la figure de l’inspecteur chargé de mener l’enquête réunit tous les clichés du genre : un flic bourru et solitaire au passé chargé qui passe son temps libre à boire du vin, on a déjà fait plus original. Mais ces quelques points faibles sont balayés d’un revers de la main lorsque l’on est plongé dans cet implacable mécano où les pièces se mettent en place les unes après les autres avant l’apothéose finale.

Il est injuste de constater qu’un polar d’une telle qualité soit passé complètement inaperçu au moment de sa sortie au mois d’octobre. Sans doute un problème de calendrier. C’est typiquement le genre d’ouvrage à déguster sur la plage en plein été. En tout cas je vous aurais prévenu. On à affaire ici à du très bon dans le genre. Et puis si vous êtes fan de la série télé Cold Case, dites-vous bien que ce Code 1879 est fait pour vous !

Code 1879, de Dan Waddell, Rouergue, 2010. 280 pages. 20 euros.
L'info en plus : Dan Waddell a sorti un second volume des aventures de son généalogiste en août 2009. Espérons que le premier opus aura suffisamment de succès pour que les éditions du Rouergue décident de le publier en france. 

samedi 15 janvier 2011

Concours première guerre mondiale et BD : les résultats



Le concours s’est terminé hier soir et les 4 gagnants sont connus.


Il y a eu comme la dernière fois douze participants et onze ont correctement répondu.
Afin de réaliser le tirage au sort le plus neutre et le plus équitable possible, j’ai de nouveau utilisé le logiciel The Hat. Ci-dessous la liste des participants (je précise que le Jérôme de la liste, ce n'est évidemment pas moi !)



Avant de donner le verdict, voici d’abord les bonnes réponses aux 3 questions :

Parmi ces trois séries, laquelle n'a pas pour cadre la première guerre mondiale ?

a) Le vol du corbeau
b) Le coeur des batailles
c) Les sentinelles

L'album Vies tranchées a été coordonné et publié sous la direction de quel célèbre scénariste ?

a) Jacques Tardi
b) Jean Dufaux
c) Jean-David Morvan

Quel dessinateur a réalisé la planche ci-dessus extraite de l'album ?

a) Jose Luis Munuera
b) Benoît Blary
c) Daniel Casanave

Et maintenant, roulement de tambour… Les quatre gagnants sont :


Comme convenu, le premier nom tiré du chapeau remporte l'album Vies tranchées : les soldats fous de la grande guerre. Bravo à Nelf qui recevra donc son 1er prix dès qu'elle m'aura confirmée par mèl ses coordonnées.

Cédric, Véro l'Encreuse et Hervé remportent pour leur part un exemplaire de Paroles de poilus en BD : lettres et carnets du front 1914-1918. Merci à eux eux de me faire parvenir leur coordonnées. Je ferais les envois le plus rapidement possible. Pensez à m'envoyer un petit mèl pour me confirmer la réception des exemplaires.

Bravo à tous et rendez-vous en février pour un nouveau concours !

vendredi 14 janvier 2011

La poulette et le chat

La poulette adore ses petits poussins. Elle joue avec eux, les surveille de près, leur fait des papouilles… Le chat aussi aime beaucoup les poussins. Il joue avec eux, les surveille de près, mais il préfère les léchouilles aux papouilles. Et quand, sans le faire exprès, il les avale, la poulette voit rouge !

J’ai lu cet album entouré de mes deux filles, l’une de 5 ans non lectrice et l’autre de 8 ans qui lit toute seule mais qui adore écouter les histoires que l’on raconte à sa petite sœur. Premier contact avec le livre : je laisse Romane (la petite) feuilleter l’ensemble en s’attardant sur les illustrations. Sa première réflexion fuse : « Ben dis donc papa, c’est pas long ». C’est un fait, l’album contient moins de 25 pages et s’adresse essentiellement aux 2-3 ans. Mais les plus grands peuvent aussi y trouver leur compte. Je fais une première lecture sur un ton neutre, sans faire de différence entre les intentions amicales et maternelles de la poulettes et celles, beaucoup plus intéressées et "machiavéliques" du chat. En refermant le livre, je demande à Romane de me résumer l’histoire. Elle a tout pris au premier degré. Puisqu’il est écrit dans le texte que le chat a avalé les petits poussins sans faire exprès, c’est forcément la vérité. Elle n’a pas décelé que l’expression sans faire exprès est une antiphrase (figure de style qui exprime exactement le contraire de ce que l’on veut dire) qui rend la situation comique. De même, elle ne comprend pas pourquoi sur la dernière image le chat est dans un tel état Après tout, il n’a pris qu’un coup de pied aux fesses ! Je reprends la lecture une seconde fois en changeant le ton selon que l’on parle de la poulette (cette adorable maman) ou du chat (ce coquin qui n’a qu’une envie, croquer les petits poussins). Tout s’éclaire alors et la véritable nature des personnages se révèlent au grand jour.

