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samedi 10 février 2018

Vulnérables - Richard Krawiec

Dandy, premier roman noir, écorché, crépusculaire de Richard Krawiec, m’avait ébloui. J’attendais donc le second avec une impatience mêlée d’appréhension. L’univers de Vulnérables reste le même que celui de Dandy, présentant une Amérique pauvre et un personnage principal à la marge. Billy Pike, quadra sortant tout juste de prison, est appelé à l’aide par ses parents venant d’être cambriolés. Le fils maudit n’a pas remis les pieds dans la maison familiale depuis des années. Son arrivée est loin de soulever l’enthousiasme mais le couple, incapable de surmonter le traumatisme de la violation de son intimité et craignant une nouvelle effraction, n’a pas eu d’autre choix que de le solliciter pour assurer un minimum de sécurité autour et à l’intérieur du logement. Une initiative guidée par la peur et le désespoir qui s’avérera à l’usage bien plus néfaste que positive. 

En préface, Krawiec prévient : « Billy Pike est de ceux qui sont tombés avant de découvrir qu’il n’y avait personne pour les relever. »  Le moins que l’on puisse dire c’est que le « sauveur » n’est pas d’une solidité à toute épreuve. C’est un homme solitaire, fragile, torturé, en plein désarroi. Un géant au pied d’argile qui avait trouvé dans la fuite loin des siens une manière radicale de les protéger de ses propres démons. Car Billy est violent, instable, immature, capable des pires atrocités. Adepte de l’autodestruction, il survit avec les moyens du bord, seul contre tous.

Vulnérables. Le titre est parfait. Dans ce roman tout le monde est vulnérable. Autopsie d’un naufrage, le texte ne laisse aucune place à la lumière. Une noirceur qui a la  longue m’a fatigué. Le pathos tourne au mélo dégoulinant et, un peu comme chez William Boyle, j’ai trouvé que Krawiec forçait le trait dramatique gratuitement et que cela desservait son histoire. On est à la limite de la complaisance dans la description finale de la chute de Billy, en tout cas on est loin de la finesse de Dandy. Dommage parce que le bougre connait à merveille le monde des oubliés du rêve américain et il n’a pas besoin d’en rajouter pour mettre en scène des marginaux aux trajectoires aussi fouillées que marquantes. Finalement mon appréhension de départ s’est révélée légitime. Malheureusement.

Vulnérables de Richard Krawiec. Tusitala, 2017. 220 pages. 20,00 euros.






vendredi 26 janvier 2018

Circus Parade - Jim Tully

Difficile de faire rentrer ce texte dans une case. Récit, chronique, roman, autobiographie ? Sans doute un peu de tout cela à la fois. Ce qui est certain c’est que Jim Tully y raconte son expérience de manœuvre dans un cirque itinérant au début du 20ème siècle. Lui, le vaurien, le vagabond, le « gamin du rail » a un jour quitté son habit de hobo pour être engagé en tant qu’assistant dans la ménagerie d’un cirque. Le début d’une aventure à travers l’Amérique profonde et une succession d’événements dont il est difficile de vérifier la véracité.

Pour éviter les ennuis au moment de la publication de l’ouvrage en 1927, Tully n’a pas révélé le vrai nom du salopard de promoteur qui menait ses troupes d’une main de fer. Malgré tout, son témoignage à charge contre les pratiques plus que douteuses du patron souleva de nombreuses critiques, tant chez les défenseurs du cirque que dans les ligues de vertu.

Il faut dire que l’auteur de « Vagabonds de la vie » exprime un point de vue sans concession sur l’univers circassien, loin des images d’Épinal bohèmes et poétiques. Son cirque à lui n’était qu’un ramassis de va-nu-pieds, d’escrocs, d’arnaqueurs, de repris de justice et de pauvres hères au service d’une galerie d’artistes tenant plus souvent du monstre que de l’athlète de haut-niveau. Une population misérable exploitée par des promoteurs uniquement guidés par l’appât du gain.

Au fil des chapitres Tully narre la mort du dresseur de lions tué par un ours aveugle, les pickpockets s’attaquant au public en train d’acheter ses billets, les bagarres avec les autochtones qui parfois éventraient le chapiteau à coups de hache, la jalousie des artistes en quête de popularité, le danger pour les employés noirs dans les villes du sud et les nuits dans les trains entre deux étapes. Un tableau sordide où une population à la marge survit dans des conditions effroyables raconté dans une langue très orale à la syntaxe parfois syncopée.

C’est brut, sans filtre,violent, et même si certains passages semblent très romancés le réalisme des descriptions est saisissant. Un texte dur qui déborde de vitalité et constitue un témoignage unique sur ce qu’était un modeste cirque itinérant dans l’Amérique de 1900. Le livre eut un grand retentissement au moment de sortie. Trop cru et dérangeant, il fut interdit dans certains états. Hollywood en acheta les droits d’adaptation mais suite au lobbying de la très influente « Circus Fan’s Association of America »,  le film ne vit jamais jour.

Circus Parade de Jim Tully (traduit de l’américain par Thierry Beauchamp). Les éditions du sonneur, 2017. 240 pages. 17,50 euros.   








vendredi 22 décembre 2017

Heather, par-dessus tout - Matthew Weiner

Une vraie lecture de gare. J’ai lu cette novella dans le train et je ne pouvais pas choisir un meilleur endroit. Rien de péjoratif dans ma première phrase, au contraire. Ce court récit était parfait pour passer deux heures dans un TER. Idéal pour s’isoler dans une bulle et ne pas voir mon voisin se curer le nez, ne pas entendre cette mère de famille pendue au téléphone pendant tout le trajet  ou ces trois lycéens raconter leurs derniers exploits de footballeurs en herbe.

L’histoire raconte le quotidien tranquille d’un couple de New-yorkais aisés et de leur fille Heather, 14 ans. Alors que des travaux sont en cours dans leur immeuble le père remarque qu’un des ouvriers présents sur le chantier regarde sa fille de trop près. L’ouvrier en question, sortant à peine de prison, est fasciné par la gamine. Cette dernière, pas dupe, rentre peu à peu dans un jeu de séduction malsain. La mère ne voyant rien (ou ne voulant rien voir), le paternel va devoir agir pour protéger son enfant. Comment ? C’est la question que l’on se pose jusqu’à la fin.  

