mardi 31 mars 2015

La coloc - Jean-Philippe Blondel

C’est une drôle d’année scolaire qui s’annonce pour Romain. Sa grand-mère décédée récemment laisse en héritage un appartement en plein centre ville. Pour le jeune garçon pensionnaire du lycée voisin, l’occasion est trop belle, il propose à ses parents d’occuper les lieux avec deux colocataires. Au départ impensable, surtout pour sa mère, l’idée fait son chemin et alors que la rentrée approche à grands pas, Romain, Rémi et Maxime s’installent dans un quotidien qui va bouleverser leurs certitudes et les responsabiliser bien plus qu’ils ne l’auraient imaginé.

L’avantage de lire un roman sur les années lycée quand elles sont loin derrière nous c’est que ça peut rappeler des souvenirs. J’avais un copain en première qui vivait seul dans un grand appartement. J’y ai passé des nuits mouvementées sur lesquelles il est préférable que je ne m’étende pas ici sous peine d’écorner l’image de bon père de famille respectable et prude que je m’évertue à défendre chaque jour sur ce blog (si, si, je vous jure !). En tout cas je trouve Romain et ses colocs bien raisonnables par rapport à ce que j’ai connu (mais ce n’est pas un reproche, au contraire parce que nous, franchement…).

Jean-Philippe Blondel est plein de bienveillance pour ses personnages, mais il développe à leur égard une empathie n’éludant aucun des soucis propres à l’adolescence : les difficultés scolaires, l’estime de soi, le rapport aux autres, les premières histoires d’amour, les conflits avec les parents, etc. On positive en finesse, sans dresser un tableau totalement noir ni tomber dans un optimisme béat, et les adultes ont eux-aussi leurs failles, tout se tient parfaitement. En plus il prend son temps pour installer la situation, il s’attarde sur les négociations menées par Romain pour obtenir gain de cause, sur le déménagement, l’organisation purement matérielle de la colocation, sur ces compromis qu’il n’est pas toujours évident de faire à 16 ans quand on apprend à vivre ensemble. Cette immersion n’oubliant aucun détail donne une dimension très réaliste et vraiment agréable au récit.

 Finalement, cette année entre colocs, ce début d’indépendance et de mise en responsabilité ressemble à la vie : des montagnes russes ménageant des moments de bonheur, de tristesse, d’inquiétude et d’interrogation. Une année pour se chercher, se trouver, se révéler, pour grandir sans totalement s’affranchir de la tutelle des adultes. Le genre d’année à laquelle on repense le sourire aux lèvres et avec nostalgie, même quand on est devenu un vieux con. Un roman jeunesse qui fait du bien, quoi.

La coloc de Jean-Philippe Blondel. Actes Sud junior, 2015. 146 pages. 12,50 euros. A partir de 14 ans.

Et comme chaque mardi ou presque c'est une lecture que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.












lundi 30 mars 2015

L’enfer de Church Street - Jake Hickson

Paul pensait que ce serait du gâteau : braquer un gars sur le parking d’une station service du Texas en pleine nuit, rien de plus simple. Surtout quand le gars en question est obèse et a du mal à se déplacer. Un coup de crosse de revolver sur l’oreille pour lui faire comprendre qu’il n’est pas là pour rigoler et il le force à démarrer. Seulement, une fois assis sur le siège du passager, Paul se voit proposer un drôle de marché. Il pourra empocher les 3000 dollars qui se trouvent sur la banquette arrière en échange de cinq heures de route vers l’Arkansas. Cinq heures au cours desquelles sa « victime » va se confesser et lui avouer bien des péchés…

Un roman noir barré comme j’aime. L’hommage à Jim Thompson est revendiqué et parfaitement réussi. On retrouve les personnages dingos, affreux bêtes et méchants qu’adorait mettre en scène l’auteur d’Une femme d’enfer.  Plongé dans un engrenage qu’il ne maîtrise pas, s'enfonçant un peu plus à chaque nouvel événement tragique, l’anti-héros de Jake Hinkson est tellement poissard qu’on aurait presque envie de le plaindre malgré les horreurs qu’il commet. C’est drôle, déjanté, sans concession, porté par des dialogues percutants et des situations aussi sordides qu’improbables. Il flotte également dans cette peinture d’une Amérique en perdition l’esprit d’Harry Crews, notamment à travers les agissements d’une communauté d’illuminés où aucune âme, si charitable et mystique soit-elle, ne peux caresser l’espoir d’une quelconque rédemption à l’heure du Jugement dernier.

L’enfer de Church Street fait partie des 10 meilleurs polars de l’année pour le magazine Lire sorti la semaine dernière. Je n’y connais rien en polar alors je ne sais pas si cette distinction est justifiée mais ce que je sais c’est que ce roman est un régal pour qui aime la littérature américaine sauvagement décomplexée. Et c’est évidemment mon cas.