Du coté des illustrations, c'est du beau travail à l'aquarelle qui va à l’essentiel. Il n’y a que deux animaux à représenter (en plus des poussins) et la structure très répétitive (une double page pour la poulette, une double page pour le chat) oblige à beaucoup varier les attitudes pour ne pas donner l’impression de faire du copier/coller. Pour le coup, c’est fort bien réussit et c’est tant mieux car l’essentiel du ressort comique de l’album repose sur le décalage entre le texte et images. Par ailleurs, l’absence totale de décor permet aux petits yeux de se focaliser sur les mouvements et les mimiques des protagonistes. Un dernier mot sur les couleurs, toutes douces mais aussi peut-être un poil trop sombres. Rien de bien méchant cependant.

La poulette et le chat est donc un excellent album pour les plus petits. Romane nous a demandé de lui relire plusieurs soirs de suite. Quel meilleur critère de qualité pourrait-on trouver ?


La poulette et le chat, de France Quatromme et Raphaëlle Albert, éditions Volpilière, 2010. 24 pages. 9 euros. A partir de 2 ans.


L’info en plus : Les éditions Volpilière sont une petite structure qui compte une trentaine d’ouvrages dans son catalogue. Albums, romans jeunesse et romans adultes composent l’ensemble des titres proposés. Il est possible de passer commande sur leur site : http://www.editionsvolpiliere.com/


Un grand merci à Babelio et aux éditions Volipilière de m'avoir permis de découvrir cet album.

mercredi 12 janvier 2011

La frontière

Géronima Uranza est la fille de Billy the Kid. Depuis que son père a été tué par Pat Garett, elle cherche à retrouver sa mère. Cette dernière est prisonnière d’une maison close à Golden Spitoon, une ville isolée du reste du monde par « la frontière », une infranchissable muraille de vent et de poussière qui semble tout droit sortie des enfers. Mais du haut de ses 12 ans, Géronima est bien décidée à tout faire pour libérer sa maman. Elle y parviendra, mais ce qui se passe au-delà de la frontière défie l’entendement et la petite fille va devoir user de ses colts pour mener à bien sa mission…

Une fois de plus, Foester se régale à mettre en scène une histoire oscillant sans cesse entre le conte très noir et le fantastique. Au départ, la confrontation entre ce dernier genre et le western semble des plus improbables. En fait, l’auteur de Starbuck (Dupuis) a voulu mêler différentes mythologies : celle du western, typiquement américaine, celle du vaudou et celle de la bible à travers la référence aux dix plaies d’Egypte. Un cocktail original et détonant auquel on a parfois du mal à croire. Déjà, le personnage principal est une fillette borgne, fumeuse de pipe et virtuose du revolver qui tue plus vite qu’elle respire. Ce choix scénaristique pourrait choquer mais l’intrigue est tellement outrancière et caricaturale qu’il est impossible de la prendre au sérieux. Ensuite, le basculement du monde « normal » au pays des cauchemars se trouvant derrière la frontière n’est pas crédible pour deux ronds. Mais peu importe. Si le lecteur accepte d’être embarqué dans une histoire aussi « énooorme », il acceptera sans sourciller l’enchaînement des scènes d’action échevelées et une violence omniprésente pouvant sembler à certains moments gratuite.

Pour le dessin, on est dans du franco belge des plus classiques. Mais attention, Foester ne fait pas du Lucky Luke et les enfants qui choisiraient cet album en pensant retrouver l’esprit de la série de Morris et Goscinny risquent d’être sacrément surpris, voire secoués par ce qu’ils vont découvrir. Coté négatif, on peut regretter un lettrage parfois difficile à déchiffrer et quelques planches surchargées de dialogues (voir exemple ci-dessous).

