vendredi 22 juillet 2016

Celle qui en savait trop - Linwood Barclay

Keisha Ceylon est une arnaqueuse. Prétextant des dons de voyance, elle contacte des familles dont un proche a disparu et se propose de le retrouver, moyennant finances. Wendell Garfield sera sa prochaine cible. Ce mari éploré n’a plus de nouvelles de sa femme, volatilisée en plein après-midi à la sortie d’un supermarché. Une semaine plus tard, la police n’a aucune piste, la presse s’est emparée de l’affaire et Keisha s’apprête à sonner chez sa future victime, persuadée de l’embobiner comme elle sait si bien le faire. Problème, la voyante va pour une fois voir clair. Très clair. Trop clair…

C’était mal barré avec cette couverture digne des thrillers flippants que ma petite nature exècre. Heureusement, cet artifice commercial censé attirer l’œil du lecteur en mal de sensations fortes ne correspond pas du tout au contenu de l’ouvrage. Car « Celle qui en savait trop » est un avant tout un roman à l’humour plutôt noir sans véritable suspens, porté par une galerie de personnages inoubliables. Des personnages prêts à tout pour arriver à leurs fins, plus retords les uns que les autres. J’adore quand il n’y a personne à sauver, quand chacun tire la couverture à lui, manigance, joue d’alliances de circonstance et se croit (à tort) plus malin que le voisin.

C’est cruel et tragique, cocasse aussi. Le tout porté par une narration bien ficelée, une écriture nerveuse et des dialogues au cordeau. Suffisant pour m’offrir un excellent moment de lecture empreint d’une certaine férocité qui, vous vous en doutez surement, n’est pas pour me déplaire, bien au contraire.

Celle qui en savait trop de Linwood Barclay. J’ai lu, 2016. 320 pages. 8,00 euros.  






mercredi 20 juillet 2016

Un petit bout d’elles - Zidrou et Raphaël Beuchot

Yue, bûcheron employé par une entreprise chinoise implantée au Congo, fréquente Antoinette malgré l’interdiction faite aux salariés de « sortir avec des filles d’ici ». Amoureux fou, le jeune homme découvre pendant leurs ébats une cicatrice que sa compagne voulait à tout prix lui cacher. Alors que Yue ignorait tout de cette pratique barbare qu’est l’excision, Antoinette lui raconte comment elle a été mutilée et lui confie son souaot de ne jazmais voir sa fille subir le même sort…

Fin de la trilogie africaine de Zidrou et Rapahël Beuchot avec cet album qui fait suite au « Montreur d’histoires » et à « Tourne-disque ». Ici, le sujet abordé est plus grave, dramatique même. L’excision, ce fléau ancestral présent dans nombre de sociétés patriarcales, cette abominable « tradition  culturelle » sans la moindre connotation religieuse (il n’est pas inutile de le rappeler), est traitée avec la finesse qui caractérise le scénariste des « Beaux étés ». Une histoire à la fois touchante et sans complexe qui fait mouche en appuyant là où ça fait mal. Sans se focaliser sur un seul thème, Zidrou aborde également la mainmise chinoise sur les ressources naturelles des pays d’Afrique, une nouvelle forme de colonisation violente et destructrice.

Le dessin de Beuchot est lumineux et minimaliste, il représente tout en suggestion les scènes « délicates », rendant de fait les choses encore plus explicites.

Au final, le but est atteint et le lecteur garde en bouche le goût amer d’une légitime indignation. Un album d’une grande force au propos sans concession mais mené avec une vraie sensibilité. Bonus non négligeable, un dossier documentaire en fin d’ouvrage explique de façon très pédagogique ce qu’est l’excision, ainsi que les causes et conséquences de cette effroyable blessure intime.

Un petit bout d’elles de Zidrou et Raphaël Beuchot. Le Lombard, 2016. 104 pages. 17,95 euros.





mardi 19 juillet 2016

Cat 215 - Antonin Varenne

Marc quitte la métropole, sa compagne et ses enfants pour rejoindre la Guyane et mener à bien une mission confiée par Julo, son ancien associé. Il sait qu’avec lui le plan est forcément foireux mais ses soucis d’argent le pousse à accepter. Sur place, ce mécanicien chevronné apprend qu’il va devoir changer le moteur d’un tractopelle utilisé pour l’orpaillage clandestin. En pleine jungle et avec l’aide d’un brésilien taiseux et d’un ancien légionnaire psychopathe. Entre la nature hostile, la mécanique capricieuse et des compagnons de galère flippants, Marc comprend vite qu’il a mis les pieds dans un sacré traquenard.

Un texte sec, nerveux, tendu comme un arc. Un texte poisseux dont la chaleur humide transpire à chaque page. La folie gagne chacun sous la canopée, les vêtements trempés de sueur collent à la peau, les insectes sont aussi agressifs que les hommes. Et dans le huis clos de cette jungle inhospitalière, les conflits peuvent virer au tragique à la moindre étincelle. Une novella à lire d’une traite, de préférence en pleine canicule. J’ai aimé l’ambiance étouffante, la tension palpable dans chaque geste, chaque dialogue. Une vraie force d’évocation qui bouscule le lecteur, dommage que la conclusion m’ait laissé dans le flou, j’aurais préféré refermer ce western Guyanais avec une fin plus limpide. Mais qu’on se le dise, cela ne gâche rien à la qualité de l’ensemble.

Cat 215 d’Antonin Varenne. La Manufacture des livres, 2016. 96 pages. 9,00 euros.


dimanche 17 juillet 2016

Purée de cochons - Stéphane Servant et Laetitia Le Saux

Le loup a cueilli trois petits cochons dans la forêt, il se réjouit à l’idée de déguster une délicieuse purée de cochons. Mais au moment d’attaquer la préparation de son plat, les porcelets se moquent de lui et lui disent qu’il ne sait pas s’y prendre. Pour vérifier, le loup ouvre son livre de recettes. Malheureusement, il ne sait pas lire. Bien décidés à ne pas se laisser dévorer, les garnements dans leur casserole lui annoncent alors qu’ils vont lui révéler la liste des ingrédients nécessaires, en commençant par un gros pot de miel. Puis ce sera un bon gros fromage et un gros morceau de beurre. Autant d’occasions d’éloigner « le vieux barbichu » et de le faire tourner en bourrique !

Un duo d’auteurs qui m’avait régalé avec Boucle d’ours et qui poursuit ici dans la même veine rigolote et intelligente. Car derrière les mésaventures désopilantes du pauvre loup se cache un plaidoyer pour la lecture et son pouvoir. Le loup subit les moqueries et multiplie les mauvais choix parce qu’il ne sait pas lire. Sa rencontre avec la Grand-Mère institutrice lui permet de vaincre son illettrisme, d’accéder à son tour à la connaissance et de prendre ses détracteurs à leur propre piège. Ou comment l’instruction en général et la lecture en particulier participent au développement de l'esprit critique, de la réflexion et de la liberté d'action en toute conscience.

J’aime toujours autant le graphisme si expressif de Laetitia Le Saux ainsi que les clins d’œil aux contes classiques et l’humour noir de Stéphane Servant. Il y a notamment dans la chute finale une petite pointe de férocité absolument savoureuse. Un régal !

Purée de cochons de Stéphane Servant et Laetitia Le Saux. Didier Jeunesse, 2016. 28 pages. 12,50 euros. A partir de 4 ans.





vendredi 15 juillet 2016

La ferme de cousine Judith - Stella Gibbons

« D’une façon générale, je n’aime pas mon prochain, je le trouve trop difficile à comprendre ; mais j’ai de l’ordre dans l’esprit, et les vies désordonnées m’irritent. D’ailleurs, le désordre est un signe de barbarie ».