L’enfer de Church Street de Jake Hickson. Gallmeister, 2015. 236 pages. 15,00 euros.













dimanche 29 mars 2015

Les promeneurs sous la lune - Zidrou et Mai Egurza

Le pitch tiendrait sur un timbre : un homme se réveille régulièrement dans le lit d’une blanchisseuse d’origine chinoise qu’il ne connait absolument pas. Il ne sait pas comment il est arrivé-là et elle non plus, surtout qu’à chaque fois toutes les issues étaient fermées de l’intérieur. On lui parle de crise de somnambulisme mais ce diagnostic évident ne permet pas à lui seul d’expliquer l’inexplicable…

Il aurait pu m’agacer prodigieusement cet album. Il aurait dû même, tant parfois il frôle le gnangnan. Mais ça n’a pas été le cas. Ça se joue à trois fois rien. Ça se joue à une ambiance légère et bon enfant, à un dessin tout en rondeur aux couleurs pastel pleines de douceur, à des personnages attachants, à des dialogues savoureux, à des situations vraiment drôles, à un chien gauchiste qui ne ne fait ses besoins que sur le Figaro, jamais sur Libé ou Charlie Hebdo, à une maladie contagieuse qui offre de vrais moments de poésie, à des flics au grand cœur que l’on punit pour leur excès d’humanité, etc. Ça se joue à des détails qui s’additionnent et forment un tout. Bien sûr, ce n’est pas l’album du siècle. Bien sûr j’ai connu Zidrou plus mordant ou plus émouvant. Mais cet album, je l’ai refermé un sourire niais aux lèvres, avec l’impression d’avoir passé quelques minutes dans une bulle douillette et protectrice, loin de la folie du monde.

Conclusion, c’est pas grand-chose mais ça fait du bien, comme dirait le géant Raymond Carver (c’est le titre d’une de ses plus belles nouvelles, dans le recueil « Les vitamines du bonheur » - oui, je sais, je m’écarte du sujet, mais quand je peux citer Carver, toutes les excuses sont bonnes). Et par les temps qui courent, alors que tout nous ramène à une actualité et un quotidien anxiogènes, il n’y a vraiment pas de mal à se faire du bien.


Les promeneurs sous la lune de Zidrou et Mai Egurza. Rue de Sèvres, 2015. 70 pages. 14,00 euros.


Les avis de Mo', Noukette et Titou.





samedi 28 mars 2015

Tag du code de la route

Chic, un tag, il y avait longtemps. Celui-là me plait bien, il est simple et demande des réponses courtes, tout ce que j’aime. Alors merci Ariane, je m’y colle avec plaisir.

PARKING – Combien de livres as-tu dans ta PAL ?

A la louche je dirais 160 (sans compter les BD).



LIMITATION DE VITESSE – Quelle limitation donnes-tu as ta PAL ?

Sincèrement ? Aucune. The Sky’s the limit…




ROUTE PRIORITAIRE – Quel livre est ta prochaine priorité ?

Très, très, très, très, très envie de lire le nouveau Jérôme Ferrari.



RÉSERVÉ AUX CAMIONS – Quel pavé liras-tu prochainement ?

Euh, c’est pas mon fort les pavés mais le prochain sur la lise sera sans doute « Kentucky Song » d’Holly Goddard Jones.



RÉSERVÉ AUX BUS – Un livre que tu réserves pour une période spéciale ?

Je réserve « Confiteor » pour mes prochaines grandes vacances. Il va me falloir du temps et du calme pour l’apprécier à sa juste valeur.


STOP – Un livre que tu as abandonné ?

Le dernier que j’ai abandonné est « Ces instants-là » de Wassmo.



SORTIE DE SECOURS – Un livre que tu as arrêté mais que tu vas reprendre pendant une autre période ?

J’ai commencé il y a un bout de temps « La divine chanson » d’Abdourahman Waberi mais je l’ai laissé de coté assez rapidement. Je compte bien le reprendre très vite !


SENS INTERDIT – Quel genre de livre ne t’attire pas particulièrement ?

La science fiction ne m’attire pas une seconde. Comme l’autofiction et tout ce qui est trop psychologique en général.


FIN D’INTERDICTION – A quel genre de livre donneras-tu une chance cette année ?

Je retenterai peut-être la fantasy. Très longtemps que je n’ai pas mis le nez dedans mais c’est un genre que j’ai apprécié autrefois.


FEU TRICOLORE – Un livre qui t’a fait passer par plusieurs émotions ?

Le tout dernier roman de Guillaume Guéraud, "Plus de morts que de vivants", m'a à la fois fasciné et totalement horrifié.

ROND POINT – Un livre qui t’a fait tourner en rond ?

Je pourrais à nouveau citer Wassmo. Sans doute pour ça que je l'ai abandonné d'ailleurs !



ROUTE A DOUBLE SENS – Un livre que tu as aimé et détesté à la fois ?

J'ai adoré "Les contes de la folie ordinaire" de Bukowski parce que c'est le livre qui a déclenché mon amour inconditionnel pour la lecture, mais je l'ai aussi détesté après avoir tourné la dernière page parce que j'aurais voulu qu'il ne se termine jamais.

HOTEL – Quel livre t’a volé ton sommeil ?

Quand j’étais ado « Le seigneur des anneaux » m’a volé quelques nuits.



MONUMENT HISTORIQUE – Le livre qui pour toi est un monument (une perle, un bijou) ?

Il y en a plusieurs, heureusement. Don Quichotte, L’étranger, Le voyage au bout de la nuit, Last exit to Brooklyn, Au-dessous du volcan… Mais si je ne devais en garder qu’un, ce serait « Septentrion » de Calaferte. L’œuvre d’une vie, un roman fou, incandescent, scandaleux (censuré et interdit à la vente pendant 20 ans), un chef d’œuvre quoi !

AUTOROUTE – Qui tagues-tu ?

Personne, comme d’habitude. Mais si le cœur vous en dit, faites-vous plaisir.




















vendredi 27 mars 2015

Grossir le ciel - Franck Bouysse

Janvier 2007. L’abée Pierre vient de s’éteindre et au cœur des Cévennes, Gus est bien plus touché par la nouvelle qu’il n’aurait pu le croire. Et même s’il ne le sait pas encore, dans sa ferme isolée entre forêts et montagnes, dans le froid et le vent glacial d’un interminable hiver, il va vivre un événement qui bousculera sa morne routine et changera les choses à jamais.

