vendredi 27 mars 2015

Grossir le ciel - Franck Bouysse

Janvier 2007. L’abée Pierre vient de s’éteindre et au cœur des Cévennes, Gus est bien plus touché par la nouvelle qu’il n’aurait pu le croire. Et même s’il ne le sait pas encore, dans sa ferme isolée entre forêts et montagnes, dans le froid et le vent glacial d’un interminable hiver, il va vivre un événement qui bousculera sa morne routine et changera les choses à jamais.

Les grands espaces, quelques vaches à l’étable, la compagnie d’un chien, d’un fusil et d’un voisin taciturne avec lequel on partage parfois une affreuse piquette, tel est l’univers de Gus. Il est né et a grandi dans ce Gévaudan Cévenol qui lui ressemble : sauvage, isolé, rugueux. Avec son voisin Abel, il cultive une amitié bourrue basée sur l’entraide et le besoin occasionnel de tromper une solitude pesante. Mais au cours de ce rude hiver, les deux hommes vont devoir se rapprocher malgré eux, parce que certains cadavres sortent du placard, certains secrets de famille enfouies depuis des décennies resurgissent et mettent le feu aux poudres.

Une magnifique surprise. L’écriture de Franck Bouysse est un enchantement. Il décrit à merveille les gestes précis du quotidien paysan, il dit l’odeur du foin, de la terre mouillée, des troncs d’arbre fraîchement coupés, de la truite grésillant dans la poêle. Mais il exprime aussi les silences, les non-dits et la misère affective des gens de peu. Sans un mot de trop, avec une économie de moyens et d’effets absolument remarquable.

Polar régionaliste ? Nature Writing ? A vrai dire peu importe, je n’ai envie de faire rentrer ce texte dans aucune case. Je sais juste que c’est un roman âpre et tendu aux accents élégiaques, et je sais juste que j’ai pris un immense plaisir à le lire. Et puis j’aime ce titre superbe qui prend toute son sens dans les dernières pages.

Grossir le ciel de Franck Bouysse. La manufacture des livres, 2014. 200 pages. 16,90 euros.

Les avis de Au pouvoir des mots et Dominique











jeudi 26 mars 2015

Mon salon du livre


Cette année j’avais décidé de me rendre sur le salon samedi ET dimanche. Quatre heures de transport aller-retour à chaque fois, j’en suis ressorti rincé mais franchement ça valait la peine. Bien plus que ça même.
Dès le départ je savais que mon temps serait davantage consacré aux rencontres avec les blogueuses et les lectrices en général plutôt qu’avec les auteurs. Un choix délibéré tant j’avais envie de mettre enfin des visages sur ces prénoms (ou pseudos) avec lesquels je prends tant de plaisir à échanger virtuellement.

Pour faire court, mon salon a essentiellement consisté à :
  • Attendre Noukette, Framboise, Moka et sa sœur Élise devant l’entrée pour attaquer la première journée sous les meilleurs auspices.
  • Rencontrer enfin Sara et me rendre compte que nos caractères sont finalement assez proches (je m’en doutais remarque).
  • Retrouver la pétillante Laurie.
  • Me rendre au petit déjeuner des éditions Métailié, y découvrir Marjorie, Cryssilda, Sandy et Jostein.
  • Rencontrer pour la première fois et avec une certaine émotion Valérie et Hélène (si, si, je vous jure, je cachais bien mon jeu mais ça m’a fait tout drôle de vous voir « en vrai » !) .
  • Ne pas faire l’ours le samedi en début d’après-midi face à Sharon, Anis, Laure, KidaeUne comète
  • Enfin, enfin, enfin découvrir Philisine (re-émotion, toussa toussa…) et constater qu’elle est exactement comme je l’imaginais (c’est un compliment hein, tu le sais déjà mais je préfère préciser^^).
  • Et puis Sandrine, Fabienne, Sarah (aussi pétillante que Laurie, vous faites la paire !), Yueyin, Stephie, Anne-Véronique, Hélène, Tamara…
A part ça, j’ai aussi adoré, en vrac et dans le désordre :

  • Préparer quelques plans à trois pour les jours et les semaines à venir.
  • Offrir et recevoir des livres.
  • L’anecdote du sac chouette qui a bien fait rire Valérie.
  • Faire une heureuse en récupérant un des rares tickets disponibles pour la dédicace de Claude Ponti.
  • Voir des personnes suivre mes conseils les yeux fermés (merci de votre confiance, j’attends vos avis avec impatience maintenant).
  • Manger des tapas.
  • Observer Léa Mazé dédicacer sa première BD avec une gentillesse et une application des plus touchantes.
  • Me retrouver au pipi-room avec un très célèbre auteur jeunesse et éviter de tourner la tête parce je n’aime pas comparer (même si au demeurant je n’ai aucun complexe d’infériorité à avoir, que ce soit bien clair).
  • Échanger chez certains éditeurs avec des professionnelles passionnées et ultra compétentes (Anne-Charlotte et Solène se reconnaîtront).
  • Confirmer à celles qui en doutaient encore que je suis quelqu'un de très prude.
  • Avouer à Philisine une imposture dont je ne suis pas particulièrement fier et dont je ne me suis pas vanté mais qui m’a beaucoup amusé.
  • Etre pris en photo avec une auteure adorable (Emma Foster pour ne pas la nommer - et puisque nous étions sur le stand Milady) qui m’a qualifié de « merveilleux et sexy » alors que j’avais déjà acheté son livre et qu’elle n’avait plus rien à y gagner.

  • Etc, etc.

J’ai oublié un tas de choses mais peu importe. Ce fut un week-end mémorable, plein de rencontres, de rires, d’échanges, de partages et surtout de plaisir (oui, je sais, je suis en mode bisounours mais je n’y peux rien, c’est sincère). 

Impossible de finir sans un clin d’œil appuyé à mon indispensable binômette sans laquelle un salon du livre n’aurait définitivement pas la même saveur et à sa si précieuse Framboise que j’ai tant aimée côtoyer pendant ces deux jours. Mon prochain rendez-vous livresque aura lieu au salon de la BD d’Amiens en juin. Toujours avec ma binômette (je ne devrais même pas avoir besoin de le préciser) mais aussi avec ma très chère Moka. Autant vous dire que si bien entouré, le mode bisounours va encore tourner à plein régime…











mercredi 25 mars 2015

L’homme montagne - Séverine Gauthier et Amélie Fléchais

« Grand-père, comment es-tu toujours si sûr qu’on se retrouvera ? »
« Parce que mon plus beau voyage, c’est toi ».

Alors que les montagnes qui ont poussé dans son dos l'immobilisent peu à peu et que ses pieds fatigués peinent à le porter, un grand-père s'apprête à partir une dernière fois, seul. Son petit-fils lui demande de retarder son départ et de l’attendre, le temps pour lui de trouver le vent capable de soulever les montagnes. Et l’enfant d’entamer un merveilleux périple où il croisera un arbre, des cailloux et le roi des bouquetins. Un périple au cours duquel il découvrira l’importance des racines, où il apprendra que les voyages se partagent et où il comprendra, les larmes aux yeux, que certaines promesses sont impossibles à tenir mais que les souvenirs des bons moments passés avec ceux qui nous sont chers gardent à jamais une valeur inestimable.

