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mercredi 25 juin 2025

La fabrique des insurgées : 1869, la première grève d'ouvrières - Bruno Loth

Années 1860. Adélaïde et Camille, deux amies, quittent l’Ardèche pour devenir ovalistes (ouvrière de la soie) dans une usine lyonnaise. Adelaïde succombe aux cadences infernales imposées par les patrons quelques mois après son arrivée alors que Camille finit par trouver sa place au milieu de ses compagnes de labeur. Elle est par la suite rejointe par ses jeunes frères et sœurs, eux aussi soumis à des conditions de travail inhumaines. Ne supportant plus les salaires ridicules, les horaires à rallonge et les violences (y compris sexuelles) des contremaîtres, les ouvrières décident d’écrire au préfet pour obtenir des avancées sociales et professionnelles. Devant le silence de ce dernier, elles n’ont d’autre choix que de se mettre en grève.

Après la grève des sardinièresbretonnes en 1924, me voilà à nouveau plongé dans un mouvement ouvrier porté par des femmes, cette fois-ci à Lyon en 1869. Ce one shot forcément militant se veut un hommage à une lutte féministe à laquelle peu d’historiens se sont intéressés. Le propos est très documenté, hyper rigoureux et fidèle à la réalité en ce qui concerne le déroulé des événements. C’est évidemment enrichissant d’un point de vue historique mais trop sage au niveau de la narration. Ce côté didactique (presque scolaire) ne permet pas de réellement s’attacher à ces femmes en lutte. Par contre les aspects sociaux sont passionnants. Il est par exemple intéressant de constater à quel point les syndicats, censés défendre les ouvrières, n’ont pu se défaire d’une vision patriarcale du travail et du rapport de force entre les grévistes et les patrons. Ou encore de voir que ces femmes n’ayant pas eu accès à la moindre instruction sont incapables d’écrire une lettre officielle et doivent engager un homme pour rédiger leur missive au préfet.

La toute première grève féminine de l’histoire de France aura duré moins d’un mois et n’aura pas accouché de grandes avancées sociales. Il n’empêche, cette page d'histoire de la lutte sociale émanant d’ouvrières méritait d’être davantage portée à la connaissance du public. C’est chose faite grâce au travail minutieux et engagé d’un Bruno Loth au meilleur de sa forme graphiquement parlant.

La fabrique des insurgées : 1869, la première grève d'ouvrières de Bruno Loth. Delcourt, 2025. 130 pages. 20,50 euros.


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mercredi 4 juin 2025

Fuck ze tourists - Maltaite et Zidrou

Ah ils sont beaux les touristes du dimanche ! À Venise, au pied des pyramides mayas, sur les plages d’Italie pour voir s’échouer des migrants, pendant les safaris photos ou en visitant un camp de concentration, force est de constater que les comportements inappropriés sont devenus la norme. Profiter du paysage ? Enrichir sa culture ? Être ému par l’héritage historique d’un lieu ? On n’est pas là pour ça, voyons. Le but est de tout faire, très vite, comme tout le monde, et de poster sur les réseaux, toujours plus vite, pour récolter like et commentaires ébahis. Toujours paraître plutôt qu’être, tout ramener à soi et ne jamais se poser de question, c’est simple d’être un touriste aujourd’hui...

Un album sans pitié pour les touristes, moutons décérébrés qui suivent le troupeau, qui prennent la pose comme tout le monde, mêmes endroits, même angle de vue, même selfie pour inonder les réseaux d’un bonheur de façade, créer une illusion et fuir la réalité. Bien sûr Zidrou force le trait, il chausse ses gros sabots pour dénoncer les ravages du surtourisme, montrant l’égoïsme des voyageurs et la résistance des locaux. Des voyageurs qu’il s’amuse à malmener et à ridiculiser de façon forcément caricaturale et, en même temps, avec (malheureusement) une évidente part de réalisme. C’est drôle, méchant et plutôt bien vu, tant pis pour ceux qui se reconnaîtront dans certaines situations !