Après avoir perdu ses parents suite à une épidémie de grippe espagnole, la jeune et délicate Flora Poste, issue de la bonne société londonienne, trouve refuge chez des cousins éloignés au fin fond du Sussex. Bien décidée à abuser de la générosité des Starkadder, paysans frustes et excentriques vivant repliés sur eux-mêmes dans une ferme décrépite, Flora veut en outre rééduquer ses rustres et leur apprendre « Le Bon Sens supérieur ».  Pour leur bien et surtout pour le sien…

Un roman culte de la littérature anglaise, publié en 1932 et qui remporta en France le prix Fémina 1946. C’est  frais, léger et pétillant. Un peu brouillon parfois, avec des situations qui évoluent à la vitesse grand V et avec une facilité déconcertante pour Flora, comme si les obstacles s’effondraient d’eux-mêmes devant elle dès qu’elle bouge le petit doigt. J’ai beaucoup aimé cette jeune fille fonceuse et maligne ainsi que le décalage permanent entre cette cousine venue de Londres et sa famille de culs terreux sans la moindre finesse. Un décalage qui permet de dresser une galerie de personnages secondaires tous plus savoureux les uns que les autres, avec une mention spéciale pour le prédicateur Amos, la cousine Judith dépressive et la grande-tante Ada Doom, recluse dans sa chambre depuis des décennies et qui tient le clan Starkadder d’une main de fer en jouant le registre de la pauvre folle totalement instable émotionnellement.

Au-delà de la comédie truculente multipliant les épisodes plus ou moins farfelus, le récit tient de la satire, brocardant la bourgeoisie, ses travers, ses mœurs et sa médiocrité avec une ironie toute britannique. Et puis les touches d’humour acide disséminées au fil des pages m’ont souvent arraché un sourire, comme cette petite pique entre parenthèses balancée l’air de rien : « Sa voix avait un timbre amorti et fêlé pareil au ton flûté et sans sexe des voix d’enfants de chœur (seulement les enfants de chœur sont rarement sans sexe, comme plus d’une épouse de pasteur peut en témoigner à ses dépens) ».

Pas le roman du siècle mais un vrai plaisir de lecture et un texte dont l’atmosphère « so british » ravira à coup sûr les amateurs de littérature anglaise.

La ferme de cousine Judith de Stella Gibbons. Belfond, 2016. 345 pages. 15,00 euros.




mercredi 13 juillet 2016

Un maillot pour l’Algérie - Bertrand Galic, Kris et Javi Rey

Avril 1958. Après un match à Saint-Etienne, le footballeur professionnel d’origine algérienne Rachid Mekhloufi quitte la France en direction de l’Italie. Onze de ses compatriotes, eux aussi footballeurs, disparaissent en même temps que lui. Tous se retrouvent à Tunis sous l’égide du FLN pour fonder clandestinement la première équipe nationale algérienne alors que la guerre pour l’indépendance fait rage dans leur pays.

Le football comme outil de propagande, le football comme étendard. Une épopée incroyable, une prise de risque immense pour des hommes ayant choisi de tout plaquer, de mettre entre parenthèses une situation professionnelle confortable, voire une vie de famille heureuse, pour défendre une cause étant à leurs yeux au-dessus de toute considération personnelle. Loin du long fleuve tranquille, l’odyssée de ces ambassadeurs de la cause indépendantiste aura connu des épisodes douloureux, des moments de tension à l’intérieur du groupe mais aussi des conditions de transport ou d’hébergement particulièrement rudes, sans compter sur l’accueil parfois belliqueux d’adversaires prêts à tout pour faire chuter une équipe reconnue pour ses exceptionnelles qualités techniques. Du Maghreb à l’Europe de l’Est en passant par la Chine ou le Moyen-Orient, portés par une volonté et un courage inébranlables, ces hommes en mission auront représenté fièrement les désirs d’émancipation d’un pays en construction, au point de devenir des icônes pour tout un peuple.

Encore un album engagé pour Kris, qui ne tourne pas pour autant à l’exercice d’admiration dénué de tout regard critique. Solidement documenté sans être d’une parfaite exactitude, le récit couvre quatre années intenses et chaotiques, de 1958 à la signature des accords d’Evian en mars 1962. A travers le prisme du football se cristallisent les tensions géopolitiques de l’après-guerre, de la décolonisation à l’expansion du communisme.

Le dessin de Javi Rey est réaliste et efficace, les scènes de matchs sont fluides, les moments plus intimes donnent dans la sobriété et l’expressivité des visages est extrêmement travaillée. Beaucoup de précision au niveau des décors et un choix de couleurs pertinent retranscrivent à merveille l’atmosphère de l’époque.

Une histoire qui va bien au-delà de la simple aventure humaine. Le sport est ici un outil de combat politique au service d’une cause qui dépasse chaque protagoniste. Une histoire qui m’était jusqu’alors inconnue et que j’ai pris un réel plaisir à découvrir.

Un maillot pour l’Algérie de Bertrand Galic, Kris et Javi Rey. Dupuis, 2016. 136 pages. 24,00 euros.






mardi 12 juillet 2016

Le printemps d’Oan - Éric Wantiez et Marie Deschamps

C’est la guerre, elle dévaste tout. 
Tu crois qu’elle finira un jour, la guerre ?
Bien sûr, nous allons remporter la victoire et…
Tais-toi ! Tant que vous parlerez de victoire, alors ça continuera ! Faut que la guerre s’arrête, c’est tout. On n’a pas besoin d’un gagnant. C’est pas un jeu, tu sais.


21 mars 1915, sur le front de la Somme. Oan le poilu breton s’est perdu dans le no man’s land du champ de bataille. Dans les ruines d’une ferme, il découvre une petite fille venant d’enterrer ses parents après un bombardement. Ensemble, Oan et Angèle vont tenter de rejoindre les lignes françaises pour se mettre à l’abri. Un voyage dangereux qui va permettre à chacun de deviser sur la guerre et sa folie…


Jolie réflexion sur la barbarie d’un abominable conflit, cet album au noir et blanc dense et profond, uniquement éclairé par le rouge de la robe d’Angèle, offre une dimension onirique laissant à distance un réalisme dont la portée serait au final bien moins forte. La boucherie est là, partout, présente dans chaque brin d’herbe roussi, dans chaque arbre déraciné, dans chaque carcasse de cheval éventré, dans les barbelés délimitant les tranchées, mais le graphisme tout en suggestion fait basculer le récit dans une sorte de douce poésie nimbée d’une touche de fantastique.



Une histoire belle et triste, porteuse d’espoir malgré tout, sublimement mise en images par la grâce d’un découpage inventif jouant sur les ombres et la lumière et n'hésitant pas à s'affranchir des codes narratifs propres à la BD pour, entre autres, profiter au maximum des possibilités offertes par le format à l'italienne.

Un superbe album, dédicacé et ramené rien que pour moi du dernier festival d’Angoulême par une bande de blogueuses amatrices de mojitos. Merci les filles, j’ai vraiment apprécié ce cadeau à sa juste valeur

Le printemps d’Oan d’Éric Wantiez et Marie Deschamps. Comme une orange, 2015. 120 pages. 12,00 euros.




lundi 11 juillet 2016

Apaise le temps - Michel Quint

Yvonne est morte et la librairie ouverte par ses parents dans les années 60 va vivre le même sort. A l’époque, le lieu était une institution à Roubaix. Au fil des ans, la boutique a périclité, souffrant de la concurrence des magasins en ligne et du jusqu’auboutisme de sa propriétaire qui refusait de vendre les best sellers à la mode. Abdel, prof de français dans un lycée et client le plus fidèle d’Yvonne, hérite du fonds de commerce, des murs de la librairie, de l’appartement au-dessus et surtout des dettes abyssales contractées au fil des ans. Avant d’accepter ou de refuser cette succession qui le mettrait sur la paille, il plonge dans la paperasse et le stock du magasin pour se faire une idée plus précise des dégâts. Aidé de Zita, la dernière employée d’Yvonne, de Rosa l’assistante sociale de son lycée qui ne le laisse pas insensible et de Saïd le vieux Kabyle un peu simplet, il découvre dans des cartons poussiéreux de nombreuses photos troublantes remontant aux années sombres de la guerre d’Algérie et des archives concernant l’OAS, le FLN et les harkis. Des documents qui apportent un éclairage particulier sur le passé d’Yvonne et de ses parents…

Un roman qui rend un vibrant hommage aux livres et à la lecture, qui insiste sur le lien social créé par les librairies de quartier. Le récit tisse avec finesse les relations improbables entre des personnages de milieux, d’origines et d’opinions radicalement différents. La toile de fond historique donne de la profondeur et décortique avec précision les vieilles rancœurs franco-algériennes sources de nombreuses tragédies.