Un album affichant fièrement sur sa couverture les noms de Séverine Gauthier (Cœur de pierre) et Amélie Fléchais (Le petit loup rouge) ne pouvait que finir entre mes mains. La première a imaginé un récit initiatique très allégorique autour de la perte d’un proche. J’y ai retrouvé avec plaisir son univers à la fois léger, sensible et touchant, empreint parfois de gravité, mais aussi d’une certaine fantaisie et de beaucoup de poésie. Quant à la seconde, elle illustre avec une inventivité graphique et une subtilité remarquables une histoire où l’imaginaire prédomine. Les doubles-pages notamment, véritables tableaux fourmillant de détails, sont à tomber par terre. Et je ne vous parle même pas de son travail sur la lumière et les couleurs !

Réflexion tout en douceur sur le deuil, la filiation et la transmission, « L’homme montagne » est un album dont on sort aussi ému que revigoré. Tout simplement magnifique, tant sur la forme que sur le fond.

L’homme montagne de Séverine Gauthier et Amélie Fléchais. Delcourt, 2015. 40 pages. 10,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka et Noukette, en souvenir des beaux moments partagés ensemble samedi dernier au salon du livre.







mardi 24 mars 2015

Max et les poissons - Sophie Adriansen

« Nous, on est juifs. C’est pour ça qu’on a des étoiles cousues à nos habits. Papa et maman me répètent qu’être juif, ce n’est pas avoir fait quelque chose de mal. Mais je n’arrive pas à les croire. »

Max aura bientôt huit ans et il est ravi. Ravi parce qu’il va pouvoir mettre un deuxième poisson dans son bocal, ses parents lui ont promis, et parce que sa sœur va lui offrir un cadre en pâte à sel. Mais dehors c’est la guerre. Et depuis peu Max doit porter une étoile sur ses vêtements. Au début il a trouvé ça joli, une étoile, mais quand ses camarades de classe l’ont traité de « youpin avec une étoile de mer », il a déchanté. Et quand la police française est venue les chercher, lui et sa famille, il s’est demandé ce qu’il se passait. Avec ses mots à lui…

J’ai aimé ce texte pour son point de vue si particulier. Celui d’un petit garçon qui prend de plein fouet des événements abominables avec une naïveté touchante et naturelle, sans aucun recul, sans rien y comprendre. Clairement, la force et l’originalité de ce court roman tient dans le fait qu’il aborde un épisode tragique de la seconde guerre mondiale à travers le regard d’un gamin de huit ans. Et puis j’ai beaucoup aimé la fin, tellement juste, tellement tristement réaliste.

Ce témoignage à hauteur d’enfant, tout en douceur et en délicatesse, se révèle bouleversant. Pas besoin de dramatiser à outrance, pas besoin de chercher des effets tire-larmes artificiels. Sophie Adriansen l’a bien compris, la pudeur et la suggestion laissent un impact bien plus marquant sur le petit lecteur. Cerise sur le gâteau, je trouve la couverture de Tom Haugomat, un illustrateur qui m’avait bluffé avec son travail sur l’album « Hors-pistes », absolument splendide.

A lire donc, et à faire lire pour être ému et ne pas oublier une des pages les plus sombres de notre histoire.

Max et les poissons de Sophie Adriansen. Nathan, 2015. 88 pages. 5,00 euros. A partir de 9 ans.

Comme tous les mardis ou presque, c’est une lecture commune que je partage avec Noukette. Et cette semaine, Stephie nous accompagne pour notre plus grand plaisir.

Les avis d'HélèneL'irrégulière, Martine et Myarosa.









lundi 23 mars 2015

Les sauvages - Mélanie Rutten

« C’était une nuit. C’était il y a longtemps. Perdues dans les marécages, deux maisons se faisaient face. De ces maisons, deux ombres s’enfuirent. […] Pieds nus, en pyjama, elles arrivèrent sur l’île abandonnée. Elles marchaient et s’enfonçaient dans l’obscurité. Elles allaient sans hésitation, sans peur. Les arbres se penchaient pour les protéger. C’était leur nuit. »

C’est une nuit où les rêves sont permis, où la réalité perd la partie, une nuit où l’on peut échanger les rôles et lâcher prise. Dans leur fuite, au bout de leur périple, les deux ombres vont retrouver une bande de sauvages connue d’eux seuls. Dans la clairière où ils s’installent, certaines choses apparaissent et d’autres disparaissent, la lumière et la joie se répandent. Dans cette clairière, la peur n’a pas sa place.

Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, on croise d’étranges personnages : un bonhomme de paille, une branche, une pierre et un bébé mousse. Comme d’habitude avec Mélanie Rutten, rien ne s’offre d’emblée. L’interprétation est multiple, l’onirisme et la poésie dominent. Elle installe une atmosphère étrange et envoutante par petites touches successives. Au lecteur de se laisser prendre par la main, de se laisser porter le cœur léger. Son univers graphique tout en douceur m’enchante toujours autant, même quand elle s’oriente vers des teintes plus sombres.

C’est l’histoire d’une nuit de tous les possibles, d’une nuit où les chemins s’ouvrent. Parce que le jour, « tant de choses se taisent ». C’est l’histoire d’une nuit où on grandit, ni plus ni moins.

Les sauvages de Mélanie Rutten. Memo, 2015. 36 pages. 14,50 euros.


Et qui dit Mélanie Rutten dit lecture commune avec Moka. C’est à elle que je dois la découverte de cette auteure inclassable, il était impensable que nous ne plongions pas ensemble dans son nouvel album.






vendredi 20 mars 2015

Americanah - Chimamanda Ngozi Adichie

Ifemelu quitte le Nigeria pour poursuivre ses études aux États-Unis. La jeune femme laisse derrière elle son grand amour Obinze et débarque sur le sol américain pleine d’espoir. Pendant quinze ans, elle tentera de trouver sa place dans un pays où la discrimination n’est pas un vain mot avant de revenir finalement vers son pays natal. Entre temps elle aura vécu plusieurs histoires de cœur plus ou moins compliqués et aura surtout connu un immense succès grâce à son blog « Observations diverses sur les noirs américains par une noire non-américaine ».

Adichie déploie sur 500 pages une fresque sociale ample et sensible, une expérience de l’exil riche de rêves et de désillusions. Elle propose également une réflexion profonde sur la condition noire, du Nigeria aux Etats-Unis, mais vue par une « intelligentsia » aisée et cultivée très éloignée de la réalité quotidienne je trouve. Ifemelu côtoie en Amérique des blancs bobos pour lesquels antiracisme rime forcément avec charité. Quant à ses amis noirs, profs d’université et artistes, ils incarnent un esprit de gauche élitiste et pédant qui me hérisse le poil. De retour au Nigeria, elle évolue au milieu d’une diaspora enrichie par la corruption et fascinée par un mode de vie consumériste à l’occidentale. J’ai bien saisi le coté souvent satirique du propos mais il n’y a personne dans cette galerie de portraits pourtant riches en couleur qui trouve grâce à mes yeux. Finalement mon passage préféré restera son arrivée en Amérique chez sa tante et ses premiers pas sur le campus où, sans le sou, elle tire le diable par la queue.