Simple, direct, prenant sans être prise de tête, les  courts chapitres s’avalent d’une traite tandis que la tension ne cesse de monter. On se doute que tout ça va mal se terminer, on se demande juste pour qui. Matthew Weiner, créateur de la série télé Mad Men, entre en littérature avec un texte efficace à défaut d’être original. Construction imparable, alternance de points de vue entre le père et l’ouvrier, peu de dialogues et beaucoup de descriptions, le bonhomme maîtrise les codes d’une écriture au rendu très cinématographique. Rien de transcendant mais ça se lit tout seul.

Gros bémol cependant, la conclusion est vraiment trop abrupte. J’ai eu l’impression en tournant la dernière page qu’on me claquait la porte au nez pour m’empêcher d’en voir plus alors qu’il y avait largement matière à développer les choses. Dommage de terminer sur un goût de trop peu mais ce petit roman m’a quand même permis de rendre supportable un trajet qui s’annonçait pénible et rien que pour ça, j’ai envie de lui dire merci.

Heather, par-dessus tout de Matthew Weiner. Gallimard, 2017. 135 pages. 14,50 euros.






vendredi 15 décembre 2017

Courir au clair de lune avec un chien volé - Callan Wink

Se mettre dans le pétrin après avoir volé un chien maltraité, se mettre à la colle avec une femme dont le mari dort en prison, tromper son épouse atteinte d’un cancer, oublier le temps d’un été son triste quotidien de prof, chasser une horde de chats pour quelques dollars, être responsable de la mort de quatre personnes, hériter de la maison de son grand père adoré, regarder en arrière et se dire que l’on a forcément manquer quelque chose…

Il y a beaucoup de tristesse et de solitude dans les nouvelles de Callan Wink. Beaucoup de retenue aussi chez ses personnages taiseux jamais prompts à se livrer. J’ai adoré les suivre au fil de quelques pages et les laisser au bord du chemin pétris d’incertitudes, incapables d’assumer ni de prendre une décision. L’écriture est simple et directe, les ellipses nombreuses. Pas d’esbroufe dans les grands espaces du Montana où la plupart de ces histoires se déroulent, même si la virilité de façade cache une fragilité à fleur de peau.

Un très beau recueil empreint d’une douce mélancolie, où la nature, bien que présente, ne tient à aucun moment le premier rôle. La dernière nouvelle est de loin ma préférée, avec l'inoubliable veuve Lauren entourée de son improbable ménagerie : "Tout en travaillant, elle songea aux gens qu'elle avait connus qui étaient morts ou avaient fichu le camp, et elle essaya de les mettre sur le plateau d'une balance en regard de ceux qui étaient encore en vie et faisaient partie de son existence. Jamais la recherche d'un équilibre n'avait paru plus vaine". Seule au monde Lauren, affrontant sans se plaindre la rudesse d'une existence qui jamais ne fait le moindre cadeau. Comme tous les personnages de Callan Wink en somme, un écrivain dont l'univers ne pouvait à l'évidence que m'aller comme un gant.

Courir au clair de lune avec un chien volé de Callan Wink (traduit de l'anglais par Michel Lederer). Albin Michel, 2017. 292 pages. 22,00 euros.  





vendredi 8 décembre 2017

Une assemblée de chacals - S. Craig Zahler

Au cours de leur jeunesse ils ont tué, pillé, volé. Et même si aujourd’hui ils mènent une vie paisible, leur passé tumultueux va les rattraper.
Jim va se marier et il a invité ses trois anciens acolytes du « Gang du grand boxeur ». Pas parce qu’il a hâte de les revoir après des années d’éloignement mais parce qu’une de leurs vieilles connaissances a annoncé sa venue à la cérémonie avec l'intention de faire de ce jour le pire moment de leur vie. Pour éviter un carnage, les quatre ex-amis n’ont pas d’autre choix, il va leur falloir affronter une dernière fois le diable en personne. Pour solder définitivement les comptes et payer une addition qui, au final, sera plus salée que tous qu’ils auraient pu imaginer.

Un western poisseux à souhait. La galerie de personnages a de quoi donner la nausée, tous sont de fieffés salopards qui, même s’ils se sont rachetés une conduite (certains du moins), ne suscitent pas la moindre empathie. S. Craig Zahler sait y faire pour installer une ambiance pesante. Il laisse la tension monter doucement, déroulant sa partition sur un air de « jusque-là tout va bien » dont personne n’est dupe. Et quand tout explose, il ne prend pas de gant. Ça claque, ça coule, ça gicle, ça torture, ça transperce, ça choque, ça remue. Une représentation de la violence un peu gratuite qui ne brille pas par sa finesse mais au moins les excès sont assumés sans chichi.

Une lecture plus divertissante que profonde, qui se dévore à la vitesse d'une balle sortant d'un revolver. Rien de bien marquant ni de surprenant au final mais la narration impeccable d'efficacité ravira les amateurs de récit pétaradant.

Une assemblée de chacals de S. Craig Zahler. Gallmeister, 2017. 365 pages. 21,70 euros. 





vendredi 1 décembre 2017

Mon carnet - Éric Cantona

Quelle poilade, mais quelle poilade ! Merci monsieur Cantona pour ce grand moment de détente des zygomatiques, j’en avais besoin. Je sais bien que ce n’était le but mais merci quand même. Et merci d’avoir un égo si démesuré. Merci de vous prendre dans ce carnet très personnel pour Dubuffet, pour Magritte, pour Courbet, pour Munch. Merci, comme vous le dites dans la préface, d’entrouvrir "des portes qui ne sont pas des portes". « Les portes que l’on voie et puis celles qu’on imagine ».




Cantona/Dubuffet

Ce carnet est donc « un petit rien de vous ». Un petit rien du tout oserais-je ajouter. Parce que vos crobards trembolants dignes d’un enfant de trois ans n’ont aucun intérêt. Ils sont totalement inutiles donc rigoureusement indispensables comme dirait Jérôme Bonaldi. Vous êtes un poète. Un penseur. Un philosophe. Un homme de lettres. Un Artiste avec un grand A. Je vous ai entendu à la radio expliquer que parfois vous fermez les yeux le feutre à la main et ça vient tout seul. Comme je vous comprends. Ça m’arrive à moi aussi. Tous les matins. Assis sur le trône. Je ferme les yeux et ça vient tout seul. Parfois il faut que je pousse un peu, mais ça finit toujours par venir.