Le propos n’est pas défaitiste, je l’ai au contraire trouvé lumineux, porteur d’espoir et d’envies d’avenir sans tomber dans l’angélisme. Oui, le maintien de lieux culturels dans des villes « sinistrées » est possible, oui, littérature et commerce ne sont pas des mots incompatibles et oui, l’entraide, la générosité et une volonté à toute épreuve permettent de franchir bien des obstacles. Je découvre Michel Quint avec ce court texte et je suis sous le charme de son écriture délicate et travaillée, jamais emphatique. Un auteur comme je les aime et qu’il me tarde déjà de retrouver, sans doute avec « Effroyables jardins », son plus grand succès à ce jour.

Apaise le temps de Michel Quint. Phébus, 2016. 110 pages. 12,00 euros.

Les avis d'AlexNoukette et Stephie.






samedi 9 juillet 2016

Ma pal d'été...

Je serai en vacances mercredi prochain. Enfin. Et du 14 au 30 juillet, puisque madame travaille (la pauvre), je reste à la maison avec mes trois pépettes. Chouette, youpi, l’occasion de lire jusqu’à plus soif. En théorie. Sauf que. Il va y avoir du « Papa, on fait un puzzle ? », « Papa, on joue à la dinette ? », « Papa, on fait un gâteau au chocolat pour le goûter ? », « Papa, on va à la piscine ? », « Papa, on va au cinéma ? », « Papa, y a truc que je comprends pas dans mon cahier de vacances », « Papa, j’ai invité Lilou cet aprem, sa mère l’amène à 11h, qu’est-ce qu’on mange ? », « Papa, tu oublies pas que je commence mon stage d’équitation cette semaine ? ». Il va aussi y avoir la pelouse à tondre, les rosiers à rafraîchir, ce jardin dont je ne me suis pas occupé ces dernières semaines à cause d’une météo capricieuse et qui ressemble à une jungle. Et puis j’ai promis de repeindre tous les volets. Comme chaque été. Mais cette fois je compte vraiment m’y mettre. Donc pour la lecture jusqu’à plus soif, je repasserai. Ou j’attendrai les « vraies » vacances loin de la maison à partir du 31.

Alors pour ces deux semaines bien occupées, je vais rester modeste et me pencher sur le cas de ce pavé (ce parpaing même) que beaucoup considèrent comme un chef d’œuvre. Un cadeau de blogueuse reçu pour mes 40 ans. Que j’avais entamé l’an dernier et laissé en plan car je n’avais pas pu lui accorder l’attention qu’il mérite. J’en avais lu un bon tiers mais je vais tout reprendre à zéro. 800 pages en 16 jours. 50 pages par jours. Raisonnable. Très jouable même. Mais pas gagné d’avance, je me connais. Et je connais mes pépettes. Ma pal de début de vacances se réduira donc à seul titre. Mais quel titre ! Hâte d’être à mercredi soir pour la peine, et pas que pour Confiteor d'ailleurs…





mardi 5 juillet 2016

Sexe sans complexe - Bérangère Portalier et Frédéric Rébéna

Un documentaire pour ados au titre culotté, c’est le moins que l’on puisse dire ! Et un contenu sans complexe, comme annoncé, c’est le moins que l’on puisse dire ! Franchement, j’adore cette prise de risque, assumée de bout en bout et sans faux semblant.

Un ouvrage aux illustrations suggestives ne tombant jamais dans la vulgarité. Après une description des plus précises des organes génitaux, deux chapitres abordent la question de l’estime de soi et du regard des autres, des paramètres importants à l’heure de l’adolescence et de la post adolescence. On enchaîne ensuite directement avec la masturbation, LE sujet tabou par excellence (et l’activité la plus pratiquée chez les ados), puis la question cruciale de la virginité. Viennent ensuite les règles et la contraception qui précèdent le désir et l’amour, les stéréotypes et l’intimité. On entre ensuite dans le vif du sujet avec les préliminaires et l’actes en lui-même, puis les fantasmes, la place du porno dans la société ou encore les sextapes.

C’est hyper complet, sans langue de bois, dans un vocabulaire simple, précis, clair et accessible (le tutoiement est de rigueur). Le texte se met à la hauteur des interrogations du public visé, même des questions pouvant paraître les plus naïves (et étant par définition celles que l’on ose le moins poser), comme par exemple, comment « trouver le trou » lors d’un premier rapport ou combien de temps doivent durer les préliminaires. La mise en page aérée, les chapitres courts allant à l’essentiel permettent de se sentir très vite à l’aise et de naviguer avec facilité d’un sujet à l’autre.



J’aime beaucoup le ton trouvé par les auteurs, les interventions rassurantes et « dédramatisantes » comme « faire l’amour c’est s’offrir un terrain de jeu et d’exploration » ou « le sexe n’est pas une compétition ». Et puis j’adore le fait que rien, absolument rien n’est occulté, de l’hygiène à la santé, des problèmes « mécaniques » ou « de taille » au harcèlement et au viol en passant par le sexe entre filles ou entre garçons. Les conseils permettent d’aborder sereinement une activité sexuelle à venir ou qui en est à ses balbutiements, en mettant le plaisir et l’épanouissement au cœur de la problématique, sans nier les éventuels soucis physiologiques et/ou psychologiques.

Reste à savoir à quel moment on peut mettre un tel ouvrage entre les mains de nos enfants. C’est bien moins une question d’âge que de maturité. Ma grande fille, bientôt quatorze ans, ne me semble pas prête à lire le chapitre intitulé « Alors, clitoridienne ou vaginale ? », mais je me trompe peut-être, et il est évident que ce « Sexe sans complexe » finira entre ses mains un jour ou l’autre. Du moins je lui en proposerai la lecture, libre à elle ensuite de s’y plonger ou pas, cela va de soi.

Sexe sans complexe de Bérangère Portalier (ill. Frédéric Rébéna). Actes Sud junior, 2016. 80 pages. 14,00 euros. A partir de 15 ans.


Une dernière pépite jeunesse épicée que je partage avec Noukette avant une pause estivale bien méritée. Rendez-vous fin août pour attaquer la rentrée du bon pied.









lundi 4 juillet 2016

Les enfants du jaguar - John Vaillant

« Et que peux-tu faire d’autre qu’attendre des inconnus en qui tu n’as pas confiance, et t’en remettre à eux pour te conduire dans un endroit où tu n’es jamais allé […] et où tu es censé refaire ta vie car l’ancienne est fichue, tu ne sais pas comment la réparer sauf en partant comme tout le monde, en t’exilant dans un pays lointain où on mange mal, où il fait froid et où les gens te déteste. »

J’annonce d’emblée aux claustrophobes que ce roman n’est pas pour eux. On y passe en effet quatre jours avec des clandestins mexicains enfermés dans un camion-citerne en panne, abandonnés par leurs passeurs aux portes du désert. Des passeurs qui leur ont extorqué leurs derniers pesos, prétextant avoir besoin de liquidités pour chercher du secours et réparer le camion. Sans réseau pour les téléphones, sans aucune possibilité de s’échapper, avec des réserves d’eau insuffisantes, ils attendent que l’on vienne les libérer. Mais peu à peu l’espoir s’amenuise, le confinement et la chaleur rendent l’air irrespirable, la tension monte, l’abattement et le désespoir se répandent, la tragédie prend forme…

Hector fait partie des clandestins. Avec un téléphone portable, il enregistre une longue confession qu’il espère pouvoir envoyer à une hypothétique interlocutrice américaine. En plus de lui décrire la situation infernale dans la citerne, il raconte au fil des heures son parcours, celui de son père et de son grand-père, traçant peu à peu la destinée de générations fascinées par un exode vers « el Norte ».

