mercredi 7 octobre 2015

Au revoir là-haut - Pierre Lemaitre et Christian De Metter

Pour les rescapés de l’horreur de la Grande Guerre, difficile de retrouver une place dans la société civile. Albert et Edouard l’ont bien compris, la France n’a que faire de ses démobilisés et n’a de toute façon pas les moyens de les aider à se réinsérer. D’ailleurs, la patrie préfère glorifier ses morts et oublier les survivants, surtout quand ces derniers sont revenus amochés comme Edouard, gueule cassée refusant de dissimuler son facies sous une prothèse. Devant tant d’ingratitude, les deux amis comprennent que seule la débrouille leur permettra de survivre. Et quoi de mieux qu’une arnaque surfant sur la veine mémorielle pour assouvir une vengeance et s’imaginer un avenir...

Je n’ai pas lu le roman (acheté pourtant à sa sortie), et je pense que c’est un handicap au moment de découvrir cette adaptation. La comparaison m'aurait sans doute permis de mieux saisir les nombreuses différences entre les deux (notamment la fin, si j’ai bien compris). Il est rare qu’un écrivain adapte lui-même son roman en BD, sans doute parce que la narration « graphique » implique une prise de hauteur, une distance avec le texte d’origine qu’il n’est pas simple de mettre en œuvre. Ici,  Pierre Lemaitre a eu la chance d’être parfaitement accompagné pour mener à bien son projet. Il ne pouvait trouver meilleur partenaire que Christian De Metter, dessinateur s’étant déjà fait remarquer, entre autres, pour son adaptation de Shutter Island.

Comment passer de 600 à 160 pages ? En étant forcément moins bavard, en ne reprenant aucun dialogue ni extrait, en proposant un récit plus tendu, plus dans l’ellipse, le raccourci. Avec la BD on est davantage dans la suggestion . Le superbe travail sur les regards et leur expressivité par exemple en dit bien plus sur la psychologie des personnages que de longs récitatifs. Clairement, la force du dessin prend le pas sur l'écriture. D'ailleurs ce dernier n'a aucun mal à le reconnaître quand il il parle de son duo avec De Metter : « C'est mon histoire, mais c'est vraiment son album ».

L'interprétation « visuelle » d'un texte aussi littéraire avait, avant le coup, tout du plan casse-gueule. Mais la mise en images, inspirée et pleine de souffle, tendant même parfois vers le burlesque, offre une nouvelle dimension au Goncourt 2013 et évite l'écueil de la fidélité absolue à l'oeuvre d'origine. Une incontestable réussite.


Au revoir là-haut de Pierre Lemaitre et Christian De Metter. Rue de Sèvres, 2015. 168 pages. 22,50 euros.



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec ma très chère Noukette.


L'avis de Livresse des mots ; celui d'Antigone



mardi 6 octobre 2015

Le premier mardi c'est permis (41) : Pas dans le cul aujourd’hui - Jana Cerna

« Pas dans le cul aujourd’hui / j’ai mal / et puis j’aimerais d‘abord discuter un peu avec toi / car j’ai de l’estime pour ton intellect. »

Le premier vers de ce poème donne ici son titre à une longue lettre d’amour. Car ce texte est bien une seule et unique lettre d’amour adressée par Jana Cerna à son amant Egon Bondy au début des années 60. Cerna, icône de la culture underground pragoise décédée dans un accident de la route en 1981, écrit à celui qui vient à peine de la quitter mais lui manque déjà tant. « J’ai commencé à écrire cette lettre qui n’a ni rime ni raison, où je ne veux rien révéler ni rien résoudre, mais je ne crois pas qu’il y ait besoin d’explication, tu comprendras sûrement et ça ne te posera pas de problème. »

Elle revendique l’impossibilité de séparer le désir physique, la sexualité et l’intellect, exprime son refus de se soumettre à la primauté masculine, défend le pouvoir de l’imagination tant malmené par le stalinisme et invite à lier de manière inéluctable et naturelle poésie et philosophie. Une prise de position sans concession, parfois mystique, pleine de souffle et de vitalité, traversée par des passages dignes d’une confession amoureuse des plus touchantes : « Je me sens bien et j’ai la certitude que tout est pour le mieux, qu’il n’arrivera jamais rien qui ne doit arriver. Je ne peux pas te perdre et toi, tu ne peux pas me perdre, l’état des choses et ceux qui s’en prévalent n’y peuvent plus rien, nous sommes arrivés à un tel point que c’est sûr et certain. Comment cela arrivera n’est pas de notre ressort, je n’ai aucune intention de forcer le destin et je m’accorde le luxe de cette insouciance d’un cœur léger. » ou encore « il faut savoir aimer et j’ai payé cher pour l’apprendre, je ne sais pas si j’ai réussi, mais ce dont je suis sûre et certaine, c’est que ce temps et ce prix-là m’ont permis de comprendre ce que c’est que d’aimer et que tu es le seul homme avec qui je puisse avoir une relation digne de ce mot profané et banal, mais pourtant clair et précis. »

Dans le dernier tiers, elle se lance dans une énumération érotique de ses envies et de sa frustration due à leur éloignement avec une incroyable liberté de ton :  « Pourquoi sacredieu n’est-je pas ta langue dans ma chatte alors que c’est mon plus ardent désir, pourquoi je ne sens pas la chatouille douloureuse de ta morsure sur la plante de mes pieds, pourquoi je ne peux pas te tendre mon cul pour que tu le possèdes, le morde, l’étrilles et l’arroses de ton sperme ? » / « Je voudrais te coucher sur le dos et te mordiller les tétons, lécher le fond de ton nombril et prendre tout à tour chacune de tes couilles dans ma bouche jusqu’à te faire geindre. »

Cette lettre d'une sincérité et d'une force d'évocation remarquable dresse le portrait d'une femme libre et indomptable, d'une femme amoureuse et insoumise, d'une femme incapable de se comporter de manière raisonnable. Une femme moderne, quoi.


Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna. La contre allée, 2014. 92 pages. 8,50 euros.

Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka en ce premier mardi du mois où, grâce à Stephie, tout est permis !










samedi 3 octobre 2015

Dandy - Richard Krawiec

Artie et Jolene. Lui est un voleur à la tire vivotant sans domicile fixe. Un laissé-pour-compte que personne ne remarque. Elle, de son coté, élève seule Dandy, son fils de deux ans qui sera bientôt aveugle si elle ne trouve pas les deux mille dollars nécessaires pour le faire opérer. Il la voit pour la première fois dans un bar. Elle est à moitié nue sur le ring au milieu de la salle, prête à se rouler dans la Jell-O avec une catcheuse sous les hurlements porcins d'une foule surexcitée. La seule solution qu'elle ait trouvée pour dégoter quelques billets. Il la rattrape dans la rue après le combat, entame la conversation. Le début d'une histoire d'amour passionnée et chaotique.

Un roman de 1986 qui plonge le lecteur au cœur du désespoir. Une mère qui n'a pas les moyens de sauver son bébé, le nourrit au beurre de cacahuète et au biberon de pepsi, qu'elle coupe au whisky quand elle veut l'assommer quelques heures. Un pauvre type, beau parleur, magouilleur à la petite semaine. Des pas grand-chose dans l'Amérique des années 80 et son capitalisme triomphant. Jolene et Artie sont des personnages inoubliables. Des personnages acculés, incapables de joindre les deux bouts. Ils veulent éviter la noyade, tentent des choses, se débattent. Échouent. Relèvent la tête, s'interrogent, replongent. Ils rêvent, tirent des plans sur la comète, envisagent des solutions extrêmes, les mettent en œuvre. Se plantent. Mais ils s'aiment et finalement, rien n'est plus important.

