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mercredi 26 mars 2025

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu - Léna Merhej et Sélim Nassib

Le Liban au début des années 70 est une mosaïque de communautés vivant en paix les unes à côté des autres. A Beyrouth, dans la rue Rizkallah, on trouve des chrétiens maronites, des juifs, des Chiites, des arméniens, des filles grecques, turques et égyptiennes travaillant dans les cabarets du front de mer. Épiciers, coiffeur, boulanger, menuisier et teinturier vivent en bonne entente, sans se mélanger. Tout le monde se connaît mais personne ne se voit vraiment. Les relations se limitent à la famille et aux lieux de culte. On ne se soucie pas des autres, ils font partie du décor, de la vie du quartier, on s’accepte sans se poser de question. C’est le génie de Beyrouth, « faire tenir ensemble ce qui ne devrait pas ». Jusqu’au jour où les palestiniens réfugiés au Liban prennent les armes pour provoquer Israël, le pays qui les a chassés de leur terre. L’armée libanaise veut mater les provocateurs pour éviter l’extension des combats sur son territoire mais les musulmans du pays se joignent à leurs frères palestiniens. En réponse, la population chrétienne crée des milices pour ne pas se laisser marcher dessus. C’est le début d’une guerre civile qui durera plus de quinze ans, entre 1975 et 1990.

Dans la rue Rizkallah, l’entente cordiale n’a plus cours. On se méfie du voisin, on espionne, on s’interroge. Et quand les combats ravagent le centre-ville, l’artère pleine de vie se vide petit à petit, de ses commerces et de sa population. Léna Merhej et Sélim Nassib racontent l’évolution des relations entre les habitants, le malaise, d’abord insidieux, prend une dimension concrète lorsque la guerre devient une réalité palpable pour tous. Le propos est aussi historique qu’instructif, il montre, à une échelle très locale, un phénomène qui a touché la société libanaise dans sa globalité et a signé la fin du vivre ensemble. La confrontation des personnages avec la guerre n’est pas frontale, ça reste finalement assez doux et bienveillant, donnant à l’album un charme particulier et indéfinissable.

Ce premier tome d’une trilogie se veut plus nostalgique que politique, plus mélancolique qu’engagé, autant pour se souvenir des temps heureux que pour signifier une forme d’évidence : oui, c’était mieux avant. 

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu de Léna Merhej et Sélim Nassib. Dargaud, 2025. 130 pages. 22,95 euros.










mercredi 19 mars 2025

L'adoption T5 : Le sourire du plombier - Zidrou et Arno Monin

L’album s’ouvre sur la mort du père. Un papa poule qui a élevé ses trois filles après le décès de sa femme. Sur les trois enfants, une seule est sortie du ventre de sa mère. Les deux autres ont été adoptées. Mais peu importe les liens du sang, elles ont toujours été des sœurs fusionnelles. La disparition de leur papa ravive les souvenirs. Avec elles nous replongeons dans leur passé. Quand maman était là, passionnée de littérature, nulle en cuisine mais toujours prête à leur lire les aventures de Fifi Brindacier. Et après sa mort, quand Papa a tout assumé, sans jamais se départir de sa bonne humeur, prêt à tous les sacrifices pour rendre la vie plus douce en dépit des épreuves à affronter.

Un album plein d’ondes positives malgré le deuil qui reste un sujet central. Contrairement aux autres opus de la série, on a ici affaire à un one shot et pas à un diptyque. Et contrairement aux autres opus de la série, l’adoption est vue comme un élément du passé et non comme le présent des protagonistes. Franchement, j’ai adoré cette histoire qui serre le cœur et en même temps donne le sourire. Zidrou revient à l’esprit des Beaux étés je trouve, ce mélange entre légèreté et gravité, cette volonté de laisser la lumière prendre le pas sur l’ombre, magnifiée par le dessin hyper expressif et tout en souplesse d’Arno Monin, qui prend parfois des faux airs de Jordi Lafebre.

Une lecture qui met du baume au cœur sans pathos ni nunucherie. La construction du récit est limpide, imparable. Une masterclass !