Que dire de plus, à part que La Frontière est un véritable ovni. Ni récit purement fantastique ni western classique, c’est presque un exercice de style, une expérimentation tendant à prouver que le mélange des genres est possible. Au final, un album pas évident à recommander. Personnellement, j’ai passé un bon moment de lecture, pas inoubliable certes, mais il est toujours intéressant, quand on s’intéresse à la BD, d’aller se frotter à quelques titres inclassables.

La Frontière, de Foerster, Quandrants, 2010. 72 pages. 17 euros.




L’info en plus : Il y a quinze ans, Foerster avait fait une première tentative dans le western en scénarisant Chiens de prairie, dessiné par l’immense Philippe Berthet. L’histoire d’un vieil hors-la-loi poursuivi par une meute de chasseurs de prime menée par un fanatique religieux et sa sœur. Pour le coup un western ultra-classique, hommage aux meilleurs films du genre.


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lundi 10 janvier 2011

Fruits & légumes - Anthony Palou

D’abord, il y eut le grand père. Antonio Pablo Luna Coll, un espagnol de Majorque qui, fuyant le franquisme, traversa les Pyrénées et remonta jusqu’au Finistère. C’est là, en 1937 qu’il rencontra sa future femme, une bretonne pur jus prénommée Rozenn. A peine deux ans plus tard, il se lança dans la culture de fruits et légumes et devint peu à peu un vendeur respecté des halles de Quimper. Son fils prit la relève et développa l’affaire. Au début des années 70, le narrateur, encore enfant, se souvient que son père se levait à l’aube et montait dans la 2CV camionnette pour faire le tour des grossistes. Il se souvient des vacances en Espagne, du confort de la vie en province. Mais il se souvient aussi des soucis qui commencèrent avec l’incendie des halles en 1976. Et puis il y eut l’apparition des premiers supermarchés qui précéda de peu celle des huissiers sur le seuil de la maison familiale. Au final, l’entreprise de primeurs Coll sombra corps et biens, et son père ne s’en remit jamais vraiment.

Anthony Palou, né à Quimper en 1965, possède un joli brin de plume, en apparence assez désinvolte, mais qui est à l’évidence très travaillé. Ces quelques souvenirs de prime jeunesse se déclinent en courts chapitres, voire en simples paragraphes qui donnent beaucoup de rythme et de tonicité au texte. Une chronique sur l’enfance douce-amère, certes un brin nostalgique mais qui montre surtout comment s’est construite la personnalité du narrateur à travers la figure d’un père devenu bien malgré lui une sorte de loser qui a fini par baisser les bras devant d’insurmontables difficultés professionnelles.

Mais ce petit roman est aussi un coup de projecteur sur les petites gens et cette France des années 70 en pleine mutation. Anthony Palou ne glorifie rien ni personne. Il ne fait pas de ses personnages des super héros, loin de là. Tout tend vers la médiocrité, de son premier amour à l’AVC de son père (que l’on retrouve aux toilettes « la tête dans la cuvette, du grumeau de vomi dégoulinant de son menton »), de l’huissier aux vendeurs et aux clients du marché. Un hymne à la province et à la Bretagne ? Même pas. Sans tomber dans le cynisme, le narrateur est d’une désarmante lucidité. Désabusé serait sans doute le qualificatif le plus juste. La désillusion a finalement saisie trois générations de Coll. Le grand-père, le père et finalement le fils, devenu patron d’une petit entreprise de peinture qui, s’il reconnaît que son « affaire ne marche pas trop mal », ne déborde pas non plus d’ambition.

Un roman simple, sans fioriture, qui sonne juste et m’a fait passer un excellent moment de lecture. J’espère, Mr Palou, qu’il ne faudra pas attendre dix ans avant de découvrir votre prochain texte.

Fruits et légumes, d’Anthony Palou, Albin Michel, 2010. 152 pages. 14 euros.