Fuck ze tourists de Zidrou et Éric Maltaite. Fluide Glacial, 2025. 55 pages. 13,90 euros




mardi 27 mai 2025

Toxique - Matthias Bourdelier

Pervers narcissique, harceleur, passif-agressif, ghosteur, zéro rep, faux romantique, dominateur ou manipulateur compulsif… la diversité des comportements toxiques semble (malheureusement) infinie. À travers une série d’histoire courtes, Matthias Bourdelier met en scène des situations toxiques traitées de façon humoristique. Relations amoureuses, sexuelles, sociales ou amicales, famille, travail, politique, tout y passe, entre absurde et réalisme.

Beaucoup de cynisme dans chaque histoire, une volonté d’appuyer là où ça fait mal, de décrire des situations du quotidien qui exposent la mécanique toxique avec une indiscutable limpidité. Les scénettes se limitent pour la plupart à des conversations entre deux protagonistes. C’est souvent très bavard mais au moins chacun peut développer son argumentaire (et dévoiler d’autant plus sa nature toxique). Le prisme de l’humour et de l’absurde permet une certaine mise à distance par rapport au sujet, même si les comportements inappropriés sautent aux yeux du lecteur sans ambiguïté. 


Niveau dessin, on est clairement dans la veine de Fabcaro et Emmanuel Reuzé qui, esthétiquement, se révèle parfaite pour une telle forme d’humour et un tel format (petit livre carré).

Un recueil foisonnant, qui a le mérite d’aborder un sujet grave sous un angle décalé où le second degré règne en maître.

Toxique de Matthias Bourdelier. Expé éditions, 2025. 145 pages. 17,95 euros. 




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mercredi 21 mai 2025

Plus loin qu’ailleurs - Chabouté

« J’ai rêvé de partir, j’ai été contraint de rester… Alors je suis parti en restant. J’ai voulu les quatre coins du monde, j’ai eu les quatre coins de la rue… »

Il est veilleur de nuit dans un parking. Vingt ans qu’il n’est pas parti en vacances, qu’il se lève quand tout le monde se couche, qu’il se couche quand tout me monde se lève. Il n’a jamais vu la tête de ses voisins, n’a jamais dit bonjour à son facteur. Jamais de lumière dans sa vie, à part celle d’une ampoule électrique. Une vie de hibou qui va bientôt connaître une parenthèse enchantée, en Alaska. Quinze jours dans le Klondike, sur les traces des chercheurs d’or du 19ème siècle. La nature sauvage à perte de vue, de quoi en prendre plein les yeux…

Chabouté fait du Chabouté et c’est parfait comme ça ! Un noir et blanc intense et profond, une science du cadrage époustouflante, l’incroyable expressivité des visages, des silences qui en disent bien plus que de longs discours. Et toujours ces variations sur la solitude, l’attention portée à ce qui nous entoure, ces détails insignifiants tellement porteurs de sens pour qui sait les observer. Notre homme s’attarde sur des petits riens, des éléments de décor, des déchets sur le sol, des personnes qu’il ne fait que croiser mais dont il analyse chaque mouvement. Il compile ses notes dans un carnet de voyage merveilleusement poétique. Et puis quoi d’autre ? Eh bien rien de plus. Juste une petite musique qui nous emporte avec douceur et humanité, qui nous pousse à la réflexion sur le quotidien et sa routine aveuglante. 

Qu’il est bon de lire une histoire simple et positive, déroulée avec la maîtrise envoutante qui caractérise l’auteur de Fables amères. Tout en sensibilité, sans un mot ou une image de trop, il fait de l’insignifiant un récit aussi apaisant que passionnant. Chapeau bas monsieur Chabouté !

Plus loin qu’ailleurs de Chabouté. Vents d’Ouest, 2025. 150 pages. 24,00 euros.  