Les grands espaces, quelques vaches à l’étable, la compagnie d’un chien, d’un fusil et d’un voisin taciturne avec lequel on partage parfois une affreuse piquette, tel est l’univers de Gus. Il est né et a grandi dans ce Gévaudan Cévenol qui lui ressemble : sauvage, isolé, rugueux. Avec son voisin Abel, il cultive une amitié bourrue basée sur l’entraide et le besoin occasionnel de tromper une solitude pesante. Mais au cours de ce rude hiver, les deux hommes vont devoir se rapprocher malgré eux, parce que certains cadavres sortent du placard, certains secrets de famille enfouies depuis des décennies resurgissent et mettent le feu aux poudres.

Une magnifique surprise. L’écriture de Franck Bouysse est un enchantement. Il décrit à merveille les gestes précis du quotidien paysan, il dit l’odeur du foin, de la terre mouillée, des troncs d’arbre fraîchement coupés, de la truite grésillant dans la poêle. Mais il exprime aussi les silences, les non-dits et la misère affective des gens de peu. Sans un mot de trop, avec une économie de moyens et d’effets absolument remarquable.

Polar régionaliste ? Nature Writing ? A vrai dire peu importe, je n’ai envie de faire rentrer ce texte dans aucune case. Je sais juste que c’est un roman âpre et tendu aux accents élégiaques, et je sais juste que j’ai pris un immense plaisir à le lire. Et puis j’aime ce titre superbe qui prend toute son sens dans les dernières pages.

Grossir le ciel de Franck Bouysse. La manufacture des livres, 2014. 200 pages. 16,90 euros.

Les avis de Au pouvoir des mots et Dominique











jeudi 26 mars 2015

Mon salon du livre


Cette année j’avais décidé de me rendre sur le salon samedi ET dimanche. Quatre heures de transport aller-retour à chaque fois, j’en suis ressorti rincé mais franchement ça valait la peine. Bien plus que ça même.
Dès le départ je savais que mon temps serait davantage consacré aux rencontres avec les blogueuses et les lectrices en général plutôt qu’avec les auteurs. Un choix délibéré tant j’avais envie de mettre enfin des visages sur ces prénoms (ou pseudos) avec lesquels je prends tant de plaisir à échanger virtuellement.

Pour faire court, mon salon a essentiellement consisté à :
  • Attendre Noukette, Framboise, Moka et sa sœur Élise devant l’entrée pour attaquer la première journée sous les meilleurs auspices.
  • Rencontrer enfin Sara et me rendre compte que nos caractères sont finalement assez proches (je m’en doutais remarque).
  • Retrouver la pétillante Laurie.
  • Me rendre au petit déjeuner des éditions Métailié, y découvrir Marjorie, Cryssilda, Sandy et Jostein.
  • Rencontrer pour la première fois et avec une certaine émotion Valérie et Hélène (si, si, je vous jure, je cachais bien mon jeu mais ça m’a fait tout drôle de vous voir « en vrai » !) .
  • Ne pas faire l’ours le samedi en début d’après-midi face à Sharon, Anis, Laure, KidaeUne comète
  • Enfin, enfin, enfin découvrir Philisine (re-émotion, toussa toussa…) et constater qu’elle est exactement comme je l’imaginais (c’est un compliment hein, tu le sais déjà mais je préfère préciser^^).
  • Et puis Sandrine, Fabienne, Sarah (aussi pétillante que Laurie, vous faites la paire !), Yueyin, Stephie, Anne-Véronique, Hélène, Tamara…
A part ça, j’ai aussi adoré, en vrac et dans le désordre :

  • Préparer quelques plans à trois pour les jours et les semaines à venir.
  • Offrir et recevoir des livres.
  • L’anecdote du sac chouette qui a bien fait rire Valérie.
  • Faire une heureuse en récupérant un des rares tickets disponibles pour la dédicace de Claude Ponti.
  • Voir des personnes suivre mes conseils les yeux fermés (merci de votre confiance, j’attends vos avis avec impatience maintenant).
  • Manger des tapas.
  • Observer Léa Mazé dédicacer sa première BD avec une gentillesse et une application des plus touchantes.
  • Me retrouver au pipi-room avec un très célèbre auteur jeunesse et éviter de tourner la tête parce je n’aime pas comparer (même si au demeurant je n’ai aucun complexe d’infériorité à avoir, que ce soit bien clair).
  • Échanger chez certains éditeurs avec des professionnelles passionnées et ultra compétentes (Anne-Charlotte et Solène se reconnaîtront).
  • Confirmer à celles qui en doutaient encore que je suis quelqu'un de très prude.
  • Avouer à Philisine une imposture dont je ne suis pas particulièrement fier et dont je ne me suis pas vanté mais qui m’a beaucoup amusé.
  • Etre pris en photo avec une auteure adorable (Emma Foster pour ne pas la nommer - et puisque nous étions sur le stand Milady) qui m’a qualifié de « merveilleux et sexy » alors que j’avais déjà acheté son livre et qu’elle n’avait plus rien à y gagner.

  • Etc, etc.

J’ai oublié un tas de choses mais peu importe. Ce fut un week-end mémorable, plein de rencontres, de rires, d’échanges, de partages et surtout de plaisir (oui, je sais, je suis en mode bisounours mais je n’y peux rien, c’est sincère). 