Au-delà du désespoir reste une humanité et une vitalité qui amène un rayon de lumière dans les ténèbres. Richard Krawiec n'enjolive rien. Il fut l'un des premiers auteurs américains à donner des cours d'écriture dans des centres d'accueil de SDF, des prisons ou des cités défavorisées, guidé par le souci de redonner la parole à ceux qui ne l'ont plus. Avec Artie et Jolene, il dresse le portrait d'un couple incroyablement touchant, un couple qui avance à tout petits pas et ne va nulle part. C'est beau et tragique sans jamais être sordide, malgré les apparences.

L'ombre de Selby plane sur ce grand roman, sombre et crépusculaire. De la littérature américaine sans gants, décomplexée. Celle que j'aime plus que toute autre.

Dandy de Richard Krawiec. Points, 2015. 240 pages. 6,70 euros.








vendredi 2 octobre 2015

Alcoolique - Jonathan Ames et Dean Haspiel

J’adore la séquence d’introduction de cet album (peut-être parce qu'elle me rappelle quelques souvenirs de jeunesse...). Jonathan A., le narrateur et double de l’auteur, se réveille à l’arrière d’une voiture, pendant qu’une naine d’un certain âge (pour ne pas dire d’un âge certain) lui tripote la braguette. Il ne sait pas comment il est arrivé là mais quand les flics viennent cogner au carreau, il prend ses jambes à son cou, trouve refuge sur la plage, s’allonge sous un ponton et s’enfouit dans le sable pour passer inaperçu.

Entre temps, il a commencé à raconter son histoire. Ses premiers déboires avec l’alcool, à 15 ans. Des bières partagées avec son meilleur copain. Il trouve le goût infect et vomit presque à chaque biture, mais boire le rend cool aux yeux des autres alors que d’habitude, il passe inaperçu. Puis vient son dépucelage (un fiasco), ses études, brillantes, jusqu’au diplôme obtenu à la prestigieuse fac de Yale. La mort de ses parents dans un accident de voiture est un tournant. Il part pour Paris avec l’argent de son héritage et s’abîme dans la boisson et la drogue. Retour au pays, cure de désintox. Des années de sevrage, un boulot de taxi à New Haven, la publication d’un premier roman, un polar fortement inspiré d’Hammett et Chandler. Un gros chagrin d’amour et c’est la rechute. Sans parler de la tragédie du 11 septembre qu’il vit en direct depuis le toit de son immeuble New-yorkais et la perte de Sal, son ami d’enfance, emporté par le sida. Une succession de coups durs et une plongée vertigineuse (vodka, bière, cocaïne et héroïne), dont il ne se remet pas…

Si vous me connaissez un peu, vous vous doutez que cet album me va comme un gant. Peut-être parce qu’Alcoolique est un roman graphique de mec. Entendons-nous, pas un mec plein de testostérone, sûr de lui, avançant gaillardement et franchissant les obstacles avec calme, maîtrise et maturité, mais plutôt un mec fragile, faible, lâche, incapable de sortir la tête de l’eau et possédant suffisamment de lucidité pour proposer une belle dose d’autodérision. Du loser comme je les aime, tellement paumé qu’il en devient touchant. Il pense qu’il va s’en sortir, se dit que chaque cuite sera la dernière en sachant pertinemment qu’il remettra le nez dans un verre à la première occasion. C’est à la fois triste et drôle, pathétique surtout, mais jamais geignard.

Contrairement au sujet, le dessin est sobre (oui, elle est facile mais je suis fatigué en ce moment…). Du noir et blanc réaliste aux cadrages maîtrisés. Pas de fioriture et une recherche d’efficacité qui fait mouche.

Confession sans pathos de la romance destructrice d’un homme avec la bouteille, Alcoolique est une vraie belle réussite. Premier roman graphique des éditions Toussaint Louverture (Mailman, vous vous rappelez ?), l’ouvrage est, comme toujours chez cet éditeur, d’une qualité de fabrication bien au dessus de la moyenne. Un objet livre-livre somptueux et un contenu à consommer sans modération ! (fatigué je vous dis…).

Alcoolique de Jonathan Ames et Dean Haspiel. Monsieur Toussaint Louverture, 2015. 144 pages. 22,00 euros.







mercredi 30 septembre 2015

Les équinoxes - Cyril Pedrosa

 « Je pense à toutes ses vies qui auraient été possibles et j’ai l’impression de ne pas en avoir vécu une seule. Au moins une. » La peur panique de ne pas avoir existé pleinement. Ce sens que l’on cherche et que l’on ne trouve pas. La certitude de naître et de mourir seul, la certitude que personne ne viendra nous sauver. Beaucoup de mélancolie, un zeste de nostalgie, la lucidité devant le temps qui passe et n’arrange rien. Des destins qui défilent, se croisent ou s’évitent en quatre tableaux, quatre saisons, de l’automne à l’été.

Vincent, son ex-femme, son frère Damien, sa fille Pauline. Louis, militant communiste septuagénaire. Catherine, secrétaire d’état à l’environnement. Camille, Antoine, Edith… Une levée de bouclier contre la construction d’un aéroport, une usine qui ferme. Des gens qui luttent, se démènent, se résignent. Il y a tout cela dans cet album choral où les solitudes intérieures semblent ne jamais être capables de partager leur ressenti, leur mal-être, leurs combats.

Pour moi, un nouvel album de Pedrosa est un événement majeur. C’est un auteur qui m’avait bouleversé avec « Trois ombres » et m’avait totalement impressionné par sa maîtrise narrative et graphique tout au long de « Portugal ». Clairement, « Les équinoxes » ne pouvait qu’être la BD de l’année. Sauf que. Ça n’a pas été le raz de marée que j’attendais, le tourbillon plein d’émotion qui devait m’emporter à coup sûr. Peut-être une œuvre trop intime, trop personnelle, trop introspective. Les thèmes et les réflexions se veulent universelles mais je suis resté à l’écart. Et puis les longs récitatifs qui viennent s’insérer entre les différentes séquences dessinées (et qui ont servi de matériau de base au récit), ralentissent la fluidité de l'ensemble. Le procédé a quelque peu gêné ma lecture et gâché mon plaisir.

Graphiquement, c'est impressionnant et j’adore toujours autant ce trait à la fois nerveux et très relâché qui se reconnait au premier coup d’œil. A chaque saison sa technique (aquarelle pour l’automne, crayon à papier pour l’hiver, pastel et crayons de couleur pour le printemps, couleurs franches sans noir pour l’été). Un album dense, ambitieux, intelligent et profond. Très au-dessus de la production actuelle. Un album que j’aurais aimé adorer. Mais la magie n’a pas opéré. Pour autant, Pedrosa reste à mes yeux l’auteur le plus talentueux de sa génération, et cette semi-déception ne va rien y changer.



Les équinoxes de Cyril Pedrosa. Dupuis, 2015. 330 pages. 35,00 euros.


L'avis de Jacques

La BD de la semaine est aujourd'hui chez Noukette




mardi 29 septembre 2015

146298 - Rachel Corenblit

146 298. Encrée. Et ancrée. Une suite de chiffres sur le bras de sa grand-mère. Une suite de chiffres dont elle a compris le sens pendant un cours d’histoire sur la seconde guerre mondiale. Le secret bien caché s’est enfin révélé à elle et a pris sens. Aujourd’hui, Elsa se fait tatouer sur le bras le douloureux héritage. Parce que sa grand-mère à la mémoire défaillante lui a enfin parlé de cette expérience innommable. La rafle, le convoi, le camp. La faim, la soif, le froid, la cruauté, l’entraide. La mort partout. La survie, coûte que coûte. Aujourd’hui, Elsa va garder à jamais la trace d’une histoire familiale frappée par la folie des hommes. Une histoire qui la bouleverse au point de vouloir la ressentir dans sa chair. Pour ne jamais oublier.