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Noukette



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mercredi 14 mai 2025

Les vacances chez pépé-mémé - Guillaume Bouzard

Tout est dans le titre !
En vacances chez pépé-mémé, on s’attache à des animaux qui vont finir dans notre assiette ou en charpie sous les roues du tracteur, on profite du grand air et des toilettes au fond du jardin, on ne fait pas un drame au moindre bobo et on doit composer avec des voisins francs du collier. En plus pépé-mémé n’ont pas beaucoup de temps à accorder à leurs petits-enfants et quand ils acceptent de jouer avec eux, c’est pour tricher à la belotte. Bref, quand on va à la campagne chez Fernand et Colette, les vacances s’annoncent forcément inoubliables, même si la liberté accordée ne se conjugue pas forcément avec le bonheur assuré.

Un album de Bouzard, ça ne se refuse pas. Comme d’habitude, l’auteur de Jolly Jumper ne répond plus a composé une galerie de personnages hilarants. Les grands-parents bien sûr mais aussi le petit Ethan qui enchaîne « les accidents », Paulo le libidineux ou Marie-Claude la commère, tous participent à leur façon au grand n’importe quoi de cet album sans filtre. L’humour est noir, trash, irrévérencieux, parfois très « pipi/caca » et les enfants, maltraités par mère-nature, sont plus souvent rabroués que consolés par leurs aïeux.

Amateurs de finesse et de bon goût, passez votre chemin. Chez pépé-mémé, on rit gras et on ne s’en prive pas. Franchement, ça fait du bien de piétiner à ce point le politiquement correct. D’ailleurs, il y a longtemps que je n’avais pas autant rigolé en lisant une BD !

Les vacances chez pépé-mémé de Guillaume Bouzard. Fluide glacial, 2025. 55 pages. 14,90 euros.



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mercredi 30 avril 2025

La terre verte - Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle

Et si Richard III n’était pas mort à la fin de la pièce éponyme de Shakespeare. Et s’il était devenu un mercenaire en route pour le Groënland avec un évêque de Rome dépêché sur place pour remettre les rares habitants de cette terre désolée sur le chemin de Dieu. Et si, tel un impitoyable Machiavel, il avait œuvré pour devenir l’indiscutable monarque de ce royaume gelé. Et si, du coup, Donald Trump n’était qu’un vil copieur avec son ambition d’annexer le Groënland. Avec tous ces si (sauf le dernier, puisque l’album a été réalisé avant l’élection américaine), Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle ont imaginé une histoire d’une profondeur et d’une puissance exceptionnelles, tout simplement la meilleure BD que j’ai lue depuis très longtemps.

Déjà, coup de chapeau à l’éditeur pour avoir décidé de publier cette saga de près de 300 pages en un seul volume alors qu’il aurait sans doute été plus lucratif de la sortir sous forme de trilogie. Dans ce one shot aussi dense qu’intense, les auteurs prennent le temps de développer leur intrigue. L’arrivée dans l’ancienne colonie viking, les conditions de vie extrêmes, les rouages politiques de cette micro communauté, la peur des autochtones, la prise de pouvoir par l’évêque puis son éviction par Richard et enfin l’avènement puis la chute de ce dernier, tout est décrit avec une maîtrise narrative qui force l’admiration.

Les complots se multiplient, la violence surgit, le bruit et la fureur précèdent la pure folie, c’est limpide, imparable, finalement très moderne et universel tant les manigances politiques, la vanité et la soif de pouvoir restent d’une dramatique actualité. Et puis quelle incarnation hallucinée d’un Richard III diabolique et manipulateur. Les dialogues sont ciselés, le dessin puissant, le rythme parfait, non, vraiment, cette tragédie en cinq actes, tellement ambitieuse, est proche de la perfection !

La terre verte d’Alain Ayroles et Hervé Tanquerelle. Delcourt, 2025. 260 pages. 34,95 euros.









mercredi 26 mars 2025

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu - Léna Merhej et Sélim Nassib