L'adoption T5 : Le sourire du plombier de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2024. 70 pages. 16,90 euros









mercredi 5 mars 2025

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... - Matt Kindt et Dan McDaid

Il y a quelques années, l’armée américaine a découvert un portail quantique permettant de se rendre sur une planète habitée par des entités extraterrestres. Une planète baptisée Terminus, sur laquelle un pied à terre a été construit pour les humains. Sur cette planète l’homme n’est pas vraiment le bienvenu, c’est pourquoi n’y sont envoyés en mission que la crème des marines. Robin est journaliste. Elle s’est jointe à l’équipage en route vers terminus pour rédiger le premier article consacré à cette incroyable planète. Problème, au bout d’à peine dix minutes sur place, les soldats censés la protéger ont tous été massacrés. Robin se retrouve seule, se demandant comment elle va pouvoir survivre… et mener à bien son reportage.

Un one shot de science-fiction qui se veut efficace mais qui balaie trop rapidement les enjeux qu’il soulève. L’équilibre entre action et réflexion est bancal, les scènes spectaculaires prenant le pas sur les questionnements philosophiques concernant la capacité de l’homme à salir tout ce qu’il touche. Car au final le propos se veut engagé, dénonçant ce travers humain qui consiste à aborder chaque nouveau territoire en conquérant plutôt qu’en invité curieux et bienveillant. L’idée est bonne mais sa mise en œuvre manque d’épaisseur. Dommage parce que le dessin est parfait pour de la SF, l’architecture de la planète Terminus s’apparentant parfois à un décor digne de Lovecraft. Une lecture agréable mais à laquelle il manque pas mal d’atouts pour passer dans la catégorie des incontournables.

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... de Matt Kindt et Dan McDaid. Delcourt, 2025. 95 pages. 17,95 euros.




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mercredi 26 février 2025

L’abîme de l’oubli - Paco Roca et Rodrigo Terrasa

Septembre 1940, en Espagne, dans la province de Valence. Des prisonniers républicains sont fusillés par les franquistes et jetés dans une fosse commune. Parmi eux, José Celda, un père de famille accusé de rébellion. Soixante-dix ans plus tard, sa fille Pepica arpente les méandres de l’administration pour sortir la dépouille de son père du charnier et lui offrir la sépulture qu’il mérite.

C’est l’histoire d’une octogénaire ayant promis à sa mère de ramener son mari près de lui, dans leur dernière demeure. Une fille déterminée à réunir ses parents malgré les difficultés. En 2007, une loi sur la « mémoire historique » a permis pour la première fois une condamnation explicite de la dictature et la reconnaissance des martyrs du franquisme. Dans cette loi, l'État s'engageait également à aider à localiser et éventuellement exhumer les victimes de la répression dont les corps étaient encore disparus. Pepica a profité de cette opportunité et est parvenue à obtenir la mobilisation d’une équipe d’archéologues. Grâce à une mèche de cheveux qu’elle a gardée pendant des décennies, son papa a pu être identifié, et sa dépouille lui être restituée.

Les auteurs montrent à la fois la détermination de Pepica, le sérieux des archéologues et le manque de volonté d’instances politiques réfractaires à revenir sur des épisodes douloureux de l’histoire du pays. Le passé et le présent s’entremêlent, mettant en lumière la figure héroïque de Leoncio Badia, le gardien du cimetière au moment des exécutions. Prenant tous les risques pour offrir un minimum de dignité aux suppliciés qu’il enterrait, il s’évertua également à garder des traces des défunts, ce qui facilitera leur identification bien après sa propre mort.

Le travail de Paco Roca et Rodrigo Terrasa offre une magnifique réflexion sur le devoir de mémoire et montre à quel point la question de l’héritage de la guerre civile espagnole est un enjeu complexe, relevant aujourd’hui encore d’une forme de « malaise national ». Un album poignant, alliant pudeur, respect et humanité.

L’abîme de l’oubli de Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Delcourt, 2025. 300 pages. 29,95 euros.



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mercredi 19 février 2025

Le chœur des sardinières - Léah Touitou et Max Lewko

1924. Á Douarnenez, les sardinières se rebiffent. Réclamant un meilleur salaire et le paiement des heures supplémentaires, les ouvrières des nombreuses usines locales engagent un bras de fer avec leurs patrons. Soutenues par les communistes et ce qui sera les prémices de la CGT, reçues à Paris par un ministre du travail qui les soutient mais reconnaît ne rien pouvoir faire pour elles, rejointes par leurs hommes pêcheurs qui refuseront de sortir en mer et confrontées à des casseurs de grève, elles ne lâcheront pas leur combat avant d’avoir obtenu gain de cause. Et tant pis pour le salaire manquant, il faudra se serrer les coudes pour tenir, pour que personne ne flanche, pour qu’aucune usine ne reprenne la production tant que le patronat n’aura pas accédé à leurs demandes.

