samedi 19 octobre 2013

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France

Ce dictionnaire représente une somme indispensable pour quiconque s’intéresse de près à la littérature de jeunesse. Un ouvrage de référence dont le contenu se veut plus large que celui des publications antérieures du même genre. Synthétisant les différentes recherches menées en France depuis près d’un demi-siècle, il se propose de balayer de la façon la plus exhaustive possible l’histoire du livre de jeunesse en France et ses mutations les plus contemporaines.

133 chercheurs et professionnels du monde du livre ont rédigé les 1034 notices. Ces dernières, lorsqu’elles sont consacrées aux auteurs, ne donnent que de rapides indications biographiques et s’attardent davantage sur les caractéristiques formelles et stylistiques de leurs œuvres ainsi que sur leurs éventuels thèmes de prédilection. Par ailleurs le dictionnaire contient près de quatre-vingt articles de synthèse qui offrent une dimension encyclopédique à l’ensemble. A titre d’exemple, le tout premier article consacré aux abécédaires est en tout point passionnant. Et puis je vais citer un autre exemple avec celui sur les livres animés, tout aussi passionnant, parce que je ne voudrais pas que vous pensiez que je me suis arrêté à la lettre A. Des auteurs, des articles thématiques mais aussi des maisons d’édition et quelques notices sur la presse jeunesse et son histoire, l’éventail est très large et très cohérent.

Évidemment, les râleurs trouveront toujours à redire. Des auteurs jeunesse, il en manque.  Moi-même je regrette de ne pas y trouver Régis Lejonc, illustrateur du fabuleux Phare des sirènes mais aussi quelques écrivains récents que j’apprécie beaucoup comme Agnès de Lestrade ou Sandrine Beau. Mais après tout l’exhaustivité totale est impossible (et au moins il y a Elisabeth Brami, Joe Hoestlandt et Jeanne Benameur, trois autres de mes chouchoutes). L’avant-propos explique clairement les choix qui ont été faits : des auteurs pour la grande majorité français mais pas que. Impossible de ne pas inclure dans ce dictionnaire Lewis Carroll, Maurice Sendak , JK Rowling ou  encore les plus célèbres auteurs belges et suisses de langue française (sinon impossible de parler de la célèbre « Martine » dont l’illustrateur était belge). Très peu de place est accordée à la BD, un choix assumé et justifié par le fait que de nombreux dictionnaires spécifiques au genre existent déjà. Mais bon, quand un auteur de bande dessinée donne également dans l’illustration, il a droit à sa notice (comme Christophe Blain par exemple. Par contre aucune trace d’Emile Bravo, ce qui est quand même fort dommage).

Un dernier mot sur les images. Il y en a 826 en tout. Une iconographie riche et variée que les auteurs ont voulue avant tout informative.

Voila donc un ouvrage incontournable, à la fois outil de travail pour les professionnels et source quasi inépuisable de connaissances pour tous les amoureux de la littérature jeunesse. 

Dictionnaire du livre de jeunesse : La littérature d’enfance et de jeunesse en France. Cercle de la librairie, 2013. 990 pages. 89 euros. 

Un billet qui signe ma participation mensuelle au projet non-fiction de Marilyne.


jeudi 17 octobre 2013

Dites-leur que je suis un homme - Ernest J. Gaines

Louisiane, années 40. Jefferson, un jeune noir illettré, est arrêté après le meurtre d’un commerçant blanc. S’il était bien ce jour-là sur les lieux du crime, il a simplement assisté au drame. Accusé à tort, son avocat commis d’office avance pour sa défense qu’il n’est qu’un « animal sans cervelle ». Pour lui, tuer Jefferson reviendrait à attacher un porc sur la chaise et à l’exécuter. « Un animal qui ne comprendrait pas ce qui se passe. » Un argumentaire pitoyable qui n’empêchera pas la condamnation à mort. Peu après, la marraine du condamné demande à l’instituteur Grant Wiggins de lui faire comprendre qu’il n’est pas un porc mais bien un homme. Seul ou accompagné du révérend Ambrose, Wiggins rend régulièrement visite à Jefferson dans sa cellule et tente de redonner au jeune homme la dignité dont le procès l’a privé...

Après John Fante me voila à nouveau embarqué dans la relecture d’un roman exceptionnel, cette fois-ci grâce à Valérie. Ce roman met en jeu tellement d’aspects importants, il appuie là où ça fait mal et pose des questions qui ne peuvent qu’interpeller chacun d’entre nous.

Wiggins l’enseignant est un personnage d’une infinie complexité. Lucide, conscient que sa condition de noir dans la Louisiane des années 40 ne lui autorise aucun avenir. Conscient de ne pas pouvoir remplir la tâche qu’on lui a confiée. Conscient de sa lâcheté, notamment le jour de l’exécution : « Pourquoi n’étais-je pas là-bas, pourquoi n’étais-je pas à son coté ? Pourquoi mon bras n’était-il pas autour de ses épaules ? Pourquoi ? ». Conscient de l’injustice permanente que subissent les siens : « Douze hommes blancs décident qu’un homme noir doit mourir, et un autre homme blanc fixe la date et l’heure sans consulter un seul noir. C’est ça la justice ? […] Ils vous condamnent à mort parce que vous étiez au mauvais endroit au mauvais moment, sans la moindre preuve que vous ayez été mêlé au crime, en dehors du fait d’avoir été sur les lieux quand il s’est produit. Pourtant, six mois plus tard, ils viennent ouvrir votre cage et vous informent : nous, tous des blancs, avons décidé qu’il est temps pour vous de mourir. » Sa fragilité est au cœur du texte. Il ne se sent pas investi d’une mission. Il semble totalement perdu face à une situation qui le dépasse mais au fil de ses visites, il trouve un sens à l’action qu’il mène auprès du condamné. Petit à petit il parvient à apprivoiser Jefferson et à lui transmettre cette absolue certitude : tu es un homme, tu n’es pas un animal comme ils veulent te le faire croire.

De son coté, pour que Jefferson abandonne le statut d’animal et se considère comme un homme à part entière, le révérend Ambrose veut lui parler de Dieu. Le révérend Ambrose veut le sauver. Il veut le préparer pour le monde meilleur qui l’attend après la mort. Et pour cela il a besoin de Wiggins. Car c’est le seul que Jefferson écoute. Mais Wiggins ne sait rien de l’âme. Il ne croit pas au ciel, il ne lui dira jamais d’y croire.
- Suppose qu’il te demande s’il existe, qu’est-ce que tu feras ?
- Je lui dirai que je ne sais pas.   
[…]
- Et s’il te demande si tu crois au paradis, tu feras quoi ?
- J’espère qu’il ne le fera pas révérend.
- Mais s’il le fait ?
- J’espère que non. 
- Tu ne pourrais pas lui dire oui ? 
- Non révérend, je ne pourrais pas. Je ne pourrais pas lui mentir dans un moment pareil. Je ne lui mentirai plus jamais, quoi qu’il arrive.