Le Liban au début des années 70 est une mosaïque de communautés vivant en paix les unes à côté des autres. A Beyrouth, dans la rue Rizkallah, on trouve des chrétiens maronites, des juifs, des Chiites, des arméniens, des filles grecques, turques et égyptiennes travaillant dans les cabarets du front de mer. Épiciers, coiffeur, boulanger, menuisier et teinturier vivent en bonne entente, sans se mélanger. Tout le monde se connaît mais personne ne se voit vraiment. Les relations se limitent à la famille et aux lieux de culte. On ne se soucie pas des autres, ils font partie du décor, de la vie du quartier, on s’accepte sans se poser de question. C’est le génie de Beyrouth, « faire tenir ensemble ce qui ne devrait pas ». Jusqu’au jour où les palestiniens réfugiés au Liban prennent les armes pour provoquer Israël, le pays qui les a chassés de leur terre. L’armée libanaise veut mater les provocateurs pour éviter l’extension des combats sur son territoire mais les musulmans du pays se joignent à leurs frères palestiniens. En réponse, la population chrétienne crée des milices pour ne pas se laisser marcher dessus. C’est le début d’une guerre civile qui durera plus de quinze ans, entre 1975 et 1990.

Dans la rue Rizkallah, l’entente cordiale n’a plus cours. On se méfie du voisin, on espionne, on s’interroge. Et quand les combats ravagent le centre-ville, l’artère pleine de vie se vide petit à petit, de ses commerces et de sa population. Léna Merhej et Sélim Nassib racontent l’évolution des relations entre les habitants, le malaise, d’abord insidieux, prend une dimension concrète lorsque la guerre devient une réalité palpable pour tous. Le propos est aussi historique qu’instructif, il montre, à une échelle très locale, un phénomène qui a touché la société libanaise dans sa globalité et a signé la fin du vivre ensemble. La confrontation des personnages avec la guerre n’est pas frontale, ça reste finalement assez doux et bienveillant, donnant à l’album un charme particulier et indéfinissable.

Ce premier tome d’une trilogie se veut plus nostalgique que politique, plus mélancolique qu’engagé, autant pour se souvenir des temps heureux que pour signifier une forme d’évidence : oui, c’était mieux avant. 

Le génie de Beyrouth T1 : Rue de la fortune de Dieu de Léna Merhej et Sélim Nassib. Dargaud, 2025. 130 pages. 22,95 euros.










mercredi 19 mars 2025

L'adoption T5 : Le sourire du plombier - Zidrou et Arno Monin

L’album s’ouvre sur la mort du père. Un papa poule qui a élevé ses trois filles après le décès de sa femme. Sur les trois enfants, une seule est sortie du ventre de sa mère. Les deux autres ont été adoptées. Mais peu importe les liens du sang, elles ont toujours été des sœurs fusionnelles. La disparition de leur papa ravive les souvenirs. Avec elles nous replongeons dans leur passé. Quand maman était là, passionnée de littérature, nulle en cuisine mais toujours prête à leur lire les aventures de Fifi Brindacier. Et après sa mort, quand Papa a tout assumé, sans jamais se départir de sa bonne humeur, prêt à tous les sacrifices pour rendre la vie plus douce en dépit des épreuves à affronter.

Un album plein d’ondes positives malgré le deuil qui reste un sujet central. Contrairement aux autres opus de la série, on a ici affaire à un one shot et pas à un diptyque. Et contrairement aux autres opus de la série, l’adoption est vue comme un élément du passé et non comme le présent des protagonistes. Franchement, j’ai adoré cette histoire qui serre le cœur et en même temps donne le sourire. Zidrou revient à l’esprit des Beaux étés je trouve, ce mélange entre légèreté et gravité, cette volonté de laisser la lumière prendre le pas sur l’ombre, magnifiée par le dessin hyper expressif et tout en souplesse d’Arno Monin, qui prend parfois des faux airs de Jordi Lafebre.

Une lecture qui met du baume au cœur sans pathos ni nunucherie. La construction du récit est limpide, imparable. Une masterclass !

L'adoption T5 : Le sourire du plombier de Zidrou et Arno Monin. Bamboo, 2024. 70 pages. 16,90 euros









mercredi 5 mars 2025

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... - Matt Kindt et Dan McDaid

Il y a quelques années, l’armée américaine a découvert un portail quantique permettant de se rendre sur une planète habitée par des entités extraterrestres. Une planète baptisée Terminus, sur laquelle un pied à terre a été construit pour les humains. Sur cette planète l’homme n’est pas vraiment le bienvenu, c’est pourquoi n’y sont envoyés en mission que la crème des marines. Robin est journaliste. Elle s’est jointe à l’équipage en route vers terminus pour rédiger le premier article consacré à cette incroyable planète. Problème, au bout d’à peine dix minutes sur place, les soldats censés la protéger ont tous été massacrés. Robin se retrouve seule, se demandant comment elle va pouvoir survivre… et mener à bien son reportage.