L’album décrit parfaitement l’ambiance pesante sous le crachin breton, le rythme infernal de l’usine où les sardinières sont appelées par une cloche dès que les bateaux rentrent au port, car la sardine n’attend pas, elle doit être traitée dès son débarquement. Il est question de la violence des maris allant boire leur maigre pécule au bar, du travail des enfants, mis à contribution dès 10 ans, et surtout de l’impossibilité d’imaginer un avenir meilleur avec un salaire permettant tout juste de faire bouillir la marmite et, pour les jeunes, aucune chance de poursuivre leurs études. Les auteurs montrent la solidarité entre les ouvrières, le combat mené par le maire de la ville, qui n’a jamais cessé de défendre leur cause, l’intervention d’une militante syndicale venue de la capitale et le mépris de ces patrons considérant les sardinières comme des petites mains ne méritant pas la moindre considération de leur part. 

Un one shot que j’ai dévoré et qui m’a permis de découvrir à la fois un moment important de la lutte sociale de l’entre-deux guerres et un grand combat féministe, mené par des travailleuses aspirant simplement à vivre dignement du fruit de leur dur labeur. Aussi instructif qu’inspirant ! 

Le chœur des sardinières de Léah Touitou et Max Lewko. Steinkis, 2025. 135 pages. 20,00 euros.


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mercredi 12 février 2025

Lover Dose - Fortu

L’amour, un thème inépuisable. Qui peut vite devenir cucul si on n’y prend garde. Aucune chance que cela arrive à Fortu, tant son approche du sujet conjugue cynisme et humour décalé. Il aborde dans cet album des thématiques aussi variées que la répartition des tâches, la charge mentale, les centres d’intérêt divergents, la complicité de façade, les changements que l’autre ne remarque même plus et, bien évidemment, l’alchimie sexuelle qui n’est souvent qu’un mirage. Il y est aussi question de jardins secrets difficiles à cacher, d’efforts que l’on ne prend plus la peine de faire et de l’impossibilité d’être sur la même longueur d’ondes au même moment. S’il n’y avait qu’une seule conclusion à tirer ? : Dans les couples d’aujourd’hui, les intérêts individuels prennent (presque) toujours le pas sur le collectif !

Le ton n’est ni méchant ni violent, l’inspiration « artistique » de Fortu est clairement à chercher du côté de Fabcaro (Et si l’amour c’était aimer ?) et Emmanuel Reuzé (Faut pas prendre les cons pour des gens). De l’absurde, du dessin semi-réaliste un poil figé, du gag en une planche où la chute doit déclencher l’hilarité, les ingrédients sont les mêmes que ceux utilisés par ses célèbres modèles. Alors ça ne marche pas à tous les coups, c’est plus ou moins inspiré mais l’auteur n’enfonce pas trop de portes ouvertes et tombe rarement dans la facilité des grands clichés. Petit bémol, un certain manque de diversité dans les couples mis en scène. Disons que, malgré quelques couples mixtes, on donne surtout dans le couple blanc 100% hétéros et 100% sans enfants.

Au final, une succession de tranches de vie grinçantes et loufoques qui se lit avec plaisir et sans prise de tête. Attention toutefois à ne pas mettre cet album entre les mains des idéalistes de l’amour.

Lover Dose de Fortu. Expé Éditions, 2025. 80 pages. 18,95 euros.


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mercredi 5 février 2025

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse - Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini

Dans un hameau corse, un couple découvre une jeune femme inconsciente près d'une voiture accidentée. Une mallette remplie d'argent est à ses côtés. En vacances dans les Alpilles, Louise Beauvoir croit reconnaître la disparue dont parlent les journaux. Elle ressemble à l’adolescente qu'elle recherche depuis sept ans. Pas question d'annuler les vacances, Louise change simplement de destination... et se rend en Corse avec sa fille pour faire la lumière sur cette histoire. 

De la BD à papa, à l’ancienne. Une histoire simple, avec les préjugés classiques sur les corses et leurs “traditions”. On sait dès le départ qui sont les victimes et les coupables, l’enjeu consiste juste à savoir comment ils vont être démasqués. Là encore c’est plutôt convenu, amené avec une forme de logique où tous les éléments viennent s’imbriquer un peu trop facilement. Au final le moment de lecture, certes sans surprise, reste agréable, du moins si l’on n’est pas en recherche de modernité et de complexité en termes de scénario.