L’info en plus : Fruits et légumes est le second roman d’Anthony Palou. Le premier, Camille, est paru en 2000 et a remporté le prix Décembre cette même année. Fruits et Légumes a pour sa part remporté le Prix La Montagne - Terre de France 2010 qui a pour objet de « distinguer une œuvre, un roman, un récit, mettant en valeur une terre de France et ceux qui y vivent ». Pour le coup, je ne suis pas certain que le texte mette en valeur la Bretagne et ceux qui y vivent mais peu importe, c’est tout de même une belle reconnaissance pour l’auteur.

vendredi 7 janvier 2011

Découvrir l'anglais et la BD avec Benny et Penny

Cet après-midi, Benny a décidé qu’il était un pirate. Alors quand sa petite sœur lui demande de jouer avec lui, il l’envoie sur les roses. Mais Penny s’obstine et quand elle réclame un câlin, la réponse est claire et nette : « Les pirates ne font de câlins ! Tu n’y connais rien ! ». Pour se débarrasser de celle qu’il appelle la petite peste, Benny trouve une idée de génie : le cache-cache. Il laisse sa sœur se cacher et retourne jouer plutôt que d’aller la chercher. Enfin la paix, pense-t-il. Mais c’est sans compter sur l’abnégation de Penny. Et si après tout, ce n’était pas si mal de s’amuser avec sa petite sœur ?

Avec la collection Toon Books, les éditions Casterman exportent et adaptent un concept américain destiné aux 4-6 ans. Le principe : aider les enfants à enrichir leur vocabulaire et améliorer leur syntaxe grâce à la bande dessinée. Casterman propose chaque titre en version bilingue français/anglais dans un ouvrage à double entrée. Il suffit de tourner le livre pour passer de la VO à la VF. Le contenu de chaque album de la collection a été élaboré avec des spécialistes de la lecture pour pouvoir être accessible aux enfants sans la présence d’un adulte à ses côtés, les images seules devant permettre de comprendre le sens de l’histoire.

Dans le cas de Benny et Penny, l’album contient peu de cases par page et les événements se déroulent de façon très linéaire, ce qui facilite la compréhension. Le découpage est par contre assez audacieux avec une grande variété de plans et même l’enchâssement de petites vignettes à l’intérieur d’une illustration plein page. Le dessin est simple et parfaitement lisible. Les attitudes et les mouvements sont bien marqués tandis que les couleurs pastel pleines de douceur donnent beaucoup de charme au jardin dans lequel évoluent les deux petites souris.

Le fait que l’ouvrage possède une double entrée français/anglais permet à l’enfant de naviguer à sa guise entre les deux versions. Et si papa ou maman pratiquent un peu la langue de Shakespeare et sont capables de lire avec l’accent, le bonheur sera total !

Une très jolie entrée dans le monde de la BD et de l’anglais pour les plus petits. Un titre à conseiller également aux enseignants de l’école primaire qui abordent les premières notions d’anglais avec leurs élèves.

Benny et Penny : pour de faux, de Geoffrey Hayes, Casterman, 2010. 2x36 pages. 13,00 euros. A partir de 5 ans.

La VO...

et la VF


L’info en plus : Au printemps 2010 est sorti un second volume des aventures de Benny et Penny intitulé Non c’est non ! Où comment les deux garnements partent à la recherche du seau de Benny en escaladant la barrière du jardin alors que maman leur a défendu de le faire. A noter que la collection Toon Books compte pour l’instant six titres différents. Plus d’infos sur le site de Casterman.


jeudi 6 janvier 2011

Concours première guerre mondiale et BD : 4 albums à gagner

Suite à la publication du billet sur la BD Vies tranchées : les soldats fous de la grande guerre, je vous propose de gagner ce mois-ci 4 albums ayant pour thème la première guerre mondiale.




Le concours est simplissime : Comme d'habitude, 3 questions, 3 bonnes réponses et le tour est joué. Les gagnants seront départagés par tirage au sort. Le premier nom qui sortira du chapeau remportera l'album Vies Tranchées. Les trois suivants auront un exemplaire de Paroles de poilus en BD : lettres et carnets du front 1914-1918.


Allez hop, voici les questions :

Parmi ces trois séries, laquelle n'a pas pour cadre la première guerre mondiale ?

a) Le vol du corbeau
b) Le coeur des batailles
c) Les sentinelles

L'album Vies tranchées a été coordonné et publié sous la direction de quel célèbre scénariste ?

a) Jacques Tardi
b) Jean Dufaux
c) Jean-David Morvan


Quel dessinateur a réalisé la planche ci-dessus extraite de l'album ?