Wiggins l’athée refuse que Jefferson se mette à genoux devant le Seigneur avant de s'asseoir sur la chaise. Il veut le convaincre de rester debout jusqu’au dernier instant, pour briser le mythe de l’homme blanc :
« Tu sais ce que c’est qu’un mythe, Jefferson ? lui ai-je demandé. Un mythe est un vieux mensonge auquel les gens croient. Les blancs se croient meilleurs que tous les autres sur la terre ; et ça, c’est un mythe. La dernière chose qu’ils veulent voir, c’est un Noir faire front, et penser, et montrer cette humanité qui est en chacun de nous. Ça détruirait leur mythe. Ils n’auraient plus de justification pour avoir fait de nous des esclaves et nous avoir maintenus dans la condition dans laquelle nous sommes. Tant qu’aucun de nous ne relèvera la tête, ils seront à l’abri. […] Je veux que tu ébrèches leur mythe en faisant front. Je veux que toi – oui, toi- tu les traites de menteurs. Je veux que tu leur montres que tu es autant un homme, davantage un homme qu’ils ne le seront jamais.»

En fait, ce roman, c’est tout cela à la fois. L’injustice, la religion, l’éducation, l’amour, le statut de l’homme noir dans une région où la ségrégation n’est pas un vain mot, la place de chacun au sein d’une communauté… c’est tout cela et bien davantage encore. Je reconnais que l’écriture, très descriptive, n’a rien d’exceptionnel. Mais peu importe. Les vingt-cinq dernières pages sont poignantes. Elles vous attrapent le cœur et le serre tellement, tellement fort… C’est juste bouleversant, j’en ai eu des frissons et je peux vous dire que ce n’est pas le genre chose qui m’arrive souvent au cours d’une lecture.

Ernest J. Gaines est un immense auteur afro-américain bien trop méconnu sous nos contrées et Dites-leur que je suis un homme est son chef d’œuvre. Un roman essentiel, inoubliable. Pas pour rien qu’il a remporté l’année de sa sortie le National Book Critics Circle Award (le grand prix de la critique américaine). Je ne sais quoi dire de plus pour vous convaincre, je suis conscient de ne pas avoir trouvé les mots justes pour parler de ce texte mais sachez qu’il mérite plus que tout autre que l’on s’attarde sur son cas.

Dites-leur que je suis un homme d’Ernest J. Gaines. Liana Levi, 2003. 300 pages. 10 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.


National Book Critics Circle Award 1994







mercredi 16 octobre 2013

La revue dessinée n°1 – Automne 2013

Drôle d’idée de vouloir lancer un «Mook» (mélange de magazine et de book) entièrement réalisé en bande dessinée. Un pari osé mais qui, à la lecture de ce premier numéro, est relevé haut la main. Un sommaire riche et varié, des articles au long cours, des rubriques courtes, des enquêtes en plusieurs parties, chacun devrait pouvoir y trouver son compte in fine.


Alors que retenir de ce premier numéro ? D’abord que les deux articles les plus conséquents sont ceux que j’ai le plus appréciés. Le récit de Christian Cailleaux dans les eaux de l’hémisphère sud à bord de la frégate Floréal s’attache à dresser les portraits des différents membres de l’équipage. Sa démarche n’est donc pas identique à celle d’Emmanuel Lepage dans Voyage aux îles de la désolation puisque dans cet album on s’attardait davantage sur les communautés scientifiques peuplant ces îles éloignées de toute région habitable. L’autre grand article, une enquête consacrée aux pionniers américains du gaz de schiste, révèle les péripéties ayant amené les grandes entreprises du secteur énergétique à se lancer dans l’exploitation de nouvelles ressources naturelles grâce à la dévastatrice technique de la fracturation hydraulique. Édifiant. A noter également la première partie du reportage que Marion Montaigne consacre à la ménagerie du jardin des plantes et le récit documentaire où Olivier Bras et Jorge Gonzalez relatent le dernier jour du président chilien Salvador Allende, le 11 septembre 1973.

J’avoue avoir été moins convaincu par les petites chroniques disséminées entre les grands articles. En dehors la pastille musicale où j’ai eu le plaisir de retrouver Nicolas Moog (June), les autres m’ont laissé sur ma faim, notamment les rubriques informatiques, économiques et sportives.

Graphiquement, c’est le lot d’une publication aussi diverse, il y a à boire et à manger. Mention spéciale à l’argentin Jorge Gonzalez dont le trait charbonneux et proche du crayonné m’a emballé.

Une première réussie donc. Instructif, pas prise de tête, n’hésitant pas à aborder des sujets totalement différents les uns des autres, cette revue dessinée a tout pour plaire. En plus on nous annonce dans le second  numéro de décembre « Les plaies de Fukushima » par Emmanuel Lepage. Autant vous dire que je serai au rendez-vous.

Un grand merci à Mo’ qui a eu la gentillesse de m’offrir ce magazine en BD. Une fois de plus elle a fait mouche !

Son avis sur ce même numéro.

La revue dessinée n°1 – Automne 2013. 226 pages. 15 euros.







mardi 15 octobre 2013

Bonne nuit Eddie - Amélie et Estelle Billon

Eddie est un enfant solitaire qui aime la nuit et les gribouillis. En faux, il habite un haut manoir, en vrai, il vit dans une petite maison. « Depuis tout petit, on ne cesse de lui répéter qu’il a un don pour se faire oublier. » A tel point qu’une fois, ses parents sont partis en vacances sans lui. Ça ne le gêne pas de se faire oublier. Au moins personne ne l’embête quand il s’enferme dans son atelier avec son cochon ailé et son dinosaure. C’est là qu’il construit sa machine. Il ne sait pas encore à quoi elle va servir cette machine. Ce qui lui plairait c’est qu’elle puisse avaler les gens...

Des amis imaginaires, une machine incroyable, une atmosphère pleine de rêves où tout est permis... Eddie le solitaire voit s’ouvrir devant lui un vaste champ des possibles. Il construit son monde comme bon lui semble, la nuit étant son terrain de jeu favori. Grâce à elle il s’évade et s’invente l’échappatoire idéale.

Les illustrations en noir et blanc à la plume d’Estelle Billon fourmillent de détails (avec une mention spéciale pour la photo de classe) et sont au service du récit. Un garçon à part comme Eddie valait bien un univers graphique aussi particulier et aussi expressif.

