jeudi 7 novembre 2013

Kinderzimmer - Valentine Goby

Mila a rendu quelques services à la résistance. Mais Mila a été dénoncée puis arrêtée. Direction Ravensbrück. 40 000 femmes dans le camp. Mila est une déportée parmi tant d’autres. Sauf que Mila est enceinte. Mila porte en elle la vie, dans ce lieu où la mort mène la danse. Mila veut que sa grossesse reste invisible. A ses compagnes d’infortunes, à ses geôliers, à elle-même.

Lorsque l’enfant paraît, il se retrouve dans la Kinderzimmer, la pouponnière. De pouponnière, l’endroit n’a que le nom. C’est un bloc comme les autres où les nourrissons s’entassent et finissent par mourir, de faim ou d’autre chose. Pas de biberon, pas de lait, pas de change, d’habit ni de chauffage. Les bébés ressemblent à des vieillards, ridés et maigres, le corps glacé. La cause semble désespérée mais Mila survit pour son enfant, elle s’accroche à cette vie nouvelle, symbole d’ultime espoir dans un environnement qui a tout de l’enfer.

Le texte est au présent et plonge le lecteur au cœur du camp. Valentine Goby décrit l’indicible avec une étonnante justesse. Elle raconte la transformation des corps et des âmes dans le huis clos des barbelés et des miradors, elle trouve les mots justes pour dire la maladie, la promiscuité, la fatigue, la faim, la peur permanente. Sensations, images, odeurs et douleurs sont restituées dans toute leur horreur sans jamais franchir la barrière du déballage purement gratuit.

Pour Mila, la maternité est un indéfinissable bouleversement intérieur. Comment porter la vie lorsque l’on est soi-même un cadavre ambulant ? Mais l’évidence est là, le bébé s’accroche et lorsqu’il naît rien ne lui manque : « une tête, deux oreilles, deux bras, deux mains […] deux yeux, deux narines, une bouche. » Par la suite elle découvrira la solidarité et le courage de ses sœurs de souffrance. Le gant en caoutchouc que l’on vole au péril de sa vie pour faire une tétine, les morceaux de tissu ramenés incognito au bloc et cousus le soir pour confectionner des habits, le sein donné à un enfant que l’on ne connait pas parce que le nôtre vient de mourir…

Un roman âpre, douloureux. Longtemps que je n’avais pas vécu une lecture aussi éprouvante. Mais la langue est magnifique, crue et limpide, elle résonne avec force, c’est très impressionnant. Et puis ce livre m’est précieux parce qu’il m’a été offert, et pas par n’importe qui, alors pour toutes ces raisons, Kinderzimmer restera comme l’une de mes plus belles découvertes de l’année.


Kinderzimmer de Valentine Goby. Actes Sud, 2013. 220 pages. 20 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec des blogueuses que j'apprécie particulièrement, à savoir et par ordre alphabétique Noukette, Sandrine, Saxaoul, Sophie/Hérisson et Valérie.

Les avis de Clara, JosteinNatiora, PhilisineStephie









mercredi 6 novembre 2013

Mauvais genre - Chloé Cruchaudet

Paul Grappe et Louise Landy viennent à peine de se marier que la première guerre mondiale éclate. Envoyé sur le front, Paul ne supporte pas l’horreur des combats. Il s’automutile, passe quelques temps à l’hôpital puis, refusant l’idée de retourner dans les tranchées après sa convalescence, il déserte. Caché dans une chambre de bonne avec Louise, il vit difficilement le confinement imposé par sa condition de déserteur et finit par trouver une solution radicale devant lui permettre de sortir incognito : se déguiser en femme. Pendant plus de dix ans, Paul va devenir Suzanne et mener une vie où le travestissement va peu à peu devenir sa seule raison d’être.

Incroyable destin que celui de Paul, incroyable histoire d’amour également, magnifique, brûlante et tragique. La relation entre Louise et son mari bascule de la tendresse vers la violence mais reste avant tout guidée par la passion. Louise joue d’abord le rôle de mentor. C’est elle qui le pousse à se transformer, lui montre les techniques d’épilation et l’initie au monde des femmes en le faisant embaucher dans son atelier de couturière. Mais c’est elle aussi qui le jalouse lorsqu’il devient la coqueluche de l’atelier puis du bois. Paul, tellement « habité » par son rôle, enivré par son succès grandissant auprès des femmes, sombre dans la folie. C’est un personnage complexe, fragile, fascinant. Lorsque la supercherie est révélée après l’amnistie des déserteurs, il assume avec plaisir le statut de bête de foire que lui donne la presse. Il aime être dans la lumière et quand les journalistes se lassent de son histoire, le retour à l’anonymat signe le début de sa déchéance.

Chloé Cruchaudet met en scène cette histoire aussi surprenante que véridique avec une maîtrise impressionnante. La narration est solide, parfaitement construite. Elle donne à Paul des traits imprécis et garde volontairement, notamment avec son énorme nez, des détails qui trahissent sa masculinité. Elle utilise aussi la couleur avec parcimonie, pour donner du sens. Ainsi le rouge est le plus souvent symbole de passage vers la féminité. Un mot également sur les scènes de cauchemar renvoyant Paul dans les tranchées qui sont magnifiquement réalisées.

Un album mené de main de maître. Du travail d’orfèvre et un vrai régal pour le lecteur. Tout simplement somptueux.

Mauvais genre de Chloé Cruchaudet. Delcourt, 2013. 160 pages. 18,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager aujourd'hui avec Lunch, Marion, Moka, Noukette et Mo'. Rien que ça !






Astérix T35 : Chez les Pictes - Jean-Yves Ferri et Conrad

Un hiver rigoureux, un drôle de guerrier tatoué qui échoue sur la plage dans un glaçon et voilà Astérix et Obélix en route pour l’Écosse. Monstre du Loch Andloll, eau de malt (whisky) et guerre des clans sont au programme de ce 35ème album, le premier dont Uderzo ne signe pas les dessins.

On nous avait annoncé un retour aux sources, je me rends compte qu’en fait le but était de rester dans la continuité de l’œuvre c'est-à-dire de ne toucher à rien. Personnages, humour, jeux de mots, références un peu datées, le cahier des charges hyper restrictif devait inclure de ne surtout pas moderniser l’univers. Du coup on est dans l’hommage plus que dans l’œuvre originale. Dans la continuité comme on dit. Et du coup il ne faut pas chercher la moindre nouveauté.

On sent que les auteurs ont été cornaqués par Uderzo, l’éditeur et la fille de Goscinny. Pas moyen de lâcher les chevaux ! Alors on déroule du grand classique : un pays pas encore visité, des pirates, des romains, un bon repas, un méchant vraiment méchant mais un peu niais, etc. Graphiquement, Conrad s’en sort très bien et mérite un sacré coup de chapeau tant l’héritage d’Uderzo semblait quasi impossible à assumer. Si les fondamentaux sont respectés, le scénario est pourtant léger, bancal et manque un peu de profondeur. Mac Oloch notamment est loin d’être un personnage secondaire inoubliable. Et puis que vient faire le recenseur romain dans l’histoire, si ce n’est du remplissage ? Et pourquoi donc Obélix refuse-t-il d’embarquer Idéfix dans l’aventure ? Peut-être le petit chien est-il trop difficile à dessiner mais son absence est pour le lecteur assez incompréhensible.