Encore un texte coup de poing dans cette collection qui ne cessera jamais de me surprendre. Le monologue d’Elsa, entrecroisant sa vie et celle de sa grand-mère, sonne avec une justesse qui laisse groggy. Pas un mot de trop. Phrases courtes. Écriture incisive. Percutante. La douleur qui s’imprime sur le bras d’Elsa et sur la rétine du lecteur. Un monologue qui, une fois de plus et sur un sujet pourtant abordé des milliers fois, parvient à frapper au cœur et aux tripes. Avec une économie de moyen remarquable, loin de tout lyrisme excessif et sans jamais tomber dans le tire-larmes. Aussi bluffant que poignant.

146298 de Rachel Corenblit. Actes Sud Junior, 2015. 66 pages. 9,00 euros. A partir de 13 ans.



Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir
de partager avec Noukette





lundi 28 septembre 2015

Fordetroit - Alexandre Friederich

Après avoir lu le dernier Reverdy, j'ai eu envie de retourner à Detroit. Ça tombe bien, le Suisse Alexandre Friederich y a passé quelques temps l'an dernier. Au cœur du désastre, il a parcouru les quartiers sinistrés à vélo, ne pouvant que constater l'ampleur des dégâts. Une ville frappée de plein fouet par la crise économique, symbole de l'échec du capitalisme. Une ville désertée par ses habitants (la population est passée de 1,5 millions à 700 000 âmes), une ville devenue la proie des flammes (« A Detroit les incendies sont constants.Pas une minute ne se passe sans que les flammes ne ravagent une partie de la ville. »), une ville où se succèdent les bâtiments désaffectés et où le taux de criminalité est le plus élevé du pays.

L'auteur est persuadé qu'à Detroit, la fin du monde a déjà eu lieu. C'est pour lui un laboratoire dans lequel il va pouvoir étudier l'avenir de l'humanité. Logeant chez l'habitant, il déambule dans une ville fantôme à la recherche des formes de vie ayant survécu à l'apocalypse. Il va croiser des junkies, des SDF, des chômeurs, des éclopés en tout genre.Mais aussi des citoyens ayant conservé une once d'espoir, ayant fait de la débrouille et de l'autogestion leur raison d'être. Des gens debout face à la tempête : « On a l'impression par ici que ce qui se passe est une des images de l'avenir. Et cependant, la vie continue. »

Avec Friderich, pas de plans larges sur les ruines, pas une vue d'ensemble de la catastrophe mais une plongée digne d'un ethnologue, au plus près des lieux et des gens. Ni fiction, ni carnet de voyage, ni reportage, ce texte inclassable est traversé par de très beaux passages : « Quel jour sommes-nous ? Un jour ouvrable, un jour de semaine. Difficile à croire. Tout est enfoui, abstrait, cataleptique. Au-dessous du niveau des émotions. Ici dans le centre, après les fastes de la production et le capitalisme conquérant, les retombées sont catastrophiques : le puits de langage est soufflé, les forces vitales défaites, le sens perdu. Une révolution dramatique. L'homme a déserté la scène. Le silence occupe la place. »

Alors que Reverdy était dans le « pendant » de l'écroulement de la ville, au début de la crise des subprimes en 2008, Friederich est lui dans « l'après ». Il déploie au fil de sa traversée à vélo la maquette du monde à venir, un monde qui, bien que frappé en plein cœur, ne cesse de renaître de ses cendres. Une réflexion lucide, optimiste et d'une grande beauté.

Fordetroit d'Alexandre Friederich. Allia, 2015. 128 pages. 6,50 euros.

samedi 26 septembre 2015

Les loups à leur porte - Jérémy Fel

J’ai lu ce roman suite à complot ourdi par mes deux blogueuses belges préférées. C’est d’abord La fée lit, qui en a fait un coup de cœur et a pensé qu’il pourrait me plaire tout en me sortant de ma zone de confort. Et c’est ensuite Cajou qui a eu la gentillesse de me l’offrir (plein de poutous pour la peine !).

Je me suis donc lancé en toute confiance, même après avoir lu sur la quatrième de couv  qu’une « atmosphère  énigmatique et troublante, entre Twin Peaks et Stephen King » m’attendait, alors que d’habitude ce genre de références me fait fuir à toutes jambes.

J’ai cru dans un premier temps  avoir affaire à un recueil de nouvelles. Le livre s’ouvre sur un incendie volontaire aux États-Unis en 1979. Deux morts et le coupable, tapi dans l’ombre, qui regarde son  œuvre le sourire aux lèvres. Second chapitre, des années plus tard, toujours aux États-Unis, un ravisseur d’enfant file en voiture vers Chicago, s’arrêtant pour la nuit dans un motel sordide. Troisième chapitre, près d’Annecy, une maison isolée et une baby-sitter psychologiquement fragile, pour ne pas dire plus, qui va foutre la trouille de sa vie au gamin qu’elle garde. Quatrième chapitre, à Nantes, une femme quitte son mari après avoir découvert qu’il l’a trompe...

Quatre histoires, quatre lieux et quatre époques à priori sans aucun rapport. Mais à partir du chapitre suivant, on retrouve un des personnages du début. Et de fil en aiguille, on commence à comprendre que des interactions vont naître, que tout cela est un gigantesque puzzle narratif dont les pièces, d’apparence totalement incompatibles, vont finir par s’emboîter. Diabolique.

Ok, j'avoue, je me suis laissé piéger comme un bleu, même si j’ai quelques bémols. La fin est trop abrupte, et surtout il y a des répétitions et des tournures de phrases assez maladroites qu’une relecture attentive (de l’éditeur notamment) aurait permis d’éviter. Je sais bien que c’est un premier roman et que l’indulgence doit être de mise mais quand même.

Après, au-delà de ces bémols, impossible de ne pas reconnaître la capacité de l’auteur à mettre en place une ambiance angoissante à souhait. Sans tomber dans le gore ni dans la violence à outrance, mais en privilégiant une forme de suggestion bien plus efficace. Et avec une écriture très visuelle, des scènes s’enchaînant de façon cinématographique et une construction du récit particulièrement maline.

Efficace est le mot qui caractérise le mieux ce texte je pense. Tellement efficace que malgré une semaine chargée et épuisante, je n’ai pas pu aller me coucher chaque soir sans avaler quelques dizaines de pages, impatient de savoir comment tout cela allait se terminer.

Efficace et culotté. Et drôlement bien fichu, malgré une écriture qui, littérairement parlant, a encore besoin de gagner en maturité. De toute façon, pour que je dévore 430 pages aussi vite, il faut que je sois ferré. Et pas qu’un peu.

Alors merci aux copines belges qui m’ont fait un beau cadeau avec ce premier roman vers lequel je ne serais jamais allé tout seul et qui m’a fait passer de très agréables heures de lecture.

Les loups à leur porte de Jérémy Fel. Rivages, 2015. 435 pages. 20,00 euros.





vendredi 25 septembre 2015

Les lectures de Charlotte (10) : Moi grand, toi petit de Lilli L’Arronge

Un album trop mimi, basé sur un jeu d’oppositions et de contraires. Un parent et son enfant partagent des moments empreints de complicité et de complémentarité. Les doubles pages se répondent sans cesse, les situations s’enchaînent, variées et très parlantes : « Moi je range, toi, tu déranges » ; « Moi, je suis épuisé, toi, tu es réveillé » ; « Toi, patatras, moi sparadrap ».