- Jose Luis Munuera
- Benoît Blary
- Daniel Casanave

Vous avez jusqu'au jeudi 13 janvier 2011 à minuit pour participer. Les réponses sont à envoyer à l'adresse suivante : dunebergealautre@gmail.com


Les belges, les suisses, les québecois, les habitants des Dom/Tom et tous les membres de l'union europénne peuvent participer.


mercredi 5 janvier 2011

Vies tranchées : Les soldats fous de la Grande Guerre

Ils s’appelaient Jean-Marie, Maxime, Gabriel, Louis, Augustin, Edmond ou Paul. Envoyés au cœur du maelström entre 1914 et 1918, ils en sont quasiment tous sortis vivants. Mais à quel prix ? Si les tranchées ne les ont pas tués, elles les ont rendus fous. Élaborés à partir des travaux d’Hubert Bieser sur les « pratiques soignantes, sociales et éducatives en santé mentale », les quinze cas présentés dans l’album par quinze dessinateurs différents montrent à quel point les troubles pouvaient être polymorphes : schizophrénie, éthylisme, hyperémotivité, idées de persécution, dépression mélancolique, confusion mentale, paralysie générale… Loin des ouvrages contemporains qui se focalisent sur les souffrances physiques des soldats de la première guerre mondiale, on s’attarde ici sur des troubles psychiques qui se sont révélés tout aussi dévastateurs.

Dans la préface de l’ouvrage, Hubert Bieser précise que si certains soldats ont été traumatisés par le déluge de feu et d’acier des bombardements et que d’autres ont été rendus fous par la peur ou épouvantés par l’absolue désintégration de leurs camarades, il y eu aussi des soldats fous qui l’étaient avant la guerre. Et d’ailleurs, plus le conflit durait et les « ressources humaines » s’amenuisaient, plus les commissions de réforme réexaminaient les cas d’inaptitude afin de recruter des civils dont l’état mental aurait pourtant justifié le fait qu’ils soient réformés : « Après l’effroyable massacre des débuts de la guerre en 1914 et 1915, on ne fait plus la fine bouche pour recruter des combattants ». Reste des vies brisées à jamais, une prise en charge indigne dans les asiles et, pour ceux qui auront la chance de voir leur diagnostique évoluer vers une possible guérison, le spectre d’un retour dans les tranchées dès la sortie de l’hôpital.

Au niveau graphique, premier constat, la couverture est superbe. Pour le reste, l’ensemble est évidemment très hétérogène. J’avoue d’ailleurs que sur les quinze dessinateurs présents, je n’en connais aucun en dehors de Munuera. Dans une interview publiée dans la revue DBD de décembre 2010, Huebert Biefer expliquait que beaucoup d’auteurs avaient au départ tendance à penser le poilu en termes de super-héros. Autre cliché concernant cette fois l’hôpital psychiatrique, la représentation des malades en pyjama restant au lit toute la journée alors qu’en fait, la plupart effectuaient des petits travaux dans l’enceinte de l’établissement et que les pyjamas étaient quasiment inexistants à l’époque. Il a donc fallu énormément d’échanges entre le spécialiste et les dessinateurs pour que le projet aboutisse : trois ans en tout !

Chaque histoire tient en quatre pages et si chacune aborde un cas différent, il y a une sorte de fil rouge que l’on retrouve tout au long de l’album à travers la figure d’Emile P., un soldat atteint de délires et d’hallucination qui aura alterné pendant le conflit les périodes à l’asile et celle sur le terrain des opérations. Trente-six pages lui sont consacrées au total, insérées entre les autres histoires. Cette petite trouvaille scénaristique permet de donner plus de densité à l’ensemble du recueil.

Vies tranchées, c’est une plongée effarante dans l’univers psychiatrique du début du XXème siècle. Aujourd’hui, dixit Hubert Bieser, « les fous, devenus malades mentaux, vivent chez eux, seuls, recevant quelques rares visites de contrôle, anéantis par les psychotropes, victimes de l’opprobre sociale ». Finalement, rien n’a réellement changé.

Vies tranchées : les soldats fous de la grande guerre, ouvrage collectif, Delcourt, 2010. 100 pages. 19,90 euros.