Impossible de finir sans un clin d’œil appuyé à mon indispensable binômette sans laquelle un salon du livre n’aurait définitivement pas la même saveur et à sa si précieuse Framboise que j’ai tant aimée côtoyer pendant ces deux jours. Mon prochain rendez-vous livresque aura lieu au salon de la BD d’Amiens en juin. Toujours avec ma binômette (je ne devrais même pas avoir besoin de le préciser) mais aussi avec ma très chère Moka. Autant vous dire que si bien entouré, le mode bisounours va encore tourner à plein régime…











mercredi 25 mars 2015

L’homme montagne - Séverine Gauthier et Amélie Fléchais

« Grand-père, comment es-tu toujours si sûr qu’on se retrouvera ? »
« Parce que mon plus beau voyage, c’est toi ».

Alors que les montagnes qui ont poussé dans son dos l'immobilisent peu à peu et que ses pieds fatigués peinent à le porter, un grand-père s'apprête à partir une dernière fois, seul. Son petit-fils lui demande de retarder son départ et de l’attendre, le temps pour lui de trouver le vent capable de soulever les montagnes. Et l’enfant d’entamer un merveilleux périple où il croisera un arbre, des cailloux et le roi des bouquetins. Un périple au cours duquel il découvrira l’importance des racines, où il apprendra que les voyages se partagent et où il comprendra, les larmes aux yeux, que certaines promesses sont impossibles à tenir mais que les souvenirs des bons moments passés avec ceux qui nous sont chers gardent à jamais une valeur inestimable.

Un album affichant fièrement sur sa couverture les noms de Séverine Gauthier (Cœur de pierre) et Amélie Fléchais (Le petit loup rouge) ne pouvait que finir entre mes mains. La première a imaginé un récit initiatique très allégorique autour de la perte d’un proche. J’y ai retrouvé avec plaisir son univers à la fois léger, sensible et touchant, empreint parfois de gravité, mais aussi d’une certaine fantaisie et de beaucoup de poésie. Quant à la seconde, elle illustre avec une inventivité graphique et une subtilité remarquables une histoire où l’imaginaire prédomine. Les doubles-pages notamment, véritables tableaux fourmillant de détails, sont à tomber par terre. Et je ne vous parle même pas de son travail sur la lumière et les couleurs !

Réflexion tout en douceur sur le deuil, la filiation et la transmission, « L’homme montagne » est un album dont on sort aussi ému que revigoré. Tout simplement magnifique, tant sur la forme que sur le fond.

L’homme montagne de Séverine Gauthier et Amélie Fléchais. Delcourt, 2015. 40 pages. 10,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka et Noukette, en souvenir des beaux moments partagés ensemble samedi dernier au salon du livre.







mardi 24 mars 2015

Max et les poissons - Sophie Adriansen

« Nous, on est juifs. C’est pour ça qu’on a des étoiles cousues à nos habits. Papa et maman me répètent qu’être juif, ce n’est pas avoir fait quelque chose de mal. Mais je n’arrive pas à les croire. »

Max aura bientôt huit ans et il est ravi. Ravi parce qu’il va pouvoir mettre un deuxième poisson dans son bocal, ses parents lui ont promis, et parce que sa sœur va lui offrir un cadre en pâte à sel. Mais dehors c’est la guerre. Et depuis peu Max doit porter une étoile sur ses vêtements. Au début il a trouvé ça joli, une étoile, mais quand ses camarades de classe l’ont traité de « youpin avec une étoile de mer », il a déchanté. Et quand la police française est venue les chercher, lui et sa famille, il s’est demandé ce qu’il se passait. Avec ses mots à lui…

J’ai aimé ce texte pour son point de vue si particulier. Celui d’un petit garçon qui prend de plein fouet des événements abominables avec une naïveté touchante et naturelle, sans aucun recul, sans rien y comprendre. Clairement, la force et l’originalité de ce court roman tient dans le fait qu’il aborde un épisode tragique de la seconde guerre mondiale à travers le regard d’un gamin de huit ans. Et puis j’ai beaucoup aimé la fin, tellement juste, tellement tristement réaliste.

Ce témoignage à hauteur d’enfant, tout en douceur et en délicatesse, se révèle bouleversant. Pas besoin de dramatiser à outrance, pas besoin de chercher des effets tire-larmes artificiels. Sophie Adriansen l’a bien compris, la pudeur et la suggestion laissent un impact bien plus marquant sur le petit lecteur. Cerise sur le gâteau, je trouve la couverture de Tom Haugomat, un illustrateur qui m’avait bluffé avec son travail sur l’album « Hors-pistes », absolument splendide.

A lire donc, et à faire lire pour être ému et ne pas oublier une des pages les plus sombres de notre histoire.

Max et les poissons de Sophie Adriansen. Nathan, 2015. 88 pages. 5,00 euros. A partir de 9 ans.

Comme tous les mardis ou presque, c’est une lecture commune que je partage avec Noukette. Et cette semaine, Stephie nous accompagne pour notre plus grand plaisir.