 C’est tendre et drôle, on passe en revue le quotidien avec une simplicité, tant graphique que narrative, d’une redoutable efficacité. Et au-delà de cette simplicité apparente, l’adulte voit en filigrane l’opposition classique, nécessaire et indispensable entre la responsabilité du grand et l’inconscience du petit, entre la force du grand et la fragilité du petit, entre les ruses du grand et la malice du petit…




A lire à voix haute, à partager sans modération avec son enfant sur les genoux. Charlotte adore, et ne se lasse jamais de retrouver ce duo si craquant ! La liaison texte/image est incroyablement expressive et cet album prouve une fois de plus qu’il n’y a pas besoin de grands effets pour engendrer l’émotion, qu’un petit dessin accompagné de quelques mots vaut mieux qu’un long discours.




Moi grand, toi petit de Lilli L’Arronge. Didier jeunesse, 2015. 40 pages. 13,10 euros. A partir de 2 ans.





jeudi 24 septembre 2015

Mà - Hubert Haddad

C’est ainsi, il pleut
je suis trempé
je marche

Joli projet que celui de retracer le parcours de Santoka, le dernier grand haïkiste (1882-1940). Un homme peu épargné par les coups durs, né à la campagne et ne s’étant jamais remis du suicide de sa mère alors qu’il n’était qu’un enfant. Des études universitaires rapidement avortées, une existence sans relief, un mariage raté, la découverte de la poésie et la volonté de suivre les pas du grand maître Basho l’auront poussé à découvrir le Japon à pied, dans le dénuement le plus total, pendant plusieurs décennies. Ce buveur invétéré, ne cherchant rien d’autre que « vivre pleinement l’instant » était persuadé que « la marche à pied mène au paradis ».

Un plaisir de retrouver le Hubert Haddad que j’aime, tout en délicatesse. A l’image du marcheur impénitent, il prend son temps, s’attarde sur des détails dont l’insignifiance cache une réelle profondeur. Il décrit une vie d’ascète et de dépouillement faite d’observation et de méditation, une vie d’errance et de mendicité pleine de sens. Et le tout sans enjoliver les choses ni les fantasmer, sans occulter la faim, le froid, la pluie, la misère, la solitude ou encore l’accueil parfois agressif des villageois chez qui Santoka demande l’aumône.

La construction du récit est malicieuse, je vous laisse la découvrir par vous-même. Surtout, l’écriture d’Haddad, sensible et à l’écoute d’une nature évoluant au gré des saisons, est d’une douceur qui fait un bien fou. Un roman zen dans la veine de l’excellent « Peintre d’éventail », idéal pour attaquer la rentrée du bon pied.

d’Hubert Haddad. Zulma, 2015. 246 pages. 18,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Philisine.






mercredi 23 septembre 2015

Carnet de santé foireuse - Pozla

« Tout est parti de ce carnet. Ma bouée de sauvetage, ma soupape, mon crachoir. Après, si je voulais qu’on saisisse mes gribouillis, fallait remettre dans le contexte et développer. […] En posant mes tripes sur la table, le récit s’est imposé. L’errance médicale… les arcanes de la maladie, dans lesquels on zone dans nos chemises trop courtes. Puis refaire surface, petit à petit.»

Ses tripes sur la table… il ne pouvait pas dire mieux. Dans ce pavé de 368 pages, Pozla revient sur une douloureuse expérience  vécue à l’automne 2011 et dans les mois qui suivirent. Il y décrit, non sans humour, le long chemin de croix l’ayant amené aux portes de l’enfer. Depuis l’enfance, un mal de ventre ne l’a jamais lâché. Pour les médecins consultés, toujours la même rengaine et toujours la même conclusion : psychosomatique. Sauf que. Les symptômes persistent. S’aggravent même. Et le verdict fini par tomber : « inflammation sérieuse de la paroi de l’intestin grêle. Suspicion d’une maladie de Crohn ». Une maladie rare et incurable. L’opération est inéluctable. 80 cm d’intestin en moins. Le début du calvaire.



Incroyable. Incroyable qu’un gars me racontant ses problèmes gastriques et intestinaux ait pu m’immerger à ce point au plus près de sa souffrance. Avec ses mots à lui. Ses images surtout. Sans jamais tomber dans le geignard. Avec une forme d’autodérision qui nous arrache des sourires, une vision à la fois désespérée et  positive. Une volonté permanente de comprendre, d’être à l’écoute de son corps, de trouver coûte que coûte une solution. Le doute, la dépression qui guette et attend son heure. Le soutien inconditionnel de sa femme alors que plus d’un conjoint aurait baissé les bras devant la lourdeur de son cas. Sa fille de quelques mois qu’il ne peut même plus porter tellement il est affaibli. Et puis la pente que l’on commence à remonter. Comprendre que le mal est aussi psychologique, que le ventre et la tête sont intimement liés. S’essayer à l’hypnose, trouver le régime alimentaire qui soulage. L’espoir, toujours, malgré les embûches et les rechutes.


Graphiquement, on sent l’urgence et on navigue entre les Freaks Brothers de Shelton, Reiser et les idées noires de Franquin. Ce carnet de croquis ne devait pas être publié au départ. C’était un phare en pleine tempête, un ballon d’oxygène indispensable gribouillé sur un lit d’hôpital. Souvent, ça part dans tous les sens, symbole d’un esprit torturé par la douleur. Car finalement le personnage principal de l’album, c’est elle. Comment la gérer alors qu’elle vous pousse dans vos derniers retranchements ? Comment la dompter, l’affronter ? S’avouer vaincu parfois devant sa puissance. Comment la représenter ? L’ensemble est d’une inventivité folle, délirante dirons certains. Normal, quand on sait le nombre incalculable de médicaments avalés par le dessinateur et leurs effets sur son métabolisme.



Mais au final, le récit est bien plus structuré qu’il n’y paraît. De toute façon, son ami Manu Larcenet l’avait prévenu : «  Si tu n’es pas irréprochable dans la manière dont tu exploites ton sujet, ça fera un livre forcément raté. C’est que tu t’attaques à un Everest, là… ». Mission accomplie, l’Everest a été conquis avec brio. En ce qui me concerne, je suis sorti totalement abasourdi et admiratif devant cet album inoubliable. Pas loin d’être mon plus gros coup de cœur BD de l’année !

Carnet de santé foireuse de Pozla. Delcourt, 2015. 368 pages. 34,95 euros.





samedi 19 septembre 2015

Il était une ville - Thomas B. Reverdy

Lorsque le français Eugène débarque à Détroit en 2008, la ville semble être au bord de la disparition. Usines fermées, centre ville ghettoïsé, paupérisation galopante, maisons à l’abandon incendiées par des bandes de gosses  en mal de sensations fortes… la Catastrophe (crise des subprimes et effondrement des banques) a frappé de plein fouet Motor City, en faisant une ville fantôme, symbole d’une Amérique en déliquescence. Eugène ne vient pas en touriste, il est envoyé par « l’Entreprise » afin de développer un projet baptisé « l’intégrale ». Mais il se rend vite compte qu’il ne pourra mener à bien sa tâche car son employeur n’a plus les moyens de ses ambitions. Alors Eugène traîne dans les bars et va rencontrer la douce Candice. De leur coté, Stro, Gros Bill et Charlie, trois ados un peu paumés, vont quitter leurs foyers et rejoindre dans « la Zone » une école désaffectée où des centaines d’enfants vivent en communauté sous les ordres de l’impitoyable Max. Georgia, la grand-mère de Charlie, va vouloir le retrouver à tout prix. Son chemin croisera celui du lieutenant Brown, flic désabusé ayant perdu à peu près toutes ses illusions…

Résumé de la sorte, on voit déjà à quel point le récit semble décousu. Les histoires sont menées en parallèle et si certains protagonistes finissent par se rencontrer au fil des événements, le lien est loin d’être évident. On passe de l’un à l’autre, on survole plus que l’on ne creuse en profondeur. Comme dans Les évaporés, Reverdy s’intéresse à ceux qui disparaissent d’un monde en perdition, ceux qui survivent à leur manière alors que tout s’écroule autour d’eux, mais d’une façon assez artificielle je trouve.