Cantona/Magritte


Il y a les dessins mais il y a aussi les mots. Chez vous la relation texte image est fondamentale. Un grand tout. Vos aphorismes, pourtant déjà forts profonds, ne seraient rien sans les illustrations qui les accompagnent. Je suppose que ce chef d'oeuvre a été réalisé en état d’ébriété avancée. Je ne vois pas d’autres explications pour justifier une telle dose d’absurde, une telle verve, un tel lyrisme contenu.

Cantona/Courbet


Je ne vais pas vous mentir, je me suis régalé avec ce carnet imitation moleskine joliment présenté. J’ai ri, mais j’ai ri ! Bien sûr il faut prendre ces pages non pas au premier ni au second degré mais au moins au cinquième ou sixième degré pour les apprécier à leur juste valeur. Se dire que c’est une farce. Que Flammarion, qui publie entre autres le grand Jim Harrison, a beaucoup d’humour et qu’il n’a surtout pas peur du grand écart.

Cantona minimaliste


Après, je ne vous cache pas que si n’importe quel quidam franchissait la porte d’un éditeur avec un tel carnet sous le bras on lui rirait au nez et on ne lui recommanderait même pas de l’autoéditer car si le ridicule ne tue pas, il y a des limites. Mais avec vous c’est différent. Vous êtes perché tellement loin au-dessus du commun des mortels que vous pouvez vous permettre de ne pas avoir peur du ridicule. Ou alors vous êtes juste bankable.

Cantona philosophe


Au final j’hésite. Je me demande si ce carnet n’est pas le plus gros foutage de gueule éditorial de l’année ou s’il n’est pas tout simplement le livre le plus drôle de l’histoire. Il faut dire que la frontière entre les deux est ténue…

A gauche Cantona / A droite Charlotte, bientôt 5 ans
Je pense envoyer dès lundi les carnets de dessin de Charlotte à
Gallimard. Qui ne tente rien n'a rien... 


Mon carnet d’Eric Cantona. Flammarion, 2017. 190 pages. 13,90 euros.






vendredi 24 novembre 2017

L’inaccessible - Charles Gancel

Inutile de prendre des pincettes, voilà un recueil de nouvelles qui ne cassent pas trois pattes à un canard. Pas qu’il soit mal écrit, loin de là même. C’est d’ailleurs à peu près sa seule qualité. Parce que pour le reste, je me suis ennuyé ferme.

Le problème c'est que j’aime retrouver dans un recueil une unité de temps ou de lieu, des thèmes ou des personnages similaires. Ça donne de l’épaisseur et surtout du liant à l’univers proposé, ça évite la désagréable impression d’une juxtaposition de textes disparates sans fil conducteur. Rien de tout cela ici, on passe d’un meurtre sordide à une histoire d’amour cucul, de New-York à un récit d’anticipation, d’un musicien en mal d’inspiration à un tueur à gages trahi par son commanditaire. Quel rapport entre ces récits ? Je me le demande encore…

Je comprends que « l’inaccessible » qui donne son titre à l’ouvrage puisse, d’une certaine façon, se retrouver dans chaque texte. Du bonheur à la liberté, de l’amour à la réussite, tout semble inaccessible mais il faut parfois lire entre les lignes pour déceler ce « sujet » récurrent qui apparaît au final sacrément tiré par les cheveux.  

Charles Gancel possède une joli plume mais elle n’a pas suffi à éveiller mon intérêt. J’ai parcouru les pages d’un œil distrait, pas franchement concerné, sans agacement mais surtout sans plaisir. Une lecture dans l’indifférence générale et la confirmation qu’en matière de nouvelles mes préférences restent définitivement acquises aux écrivains nord-américains.

L’inaccessible de Charles Gancel. Buchet Chastel, 2017. 190 pages. 15,00 euros.





jeudi 16 novembre 2017

Le camp des autres - Thomas Vinau

« Le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. De ceux qui vivent sur les chemins. De la trime et de la cloche. Des romanichels et des bohémiens. Ceux qui parlent aux bêtes et aux nuits. Ceux qui n’ont pas peur de la lune. Ceux qui dressent l’indressable et apprivoisent l’inapprivoisable. Ceux qui connaissent la langue des fantômes. Le secret des plantes et des champignons. Les chants païens et antiques. Les proscrits aussi. Les fuyards. Les insoumis. Les orphelins. »

Le camp des autres, Gaspard l’a rejoint. Après avoir quitté la maison familiale où son père le battait comme plâtre, le gamin s’est retrouvé seul dans la forêt avec son chien. Il a affronté le froid, la faim, la peur, les loups. Recueilli par Jean-le-Blanc, un ermite vivant au cœur des bois, il s’est remis sur pied avant de partir sur les routes avec la Caravane à Pépère, une bande d’exclus épris de liberté qui sillonna la France au tout début du 20ème siècle. Des sans-abris, des sans-famille, des sans patrie. Des revenus du bagne, des voleurs à la tire, des gitans. La lie d’une société bourgeoise que Clémenceau écrasa avec ses brigades du tigre en 1907. Parmi ces « récalcitrants », « Gaspard va découvrir la vie en marchant sur le monde ».  

Un roman plein de souffle qui ne pouvait que me plaire. Les chapitres courts, comme autant de longs paragraphes, donnent la mesure. La partie en forêt est riche de descriptions proches du naturalisme et m’a rappelé les superbes envolées de Louis Pergaud dans son recueil « De Goupil à Margot ». La seconde, sur les routes, est une ode au peuple nomade et à son mode de vie sans frontière ni barrière. Les deux se complètent et forment un tout cohérent, porté par une langue magnifique.

C’est un texte à lire à voix haute pour profiter du balancement des phrases, de leur rythme, de l’équilibre entre le son et le sens. Un texte habité, engagé, une poésie sèche sans emphase inutile. Tout ce que j'aime et que je retrouve trop peu souvent dans la littérature française actuelle.

