Ceux qui passent ici souvent savent à quel point j’aime
entretenir ma réputation de cœur de pierre. Pensez donc, un gars qui n’a pas
versé une larme à la lecture de
Nos étoiles contraires, un gars qui peut
regarder Bambi sans sourciller… Un vrai dur, quoi. Alors quand j’ai croisé cet
album, je ne pouvais que foncer la tête la première.
Ce conte surprenant narre la rencontre entre un enfant au cœur de pierre
(avec une vraie pierre à la place du cœur) et une petite fille au cœur d’artichaut
(avec un vrai artichaut à la place du cœur). Quand leurs regards se croisèrent
la première fois, ce fut un coup de foudre pour elle.
« Elle ouvrit sa poitrine et en sortit son cœur
et tandis qu’il battait dans le creux de sa main,
Elle fut étonnée de n’avoir pas plus peur
Au moment de l’offrir pour toujours à quelqu’un. »
Mais lorsqu’elle lui tendit une feuille arrachée à son cœur d’artichaut,
le garçon la déchira et passa son chemin sans lui adresser la parole. Il faut dire
que personne ne lui avait jamais expliqué comment sourire aux gens ou comment leur
parler, ni comment les comprendre ou comment les aimer.
Une histoire d’amour avec grand
A, qui vous attrape entre ses griffes et vous fait un mal de chien. C’est à la
fois tellement beau et tellement triste…
En plus, il n’y a aucun dialogue,
tout le texte est constitué de récitatifs rédigés en alexandrins. Un tour de
force incroyable où la poésie rejoint la bande dessinée dans une alchimie quasi
parfaite. Il faut dire aussi que le dessin de Jérémie Almanza est absolument
somptueux. Avec son trait tout en souplesse il créé des personnages au corps
fragile et à la tête démesurée, ce qui lui permet notamment de beaucoup jouer
sur l’expressivité des visages (et des yeux en particulier). La couleur occupe
quant à elle une place fondamentale. Les textures vaporeuses sont magnifiées
par le contraste entre l’univers rose orangé plein de joie de la petite fille
et celui beaucoup plus sombre, verdâtre et triste du garçon.
De la poésie en BD, tout
simplement. S’il y avait une morale à retenir de cette histoire c’est que même
un cœur de pierre peut être brisé.
Un peu facile de dire que j’ai eu
un coup de cœur pour cette BD jeunesse, mais c‘est pourtant bien le cas. Maintenant,
je me demande comment un tel album peut être « accueilli » pas les
enfants auxquels il s’adresse et qui ont souvent l’habitude de ne lire que des
histoires se finissant bien. Je n’ai pas mes filles sous la main cette
semaine mais dès qu’elles reviennent de vacances je leur propose cette lecture.
Curieux de savoir ce qu’elles vont en penser.
Allez, encore un petit quatrain pour le plaisir :
« Cet après-midi-là, pour la première fois,
Elle comprit enfin qu’il ne l’aimerait pas
Et que son cœur de pierre était beaucoup trop lourd ;
Qu’il était simplement incapable d’amour. »
Cœur de pierre de Séverine Gauthier et Jérémie Almanza. Delcourt,
2013. 32 pages. 9,95 euros.