En fait, on se croirait dans un polar régionaliste de France 3 le samedi soir. N’y voyez rien de péjoratif, c’est juste un constat et c’est clairement la première référence qui me vient. D’ailleurs, cette impression est renforcée quand on sait que le scénariste Bruno Lecigne a écrit des dizaines de téléfilms pour France TV et qu’il envisage de placer chaque nouvelle enquête de Louise Beauvoir dans un coin de France différent (la prochaine se déroulera en Haute-Savoie). 

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse de Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini. Les Humanoïdes Associés, 2024. 96 pages. 22,00 euros.










mercredi 22 janvier 2025

Le Mystère Henri Pick - Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini

À Crozon, au début des années 90, la bibliothèque municipale a créé une section dédiée aux manuscrits refusés par les éditeurs. Trente ans plus tard, Delphine, une éditrice parisienne en vacances chez ses parents, découvre sur une étagère de cette section un roman intitulé : « Les dernières heures d’une histoire d’amour ». Persuadée d’avoir mis la main sur un chef d’œuvre, elle part en quête de son auteur, un certain Henri Pick. Décédé depuis peu, Mr Pick était le pizzaïolo du village. Sa femme, qui ne l’a jamais vu lire et encore moins écrire, peine à croire qu’il était un homme de lettres. Une fois publié, le roman rencontre un incroyable succès. L’histoire semble trop belle et les zones d’ombres sont trop nombreuses, à tel point qu’une partie du public et des médias ne se mettent à douter de sa véracité. Supercherie ou conte de fée ? Un critique littéraire va se lancer dans la résolution du mystère Henri Pick, persuadé de découvrir une vérité bien différente de celle que l’on a vendue aux lecteurs.

Je n’ai pas lu le roman mais j’ai vu le film avec Lucchini, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette adaptation en bande dessinée du texte de David Foenkinos a donc été en quelque sorte une totale découverte. Et plutôt une bonne surprise. On se laisse prendre au jeu, orienter vers des fausses pistes, balloter entre des infos d’une crédibilité douteuse et des éléments tangibles qui restent malgré tout fragiles. Et puis quel plaisir de se plonger dans la réalité du monde de l’édition germanopratin. Il est appréciable également que le récit prenne son temps, qu’il se déploie avec tous les détails nécessaires, sans raccourcis ni accélérations malvenus.

L’italienne Ilaria Tebaldini signe ici sa première BD et le résultat est plus que prometteur. Son trait est souple et dynamique, le choix des couleurs pertinent et le découpage sans fausse note. Un roman graphique qui se lit tout seul et avec plaisir, jusqu’à la résolution finale du mystère Henri Pick !

Le Mystère Henri Pick de Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini (d’après le roman de David Foenkinos). La Boîte à Bulles, 2024. 180 pages. 28,00 euros.   






mercredi 15 janvier 2025

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire

Se nourrir est longtemps resté un besoin primaire. Les habitudes des chasseurs cueilleurs dans ce domaine ont changé avec l’apparition du feu puis de l’agriculture mais il faudra attendre la naissance des civilisations pour que la diversité alimentaire s’intensifie. Dans l’Antiquité les épices dominent, au Moyen-Age, les nobles se gavent de plats lourds et bien trop caloriques pendant que les paysans se contentent de légumes et de céréales. 

C’est grâce à Catherine de Médicis que la gastronomie et les arts de la table vont gagner en raffinement. Louis XIV prend son dîner en public alors qu’après la révolution, les cuisiniers des aristocrates quittent leurs patrons pour ouvrir des restaurants. Paris devient une référence en la matière en Europe, une position qui se renforcera sous Napoléon. C’est à cette époque que naît une autre révolution, celle des conserves, bientôt suivie par le début des chambres froides. Le 19ème siècle voit aussi apparaître les critiques culinaires dans les journaux et le début du 20ème la première édition du guide Michelin. 

Après les privations de la seconde guerre mondiale, les outils de cuisine et la façon de consommer font un saut dans la modernité. Plus tard, les nutritionnistes entrent en guerre contre la malbouffe, la demande de bio et de végétal s’accroît aussi vite que la construction de fastfood. Finalement, chacun choisit son alimentation selon ses goûts et ses moyens. Manger est toujours vital, mais la cuisine est aussi un marqueur culturel pour tous les peuples du monde. Et une source de revenus pour les influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.