Pour être honnête, le coup du téléphone, j’ai eu du mal à y croire. D’abord, la durée de vie de la batterie m’a interpellé. Ensuite, le niveau de langue de ce clandestin, surtout si l’on considère qu’il s’exprime à l’oral, est bien trop soutenu pour être crédible. Mais une fois cet artifice narratif improbable accepté, la réalité effroyable vous saute à la gorge et le récit vous marque au fer rouge. L’histoire familiale est touchante, les réflexions sur l’immigration font mouche tandis que la réalité de l’enfermement  apparaît aussi hypnotique qu’horrible : la soif, l’obscurité, les odeurs pestilentielles, la lutte pour la survie, les moisissures que l’on lèche sur les parois du camion pour trouver un soupçon d’humidité, la folie qui s’empare de chacun, etc.

Un roman qui dénonce l’abomination du trafic de migrants, met en lumière les motivations de ces derniers  et décrit l’instinct de survie qui anime l’être humain lorsqu’il est confronté à une situation de désespoir extrême. Aussi essentiel qu’insoutenable.

Les enfants du jaguar de John Vaillant. Buchet Chastel, 2015. 320 pages. 21,00 euros.




dimanche 3 juillet 2016

Une aventure des spectaculaires T1 : Le cabaret des ombres - Hautière et Poitevin

Au cabaret des Ombres, le show des spectaculaires ne fait plus recette. A l’heure où se développe le cinématographe, cette troupe de saltimbanques mettant en scène (avec force trucages) des personnages aux supposés pouvoirs extraordinaires n’attire plus les foules. Alors quand le fantasque inventeur Prosper Pipolet vient leur proposer une forte somme d’argent pour mettre fin aux agissements du richissime homme d’affaires  Vitctor Stingler qui lui a volé les plans d’une arme révolutionnaire, les spectaculaires ne se font pas prier pour accepter cette offre tombée du ciel. Sans se douter une seconde des nombreuses et dangereuses difficultés à venir…

De la BD jeunesse fraîche et divertissante dans un Paris de la Belle époque aux accents Steampunk. C’est léger et fort bien mené, certes pas follement original mais traité avec humour et fantaisie. Le dessin d’Arnaud Poitevin dynamise une intrigue sans temps mort qui ravira les adeptes d’action à tout va. Pour ne rien gâcher les dialogues sont savoureux.

Un vrai plaisir de découvrir cette attachante bande de pieds nickelés dont la volonté de bien faire n’a d’égale que la maladresse. Un premier tome des plus prometteurs qui, je l’espère, en appellera bien d’autres.

Une aventure des spectaculaires T1 : Le cabaret des ombres d’Hautière et Poitevin. Rue de Sèvres, 2016. 60 pages. 14,00 euros. A partir de 8-9 ans.

vendredi 1 juillet 2016

Topaz - Hakan Günday

Antalya et son tourisme bon marché. Antalya et son Grand Bazar. Antalya et ses Centers, monstrueuses échoppes où tout se vend, du cuir aux tapis en passant par les pierres précieuses. Topaz est la plus grande bijouterie de la ville. Un lieu dangereux où le touriste, amené par son Tour Operator, est jeté en pâture dans une arène dont il ne connait pas les codes. Face à lui le vendeur aiguise ses armes. Il jauge, cherche la faille, adapte son boniment en fonction de la nationalité, des vêtements, des réactions et de l’attitude de sa future victime.

A Topaz, Kozan est le vendeur le plus redoutable. Et le plus admiré. Quand un groupe suisse débarque ce jour-là, il jette son dévolu sur Gérard, sa femme et leurs deux filles, une famille d’agriculteurs venus de Suisse. « Vous savez, nous n’achèterons rien. Ne perdez pas votre temps avec nous ». Kozan entend la remarque de Gérard mais elle glisse sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Car il sait que ce discours volera bientôt en éclats, car il sait qu’il a quatre heures devant lui pour conclure une vente. Ou plusieurs. Pour des milliers d’euros, voire des dizaines de milliers d’euros. Car il est sûr de sa force de persuasion, de son argumentaire infaillible, des atouts qui débordent de sa manche. Il fait donc servir aux Suisses leur premier verre de raki. Le premier d’une longue série devant permettre à chacun de se détendre.

Je me réjouissais à l’idée de découvrir la plume d’Hakan Günday, prix Médicis étranger l’an dernier et enfant terrible de littérature turque. Pour le coup, la déception a été à la hauteur de mes attentes. Que de cynisme dans ce portrait au vitriol des vendeurs d’Antalya. Des vendeurs drogués et obsédés sexuels qui ont l’argent pour seule religion, des menteurs invétérés, imaginant les scénarios les plus tordus pour parvenir à leurs fins, prêts à écraser les collègues pour prendre en charge les pigeons les plus prometteurs. J’ose espérer que le tableau dressé relève de la grossière caricature, même s’il y a forcément du vrai dans tout ça.

Ma déception vient également du fait qu’il ne se passe finalement pas grand-chose dans ce roman. On assiste à la visite du groupe suisse, on voit quelques vendeurs à l’œuvre en se focalisant sur Kozan. Et après ? Rien. Des personnages détestables, tous sans exception, qu’ils soient clients ou commerçants, et une pirouette finale où l’on nous fait le coup de l’arroseur arrosé, que je n’avais pas vu venir mais qui ne m’a pas convaincu.

Günday multiplie les aphorismes, les déclarations péremptoires. Il tire à vue sur le consumérisme, le tourisme de masse et le comportement de ses compatriotes. Mais je trouve le procédé un peu facile, sauf à considérer son texte comme une énorme farce. Et puis trop d’aphorismes tue l’aphorisme. Exemples :

« Chacun sait qu’il faut soutirer son fric au touriste, d’une façon ou d’une autre. Celui-ci, par définition, est tenu d’acheter. Sinon ce n’est pas un touriste mais un envahisseur étranger. »

« Le tourisme est édifié sur des stéréotypes nationaux. Ses fondations sont donc des plus solides. »

« Dans le tourisme, la propriété  à vie n’existe pas. Tout se loue et change de mains, y compris l’estime. »

« Le tourisme, c’est l’art de vendre des mirages. »

« Un vendeur est une personne qui ne pose que des questions auxquelles la réponse est oui. »

Il y en a comme ça toutes les deux ou trois pages. A force, ça lasse…

Un roman qui m’a crispé et agacé. Une première ratée donc. Mais il y a chez cet auteur un petit quelque chose d’irrévérencieux qui me pousse à lui offrir une seconde chance. Pourquoi pas avec son prix Médicis, dès qu’il sera sorti en poche.

Topaz d’Hakan Günday. Galaade, 2016. 230 pages. 22,50 euros.





jeudi 30 juin 2016

La libraire - Pénélope Fitzgerald

J’ai attaqué cette lecture à reculons à cause d’Hélène. Son avis particulièrement mitigé m’avait refroidi, c’est rien de le dire. Je suis donc rentré dans ce roman anglais des années 70 sur la pointe des pieds pour y découvrir Florence Green, jeune veuve décidant d’ouvrir une librairie dans un local à l’abandon. Nous sommes en 1959, à Hardborough, un petit village du Suffolk où la création de ce commerce fait jaser. Et la pauvre Florence ne s’attendait pas à subir tant d’ostracisme de la part des notables locaux…

La libraire ou l’enfer feutré d’une communauté ayant fait de la médisance et des récriminations ses passe-temps préférés. Florence la naïve, subissant l’accueil tiède du banquier, l’indifférence du notaire et la vindicte d’une rombière fortunée. Florence aidée par une gamine de onze puis par un employé de la BBC, Florence soutenue par le vieil original du coin et frappée de plein de fouet par les foudres d’un conservatisme bien pensant après avoir exposé la Lolita de Nabokov dans sa vitrine.