Un album original, décalé, dont le caractère intimiste est renforcé par son petit format. Typiquement le genre d’ouvrage avec lequel un enfant pourrait avoir envie de s’isoler afin de profiter en solitaire d’un délicieux tête à tête avec Eddie le rêveur. 


Bonne nuit Eddie d’Amélie et Estelle Billon. Grasset jeunesse 2013. 32 pages. 12 euros. A partir de 6-7 ans.





samedi 12 octobre 2013

Bras de fer - François Chollet

Le soldat Salengro invite la capitaine Lucie Ravelin dans son appartement. La jeune femme le fascine. Sa beauté n’a d’égale que sa froideur et il aimerait révéler sa part de féminité. Pendant deux jours, il va l’enfermer et lui faire subir une succession d’humiliations. Mais que cherche-t-il vraiment en procédant de la sorte ?

Un huis clos classique. La question est : qui mène la danse ? Le « bourreau » se demande constamment ce qu’il est en train de faire. La victime ne l’est sans doute pas tant que ça. Il y a entre eux un jeu de dupes qui finit par agacer et surtout qui, in fine, ne mène à rien. On regarde les choses de loin, pas du tout concerné par cette relation tendue et ambiguë entre un troufion et sa supérieure hiérarchique. Une supérieure dont il voudrait percer la cuirasse derrière laquelle elle semble constamment se retrancher.  

En même temps, il faut reconnaître qu’il n’est pas simple de mettre en scène un huis clos. Tout tient souvent dans les dialogues. Les échanges entre les protagonistes sont ici dans l'ensemble artificiels, ils sonnent faux. Et puis l’affrontement est avant tout psychologique. Le soldat Salengro ne cesse de répéter que cette histoire n’est pas sexuelle. Pour le coup il n’a pas tort. Il y a bien quelques situations scabreuses mais pas émoustillantes pour deux ronds. Un léger coup de cravache, une cuillère à café de sperme, un soupçon de pipi et de vomi… ça aurait pu titiller mais j’avoue que ça m’a laissé de marbre (longtemps que ce genre de choses ne m’écœurent plus, vous pensez bien). Sinon l’écriture est agréable et il y a de forts jolis passages mais voila, je ne me suis pas laissé embarquer par ce texte. Sans compter que la fin, bien trop ouverte, laisse en bouche un goût d’inachevé. Bref, une déception avec ce court roman dont le pitch était pourtant prometteur. Ça arrive…

Bras de fer de François Chollet. Le Cherche midi, 2013. 136 pages. 13 euros.

Un grand merci à Lystig qui m’a permis de découvrir ce titre.

Son avis






vendredi 11 octobre 2013

Virginia T1 : Morphée - Séverine Gauthier et Benoît Blary

Lake Providence, Louisiane, janvier 1863. En pleine guerre de sécession, alors que les troupes nordistes préparent la prise du bastion confédéré de Vicksburg,  un étranger descend d’une diligence et se dirige vers le cabinet du médecin. Il se plaint d’une vieille douleur et réclame de la morphine. Cet étranger se nomme Doyle. Ancien soldat de l’Union, il a quitté l’armée suite à un événement tragique qui ne cesse de le hanter. Seuls la drogue et l’alcool peuvent calmer les maux qui le rongent. Mais pour trouver ses doses quotidiennes, il doit souvent franchir la ligne rouge...

Je vous l’accorde, le pitch n’est pas super original. Un héros écorché vif sorti cabossé de la guerre civile américaine. Un héros en quête de rédemption après avoir commis l’irréparable, c’est du déjà-vu. Mais Séverine Gauthier est aux commandes et ça change tout. Séverine Gauthier, scénariste de talent qui a, entre autres signé, Mon arbre, Aristide broie du noir et le génialissime Cœur de Pierre. Son univers empreint d’une certaine forme de noirceur trouve ici un terrain de jeu idéal. Doyle navigue entre son passé cauchemardesque et un présent guère plus brillant. Beaucoup de flashbacks pour permettre au lecteur de comprendre comment il en est arrivé là. Ce n’est certes pas très gai mais ce premier tome se termine sur une note d’espoir, une fenêtre ouverte vers un possible rachat, même si l’on comprend que tout ne sera pas simple.

Le trait de Benoît Blary est proche du crayonné, parfois tremblotant, souvent hachuré. J’ai eu du mal à m’y faire mais au fil des pages, je m'y suis plongé sans déplaisir. Et puis le choix des couleurs, ternes et délavées, est particulièrement judicieux.

Premier tome d'une trilogie, cet album s'avère au final être une belle surprise et je suis d'ores et déjà partant pour découvrir la suite.


Virginia T1 : Morphée de Séverine Gauthier et Benoît Blary. Casterman, 2013. 56 pages. 14,95 €.



jeudi 10 octobre 2013

Sauf les fleurs - Nicolas Clément

Marthe. Elle s’appelle Marthe. Une enfance passée à la ferme avec ses parents et son petit frère Léonce. Une enfance cauchemardesque à cause de ce père qui les battait comme plâtre. C’est surtout sa mère qui prenait les coups. Une violence insoutenable, incompréhensible :  « Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectif, sans complément, seulement des ordres et des martinets. Dans mon dictionnaire, je cherche la langue de Papa, comment la déminer, où trouver la sonnette pour appeler. Mais la langue de Papa n’existe qu’à la ferme. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un poing, puis retour à la ligne jusqu’à la prochaine claque. »  Très tôt la haine pour ce tyran domestique. La peur aussi. Chevillée au corps. Et puis il y a eu ce jour funeste. Le geste de trop. Maman qui ne s’en relèvera pas. Heureusement pour Marthe, Florent était là. Un phare dans la tempête d’émotions et de tristesse qui l’a submergé. A maintenant dix-huit ans, elle entrevoit un avenir possible. Et pourtant…

Difficile de parler de ce texte tant il remue, tant il vous attrape à bras le corps. Il aurait été facile de dramatiser à l’extrême, de donner dans le tire-larme dégoulinant. On en reste pourtant très loin. La narration elliptique y est pour beaucoup. Des phrases courtes, saccadées. Une succession de petits paragraphes où une certaine forme de poésie vient vous cueillir sans crier gare. Marthe murmure son récit dans un souffle. Elle dit la douleur mais aussi son éveil au désir dans les bras de Florent. La violence du père face à la sensualité, face à la tendresse de l’amour. On croit à une possible résilience, on se dit que cette petite fille devenue femme va parvenir à se reconstruire. Mais le traumatisme est toujours présent, la haine viscérale.

Une histoire simple. Une histoire belle et dramatique. Bouleversante. Une plume tout en délicatesse. Sauf les fleurs est un premier roman. C’est surtout un texte magnifique qui vous poursuivra longtemps. Pour un coup d’essai, c’est un coup de maître.