Pas simple de balayer des millénaires d’histoire de la gastronomie. C’est à la fois trop rapide, trop bavard et incomplet. Les auteurs proposent une présentation chronologique, parsemée de portraits des grands noms de la cuisine française. On a malheureusement souvent l’impression de crouler sous des informations dont on peine à faire le tri entre l’essentiel et l’anecdotique. Heureusement, de petites touches d’humour offrent des respirations bienvenues dans la densité du texte. 

Le projet était ambitieux, sa réalisation souffre d’une trop grande volonté d’exhaustivité. Le résultat final en impose mais il aurait sans doute été préférable de scinder cette histoire de la gastronomie en deux tomes pour la rendre plus digeste.

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire. Delcourt, 2024. 160 pages. 25,95 euros.



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mercredi 8 janvier 2025

Au chant des grenouilles T2 : Le concours - Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza

Dans l'épisode précédent, on avait laissé les membres du club du samedi chercher LA recette parfaite pour remporter le grand concours de pâtisserie organisé par le village. On retrouve dans ce deuxième tome nos amis animaux déterminés à créer le gâteau qui leur permettra de rafler la mise en respectant les trois contraintes imposées par le règlement : utiliser un légume, trouver un ingrédient provenant d'un arbre qui ne soit pas un fruit classique et ne rien acheter en magasin. Basil le grillon, Fog le corbeau et Vanille la chouette sont fiers de leur réalisation et ne doutent pas un instant que le jury va succomber à leur douceur. Ils ne vont malheureusement pas se tromper, pour leur plus grand malheur !

Particularité de cette série, chaque tome est réalisé par un dessinateur différent. Dans ce deuxième volume, le trait de Jérémie Almanza est moins rond que celui de Florent Sacré mais l’ambiance chaleureuse qui se dégage de l’environnement sylvestre reste présente. Les décors intérieurs sont particulièrement soignés et donnent envie de s’installer au coin de la cheminée sous un plaid pour papoter avec nos héros. L’histoire est simple, linéaire, et les illustrations pleine page permettant de mieux comprendre les mystères de la nature et les secrets de la forêt continuent d’offrir des respirations bienvenues dans le récit. 

Une lecture apaisante. L'intrigue apporte un semblant de mystère qui n'a rien d'anxiogène, ce n'est clairement pas le but. On évolue plutôt ici dans un environnement "doudou" où il fait bons vivre des aventures simples, sans enjeux démesurés. Franchement, ça fait du bien !

Au chant des grenouilles T2 : Le concours de Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza. Oxymore, 2024. 48 pages. 14,95 euros.

Mon avis sur le tome 1 : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/05/au-chant-des-grenouilles-t1-urania-la.html


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mercredi 18 décembre 2024

Somna - Becky Cloonan et Tula Lotay

On ne sait pas vraiment où l’on est. On ne sait pas non plus à quelle époque. Disons juste que, vu l’environnement et l’état d’esprit, on pourrait très bien se retrouver dans l’Angleterre du 17ème siècle ou dans l’Amérique des premiers colons à peine descendus du Mayflower. En tout état de cause, l’ambiance est lourde dans le petit village où vit Ingrid. Greta, accusée de sorcellerie, vient d’être brulée en public. Et l’inquisiteur qui l’a condamnée au bûcher n’est autre que le mari d’Ingrid. Cette dernière, se sentant délaissée par son époux, reçoit la visite chaque nuit dans son sommeil d’une figure fantomatique provoquant en elle un trouble qu’elle peine de plus en plus à cacher. Perturbée par la situation, elle oscille entre honte et tentation de se laisser submerger par le désir.

Un roman graphique étonnant, à la croisée des genres, mélangeant le récit historique au thriller, le fantastique à l’érotique. Dénonçant à la fois le puritanisme, le fanatisme religieux et le patriarcat, les autrices font de cette chasse aux hérétiques une apologie de l’émancipation féminine et du droit au fantasme. La prise de position peut parfois sembler manquer un peu de nuances tant elle enfile les clichés comme des perles, mais au final le message passe avec une indiscutable efficacité.