Un one shot de science-fiction qui se veut efficace mais qui balaie trop rapidement les enjeux qu’il soulève. L’équilibre entre action et réflexion est bancal, les scènes spectaculaires prenant le pas sur les questionnements philosophiques concernant la capacité de l’homme à salir tout ce qu’il touche. Car au final le propos se veut engagé, dénonçant ce travers humain qui consiste à aborder chaque nouveau territoire en conquérant plutôt qu’en invité curieux et bienveillant. L’idée est bonne mais sa mise en œuvre manque d’épaisseur. Dommage parce que le dessin est parfait pour de la SF, l’architecture de la planète Terminus s’apparentant parfois à un décor digne de Lovecraft. Une lecture agréable mais à laquelle il manque pas mal d’atouts pour passer dans la catégorie des incontournables.

Si vous lisez ça, je suis déjà morte... de Matt Kindt et Dan McDaid. Delcourt, 2025. 95 pages. 17,95 euros.




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mercredi 26 février 2025

L’abîme de l’oubli - Paco Roca et Rodrigo Terrasa

Septembre 1940, en Espagne, dans la province de Valence. Des prisonniers républicains sont fusillés par les franquistes et jetés dans une fosse commune. Parmi eux, José Celda, un père de famille accusé de rébellion. Soixante-dix ans plus tard, sa fille Pepica arpente les méandres de l’administration pour sortir la dépouille de son père du charnier et lui offrir la sépulture qu’il mérite.

C’est l’histoire d’une octogénaire ayant promis à sa mère de ramener son mari près de lui, dans leur dernière demeure. Une fille déterminée à réunir ses parents malgré les difficultés. En 2007, une loi sur la « mémoire historique » a permis pour la première fois une condamnation explicite de la dictature et la reconnaissance des martyrs du franquisme. Dans cette loi, l'État s'engageait également à aider à localiser et éventuellement exhumer les victimes de la répression dont les corps étaient encore disparus. Pepica a profité de cette opportunité et est parvenue à obtenir la mobilisation d’une équipe d’archéologues. Grâce à une mèche de cheveux qu’elle a gardée pendant des décennies, son papa a pu être identifié, et sa dépouille lui être restituée.

Les auteurs montrent à la fois la détermination de Pepica, le sérieux des archéologues et le manque de volonté d’instances politiques réfractaires à revenir sur des épisodes douloureux de l’histoire du pays. Le passé et le présent s’entremêlent, mettant en lumière la figure héroïque de Leoncio Badia, le gardien du cimetière au moment des exécutions. Prenant tous les risques pour offrir un minimum de dignité aux suppliciés qu’il enterrait, il s’évertua également à garder des traces des défunts, ce qui facilitera leur identification bien après sa propre mort.

Le travail de Paco Roca et Rodrigo Terrasa offre une magnifique réflexion sur le devoir de mémoire et montre à quel point la question de l’héritage de la guerre civile espagnole est un enjeu complexe, relevant aujourd’hui encore d’une forme de « malaise national ». Un album poignant, alliant pudeur, respect et humanité.

L’abîme de l’oubli de Paco Roca et Rodrigo Terrasa. Delcourt, 2025. 300 pages. 29,95 euros.



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mercredi 19 février 2025

Le chœur des sardinières - Léah Touitou et Max Lewko

1924. Á Douarnenez, les sardinières se rebiffent. Réclamant un meilleur salaire et le paiement des heures supplémentaires, les ouvrières des nombreuses usines locales engagent un bras de fer avec leurs patrons. Soutenues par les communistes et ce qui sera les prémices de la CGT, reçues à Paris par un ministre du travail qui les soutient mais reconnaît ne rien pouvoir faire pour elles, rejointes par leurs hommes pêcheurs qui refuseront de sortir en mer et confrontées à des casseurs de grève, elles ne lâcheront pas leur combat avant d’avoir obtenu gain de cause. Et tant pis pour le salaire manquant, il faudra se serrer les coudes pour tenir, pour que personne ne flanche, pour qu’aucune usine ne reprenne la production tant que le patronat n’aura pas accédé à leurs demandes.