Sauf les fleurs de Nicolas Clément. Buchet-Chastel, 2013. 75 pages. 9 euros.

Une lecture commune que je l'ai plaisir de partager avec Marilyne, Noukette et Stephie. Un sacré trio !

Les avis de Alex ; Canel ; Clara ; Cristie ; Jacky Caudron







mercredi 9 octobre 2013

Les nombrils T6 : Un été trop mortel - Delaf et Dubuc

Drôle d’été pour les nombrils. Les trois inséparables amies suivent désormais leur propre route. Karine ne quitte plus Albin et son groupe de musique, Jenny passe son temps à draguer sur la plage et Vicky est envoyée par ses parents dans un camp de remise à niveau pour les élèves nuls en anglais. De nouvelles rencontres en événements inattendus, de petits drames en belles surprises, chacune va  vivre des moments très particuliers. Leurs trajectoires vont évidemment à nouveau se croiser pour un final à rebondissement qui clôt un cycle important de la série.

Chaque nouvel album des nombrils se fait attendre mais au regard de la qualité de l’ensemble, on ne pourra jamais reprocher aux auteurs de prendre leur temps. Loin de la série à gags classique, ils font évoluer constamment leurs héroïnes et leur environnement. Rien n’est laissé au hasard, l’introduction de chaque nouveau personnage est travaillée à l’extrême et prend son sens sur la durée. Ici, parmi les nouveaux venus, mention spéciale au maître nageur craquounet au QI d’huitre Jean-Franky et à la gothique Mégane dont on se doute qu’elle va prendre à l’avenir une place de plus en plus conséquente.

La construction du récit se révèle imparable. Par exemple un épisode à priori anodin de la page 31 revient comme un boomerang de façon inattendue à la toute dernière planche. Et puis il y a toujours ce ton un peu vachard, les répliques nunuches de Jenny, l’égocentrisme de Vicky, le cynisme de ses parents, bref une marque de fabrique qui fait des nombrils LA série jeunesse du moment. Si j’avais un seul petit bémol à émettre je dirais que Karine devient de plus en plus transparente, tenant au mieux le rôle de faire-valoir. En fait, on sent les auteurs beaucoup plus à l’aise pour mettre en scène ses deux acolytes.

A la lecture de ce nouvel album, difficile de ne pas reconnaître que le succès de la série est amplement justifié. D’ailleurs j’ai une fan à la maison qui attendait ce sixième volume avec la plus grande impatience et qui l’a dévoré en deux temps trois mouvements.


Les nombrils T6 : Un été trop mortel de Delaf et Dubuc. Dupuis, 2013. 50 pages. 10,60 euros. 








mardi 8 octobre 2013

Suite à un accident grave de voyageur - Eric Fottorino

En septembre 2012, trois personnes se sont jetées sur les voies du RER dans les Yvelines, non loin de chez l’auteur. Des tragédies que la SNCF qualifie d’ « accident grave de voyageur. » Pour Éric Fottorino, c’est bien plus que cela : « Je ne reconnaissais rien dans ces paroles désincarnées. Elles composaient un chef d’œuvre d’évitement. L’accident grave n’évoquait aucun geste, ne suggérait aucune image. Il relevait d’une langue vidée de sa substance, dénuée de compassion. Une suite de mots pour ne plus y penser, pour passer à autre chose. »

Fottorino, utilisateur quotidien des transports en commun, s’interroge sur les raisons de cette déshumanisation. Il voudrait redonner aux victimes la dignité qu’elles méritent. Des morts passées sous silence par les médias et que la SNCF ne considère que comme des problèmes techniques : « L’échelle des priorités s’imposait dans sa crudité, sa cruauté. Le suicide sur les voies n’est pas une vie de perdu. C’est du temps de perdu. L’existence de tous est contrariée par la défaillance d’un seul. Des retards. Des arrêts inopinés. Des trains qui n’arriveront pas à l’heure. Il faut aller vite. S’assurer que le trafic peut être rétabli. » Des morts dont on se fiche ou pire, qui agacent. Sur certains forums, les usagers se lâchent. Ces suicidés ne sont que des égoïstes qui auraient mieux fait d’avaler des médocs ou de se tirer une balle dans la tête plutôt que d’embêter le monde. Ces suicidés anonymes dont on ne retient que le geste, dont l’existence n’intéresse personne. Heureusement, il y a aussi des messages de résistance au cynisme ambiant. D’aucuns voient  « dans ces gestes la volonté de choquer et d’exhiber sa détresse avec une violence indécente, comme un reproche à notre indifférence ». L’auteur pense aussi aux témoins directs qui, pour la plupart, ne pourront jamais oublier ce qu’ils ont vu.

Ce texte est, entre autres, un cri de douleur poussé face au mépris et à l’indifférence, mais j’ai apprécié le fait que Fottorino ne se mette pas au-dessus de la mêlée : « Combien de fois ai-je moi-même pesté à l’annonce d’un retard dû à un accident de personne ? Suis-je donc devenu insensible aux autres ? Je préfère croire que les trains de banlieue anesthésient mes émotions. [ …] Le temps du trajet, je ne suis plus tout à fait humain. Je ferme mes yeux à la laideur, mon cœur à la misère ».  A aucun moment il n’endosse le costume du donneur de leçon. Il voudrait juste comprendre comment un geste aussi irréparable est possible : « Je me demande si on s’entraîne à mourir. Si se jeter sur les voies est un crime prémédité contre soi. Ou un meurtre sans coupable. »  La réflexion est profonde et parfaitement construite, l’écriture magnifique. Un texte rare dont la beauté n’a, je trouve, rien de morbide.

Une découverte que je dois à Philisine Cave. Elle a une fois de plus joué son rôle de tentatrice à la perfection.


Suite à un accident grave de voyageur d’Eric Fottorino. Gallimard, 2013. 62 pages. 8,20 euros.


lundi 7 octobre 2013

Volt - Alan Heathcock

Un père qui écrase accidentellement son enfant avec un tracteur et perd les pédales. Un homme demandant à son gamin de l’aider à faire disparaître le corps d’un conducteur récalcitrant. Un pasteur et sa femme qui ne se remettent pas de la mort de leur fils en Irak. Une femme shérif désemparée devant la folie des hommes. Une paysanne un peu cintrée qui déambule dans un labyrinthe de maïs…

Tout cela se passe à Krafton, dans le trou du cul de l’Amérique. L’enfer sur terre. Des baraques déglinguées et des âmes cabossées. Des voitures en ruine, de la boue partout. Les éléments se déchaînent, les eaux recouvrent cette ville de péchés  et chacun semble chercher une impossible  rédemption. C’est sombre, violent, d’une infinie tristesse. Dans chacune de ces nouvelles, il y a au moins un personnage qui, à un moment ou un autre, pleure. Le plus souvent, d’ailleurs, ce sont des hommes.