A part ça j’ai aimé l’insolence d’Ifemelu, sa volonté sans faille de se construire seule malgré les obstacles. Mais son caractère, sa relation aux autres souvent pleine d’arrogance et d’un certain mépris la rendent assez antipathique et ne m’ont pas permis de m’attacher à elle.

Autre bémol (oui, je sais, ça commence à faire beaucoup), la fin sirupeuse et dégoulinante de guimauve donne des faux-airs de bluette à un roman qui se veut, et à juste titre, bien plus ambitieux qu’une simple histoire à l’eau de rose.

Je me demande quand même pourquoi je ne me suis pas davantage laissé embarquer par ce texte moderne et enlevé. Peut-être parce qu’il est trop féminin ? Peut-être parce que mes références littéraires sur la condition noire sont venues parasiter ma lecture. Quand on a en tête Chester Himes, Ernest J. Gaines, Walter Mosley ou Iceberg Slim, les billets d’Ifemelu sur son blog ou les réflexions de ses amis paraissent bien fades. Quoi qu’il en soit, je ne regrette pas une seconde d’avoir découvert ce roman-fleuve et la voix d’une auteure à la personnalité très marquée.

Americanah de Chimamanda Ngozi Adichie. Gallimard, 2015. 524 pages. 24,50 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Enna.

Les avis de Cathulu, Clara, CunéEva, Hélène, KathelLeiloona, Papillon.











mardi 17 mars 2015

Un beau jour - François David

De François David et chez le même éditeur, j’avais beaucoup aimé Charlie, belle histoire d’amitié entre une petite fille et un SDF. Il revient ici avec deux nouvelles mettant en scène des ados. Dans la première, le narrateur est un chien d’aveugle. Grâce à lui son maître, José, est bien intégré au collège malgré son handicap, et tout irait parfaitement bien s’il n’y avait pas Julian, un camarade aussi pénible qu’odieux. Dans la seconde, Nathalie va, sans aucune raison, subir la stupidité de deux garçons de son âge devant un arrêt de bus. Un traumatisme dont il lui sera difficile se remettre.

Deux variations autour de cette violence gratuite qui pollue le quotidien et laisse chez les victimes des traces indélébiles, bien plus psychologiques que physiques. Rien de spectaculaire, juste des petits riens pouvant en apparence ne pas sembler d’une extrême gravité, mais emplis d’une insupportable bêtise. Le pire dans cette forme de violence insidieuse reste l’incompréhension. Une incompréhension qui ne permet pas de digérer les événements et d’aller de l’avant : « Aussi, je voulais comprendre. Tellement ! J’en avais besoin, je le sentais. Comprendre en moi. A l’intérieur. »

Beaucoup de finesse dans la façon d’aborder un sujet aussi sensible. Suffisamment de tact pour engendrer chez le lecteur l’indignation sans dramatiser lourdement et jouer à outrance sur la corde sensible. Peu de pages, peu de mots mais beaucoup d’effet, tout ce que j’apprécie en somme.

Un beau jour de François David. Le muscadier, 2015. 60 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi (ou presque), c'est une lecture jeunesse que je partage avec Noukette.






lundi 16 mars 2015

L’orangeraie - Larry Tremblay

Amed et Aziz sont jumeaux. Ils ont neuf ans et vivent dans un pays en guerre. Les ennemis se trouvent de l’autre coté de la montagne. C’est de là qu’est venu l’obus qui a tué leurs grands-parents. Quelques jours après ce tragique événement, un certain Soulayed s’est présenté chez eux et s’est entretenu avec leur père. Avant de repartir, le visiteur a laissé un sac. Dans le sac, une ceinture. Une ceinture tellement lourde qu’il fallait la porter à deux mains. Et dans la maison a résonné le cri de leur mère…

« C’est un très beau livre qui est brutal, qui est habité, qui est hanté. Vraiment superbe ». Ce n’est pas moi qui le dis mais Sorj Chalandon. Et il a bien raison. C’est un livre qui dénonce la folie des hommes. Une réflexion sur l’idée de sacrifice, sur l’embrigadement, la manipulation, la culpabilité. C’est un livre plein d’amour fraternel et de douleur. C’est le regard d’une mère qui va perdre ses enfants, celui d’un père persuadé qu’au-delà de l’horreur, il lui restera la fierté. C’est une fable politique, un conte cruel. Tout cela en 180 pages de tension permanente, en laissant à distance une émotion trop brute qui nuirait à la puissance du propos.

Je ne vais pas m’étendre davantage, c’est un texte qui m’a laissé sur le carreau. Ni plus ni moins. Et c’est un texte que vous devez lire parce qu’il est beau, brutal, habité, hanté. Pas mieux Mr Chalandon.

Extrait :
« Mais pourquoi faut-il vivre dans un pays où le temps ne peut pas faire son travail ? La peinture n’a pas le temps de s’écailler, les rideaux n’ont pas le temps de jaunir, les assiettes n’ont pas le temps de s’ébrécher. Les choses ne font jamais leur temps, les vivants sont toujours plus lents que les morts. Les hommes dans notre pays vieillissent plus vite que leur femme. Ils se dessèchent comme des feuilles de tabac. C’est la haine qui tient leurs os en place. Sans la haine, ils s’écrouleraient dans la poussière pour ne plus se relever. Le vent les ferait disparaître dans une bourrasque. Il n’y aurait plus que le gémissement de leur femme dans la nuit. Ecoute-moi, j’ai deux fils. L’un est la main, l’autre le poing. L’un prend, l’autre donne. Un jour c’est l’un, un jour c’est l’autre. Je t’en supplie, ne me prends pas les deux. »

L’orangeraie de Larry Tremblay. La Table Ronde, 2015. 180 pages. 14.80 euros.


Et une nouvelle lecture commune que je partage avec Noukette

Les avis d'AnneClara et Karine.








samedi 14 mars 2015

Acquanera - Valentina D’Urbano

Le titre annonce la couleur (ou plutôt l'absence de couleur). L’eau noire, celle du lac de montagne près duquel se déroule l’intrigue, est aussi sombre que l’âme des héroïnes. Des femmes sans hommes entretenant un rapport tellement particulier et étroit avec les morts qu’il relèverait presque d’une malédiction. Elsa la grand-mère fait des rêves prémonitoires où celles et ceux qu’elle voit sombrer sous les flots vont disparaître ou tomber malade. Pour sa fille Onda c’est encore pire puisqu’elle est capable de dialoguer avec les défunts, ce qui la mènera au bord de la folie. Seule Fortuna, la petite-fille et narratrice, semble avoir échappé au mauvais sort. Mais après dix ans passés loin du village, elle y revient pour affronter sa mère et un secret qui la mine depuis trop longtemps...