Les avis d'HélèneL'irrégulière, Martine et Myarosa.









lundi 23 mars 2015

Les sauvages - Mélanie Rutten

« C’était une nuit. C’était il y a longtemps. Perdues dans les marécages, deux maisons se faisaient face. De ces maisons, deux ombres s’enfuirent. […] Pieds nus, en pyjama, elles arrivèrent sur l’île abandonnée. Elles marchaient et s’enfonçaient dans l’obscurité. Elles allaient sans hésitation, sans peur. Les arbres se penchaient pour les protéger. C’était leur nuit. »

C’est une nuit où les rêves sont permis, où la réalité perd la partie, une nuit où l’on peut échanger les rôles et lâcher prise. Dans leur fuite, au bout de leur périple, les deux ombres vont retrouver une bande de sauvages connue d’eux seuls. Dans la clairière où ils s’installent, certaines choses apparaissent et d’autres disparaissent, la lumière et la joie se répandent. Dans cette clairière, la peur n’a pas sa place.

Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, on croise d’étranges personnages : un bonhomme de paille, une branche, une pierre et un bébé mousse. Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, rien ne s’offre d’emblée. L’interprétation est multiple, l’onirisme et la poésie dominent. Elle installe une atmosphère étrange et envoutante par petites touches successives. Au lecteur de se laisser prendre par la main, de se laisser porter le cœur léger. Son univers graphique tout en douceur m’enchante toujours autant, même quand elle s’oriente vers des teintes plus sombres.

C’est l’histoire d’une nuit de tous les possibles, d’une nuit où les chemins s’ouvrent. Parce que le jour, « tant de choses se taisent ». C’est l’histoire d’une nuit où on grandit, ni plus ni moins.

Les sauvages de Mélanie Rutten. Memo, 2015. 36 pages. 14,50 euros.


Et qui dit Mélanie Rutten dit lecture commune avec Moka. C’est à elle que je dois la découverte de cette auteure inclassable, il était impensable que nous ne plongions pas ensemble dans son nouvel album.






vendredi 20 mars 2015

Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu quitte le Nigeria pour poursuivre ses études aux États-Unis. La jeune femme laisse derrière elle son grand amour Obinze et débarque sur le sol américain pleine d’espoir. Pendant quinze ans, elle tentera de trouver sa place dans un pays où la discrimination n’est pas un vain mot avant de revenir finalement vers son pays natal. Entre temps elle aura vécu plusieurs histoires de cœur plus ou moins compliqués et aura surtout connu un immense succès grâce à son blog « Observations diverses sur les noirs américains par une noire non-américaine ».

Adichie déploie sur 500 pages une fresque sociale ample et sensible, une expérience de l’exil riche de rêves et de désillusions. Elle propose également une réflexion profonde sur la condition noire, du Nigeria aux Etats-Unis, mais vue par une « intelligentsia » aisée et cultivée très éloignée de la réalité quotidienne je trouve. Ifemelu côtoie en Amérique des blancs bobos pour lesquels antiracisme rime forcément avec charité. Quant à ses amis noirs, profs d’université et artistes, ils incarnent un esprit de gauche élitiste et pédant qui me hérisse le poil. De retour au Nigeria, elle évolue au milieu d’une diaspora enrichie par la corruption et fascinée par un mode de vie consumériste à l’occidentale. J’ai bien saisi le coté souvent satirique du propos mais il n’y a personne dans cette galerie de portraits pourtant riches en couleur qui trouve grâce à mes yeux. Finalement mon passage préféré restera son arrivée en Amérique chez sa tante et ses premiers pas sur le campus où, sans le sou, elle tire le diable par la queue.

A part ça j’ai aimé l’insolence d’Ifemelu, sa volonté sans faille de se construire seule malgré les obstacles. Mais son caractère, sa relation aux autres souvent pleine d’arrogance et d’un certain mépris la rendent assez antipathique et ne m’ont pas permis de m’attacher à elle.

Autre bémol (oui, je sais, ça commence à faire beaucoup), la fin sirupeuse et dégoulinante de guimauve donne des faux-airs de bluette à un roman qui se veut, et à juste titre, bien plus ambitieux qu’une simple histoire à l’eau de rose.

Je me demande quand même pourquoi je ne me suis pas davantage laissé embarquer par ce texte moderne et enlevé. Peut-être parce qu’il est trop féminin ? Peut-être parce que mes références littéraires sur la condition noire sont venues parasiter ma lecture. Quand on a en tête Chester Himes, Ernest J. Gaines, Walter Mosley ou Iceberg Slim, les billets d’Ifemelu sur son blog ou les réflexions de ses amis paraissent bien fades. Quoi qu’il en soit, je ne regrette pas une seconde d’avoir découvert ce roman-fleuve et la voix d’une auteure à la personnalité très marquée.

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Gallimard, 2015. 524 pages. 24,50 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Enna.

Les avis de Cathulu, Clara, CunéEva, Hélène, KathelLeiloona, Papillon.











mardi 17 mars 2015

Un beau jour - François David

De François David et chez le même éditeur, j’avais beaucoup aimé Charlie, belle histoire d’amitié entre une petite fille et un SDF. Il revient ici avec deux nouvelles mettant en scène des ados. Dans la première, le narrateur est un chien d’aveugle. Grâce à lui son maître, José, est bien intégré au collège malgré son handicap, et tout irait parfaitement bien s’il n’y avait pas Julian, un camarade aussi pénible qu’odieux. Dans la seconde, Nathalie va, sans aucune raison, subir la stupidité de deux garçons de son âge devant un arrêt de bus. Un traumatisme dont il lui sera difficile se remettre.