Un beau recueil donc, à l’écriture poétique et enlevée, mais qui ne m’a pas pour autant totalement enthousiasmé. Il manque ce petit grain de folie, ce coté abrasif qui mettrait le feu aux poudres. La comparaison avec Donald Ray Pollock n’a pas lieu d’être, Heathcock restant dans l’ensemble beaucoup trop sage. Parmi les nouvellistes américains découvert il y a peu, Frank Bill et Anthony Doerr restent pour moi un cran au dessus. Pour autant, mon point de vue est comme d’habitude totalement subjectif. Faites-vous donc votre propre idée…

Volt d’Alan Heathcock. Albin Michel, 2013. 296 pages. 23 euros.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Anne et Clara.



samedi 5 octobre 2013

Trembler te va si bien - Risa Wataya

 « Etô Yoshika, vingt-six ans. Nationalité japonaise, groupe sanguin B, employée à K.K. Mareuil, facilement acnéique. Copain zéro, économies zéro. Loyer mensuel 75 000 yens. Ce que je déteste : les glandeurs. Ce que j'aime : le ragoût de bœuf. Ma passion du moment : chercher sur Wikipédia les espèces animales éteintes. »

Yoshika est célibataire mais elle a deux amoureux. Du moins, elle est restée follement amoureuse d’Ichi, la star du lycée qu’elle n’a pas revue depuis des années. Malheureusement Ichi ne s’est jamais intéressé à elle. Ce n’est pas le cas de Ni, un collègue du bureau lui ayant officiellement demandé si elle souhaitait devenir sa petite amie. « Ni, c’est l’ex-sportif affublé d’un petit début de bidon propre au buveur de bière, le type qui fixe sa vieille coupe ras du crâne quelque peu défraîchie au gel extrafort, grand nez, grands yeux, le type qui dégage une aura chaude et humide comme l’épaisseur d’un bento tout frais. » Entre les deux son cœur balance. Quoi que… Elle ne ressent rien pour Ni mais au moins il lui offrira une certaine sécurité affective. Seulement, lorsqu’Ichi réapparaît à une réunion d’anciens élèves, Yoshika se dit qu’elle va peut-être enfin avoir sa chance avec celui auquel elle n’a jamais cessé de penser depuis la fin de son adolescence…

Ça démarrait bien. Yoshika, jeune femme un peu paumée mais pleine de fraîcheur et d’humour raconte son quotidien avec une belle autodérision. Elle analyse avec finesse ses relations compliquées aux autres. On sourit devant les incertitudes amoureuses qui occupent ses pensées la plupart du temps et on se dit qu’elle est finalement aussi lucide que naïve. Bref, un portrait de femme sans doute assez typique d’un grand nombre de jeunes japonaises actives d’aujourd’hui très joliment troussé.

Mais dans le dernier tiers du roman le soufflé retombe. Les atermoiements de Yoshika deviennent exaspérant et on a juste envie de lui mettre un bon coup de pied aux fesses pour qu’elle cesse de se plaindre et se remue un peu, pour qu’enfin elle prenne les rennes et arrête de subir les événements. En fait ce dernier tiers est trop psychologique pour moi. La confession n’est plus légère et drôle, elle agace. C’est simple, j’ai eu l’impression d’être un psy auquel s’adresse une patiente. Mais je ne suis pas un psy, je suis juste un lecteur et j’avoue que la fin du roman m’a paru terriblement ennuyeuse.

Je retenterai néanmoins le coup avec cette auteure parce que j’ai trouvé le début de son récit excellent. Peut-être avec « Appel du pied », le roman qui lui fit gagner le prix Akutagawa (le Goncourt japonais) alors qu’elle n’avait que 19 ans. Dernier détail, je trouve le titre très beau mais je ne lui vois strictement aucun rapport avec le texte. Si quelqu’un a une explication je suis preneur.

Trembler te va si bien de Risa Wataya. Picquier, 2013. 144 pages. 16 euros.




vendredi 4 octobre 2013

La célèbre Marilyn - Olivier de Solminihac

Marilyn, c’est bien simple, personne ne fait attention à elle. Elle n’a qu’un seul ami et le jour où il est malade, il ne lui reste plus personne à qui parler. De toute façon un seul ami ce n’est pas assez selon elle pour exister. Pour exister, il faut être célèbre. Sans forcément faire quoi que ce soit de particulier pour le devenir. Son idée ? Se planter au milieu de l’école avec à la main un stylo et un calepin pour signer des autographes. A priori, impossible que cela fonctionne. Mais il suffit parfois de pas grand-chose pour déclencher un effet « boule de neige »…  

Un roman jeunesse sans prétention et finalement sans grand intérêt. C’est bien écrit et le narrateur est malicieux mais le propos est convenu et les situations présentées trop simplistes. Se poster dans la cour de récré pour signer des autographes alors que l’on a aucun talent particulier et connaître ainsi la gloire, c’est prendre les enfants pour plus bêtes qu’ils ne sont il me semble. Bien sûr il y a un message derrière tout ça. La célébrité, n’importe qui peut y accéder (clin d’œil appuyé à la téléréalité)  et on fini toujours par s’en mordre les doigts. Certes. C’est dans l’air du temps et ça peut faire réfléchir mais je ne suis pas convaincu par la façon dont l’auteur mène sa barque.

Un texte court, qui se lit très vite mais qui, je le crains, s’oublie aussi très rapidement. En ce qui me concerne il ne m’en restera rien d’ici peu…


La célèbre Marilyn d’Olivier de Solminihac. L’école des loisirs, 2013. 70 pages. 8,00 euros. A partir de 8-9 ans.

jeudi 3 octobre 2013

Les pieds bandés - Li Kunwu

 « L’âge idéal est six ou sept ans quand la peau est douce et les articulations tendres. Il faut d’abord préparer deux petites paires de souliers bien cousus et tout l’équipement nécessaire : une bande blanche de tissu de chanvre, raidie avec l’amidon, bien sèche et enroulée ; également une paire de ciseaux, un dé à coudre, une bonne aiguille et du gros fil de couture, sans oublier de l’alcool jaune, une cuvette, du coton, des chutes de tissu… Ah oui, j’allais oublier, il faut encore du sang frais de chèvre. »  « La potion est amère mais le jeu en vaut la chandelle. » 

Au début du 20ème siècle, en Chine, si une femme voulait se marier avec un fils de bonne famille, elle devait avoir de tout petits pieds. Et pour avoir de tout petits pieds, il fallait les bander de manière abominable, une vraie torture. Une torture qu’a dû endurer Chunxiu. Elle n’avait que huit ans lorsqu’on lui a bandé les pieds. Dix ans plus tard, alors qu’elle était devenue une magnifique jeune femme prête à marier, l’armée révolutionnaire renversa l’empereur et édicta de nouvelles règles. Les vestiges de l’institution féodale furent bannis et le bandage des pieds interdit. Retournant dans son village natal, Chunxiu devint, suite à un événement tragique, une simple paysanne puis la nounou de Li Kunwu, l’auteur de ce one-shot en tout point édifiant.