Hélène parle d’un roman plat et sans grand intérêt. Je ne serais pas aussi sévère. Certes, l’ensemble est assez mou et « la guerre » annoncée par l’éditeur dans le résumé se déroule à fleurets mouchetés. Mais je l’ai lu sans déplaisir, appréciant l’ambiance venteuse et rafraîchissante d’une campagne anglaise dégageant un charme délicieusement suranné. Un lord excentrique, un esprit cogneur hantant la librairie, une party dans un manoir bourgeois, des dialogues « old school », il n’en fallait pas plus pour que je passe un agréable moment.

Pas certain qu’il m’en reste grand-chose d’ici peu mais j’ai aimé ces quelques heures passées auprès de Florence, libraire à la fois courageuse et résignée, préférant finalement quitter ses détracteurs à l’esprit étriqué plutôt que de rester dans un environnement sclérosé par un indéboulonnable conformisme.

La libraire de Pénélope Fitzgerald (trad. de l'anglais par Michèle Lévy-Bram). Petit Quai Voltaire, 2016.176 pages. 14 euros.





mercredi 29 juin 2016

Le rapport de Brodeck - de Manu Larcenet

Dans un village traumatisé par la guerre, Brodeck, fonctionnaire établissant des notices sur la faune et la flore locales, est chargé par le maire de raconter dans un rapport l'arrivée et le comportement de l’Anderer (l’autre), afin de dédouaner les villageois qui l’ont assassiné. Brodeck, revenu depuis peu de l’enfer des camps, n’a pas participé au meurtre. Il comprend que l’Anderer a été tué uniquement parce qu’il était un étranger, un inconnu, un danger. Il comprend aussi que son rapport devra établir des circonstances accidentelles pour le décès et que la vérité n’y aura aucune place. Il comprend enfin que sa propre vie et celle des siens est en danger s’il ne fait pas ce que l’on attend de lui…


Incroyable adaptation du texte de Claudel, incroyable diptyque d’une force d’évocation phénoménale. Larcenet prend son temps. Il installe son récit dans une certaine lenteur, alternant les séquences de dialogues et de longues séquences contemplatives en extérieur. La tension monte, l’ambiance délétère ne cesse de s’alourdir. Un roman graphique qui suinte, où l’humidité dégouline des arbres, des maisons, du brouillard, de la neige fondue. Un roman graphique qui diffuse insidieusement la peur, la menace latente et permanente. Un roman graphique qui vous agrippe et vous écrase sous un noir et blanc dense, profond, oppressant, ciselé, dont le rendu est parfois proche de la gravure. Le blanc du paysage face à la noirceur des hommes, la sauvagerie des seconds étant finalement bien plus forte que celle des éléments.


Le rapport de Brodeck dit les petites et grandes lâchetés, l’ignorance, la peur de l’autre, le repli sur soi, l’effet de meute transformant les hommes en bêtes. On sent à chaque page l’épuisement physique et moral, la tempête intérieure qui ravage les cœurs et les esprits. Le deuxième tome dégage davantage de puissance, notamment grâce aux flash-back qui dénouent peu à peu les fils d’une intrigue devenant plus irrespirable à chaque nouvelle révélation. La réussite majeure vient du fait que tout reste au niveau de la suggestion, que jamais on ne sombre dans une esthétique de l’horreur à laquelle il aurait été si simple de céder tant les épisodes monstrueux sont nombreux.

Une claque monumentale, où la noirceur du dessin égale celle du propos. Certes, l’histoire est si plombante qu’elle filerait le bourdon aux plus optimistes et qu’il convient d’être dans de bonnes dispositions pour s’y frotter. Mais cette plongée au cœur de l’indicible est une expérience de lecture rare et intense, aussi bouleversante qu’inoubliable. Un bijou !

Le rapport de Brodeck T1 : L’autre de Manu Larcenet. Dargaud, 2015. 160 pages. 22,50 euros.
Le rapport de Brodeck T2 : L’indicible de Manu Larcenet. Dargaud, 2016. 166 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Mo et Noukette.





mardi 28 juin 2016

Moi, Ernest - Laurent Souillé et Paul Mager

« Moi, c’est Ernest. On ne peut pas dire que je sois très beau. J’ai du bide et pas beaucoup de cheveux sur le caillou. Mes yeux ressemblent à des billes et mes dents penchent comme la tour de Pise. Et malheureusement, j’ai très souvent mauvaise haleine. Pourtant, juré, craché, je me brosse les dents trois fois par jour. En même temps, c’est bien pour faire fuir les mouches ».

Ernest  vit seul dans une vieille maison. Il est tombé des escaliers le jour de sa naissance et par miracle, il n’a pas eu de bobo : « Môman a eu très peur mais le docteur l’a rassurée en lui disant qu’à part l’anémie faciforme, l’hydrocéphalie, la bradycardie et  l’exophtalmie… tout allait bien et qu’elle avait un très beau bébé !! ». Ernest n’a jamais connu son père et n’a jamais vraiment quitté sa maison. Dehors, les autres enfants étaient trop méchants avec lui. Un matin, Ernest a trouvé sa Môman morte dans son lit. Depuis, chaque nuit, avec son chat, il va déposer un bouquet de fleurs sur sa tombe.

Il faut savoir aussi qu’Ernest n’a jamais prononcé le moindre mot. A la place, il écrit. Des centaines d’histoires, frappées lettre par lettre sur sa Remington. Les manuscrits s’empilent dans sa chambre, jusqu’au jour où il découvre à la télé un éditeur, un monsieur à qui on peut envoyer ses histoires pour qu’il en fasse des livres. Ernest tente sa chance mais il n’essuie que des refus. Il persiste pourtant, incapable de s’arrêter d’écrire…

Une jolie histoire sur le thème de la différence. Impossible d’oublier Ernest, son ton bien à lui et ses lubies. Il est à la fois drôle, naïf et attachant. Le texte ne cherche jamais à nous tirer les larmes. Malgré les épreuves, Ernest reste debout sans vaciller, avec sa façon décalée d’appréhender le monde. Et puis j’aime cette idée qu’il suffit parfois d’une rencontre inattendue pour changer la vie, que quelqu’un peut s’installer dans votre existence et exaucer vos rêves. Un album superbement illustré, au message positif et qui fait du bien. Un album d’utilité publique en quelque sorte.

Moi, Ernest de Laurent Souillé et Paul Mager. Des ronds dans l’O, 2016. 40 pages. 16,00 euros. A partir de 8 ans.


Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette lecture commune avec Noukette.








dimanche 26 juin 2016

Les lectures de Charlotte (20) : Qui quoi quoi - Olivier Tallec

Après une escapade du côté de la BD, les Qui Quoi reviennent à leurs fondamentaux avec ce livre-jeu à la mécanique toujours aussi bien huilée. Au programme donc de nouvelles énigmes, des découpes ne révélant qu’une partie des images, des gestes à effectuer pour faire « bouger » les personnages ou éteindre la lumière, etc.

Les illustrations, sans décor, permettent de se focaliser sur les actions et les attitudes de chacun. La variété des questions évite toute répétition et leur originalité déclenche le sourire : on doit ainsi se rappeler, en fonction des situations, de quelle couleur était le slip d’Olive, qui n’avait pas de pyjama ou encore qui buvait une grenadine à la page précédente.



Jeux d’observation, travail sur la mémoire et manipulations de l’objet-livre offrent une expérience de lecture drôle et ludique, portée par des dessins toujours aussi irrésistibles. Une formule qui a fait ses preuves et a le mérite de se renouveler sans jamais céder à la facilité. Chapeau bas monsieur Tallec !

Qui quoi quoi d’Olivier Tallec. Actes Sud Junior, 2016. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 3 ans.





vendredi 24 juin 2016

Et puis après - Kasumiko Murakami

11 mars 2011. « Il sentit sous ses pieds des tremblements sur le sable mouillé. Il n’y accorda que peu d’attention au début car les tremblements de terre au large des côtes de Sanriku étaient fréquents ces derniers temps. Cela allait sans doute cesser. Mais quelque chose était différent. Des poussées se suivaient avec force, les tremblements ne s’arrêtaient pas. Et cela se faisait de plus en plus violent ».