Graphiquement le contraste est saisissant entre les phases d’éveil d’Ingrid et celles où elle navigue dans ses rêves torrides. L’ambiance sombre et tendue, oppressante à souhait, est restituée à merveille par une colorisation où la lumière n’a pas sa place. Difficile de ne pas penser aux Sorcières de Salem (la pièce d’Arthur Miller) ou à La lettre écarlate (le roman de Nathaniel Hawthorne) en parcourant cette charge assumée contre l’obscurantisme de l’église et ses réactions excessives face à un désir féminin forcément associé à l’incarnation du Malin.

Somna de Becky Cloonan et Tula Lotay. Delcourt, 2024. 190 pages. 23,75 euros.



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mercredi 11 décembre 2024

Inoubliables T2 - Fabien Toulmé

Toulmé = humanité. Pas à dire, chacun de ses albums dégouline d’humanité. Qu’il s’intéresse au sort d’un migrant, qu’il raconte ses premiers pas de parent d’enfant trisomique, qu’il parte au Bénin, au Liban, en Corée du Sud ou aux Comores pour rencontrer des citoyens en lutte ou qu’il imagine l’histoire d’amour passionnée d’une mamie, à chaque fois il me transperce le cœur par sa capacité à la fois humble et respectueuse de recueillir et de retranscrire la parole des personnes qu’il dessine.

Ce deuxième tome de la série Inoubliables ne fait évidemment pas exception à la règle. Au menu on retrouve cinq témoignages aussi poignants que différents : une rescapée d’une avalanche, une victime de relation amoureuse toxique, un chanteur en ehpad, un homme qui a dû refouler son homosexualité pendant quarante ans par peur des conventions sociales et un civil ukrainien devenu soldat pour défendre sa patrie. Chaque histoire est authentique, chaque confession est à la fois intime et pleine de dignité. 

Niveau dessin, le découpage est toujours aussi simple, se déclinant le plus souvent en gaufrier de six cases. Et niveau émotion, l’empathie de l’auteur pour les interviewés fait le reste. Sans jamais tomber dans le mélo il raconte l’événement le plus marquant de leur vie avec un mélange d’affection, d’admiration et de bienveillance qui force le respect. Bref, une fois encore (et sans doute pas la dernière) Toulmé m’a touché !

Inoubliables T2 de Fabien Toulmé. Dupuis, 2024. 160 pages. 20,50 euros.



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mercredi 4 décembre 2024

Soda Hors Série T1 + T2 de Tome et Dan

Perplexe. Voilà dans quel état m’a laissé ce diptyque. Un diptyque que n’aura malheureusement pas pu achever son scénariste Tome, décédé avant d’avoir pu boucler la fin de l’histoire. À la demande de ses enfants, ce sont Zidrou et Falzar qui ont accepté d’imaginer le dénouement. Clairement, ce scénario est la seule et unique raison de ma perplexité. On y déroule en effet dans le 1er tome une idéologie 100% complotiste à propos des terribles événements du 11 septembre. J’ai d’abord voulu croire que Tome allait se jouer de ces théories fumeuses pour mieux les débunker mais les notes de fin d’album laissent entendre qu’il y adhère sans beaucoup d’ambigüité. En tout cas il se permet de douter grandement des conclusions officielles. Et j’avoue que ça me pose de gros problèmes.

Pour ceux qui ne connaissent pas Soda, la série existe depuis 1987. Elle met en scène un flic new-yorkais vivant avec sa mère cardiaque. Pour ne pas révéler sa véritable activité à sa maman et risquer de lui briser le cœur (au sens propre), il sort et rentre chaque jour chez lui habillé en pasteur. L’homme de loi déguisé en homme de foi cache sous sa veste un flingue dont il se sert plus souvent que la majorité de ses confrères. Il faut dire que Soda attire les ennuis et enchaîne courses-poursuites, bagarres et échanges de tirs. Un mélange d’action et de comédie dans le décor parfaitement reconstitué de Big Apple qui offre un divertissement agréable et sans prise de tête.

Mais avec ce diptyque, le changement de ton est radical, le propos est plus sombre, la tension dramatique plus palpable. Et surtout, les sous-entendus complotistes se multiplient. Qui tirent les ficelles ? « Ils » évidemment. Qui ça ? Ben, « le réseau ». Ok, on n’en saura pas plus. Les avions ont fait tomber les tours ? N’importe quoi. Les terroristes islamistes ? Un écran de fumée déployé par le gouvernement américain pour justifier des invasions militaires en Irak et en Afghanistan. Les médias ? Manipulés. Les forces de l’ordre ? Manipulées. Le peuple de moutons qui avale tout ce qu'on lui dit sans se poser de question ? Manipulé bien sûr. Autant je peux comprendre la critique de la dérive sécuritaire et des technologies de contrôle de la population post 11 septembre (notamment le Patriot Act), autant la présentation des faits alternatifs comme seule vérité possible m’est insupportable.