Je découvre Valentina d’Urbano avec ce roman et je dois lui reconnaître un vrai talent de conteuse. Chaque chapitre est construit comme l’épisode d’une saga familiale implacable prenant forme petit à petit sans aucun temps mort. La narration prend parfois des faux airs de thriller et la mécanique enclenchée dès la première ligne attrape le lecteur pour ne plus le lâcher jusqu’au point final. Le problème en ce qui me concerne, c’est que je ne suis pas du tout fan de ce genre de texte à la limite du surnaturel. Surtout, il n’y a ici aucune lumière et cela fini par être très plombant. Le récit est glauque, morbide, recouvert en permanence d’une chape de tristesse étouffante. Dans ce village italien, sous un ciel bas et gris, la pluie est froide, les maisons humides, le lac glacé, les cœurs secs et la forêt sinistre. Pas un rayon de soleil, rien pour réchauffer une atmosphère lourde de silences et de non-dits. A la longue, ça devient plus déprimant que fascinant je trouve.

Au final, je suis ravi d’avoir découvert une auteure dont j’avais jusqu’alors (et à juste titre) entendu le plus grand bien. Mais je pense que son premier roman, dans une veine plus sociale, me conviendrait bien mieux. D’ailleurs il vient tout juste de sortir en poche, je n’ai plus d’excuse !

Acquanera de Valentina D’Urbano. Philippe Rey, 2015. 350 pages. 20,00 euros.

Les avis de Clara, Sylire et Valérie.




jeudi 12 mars 2015

Revolver - Fuminori Nakamura

Un étudiant découvre un soir le cadavre d’un homme sous un pont. A coté de lui se trouve le revolver qui l’a tué, un Magnum 357. L’étudiant le récupère et le fourre dans sa poche. Une fois chez lui, il est ébloui par la beauté de cette arme, son magnétisme. Il la nettoie consciencieusement, la manipule et l’astique chaque jour. Il va commencer à sortir en la cachant sous son manteau, puis il va ressentir le besoin irrépressible de l’utiliser…

C’est un roman à la japonaise, subtil mais teinté de modernité. Inquiétant, tendu, malsain. C’est aussi une réflexion sur une jeunesse perdue, solitaire, en quête de sens, sur une existence dont le vide abyssal est comblé par un objet fascinant. C’est enfin le récit d’une vraie histoire d’amour entre un homme et une arme, une histoire de désir qui croit peu à peu, une histoire qui va mal finir tant cette compagne encombrante et dangereuse envahit le quotidien. Tout se déroule l’air de rien, sans jamais en rajouter, tout s’enchaîne naturellement avec un détachement proprement effrayant. Bien sûr j’ai pensé à Ryu Murakami, mais Nakamura est moins excessif, moins provocateur. Et c’est d’autant plus flippant !

Revolver de Fuminori Nakamura. Picquier, 2015. 174 pages. 18,00 euros.




mercredi 11 mars 2015

Cet été-là - Julian et Mariko Tamaki

Comme chaque année, Rose part en vacances avec ses parents à Awago Beach. Comme chaque année, elle y retrouve Windy, d’un an et demi sa cadette. Mais cet été-là n’est pas tout à fait comme les autres, puisque c’est celui où Rose va basculer peu à peu dans les affres de l’adolescence…

Je vais faire court car je ne voudrais pas m’étendre sur un album dont je pense qu’il ne me restera pas grand-chose d’ici peu. Clairement, je me suis ennuyé. C’est une réflexion intéressante sur le passage compliqué de l’enfance vers une plus grande maturité. Le corps change aussi vite que les préoccupations, on abandonne les châteaux de sable pour regarder des films d’horreur, on est fasciné par les relations sentimentales des jeunes adultes, on entre en conflit avec les parents, etc. J’ai apprécié le fait que la différence d’âge entre Rose et Windy joue énormément sur leurs comportements respectifs. Windy est la plus jeune et elle est encore « bébé » dans ses réflexions et ses attitudes. L’analyse est donc très fine et très subtile mais la narration est lente, très lente. On se traîne sur les pas de Rose, on vit avec elle un été apathique et franchement ce n’est pas passionnant.

Par contre j’ai bien aimé le dessin nerveux à l’encrage épais. C’est simple et direct, un peu brut de décoffrage parfois, mais aussi très spontané.

Une petite déception, donc. Je ne regrette pas pour autant d’avoir découvert le travail des cousines Tamaki et j’ai apprécié leur façon de mettre en scène les silences et les non-dits propre à cette période si particulière qu’est « la fin de l’insouciance ».


Cet été-là de Julian et Mariko Tamaki. Rue de Sèvres, 2014. 316 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Sandrine.

Les avis de Anne, Antigone, Bouma, Kathel, Lasardine, Leiloona, Marion, Mo', Noukette, Stephie.



Les BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie





mardi 10 mars 2015

Le baiser du mammouth - Antoine Dole

Arthur aime Fiona, la meilleure amie de sa sœur. Mais Fiona a quinze ans et lui n’en a que neuf. Une différence d’âge qui n’est pas un problème à ses yeux. Et même si personne ne veut prendre ses sentiments au sérieux, Fiona la première, lui est bien décidé à prouver que cette histoire d’amour, ce n’est pas de la rigolade !

J’avais hâte de découvrir Antoine Dole dans un registre différent, s’adressant à des lecteurs plus jeunes que des ados et sur un ton moins acide et moins teinté d’humour noir que ce qu’il propose avec la série Mortelle Adèle. Et bien je n’ai pas été déçu. Sa capacité à se glisser dans la peau d’un gamin de neuf ans est stupéfiante. Tout sonne juste dans la réflexion d’Atrhur, dans sa façon naïve et déterminée de vivre ce premier amour avec une sincérité absolue, avec la certitude que Fiona et lui, c’est pour la vie : « Elle est faite pour moi et, moi, je suis fait pour elle. Enfin, je crois. Et si c’est pas le cas, c’est pas grave, je trouverai un moyen de la faire changer d’avis. » On le sent prêt à bousculer des montagnes, avec ses mots à lui, ses sentiments à hauteur d’enfant. Et il faut bien reconnaître que tout cela est diablement touchant.

L’autre point positif tient dans le fait que l’auteur de « Je reviens de mourir » garde une vraie ambition dans l’écriture alors qu’il aurait pu succomber à la tentation de « bébéifier » un peu son discours. Ce n’est évidemment pas le cas et on retrouve ici son style percutant, son phrasé imagé et sensoriel : « C’est bête un cœur, ça s’ouvre pour un rien et ça bat la chamade, ça s’épluche même, comme un artichaut. » […] « Les chagrins d’amour, comme papa les appelle, c’est pour ceux qui abandonnent, ceux qui ne croient plus, ceux qui ont trop peur, ceux qui s’avouent vaincus. Si on baisse les bras dès que c’est compliqué, si on lâche l’affaire, alors on ne va jamais rien vivre de tout ce bonheur-là, on ne va jamais ressentir comment c’est tendre au-dedans, comment ça crépite, comment ça bouillonne, comment c’est plein de caresses, de rire et de joie. »

Et puis j’avoue que j’ai aimé la fin teintée d’un réalisme lucide, d’une certaine forme de morale qui sort quelque peu des sentiers battus. Pas cucul en tout cas. Du tout. En même temps, connaissant Antoine Dole, je serais tombé de ma chaise si cela avait été le cas.