La vague, plus haute qu’un building, s’apprête à déferler. « Lorsqu’il y avait un risque de Tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. Cet enseignement était transmis entre pêcheurs dans les villages des environs depuis toujours ». Yasuo s’élance donc vers le large et passe par-dessus la vague en formation. A dix kilomètres de la côte, il coupe le moteur, jette l’ancre et se retourne pour constater les dégâts. Le paysage qu’il découvre le tétanise…

Un court roman qui insiste davantage sur la stupeur que sur la douleur. En ce sens, le titre est on ne peut plus parlant. Que faire après, quand notre monde et nos certitudes ont disparu de façon aussi soudaine ? Les réfugiés, rassemblés dans un gymnase, abasourdis, hébétés, enfermés dans leurs angoisses, cherchant à prendre des nouvelles de leurs proches, préoccupés à l'idée de se procurer le minimum vital, ne trouvent pas de réponses à leurs inquiétudes. Yasuo a eu la chance de retrouver sa femme saine et sauve mais sa maison a été rasée. Difficile d’imaginer l’avenir, impossible de savoir où aller. A quoi bon continuer, à quoi sert-il d’être encore en vie ?

Beaucoup de retenue et de finesse dans cette évocation tout en pudeur d’un drame vécu par des dizaines de milliers de personnes. Rien n’est éludé, de l’horreur des découvertes faites au fil des jours au traumatisme que tous les sinistrés vont porter en eux à jamais : « Dans le cœur de chacun des sinistrés, même longtemps après, le raz de marée noir et terrifiant déferlait, brisant les digues, et même si personne ne voulait en parler, cela restait une réalité. Ce souvenir demeurait ancré au fond du cœur et l’on avait beau essayer de s’en débarrasser, rien ne pouvait l’effacer ». Une peinture réaliste et digne, sans poésie ni lyrisme, dont la concision évite tout glissement inutile vers le pathos. Saisissant.


Et puis après de Kasumiko Murakami. Actes Sud, 2016. 100 pages. 13,80 euros.









mercredi 22 juin 2016

Étunwan : Celui Qui Regarde - Thierry Murat

Pittsburgh, 1867. Le photographe Joseph Wallace décide d’abandonner les rémunérateurs portraits des notables locaux pour se joindre à une mission d’exploration scientifique dans les montagnes rocheuses. Chargé de photographier les régions traversées, Wallace se passionne plutôt pour les autochtones après avoir passé plusieurs jours dans un camp sioux. Rentré auprès de sa famille, il imagine déjà une nouvelle expédition entièrement consacrée aux indiens. Expédition qu’il mènera en solitaire et dont il reviendra profondément bouleversé.

Un récit qui vous happe. Par sa beauté, sa lenteur, sa puissance. Par son propos aussi, sa réflexion sur l’image, qui fait le lien entre dessin et photographie, notamment à travers la relation au sujet, les questions de cadrages, la posture : « Qu’est-ce qu’une image, sinon un fac-similé de la réalité ? Cela ne sert à rien de vouloir à tout prix représenter les choses telles qu’elles sont. Il faut les mettre en scène, les sublimer ». Le questionnement sur l’image et son pouvoir se double d’une interrogation existentielle pour Wallace. Face à la quiétude et l’harmonie trouvées auprès des indiens, ses certitudes vacillent et lui font connaître « un détachement lent, progressif, physique et cérébral » qui va peu à peu l’éloigner de son milieu d’origine.

« Les indiens savent depuis longtemps que leur monde est en équilibre au bord du vide. Et que ce vide ne sera bientôt plus que la trace effacée de ce qu’ils ont été ». Un monde bientôt perdu dans lequel le photographe va peu à peu se dissoudre. Le dessin est, comme toujours avec Thierry Murat, totalement envoûtant. Couleurs crépusculaires, lumière blafarde, hommes, bisons et végétation réduits à l’état d’ombres… des choix graphiques annonciateurs de la disparition à venir. Disparition d’un peuple, de sa culture, de ses traditions. Ou comment décrire tout en sobriété une inéluctable agonie.

Magnifique album, un de plus dans la bibliographie de Thierry Murat. Beaucoup plus personnel que ses adaptations de romans mais tout aussi réussi.

Étunwan : Celui Qui Regarde de Thierry Murat. Futuropolis, 2016. 160 pages. 23,00 euros.



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec mes chères complice Mo et Noukette.





mardi 21 juin 2016

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle - Hervé Giraud

« Quelque chose d’indéterminé m’encourage à chercher mon chien, à aider ma sœur, à rassembler ma meute pour recréer une tribu démantelée par une guerre. »

Ils étaient trois. Inséparables. Le garçon, sa sœur jumelle Cali et leur dalmatien Rubens. Mais quand le chien a fugué, plongeant dans la rivière pour rattraper sa balle, leur univers s’est fissuré. Peu après Cali est tombée malade. Gravement malade. Voyant une relation de cause à effet, le garçon a pensé qu’en retrouvant son chien, il guérirait sa sœur. Commence alors une course contre la montre, contre la vie qui s’échappe, sur les traces de Rubens et de sa balle, porté par l’espoir fou de sauver celle sans qui l’existence n’aurait plus de sens.

Un roman choc. Infiniment triste et infiniment digne. Je tournais les pages en me disant non, ce n’est pas possible, on ne va pas aller jusque-là… Et finalement si. Et finalement, ça ne m’a pas choqué, parce qu’après tout, rien de plus logique de voir l’inéluctable remporter la partie. Bien sûr, j’ai eu la gorge serrée, une vraie sensation d’injustice et de compassion pour cette famille frappée de plein fouet par un drame insoutenable. J’ai ressenti la douleur, le manque, l’absence. Et j’ai été emporté par la voix du garçon, par la puissance d’une écriture ample, parfois légère, souvent profonde, toujours énergique.

Ici, la vie est moche, absurde. « Chacun porte sa croix. Sa croix de malheur, entendons, il n’y a pas que Jésus qui a morflé, on a tous des gamelles à trimballer. Il faudra continuer à avancer pour chercher la sortie parce qu’on ne sait jamais jusqu’où va cette impasse, il n’y a pas de fin de l’histoire, rien n’est joué ». Ne pas sombrer, sans pour autant oublier. Une croix à porter. Se relever après l’anéantissement. Continuer à avancer. « Pour que ma tristesse se transforme en une force inaltérable de vie, je pleurerai, sans rien dire à personne, toute ma vie son absence ». Magnifique et bouleversant. Bien plus qu’un roman jeunesse.

Histoire du garçon qui courait après son chien qui courait après sa balle d’Hervé Giraud. Thierry Magnier, 2016. 125 pages. 10,50 euros. A partir de 13 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 20 juin 2016

Ce qui désirait arriver - Leonardo Padura

Les nouvelles de ce recueil sont souvent, comme le déclare un personnage,  « un voyage vers la mélancolie ». Il en va ainsi de ces soldats quittant l’enfer de la guerre en Angola pour retourner à Cuba  en laissant derrière eux une maîtresse ou en faisant un détour par Madrid et en retrouvant par hasard un copain d’enfance qui ravive les souvenirs d’une époque révolue. De même, ce quadra exilé à Miami nostalgique de ses années étudiantes où il écoutait, fasciné, Violeta Del Rio, « La dame triste du Boléro » avec laquelle il connut une aventure aussi brève que torride. Ou encore cette pianiste de bar constatant que ses mains courant sur l’instrument n’hypnotisent plus les hommes comme au début de sa carrière.

Il y a ceux qui rêvent de revoir Cuba et ceux qui rêvent de la quitter. Tous y sont nés et cette île les habite. Tous ont vu le temps suivre son cours et ont l’impression d’avoir raté quelque chose : « La vie de chacun est un projet unique et ça c’est con parce que si on s’est trompé, on aura jamais le temps de rectifier ce qui est déjà passé ». Les années passent et chacun se couvre de cicatrices. « Et il y en a qui ne s’effacent plus. Les souvenirs peuvent être désastreux ».  