Zidrou et Falzard signent les quinze dernières pages de l’album. Ils tentent de s’écarter du complotisme pour recentrer le propos vers une explication finale « plus acceptable » mais le fait est que ça ne fonctionne pas. Bref, un gros raté de bout en bout. Soda mérite mieux que ça.

Soda 1/2 : Résurrection de Tome et Dan. Dupuis, 2024. 56 pages. 13,50 euros
Soda 2/2 : Révélations de Tome et Dan. Dupuis, 2024. 56 pages. 13,50 euros


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mercredi 27 novembre 2024

À la ligne : feuillets d’usine - Julien Martinière (d'après le roman de Joseph Ponthus)

La Bretagne, Joseph Ponthus s’y est installé pour suivre sa femme. Sans emploi, il a écumé les boîtes d’intérim et enchaîné les missions dans l’agroalimentaire, entre usines de transformation des produits de la mer et abattoir. A chaque fois, un rythme infernal à tenir, une pénibilité XXL, une fatigue qui vous terrasse à la fin de la dernière heure de la journée et ne vous quitte pas jusqu’à celle de la reprise de poste le lendemain. Le monde de l’usine est un monde à part où il faut appréhender le bruit et les odeurs, où il faut tenir le rythme des horaires décalés, où le travail à la chaîne n’accepte aucun maillon faible. Une plongée brutale dans un environnement industriel dont il faut apprendre à maîtriser les codes pour s’y sentir accepté. Joseph ne connaissait rien à cet univers avant de le fréquenter. Il découvre des relations hiérarchiques compliquées, des collègues plus ou moins « fréquentables », une précarité propre au statut d’intérimaire qui ne lui offre aucune certitude sur la durée et l’oblige à travailler les jours de grève pour ne pas voir sa mission stoppée avant son terme. Il comprend que sa vie de famille va être bouleversée (il dort quand sa femme part, il n’est pas là quand elle rentre…), et que ses rares moments de respiration seront consacrés à promener son chien sur la plage, entre deux tasses de café.


Il fallait être culotté pour se lancer dans l’adaptation en BD d’un livre devenu depuis sa publication un « classique »contemporain. On y retrouve cette réflexion sans arrière-pensée sur le monde ouvrier, cette succession, par petites touches, d’impressions, de ressentis, cette affection qui se développe petit à petit pour une population de travailleurs très différente de ce que le narrateur a l’habitude de côtoyer. L’intérêt tient beaucoup dans le fait que Ponthus n’est pas un sociologue en immersion, c’est juste un gars qui a besoin de bosser pour payer les factures. Ce statut de « véritable » salarié de l’usine donne une sincérité à son témoignage qui éloigne tout jugement de classe. 

L’adaptation est hyper fidèle, le texte étant retranscrit, certes pas dans son intégralité, mais au mot près pour chaque passage sélectionné. Je ne sais pas si cela a desservi l’album mais j’ai trouvé que les premiers chapitres étaient trop sages, trop respectueux de l’œuvre d’origine. Le noir et blanc et le dessin au rotring, quasi pointilliste, ont beaucoup de charme mais n’apportent finalement aucune valeur ajoutée, du moins jusqu’à l’épisode sur l’abattoir. A partir de là, Julien Martinière lâche les chevaux, proposant une vision hallucinée et ultra expressive de ce lieu infernal. L’aspect cauchemardesque est rendu avec un souffle créatif et une maîtrise graphique justifiant à eux seuls la découverte de cet album qui sonne au final comme un bel hommage à un ouvrier/écrivain trop tôt disparu.


À la ligne : feuillets d’usine de Julien Martinière (d'après le roman de Joseph Ponthus). Sarbacane, 2024. 206 pages. 25,00 euros.