Le baiser du mammouth, d’Antoine Dole. Actes sud junior, 2015. 78 pages. 6,90 euros.

Et comme chaque mardi ou presque, je partage cette pépite jeunesse avec Noukette.








lundi 9 mars 2015

Scipion - Pablo Casacuberta

Anibal, le narrateur, ne parvient pas à régler la question du père. Un père universitaire érudit et célèbre, spécialiste de l’antiquité qui lui a donné le prénom d’un héros carthaginois des guerres puniques. Un père qui n’a eu de cesse de l’humilier et de le rabaisser, un père qui, il en est persuadé, ne l’a jamais aimé. Et même s’il est mort depuis deux ans, la cicatrice est toujours ouverte. Alors qu’une fondation gère l’héritage paternel considérable, le fils, devenu alcoolique, vit dans une pension minable avec un vieillard grabataire comme colocataire. Son seul legs se résume à trois boîtes contenant beaucoup de paperasse dont une lettre lui accordant l’intégralité des biens de son géniteur, mais uniquement s’il parvient à remplir des conditions très contraignantes. Comme un ultime affront, une dernière façon de l’humilier et de le conforter dans sa médiocrité.

J’ai cru au départ à une variation de plus sur les relations père-fils compliquées. Mais c’est beaucoup plus fin. J’ai aimé chez Anibal cette légèreté de ton, cette amertume lucide et cette forme d’autodérision permanente qui, au final, se révèle touchante. Il y a bien quelques digressions à première vue pas indispensables mais l’introspection de ce pauvre homme se devait de passer par quelques séquences plus psychologiques que rocambolesques. La galerie de personnages entourant notre anti-héros vaut son pesant de cacahuètes, de l’avocat retors à l’infirme nymphomane en passant par l’ex-petite amie ayant réussi une brillante carrière.

Difficile de grandir à l’ombre d’un père à l’aura écrasante. Le manque de reconnaissance, la confiance en soi qui s’effrite, l’impossibilité d’assumer un nom trop lourd à porter. Finalement, seul le deuil permettra de transformer la haine et la colère en une certaine forme d’empathie. Un roman à la fois drôle et grave à l’indéniable sens comique. L’occasion pour moi de découvrir la voix singulière de Pablo Casacuberta, un auteur uruguayen que je ne suis pas près d’oublier.

Scipion de Pablo Casacuberta. Métailié, 2015. 262 pages. 18,00 euros.

Les avis de Clara et Nadael








dimanche 8 mars 2015

Un océan d’amour - Lupano et Panaccione

Certains livres sont plus précieux que d’autres. Parce qu’ils ont par exemple été offerts par des personnes qui comptent énormément ou encore parce que leur lecture a été un moment de grâce, une bulle de douceur loin des soucis du quotidien. Et bien Un océan d’amour réunit à lui seul ces deux conditions en ce qui me concerne.

Comment ne pas craquer pour les déboires de cette bigouden et de son mari marin. Harponné par un chalutier, il dérive sur l’océan avec une mouette pour seule compagnie. En chemin il croisera un pétrolier pollueur, des douaniers un peu trop zélés et des pirates plutôt bienveillants. Quant à elle, bien décidée à le retrouver, elle s’embarquera pour une croisière vers Cuba dont elle ne sortira pas indemne.

La BD muette me touche quand elle ne donne pas dans la démonstration technique et conceptuelle, quand le dessin reste en permanence au service de l’histoire et que sa fluidité permet un confort de lecture optimum. Autant vous dire que c’est le cas ici. L’alchimie fonctionne entre les délires scénaristiques finalement très structurés de Lupano et leur mise en scène par un Gregory Panaccione au sommet de son art. Je crois que jamais un récit muet ne m’avait autant parlé !

J’adore Lupano pour sa capacité à prendre en permanence le contre-pied des modèles dominants. Il fait de losers ou de retraités des héros magnifiques (Ma révérence et Les vieux fourneaux), et quand il s’attaque au western, c’est pour dénoncer l’usage des armes à feu (L’homme qui n’aimait pas les armes à feu). Ici, il nous raconte une histoire d’amour XXL entre un marin maigrichon et binoclard et une bigouden taillée comme une armoire normande. Tout sauf des gravures de mode mais des personnages attachants prêts à soulever des montagnes pour se retrouver. L’alternance de séquences hilarantes et d’autres plus dramatiques donne toute sa force à l’ensemble. Le découpage dynamique et imparable de Panaccione offre à leur épopée maritime l’écrin qu’elle mérite.

Une BD incroyable, totalement inclassable, dans laquelle on a envie de replonger encore et encore pour y dénicher de nouveaux détails, de nouvelles trouvailles ayant échappés à la lecture précédente. Une réussite totale, un album pétillant comme une coupe de champagne. Mais sans aucune bulle !

Un océan d’amour de Wilfrid Lupano et Gregory Panaccione. Delcourt, 2014. 224 pages. 24,95 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka.


Les avis de Livresse des mots, MargueriteMo', Noukette, SandrineSara et Violette.





vendredi 6 mars 2015

Les lectures de Charlotte (5) : C'est à moi !

Une petite fille trouve un râteau et un seau sur la plage. Mais bien vite le propriétaire des objets arrive pour les lui arracher des mains en hurlant « C’est à moi ! ». La fillette s’empare alors d’une pelle mais elle entend la même phrase. Pareil avec le ballon. Et le camion en plastique.  Finalement un autre enfant arrive et lui propose de jouer avec elle. Abandonnant sans regret l’égoïste qui lui hurle dessus, elle s’installe un peu plus loin pour construire un château, à quatre mains et avec un enfant prêteur…

Quel plaisir de retrouver le garnement qui nous avait tant fait rire il y a peu en réclamant à corps et à cris un « cocodrile » ! Toujours prêt à démarrer au quart de tour, s’énervant un peu plus à chaque page avant d’exploser de rage et de se retrouver tout penaud le bec dans le sable. Le graphisme est simple et montre la crispation progressive du visage face au flegme inébranlable de la fillette. A la lecture, la voix grossit en même temps que la colère de l’enfant, ce qui fait bien rire Charlotte.

Aussi épuré qu’efficace, ce nouvel album de Laure Monloubou permet en outre d’aborder avec humour la difficulté des tout-petit à prêter leurs jouets. Un problème auquel tous les parents sont confrontés un jour ou l’autre, non ?

C’est à moi de Laure Monloubou. Amaterra, 2015. 26 pages. 9,50 euros. A partir de 2 ans.








jeudi 5 mars 2015

Pike - Benjamin Whitmer

Une fois n'est pas coutume, je profite du lancement aujourd'hui même de "Neonoir" pour remonter un billet vieux de plus de deux ans et vous parler du premier titre de cette nouvelle collection des éditions Gallmeister, un roman qui m'avait scotché à l'époque.