Deux variations autour de cette violence gratuite qui pollue le quotidien et laisse chez les victimes des traces indélébiles, bien plus psychologiques que physiques. Rien de spectaculaire, juste des petits riens pouvant en apparence ne pas sembler d’une extrême gravité, mais emplis d’une insupportable bêtise. Le pire dans cette forme de violence insidieuse reste l’incompréhension. Une incompréhension qui ne permet pas de digérer les événements et d’aller de l’avant : « Aussi, je voulais comprendre. Tellement ! J’en avais besoin, je le sentais. Comprendre en moi. A l’intérieur. »

Beaucoup de finesse dans la façon d’aborder un sujet aussi sensible. Suffisamment de tact pour engendrer chez le lecteur l’indignation sans dramatiser lourdement et jouer à outrance sur la corde sensible. Peu de pages, peu de mots mais beaucoup d’effet, tout ce que j’apprécie en somme.

Un beau jour de François David. Le muscadier, 2015. 60 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi (ou presque), c'est une lecture jeunesse que je partage avec Noukette.






lundi 16 mars 2015

L’orangeraie - Larry Tremblay

Amed et Aziz sont jumeaux. Ils ont neuf ans et vivent dans un pays en guerre. Les ennemis se trouvent de l’autre coté de la montagne. C’est de là qu’est venu l’obus qui a tué leurs grands-parents. Quelques jours après ce tragique événement, un certain Soulayed s’est présenté chez eux et s’est entretenu avec leur père. Avant de repartir, le visiteur a laissé un sac. Dans le sac, une ceinture. Une ceinture tellement lourde qu’il fallait la porter à deux mains. Et dans la maison a résonné le cri de leur mère…

« C’est un très beau livre qui est brutal, qui est habité, qui est hanté. Vraiment superbe ». Ce n’est pas moi qui le dis mais Sorj Chalandon. Et il a bien raison. C’est un livre qui dénonce la folie des hommes. Une réflexion sur l’idée de sacrifice, sur l’embrigadement, la manipulation, la culpabilité. C’est un livre plein d’amour fraternel et de douleur. C’est le regard d’une mère qui va perdre ses enfants, celui d’un père persuadé qu’au-delà de l’horreur, il lui restera la fierté. C’est une fable politique, un conte cruel. Tout cela en 180 pages de tension permanente, en laissant à distance une émotion trop brute qui nuirait à la puissance du propos.

Je ne vais pas m’étendre davantage, c’est un texte qui m’a laissé sur le carreau. Ni plus ni moins. Et c’est un texte que vous devez lire parce qu’il est beau, brutal, habité, hanté. Pas mieux Mr Chalandon.

Extrait :
« Mais pourquoi faut-il vivre dans un pays où le temps ne peut pas faire son travail ? La peinture n’a pas le temps de s’écailler, les rideaux n’ont pas le temps de jaunir, les assiettes n’ont pas le temps de s’ébrécher. Les choses ne font jamais leur temps, les vivants sont toujours plus lents que les morts. Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C’est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s’écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever. Le vent les ferait disparaître dans une bourrasque. Il n’y aurait plus que le gémissement de leur femme dans la nuit. Ecoute-moi, j’ai deux fils. L’un est la main, l’autre le poing. L’un prend, l’autre donne. Un jour c’est l’un, un jour c’est l’autre. Je t’en supplie, ne me prends pas les deux. »

L’orangeraie de Larry Tremblay. La Table Ronde, 2015. 180 pages. 14.80 euros.


Et une nouvelle lecture commune que je partage avec Noukette

Les avis d'AnneClara et Karine.








samedi 14 mars 2015

Acquanera - Valentina D’Urbano

Le titre annonce la couleur (ou plutôt l'absence de couleur). L’eau noire, celle du lac de montagne près duquel se déroule l’intrigue, est aussi sombre que l’âme des héroïnes. Des femmes sans hommes entretenant un rapport tellement particulier et étroit avec les morts qu’il relèverait presque d’une malédiction. Elsa la grand-mère fait des rêves prémonitoires où celles et ceux qu’elle voit sombrer sous les flots vont disparaître ou tomber malade. Pour sa fille Onda c’est encore pire puisqu’elle est capable de dialoguer avec les défunts, ce qui la mènera au bord de la folie. Seule Fortuna, la petite-fille et narratrice, semble avoir échappé au mauvais sort. Mais après dix ans passés loin du village, elle y revient pour affronter sa mère et un secret qui la mine depuis trop longtemps...

Je découvre Valentina d’Urbano avec ce roman et je dois lui reconnaître un vrai talent de conteuse. Chaque chapitre est construit comme l’épisode d’une saga familiale implacable prenant forme petit à petit sans aucun temps mort. La narration prend parfois des faux airs de thriller et la mécanique enclenchée dès la première ligne attrape le lecteur pour ne plus le lâcher jusqu’au point final. Le problème en ce qui me concerne, c’est que je ne suis pas du tout fan de ce genre de texte à la limite du surnaturel. Surtout, il n’y a ici aucune lumière et cela fini par être très plombant. Le récit est glauque, morbide, recouvert en permanence d’une chape de tristesse étouffante. Dans ce village italien, sous un ciel bas et gris, la pluie est froide, les maisons humides, le lac glacé, les cœurs secs et la forêt sinistre. Pas un rayon de soleil, rien pour réchauffer une atmosphère lourde de silences et de non-dits. A la longue, ça devient plus déprimant que fascinant je trouve.

Au final, je suis ravi d’avoir découvert une auteure dont j’avais jusqu’alors (et à juste titre) entendu le plus grand bien. Mais je pense que son premier roman, dans une veine plus sociale, me conviendrait bien mieux. D’ailleurs il vient tout juste de sortir en poche, je n’ai plus d’excuse !