J’avoue que je suis resté un peu sur le bord de la route. Je m’attendais à un regard plus sociologique porté sur la première mégalopole américaine à se déclarer officiellement en faillite. L’écriture est superbe, vibrante, pleine de souffle. Mais pour le reste, on tourne un peu à vide et les grosses ficelles romanesques manquent de finesse. Pas une déception à proprement parler parce que la plume de Thomas Reverdy est un enchantement et justifie à elle seule que l’on se plonge dans ce roman mais clairement, je n’y ai pas pris le même plaisir qu’à la lecture des « évaporés ».

Il était une ville de Thomas B. Reverdy. Flammarion, 2015. 270 pages. 19,00 euros.

Les avis de Delphine Olympe, Kathel et Laure.





vendredi 18 septembre 2015

Une journée parfaite - Danny Parker et Freya Blackwood

Une journée parfaite, c’est un rayon de soleil, des jeux simples, un gâteau que l’on prépare dans la cuisine, une balade au grand air, un cerf volant porté par le vent, une vue imprenable, une comptine enfantine, un endroit confortable, quelqu’un à câliner, une nuit douce et du temps pour rêver…

Qu’il est beau cet album ! Hors des modes et du temps, nimbé d’une certaine forme de sérénité, enchaînant des petits riens qui forment le grand tout d’un jour de vacances idéal. Un texte minimaliste et poétique capturant la simplicité de moments idylliques. Des enfants qui jouent, déambulent, s’occupent avec plaisir, sans écrans et sans disputes, ce n’est pas de la science fiction. Bien sûr, il se dégage de l’ensemble un petit coté désuet et suranné, renforcé par des illustrations « à l’ancienne » qui rappellent les livres d’antan, mais c’est ce qui en fait tout le charme.




Un album lumineux et tendre dont l’atmosphère estivale pleine de douceur met du baume au cœur. Idéal pour affronter les tristes et venteuses soirées d’automne qui s’annoncent.

Une journée parfaite de Danny Parker et Freya Blackwood. Grasset jeunesse, 2015. 40 pages. 13,90 euros. A partir de 3 ans.







jeudi 17 septembre 2015

Crans-Montana - Monica Sabolo

A Crans-Montana, dans les années 60, un groupe d’ados fantasme devant les trois C. : Chris, Charlie et Claudia. Des filles aux caractères bien différents, dont les apparitions relèvent d’une certaine forme de magie, figures spectrales aussi désirables qu’intouchables. Des décennies plus tard, les garçons repensent avec nostalgie à ces moments marquants et constatent que la vie et le temps qui passe n’ont épargné personne…

Il y a à peu près tout ce que je déteste dans ce livre, tant au niveau de l’atmosphère que de la façon dont le sujet est traité. Pourtant au début j’y ai cru, pensant tomber sur les souvenirs de puceaux en rut face à des filles inaccessibles et me rappelant à quel point j’avais aimé cette thématique dans Un été 42. Sauf que cette entrée en matière alléchante a vite laissé place à une succession de tableaux fugaces sans intérêt et à des réflexions d’un vide abyssal. Une jeunesse dorée qui se languit dans une confortable station de ski huppée, sous les poutres apparentes de chalets hors de prix, avec le petit personnel au garde à vous, le doigt sur la couture du pantalon... Typiquement un environnement que j’adore, vous vous en doutez ! On roule dans des voitures de luxe, on se noie dans le champagne et on mange le caviar à la louche, on porte fièrement des fourrures véritables et des bijoux de grands joailliers, bref on est riche à crever et il importe de le montrer.

Les C., en vieillissant, vont connaître de nombreux déboires, de la mère indigne à la dépressive suicidaire. Les gamins, devenus de respectables (et fortunés) pères de famille, vont s’ennuyer ferme dans des vies de couples sans relief et revenir sans cesse vers ces années d'adolescence où le champ des possibles semblait infini. Destins tragiques censés nous tirer des larmes parce que c'est bien connu, l'argent ne fait pas le bonheur… tu parles ! Moi j’ai regardé tout cela de loin, de très loin même, j’ai navigué en baillant entre les fêtes et les enterrements, pas concerné une seconde par ces personnages enfouissant leurs illusions sous les sommets enneigés d’une station suisse pour millionnaires.

Beaucoup de clichés proche d’un déterminisme à deux balles dans ce roman où luxe, calme et volupté ont rimé en ce qui me concerne avec indifférence, agacement et hâte d’en finir.

Crans-Montana de Monica Sabolo. J.C Lattès, 2015. 240 pages. 19,00 euros.





mercredi 16 septembre 2015

Les nuits de Saturne - Pierre-Henry Gomont et Marcus Malte

Une histoire de vengeance classique et claire comme de l’eau de roche. Du moins en apparence. Après quinze ans derrière les barreaux, Clovis n’a qu’une idée en tête à sa sortie : dézinguer celui qui l’a trahi au cours d’une nuit de cavale. Pour retrouver sa trace, il se rend chez Charles, l’ancien camarade de lutte armée. Il y récupère ses affaires et son arme avant de se lancer dans un road trip qui l’amènera de Grenoble à Strasbourg en passant par Macon. Une histoire de vengeance donc, sombre et torturée, mais aussi une histoire d’amour. Un amour improbable, de ceux qui ne s’expliquent pas et qu’il ne vaut mieux pas chercher à comprendre. Un amour auquel on résiste alors que l’on sait la partie perdue d’avance, car le cœur a ses raisons…

Rhaaaaaaaa ! L’adaptation d’un roman de Marcus Malte en BD ! Avant même de commencer, la certitude que ça va gratter et piquer très fort. La certitude aussi que tout ne va pas nous tomber tout cuit dans le bec, qu’une certaine complexité narrative sera de mise avant que les fils se rejoignent et tissent un canevas sans fausse maille. Et puis le plaisir de savoir qu’il n’y aura pas de happy end parce que chez Marcus, les histoires d’amour finissent mal en général, et parce que chez lui, noir rime toujours avec tristesse et désespoir.

Cerise sur le gâteau, la mise en images de Pierre-Marie Gomont, talentueux dessinateur découvert avec l’excellentissime Rouge Karma, est d’une beauté époustouflante. Personne ne pouvait mieux que lui restituer l’atmosphère poisseuse d’un récit tendu comme un arc. Ses cases sans cadre aux aquarelles d’une rare expressivité, ses couleurs soigneusement associées pour souligner la différence entre le présent et les nombreux flash-backs, ce découpage au cordeau, ce mélange permanent de douceur, de nervosité à fleur de peau et de violence contenue… tout simplement magistral !

Un polar qui dépote et vous marque au fer rouge. C’est simple, l’association Mallte-Gomont vaut à mes yeux celle de Tardi et Manchette. Et franchement, je ne peux pas faire de plus beau compliment.