Le camp des autres de Thomas Vinau. Alma, 2017. 195 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune partagée avec l'incontournable Stephie.










vendredi 10 novembre 2017

Demain c’est loin - Jacky Schwartzmann

J’ai tellement adoré le précédent roman de Jacky Schwartzmann que je me réjouissais de le retrouver avec un nouveau titre, même si celui-ci est catalogué « polar » et que ce genre n’est franchement pas ma tasse de thé.

Demain c’est loin raconte les mésaventures de François Feldman, pas le chanteur mais un trentenaire au nom juif et à la tête d’arabe qui a grandi parmi les racailles d’une cité lyonnaise et qui se retrouve malgré lui en cavale dans la voiture de sa banquière avec une bande de dealers aux trousses. Pas la peine d’en dire plus, il serait dommage de déflorer davantage ce scénario déjanté qui ne brille pas par sa finesse mais se révèle d’une redoutable efficacité.

J’ai aimé retrouver l’écriture très orale et pleine de verve déjà présente dans « Mauvais coûts ». Une fois encore un discours social sans langue de bois se cache sous le vernis de la rigolade, même si les personnages sont parfois caricaturaux. Après, je préfère vous prévenir, mieux vaut être amateur d'humour pas forcément de bon goût pour apprécier cette histoire. Sans tomber dans le lourdingue, le franc-parler un poil vulgaire et la répartie sans filtre de ce cher François pourraient froisser les âmes sensibles. Perso je suis toujours bon client quand on donne dans ce registre et qu’on l’assume de bout en bout, donc je me suis régalé.

Un polar divertissant, sans temps mort ni prise de tête et surtout très drôle. Du trash marrant, trivial, survolté, politiquement incorrect et violent, j’ai l’impression d’avoir réuni les ingrédients du parfait roman feelgood. Selon mes critères du moins…

Petit extrait qui donne le ton :

« Brigitte s’est mise à quatre pattes pour que je la prenne en levrette et j’ai découvert qu’elle avait le visage de Johnny Hallyday tatoué dans le dos. En énorme. Un putain de poster, c’était. Mais bon, je n’étais pas là pour faire la fine bouche, je me suis exécuté et j’ai pris Brigitte par les hanches comme on prend un chariot à Carrefour. Je l’ai secouée, car c’était ce qu’elle voulait, mais ce bon vieux Johnny s’est mis à vivre, à bouger, sa bouche remuait sur la peau de Brigitte. Plus je la besognais, plus Johnny avait des trucs à me dire. »

Demain c’est loin de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2017. 184 pages. 17,00 euros.












samedi 4 novembre 2017

Tout est brisé - William Boyle

Pour le coup le titre est parfait. Tout est en effet brisé dans la vie d’Erica : elle vit seule à Brooklyn et a du mal à joindre les deux bouts depuis la mort de son mari, sa mère ne s’est pas remise d’une fracture du col du fémur après une mauvaise chute, son père à l’agonie la tyrannise au point de l’obliger à le sortir de l’hôpital pour le ramener chez elle alors qu’il n’est pas capable de descendre de son lit sans s’écrouler et son fils homosexuel, dont elle n’avait plus de nouvelles, revient à la maison avec sa dépression et son alcoolisme en guise de bagages. Rien que ça. Ah non, j’oubliais, il y a aussi sa sœur, qui pourrait lui donner un coup de main si elle n’était pas elle-même au chevet de son homme malade. Bref, l’horizon d’Erica est bouché. Et sa barque bien trop chargée à mon goût, dans le genre mélo, difficile de faire pire.

Après, j’ai apprécié le fait qu’elle affronte les embûches avec force et fragilité, sans se plaindre ni s’apitoyer sur son sort. J’ai aimé l’écriture beaucoup plus descriptive que psychologique s’attardant davantage sur les faits que sur les pensées des uns et des autres. Le fils, enfermé dans une spirale autodestructrice, est une vraie tête à claque et le papy invivable donne juste envie de l’étouffer avec son oreiller pour avoir la paix mais les deux sont croqués avec réalisme.

Le problème c’est que tout est sombre et désespéré, il m’a vraiment manqué quelques rayons de lumière dans l’obscurité pour apprécier ma lecture et ne pas refermer le roman avec l’envie de me noyer sous les antidépresseurs. Il y a bien le personnage de Frank, sorti de nulle part avec son optimisme à toute épreuve qui aurait pu ensoleiller ce triste tableau, mais je me suis demandé ce qu’il venait faire dans cette galère et je n’ai pas compris à quoi il servait dans la mécanique du récit. Pour tout vous dire, il m’a rappelé le personnage d’Alec Baldwin dans un épisode de Friends qui trouve tout merveilleux et finit par se mettre tout le monde à dos (désolé, on a les références qu’on peut !). En gros, il est plus ridicule qu’autre chose.

Conclusion ? William Boyle sait créer une ambiance pesante et mélancolique, son écriture m’a plu, comme sa maîtrise des dialogues, mais pour le reste j’ai moyennement apprécié cette histoire déprimante aux traits mélodramatiques bien trop forcés et manquant de nuances.

Tout est brisé de William Boyle. Gallmeister, 2017. 210 pages. 22,40 euros.




jeudi 2 novembre 2017

Ostwald - Thomas Flahaut

Simon Johannin, David Lopez, Timothée Demeillers et maintenant Thomas Flahaut. Quatre jeunes écrivains, à peine ou pas encore trentenaires. Trois ont signé cette année leur premier roman, un autre son second. Leur point commun ? Tous les quatre tournent le dos à la branlette autofictionnelle en vogue pour donner dans le roman social, pour montrer de façon parfois crue une jeunesse sans avenir, un monde du travail sans pitié, une condition ouvrière à l’agonie. Ce retour du roman social dans le paysage littéraire français me ravit, ces gamins osent, ils grattent là où ça mal et surtout, ils le font avec talent.