Au final, je n’ai pas du tout été emballé par cet album. Certes il est plusieurs crans au-dessus des précédents, ce qui n’était franchement  pas difficile. Mais on est encore bien loin des albums de l’âge d’or d’Astérix. Pour vous en convaincre, il suffit de relire Astérix en Corse avant d’attaquer ce nouvel opus. L’évidence saute aux yeux, il n’y a pas photo entre les deux !


Astérix T35 : Chez les Pictes de Jean-Yves Ferri et Conrad. Ed. Albert René, 2013. 48 pages. 9,90 euros.

Une lecture commune que je partage avec Hélène.






mardi 5 novembre 2013

Le premier mardi c'est permis (21) : Les doigts de pied en bouquet de violettes

Aujourd’hui point de rigolade, je vais tenter d’enrichir votre vocabulaire. J’ai en effet honteusement profité du rendez-vous mensuel de Stephie pour me pencher sur un petit dictionnaire coquin de l’amour et du sexe. Au menu 369 expressions pour dire « la chose ».  Mes lectures érotico-porno récentes (et le plus souvent navrantes) m’ont conforté dans l’idée que si les mots du sexe sont partout, ils sont toujours les mêmes. Une poignée de mots précis, concrets et sans fioritures dont je vous épargnerai la liste mais que vous connaissez sans doute par cœur. Le champ lexical érotique est de nos jours archi-limité alors que depuis la nuit des temps les métaphores s’inscrivent aux sources du vocabulaire sexuel. La volonté clairement affichée de tenir à distance la métaphore pour que le « parler cru » soit directement accessible à tous est une forme d’appauvrissement  de la langue. Il y a pourtant tellement de possibilités pour qualifier l’acte sexuel. Vous voulez sans doute des exemples pour juger sur pièce ? Allez, c’est parti. Mais attention, je préviens les oreilles chastes que parmi les phrases et expressions qui vont suivre, certaines sont susceptibles d’heurter leur sensibilité. Je dis ça, je dis rien.

On commence avec une expression qui, en ce qui me concerne, a tout de l’autoportrait (ma modestie légendaire va encore en prendre un coup mais j’assume) : « Être ferme des rognons » qui signifie être solide au combat amoureux, faire durer le plaisir.

A l’inverse, une jolie métaphore pour les éjaculateurs précoces : « Allez trop vite à l’offrande et faire choir le curé. » Une  phrase qui date de la fin du 17ème siècle.

Dans le domaine animalier, difficile de ne pas tomber dans le grassement vulgaire. En cherchant bien, on peut trouver quelques images plus raffinées (quoique…) :
- « Faire miauler ou ronronner le chat » fait évidemment référence à la jouissance féminine.
- « Laisser le chat aller au fromage » est plus recherchée et plus complexe puisqu’elle s’emploie pour signifier qu’une fille a perdu son pucelage, le « fromage »  incarnant ici le sperme qui, en argot, est souvent et sans surprise assimilé à un laitage (lait, yaourt, etc.).

Lorsque l’on emploie un vocabulaire artisanal et professionnel pour qualifier la chose, je trouve que c’est toujours sans finesse. Avouer que « rectifier le joint de culasse », « se vider les burettes » ou « bétonner la caverne », ça manque de classe. Je préfère de loin quand on donne dans le bucolique. « Allez aux fraises » par exemple, que je ne connaissais pas et qui me plait beaucoup (la fraise imageant tantôt le clitoris tantôt les pointes des seins) ou encore « éternuer dans les broussailles » (lorsque l’homme éjacule sur la toison pubienne).

Chez les gourmands, on oscille entre le délicat (« vider son carafon d’orgeat ») et le cru de chez cru que je trouve bien trop rentre-dedans (si je puis de dire) comme « casser une croûte de cul » ou « mettre l’andouille au pot » (expression que l’on doit à Rabelais). Dans le genre, le célèbre « dégorger le poireau » ne brille pas non plus par sa finesse, c’est le moins que l’on puisse dire.

Après, il y a certaines expressions totalement incompréhensibles sans explication de texte. Prenez par exemple « faire voir la feuille à l’envers ». Dans son Dictionnaire érotique moderne (1864), Alfred Delvau donne la définition suivante : « faire l’amour à une femme dans les bois, parce qu’étant sur le dos et levant les yeux au ciel, elle ne peut apercevoir que le dessous des feuilles d’arbres. » Une expression vraiment pas commune que l’on retrouve pourtant chez Rétif de la Bretonne (Les contemporaines, 18ème siècle) et Zola (La terre, 1887). Autre expression obscure à première vue, « aller au gratin » qui signifie, toujours dixit Delveau, « faire l’amour avec une prostituée sans payer, par délicate allusion au gratin que laisse un mets au fond de la casserole et qui trouve toujours un amateur quand tout le monde est servi. » (amis de la poésie bonsoir….).

Allez, je ne peux pas en rester là sans vous donner mon expression préférée, une expression que je ne connaissais absolument pas mais qui m’a parlé et fait rire dès que je l’ai découverte : « Faire éternuer le cyclope ». Une métaphore « éjaculatoire » dont on trouve l’explication dans le très sérieux « Dictionnaire du français non conventionnel » de Cellard et Rey : « la métaphore part de l’analogie du méat urinaire avec un petit œil. Le gland est lui-même une tête chauve dont le méat est l’œil unique. » Voila des éclaircissements limpides !

Pour finir un mot sur « Avoir les doigts de pied en bouquet de violettes » que l’on retrouve dans le titre de l’ouvrage et qui représente une bien jolie façon de définir l’orgasme. C’est quand même plus poétique et  recherché que le banal « prendre son pied », non ?


Les doigts de pied en bouquet de violettes : Dictionnaire coquin de l’amour et du sexe en 369 expressions de Sylvie Brunet. Éditions de l’opportun, 2013. 386 pages. 13 euros.

Si Marilyne l'accepte malgré son sujet "tendancieux", ce billet signera ma participation de novembre au projet non-fiction.






lundi 4 novembre 2013

Les années douces - Jiro Taniguchi

Tsukiko est une trentenaire qui rencontre par hasard dans un café l’un de ses anciens professeurs de lycée deux fois plus âgé qu’elle. Par la suite, elle le retrouve régulièrement au même endroit et se rend compte qu’elle apprécie la compagnie de ce vieil homme taciturne. Celui qu’elle appelle le maître va peu à peu prendre une place importante dans sa vie et les liens qui les unissent ne vont cesser de se resserrer au fil du temps.

Les années douces est l’adaptation d’un roman d’Hiromi Kawakami. J’y ai retrouvé le Taniguchi que j’aime, contemplatif, prenant son temps, faisant de l’inaction et des petits riens le cœur de son propos. On assiste ici à la naissance d’un sentiment amoureux entre deux êtres que tout oppose à priori. On les suit dans des moments de prime abord insignifiants (au marché, cueillant des champignons en forêt, etc.) mais au final porteurs de sens car ils ne cessent de renforcer leur complicité et de souligner l’évidence de leur attirance réciproque. Tsukiko est un personnage plus complexe qu’il n’y paraît. Elle n’accorde pas une grande importance à son apparence, elle n’est pas carriériste, elle aime la bonne nourriture et le saké. C’est elle qui tombe amoureuse et fait les premiers pas. C’est une jeune femme touchante et d’une grande
sensibilité.