Un douloureux destin de femme intimement lié à celui de son pays. Un destin individuel qui symbolise l’évolution de la Chine et sa marche forcée vers la révolution communiste. J’ai trouvé les pages où est décrite la technique du bandage à la limite de l’insoutenable. Quelle horreur ! Le personnage de Chunxiu est pour sa part touchant. Elle a traversé avec une étonnante dignité une existence pas épargnée par le malheur. Li Kunwu mélange avec bonheur la petite et la grande histoire. Son propos est clair et la progression chronologique se fait sans heurts. Une vraie maîtrise de la narration en somme.  

Coté dessin, j’ai bien aimé ce noir et blanc (of course !) à l’encrage épais et un peu tremblotant. Les scènes de foule et de marché sont notamment très réussies.

Un bel album, riche et instructif. En même temps c’était une recommandation de Mo’ et de Marilyne donc je ne prenais pas de grands risques en me lançant dans cette lecture.


Les pieds bandés de Li Kunwu. Kana, 2013. 127 pages. 15 euros.

Les avis de Mo', Cristina et Audouchoc.





mercredi 2 octobre 2013

Les filles de Montparnasse T1 : Un grand écrivain - Nadja

1873 à Paris. Sur les ruines de La Commune, la vie continue. A Montparnasse,  quatre jeunes femmes se partagent le même appartement. Garance peint, Rose-Aymée est modèle, Élise voudrait devenir chanteuse et Amélie écrit. Quatre destins de femmes dans un Paris bohème et artistique d’une étonnante modernité.

Nadja entremêle les trajectoires de ses héroïnes avec facilité. Mais sous le vernis d’une apparente liberté, on constate à quel point elles évoluent dans un univers totalement sous l’emprise des hommes. Pour chanter, Élise doit se soumettre aux désirs d’un patron de cabaret tandis qu’Amélie effectue son travail de correctrice sous la coupe d’un éditeur lui faisant comprendre qu’elle ne gagnera jamais autant en travaillant sur ses propres textes. Pour autant, dans ce monde très masculin, ces filles rêvent, pleurent, désirent. Leurs échangent sont sans tabous et chacune d’elle exhale à sa manière une grande sensualité.

Auteur bien connue pour sa production jeunesse (Le chien bleu), Nadja propose un style graphique particulier, chaque case étant entièrement réalisée à la gouache. C’est spécial mais très expressif et l’ensemble se révèle au final visuellement fort intense.  A noter que l’album s’ouvre sur un long passage onirique, ce qui ne manquera pas de rappeler aux lecteurs connaissant bien son œuvre que chez Nadja, le rêve occupe toujours une place importante.

Les filles de Montparnasse est une tétralogie dont le troisième volume sort demain. Un joli portrait de femmes au parti-pris graphique original aussi séduisant qu'efficace.

Les filles de Montparnasse T1 : Un grand écrivain de Nadja. Olivius, 2012. 230 pages. 24 euros.








mardi 1 octobre 2013

Demande à la poussière - John Fante

Arturo, le héros de  Bandini, a bien grandi. Jeune adulte expatrié à Los Angeles, il se rêve écrivain et vient de publier sa première nouvelle dans une revue. En attendant que son talent lui ouvre les portes de la gloire, il crève la faim dans une chambre sordide, bouffant de la vache enragée et ayant toutes les peines du monde à payer son loyer. Et puis dans cette ville immense, Arturo est seul, tellement seul. Dans un troquet minable où le café est pire que de l’eau de vaisselle, il va rencontrer Camilla, une serveuse d'origine mexicaine dont il va tomber fou amoureux, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Ah le bonheur ! Grâce à cette lecture commune proposée par Syl, j’ai pu replonger dans un texte découvert il y a 20 ans. Un roman culte, incontournable, une pépite qui a déclenché en moi un coup de foudre pour la littérature américaine. Demande à la poussière est une réécriture de La faim de Knut Hamsun. Il y a dans ces pages une vitalité, une fraîcheur, une urgence et une liberté de ton incomparables. Les phrases se bousculent, Arturo est tour à tour égocentrique, affreusement méchant, imbuvable, touchant ou exaspérant, parfois d'une totale mauvaise foi. Humain, quoi. Ce roman est d’une infinie tristesse mais il déborde d’amour. Il est aussi plein d’humour, d’autodérision, de désespoir. On touche à la folie, à la passion, à la vie dans ce qu’elle propose de plus universel, ce mélange de sentiments allant de la colère à la compassion, de l’attendrissement au dégoût.

L’écriture de John Fante est très orale, elle coule avec une sidérante simplicité. J’adore la variété de son registre de langue. Le vulgaire côtoie des moments de pure beauté, les dialogues sonnent parfaitement juste, c’est tout ce que j’aime en fait.

Les cinq pages du chapitre six sont à tomber par terre. C’est pour moi l’exemple même de l’écrivain touché par la grâce. Jugez plutôt : "J’ai regagné ma chambre, remontant les escaliers de poussière de Bunker Hill, le long des bicoques en bois mangées par la suie qui longent cette rue obscure, avec ses palmiers étouffés par le sable, le pétrole et la crasse, ces palmiers si futiles qui se tiennent là comme des prisonniers moribonds, enchaînés à leur petit bout de terrain, les pieds dans le goudron. Rien que de la poussière partout et des vieilles bâtisses, avec tous ces vieux assis aux fenêtres, tous ces vieux qui sortent de chez eux à petits pas, qui se déplacent douloureusement dans la rue noire. Les vieux de l’Indiana, de l’Iowa et de l’Illinois, de Boston et Kansas City et DesMoines, qui vendent maisons et pas-de-porte et s’en viennent ici en train et en automobile, au pays du soleil, histoire de mourir au soleil, avec juste assez d'argent pour vivre jusqu'à ce que le soleil les tue. [...] Juste assez pour entretenir l'illusion que c'est vraiment le paradis et que leurs petites bicoques en papier mâché sont des vrais châteaux. Les déracinés, les gens vides et tristes [...] On est du même pays, eux et moi, on est les nouveaux californiens."