Dans Ostwald, Thomas Flahaut mélange réalité et fiction. La réalité, c’est la fermeture de l’usine Alstom à Belfort et l’onde de choc qu’elle a engendrée dans l’économie locale. La fiction, c’est l’incendie de la centrale nucléaire de Fessenheim qui provoque une évacuation massive de population, des Vosges à Strasbourg en passant par l’Allemagne et la Suisse. Noël est le narrateur. Il vient de terminer ses études et ne sait pas de quoi demain sera fait. Évacué avec son frère Félix dans un camp gardé par l’armée en lisière de forêt suite à l’incendie, il doit fuir après avoir été témoin d’un événement tragique. Son frangin et lui vont traverser une Alsace désertée, croisant juste quelques clochards ou des singes échappés d’un zoo…

A travers leur errance se dessinent à la fois le manque d’ambition d’une jeunesse provinciale perdue et le délitement des liens sociaux. Les parents ont divorcé après le plan social de l’usine, les enfants sont allés jusqu’à l’université parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire et à l’heure de se lancer sur le marché du travail, ils savent que leur région n’a rien de solide à offrir. Disparition d’un monde, disparition d’un modèle familial, vision pessimiste et même apocalyptique de l’avenir, Flahaut raconte le cheminement vers une impasse à l’aide d’une écriture sobre. Phrases courtes et parfois sans verbe, chapitres d’une ou deux pages, poésie sèche centrée sur le réel  qui ne s’autorise aucun éparpillement lyrique, on va à l’essentiel sans fioriture et j’avoue que j’adore ça.  

Un premier roman injustement passé inaperçu dans le flot de la rentrée littéraire et un jeune auteur (né en 91 !) à suivre de très près, qu’on se le dise.


Ostwald de Thomas Flahaut. L’Olivier, 2017. 170 pages. 17,00 euros. 





dimanche 29 octobre 2017

Par le vent pleuré - Ron Rash

Il a suffi de fragments d’os ramenés sur la berge par une rivière en crue pour qu’une vieille affaire ressurgisse...

 1969. Ligeia la hippie débarque dans un petit bled des Appalaches, envoyée par ses parents chez son oncle pour calmer ses démons. Bill et Eugène, deux frères, la rencontrent et sont attirés par son magnétisme. La jeune femme leur fait tourner la tête. Eugène, le plus jeune, cède à tous ses caprices, allant jusqu’à voler pour elle des opiacés dans la pharmacie de son grand-père médecin. Un jour Ligeia disparaît sans laisser la moindre trace. Une fugue sans doute. Mais des décennies plus tard, quand la rivière rend ses ossements, Eugène croit comprendre ce qu’il s’est passé. Pour en avoir le cœur net, il va devoir reprendre contact avec ce frère auquel il n’a pas parlé depuis des années.

Un roman entre présent et passé. Le passé d’une jeunesse où Bill et Eugène, sous la coupe d’un grand-père tyrannique, grandissent sans avoir droit au moindre écart. Un présent où leurs trajectoires respectives ont suivi des chemins bien différents, le premier étant devenu un chirurgien reconnu alors que le second a brisé son mariage et a failli tuer sa fille dans un accident de voiture à cause de l’alcool. Bill n’a jamais cessé de briller alors qu’Eugène n’a fait que sombrer. La découverte de la dépouille de Ligeia va les mettre face aux fantômes qui les hantent, sans pour autant amorcer entre eux la moindre réconciliation, bien au contraire.

Ron Rash parle de culpabilité, de chagrin, de mensonge, du sens des responsabilités également. J’ai pour une fois trouvé que tout allait trop vite, que le récit aurait mérité de se déployer de façon plus ample (en gros je l’aurais aimé un peu plus épais ce livre, comme quoi je ne suis plus à une contradiction près !). Le personnage de Ligieia ne m’a fait ni chaud ni froid et le papy autoritaire m’a semblé à la limite de la caricature. J’ai par contre adoré cette relation complexe entre frangins n’ayant aucun point en commun, aucune affinité, aucune envie de se rapprocher malgré les liens du sang. Elle a fait raisonner beaucoup de choses de ma propre histoire et c’est de loin ce que je garderais de plus marquant de ce texte sans grande originalité, tant au niveau du fond que de la forme, mais dont l’écriture élégante et les dialogues ciselés m’ont au final fait passer un agréable moment de lecture.

Par le vent pleuré de Ron Rash (traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez). 200 pages. 19,50 euros.




vendredi 20 octobre 2017

Une histoire des abeilles - Maja Lund

1851, en Angleterre. William, commerçant au bord de la faillite, se passionne pour l’apiculture et élabore les plans d’une ruche révolutionnaire qui devrait faire sa fortune.

2007, aux États-Unis. George, apiculteur bio, apprend avec stupeur que son fils unique ne souhaite pas prendre sa relève et constate avec effroi que ses abeilles disparaissent du jour au lendemain par colonies entières.

2098, en Chine. Les insectes ayant été rayés de la surface de la terre, Tao, comme tous ses compatriotes, passe ses journées à polliniser manuellement des hectares de vergers. Le jour où son fils s’écroule pendant une sortie en forêt et est évacué en hélicoptère vers la capitale sans qu’on lui donne la moindre information, la jeune femme plonge à la source de « L’Effondrement », cet événement majeur qui, des décennies plus tôt, bouleversa à jamais le destin de l’humanité.  

Trois époques, trois histoires et trois personnages distincts reliés par un fil aussi ténu que solide. Cette histoire des abeilles est un texte plus éclairant qu’alarmant je trouve. Le message est limpide (et connu) : sans abeilles, les humains sont en grand danger. Pour autant tout n’est pas noir, l’espoir demeure et avec davantage de raison, il est envisageable d’éviter une catastrophe irréversible. La norvégienne Maja Lund aborde à la fois les causes et les conséquences de la disparition des insectes. Le propos est engagé, militant et écolo mais le vernis de la fiction et une narration maline à défaut d’être originale (chaque personnage prend la parole à tour de rôle) allège grandement la façon d’aborder le sujet.

L’écriture est sans relief mais l’ensemble se lit très facilement. Un roman prenant, qui pointe du doigt un danger de plus en plus imminent et dont les prédictions semblent malheureusement plus visionnaires que farfelues. A la fois instructif et effrayant.