Tsukiko et le maître sont des gens ordinaires auxquels on s’attache sans en avoir l’air. Ils ont un petit coté hédoniste et gourmet que j’adore. Ils sont tout en simplicité, en retenu, solitaires et fragiles. Ils peuvent cesser de se voir pendant des semaines et se retrouver un jour dans leur restaurant favori comme s’ils s’étaient quittés la veille. A aucun moment ils ne cherchent à forcer les choses et leur rapprochement se fait naturellement. Un couple solaire et émouvant dont la relation atypique est je trouve d’une grande beauté. Bref ce diptyque est un régal et je remercie Cuné d’en avoir parlé il y a peu car sans elle je serais passé à coté d’un excellent Taniguchi.

Les années douces T1 de Jiro Taniguchi. Caterman, 2010. 200 pages. 15 euros.
Les années douces T2 de Jiro Taniguchi. Caterman, 2011. 238 pages. 16 euros.

L'avis de Cuné sur le tome 1 ; le tome 2



vendredi 1 novembre 2013

Le chien qui louche - Etienne Davodeau

Fabien est dans l’embarras. Cet agent de surveillance au musée du Louvre vient de faire la connaissance de sa belle famille, des marchands de meubles d’Angers un poil franchouillards. Après un repas quelque peu écourté, les frères de sa petite amie Mathilde lui exhibent une croûte peinte par leur arrière grand-père et lui demandent si cette toile mérite d’être accrochée au Louvre. N’osant pas dire non, Fabien botte vaguement en touche et ne se doute pas que son semblant d’hésitation va le mener dans une drôle d’aventure...

Le chien qui louche est une BD qui fait du bien, une BD réjouissante. Comme il le dit lui-même, Davodeau met en scène une sorte de cambriolage à l’envers : non pas comment faire sortir du Louvre un tableau mais plutôt comment y faire entrer l’œuvre d’un peintre du dimanche. L’histoire est légère mais elle interroge aussi, posant notamment la question de « qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? ».

Les personnages sont tous hauts en couleur : Fabien et la pétillante Mathilde bien sûr mais aussi Mr Balouchi, pilier d’une société secrète et saugrenue dont les membres entretiennent un rapport très particulier avec le Louvre. Il ne faut évidemment pas oublier les Benion, notables de province sûr d’eux et sans complexes, un peu beaufs, un peu caricaturaux mais tellement drôles et excessifs.

Graphiquement, on est plus dans l’évocation que dans la reproduction la plus réaliste possible du musée. Le travail au lavis est une fois de plus superbe et restitue lumières, volumes et profondeurs, ce qui est bien l’essentiel.

Cet album est la première véritable comédie de Davodeau. Son coté loufoque pourra surprendre ses lecteurs habituels mais le résultat est tellement réussi que l’on ne peut qu’applaudir. Et puis comme toujours, il cherche à extraire de leur anonymat les gens ordinaires, c’est une caractéristique de son œuvre que j’apprécie particulièrement. Bref le chien qui louche est une totale réussite, je me suis régalé.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo’ et Noukette.

Le chien qui louche d’Etienne Davodeau. Futuropolis, 2013. 136 pages. 20 euros.

L'avis de Cristie
L'avis de Stephie

jeudi 31 octobre 2013

L’accomplissement de l’amour - Eva Almassy

Béa va rejoindre un inconnu. Un homme marié, père de trois enfants, qu’elle a croisé le temps d’un après-midi. Un homme avec lequel elle échange depuis des semaines par mail. Un homme dont le train va arriver en gare. La nuit d’hôtel est réservée. Le reste… difficile à imaginer. Mais Béa veut se sentir vivante. Elle ne supporte plus sa vie de couple. Comment peut-on d’ailleurs appeler cela un couple. Angel ne l’a pas touchée depuis des années, même pas embrassée. « Elle avait réussi une séparation, mais l’homme était revenu, un poids mort, toujours à la maison. » 

« Avec Angel, pas d’amour, pas d’enfants, pas d’accouchement, pas de lait, ni sein, ni biberon, et finalement plus de femme dans le couple (le sexe de Béatrice neutralisé). On avait piégé son être, son avenir, sa descendance, son bonheur, elle aurait dû se scier le poignet, le bras, se ronger cette patte qui était prise, partir comme les renardes, en saignant dans la neige, courir jusqu’à ce que le danger - que le passé - s’éloigne. » Mais l’inconnu est-il la solution à  tous ses maux ? Ne serait-il pas simplement une parenthèse ? Ou une chimère ?

Un petit bouquin trouvé sur la table des nouveautés de la médiathèque. Emprunté sans même lire la 4ème de couv. C’est un jeu auquel je me livre parfois. En général ce sont toujours de mauvaises pioches. Rentré à la maison je découvre que j’ai mis la main sur une histoire de femme en souffrance, de femme qui se cherche. Après avoir été refroidi par le dernier Kasichke et « Trembler te va si bien », qui donnaient dans le même créneau, je me dis que je vais le ramener sans même le lire. Je me lance quand même dans la première page, puis la seconde et j’en avale la moitié d’une traite. L’histoire de cette femme me parle. Elle me touche.

« Un acte d’infidélité peut-il renforcer l’amour exclusif qui lie un couple ? ». L’accomplissement de l’amour reprend le titre et le thème d’une longue nouvelle de Robert Musil écrite en 1910. Une réécriture 100 ans après, avec une femme du 21ème siècle, à une époque où les façons d’aimer ont bien changé.

Béa se cherche, donc. Béa est perdue. J’ai été bouleversé par sa faiblesse, sa résignation, son manque de confiance en elle. Autant de choses qui d’habitude m’agacent au plus haut point. Étrange. Mon petit cœur de pierre a fondu. Je n’arrive pas à me l’expliquer. Peut-être est-ce l'écriture d’Eva Almassy, sensible et pleine de charme. En tout cas je constate avec plaisir que je suis capable de « recevoir » des textes féminins aussi intimes. Je pensais que c’était totalement impossible. Comme quoi…



L’accomplissement de l’amour d’Eva Almassy. L’olivier, 2013. 110 pages. 13 euros.




mercredi 30 octobre 2013

Eve sur la balançoire : conte cruel de Manhattan - Nathalie Ferlut

Cet album relate l’ascension puis la chute d’Eve Nesbit, une jeune fille née en 1884 près de Pittsburgh. Arrivée à New York avec sa mère en 1901, elle devint rapidement la coqueluche de la presse et des annonceurs. Peinte et photographiée des centaines de fois, elle fut considérée comme la première pin-up de l’histoire américaine. Sa rencontre avec des hommes sulfureux marqua son destin tragique et après un procès retentissant en 1908 elle tomba dans l’anonymat le plus complet.