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mercredi 20 novembre 2024

Les contes de la pieuvre T4 : Fannie la renoueuse - Gess

Fannie est une renoueuse. Elle possède un don, un « talent » lui permettant d’entrer dans la tête des gens pour mieux comprendre d’où viennent leurs traumatismes, qu’ils soient psychiques ou pas. L’empathie dont elle fait preuve envers ses patients lui permet de ramener sur le chemin de la raison les esprits égarés auxquels les psychiatres ne peuvent être d’aucun secours. Son talent si particulier attire l’attention de La Bouche, un des quatre chefs d’une organisation criminelle qui fait régner la terreur sur Paris. Enlevée par cette mafia, Fannie va devoir s’occuper d’un cas aussi complexe que délicat, qui pourrait lui causer les pires ennuis.

Comme toujours dans cette série, un résumé de l’intrigue ne peut qu’être incomplet tant l’histoire est riche d’éléments et de personnages multiples. Et comme toujours, l’univers créé par Gess est fascinant, reposant sur l’assemblage parfaitement construit de ses différentes composantes (Paris, le début du 20ème siècle, la pègre, des éléments fantastiques et des protagonistes hyper attachants). Si on y ajoute un petit côté feuilletonnant digne des Mystères de Paris, on se retrouve avec un album en tout point passionnant.

Les couleurs sépia, les décors, les vêtements, l’usage de l’argot, tout nous plonge dans une atmosphère typique du Paris de la fin du 19ème. Moins gothique et moins sombre que le tome consacré au « Trouveur » (le tome 2, le seul que j’avais lu jusqu‘alors), ce quatrième opus des contes de la pieuvre est une grande fresque dramatique teintée d’un semblant d’espoir. L’avantage avec cette série c’est que chaque épisode forme une histoire complète pouvant se lire indépendamment des autres. Je vais donc m’empresser de dénicher les tomes qui me manquent pour mieux cerner la richesse foisonnante de ce monde aussi dense que cohérent.

Les contes de la pieuvre T4 : Fannie la renoueuse de Gess. Delcourt, 2019. 200 pages. 27,95 euros.



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mercredi 13 novembre 2024

Cosmopirates T1 : Captif de l’oubli d’Alejandro Jodorowsky - Pete Woods

Xar-Cero est le meilleur combattant de l’univers. Engagé par les sept Magnobankiers qui exploitent et asservissent les planètes de la galaxie, le mercenaire va se rebeller après avoir mené une campagne meurtrière de grande ampleur pour le compte de ces tyrans. Pour le punir, ils vont effacer sa mémoire et l’envoyer sur une minuscule planète, où il va se réveiller dans la peau d’un médecin. Ce sera pour lui le point de départ d’une folle échappée à travers l’espace, à la recherche de ses souvenirs perdus.

Quel délire cet album ! Un Space Opera old school, hommage aux romans des années 60, rehaussé d’un environnement graphique ultra moderne. Ça va à 200 à l’heure, les événements s’enchaînent (presque) sans queue ni tête, à tel point qu’on a l’impression que seul le rythme compte, que l’action doit à tout prix prendre le pas sur l’intrigue. Héros charismatique et invincible, antagonistes caricaturaux, exploration spatiale, guerres interplanétaires, tous les ingrédients du roman de SF « classiques » sont réunis et secoués dans ce shaker survitaminé.

Alors oui, clairement, ça manque de fond, ça manque de cohérence, ça manque d’épaisseur. Mais j’ai envie de dire que ça fait partie des règles du jeu et le lecteur doit savoir à quoi s’attendre en se lançant dans une telle aventure. Niveau dessin, on est clairement dans une veine de comics à l’Américaine. Rien de plus logique dans la mesure où le dessinateur Pete Woods a œuvré auparavant sur des séries telles que Spider-man, Deadpool, Batman ou Wolverine. Quant au scénariste Alejandro Jodorowsky, il continue de baigner dans l'univers de ses séries cultes « L'incal » et « La caste des Métabarons ».

Du pur divertissement, sans autre ambition que de faire passer un bon moment aux amateurs de science-fiction « à l’ancienne ». Aucune complexité scénaristique, aucun risque de nœud au cerveau, du dépaysement et de la détente avant tout. Si c’est ce que l’on cherche, c’est le titre parfait. A priori l’histoire sera conclue en deux tomes. C’est un argument positif supplémentaire en ce qui me concerne.

Cosmopirates T1 : Captif de l’oubli d’Alejandro Jodorowsky et Pete Woods. Humanoïdes Associés, 2024. 80 pages. 16,50 euros.




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