Une histoire des abeilles de Maja Lund (traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon). Les Presses de la Cité, 2017. 400 pages. 22,50 euros.






vendredi 13 octobre 2017

Jusqu’à la bête - Timothée Demeillers

Les murs, l’usine, le bruit. Le travail à la chaîne dans l’abattoir. L’odeur du sang, son épaisseur collante sous les semelles, les éclaboussures sur la blouse et les bottes. La chaleur des viscères débordant des carcasses éventrées. Le froid des frigos où on entasse les kilos de barbaque. Le goût de la mort, partout. Que l’on ramène à la maison, qui s’incruste dans les vêtements. Sur la peau. Pour Erwan, l’usine, c’était son quotiduen. Jour après jour, année après année. Toujours la même rengaine triste, grise, monotone. Jusqu’à « l’événement », il y a deux ans. Depuis, Erwan dort en prison. De sa cellule, il raconte. Sa jeunesse pas folichonne, son histoire d’amour avec Laetitia, saisonnière à l’abattoir le temps d’un été. Sa vie d’ouvrier sans avenir ni horizon. Et cet enchaînement de coups durs qui l’on conduit à commettre l’irréparable.

Un roman résonne la voix des pas grand-chose. Ceux qui se tuent à la tâche, subissent les cadences infernales imposées par la hiérarchie, n’ont pas d’autre vie que celle les rattachant à l’usine. Ceux que l’on méprise dans les hautes sphères, ceux à qui on reproche de ne pas se bouger le cul pour retrouver un boulot quand la grande lessiveuse libérale les laisse sur le bord de la route après un plan social dont ils sortent forcément perdants.

J’ai adoré ce texte plein de rage et de désespoir. J’ai connu l’usine, j’ai côtoyé « ces gens-là » qui ne sont pas ceux que chantait Brel. J’ai vu ces visages et ces corps fatigués, abîmés par le travail harassant et répétitif qui fait « qu’à vingt ans on en paraît quarante et qu’à la retraite on est bon pour la morgue ». Timothée Demeillers maîtrise son sujet. Il signe ici un second roman éminemment social, évidemment très engagé. Sa prose est mouvementée comme les pensées d’Erwan, alternant  les phrases courtes et les envolées au lyrisme contenu. C'est tendu, prenant, touchant, simple et direct. Un texte qui vient du cœur et des tripes. Forcément je suis sous le charme.

Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers. Asphalte, 2017. 150 pages. 16,00 euros.






jeudi 5 octobre 2017

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières - Barney Norris

« Les histoires s’entremêlent. Les vies s’entrelacent. Et quand on dessine ces motifs dans l’air, on apprend à connaître un peu mieux l’espace où elles évoluent.
Il y a environ un an, alors que je m’étais arrêté au McDonald’s avant d’aller travailler, j’ai été témoin d’un accident. De la fenêtre, j’ai vu une voiture conduite par un vieil homme percuter une femme à mobylette. J’ai vu un adolescent et une autre femme qui regardaient, chacun d’un côté de la route. La scène avait quelque chose d’irréel, comme une pièce de théâtre. »

Rita était au guidon de la mobylette. Fleuriste et dealeuse occasionnelle au passé difficile, cette quinqua jeune grand-mère peine à joindre les deux bouts. George est celui qui conduisait la voiture. Le jour de l’accident, il venait de perdre sa femme et n’était pas dans son état normal. Sam, un lycéen dont le père est en phase terminal d’un cancer, se trouvait sur un coté du trottoir. De l’autre côté il y avait Alison, une femme de soldat. Son mari absent depuis des mois, elle rumine une existence sans joie avec un fils qui s’éloigne d’elle depuis qu’il est entré à la fac.

Tour à tour ces cinq personnages prennent la parole et racontent leur quotidien. Des vies minuscules unies par un drame aussi soudain qu’inattendu. Tous au mauvais endroit, au mauvais moment…

Finalement je n’ai pas grand-chose à dire sur ce premier roman dont j’attendais énormément. Ce n’est pas qu’il ne m’a pas plu, loin de là, mais je n’ai pas été emporté comme je le pensais. C’était pourtant magnifiquement parti. La voix de Rita est merveilleuse de douleur, de spontanéité, de colère et de résignation. Celle de Sam, tout en fragilité, m’a essoré le cœur. Au bout de 150 pages et de deux narrateurs différents, j’étais plus qu’emballé. Avec George, le soufflé a commencé à retomber. Je suis resté à distance de son chagrin, je l’ai regardé de loin, sans la moindre émotion. Quant à Alison, elle m’a achevé. Pleurnicheuse et geignarde, son journal intime s’est étiré en longueur et ce fut un vrai soulagement d’en venir à bout.

C’est souvent le problème avec un récit choral, il y a à boire et à manger. Ici les histoires de chacun suintent de tristesse, le canevas se tisse pour relier chaque existence et l’ensemble tient solidement debout mais je ne peux m’empêcher de constater que l’ennui m’a accompagné tout au long de la seconde partie. Heureusement, la parole de Liam en conclusion synthétise joliment les trajectoires et offre une touche finale permettant de rester sur une note positive. Pas le coup de cœur attendu donc, mais un premier roman des plus prometteurs et un auteur que je vais suivre de près, c'est une certitude.

Ce qu’on entend quand on écoute chanter les rivières de Barney Norris (traduit de l’anglais par Karine Lalechère). Seuil, 2017. 300 pages. 20,00 euros.










jeudi 21 septembre 2017

Sur l’écriture - Charles Bukowski

« Quand tu écris juste dans l’optique d’être célèbre tu finis par faire de la merde. Je veux pas établir de règles mais s’il y en a une c’est celle-ci : les seuls écrivains qui ont du style sont ceux qui doivent écrire pour ne pas devenir fous. »

Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Bukowski est mon héros. Enfin, pas mon héros parce que je n’idolâtre personne. Mais il est celui qui a fait de moi le lecteur que je suis devenu. Alors forcément attaquer une anthologie de textes inédits signés de sa main ne me laisse pas indifférent.

Je savais à quoi m’attendre parce que j’avais déjà lu sa correspondance dans un ouvrage publié il y a plus de dix ans. Bien sûr ici le contenu est inédit mais sur le fond, rien ne change. Le vieux dégueulasse éructe, provoque, se moque, semble bourré 24h/24, se répète beaucoup, passe du coq à l’âne, égratigne ses confrères. Il parle d’écriture. La sienne et celle des autres. Entre la fin des années 40 et le début des années 70 il n’y a que la poésie qui compte. La sienne est la meilleure, les autres sont nuls (« ça fait des années que la poésie me gonfle, depuis des siècles, mais j’ai continué à en écrire parce que les autres s’y prenaient tellement mal »). Par la suite, quand son travail en prose commence à être reconnu, il s’apaise un peu. Mais dans l’ensemble il reste égal à lui-même. Il en fait des caisses, il surjoue, passe à la moulinette poètes, écrivains, éditeurs et critiques. Il endosse son habit préféré, celui du détestable misanthrope atrabilaire se plaignant de son pauvre sort de crève-la-faim incapable de garder un job, en permanence au bord de la folie et du suicide. Rien de neuf sous le soleil quoi.