Bon, j’avoue, je me suis ennuyé. Pas qu’un peu même. L’histoire d’Eve ne m’a pas intéressé le moins du monde. Il faut dire que la jeune femme est lisse, transparente. Elle manque singulièrement de caractère. Bien sûr elle est prisonnière des mœurs de son époque, de la toute puissance des hommes et elle doit faire face à la fois au puritanisme et à une certaine forme de libertinage. Mais au final l’image renvoyée, à la limite du pathétique, m’a beaucoup dérangé. Dans une interview, Nathalie Ferlut affirme qu’il ne faut pas prendre son récit au premier degré au risque de le trouver juste froid et historique. Pour elle, il faut le considérer comme un conte pour en saisir la substantifique moelle (d’où d’ailleurs le sous-titre « conte cruel de Manhattan »). Alors certes il y a quelques éléments propres au conte (la jeune fille pure, belle et innocente, l’ogre, la marâtre, le prince charmant qui fait un passage éclair, etc.) mais la narration ne respecte en rien les codes du genre. Finalement, cette histoire, je l’ai prise au premier degré et elle n’est pour moi ni plus ni moins qu’une biographie pas franchement passionnante.

Par contre niveau dessin, c’est une belle claque. On imagine les heures voire les mois de travail nécessaires pour réaliser au pinceau les 120 pages de l’album. J’ai forcément pensé à Nadja et à ses Filles de Montparnasse mais ici les aquarelles sont plus fines, les décors, les costumes et les couleurs tellement plus précis, c’est vraiment impressionnant.

J’aurais aimé m’enthousiasmer pour cette BD. Je me rends compte à un quel point l’auteure s’y est investie, y a mis toute sa passion et son talent mais l’honnêteté me pousse à reconnaître que je suis passé à coté. Ce sont des choses qui arrivent et je crois que Mo’, avec qui je partage une fois de plus cette lecture commune, n’a  malheureusement pas été plus emballée que moi.


Eve sur la balançoire : conte cruel de Manhattan de Nathalie Ferlut. Casterman, 2013. 128 pages. 18 euros.






mardi 29 octobre 2013

Le voyage de Mamily - Agnès de Lestrade et Charlotte Cottereau

Mamily a oublié quelque chose mais elle ne sait plus quoi. Elle pense que c’est le bouton du pantalon de Papily qu’elle a oublié de recoudre. Mais plus moyen de remettre la main sur ce bouton. Mamily croit le voir à travers la fenêtre. La voila dehors. En chemin elle va rencontrer un enfant, croiser un train et cueillir quelques fleurs. Et à chaque fois, elle va trouver un bouton... 

Une histoire en randonnée classique où chaque nouvelle rencontre est prétexte à découvrir un bouton différent pour le pantalon de Papily. Bien sûr cet album n’a de prime abord rien de joyeux car il parle de la vieillesse avec en filigrane cette terrible maladie d’Alzheimer qui fait tant de ravages. Mais ici l’optimisme est de mise. Mamilly rentre chez elle sans problème après son excursion et finalement, ce « brouillard » dans la tête qui lui joue des tours sera l’occasion de mettre un peu de fantaisie sur le fameux pantalon. Et puis la vieille dame profite de sa promenade, « elle respire l’air frais, un sourire sur les lèvres », bref elle est heureuse.

Les illustrations sont simples, un peu naïves et très colorées, elles participent à diffuser l’ambiance positive et enjouée qui traverse l’album. Un joli moment de lecture plein de douceur et de tendresse.


Le voyage de Mamily d’Agnès de Lestrade et Charlotte Cottereau. Balivernes, 2013. 36 pages. 12 euros.


L'avis de Mya Rosa






lundi 28 octobre 2013

Kililana Song : seconde partie - Benjamin Flao

Le petit Naïm a embarqué malgré lui sur le bateau que le vieux Ali vient de voler. Sur l'archipel de Lamu, Jean-Phillipe attend désespérément que Jahid lui fournisse la drogue dont il ne peut plus se passer. De son coté, le capitaine Günter est dans de sales draps après avoir été enlevé par les islamistes. Quant à la prostituée Maggy, elle va envoûter Hassan, le grand frère de Naïm. Tous les protagonistes découverts dans le premier tome semblent emportés par un tourbillon qui les dépasse. Et pendant ce temps-là la tempête approche…

Ce qui est bien avec un diptyque c’est que quand la seconde partie paraît on peut se permettre de relire la première afin de voir si l’histoire tient sur ses deux jambes (ce qui est plus difficile avec une série à suivre en 15 volumes, ou alors il faut avoir beaucoup de temps devant soi). Je ne m’en suis pas privé ici et je dois reconnaître que le talent de conteur de Benjamin Flao est impressionnant. Son canevas, tissé serré-serré, est d’une redoutable précision. Malgré la multiplicité des personnages, des lieux et des événements, on passe de l’un à l’autre avec une incontestable fluidité. Et puis chacun d’eux est attachant et possède suffisamment d’épaisseur pour ne pas apparaître en tant que simple parenthèse ou faire-valoir.

Le récit est vif et pétillant, les dialogues enlevés, et graphiquement il y a des passages sublimes (notamment la tempête en mer) qui ne sont pas sans rappeler le très grand Emmanuel Lepage. En plus les thèmes abordés sont variés mais sonnent justes : le tourisme et la pression foncière, la construction d’un port pour les pétroliers qui va faire disparaître les pêcheurs locaux, le sort des petites gens, les expats, l’instabilité géopolitique avec la présence des tristement célèbres Shebabs somaliens, etc.

Franchement je ne vois pas ce que l’on pourrait reprocher à ce diptyque (à part peut-être la « conversion » un peu simpliste du frère intégriste de Naïm et un lettrage vraiment pas jojo mais ce sont des détails). Une histoire superbe, dépaysante et à la construction imparable. En gros, une belle réussite !

Kililana Song, seconde partie de Benjamin Flao. Futuropolis, 2013. 132 pages. 20 euros.


Une lecture commune que je partage avec Mo' et Noukette. J'espère qu'elles ont autant aimé que moi.

L'avis d'Oliv

  

samedi 26 octobre 2013

Désaccords imparfaits - Jonathan Coe

J’aime quand un auteur très peu adepte du genre se lance dans la nouvelle. Jonathan Coe le précise en introduction : « il ne m’est pas facile de faire court […] Ce qui m’attire dans la fiction, c’est plutôt la complexité, le panorama, et chez moi, il est plus fréquent que les idées nées sous forme de nouvelles prennent l’épaisseur d’un roman. »

Ce recueil d’à peine 100 pages réunit toute sa production de nouvelles. Quatre textes en tout et encore, le dernier ne relève pas de la fiction mais est un article consacré au film « La vie privé de Sherlock Holmes » de Billy Wilder publié à l’origine dans les Cahiers du cinéma. Dans les trois autres, on trouvera un frère et une sœur remuant les souvenirs d’un Noël passé chez leurs grands parents aujourd’hui décédés, un pianiste de bar new-yorkais qui imagine ce que serait devenue sa relation avec une inconnue s’il lui avait répondu de façon différente ou encore le membre du jury d’un festival du film troublé par un ancien adultère et la rencontre d’une séduisante journaliste française.

Pour Coe, une production si minuscule (trois nouvelles en 15 ans) relève de « la plaisanterie ». Je trouve au contraire intéressant de voir comment un auteur habitué aux grandes sagas familiales (Bienvenue au club, Le cercle fermé) se sort de la forme courte. Et pour le coup, il se débrouille très bien. Souvenirs, regrets, temps et occasions perdus, il déroule une partition mélancolique et touchante. En quelques pages il installe une atmosphère et parvient à incarner des personnages dont on cerne en peu de mots l’état d’esprit. C’est vraiment une belle réussite, il est dommage que cet auteur anglais au talent reconnu (prix Médicis étranger en 1998) ne s’adonne pas plus souvent à la nouvelle.