L’album décrit parfaitement l’ambiance pesante sous le crachin breton, le rythme infernal de l’usine où les sardinières sont appelées par une cloche dès que les bateaux rentrent au port, car la sardine n’attend pas, elle doit être traitée dès son débarquement. Il est question de la violence des maris allant boire leur maigre pécule au bar, du travail des enfants, mis à contribution dès 10 ans, et surtout de l’impossibilité d’imaginer un avenir meilleur avec un salaire permettant tout juste de faire bouillir la marmite et, pour les jeunes, aucune chance de poursuivre leurs études. Les auteurs montrent la solidarité entre les ouvrières, le combat mené par le maire de la ville, qui n’a jamais cessé de défendre leur cause, l’intervention d’une militante syndicale venue de la capitale et le mépris de ces patrons considérant les sardinières comme des petites mains ne méritant pas la moindre considération de leur part. 

Un one shot que j’ai dévoré et qui m’a permis de découvrir à la fois un moment important de la lutte sociale de l’entre-deux guerres et un grand combat féministe, mené par des travailleuses aspirant simplement à vivre dignement du fruit de leur dur labeur. Aussi instructif qu’inspirant ! 

Le chœur des sardinières de Léah Touitou et Max Lewko. Steinkis, 2025. 135 pages. 20,00 euros.


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mercredi 12 février 2025

Lover Dose - Fortu

L’amour, un thème inépuisable. Qui peut vite devenir cucul si on n’y prend garde. Aucune chance que cela arrive à Fortu, tant son approche du sujet conjugue cynisme et humour décalé. Il aborde dans cet album des thématiques aussi variées que la répartition des tâches, la charge mentale, les centres d’intérêt divergents, la complicité de façade, les changements que l’autre ne remarque même plus et, bien évidemment, l’alchimie sexuelle qui n’est souvent qu’un mirage. Il y est aussi question de jardins secrets difficiles à cacher, d’efforts que l’on ne prend plus la peine de faire et de l’impossibilité d’être sur la même longueur d’ondes au même moment. S’il n’y avait qu’une seule conclusion à tirer ? : Dans les couples d’aujourd’hui, les intérêts individuels prennent (presque) toujours le pas sur le collectif !

Le ton n’est ni méchant ni violent, l’inspiration « artistique » de Fortu est clairement à chercher du côté de Fabcaro (Et si l’amour c’était aimer ?) et Emmanuel Reuzé (Faut pas prendre les cons pour des gens). De l’absurde, du dessin semi-réaliste un poil figé, du gag en une planche où la chute doit déclencher l’hilarité, les ingrédients sont les mêmes que ceux utilisés par ses célèbres modèles. Alors ça ne marche pas à tous les coups, c’est plus ou moins inspiré mais l’auteur n’enfonce pas trop de portes ouvertes et tombe rarement dans la facilité des grands clichés. Petit bémol, un certain manque de diversité dans les couples mis en scène. Disons que, malgré quelques couples mixtes, on donne surtout dans le couple blanc 100% hétéros et 100% sans enfants.

Au final, une succession de tranches de vie grinçantes et loufoques qui se lit avec plaisir et sans prise de tête. Attention toutefois à ne pas mettre cet album entre les mains des idéalistes de l’amour.

Lover Dose de Fortu. Expé Éditions, 2025. 80 pages. 18,95 euros.


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mercredi 5 février 2025

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse - Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini

Dans un hameau corse, un couple découvre une jeune femme inconsciente près d'une voiture accidentée. Une mallette remplie d'argent est à ses côtés. En vacances dans les Alpilles, Louise Beauvoir croit reconnaître la disparue dont parlent les journaux. Elle ressemble à l’adolescente qu'elle recherche depuis sept ans. Pas question d'annuler les vacances, Louise change simplement de destination... et se rend en Corse avec sa fille pour faire la lumière sur cette histoire. 