Acquanera de Valentina D’Urbano. Philippe Rey, 2015. 350 pages. 20,00 euros.

Les avis de Clara, Sylire et Valérie.




jeudi 12 mars 2015

Revolver - Fuminori Nakamura

Un étudiant découvre un soir le cadavre d’un homme sous un pont. A coté de lui se trouve le revolver qui l’a tué, un Magnum 357. L’étudiant le récupère et le fourre dans sa poche. Une fois chez lui, il est ébloui par la beauté de cette arme, son magnétisme. Il la nettoie consciencieusement, la manipule et l’astique chaque jour. Il va commencer à sortir en la cachant sous son manteau, puis il va ressentir le besoin irrépressible de l’utiliser…

C’est un roman à la japonaise, subtil mais teinté de modernité. Inquiétant, tendu, malsain. C’est aussi une réflexion sur une jeunesse perdue, solitaire, en quête de sens, sur une existence dont le vide abyssal est comblé par un objet fascinant. C’est enfin le récit d’une vraie histoire d’amour entre un homme et une arme, une histoire de désir qui croit peu à peu, une histoire qui va mal finir tant cette compagne encombrante et dangereuse envahit le quotidien. Tout se déroule l’air de rien, sans jamais en rajouter, tout s’enchaîne naturellement avec un détachement proprement effrayant. Bien sûr j’ai pensé à Ryu Murakami, mais Nakamura est moins excessif, moins provocateur. Et c’est d’autant plus flippant !

Revolver de Fuminori Nakamura. Picquier, 2015. 174 pages. 18,00 euros.




mercredi 11 mars 2015

Cet été-là - Julian et Mariko Tamaki

Comme chaque année, Rose part en vacances avec ses parents à Awago Beach. Comme chaque année, elle y retrouve Windy, d’un an et demi sa cadette. Mais cet été-là n’est pas tout à fait comme les autres, puisque c’est celui où Rose va basculer peu à peu dans les affres de l’adolescence…

Je vais faire court car je ne voudrais pas m’étendre sur un album dont je pense qu’il ne me restera pas grand-chose d’ici peu. Clairement, je me suis ennuyé. C’est une réflexion intéressante sur le passage compliqué de l’enfance vers une plus grande maturité. Le corps change aussi vite que les préoccupations, on abandonne les châteaux de sable pour regarder des films d’horreur, on est fasciné par les relations sentimentales des jeunes adultes, on entre en conflit avec les parents, etc. J’ai apprécié le fait que la différence d’âge entre Rose et Windy joue énormément sur leurs comportements respectifs. Windy est la plus jeune et elle est encore « bébé » dans ses réflexions et ses attitudes. L’analyse est donc très fine et très subtile mais la narration est lente, très lente. On se traîne sur les pas de Rose, on vit avec elle un été apathique et franchement ce n’est pas passionnant.

Par contre j’ai bien aimé le dessin nerveux à l’encrage épais. C’est simple et direct, un peu brut de décoffrage parfois, mais aussi très spontané.

Une petite déception, donc. Je ne regrette pas pour autant d’avoir découvert le travail des cousines Tamaki et j’ai apprécié leur façon de mettre en scène les silences et les non-dits propre à cette période si particulière qu’est « la fin de l’insouciance ».


Cet été-là de Julian et Mariko Tamaki. Rue de Sèvres, 2014. 316 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Sandrine.

Les avis de Anne, Antigone, Bouma, Kathel, Lasardine, Leiloona, Marion, Mo', Noukette, Stephie.



Les BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie





mardi 10 mars 2015

Le baiser du mammouth - Antoine Dole

Arthur aime Fiona, la meilleure amie de sa sœur. Mais Fiona a quinze ans et lui n’en a que neuf. Une différence d’âge qui n’est pas un problème à ses yeux. Et même si personne ne veut prendre ses sentiments au sérieux, Fiona la première, lui est bien décidé à prouver que cette histoire d’amour, ce n’est pas de la rigolade !

J’avais hâte de découvrir Antoine Dole dans un registre différent, s’adressant à des lecteurs plus jeunes que des ados et sur un ton moins acide et moins teinté d’humour noir que ce qu’il propose avec la série Mortelle Adèle. Et bien je n’ai pas été déçu. Sa capacité à se glisser dans la peau d’un gamin de neuf ans est stupéfiante. Tout sonne juste dans la réflexion d’Atrhur, dans sa façon naïve et déterminée de vivre ce premier amour avec une sincérité absolue, avec la certitude que Fiona et lui, c’est pour la vie : « Elle est faite pour moi et, moi, je suis fait pour elle. Enfin, je crois. Et si c’est pas le cas, c’est pas grave, je trouverai un moyen de la faire changer d’avis. » On le sent prêt à bousculer des montagnes, avec ses mots à lui, ses sentiments à hauteur d’enfant. Et il faut bien reconnaître que tout cela est diablement touchant.

L’autre point positif tient dans le fait que l’auteur de « Je reviens de mourir » garde une vraie ambition dans l’écriture alors qu’il aurait pu succomber à la tentation de « bébéifier » un peu son discours. Ce n’est évidemment pas le cas et on retrouve ici son style percutant, son phrasé imagé et sensoriel : « C’est bête un cœur, ça s’ouvre pour un rien et ça bat la chamade, ça s’épluche même, comme un artichaut. » […] « Les chagrins d’amour, comme papa les appelle, c’est pour ceux qui abandonnent, ceux qui ne croient plus, ceux qui ont trop peur, ceux qui s’avouent vaincus. Si on baisse les bras dès que c’est compliqué, si on lâche l’affaire, alors on ne va jamais rien vivre de tout ce bonheur-là, on ne va jamais ressentir comment c’est tendre au-dedans, comment ça crépite, comment ça bouillonne, comment c’est plein de caresses, de rire et de joie. »

Et puis j’avoue que j’ai aimé la fin teintée d’un réalisme lucide, d’une certaine forme de morale qui sort quelque peu des sentiers battus. Pas cucul en tout cas. Du tout. En même temps, connaissant Antoine Dole, je serais tombé de ma chaise si cela avait été le cas.