Désaccords imparfaits de Jonathan Coe. Gallimard, 2012. 100 pages. 8,90 euros.

PS : ce recueil est sorti en poche au début du mois. Plus d’excuses !

Un billet qui signe ma troisième et dernière participation au mois de la nouvelle de Flo

vendredi 25 octobre 2013

La cravate - Milena Michiko Flasar

Dans une ville japonaise, Taguchi Hiro a vingt ans et vient de passer les deux dernières années cloîtré dans sa chambre. C’est un hikikomori, un jeune adulte solitaire totalement coupé du monde qui l’entoure. Il a depuis peu recommencé à sortir de sa tanière et passe ses journées sur un banc, dans un parc. En face de lui vient s’asseoir un salarymen cravaté et propre sur lui. Il s’appelle Ohara Tetsu, frôle la soixantaine et vient de perdre son emploi. N’osant l’avouer à sa femme, il continue à quitter le domicile chaque matin à la même heure et rentre tard le soir, pour faire comme si.

Entre Taguchi l’asocial et Ohara le cadre licencié naît une muette complicité. Bientôt suivront quelques échanges. Leur face à face sonne pour Taguchi comme une évidence : « Je pensai malgré moi à l’éternité visqueuse d’une journée qui venait de commencer et allait s’étendre à l’infini. La certitude qu’elle finirait par s’écouler n’était rien par rapport à la mélancolie fade avec laquelle elle s’écoulait, et mélancolie, continuai-je de me dire, était le mot qui nous était inscrit à tous les deux sur le front. Il nous reliait. Nous nous rencontrions en lui. »

Peu à peu leurs discussions vont se faire plus intimes et se rapprocher de la confession. Le jeune garçon se raconte. Il dit la douleur du suicide qui a frappé l’une de ses amis, sa lâcheté, le repli sur soi comme seule solution : « Je ne voulais plus jamais, j’en fis le serment, être attaché à quiconque. Ne jamais plus être imbriqué dans le destin de quelqu’un. Je voulais entrer dans un espace sans temps ou personne ne me bouleverserait plus. » Ohara revient quant à lui sur ce fils né avec un handicap et qui mourut très jeune. Il confie la tendresse absolue qu’il voue à sa femme et sa volonté de ne pas lui faire de mal en lui annonçant son licenciement : « Elle a mérité mieux, beaucoup, beaucoup mieux que la vérité. »

Le récit est découpé en 114 courtes séquences, autant de petits pas, de touches délicates amenant ces êtres solitaires sur le chemin de la sérénité. Tout deux constatent que la vérité est là, dans leur relation sincère et sans faux-semblant, loin des pressions sociales et des objectifs de performance auxquels une très grande majorité de japonais est confrontée.

L’austro-japonaise Milena Michiko Flasar fait preuve d’une délicatesse absolue pour brosser les sentiments complexes de ces personnages cabossés et les mener vers la lumière. Car au final et aussi paradoxal que cela puisse paraître, on ressort de ce court roman revigoré et plein d’optimisme.       
    
Un texte magnifique, tout en subtilité.


La cravate de Milena Michiko Flasar. L’olivier, 2103. 164 pages. 18,50 euros.

Les avis de Clara ; Leiloona



jeudi 24 octobre 2013

Le loup qui mangeait n’importe quoi - Manu Larcenet et Christophe Donner

Il était une fois un loup affamé à qui la gourmandise joua de biens mauvais tours. Malgré les mises en garde de ses futures victimes, il ne put s’empêcher d’avaler successivement une brebis, un cochon et quelques enfants. Une orgie exquise qu’il finira par regretter amèrement.

Avec Manu Larcenet aux pinceaux et Christophe Donner au stylo le ton est forcément décalé. Leur loup qui mangeait n’importe quoi est roteur, péteur et se cure le nez. Bien entendu les enfants adorent ce coté un peu scato (j’ai testé avec pépette n°2 et elle a gloussé tout au long de l’album). Et puis ce loup est pitoyable, les personnages qu’il croise ne relèvent pas vraiment le niveau, bref on est en présence d’antihéros un peu crétins, c’est un aspect qui plait aussi beaucoup. Pour autant, on ne lésine pas sur l’écriture. Il y a bien quelques expressions familières mais l’ensemble (ou presque) est en alexandrins.

Niveau dessin, les illustrations pleine page sont superbes. Mention spéciale pour les petits oiseaux disséminés un peu partout dans les décors et qui sont, je trouve, d’une grande beauté.

Un bel album grand format, drôle et irrévérencieux, à partager en famille. Je me vois déjà en train de le lire à Charlotte...



Le loup qui mangeait n’importe quoi de Manu Larcenet et Christophe Donner. Mango jeunesse, 2013. 28 pages. 14,50 euros. A partir de 5-6 ans.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec ma chère Noukette. On va essayer d'installer un rendez-vous régulier le jeudi tous les 15 jours. Si voulez nous accompagner dans ces LC, on peut vous donner la liste des titres à venir (enfin moi parce qu'en ce qui la concerne elle a déjà dû oublier^^).




mercredi 23 octobre 2013

Paco les mains rouges T1 : La Grande Terre - Fabien Vehlmann et Eric Sagot

Un jeune instituteur ayant échappé de peu à la guillotine après un crime passionnel est envoyé au bagne en Guyane. Sur le bateau, malgré sa frêle constitution et son tempérament introverti, il profite de la protection d’Armand, un tatoueur, pour éviter les ennuis. Mais une fois arrivé sur place, il devient une cible de choix pour les durs à cuire de la colonie pénitentiaire. Violé par trois codétenus, il gagne le respect et le surnom de «  Paco les mains rouges » après avoir égorgé l’un de ses agresseurs : « Si je réagissais pas tout de suite, j’allais devenir la pute de toute la case ou alors je me tuais tout de suite. »  Prisonnier modèle, il parvient à se préserver en étant embauché comme homme à tout faire par un gardien. Mais les crises de palu et une improbable histoire d’amour vont venir bouleverser son quotidien.

Cet album, première partie d’un diptyque, est bluffant à bien des égards. D’abord le scénario de Vehlmann est un petit bijou. Parfaitement documenté, mêlant la violence brute à l’intimité la plus émouvante, il met en scène un personnage d’une incroyable justesse. La narration en récitatifs ne plombe jamais le propos, elle donne au contraire à l’ensemble une forte dimension dramatique. Ensuite, le dessin aux tons sépia de Sagot, proche de l’art naïf, s’attarde davantage sur les atmosphères moites et oppressantes du bagne que sur une représentation ultra réaliste des lieux et des hommes. Tout en suggestion, il brosse avec maestria l’ambiance crépusculaire dans laquelle évolue prisonnier et matons.

Un album ambitieux, mêlant la rigueur historique (j’ai retrouvé avec bonheur à plusieurs reprises mes tatoués de Biribi, les pires bagnards ayant échoué en Guyane après un passage dans les bataillons disciplinaires d’Afrique du nord)  à une romance homosexuelle aussi surprenante que crédible. Finalement, le récit de Paco possède la force du témoignage et le charme de la fiction. Du très grand art dont il me tarde de lire la suite et la fin.