De la BD à papa, à l’ancienne. Une histoire simple, avec les préjugés classiques sur les corses et leurs “traditions”. On sait dès le départ qui sont les victimes et les coupables, l’enjeu consiste juste à savoir comment ils vont être démasqués. Là encore c’est plutôt convenu, amené avec une forme de logique où tous les éléments viennent s’imbriquer un peu trop facilement. Au final le moment de lecture, certes sans surprise, reste agréable, du moins si l’on n’est pas en recherche de modernité et de complexité en termes de scénario.

En fait, on se croirait dans un polar régionaliste de France 3 le samedi soir. N’y voyez rien de péjoratif, c’est juste un constat et c’est clairement la première référence qui me vient. D’ailleurs, cette impression est renforcée quand on sait que le scénariste Bruno Lecigne a écrit des dizaines de téléfilms pour France TV et qu’il envisage de placer chaque nouvelle enquête de Louise Beauvoir dans un coin de France différent (la prochaine se déroulera en Haute-Savoie). 

Les enquêtes de Louise Beauvoir T1 : Disparition en Corse de Bruno Lecigne, Jacques Batier et Toni Cittadini. Les Humanoïdes Associés, 2024. 96 pages. 22,00 euros.










mercredi 22 janvier 2025

Le Mystère Henri Pick - Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini

À Crozon, au début des années 90, la bibliothèque municipale a créé une section dédiée aux manuscrits refusés par les éditeurs. Trente ans plus tard, Delphine, une éditrice parisienne en vacances chez ses parents, découvre sur une étagère de cette section un roman intitulé : « Les dernières heures d’une histoire d’amour ». Persuadée d’avoir mis la main sur un chef d’œuvre, elle part en quête de son auteur, un certain Henri Pick. Décédé depuis peu, Mr Pick était le pizzaïolo du village. Sa femme, qui ne l’a jamais vu lire et encore moins écrire, peine à croire qu’il était un homme de lettres. Une fois publié, le roman rencontre un incroyable succès. L’histoire semble trop belle et les zones d’ombres sont trop nombreuses, à tel point qu’une partie du public et des médias ne se mettent à douter de sa véracité. Supercherie ou conte de fée ? Un critique littéraire va se lancer dans la résolution du mystère Henri Pick, persuadé de découvrir une vérité bien différente de celle que l’on a vendue aux lecteurs.

Je n’ai pas lu le roman mais j’ai vu le film avec Lucchini, dont je n’ai gardé aucun souvenir. Cette adaptation en bande dessinée du texte de David Foenkinos a donc été en quelque sorte une totale découverte. Et plutôt une bonne surprise. On se laisse prendre au jeu, orienter vers des fausses pistes, balloter entre des infos d’une crédibilité douteuse et des éléments tangibles qui restent malgré tout fragiles. Et puis quel plaisir de se plonger dans la réalité du monde de l’édition germanopratin. Il est appréciable également que le récit prenne son temps, qu’il se déploie avec tous les détails nécessaires, sans raccourcis ni accélérations malvenus.

L’italienne Ilaria Tebaldini signe ici sa première BD et le résultat est plus que prometteur. Son trait est souple et dynamique, le choix des couleurs pertinent et le découpage sans fausse note. Un roman graphique qui se lit tout seul et avec plaisir, jusqu’à la résolution finale du mystère Henri Pick !

Le Mystère Henri Pick de Pascal Bresson et Ilaria Tebaldini (d’après le roman de David Foenkinos). La Boîte à Bulles, 2024. 180 pages. 28,00 euros.   






mercredi 15 janvier 2025

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire

Se nourrir est longtemps resté un besoin primaire. Les habitudes des chasseurs cueilleurs dans ce domaine ont changé avec l’apparition du feu puis de l’agriculture mais il faudra attendre la naissance des civilisations pour que la diversité alimentaire s’intensifie. Dans l’Antiquité les épices dominent, au Moyen-Age, les nobles se gavent de plats lourds et bien trop caloriques pendant que les paysans se contentent de légumes et de céréales. 