Fante mon amour ! Sans John Fante, je n’aurais jamais connu Selby et consorts. Sans John Fante, une certitude, ma vie de lecteur aurait été bien plus triste !

Demande à la poussière de John Fante. 10/18, 2002. 272 pages. 7,10 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Syl, Nahe et Manu.



Un billet qui signe ma 1ère participation au mois américain



lundi 30 septembre 2013

Le cycliste de Tchernobyl - Javier Sebastian

Vassia Nesterenko est ce vieil homme abandonné dans un self-service des Champs-Élysées et confié à la charge du narrateur, un fonctionnaire espagnol venu à Paris pour participer à la conférence internationale des poids et mesures. Il est aussi celui qui trouve refuge dans la cabine des auto-tamponneuses de Pripiat (la ville la plus proche de Tchernobyl) pour échapper aux chiens et qui circule à vélo entre les immeubles abandonnés. Mais il est également ce physicien menacé de mort par le KGB pour avoir dévoilé l’effroyable réalité de la catastrophe nucléaire et dénoncé la désinformation permanente mise en place par les sources officielles. Il fut l’un des tout premiers envoyés sur place et l’un des plus lucides aussi. Dès le début, il décida de venir en aide en priorité aux enfants et chercha à alerter les médias sur l’ampleur du drame. Une sincérité et une volonté de transparence qui lui valurent bien des inimités.

Il y a ce formidable décalage entre l’implacable réalité des chiffres (des millions de cancers), le discours politique rassurant qui relève forcément du mensonge d’état et la vie qui perdure dans les zones contaminées. Le monde des survivants de Pripiat, ou plutôt celui des condamnés en sursis, est un condensé d’optimisme et d’humanité, une volonté farouche de rester debout et de résister, quoi qu’il arrive : « Ils savent tous qu’ils doivent partir. Sinon ils vont mourir. Et pourtant ils sont là. » Parce que c’est ici qu’ils sont nés, parce que c’est ici qu’ils reviennent affronter une mort certaine, parce que c’est ici qu’ils veulent s’aimer, danser et chanter une dernière fois. Emmanuel Lepage avait parfaitement retranscrit cela dans Un printemps à Tchernobyl, Antoine Choplin aussi avec La nuit tombée et Javier Sebastian l’exprime ici à son tour. Un monde interlope où se croisent les résidents permanents, les pillards à la recherche de derniers vestiges à monnayer et même quelques touristes en quête de sensations fortes. Une communauté vibrante et solidaire dans un univers apocalyptique.

Le cycliste de Tchernobyl est un roman engagé, profondément antinucléaire. Sebastian parvient à mélanger des éléments scientifiques purement factuels et des tranches de vie romanesques avec une facilité déconcertante. La figure héroïque de Vassia, physicien altruiste seul contre tous, ayant très vite compris l’ampleur de la catastrophe et voulant à tout prix témoigner de la réalité de la situation, est d’une grande pureté. Un texte sombre, désespéré et humain, une grande réussite.

Le cycliste de Tchernobyl de Javier Sebastian. Métailié, 2013. 204 pages. 18 euros.

Une fois de plus, c’est une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marilyne.

L’avis de Leiloona 



samedi 28 septembre 2013

La petite fille en rouge - Roberto Innocenti et Aaron Frisch

Sophia habite avec sa mère dans une forêt de béton et de briques. Sa mamie habite de l’autre coté de la forêt et elle n’est pas très en forme. Alors Sophia décide d’aller lui tenir compagnie. Elle remplit son sac de biscuits et de fruits, boutonne son manteau à capuche rouge et quitte l’appartement avec en tête les recommandations maternelles : « Ne t’écarte jamais de ton chemin. » Mais la forêt est tellement grande. La petite fille n’a pas encore tous ses repères dans le monde extérieur, dans cette foule où « tout le monde vous voit mais personne ne vous voit. »

Sur la route devant la mener chez sa grand-mère, Sophia passe par le cœur de la forêt, un centre commercial gigantesque brillant de mille feux. Un endroit où les tentations sont nombreuses et par lequel l’enfant décide de faire un détour.  Elle s’y perd et en sortant, un terrible danger la guette. Bien plus tard, dans l’immeuble de la petite fille en rouge, une mère inquiète veille depuis des heures lorsque le téléphone sonne…

Une réécriture moderne et dérangeante du Petit chaperon rouge pour cet album angoissant à souhait. Ce n’est plus en forêt mais en ville que l’enfant chemine. Une mégalopole sombre et immense remplie de dangers. La naïveté de Sophia lui fait faire de bien mauvaises rencontres dans cet enfer urbain de pauvreté, de violence et de solitude. 

Les illustrations de Roberto Innocenti sont réalistes et d’une richesse folle. Toutes fourmillent de détails et l’étude minutieuse des arrières plans révèle une ambiance des plus malsaines : agressivité, crasse, pollution, omniprésence de la publicité, cohabitation entre une population aisée (dans le centre commercial) et une autre misérable. Très peu de lumière dans les rues, un ciel gris délavé et triste… tout concourt à distiller une atmosphère oppressante, jusqu’à la scène finale où les auteurs proposent deux versions : une conclusion que l’on imagine tragique et une happy end optimiste. La lecture de l’image tient un rôle majeur dans la perception de l’album par les plus jeunes. De cette interprétation découlera (ou pas) la compréhension fine des tenants et des aboutissants de l’histoire.

Cet album fascinant est à la fois un récit d’initiation et une réflexion politique sur notre société actuelle. Surconsommation, pollution, fracture sociale, délinquance, les choses sont montrées sans fard et poussent à la réflexion. 

Un coup de cœur et un coup de poing comme on en voit peu en littérature jeunesse, à réserver néanmoins aux lecteurs ayant suffisamment de maturité pour l’aborder avec le recul et la sérénité nécessaires.

La petite fille en rouge de Roberto Innocenti et Aaron Frisch. Gallimard jeunesse, 2013. 32 pages. 13, 90 euros. A partir de 8-9 ans.





vendredi 27 septembre 2013

Ça ressemble à une vie - Roger Wallet

Alors voila. J’ai offert ce livre à Philisine et Philisine en a tellement bien parlé qu’elle m’a donné envie de le relire. Ce n’est pas un livre comme les autres pour moi parce que c’est un livre de Roger. Un homme avec qui j’ai longtemps travaillé, un homme avec lequel j’ai vécu de fabuleux moments au cours d’ateliers d’écritures mémorables. Un homme qui m’a fait découvrir Michon et Carver. Un homme que je considère comme un grand écrivain, un nouvelliste exceptionnel. Bref je lui voue une admiration sans bornes et j’ai toujours beaucoup de mal à parler de ses ouvrages. Trop de proximité, je ne trouve pas les mots justes et je n’arriverai jamais à lui rendre l’hommage qu’il mérite.