Ces nouvelles, écrites entre 1985 et 2009, brossent un portrait tout en finesse de la société cubaine d’hier et d’aujourd’hui. Elles regroupent les thèmes chers à Padura, la nostalgie, l’exil, l’art, la sexualité. On y parle d’amour, de solitude, de chagrin. On y parle d’espoirs déçus, de relations d’un soir qui marquent au fer rouge. On y boit du rhum les yeux dans le vague et les vêtements trempés de sueur. L’écriture est sensuelle ou sauvage, brûlante ou lyrique, vibrante ou poétique. C’est beau et triste, d’une sensibilité à fleur de peau. J’ai adoré, forcément, parce que ces thèmes et cette écriture me parlent et que Padura est depuis longtemps un de mes écrivains préférés. Avis aux amateurs d’excellentes nouvelles.

Ce qui désirait arriver de Leonardo Padura. Métailié, 2016. 235 pages. 18,00 euros.






samedi 18 juin 2016

Les lectures de Charlotte (19) : Bon appétit, petite souris ! - Eric battut

Petite souris a faim. Elle grignote un champignon, puis un morceau de fromage avant de s’attaquer à un radis. Arrivée face au chat et toujours pas rassasiée, elle décide d’explorer le ventre du matou pour dégoter à manger. Une fois à l’intérieur, ne trouvant rien d’intéressant,  elle fait demi-tour et repart accompagnée…

Pour sa sixième aventure, la petite souris d’Eric Battut continue d’évoluer dans un univers des plus épurés. Sur chaque double page, à peine quelques mots et des illustrations minimalistes qui permettent de se focaliser sur l’essentiel. La rencontre avec le chat est évidemment le moment fort de l’histoire. Son déroulé lorgne d’ailleurs du coté de Tom et Jerry ou Titi et Grosminet. Les pages où la souris investit le corps du chat, rebrousse chemin et en ressort avec un copine relève d’un comique proche de l’absurde qui fonctionne parfaitement avec les bouts de chou.



Le dessin, au feutre et sans encrage, est aussi simple qu’expressif. Avec une mention spéciale pour le personnage du matou, dont le flegme et la passivité à contre emploi offrent un décalage qui déclenche le sourire.

Un album aussi malin qu’efficace et une espiègle petite souris qui saura une fois de plus charmer les tout petits.

Bon appétit, petite souris ! d’Eric Battut. Didier jeunesse, 2016. 32 pages. 12,90 euros.






jeudi 16 juin 2016

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire - Stéphanie Pèlerin

Je l’attendais avec appréhension ce livre. Parce que l’air de rien je connais Stephie depuis quelques années maintenant, et le courant est toujours bien passé entre nous. Mais la Stephie auteure, je ne l’ai jamais fréquentée vraiment. Grosse appréhension donc, à l’heure de découvrir son premier roman. D’abord parce que ce n’est pas mon genre de donner dans le copinage et que je ne pourrais pas faire semblant de l’avoir aimé si ce n’était pas le cas. Ensuite parce que cette comédie sentimentale très girly est à des années-lumière de la littérature que je fréquente d’habitude.

Pour le coup, une histoire de prof de français en manque de confiance en elle, lestée de quelques kilos en trop et larguée dès la première page par son jules, ça n’avait pas de quoi me faire grimper aux rideaux. Mais la lecture est aussi affaire de circonstances. Ce livre, je l’ai reçu un vendredi. Un jour triste, gris et pluvieux semblable à ceux que l’on connait depuis des semaines. Un jour où, exceptionnellement, je ne travaillais pas, ma petite dernière et sa varicelle m’ayant contraint à jouer le garde malade. En début d’après-midi, je la monte dans sa chambre pour la sieste, je m’installe dans le canapé avec un café et le livre sur les genoux. Assommée par les médicaments, la petite ne se réveille que trois heures plus tard (la plus longue sieste de sa vie !) et moi j’ai eu le temps de lire l’ensemble du roman.

Il est très rare que j’engloutisse un bouquin d’une traite, même quand je n’ai rien de mieux à faire. Donc, force est de constater qu’il s’est passé un truc entre Ivana et moi. Ivana, c’est l’héroïne. Trentenaire, brune à forte poitrine et bien en chair. Beaucoup d’atouts pour me plaire en fait. Mais le physique ne fait pas tout, ce n’est d’ailleurs qu’un détail pour moi (ok, je manque de crédibilité mais j’aurais au moins tenté le coup), et il lui a fallu déployer d’autres arguments pour me séduire.

Ivana est paumée. Elle gère comme elle peut. Son boulot. Ses complexes. Ses copines. Ce vide qui s’est ouvert sous ses pieds au moment où Baptiste l’a quittée. Mais elle ne s’apitoie pas sur son sort. Elle veut reprendre sa vie en main. Se laisser porter aussi. Par ses envies. Ses désirs. Elle se met au régime et au sport. Elle s’achète un sextoy, s’inscrit sur un site de rencontre, multiplie les aventures, la plupart tournant au fiasco. J’ai beaucoup aimé les épisodes où la pauvre Ivana enchaîne les déconvenues, comme j’ai aimé son attitude de femme libre qui assume ses papillonnages d’un homme à l’autre en restant finalement  bien plus fragile que les apparences ne pourraient le laisser penser.

Plus que tout, j’ai aimé que l’on ne me serve pas à longueur de pages la classique (et insupportable) aventure entre la fille mal dans sa peau et le playboy riche comme Crésus, beau comme un dieu, monté comme âne, plus endurant qu’un marathonien et torturé par des blessures d’enfance. Ici, l’homme est au choix mufle, con comme un balai, lâche ou pervers. Normal en somme. Le prince charmant finit bien par arriver mais on n’en fait pas des caisses, on reste dans un portrait d’homme « réaliste » et franchement ça fait du bien.

Bon, soyons honnête, ce n’était clairement pas un livre pour moi à la base. Clairement pas un livre que j’aurais lu s’il n’avait pas été écrit par une personne que je connais et que j’apprécie énormément. Mais au-delà des circonstances particulières m’ayant poussé à le découvrir, j’en garderai le souvenir d’une douce après-midi passée en charmante compagnie avec la belle et touchante Ivana, une jeune femme que je ne suis pas près d’oublier.

(Presque) jeune, (presque) jolie, (de nouveau) célibataire de Stéphanie Pèlerin. Mazarine, 2016. 198 pages. 15,00 euros.


Les avis de Fanny, Laurie et Mylène.

mercredi 15 juin 2016

Les jours sucrés - Loïc Clément et Anne Montel

Églantine, graphiste et parisienne 100% pur jus, apprend par un notaire qu'elle vient d'hériter de la boulangerie de son père suite à son décès. Un père dont elle n'avait plus entendu parler depuis qu'elle avait quitté la campagne bretonne au moment de la séparation de ses parents plus de vingt auparavant. De retour dans sa région natale, elle a l'intention de se débarrasser vite fait de cet héritage encombrant en le vendant au premier venu. Sauf que la situation économique du village de Klervi s'est beaucoup dégradée depuis quelques années et que les acheteurs ne se bousculent pas au portillon. Pour ne rien arranger, la rencontre avec un ancien camarade de classe devenu instituteur va faire gamberger la jeune femme et la pousser à se demander s'il ne serait pas temps pour elle de changer de vie et de se reconvertir dans un commerce de proximité sur la terre de son enfance...

Un album que je qualifierais sans hésiter de « gentillet ». Le sucré du titre n’est pas usurpé, et même si on ne tombe pas dans le sirupeux, l’ensemble manque singulièrement d’acidité à mon goût. La bobo parisienne surmenée qui retrouve ses racines bretonnes contrainte et forcée et qui ne compte pas s’attarder sur place mais tombe finalement sous le charme de l’instit local, ça fait quand même très cliché. Aucune originalité non plus dans le secret de famille lié au père, un thème plus qu’éculé.