Le baiser du mammouth, d’Antoine Dole. Actes sud junior, 2015. 78 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette pépite jeunesse avec Noukette.








lundi 9 mars 2015

Scipion - Pablo Casacuberta

Anibal, le narrateur, ne parvient pas à régler la question du père. Un père universitaire érudit et célèbre, spécialiste de l’antiquité qui lui a donné le prénom d’un héros carthaginois des guerres puniques. Un père qui n’a eu de cesse de l’humilier et de le rabaisser, un père qui, il en est persuadé, ne l’a jamais aimé. Et même s’il est mort depuis deux ans, la cicatrice est toujours ouverte. Alors qu’une fondation gère l’héritage paternel considérable, le fils, devenu alcoolique, vit dans une pension minable avec un vieillard grabataire comme colocataire. Son seul legs se résume à trois boîtes contenant beaucoup de paperasse dont une lettre lui accordant l’intégralité des biens de son géniteur, mais uniquement s’il parvient à remplir des conditions très contraignantes. Comme un ultime affront, une dernière façon de l’humilier et de le conforter dans sa médiocrité.

J’ai cru au départ à une variation de plus sur les relations père-fils compliquées. Mais c’est beaucoup plus fin. J’ai aimé chez Anibal cette légèreté de ton, cette amertume lucide et cette forme d’autodérision permanente qui, au final, se révèle touchante. Il y a bien quelques digressions à première vue pas indispensables mais l’introspection de ce pauvre homme se devait de passer par quelques séquences plus psychologiques que rocambolesques. La galerie de personnages entourant notre anti-héros vaut son pesant de cacahuètes, de l’avocat retors à l’infirme nymphomane en passant par l’ex-petite amie ayant réussi une brillante carrière.

Difficile de grandir à l’ombre d’un père à l’aura écrasante. Le manque de reconnaissance, la confiance en soi qui s’effrite, l’impossibilité d’assumer un nom trop lourd à porter. Finalement, seul le deuil permettra de transformer la haine et la colère en une certaine forme d’empathie. Un roman à la fois drôle et grave à l’indéniable sens comique. L’occasion pour moi de découvrir la voix singulière de Pablo Casacuberta, un auteur uruguayen que je ne suis pas près d’oublier.

Scipion de Pablo Casacuberta. Métailié, 2015. 262 pages. 18,00 euros.

Les avis de Clara et Nadael








dimanche 8 mars 2015

Un océan d’amour - Lupano et Panaccione

Certains livres sont plus précieux que d’autres. Parce qu’ils ont par exemple été offerts par des personnes qui comptent énormément ou encore parce que leur lecture a été un moment de grâce, une bulle de douceur loin des soucis du quotidien. Et bien Un océan d’amour réunit à lui seul ces deux conditions en ce qui me concerne.

Comment ne pas craquer pour les déboires de cette bigouden et de son mari marin. Harponné par un chalutier, il dérive sur l’océan avec une mouette pour seule compagnie. En chemin il croisera un pétrolier pollueur, des douaniers un peu trop zélés et des pirates plutôt bienveillants. Quant à elle, bien décidée à le retrouver, elle s’embarquera pour une croisière vers Cuba dont elle ne sortira pas indemne.

La BD muette me touche quand elle ne donne pas dans la démonstration technique et conceptuelle, quand le dessin reste en permanence au service de l’histoire et que sa fluidité permet un confort de lecture optimum. Autant vous dire que c’est le cas ici. L’alchimie fonctionne entre les délires scénaristiques finalement très structurés de Lupano et leur mise en scène par un Gregory Panaccione au sommet de son art. Je crois que jamais un récit muet ne m’avait autant parlé !

J’adore Lupano pour sa capacité à prendre en permanence le contre-pied des modèles dominants. Il fait de losers ou de retraités des héros magnifiques (Ma révérence et Les vieux fourneaux), et quand il s’attaque au western, c’est pour dénoncer l’usage des armes à feu (L’homme qui n’aimait pas les armes à feu). Ici, il nous raconte une histoire d’amour XXL entre un marin maigrichon et binoclard et une bigouden taillée comme une armoire normande. Tout sauf des gravures de mode mais des personnages attachants prêts à soulever des montagnes pour se retrouver. L’alternance de séquences hilarantes et d’autres plus dramatiques donne toute sa force à l’ensemble. Le découpage dynamique et imparable de Panaccione offre à leur épopée maritime l’écrin qu’elle mérite.

Une BD incroyable, totalement inclassable, dans laquelle on a envie de replonger encore et encore pour y dénicher de nouveaux détails, de nouvelles trouvailles ayant échappés à la lecture précédente. Une réussite totale, un album pétillant comme une coupe de champagne. Mais sans aucune bulle !

Un océan d’amour de Wilfrid Lupano et Gregory Panaccione. Delcourt, 2014. 224 pages. 24,95 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka.


Les avis de Livresse des mots, MargueriteMo', Noukette, SandrineSara et Violette.