Il faut dire aussi que ne suis pas fan de correspondance. D’abord parce que ça relève du domaine privé, donc ça ne me regarde pas. Ensuite parce que ce type d’échanges ne m’intéresse pas vraiment. Pour autant tout n’est pas à jeter dans cet amas de lettres. Je me suis amusé à le trouver obséquieux dans ses courriers à Henry Miller, j’ai apprécié ses références constantes aux très rares auteurs trouvant grâce à ses yeux (le Hemingway des débuts, Céline, Dostoïevski, Knut Hamsun et Sherwood Anderson) et j’ai adoré sa lettre la plus sincère et la plus poignante adressée à celui qu’il considère comme le plus grand de tous, John Fante (« Je ne sais pas d’où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi plus que n’importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise »).

J’ai aussi apprécié ses réflexions sur l’écriture disséminées au fil des pages, son refus obstiné de l’académisme (« Il n’y a aucune excuse pour une création mutilée par les directives de l’académisme, de la mode, ou le livre de messe valétudinaire qui dit : la forme, la forme, la forme !! Autant foutre les mots en cage. Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine. »), sa soif de simplicité (« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… »), son humour toujours aussi ravageur, sa capacité à rire de lui-même, à savoir d’où il vient, à ne jamais se voir plus beau qu’il n’est (« C’est du côté des incultes que je me range, les incapables, les gens si avides de jeter leurs pensées sur papier qu’ils n’ont pas eu la patience d’attendre des années pour acquérir une base solide »).

C'est un fait, il n’y a rien de transcendant dans ce recueil. Rien de nouveau pour ceux, comme moi, qui ont tout lu de lui et sur lui. Mais cette somme est représentative de ce qu’il a toujours été et de ce qui m'a toujours séduit chez lui : un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés. Un gars qui a mené sa barque sans s’occuper de personne et a marqué de son empreinte indélébile tout un pan de la contre-culture américaine.

Sur l’écriture de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au diable Vauvert, 2017. 320 pages. 20,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.









vendredi 15 septembre 2017

Le sympathisant - Viet Thanh Nguyen

1975. Saïgon vient de tomber et le narrateur, capitaine d’un général sud-vietnamien, va fuir sa terre natale et découvrir celle de l’Oncle Sam, ses supermarchés et ses autoroutes. Mais sous les habits du soldat pro-américain se cache une taupe Vietcong. Ce narrateur, dont on ne connaîtra jamais le nom, est un espion communiste prêt à tout pour ne pas se faire démasquer, prêt à tuer pour prouver sa fidélité au général.

J’ai eu peur d’un banal roman d’espionnage aux considérations politico-stratégiques barbantes mais cette histoire d’espion n’est pas au cœur du récit, elle sert juste à alimenter une réflexion autour du déracinement, de l’impossibilité de trouver sa place dans une Amérique accueillant les rescapés de la première grande défaite militaire de son histoire. Et les vietnamiens qui l’ont soutenue sur place ne sont pas les bienvenus : « La plupart des américains nous regardaient avec dégoût, car nous étions le rappel vivant de leur défaite cuisante. Nous menacions la sacro-sainte symétrie d’une Amérique noir et blanc, dont la politique raciale du yin et du yang ne laissait place à aucune autre couleur, notamment ces petits jaunes pathétiques qui venaient piquer dans la caisse ».

Le roman dit l’exil et la déchéance d’une diaspora ayant tout perdu en fuyant la guerre dans l’urgence. A ce titre la scène du départ de Saïgon sous les bombes est d’un réalisme sidérant. Se sentant inutile et humiliée, cette diaspora devient une communauté perdue, pathétique, s’accrochant sans illusion à d’hypothétiques rêves de retour.

La partie se déroulant aux États-Unis est passionnante, la parenthèse cinématographique expliquant en détail le tournage d’un film hollywoodien sur la guerre du Vietnam ne m’a pas enthousiasmé et le retour final dans la jungle m’a ennuyé à mourir, à tel point que j’ai traîné près de trois semaines pour lire les cent dernières pages. Une lecture inégale, donc. Même s’il se dégage de ce prix Pulitzer 2016 une grande puissance narrative et une indéniable force d’écriture (la traduction est vraiment impeccable), je dois reconnaître que je n’ai pas été totalement emporté par la confession de cet agent double en quête d’identité.

Le sympathisant de Viet Thanh Nguyen (traduit de l’anglais par Clément Baude). Belfond, 2017. 490 pages. 23,50 euros.










vendredi 8 septembre 2017

Éléphant- Martin Suter

Près de Zurich, Schoch le SDF se réveille au fond de sa grotte nez à nez avec un éléphant rose de 30 cm qui brille dans le noir. Rien d’affolant à première vue, étant donné la cuite qu’il s’est pris la veille. Sauf qu’après avoir dessaoulé, il constate que l’éléphant est toujours là. Le pachyderme, fruit d’une manipulation génétique, a été déposé par un soigneur de cirque voulant à tout prix le protéger. Car le professeur Roux, à la base de l’expérience lui ayant donné la vie, voit dans cette créature improbable un potentiel commercial phénoménal. Avec ses associés, il se lance sur la piste de « son » trésor et compte bien le récupérer coûte que coûte.

Un SDF, une vétérinaire, un chinois, un savant fou, un birman et surtout un mini éléphant rose phosphorescent. Des ingrédients incongrus pour un roman aux faux airs de conte fantastique, parfois proche du thriller, qui interroge sur les avancées de la génétique et plonge avec un réalisme sidérant au cœur du quotidien difficile des sans-domicile-fixe. Le tout en alliant courses poursuites endiablées et moments intimistes, humour noir un poil cynique et questionnements philosophiques.