Heureusement certains seconds rôles pimentent l’affaire, comme l’acariâtre vieille tante Marronde et la piquante meilleure copine Mei. Coup de chapeau également aux matous qui ouvrent chaque chapitre avec des échanges particulièrement drôles. Graphiquement, la sobriété s’impose mais la composition maline et culottée de certaines planches permet de casser la monotonie d’un découpage sans grande surprise. Après, l’absence quasi systématique de décors n'offre pas à la Bretagne les paysages caractéristiques de cette région pleine de charme, ce qui est bien dommage.

Une lecture légère, qui dégouline de bons sentiments, à la fois sucrée et rafraîchissante. Un album qui, quelque part, a tout d'une BD feel good. Avis aux amateurs du genre, donc (dont je ne fais malheureusement pas partie).

Les jours sucrés de Loïc Clément et Anne Montel. Dargaud, 2016. 148 pages. 19,95 euros.











mardi 14 juin 2016

Les grandes jambes - Sophie Adriansen

« Jusqu’à peu, j’étais une fille normale. Plutôt grande, d’accord, mais rien d’une géante. Et puis je suis entrée au collège, et là ma croissance s’est emballée. Tous mes vêtements sont devenus trop petits d’un seul coup, et depuis il faut en racheter tous les trois mois. Pour les manches, passent encore […] Mais pour les jeans, c’est la catastrophe. En trouver un qui m’aille se révèle mission impossible… »

Il suffit de pas grand-chose pour complexer une ado. Un pantalon trop court, qui révèle  les chaussettes par exemple, et le mal être s’installe durablement. Parce que Marion le sait bien, il n’y a rien de pire que d’attirer les regards : « Dans la cour du collège, les paires d’yeux sont des mitraillettes. Aucune faute de goût ne passe inaperçue. Les jugements sont immédiats, les conclusions définitives. Les blagues fusent, souvent gratuites, parfois cruelles. »

Marion est donc une grande perche, une grande perche mal fagotée. Et forcément mal dans sa peau. Pas comme ça qu’elle aura un jour le courage d’adresser la parole au beau Grégory, dont elle est follement amoureuse. A moins que le voyage scolaire à Amsterdam qui s’annonce, avec la visite de la maison d’Anne Frank et du célèbre Rijksmuseum où cette passionnée d’art et de dessin va pouvoir découvrir les œuvres grandeur nature de son idole Rembrandt, change durablement la donne...

Ah, les complexes ! Le genre de truc qui s’attrape en général à l’adolescence et peut vous poursuivre jusqu’à la fin de vos jours. Sophie Adriansen aborde la question avec finesse et intelligence. Sans en faire des tonnes, sans tomber dans les clichés ou transformer son héroïne en ado dépressive. Résultat, c’est léger en apparence mais ça pousse à la réflexion sur le fond. La visite de la maison d’Anne Frank incite Marion à relativiser ses propres problèmes et son rapport à l’art prouve que, si l’art n’est pas la vraie vie, il peut la changer, cette vie. A cet égard, le passage où la jeune fille « s’immerge » dans le monumental tableau  de Rembrandt « La ronde de nuit » est en tout point magnifique.

Un roman positif et qui sonne juste, prouvant que la confiance en soi, si elle n’est pas innée, n’as parfois pas besoin de grand-chose pour  éclore au moment où l’on s’y attend le moins.


Les grandes jambes de Sophie Adriansen. Slalom, 2016. 112 pages. 10,90 euros.


Les avis d'Antigone et Fanny



Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.








lundi 13 juin 2016

Pottsville, 1280 habitants - Jim Thompson

A Pottsville, 1280 habitants, « il y a les pauvres petites filles sans défense, qui pleurent quand leur propre père vient se glisser dans leur lit. Il y a les maris qui battent leur femme, et les épouses qui les supplient à grands cris de les épargner. Il y a les gamins que la peur et la nervosité font pisser au lit, et leurs mères qui les forcent à avaler du poivre rouge pour les punir. Il y a les visages hagards des malades, rendus exsangues par l’anémie ou marbrés par le scorbut. Il y a la quasi-inanition, la sensation de n’être jamais rassasié, les dettes qui dépassent toujours les crédits ».

A Pottsville, 1280 habitants, il y a aussi un shérif nommé Nick Corey. Un spécimen à part. Du genre incapable, couard, lâche, feignant. Du genre à se laisser malmener et humilier en public. Du genre à ne jamais arrêter le moindre contrevenant. Du genre qui n’a pas inventé le fil à couper le beurre. Sauf que les élections approchant, le spécimen à part se doute qu’il pourrait perdre sa place au détriment d’un candidat bien plus compétent. Il décide donc de prendre les choses en main et de faire le ménage…

Avec « Une femme d’enfer », Pottsville est le plus célèbre roman de Jim Thompson. Un roman qui, en France, a eu l’honneur de porter le numéro 1000 de la Série Noire en 1966 et d’être adapté au cinéma par Bertrand Tavernier (Coup de torchon). Cette réédition en version intégrale offre enfin à ce polar jubilatoire la traduction qu’il mérite (Maurice Duhamel ayant clairement bâclé le travail dans les années 60, se permettant même de tronquer le titre original).

J'adore Thompson parce qu'il possède cette faculté unique de mêler le pessimisme à un humour noir dévastateur. Ici, Nick Corey le shérif de prime abord crétin est d’un cynisme et d’un machiavélisme à toute épreuve. Cocu et lui-même queutard invétéré, il se révèle manipulateur, perfide, cruel, retors. Avec ce personnage, Thompson pose un regard sombre et désespéré sur la nature humaine dans un style inimitable. Comme toujours chez lui, les âmes sombres sont synonymes de bêtise crasse et les dialogues peuvent à tout moment déclencher une incontrôlable hilarité. Exemple type de cet humour décalé et ravageur que j’adore :

- Va te faire foutre ! Je ne te révélerai pas ce que j’avais décidé de te dire parce que j’ai le sens des convenances. Sinon, tu sais ce que je dirais ? Tu sais ce que je te ferais espèce d’ordure ? Je lèverais la jambe et je te pisserais dans l’oreille pour te vidanger le crâne de ce tas de merde puante qui te sert de cervelle !
Allons, Rose, un peu de retenue. Tu ferais mieux de peser tes paroles, tu vas finir par dire des horreurs.

Pas besoin de vous faire un dessin, Je suis sans doute un lecteur bien trop prévisible, mais il va de soi qui Jim Thompson est un écrivain qui me va comme un gant et que ce roman a été pour moi un régal de bout en bout.

Pottsville, 1280 habitants de Jim Thompson. Rivages, 2016. 272 pages. 8,00 euros.





dimanche 12 juin 2016

Les lectures de Charlotte (18) : Petit Renard - Nicolas Gouny

Petit Renard quitte le terrier pour suivre un oiseau. Il est surpris par la pluie, le vent et le froid. Il continue d’avancer mais finit par se perdre. Dehors, il découvre de nouvelles odeurs et fait quelques rencontres. La nuit venue, il entend de drôles de bruits et se réfugie sous un arbre…

Un album en randonnée au texte minimaliste dont l’originalité tient aux illustrations, entièrement réalisées avec des collages de feuilles mortes découpées. Le résultat est bluffant, particulièrement expressif et d’une esthétique des plus singulières, qui a charmé ma petite lectrice. Le renard, l’oiseau, la vache, le loup et le hérisson sont reconnaissables au premier coup d’œil, avec une mention spéciale  pour le loup aux grandes dents, qui est de loin mon préféré.

Cerise sur le gâteau, l’enfant est invité à créer avec des feuilles mortes séchées un ami pour Petit Renard, qu’il viendra coller en face de lui sur la page de garde finale. Une proposition ludique qui suscite forcément l’enthousiasme et incite à se mettre en quête de matériau pour composer au plus vite son personnage. Dommage que l’automne soit si loin…



Petit Renard de Nicolas Gouny. Balivernes, 2016. 32 pages. 16,00 euros. A partir de 3 ans.