Paco les mains rouges T1 : La Grande Terre de Fabien Vehlmann et Eric Sagot. Dargaud, 2013. 54 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage une de fois de plus avec Mo'.

L'avis de Choco




mardi 22 octobre 2013

Quatre yeux - Sascha Hommer

Un lycéen glandeur qui tombe amoureux, se fait jeter, passe son temps à fumer des pétards avant d’attaquer les champignons hallucinogènes. C’est tout ? Ben oui c’est tout. Ah non, il y a aussi plein d’autres ados glandeurs et fumeurs et un chien sans yeux que notre « héros » est le seul à voir. Une variation de plus sur la crise de la jeunesse à travers l’histoire très autobiographique de l’allemand Sascha Hommer.

Alors bien ? Pas bien ? J’ai envie de répondre pas bien, pas bien du tout même. Du moins sans aucun intérêt. Ok, on suit la descente aux enfers du gamin, son passage du simple pétard au LSD et aux champis, son pseudo début de rédemption, notamment grâce au dessin.  Mais bon on s’en fiche un peu, on reste très extérieur à ce qui lui arrive. Il faut dire qu’il n’attire pas spécialement la sympathie. Et puis il n’a aucune épaisseur, il est pour ainsi dire transparent. On n’a même pas envie de le secouer pour le sortir de son apathie, on voudrait juste le laisser dans son univers sans relief pour s’intéresser à quelqu’un d’autre.

Coté dessin, on a droit à un noir et blanc sans âme, très scolaire. C’est fluide et lisible mais ça ne casse pas trois pattes à un canard.

Quatre Yeux, c’est une sorte d’autofiction en BD. Tout ce que je déteste. La propension qu’ont les auteurs à se regarder le trou de balle pour créer une œuvre m’impressionnera toujours. Un sujet certes inépuisable mais neuf fois sur dix l’exercice n’intéresse qu’eux. Et nous pauvres lecteurs, avons juste l’impression de perdre notre temps. Franchement, dans le genre crise adolescente crépusculaire et turpitudes de la jeunesse, je préfère en rester au Black Hole de Charles Burns.

Quatre yeux de Sascha Hommer. Atrabile, 2013. 104 pages. 16 euros.


lundi 21 octobre 2013

Cité de la poussière rouge - Xiaolong Qiu

La cité de la poussière rouge est un quartier de Shanghai. Une cité dans la cité, en plein cœur de la ville. Les maisons, toutes modestes, y sont alignées comme des baraquements et regroupent le plus souvent des colocataires. Petits commerçants, cadres ou ouvriers, des personnes de statut économiques différents composent la population de la poussière rouge. Le soir venu, les résidents se retrouvent pour jouer aux échecs ou aux cartes et surtout pour raconter des histoires. Ces histoires ne sont pas des contes, elles mettent en scène « les gens réels d’ici »…

On retrouve donc dans ce recueil les destins singuliers de quelques habitants pas forcément plus remarquables que les autres mais dont la trajectoire un tant soit peu particulière mérite d’être contée. De l’arrivée au pouvoir des communistes en 1949 à l’ouverture économique des années 2000 en passant par la révolution culturelle, on découvre en filigrane l’évolution de la Chine au cours des cinquante dernières années.

Les nouvelles sont présentées de façon chronologique et précédées d’un « bulletin d’information de la poussière rouge », sorte de compte rendu politique à la gloire du parti. Elles retracent des destins individuels remis dans le contexte historique de chaque année.  L’ensemble propose une photographie réaliste des bouleversements qui ont frappé le pays au fil des décennies. Intéressant notamment de découvrir à quel point le commerce privé et l’appât du gain ont peu à peu pris le pas sur le communisme pur et dur. Un « socialisme à la chinoise » qui laisse de plus en plus de place à l’économie de marché, au grand dam des anciens, nostalgiques du marxisme-léninisme de Mao.

Franchement, je me suis régalé. Des petites vies, des petites gens, des petits événements bien moins insignifiants qu’il n’y paraît, c’est tout ce que j’aime. C’est poignant ou drôle, triste ou édifiant. Pauvreté, amour, solitude, désillusion, rêves d’avenir, les thèmes sont variés et rythment le quotidien de la cité. Au final, le tableau brossé par petites touches successives est passionnant. En plus un second volume intitulé « Des nouvelles de la poussière rouge » est sorti il y a peu. Autant vous dire que je suis partant pour m’y plonger dare-dare.

Cité de la poussière rouge de Xiaolong Qiu. Liana Levi, 2013. 220 pages. 9,50 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois plus le plaisir de partager avec Marilyne et une seconde participation au mois de la nouvelle de Flo.





samedi 19 octobre 2013

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France

Ce dictionnaire représente une somme indispensable pour quiconque s’intéresse de près à la littérature de jeunesse. Un ouvrage de référence dont le contenu se veut plus large que celui des publications antérieures du même genre. Synthétisant les différentes recherches menées en France depuis près d’un demi-siècle, il se propose de balayer de la façon la plus exhaustive possible l’histoire du livre de jeunesse en France et ses mutations les plus contemporaines.

133 chercheurs et professionnels du monde du livre ont rédigé les 1034 notices. Ces dernières, lorsqu’elles sont consacrées aux auteurs, ne donnent que de rapides indications biographiques et s’attardent davantage sur les caractéristiques formelles et stylistiques de leurs œuvres ainsi que sur leurs éventuels thèmes de prédilection. Par ailleurs le dictionnaire contient près de quatre-vingt articles de synthèse qui offrent une dimension encyclopédique à l’ensemble. A titre d’exemple, le tout premier article consacré aux abécédaires est en tout point passionnant. Et puis je vais citer un autre exemple avec celui sur les livres animés, tout aussi passionnant, parce que je ne voudrais pas que vous pensiez que je me suis arrêté à la lettre A. Des auteurs, des articles thématiques mais aussi des maisons d’édition et quelques notices sur la presse jeunesse et son histoire, l’éventail est très large et très cohérent.

Évidemment, les râleurs trouveront toujours à redire. Des auteurs jeunesse, il en manque.  Moi-même je regrette de ne pas y trouver Régis Lejonc, illustrateur du fabuleux Phare des sirènes mais aussi quelques écrivains récents que j’apprécie beaucoup comme Agnès de Lestrade ou Sandrine Beau. Mais après tout l’exhaustivité totale est impossible (et au moins il y a Elisabeth Brami, Joe Hoestlandt et Jeanne Benameur, trois autres de mes chouchoutes). L’avant-propos explique clairement les choix qui ont été faits : des auteurs pour la grande majorité français mais pas que. Impossible de ne pas inclure dans ce dictionnaire Lewis Carroll, Maurice Sendak , JK Rowling ou  encore les plus célèbres auteurs belges et suisses de langue française (sinon impossible de parler de la célèbre « Martine » dont l’illustrateur était belge). Très peu de place est accordée à la BD, un choix assumé et justifié par le fait que de nombreux dictionnaires spécifiques au genre existent déjà. Mais bon, quand un auteur de bande dessinée donne également dans l’illustration, il a droit à sa notice (comme Christophe Blain par exemple. Par contre aucune trace d’Emile Bravo, ce qui est quand même fort dommage).