L’info en plus : Si le thème de la folie vous intéresse et que vous préférez la littérature à la bande dessinée, je ne peux que vous conseillez la lecture de Chez les fous. Ce recueil, rédigé par Albert Londres en 1925, dresse l’état des lieux des hôpitaux psychiatriques de la France de l’entre-deux-guerres, et a provoqué un véritable tollé dans le milieu de la psychiatrie. Un texte magnifiquement écrit, entre fausse naïveté et réelle rigueur journalistique.




Le challenge Pal sèches de Mo'


La BD du mercredi, c'est chez Mango




lundi 3 janvier 2011

Un jour en mai

Washington, mai 1972. Trois jeunes blancs se lancent dans une virée en voiture au cœur d’un quartier noir pour faire les malins. Ils sillonnent les rues lentement, vitres baissées, la musique à fond. Lorsqu’ils croisent des gars de leur âge le long d’un trottoir, ils les traitent de nègres et leur balance une tarte à la crème. Mais tout ne se passe comme prévu et la situation dérape. Un coup de feu est tiré… Trente cinq ans plus tard, les protagonistes de cet après-midi tragique s’en souviennent encore. Et si la plupart ont pu se reconstruire en devenant adultes, d’autres gardent chevillée au corps une rancune tenace.

George Pelecanos est un métronome. Chaque année depuis 1997, il sort un nouveau roman. Une sorte d’Amélie Nothomb du polar ! Tous ses livres se caractérisent par une écriture très particulière, extrêmement visuelle. Il aime décrire dans les moindres détails les faits et gestes de ses personnages. Si la scène se situe dans un magasin de chaussures, vous aurez droit à une description quasi documentaire des différentes tâches effectuées par le vendeur. Idem pour les barmen, les cuisiniers où les garagistes. Autre particularité, il cite tous les noms de marque de voitures, de vêtements, de boissons, de chaines-hifi et de quasiment tous les objets qui entrent dans le champ de sa caméra. Un roman de Pelecanos se reconnaît aussi au nombre important de morceaux de musique écoutés par les protagonistes (tous les titres sont évidemment cités) et aux dialogues ciselés qui sont un vrai régal. Dernier détail, et pas des moindres, tous se passent à Washington, la ville de naissance de l’auteur. Un jour en mai n’échappe pas à la règle. Une fois encore, il y est question de rédemption et de reconstruction après un traumatisme. Une fois encore, les « méchants » sont des crétins finis et les « gentils » défendent des valeurs morales chères à l’Amérique. Et une fois encore, après avoir déroulé son action en toute tranquillité, il laisse éclater en quelques lignes une violence inouïe d’une terrible froideur.

Vous l’aurez compris, tous les livres de Pelecanos se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Et il faut bien reconnaître que les tics d’écriture qui les caractérisent agaceront à juste titre plus d’un lecteur. Personnellement, et de manière assez incompréhensible, j’adore. C’est une sorte de marque de fabrique assez unique que j’aime retrouver une fois par an dans mes lectures. Je crois que cela tient surtout à l’ambiance incroyablement réaliste avec laquelle il décrit sa ville. Au fil de ses romans, on découvre Washington des années 70 à nos jours. L’évolution de la capitale américaine est palpable et racontée par quelqu’un qui l’a vécue de l’intérieur. On n’est pas loin de la sociologie et c’est ce que je trouve passionnant.

C’est un fait, je me garderais bien de recommander cet auteur à qui que ce soit et je comprends parfaitement que l’on puisse se lasser d’un écrivain qui donne l’impression d’écrire à chaque fois la même chose. Mais pour moi, un roman de Pelecanos, c’est un peu comme cette pâtisserie que j’achète à la boulangerie. Toujours la même. J’y ai déjà gouté des dizaines de fois et pourtant j’y reviens toujours, tout simplement parce que je sais que je ne vais pas être déçu. Alors vivement l’année prochaine que je retourne arpenter les rues de Washington avec des sales gosses pas toujours fréquentables.

L’info en plus : La cuvée Pelecanos 2011 aura pour titre Mauvais fils et sortira au mois de mars. L’histoire d’un gamin de 17 ans envoyé en maison de correction et qui, dix ans plus tard, reviens travailler dans l’entreprise de son père.

Un jour en mai, de George Pelecanos, Points, 2010. 376 pages. 7,50 euros.