Les nuits de Saturne de Pierre-Henry Gomont, d’après Marcus Malte. Sarbacane, 2015. 168 pages. 22,50 euros.






mardi 15 septembre 2015

La seule façon de te parler - Cathy Ytak

Nine ne supporte pas l’école. Chaque matin, quand le réveil sonne, elle attaque la journée avec un terrible mal de ventre. Chaque matin, le trajet en car est son chemin de croix : « Un haut-le-cœur. L’estomac qui se retourne comme une chaussette. Dès que je l’aperçois. Le collège. »

Nine est en 5ème . Elle a redoublé sa 6ème et se dit que jamais elle ne tiendra jusqu’à la fin de la 3ème. Et encore, heureusement qu’Ulysse est là ! Tellement beau, tellement craquant ce pion ! Bien sûr, il est trop vieux pour elle, mais la jeune fille ne peut s’empêcher de penser à lui du matin au soir. Et quand elle apprend que son petit frère Noah est scolarisé au collège, elle se dit qu’elle a trouvé le moyen d’approcher celui qu’elle aime. Sauf que Noah est sourd. Il ne va donc pas être simple de lui parler. A moins d’apprendre la langue des signes…

Très joli portrait d’une élève en souffrance. Pas une gamine turbulente ni violente, pas une grande gueule perturbatrice. Juste une préado qui s’ennuie et ne trouve pas de sens à sa présence entre les murs de son établissement. Un monde trop bruyant, trop agité pour elle. Un monde où on lui demande de construire son avenir alors qu’elle ne sait pas encore qui elle est et ce qu’elle va bien pouvoir devenir. Nine est attachante en diable et on ne peut que compatir face à cette situation qu’elle subit, à cette douleur qui lui pourrit la vie.

Le propos se veut constructif, positif. Sans tomber dans le conte de fée cucul. Oui, il est possible  de trouver sa voie, même quand l’horizon semble bouché. Et non, le chemin pour y parvenir n’est pas une route bordée de licornes pailletées et de fleurs des champs. Une évidence qu’il est parfois bon de rappeler. Cathy Ytak le fait avec le talent et la plume pleine de sensibilité qui la caractérise.

La seule façon de te parler de Cathy Ytak. Nathan, 2015. 130 pages. 5,50 euros. A partir de 11 ans.

Encore une belle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 14 septembre 2015

Les matchs de la rentrée littéraire, c'est reparti et j'en suis ! (Appelez-moi parrain)



C'est la troisième fois qu'on me propose d'être parrain. J'ai toujours accepté, je ne sais pas dire non. Et j'ai toujours pris mon rôle très à cœur. Ce sera encore le cas cette fois-ci puisque j'ai l' honneur d'avoir été choisi par Priceminister pour devenir parrain des matchs de la rentrée littéraire.

Je ne vais pas expliquer le principe à celles et ceux qui ne le connaissent pas encore, si vous voulez tout savoir, découvrir les différentes sélections et vous inscrire, ça se passe par là.

En tant que parrain, mon rôle a consisté à choisir trois romans de la rentrée. Trois romans que j'ai aimé, forcément. Trois romans dont j'ai déjà parlé (ici, ici et ici). Trois romans qui, je l'espère, vous plairont autant qu'à moi.




Dans ma sélection donc, un roman français d'un auteur qui gagnerait à être bien davantage connu, un roman islandais au souffle littéraire impressionnant et un premier roman bouleversant d'une brûlante actualité.

Trois romans sur les 589 de la rentrée, c'est bien peu je vous l'accorde. Heureusement, je ne suis pas seul dans cette aventure puisque trois marraines de choc m'accompagnent. Elles aussi ont eu droit à trois titres. Si l'on rajoute la sélection de Priceminister, ça fait 15 romans en tout. Un choix suffisamment riche et varié pour que chacun y trouve son compte je pense.

Au fait, vous vous demandez peut-être qui sont les trois marraines ? Des blogueuses qu'on ne présente plus, que j'ai la chance de connaître personnellement et que j'apprécie énormément, c'est rien de le dire. Un grand merci à elles de m'accompagner dans cette aventure, je ne pouvais pas être mieux entouré !

Pour retrouver leurs billets de présentation et leurs sélections rendez-vous chez Leiloona, Noukette et Stephie.

Alors, vous en pensez quoi de ces sélections ? Tenté par l'aventure ? J'attends vos remarques et réflexions !
















dimanche 13 septembre 2015

Le rêve du retour - Horacio Castellanos Moya

Erasmo, journaliste salvadorien exilé au Mexique, décide de rentrer au pays au moment ou un accord de paix est sur le point d’être signé entre la guérilla et le gouvernement. Mais avant de prendre l’avion il doit régler quelques problèmes. D’une part faire comprendre à sa femme qu’il ne les abandonne pas elle et sa fille (même si en fait il a bien l'intention de ne pas les revoir, surtout depuis que sa conjointe lui a avoué l’avoir trompé avec un acteur de seconde zone). D’autre part arrêter la boisson et soigner les terribles douleurs au foie qui le font souffrir à longueur de journée. Pour cela il va rencontrer Don Chente, médecin acupuncteur et hypnotiseur auquel il va se livrer pendant de longues séances dont il ne gardera aucun souvenir et dont le praticien, consignant ses paroles dans un carnet, ne voudra rien lui révéler…

Horacio Castelanos Moya m’avais mis k-o avec son précédent roman, plongée ultra violente au cœur de la guerre civile salvadorienne. Je le retrouve ici dans un registre plus intimiste mais aussi plus proche de la farce à travers le portrait d’un loser pathétique, égoïste, paranoïaque et alcoolique. Un personnage que je ne pouvais qu’adorer, vous pensez bien ! Un bonheur de suivre Erasmo dans ses plans de vengeance foireux envers l’amant de sa femme, dans ses beuveries mémorables, ses interrogations existentielles et ses gueules de bois monumentales qui m’ont rappelé bien des souvenirs.

Parce que je n’aime pas les héros et que les lâches, les pleutres, les couards (rayez la mention inutile) trouveront toujours grâce à mes yeux, je me suis attaché à ce journaliste minable, mari et père lamentable incapable d’assumer ses responsabilités. La narration à la première personne nous plonge dans le flot ininterrompu de phrases lâchées au bord de la crise de nerfs. Un tourbillon revigorant dont je suis ressorti le sourire aux lèvres, incapable de bouder mon plaisir face un tableau aussi humain qu'affligeant.

Le rêve du retour d’Horacio Castellanos Moya. Métailié, 2015. 156 pages. 17,00 euros.




samedi 12 septembre 2015

Les lectures de Charlotte (9) : Au dodo dis donc !

Charlotte adore ce livre où l’on découvre le rituel du dodo chez tous les animaux. Avec les pandas qui ouvrent le bal, elle était en terrain connu puisque chez eux c’est comme chez nous, on va se coucher tran-quille-ment, après avoir enfilé le pyjama, s’être lavé les dents, avoir attrapé doudou, lu une histoire et fait un gros câlin. Mais chez les renards et les lions, l’affaire est plus compliquée. Chez les singes aussi d’ailleurs. En fait, à chaque fois que l’on dit « Au dodo dis donc ! », les réactions sont différentes, certains crient, d’autres courent, d’autres encore se plaignent ou s’inventent des excuses pour retarder le moment fatidique.

Un plaisir de découvrir les mille et une astuces de chacun pour ne pas aller au lit. A chaque page des volets à soulever et des surprises rigolotes. Alors que l’on croit les enfants couchés pour de bon, on les retrouve sous leur cachette de carton dans une posture singulière qui déclenche le sourire. Une mécanique bien huilée et redoutablement efficace servie par un graphisme et des couleurs tout en douceur. Idéal pour dédramatiser l‘heure du coucher dans la bonne humeur !