Un dernier mot sur les images. Il y en a 826 en tout. Une iconographie riche et variée que les auteurs ont voulue avant tout informative.

Voila donc un ouvrage incontournable, à la fois outil de travail pour les professionnels et source quasi inépuisable de connaissances pour tous les amoureux de la littérature jeunesse. 

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France. Cercle de la librairie, 2013. 990 pages. 89 euros. 

Un billet qui signe ma participation mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.


jeudi 17 octobre 2013

Dites-leur que je suis un homme - Ernest J. Gaines

Louisiane, années 40. Jefferson, un jeune noir illettré, est arrêté après le meurtre d’un commerçant blanc. S’il était bien ce jour-là sur les lieux du crime, il a simplement assisté au drame. Accusé à tort, son avocat commis d’office avance pour sa défense qu’il n’est qu’un « animal sans cervelle ». Pour lui, tuer Jefferson reviendrait à attacher un porc sur la chaise et à l’exécuter. « Un animal qui ne comprendrait pas ce qui se passe. » Un argumentaire pitoyable qui n’empêchera pas la condamnation à mort. Peu après, la marraine du condamné demande à l’instituteur Grant Wiggins de lui faire comprendre qu’il n’est pas un porc mais bien un homme. Seul ou accompagné du révérend Ambrose, Wiggins rend régulièrement visite à Jefferson dans sa cellule et tente de redonner au jeune homme la dignité dont le procès l’a privé...

Après John Fante me voila à nouveau embarqué dans la relecture d’un roman exceptionnel, cette fois-ci grâce à Valérie. Ce roman met en jeu tellement d’aspects importants, il appuie là où ça fait mal et pose des questions qui ne peuvent qu’interpeller chacun d’entre nous.

Wiggins l’enseignant est un personnage d’une infinie complexité. Lucide, conscient que sa condition de noir dans la Louisiane des années 40 ne lui autorise aucun avenir. Conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche qu’on lui a confiée. Conscient de sa lâcheté, notamment le jour de l’exécution : « Pourquoi n’étais-je pas là-bas, pourquoi n’étais-je pas à son coté ? Pourquoi mon bras n’était-il pas autour de ses épaules ? Pourquoi ? ». Conscient de l’injustice permanente que subissent les siens : « Douze hommes blancs décident qu’un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l’heure sans consulter un seul noir. C’est ça la justice ? […] Ils vous condamnent à mort parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, sans la moindre preuve que vous ayez été mêlé au crime, en dehors du fait d’avoir été sur les lieux quand il s’est produit. Pourtant, six mois plus tard, ils viennent ouvrir votre cage et vous informent : nous, tous des blancs, avons décidé qu’il est temps pour vous de mourir. » Sa fragilité est au cœur du texte. Il ne se sent pas investi d’une mission. Il semble totalement perdu face à une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve un sens à l’action qu’il mène auprès du condamné. Petit à petit il parvient à apprivoiser Jefferson et à lui transmettre cette absolue certitude : tu es un homme, tu n’es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.

De son coté, pour que Jefferson abandonne le statut d’animal et se considère comme un homme à part entière, le révérend Ambrose veut lui parler de Dieu. Le révérend Ambrose veut le sauver. Il veut le préparer pour le monde meilleur qui l’attend après la mort. Et pour cela il a besoin de Wiggins. Car c’est le seul que Jefferson écoute. Mais Wiggins ne sait rien de l’âme. Il ne croit pas au ciel, il ne lui dira jamais d’y croire.
- Suppose qu’il te demande s’il existe, qu’est-ce que tu feras ?
- Je lui dirai que je ne sais pas.   
[…]
- Et s’il te demande si tu crois au paradis, tu feras quoi ?
- J’espère qu’il ne le fera pas révérend.
- Mais s’il le fait ?
- J’espère que non. 
- Tu ne pourrais pas lui dire oui ? 
- Non révérend, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas lui mentir dans un moment pareil. Je ne lui mentirai plus jamais, quoi qu’il arrive.

Wiggins l’athée refuse que Jefferson se mette à genoux devant le Seigneur avant de s'asseoir sur la chaise. Il veut le convaincre de rester debout jusqu’au dernier instant, pour briser le mythe de l’homme blanc :
« Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. La dernière chose qu’ils veulent voir, c’est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n’auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu’aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l’abri. […] Je veux que tu ébrèches leur mythe en faisant front. Je veux que toi – oui, toi- tu les traites de menteurs. Je veux que tu leur montres que tu es autant un homme, davantage un homme qu’ils ne le seront jamais.»

En fait, ce roman, c’est tout cela à la fois. L’injustice, la religion, l’éducation, l’amour, le statut de l’homme noir dans une région où la ségrégation n’est pas un vain mot, la place de chacun au sein d’une communauté… c’est tout cela et bien davantage encore. Je reconnais que l’écriture, très descriptive, n’a rien d’exceptionnel. Mais peu importe. Les vingt-cinq dernières pages sont poignantes. Elles vous attrapent le cœur et le serre tellement, tellement fort… C’est juste bouleversant, j’en ai eu des frissons et je peux vous dire que ce n’est pas le genre chose qui m’arrive souvent au cours d’une lecture.

Ernest J. Gaines est un immense auteur afro-américain bien trop méconnu sous nos contrées et Dites-leur que je suis un homme est son chef d’œuvre. Un roman essentiel, inoubliable. Pas pour rien qu’il a remporté l’année de sa sortie le National Book Critics Circle Award (le grand prix de la critique américaine). Je ne sais quoi dire de plus pour vous convaincre, je suis conscient de ne pas avoir trouvé les mots justes pour parler de ce texte mais sachez qu’il mérite plus que tout autre que l’on s’attarde sur son cas.

Dites-leur que je suis un homme d’Ernest J. Gaines. Liana Levi, 2003. 300 pages. 10 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.


National Book Critics Circle Award 1994







mercredi 16 octobre 2013

La revue dessinée n°1 – Automne 2013

Drôle d’idée de vouloir lancer un «Mook» (mélange de magazine et de book) entièrement réalisé en bande dessinée. Un pari osé mais qui, à la lecture de ce premier numéro, est relevé haut la main. Un sommaire riche et varié, des articles au long cours, des rubriques courtes, des enquêtes en plusieurs parties, chacun devrait pouvoir y trouver son compte in fine.


Alors que retenir de ce premier numéro ? D’abord que les deux articles les plus conséquents sont ceux que j’ai le plus appréciés. Le récit de Christian Cailleaux dans les eaux de l’hémisphère sud à bord de la frégate Floréal s’attache à dresser les portraits des différents membres de l’équipage. Sa démarche n’est donc pas identique à celle d’Emmanuel Lepage dans Voyage aux îles de la désolation puisque dans cet album on s’attardait davantage sur les communautés scientifiques peuplant ces îles éloignées de toute région habitable. L’autre grand article, une enquête consacrée aux pionniers américains du gaz de schiste, révèle les péripéties ayant amené les grandes entreprises du secteur énergétique à se lancer dans l’exploitation de nouvelles ressources naturelles grâce à la dévastatrice technique de la fracturation hydraulique. Édifiant. A noter également la première partie du reportage que Marion Montaigne consacre à la ménagerie du jardin des plantes et le récit documentaire où Olivier Bras et Jorge Gonzalez relatent le dernier jour du président chilien Salvador Allende, le 11 septembre 1973.