Pike est un gros dur qui s’est rangé des voitures. Depuis son retour à Cincinnati, il vit de petits boulots qu’il effectue avec son pote Rory. Sa fille Sarah, qu’il n’a pas vue depuis qu’elle avait six ans, vient de mourir d’une overdose. Sarah a eu une fille, Wendy. La gamine d’une dizaine d’années débarque chez son grand-père, qu’elle ne connait pas, avec pour seul bagage un chaton prénommé Monster. Pike savait que Sarah se prostituait pour payer ses doses, mais il voudrait retrouver les vrais responsables de sa mort. Pour cela, il va devoir s’immerger dans les pires quartiers de Cincinnati, de squats de junkies en motels miteux. Une plongée effroyable dont il ne sortira pas indemne…

Pour un premier roman, Benjamin Whitmer fait fort, très fort, et nous plonge dans cette Amérique où "on se fait grossir à la bière jusqu'à ce que le cœur lâche définitivement". Lire Pike, c’est comme avaler une cuillère à soupe de Tabasco cul-sec. Ça gratte, ça brûle, ça vous donne envie de hurler. On à beau se dire qu’à un moment où l’autre les choses vont s’adoucir, on se trompe lourdement et l’effet reste hautement abrasif. Des années que je n’avais pas lu un roman aussi noir. La tension et la violence permanentes vous laissent au bord de la nausée. L’écriture de Whitmer, très visuelle, offre des descriptions d’une froideur clinique. Les pires exactions sont exposées sans aucun jugement, comme si tout cela était absolument naturel.

Pike n’est pas un polar. Au-delà de son effet coup de poing évident, de sa grossièreté, de son coté sordide, de ses dialogues au couteau, c’est un texte d’une infinie tristesse dans lequel il ne faut se lancer que si l’on a le cœur bien accroché.

Pour l’écrivain Stephen Graham Jones, « voici le noir dans toute sa splendeur, ce que le genre devient lorsqu’il renonce à se montrer gentil – une force dramatique brutale rongée jusqu’à l’os qui vous promène de page en page. » Pas mieux.

Pike, de Benjamin Whitmer, éditions Gallmeister, 2015 (1ère édition en 2012). 288 pages. 16,00 euros.

Extrait : "Il est possible de tellement s'éloigner du lieu d'où l'on vient que tout retour est impossible. Tout vrai retour. On peut briser tous les ponts avec son passé, il suffit d'être prêt à s'amputer d'un bout de soi-même que l'on ne craindra pas de regretter le reste de sa vie. Et il faut se préparer à accepter la merde, quelle qu'elle soit, qui viendra combler le trou."

Les avis de From the Avenue et Keisha







mercredi 4 mars 2015

Les ogres-Dieux T1 : Petit - Hubert et Gatignol

Au royaume des ogres, la consanguinité affaiblit la race à chaque nouvelle génération. A tel point que le dernier rejeton du roi est à la naissance à peine plus grand qu’un bébé humain. Hors de question pour le monarque de laisser en vie un pareil avorton. Pour lui éviter une mort certaine, sa mère le cache et il est élevé par sa tante Desdée, une géante mis au ban de sa communauté car elle refuse de manger de la chair humaine. L’enfant prénommé à juste titre « Petit » grandit loin de la folie et de la violence de la cour mais plus les années passent et plus il lui est difficile de rester dans la clandestinité…

Un album SOMPTUEUX ! L’objet-livre en lui-même est superbe, de très grande taille (logique vu son sujet), et la mise en page particulièrement soignée avec une narration alternant les séquences de BD et des intermèdes présentant, au fil de longs et beaux textes à la typographie travaillée, les aïeux de Petit. Graphiquement, Gatignol propose une incroyable galerie de personnages, jouant sur les effets d’échelle et de perspective pour souligner les différences entre les géants et les humains. Il rend à merveille l’immensité du château et la terreur provoquée par ces monstres semblant perpétuellement en quête de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les tons de gris renforcent l’aspect sombre et angoissant du récit et offrent relief et texture à l’ensemble. Du grand art !

Loin du simple conte, cette histoire aux accents gothiques propose une réflexion profonde sur le déterminisme familial et le libre arbitre. Petit est celui qui peut sauver les siens d’une dégénérescence inéluctable, il est entre deux mondes régis par des rapports de force inégaux et ne sait plus vraiment auquel de ces mondes il souhaite appartenir (celui des ogres sclérosé par des siècles de repli sur soi ou celui des humains, bien plus moderne et culturellement avancé mais pas pour autant moins cruel). Une histoire fascinante à la construction imparable. Il est rare de trouver autant de finesse, d’intelligence et d’originalité sur un thème aussi éculé.



Les ogres-Dieux T1 : Petit d’Hubert et Gatignol. Soleil, 2014. 174 pages. 26,00 euros.


Les avis de Lunch et Yvan.






mardi 3 mars 2015

Le premier mardi c'est permis (34) : Explicite : Carnet de tournage - Olivier Milhaud et Clément Fabre

Quand Jean, alias John B. Root, célèbre réalisateur de films pour adultes, propose a son ami Olivier Milhaud d’interpréter le rôle d’un policier dans sa nouvelle production, ce dernier se montre d’abord hésitant. Bien sûr, il ne jouera que des scènes de comédie, mais quand même ! Après avoir obtenu le feu vert de sa compagne et de son éditeur, il finit par accepter et se retrouve immergé dans un univers dont il ne connait pas les codes.

Mettons tout de suite les choses au point, il n’y a aucune image à caractère sexuel dans cet album. Quel intérêt de le lire alors ? me direz-vous, bande de coquins ! Et bien en ce qui me concerne et comme toujours, une curiosité intellectuelle sans limite qui me pousse à explorer des domaines auxquels je ne connais strictement rien. Ben oui, le porno et moi ça fait deux (j’en vois déjà qui rigolent au fond). Mon gros problème avec ce genre de film, c’est que les (très) rares fois où j’ai essayé d’en visionner, je n’ai jamais vu la fin. Bizarrement, je m’endors toujours à un moment donné et je ne m’explique pas ce coté soporifique (ok, j’ai conscience que l’excuse du sommeil pour justifier le fait de ne jamais aller au bout d’un porno ne va pas convaincre grand monde mais je tente quand même le coup…). Tout ça pour vous dire que je me suis plongé dans cet ouvrage avec un regard de sociologue, loin de tout voyeurisme, cela va de soi (et je vois toujours les mêmes qui rigolent au fond).

Les coulisses d’un film X (du moins celui-là) n’ont pas le coté glauque auquel je m’attendais. Déjà, le lieu du tournage (une villa dans le sud de la France avec piscine) est loin du hangar désaffecté et crado que l’on voit parfois (enfin je suppose, vu mon peu d’expérience en la matière). Ensuite il y a beaucoup de décontraction, on a l’impression d’être dans une colo (une colo certes un peu spéciale), même si au moment des prises de vue, le professionnalisme reprend le dessus et rien n’est laissé au hasard.