Au dodo dis donc ! de Pierre Delye et Cécile Hudrisier. Didier Jeunesse, 2015. 18 pages. 12,10 euros. Dès 18 mois.










vendredi 11 septembre 2015

La dernière nuit du Raïs - Yasmina Khadra

Il sait la partie perdue d’avance. Malgré le soutien indéfectible de sa garde rapprochée se réduisant comme peau de chagrin, aucune échappatoire possible. En cette soirée d’octobre 2011, terré dans une école bunkerisée, il s’isole et repense au chemin parcouru depuis sa naissance, lui le fils de bédouin devenu roi, « l’enfant béni du clan des Ghous venu de son désert semer la quiétude dans les cœurs et les esprits ». Impossible d’accepter la trahison d’un peuple auquel il est persuadé d’avoir apporté le bonheur. Bouffi d’orgueil, dévoré par une mégalomanie qui l’aveugle, Khadafi ne veut entendre aucune critique, aucune remise en cause : « Ce que je dis est parole d’Évangile, ce que je pense est présage. Qui ne m’écoute pas est sourd, qui doute de moi est damné. Ma colère est une thérapie pour celui qui la subit, mon silence est une ascèse pour celui qui le médite. »

Incroyable tour de force d’un Yasmina Khadra mettant en scène à la première personne, sans caricature ni manichéisme, le crépuscule d’un dictateur au bord de la folie.Un homme rongé par les psychotropes, au phrasé aussi halluciné qu’incantatoire.Un homme condamné qui va tenter un dernier baroud d’honneur avant la curée, et dont la fin pitoyable restera à jamais gravée dans les mémoires.

Les dernières pages sont d’une sublime intensité dramatique, traversées par un éclair de lucidité bien trop tardif : « L’orgueil est allergique à la raison. Quand on a dominé les peuples, on s’oublie sur son nuage. Mais qu’a-t-on dominé au juste ? Pour aboutir à quoi ? En fin de compte, le pouvoir est une méprise : on croit savoir et l’on s’aperçoit qu’on a tout faux. Au lieu de revoir sa copie, on s’entête à voir les choses telles qu’on voudrait qu’elles soient. » A travers la déchéance inéluctable d’un personnage digne de Shakespeare, cette dernière nuit du Raïs offre la vision apocalyptique d'un pays en plein chaos qui, en se libérant du dictateur honni, ne s'offrira pas pour autant un avenir tout tracé vers la démocratie, loin s'en faut.

La dernière nuit du Raïs de Yasmina Khadra. Julliard, 2015. 210 pages. 18,00 euros.




jeudi 10 septembre 2015

Les eaux troubles du mojito - Philippe Delerm

J’aime bien Delerm, je l’ai déjà dit ici et ici. Peu m’importe son parisianisme bobo, son utilisation à outrance du « on », son optimisme béat ou son goût faussement naïf pour les petits bonheurs simples du quotidien. Je ne fais pas partie de ses détracteurs (et Dieu sait s’ils sont nombreux), mais pour le coup, j’ai refermé ce recueil avec un vrai sentiment d’inutilité.

Il rejoue ici la partition de « La dernière gorgée de bière » avec des micro-nouvelles oscillant entre le plaisir de moments furtifs et quelques réflexions sur le temps qui passe. Mais à quoi bon s’ébahir devant « le goût transparent » de la pastèque ou l’arôme « légèrement fumé » du navet cru  ? A quoi bon s’attarder sur le charme de boissons telles que le Guignolet, le mojito ou le Spritz ? A quoi bon faire deux pages sur une réunion de copropriété qui ne pourra pas se tenir faute de quorum ? Il y a heureusement quelques moments de grâce dans la fadeur ambiante. Des flâneries dont on ressent l’atmosphère particulière, à Bruges ou au jardin du Luxembourg, des instants cocasses ou des réflexions plus profondes, douces-amères et empreintes d’une nostalgie touchante. Mais trop peu pour contrebalancer une impression générale de futilité et d’insignifiance, l’impression que la plupart de ces textes sont à classer dans la catégorie « aussi vite lus qu’oubliés ».

Loin d’être un grand cru ce Delerm, donc. Pas non plus une piquette imbuvable car l’écriture possède toujours ce charme suranné et désuet que j’apprécie particulièrement, mais disons que ce catalogue de « belles raisons d’habiter sur terre » ne me laissera pas un souvenir impérissable.

Les eaux troubles du mojito de Philippe Delerm. Seuil, 2015. 110 pages. 14,50 euros.





mercredi 9 septembre 2015

Bouffon - Porcel et Zidrou

On l’appelle le glaviot. Né au fond d’un cachot, d’une mère embastillée dont le joli minois attirait des soldats abusant d’elle chaque nuit contre une piécette ou un pichet de vin. Un bébé sauvé par la chienne qui devait le dévorer à la naissance. Un bébé au visage difforme élevé parmi les rats qui, une fois devenu grand, deviendra le bouffon d’une princesse et rendra service aux puissants grâce à un don extraordinaire…

Bouffon, c’est La belle et la bête revisité à la sauce Zidrou. Autant vous dire que cette version donne dans le piquant et l’irrévérencieux, caressant à rebrousse poil les canons du conte pour proposer une vision tout sauf manichéenne. D'emblée on nous annonce une histoire "belle et triste", le genre d'argument qui me met l'eau à la bouche. C’est simple, j’ai tout aimé dans cette histoire : l’humour noir d’un narrateur atypique au ton pas vraiment solennel, la cruauté ambiante, le décor sordide des cachots sombres et humides dans la première moitié de l’album, cette lumière qui s’installe peu à peu sans jamais vraiment parvenir à faire basculer le récit dans l’espoir et l’optimisme béat… rien à jeter, vraiment rien à jeter.

Graphiquement, l’atmosphère médiévale tout en clair-obscur et sans la moindre chaleur est restituée magistralement par un Francisco Porcel à l’évidence très à l’aise pour croquer des trognes de geôliers, de bourreaux ou de seigneurs sans pitié.

Au-delà de la référence à La belle et la bête j’ai retrouvé dans cet album les ambiances créées par René Hausman dans des titres tels que « Le camp volant » ou « Le prince des écureuils ». Des ambiances dont je suis fan depuis toujours. Une réécriture moderne d’un classique faisant la part belle à l’ingratitude et à la méchanceté gratuite. Un conte finalement très humain qui gratte et appuie là où ça fait mal. Du Zidrou tout craché.

Bouffon de Porcel et Zidrou. Dargaud, 2015. 64 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que je partage aujourd'hui encore avec Noukette.




La BD de la semaine, c'est aujourd'hui
chez Stephie








mardi 8 septembre 2015

Pensée assise - Mathieu Robin

Punaise, encore un roman jeunesse sur le handicap ! Quand c’est pas le cancer ou la maltraitance, les gamins placés, la mort du chat, du chien ou celle de mamy, il faut qu’on nous bassine avec le handicap. En même temps c’est le thème idéal pour nous donner une bonne leçon de courage et de tolérance, nous parler d’intégration, de force de caractère et tout le toutim.

Oui mais. Avec Pensée assise, le registre est un peu différent. Parce que Théo, le narrateur tétraplégique de ce court roman, est une vraie tête à claque. Depuis qu’il file le parfait amour avec Sofia, une « valide », Théo n’a qu’une ambition, pouvoir embrasser sa dulcinée debout, comme tout le monde. Parce qu’il ne supporte pas les regards compatissants de ceux qui croisent leur couple dans la rue, y voyant des jugements tels que : « Il en a de la chance qu’une aussi jolie fille s’occupe de lui » ou  « Ça ne doit pas être drôle tous les jours pour elle ». En fait, il ne supporte pas grand-chose le Théo. Il donne l’impression de nier son statut de handicapé alors que ce statut le complexe à chaque instant. Aigri, têtu, cinglant (« J’en ai déjà vu, des paraplégiques danser en boîte. C’est le spectacle le plus pathétique qui soit. Il n’y a rien de pire qu’un mec qui fait semblant d’assumer son handicap »), incapable de demander de l’aide, il s’enferme dans une attitude détestable.