J’avoue avoir été moins convaincu par les petites chroniques disséminées entre les grands articles. En dehors la pastille musicale où j’ai eu le plaisir de retrouver Nicolas Moog (June), les autres m’ont laissé sur ma faim, notamment les rubriques informatiques, économiques et sportives.

Graphiquement, c’est le lot d’une publication aussi diverse, il y a à boire et à manger. Mention spéciale à l’argentin Jorge Gonzalez dont le trait charbonneux et proche du crayonné m’a emballé.

Une première réussie donc. Instructif, pas prise de tête, n’hésitant pas à aborder des sujets totalement différents les uns des autres, cette revue dessinée a tout pour plaire. En plus on nous annonce dans le second  numéro de décembre « Les plaies de Fukushima » par Emmanuel Lepage. Autant vous dire que je serai au rendez-vous.

Un grand merci à Mo’ qui a eu la gentillesse de m’offrir ce magazine en BD. Une fois de plus elle a fait mouche !

Son avis sur ce même numéro.

La revue dessinée n°1 – Automne 2013. 226 pages. 15 euros.







mardi 15 octobre 2013

Bonne nuit Eddie - Amélie et Estelle Billon

Eddie est un enfant solitaire qui aime la nuit et les gribouillis. En faux, il habite un haut manoir, en vrai, il vit dans une petite maison. « Depuis tout petit, on ne cesse de lui répéter qu’il a un don pour se faire oublier. » A tel point qu’une fois, ses parents sont partis en vacances sans lui. Ça ne le gêne pas de se faire oublier. Au moins personne ne l’embête quand il s’enferme dans son atelier avec son cochon ailé et son dinosaure. C’est là qu’il construit sa machine. Il ne sait pas encore à quoi elle va servir cette machine. Ce qui lui plairait c’est qu’elle puisse avaler les gens...

Des amis imaginaires, une machine incroyable, une atmosphère pleine de rêves où tout est permis... Eddie le solitaire voit s’ouvrir devant lui un vaste champ des possibles. Il construit son monde comme bon lui semble, la nuit étant son terrain de jeu favori. Grâce à elle il s’évade et s’invente l’échappatoire idéale.

Les illustrations en noir et blanc à la plume d’Estelle Billon fourmillent de détails (avec une mention spéciale pour la photo de classe) et sont au service du récit. Un garçon à part comme Eddie valait bien un univers graphique aussi particulier et aussi expressif.

Un album original, décalé, dont le caractère intimiste est renforcé par son petit format. Typiquement le genre d’ouvrage avec lequel un enfant pourrait avoir envie de s’isoler afin de profiter en solitaire d’un délicieux tête à tête avec Eddie le rêveur. 


Bonne nuit Eddie d’Amélie et Estelle Billon. Grasset jeunesse 2013. 32 pages. 12 euros. A partir de 6-7 ans.





samedi 12 octobre 2013

Bras de fer - François Chollet

Le soldat Salengro invite la capitaine Lucie Ravelin dans son appartement. La jeune femme le fascine. Sa beauté n’a d’égale que sa froideur et il aimerait révéler sa part de féminité. Pendant deux jours, il va l’enfermer et lui faire subir une succession d’humiliations. Mais que cherche-t-il vraiment en procédant de la sorte ?

Un huis clos classique. La question est : qui mène la danse ? Le « bourreau » se demande constamment ce qu’il est en train de faire. La victime ne l’est sans doute pas tant que ça. Il y a entre eux un jeu de dupes qui finit par agacer et surtout qui, in fine, ne mène à rien. On regarde les choses de loin, pas du tout concerné par cette relation tendue et ambiguë entre un troufion et sa supérieure hiérarchique. Une supérieure dont il voudrait percer la cuirasse derrière laquelle elle semble constamment se retrancher.  

En même temps, il faut reconnaître qu’il n’est pas simple de mettre en scène un huis clos. Tout tient souvent dans les dialogues. Les échanges entre les protagonistes sont ici dans l'ensemble artificiels, ils sonnent faux. Et puis l’affrontement est avant tout psychologique. Le soldat Salengro ne cesse de répéter que cette histoire n’est pas sexuelle. Pour le coup il n’a pas tort. Il y a bien quelques situations scabreuses mais pas émoustillantes pour deux ronds. Un léger coup de cravache, une cuillère à café de sperme, un soupçon de pipi et de vomi… ça aurait pu titiller mais j’avoue que ça m’a laissé de marbre (longtemps que ce genre de choses ne m’écœurent plus, vous pensez bien). Sinon l’écriture est agréable et il y a de forts jolis passages mais voila, je ne me suis pas laissé embarquer par ce texte. Sans compter que la fin, bien trop ouverte, laisse en bouche un goût d’inachevé. Bref, une déception avec ce court roman dont le pitch était pourtant prometteur. Ça arrive…

Bras de fer de François Chollet. Le Cherche midi, 2013. 136 pages. 13 euros.

Un grand merci à Lystig qui m’a permis de découvrir ce titre.

Son avis






vendredi 11 octobre 2013

Virginia T1 : Morphée - Séverine Gauthier et Benoît Blary

Lake Providence, Louisiane, janvier 1863. En pleine guerre de sécession, alors que les troupes nordistes préparent la prise du bastion confédéré de Vicksburg,  un étranger descend d’une diligence et se dirige vers le cabinet du médecin. Il se plaint d’une vieille douleur et réclame de la morphine. Cet étranger se nomme Doyle. Ancien soldat de l’Union, il a quitté l’armée suite à un événement tragique qui ne cesse de le hanter. Seuls la drogue et l’alcool peuvent calmer les maux qui le rongent. Mais pour trouver ses doses quotidiennes, il doit souvent franchir la ligne rouge...

Je vous l’accorde, le pitch n’est pas super original. Un héros écorché vif sorti cabossé de la guerre civile américaine. Un héros en quête de rédemption après avoir commis l’irréparable, c’est du déjà-vu. Mais Séverine Gauthier est aux commandes et ça change tout. Séverine Gauthier, scénariste de talent qui a, entre autres signé, Mon arbre, Aristide broie du noir et le génialissime Cœur de Pierre. Son univers empreint d’une certaine forme de noirceur trouve ici un terrain de jeu idéal. Doyle navigue entre son passé cauchemardesque et un présent guère plus brillant. Beaucoup de flashbacks pour permettre au lecteur de comprendre comment il en est arrivé là. Ce n’est certes pas très gai mais ce premier tome se termine sur une note d’espoir, une fenêtre ouverte vers un possible rachat, même si l’on comprend que tout ne sera pas simple.

Le trait de Benoît Blary est proche du crayonné, parfois tremblotant, souvent hachuré. J’ai eu du mal à m’y faire mais au fil des pages, je m'y suis plongé sans déplaisir. Et puis le choix des couleurs, ternes et délavées, est particulièrement judicieux.

Premier tome d'une trilogie, cet album s'avère au final être une belle surprise et je suis d'ores et déjà partant pour découvrir la suite.


Virginia T1 : Morphée de Séverine Gauthier et Benoît Blary. Casterman, 2013. 56 pages. 14,95 €.