Plutôt timide et introverti, Olivier Milhaud se montre discret. Il découvre la concurrence énorme entre les filles qui engendre jalousies et vacheries, le pétage de plomb de certains acteurs se comportant parfois comme de vrais branleurs (oui, je sais, elle était facile mais j’aime céder à la facilité) et les questionnements existentiels d’un réalisateur qui a perdu la foi depuis l’arrivée des sites porno gratuits. Il se rend aussi compte que les discussions au petit déj peuvent mettre mal à l’aise. Exemples : « Jean, ça t’embête si pour la scène je mets pas le collier. Je vais sucer, sinon c’est chiant avec. » / « Bon, là ça va, je peux boire un café, j’ai pas de sodo, parce que sinon… » / « Je commence à me faire vieux, j’ai du bide, ça le fait pas. Et j’en ai marre de me raser les couilles. » Forcément, on ne parle pas de la météo.

L’album est vraiment agréable, drôle et léger, mais honnêtement, la vision du milieu présentée ici me paraît un peu idyllique. Sans doute parce que John B. Root est un réalisateur respectueux et à l’écoute, ce qui est loin d’être le cas de ses confrères, comme le précise une actrice : « Les filles qui commencent le métier avec lui pensent que c’est partout pareil. Elles se disent que c’est pas du tout sordide et enchaînent avec un tournage à Budapest. Et là… c’est l’abattage ». N’empêche, il ne m’aurait pas déplu d’être à la place d’Olivier Milhaud pour me faire ma propre idée. Par pure curiosité intellectuelle, évidemment…

Explicite : Carnet de tournage d’Olivier Milhaud et Clément C. Fabre. Delcourt, 2015. 124 pages. 16,95 euros.













lundi 2 mars 2015

Nu intérieur - Belinda Cannone

C’est l’histoire d’un homme en plein démon de midi qui s’entiche d’une jeunette dont il va tomber amoureux. Un homme qui ne veut pas choisir entre celle qu’il appelle « L’Une », son « officielle » qu’il adore et à qui il trouve toutes les qualités de la terre, et Ellénore, « l’autre », celle qui le rend fou de désir. Avec elle il se consume corps et âme et il finira par se brûler les ailes, forcément.

Je vous la fait courte parce que le roman est court mais aussi parce qu’il m’a prodigieusement agacé. Le narrateur est un architecte imbuvable au comportement que je qualifierais « d’hautement baffable ! ». Un gars d’une mauvaise foi épouvantable qui va morfler et c’est bien fait pour lui. Emporté pas la passion, il s’invente une bonne conscience pour justifier son infidélité mais aucun de ses arguments ne tient la route. Et si, pendant un temps, il exulte et pense gagner sur tous les tableaux, plus dure sera la chute… Belinda Cannone s’amuse à faire souffrir, c’est une évidence. Elle lui donne ce coté geignard de supplicié permanent qui ôte au lecteur toute envie de le plaindre. Ellénore le saoule de plaisir puis l’ignore alors que lui voudrait davantage de sentiment. Elle le tient en son pouvoir, le torture, l’humilie… et lui s’inflige mille morts pour tenter de la séduire alors que la cause est perdue d’avance et que leur relation se réduit à des ébats torrides. Au final il va tout perdre, c’était couru d’avance…

L’histoire n’a même pas suscité de ma part un intérêt poli. Ok, les femmes mènent le bal et les hommes, ces poltrons, sont faibles et lâches, tu parles d’un scoop ! J’ai aussi eu beaucoup de mal avec l’écriture, pleine d'afféterie, d’effets de style et d’une préciosité que j’abhorre. Un personnage qui, au cours d’une discussion, déclare « Ah, soupirai-je, mélancolique, si au moins j’étais sûr qu’un jour on se débarrasse du souhait d’intensité et qu’on entre dans la paix étroite d’une vie plus parcimonieuse », c’est trop pour moi, vraiment !

Je me demande parfois pourquoi je m’inflige des lectures pareilles. J’aurais peut-être besoin d’une petite psychanalyse pour y voir plus clair (quoique…).

Nu intérieur de Belinda Cannone. L’Olivier , 2015. 137 pages. 15,00 euros.











samedi 28 février 2015

Buffalo Runner - Tiburce Oger

Sud du Texas, 1896. Après avoir mis en déroute les agresseurs d’une famille de pionniers en route pour la Californie, Edmund Fischer se cache avec la seule survivante de l’attaque dans une hacienda en ruines, persuadé que le reste de la bande va revenir se venger. Commence alors une longue nuit d’attente au cours de laquelle, pour éviter de sombrer dans le sommeil, le vieil homme va raconter sa vie à la voyageuse. Et quelle vie ! Orphelin élevé par les comanches puis par un trappeur, participant à la guerre de sécession aux cotés des armées sudistes, devenant ensuite chasseur de bisons, perdant femme et enfant après un raid indien contre sa ferme pendant son absence, il finira homme de mains d’un riche marquis venu de France avant de repartir sur les pistes poussiéreuses, revolver à la ceinture.

Au-delà du western, Tiburce Oger raconte la véritable histoire de l’Ouest américain, loin des clichés hollywoodiens. Il dépeint des pionniers miséreux partant vers un hypothétique eldorado que beaucoup n’atteindront jamais, il met en scène des indiens et des cow-boys sans le clivage entre les  bons d’un coté et les méchants de l’autre. L’épisode sur l’extermination des bisons est on ne peut plus véridique, comme la lutte acharnée et sanglante entre propriétaires terriens.

Un album très documenté, donc, violent et sans concession, comme l’était le Far West à cette époque. Un album superbe aux nombreux plans larges magnifiant les paysages, au découpage nerveux et inspiré et surtout aux dessins sublimes d’un auteur dont on reconnaît le trait au premier coup d’œil. Les couleurs sont parfaites et les quelques illustrations pleine page insérées au fil du récit sont à tomber par terre. Bref, tant sur le fond que sur la forme, si on aime le genre, une lecture incontournable !  


Buffalo Runner de Tiburce Oger. Rue de Sèvres, 2015. 78 pages. 17,00 euros.




vendredi 27 février 2015

La nuit des trente - Éric Metzger

Félix bosse dans la pub et ce soir il a trente ans. Mais il ne veut pas le fêter, cet anniversaire. De toute façon personne au bureau n’est au courant et c’est très bien ainsi. On est vendredi, les collègues proposent d’aller boire un pot et Félix suit le mouvement. Le début d’une nuit d’ivresse où, à scooter dans les rues de Paris, il va cheminer de bars en boîtes de nuit, seul ou accompagné, pour oublier le gâchis de cette vie si tristounette. Il repense à ses vingt ans, aux copains et à l’insouciance de l’époque, quand il se rêvait romancier. Il repense à celle qu’il a aimée follement et qui l’a quitté, ce « fantôme » dont l’ombre ne le lâche pas d’une semelle depuis. En chemin il va croiser Louise. Entre eux deux, un semblant de début de quelque chose, une fenêtre qui pourrait s’ouvrir sur l’avenir. Oui mais voila, Félix est plus prompt à renoncer qu’à s’emballer, c’est tellement plus simple à gérer…