Et pourtant, ce personnage débordant d’amertume et de mauvaise foi est aussi exaspérant que touchant. Son combat, il doit d’abord le mener contre lui-même, apprendre à s’accepter tel qu’il est, comprendre que la vie pourrait être simple s’il arrêtait de se la compliquer, s'il ne cherchait pas à tout prix à être à la (bonne) hauteur. Sa voix résonne parce qu’à travers le fiel perce une ironie mordante, beaucoup de drôlerie et un sens de la formule décapant.

Un texte qui dit, sans lourdeur et avec une grande modernité de ton, la sensibilité à fleur de peau d’un ado écorché à qui l’amour fera enfin ouvrir les yeux. Original et vivifiant.

Pensée assise de Mathieu Robin. Actes sud junior, 2015. 85 pages. 11,00 euros. A partir de 14 ans.


Une pépite jeunesse idéale pour relancer le rendez-vous hebdomadaire que Noukette et moi partageons chaque mardi ou presque.








lundi 7 septembre 2015

L’œil de l’espadon - Arthur Brügger

Charlie est apprenti poissonnier dans un grand magasin. A 24 ans, cet orphelin n’ayant jamais quitté sa ville natale, n’ayant jamais vu la mer et n’ayant jamais eu la moindre petite amie est installé dans une routine qui lui convient. Il raconte ses journées faites de découpage, écaillage, évidage, emballage et nettoyage, ses relations avec les collègues, les clients, la hiérarchie, le rush de Noël, les promos qui attirent le chaland et le gâchis permanent.

Le jour où il rencontre Emile, nouveau préposé à la gestion des poubelles au « niveau zéro », sa vie change. Emile est un idéaliste qui s’est fait embaucher à ce poste ingrat pour mener une enquête sur le gaspillage dans les grandes surfaces et dénoncer le scandale dans les médias, photos à l’appui. Emile est aussi un lettré dont la liberté d’esprit va peu à peu influencer la vision du monde du naïf Charlie.

Un premier roman venu de Suisse qui offre une vision décalée du monde du travail. Charlie est un esprit simple qui porte un regard sans filtre sur son environnement et son statut d’employé. Mais sa candeur a aussi des limites, notamment face à l’indifférence et au manque de politesse : « C’est vrai qu’après le dix-huitième client qui ne dit pas au revoir bonne journée quand on lui donne son sac sous vide avec le poisson dedans, le dix-neuvième qui me sourit et puis m’adresse juste la parole pour me dire une banalité, je pourrais lui sauter au cou de joie. Ça fait simplement du bien de sentir qu’on existe. Qu’on est autre chose que le gardien d’une proie appétissante. Autre chose qu’une machine, qu’un distributeur, qu’un automate. Parfois j’ai l’impression que les clients, ils nous regardent moi et les autres employés du Grand Magasin comme de la marchandise. »

Un texte qui tient presque de la fable. Ni glorification ni condamnation de la grande distribution, la vision en apparence naïve de Charlie, ses mots simples ont une portée bien plus efficace que n’importe quel discours militant. Et Charlie le vrai gentil ne vous fera plus jamais regarder les employés de supermarché du même œil.

L’œil de l’espadon d’Arthur Brügger. Zoé, 2015. 154 pages. 15,50 euros.




samedi 5 septembre 2015

Les lectures de Charlotte (8) : Mon gâteau d'anniversaire

Pour faire un gâteau d’anniversaire, c’est simple : on pèse la farine et le sucre, on casse les œufs, on monte les blancs en neige, on mélange le tout, on préchauffe le four, on cuit, on démoule et c’est prêt. Quatorze animations sont proposées dans ce livre à l’épais cartonnage et à la mise en page on ne peut plus maline pour, pas à pas, mener la recette à bien. Et grâce aux conseils avisés des petites souris, impossible de se tromper !

Clairement, Charlotte est encore trop petite pour ce livre. Certaines animations demandent une motricité et une finesse gestuelle que ne possède pas un enfant de deux ans. Il n’empêche, elle adore tourner et tripatouiller les pages, mais jamais seule, pour éviter tout risque d’arrachage intempestif. A part ça, c’est un excellent livre animé, original et inventif, instructif aussi, permettant beaucoup de manipulations différentes.


Les étapes de la recette sont respectées à la lettre et impliquent une logique d’actions concrète (peser, ajouter, tourner, cuire et manger, sans oublier de souffler les bougies !). Et puis l’air de rien, on aborde un vocabulaire spécifique à la cuisine d’une grande variété. Bref, c’est une réussite et une première approche idéale de la pâtisserie, surtout si après la lecture on passe aux travaux pratiques en réalisant le gâteau pour de vrai !

Mon gâteau d’anniversaire d’Anne-Sophie Baumann et Hélène Convert. Tourbillon, 2015. 8 pages. 13,99 euros. A partir de 3 ans.










vendredi 4 septembre 2015

Sept années de bonheur - Etgar Keret

Il ne pouvait que me plaire ce petit livre. Premièrement, des nouvelles. Ensuite, des nouvelles courtes, très courtes. Enfin, et c’est de loin le plus important, un humour, une autodérision et un sens de la formule imparables. C’est simple, si je devais un jour devenir écrivain (ce qui n’arrivera jamais, je vous rassure), j’aimerais pouvoir écrire comme Etgar Keret !

Déjà, résumer sept années d’existence en si peu de mots et de moments est une belle preuve de modestie et d’humilité je trouve. Pas besoin d’en faire des tonnes, même si au final, comme le dit sa femme, « il y a notre vie, et toi qui n’arrêtes pas de la réinventer pour essayer d’en faire quelque chose de plus intéressant ».

En fait j’adore cette façon de renvoyer une image de soi « réinventée », le plus souvent en la tirant vers le pathétique avec un naturel et un détachement irrésistibles. Quand il raconte par exemple ses déboires avec son fils, son peu d’empressement à se mettre au sport alors que sa santé et son embonpoint l’exigent, la passion familiale pour le jeu Angry Birds, son statut d’homme « qui ne travaille presque jamais » et passe ses journées au jardin d’enfants entouré de mères parlant d’allaitement, de stérilisation de biberon et d’érythème fessier, ses relations compliquées avec les chauffeurs de taxi ou encore quand il se demande à quoi bon faire venir le plombier, s’attaquer à la vaisselle ou sortir les poubelles alors que le président iranien en possession de l’arme atomique a promis de rayer au plus vite Israël de la carte. D’autres textes donnent davantage dans l’émotion, dans l’ironie ou les souvenirs touchants mais il y a toujours ce ton unique, plein de recul face aux situations, limite détaché, comme si tout devait se prendre à la légère parce que finalement, quel que soit le problème, mieux vaut en rire.

On reste dans l’anecdotique, mais un anecdotique rendu délicieux par une prose fluide et aiguisée, une maîtrise parfaite de l’exercice périlleux de la micro-nouvelle et un art consommé de la chute avec des conclusions qui font mouche à chaque fois.

Un vrai bonheur d’avoir croisé la route de ce « juif totalement stressé qui considère sa survie momentanée comme tout à fait exceptionnelle », ce papa conscient qu’il « y a un tas de trucs que les parents sont censés faire pour lesquels je ne suis pas très doué. »  Un type loin de l’image forte, pleine d’ambition et de confiance en soi qu’aiment renvoyer nombre d’hommes modernes. Un type avec qui je me suis trouvé beaucoup de points communs, vraiment.

Sept années de bonheur d’Etgar Keret. Points, 2015. 186 pages. 6,50 euros.