Martin Suter a bâti son roman sur une implacable chronologie. Il a par ailleurs pris le temps d’échanger avec les plus grands spécialistes de la génétique et de la fécondation artificielle de l’éléphant pour donner à son propos, de prime abord délirant, des références solidement documentées. Pour autant, son art de la concision lui permet de garder en permanence les informations scientifiques au service du récit sans jamais l’alourdir, un vrai tour de force.

Un roman à la construction parfaite, qui se dévore comme un page-turner et surprend par sa profondeur de réflexion. Assurément une des plus belles surprises de la rentrée littéraire (pour l'instant et en ce qui me concerne du moins).

Éléphant de Martin Suter (traduit de l’allemand par Olivier Mannonni). Bourgois, 2017. 356 pages. 22,00 euros.






vendredi 1 septembre 2017

À malin, malin et demi - Richard Russo

Pourquoi n’ai-je pas lu Richard Russo plus tôt ? Voilà la question que je me suis posée tout au long de ce roman tant l’humour noir, l’ironie mordante et l’écriture cinglante correspondent en tout point à ce que j’aime. Russo reprend ici le cadre et les personnages  « d’un homme presque parfait », publié il y a 25 ans et que je me suis empressé d’acheter cette semaine. On retrouve donc cette bonne vieille ville de North Bath, cité industrielle du nord de l’État de New York en pleine décrépitude qui a connu son heure de gloire comme station thermale au début du 19ème siècle mais a depuis perdu de sa superbe au dépend de Schuyler Springs, sa jumelle située à quelques encablures où tout semble plus propre, plus beau, plus attirant et plus civilisé.

Le roman s’ouvre dans les allées du cimetière où se déroule l’enterrement du juge Barton Flatt en présence du maire et des ronds de cuir locaux. Parmi eux Douglas Raymer, le chef de la police, déprimé depuis la mort de sa femme un an plus tôt dans une malheureuse chute d’escalier alors qu’elle venait de faire ses valises et de lui annoncer dans une lettre qu’elle le quittait pour un autre. A partir de cette scène d’ouverture, Russo déplie son intrigue sur 48 heures et tant d’événements s’enchaînent qu’il est impossible de les résumer. Sachez juste que vous croiserez, entre autres, un repris de justice tatoué, un entrepreneur poissard à la virilité défaillante, une restauratrice gouailleuse, un vieux de la vieille à qui on ne la fait pas, une standardiste volubile, des serpents très venimeux, un orage dantesque, une télécommande de garage capricieuse et un chien qui passe son temps à se machouiller le pénis. Rien que ça.

Évidemment j’ai adoré. C’est déjanté tout en restant très cohérent, c’est drôle, cynique, sans pitié, irrésistible quoi. Et puis cette galerie de personnages est inoubliable, tous plus cabossés les uns que les autres, tous abattus, tous résignés à sauter dans le vide sans parachute. Un bal des médiocres où chacun tient son rôle à merveille, où chacun enchaîne les humiliations et les regrets sans repentir. J’ai rarement vu un roman aller aussi loin dans le pathétique, un pathétique qui nous laisse à la fois désolé et mort de rire, effaré et goguenard. Du grand art malgré une fin trop bisounours et positive par rapport au reste, à la limite de la faute de goût. Pas de quoi effacer pour autant l’immense plaisir de lecture que m’a procuré cette balade dans les rues de North Bath.

À malin, malin et demi de Richard Russo (traduit de l’anglais par Jean Esch). Quai Voltaire/La Table Ronde, 2017. 620 pages. 24,00 euros.












jeudi 31 août 2017

Fief - David Lopez

« L’ennui, c’est de la gestion. Ça se construit. Ça se stimule. Il faut un certain sens de la mesure. On a trouvé la parade, on s’amuse à se faire chier. On désamorce. Ça nous arrive d’être frustrés, mais l’essentiel pour nous c’est de rester à notre place. Parce que de là où on est on ne risque pas de tomber. »

Jonas, Ixe, Lahuisse, Untel, Sucré, Miskine, Romain, Poto, Habib. Les rois de la glande. Une bande d’inséparables où on se salue à coups de checks épaule contre épaule, où on enchaîne les moqueries et les insultes bon enfant, où on passe ses journées à jouer aux cartes et à la console, à fumer des pétards, à dealer un peu aussi à l’occasion, à faire quelques virées nocturnes alcoolisées et à fréquenter la salle de boxe. Dans leur petite ville de province, il n’y rien d’autre à faire. Rien de mieux à faire surtout.

Je ne connais rien de David Lopez, à part qu’il a 32 ans et que Fief est son premier roman. Impossible donc de savoir si ce livre a quelque chose d’autobiographique mais force est de constater qu’il sent le vécu à plein nez. Il raconte au fil des chapitres le quotidien des pas grand-chose, l’existence ordinaire d’une France sans avenir qui ne se plaint pas de son sort mais ne peut pas se projeter dans le futur, à court ou à long terme. Une France qui a appris que « le seul chemin vers le bonheur c’était la résignation, pas honteuse mais clairvoyante ».

Il ne faudrait pas faire l’erreur de prendre ce texte pour un roman de racailles à la vulgarité gratuite enfilant les clichés comme des perles. L'écriture est vivante, elle saisit la vitalité, la répartie et la dérision d’une langue propre à des gamins dont la nonchalance peut agacer mais que pour ma part j’ai trouvés particulièrement attachants. Il se dégage du récit une poésie crue, spontanée, sans fioriture, illuminée par des scènes aussi belles qu’improbables comme cette dictée improvisée autour d’un extrait du « Voyage au bout de la nuit » ou les références au jardin de Candide que Jonas et ses compères ont bien du mal à interpréter.

Loin d’une apologie de l’oisiveté, loin de tout jugement, David Lopez croque la réalité d’une jeunesse sans rêve qui ne cherche en aucun à élargir son horizon, une jeunesse prête à basculer dans l’âge adulte sans la moindre illusion. Désespérant, exagéré ou lucide, à chacun de se faire sa propre idée. Personnellement, j’ai quitté ces lascars à regret et j’aurais adoré continuer à faire un bout de chemin vers nulle part avec eux.

Fief de David Lopez. Seuil, 2017. 252 pages. 17,50 euros.