Personnellement, je ne garde aucun souvenir de la nuit de mes trente ans. Pas comme celle de mes dix-huit ans, que je n’oublierai jamais, mais c’est une autre histoire… En tout cas il aurait pu m’énerver ce premier roman. Il aurait dû m’énerver, même. Trop parisien, trop bobo, trop plein de boites de nuit et d’ivresse gratuite, trop futile. Et puis un gars de trente ans qui surfe sur le « c’était mieux avant », qui radote déjà, c’est typiquement le genre de personnage que j’ai envie de baffer. Sauf que ça n’a pas été le cas. Le Félix, j’ai aimé le suivre dans ses pérégrinations. J’ai aimé ses rencontres impromptues, sa façon de prendre les choses à la légère malgré ses questionnements existentiels, sa lâcheté permanente. C’est un trentenaire d’aujourd’hui, un romantique mollasson qui s’imagine un instant prendre un billet d’avion pour New York sur un coup de tête mais sait très bien qu’il n’en fera rien, que le métro-boulot-dodo restera son quotidien en attendant sagement la retraite ou la maladie. Désabusé mais pas révolté, faut pas exagérer…

Finalement Félix, il aurait pu se jeter dans la Seine après une nuit pareille, après un tel constat d’échec. Mais au lieu de ça, il rentre chez lui pour cuver, ni plus ni moins. Et je crois que c’est pour ça que je l’aime, allez comprendre... Après, les toutes dernières pages m’ont déçu, je n’ai pas compris le besoin de cette chute inattendue qui n’apporte strictement rien. Ce n’est qu’un détail mais il vient quelque peu gâcher la bonne impression d’ensemble, et c’est bien dommage.

La nuit des trente d’Éric Metzger. Gallimard / L’arpenteur, 2015. 108 pages. 10,90 euros.







mercredi 25 février 2015

Mille parages T1 - Simon Hureau

Tout tient dans le sous titre : « Fragments bourlingatoires  d’ici et d’ailleurs ». Des fragments donc, des histoires d’une à quinze pages qui relatent les pérégrinations de Simon Hureau en France et ailleurs. On le suit du Maroc à la forêt thaïlandaise, des bords de Loire à l’Italie, du Burkina Fasso à Reims. Loin des circuits touristiques, sac en bandoulière et mains dans les poches, prêt à dégainer le carnet,  les pinceaux et l’encre de chine pour croquer un oiseau, une scène de rue ou un insecte.

Une compilation regroupant des récits publiés depuis une douzaine d’années dans des revues plus ou moins confidentielles et enrichie de quelques inédits. Le coté fourre-tout n’est pas gênant le moins du monde, bien au contraire. On navigue avec plaisir d’un environnement à l’autre, le sourire aux lèvres en découvrant les déboires du dessinateur perdu dans la jungle d’une administration Burkinabé digne de Kafka, inquiet en le voyant errer dans les rues de Florence à la recherche d’un endroit où passer la nuit ou encore alléché par sa moisson de champignons dans la campagne creusoise.

Il se dégage de ces carnets de voyage une forme de légèreté cocasse mais surtout beaucoup d’humanité et d’humilité. Les faits sont relatés sans jugement, avec une curiosité permanente pleine de fraicheur et un respect profond des hommes et des lieux. C’est un vrai travail en immersion qui est proposé, direct et spontané, le dessin variant d’ailleurs beaucoup tout au long du recueil, avec pour point commun un noir et blanc des plus séduisant.

Un album dans lequel il fait bon se promener pour partager en toute simplicité l’expérience d’un globe-trotteur-dessinateur talentueux.


Mille parages T1 de Simon Hureau. La boîte à bulles, 2015. 160 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Mo’.





mardi 24 février 2015

Je suis le fruit de leur amour - Charlotte Moundlic

Ses parents lui ont dit qu’elle était le fruit de leur amour, alors elle les croit, forcément. Et s’ils ne s’occupent jamais d’elle, s’ils sortent chaque soir, la laissant entre les mains de cette tante qu’elle adore, c’est parce qu’ils sont trop occupés ailleurs. Et si elle est invisible à leurs yeux, c’est qu’elle ne les mérite pas : « Je me demande comment deux personnes aussi parfaites ont pu donner naissance à quelqu’un comme moi ». Des excuses, elle en trouve toujours pour pardonner leur manque d’attention, leur manque de tendresse, leurs manques tout court. Mais peut-être qu’un jour ou l’autre, elle saura regarder la vérité en face…

Prenez donc un quart d’heure pour lire ce texte. Respirez un grand coup avant de vous lancer et attendez-vous à le refermer la gorge serrée, surpris de constater que Charlotte Moundlic puisse créer une telle émotion avec si peu de mots. A hauteur d’enfant, la voix de cette petite fille résonne en grande partie grâce aux phrases courtes, au langage simple et direct dont se dégage une naïveté touchante. Le regard porté par la narratrice sur ses parents indifférents est sans filtre, sans le recul et l’expérience nécessaires pour saisir la duplicité des adultes. Parce qu’elle est le fruit de leur amour, ils l’aiment forcément. Et s’ils l’ignorent, c’est tout simplement parce qu’elle n’est pas digne des espoirs qu’ils ont placés en elle.

La peur terrifiante de ne pas être aimée, de ne pas mériter l’amour de ses parents est ici mise en lumière avec une justesse et une sobriété laissant de coté les  grosses ficelles larmoyantes qu’il aurait pourtant été facile d’utiliser. Tout simplement impressionnant !

Je suis le fruit de leur amour de Charlotte Moundlic. Thierry Magnier, 2015. 44 pages. 5,10 euros. A partir de 8-9 ans.

Et une nouvelle pépite jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.









samedi 21 février 2015

Mes oncles d’Amérique - Françoise Bouillot

La narratrice, aujourd’hui parisienne, se souvient de sa jeunesse à Alphabet City au début des années 80. Dans les rues interlopes de ce qui n’était pas encore l’East Village, son amie Grichka et elles, venues d’Europe des rêves d’artistes plein la tête, évoluaient au milieu des punks, bobos et autres travelos. Dans ces rues où il ne faisait pas bon traîner le soir venu, elles rencontrèrent Peter et Mark, vieux messieurs anglais cravatés comme à la City. Et elles nouèrent avec ce couple aussi désargenté qu’original une étonnante et profonde amitié.

Un petit texte d’à peine 70 pages pour une plongée douce-amère dans le New York des années 80. Au cœur du récit, ces « oncles d’Amérique »ayant dû fuir l’Angleterre trente ans plus tôt pour d’obscures raisons, et vivant depuis dans la clandestinité. Des personnages attachants pour lesquels les deux amies vont développer une affection sincère et bienveillante. Beaucoup de tendresse mais aussi quelques passages grinçants dans cette comédie de mœurs subtile et pleine de nostalgie.

Françoise Bouillot, révélée avec son premier roman « La boue », n’avait rien publié depuis 2002, sans doute trop accaparée par ses travaux de traduction (de Bill Bryson, Agatha Christie et Donald Winnicott, entre autres). Je la découvre ici avec plaisir, enchanté par sa plume élégante et légère.

Mes oncles d’Amérique de Françoise Bouillot. Editions Joëlle Losfeld, 2015. 72 pages. 12,00 euros.