C’est grâce à Catherine de Médicis que la gastronomie et les arts de la table vont gagner en raffinement. Louis XIV prend son dîner en public alors qu’après la révolution, les cuisiniers des aristocrates quittent leurs patrons pour ouvrir des restaurants. Paris devient une référence en la matière en Europe, une position qui se renforcera sous Napoléon. C’est à cette époque que naît une autre révolution, celle des conserves, bientôt suivie par le début des chambres froides. Le 19ème siècle voit aussi apparaître les critiques culinaires dans les journaux et le début du 20ème la première édition du guide Michelin. 

Après les privations de la seconde guerre mondiale, les outils de cuisine et la façon de consommer font un saut dans la modernité. Plus tard, les nutritionnistes entrent en guerre contre la malbouffe, la demande de bio et de végétal s’accroît aussi vite que la construction de fastfood. Finalement, chacun choisit son alimentation selon ses goûts et ses moyens. Manger est toujours vital, mais la cuisine est aussi un marqueur culturel pour tous les peuples du monde. Et une source de revenus pour les influenceurs qui en ont fait leur fonds de commerce.

Pas simple de balayer des millénaires d’histoire de la gastronomie. C’est à la fois trop rapide, trop bavard et incomplet. Les auteurs proposent une présentation chronologique, parsemée de portraits des grands noms de la cuisine française. On a malheureusement souvent l’impression de crouler sous des informations dont on peine à faire le tri entre l’essentiel et l’anecdotique. Heureusement, de petites touches d’humour offrent des respirations bienvenues dans la densité du texte. 

Le projet était ambitieux, sa réalisation souffre d’une trop grande volonté d’exhaustivité. Le résultat final en impose mais il aurait sans doute été préférable de scinder cette histoire de la gastronomie en deux tomes pour la rendre plus digeste.

Il était une fois la gastronomie : Une histoire de l’art culinaire. Delcourt, 2024. 160 pages. 25,95 euros.



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mercredi 8 janvier 2025

Au chant des grenouilles T2 : Le concours - Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza

Dans l'épisode précédent, on avait laissé les membres du club du samedi chercher LA recette parfaite pour remporter le grand concours de pâtisserie organisé par le village. On retrouve dans ce deuxième tome nos amis animaux déterminés à créer le gâteau qui leur permettra de rafler la mise en respectant les trois contraintes imposées par le règlement : utiliser un légume, trouver un ingrédient provenant d'un arbre qui ne soit pas un fruit classique et ne rien acheter en magasin. Basil le grillon, Fog le corbeau et Vanille la chouette sont fiers de leur réalisation et ne doutent pas un instant que le jury va succomber à leur douceur. Ils ne vont malheureusement pas se tromper, pour leur plus grand malheur !

Particularité de cette série, chaque tome est réalisé par un dessinateur différent. Dans ce deuxième volume, le trait de Jérémie Almanza est moins rond que celui de Florent Sacré mais l’ambiance chaleureuse qui se dégage de l’environnement sylvestre reste présente. Les décors intérieurs sont particulièrement soignés et donnent envie de s’installer au coin de la cheminée sous un plaid pour papoter avec nos héros. L’histoire est simple, linéaire, et les illustrations pleine page permettant de mieux comprendre les mystères de la nature et les secrets de la forêt continuent d’offrir des respirations bienvenues dans le récit. 

Une lecture apaisante. L'intrigue apporte un semblant de mystère qui n'a rien d'anxiogène, ce n'est clairement pas le but. On évolue plutôt ici dans un environnement "doudou" où il fait bons vivre des aventures simples, sans enjeux démesurés. Franchement, ça fait du bien !

Au chant des grenouilles T2 : Le concours de Barbara Canepa, Anaïs Halard et Jérémie Almanza. Oxymore, 2024. 48 pages. 14,95 euros.

Mon avis sur le tome 1 : https://litterature-a-blog.blogspot.com/2024/05/au-chant-des-grenouilles-t1-urania-la.html


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