Ça ressemble à une vie raconte l’histoire de Louis Even. Apprenti menuisier avant guerre. Sa femme Marthe. Son premier fils Martin. Il se met à son compte, voit son entreprise prospérer. Un adultère. Marthe qui s’en va. Entre temps David est né. Attardé. Il sourit et il bave. Toujours dans les jupes de sa mère et puis
« un jour d’avril 77 une lettre c’est marthe. 
cancer. Promets-moi de veiller sur lui je ne t’ai jamais rien demandé mais là je te le demande  
Promets-moi
s’effondre
il avait oublié ce goût du sel dans la bouche »
Ça ressemble à une vie et les années passent. Il vend son affaire. Vieillit. Martin est enseignant. David grandit et fait des progrès. Un jour ça lui échappe il l’appelle fiston. De la tendresse. Un père et son fils, ensemble, jusqu’à la fin. Une vie quoi...

Ce texte ne se donne pas facilement, il me semble qu’il se mérite. Une existence racontée en 33 tableaux. Forcément elliptique. Le rythme est saccadé, les phrases coupées, les majuscules et la ponctuation absentes la plupart du temps. De la poésie en prose ou de la prose poétique. On s’en fout. Il faut se laisser porter par la beauté et l’âpreté de la langue. Etre submergé par l’émotion quand l’image surgit. En quelques mots à peine. Pas d’effet de style, pas de grandiloquence. Une écriture minuscule à la force d’évocation incomparable. C’est beau. C’est de la littérature.

Ça ressemble à une vie de Roger Wallet. Éditions des Vanneaux, 2005. 70 pages. 10 euros.

PS : vous pouvez retrouver Roger Wallet dans la revue numérique et gratuite « Les années ». Une revue bimensuelle dont il est le co-fondateur et le grand manitou et à laquelle j’ai le plaisir de participer en y alimentant la rubrique BD. Si vous souhaitez la recevoir par mail, il suffit de me le demander.



jeudi 26 septembre 2013

Faillir être flingué - Céline Minard

Des cow-boys, des indiens, des voleurs de chevaux, des chariots dans la plaine, des danseuses de saloon… Brad, Josh, Jeffrey, Elie, Zébulon, Sally et les autres. Une multitude de personnages convergeant volontairement ou pas vers une ville champignon sortie de nulle part : « Une rue longue d’environ 600 mètres, bordée de part et d’autre de tentes et de baraques en planches plus ou moins solides. » La naissance d’un monde neuf ou chacun aura sa chance, quel que soit son turbulent passé.

Tous les clichés possibles s’empilent (attaque de la diligence, saloon tenu par une maquerelle, chinois blanchisseurs…)  et pourtant l’image mythique du western ne cesse d’être bousculée. Céline Minard a à l’évidence pris beaucoup de plaisir à tricoter cet univers à la fois décalé et respectueux des codes du genre. Et c’est surtout parce qu’elle maîtrise à la perfection ces codes qu’elle peut se permettre de les chahuter comme bon lui semble. Elle est tellement à l’aise dans cet environnement si cloisonné que l’on a parfois envie de hurler : « Dorothy M. Johnson, sors de ce corps ! ».  Il suffit de voir la facilité déconcertante avec laquelle elle parvient à installer une ambiance « typiquement western » : son saloon a l’odeur du tabac froid et du whisky bon marché, sa prairie verdoyante résonne du bruit des sabots des chevaux indiens et quand on s’assoit sur le fauteuil du barbier, on sent la douceur de la mousse à raser et la pression du coupe-chou sur notre carotide. Une écriture descriptive à la précision diabolique qui plonge le lecteur en pleine immersion.  Que ce soit dans les passages contemplatifs où lors de scènes d’action trépidantes, tout sonne terriblement juste. Même le final, nerveux à souhait, que l’on attend crépusculaire et tragique, se termine sur une pirouette inattendue.

Du souffle, un hymne poétique à la nature sauvage, des personnages incarnés et des destins croisés… pas de doute, Céline Minard est bien une virtuose.

Faillir être flingué de Céline Minard. Rivages, 2013. 325 pages. 20 euros.

L'avis d'Hélène





mercredi 25 septembre 2013

June - Nicolas Moog

Quand papa boit, c’est toute la famille qui trinque. Otis picole en cachette mais quand il rentre à la maison puant la vinasse, il ne trompe personne. Otis est malade. L’alcool le ronge petit à petit. Il en a conscience mais ses démons sont plus forts que lui : « Le docteur a dit qu’une rechute serait catastrophique. Le docteur a dit qu’une hospitalisation à la demande d’un tiers serait la seule solution face à cette catastrophe. Le docteur a dit que le tiers le plus approprié, c’était moi. »

Fébrilité, crise de délire, dépression… le mal est chaque jour plus profond. Sa femme ne baisse pas les bras mais elle sait que la démarche vers le sevrage doit venir de lui. Quant aux enfants, ils vivent les choses difficilement. Thomas le fils a compris à quel point son père est fragile et si la petite June semble perdue devant l’ampleur de la situation, elle continue de lui vouer un amour sans borne : « Mon papa, il a jamais fait de mal à personne. Pourquoi il serait devenu le diable tout à coup ? Il voulait pas qu’on sache que c’était la foire dans sa tête… alors il buvait. Comme un trou. A un moment il était oppressé comme un citron, il a plus supporté. Il voulait pas avoir l’air faible… comme si c’était un problème, comme si c’était honteux.  C’est pour ça. Il nous a tellement donné… »

L’album est découpé en courts chapitres. Une succession de scénettes où les protagonistes donnent tour à tour leur point de vue. Le huis clos familial, cette volonté commune de ne pas ébruiter la situation, de ne rien dire aux voisins et aux amis. Si Otis a disparu depuis quelques semaines c’est parce qu’il est parti rendre visite à sa mère dans le sud. La fraternité entre les enfants, le soutien mutuel que l’on s’apporte pendant cette période difficile. La joie du retour à la maison après la cure. La mère, pleine d’espoir et de doutes : « Et la vie continue. Comme avant… enfin espérons. »

Les choses sont exposées sans fard, la simplicité du dessin et du découpage rend la narration d’une parfaite limpidité. Je ne connais pas Nicolas Moog ni son parcours mais on sent du vécu dans ce scénario. J’ai aussi beaucoup aimé la fin ouverte. Pas de happy end. Une histoire en suspens. Malgré l’apparente guérison, le mal rôde, une rechute est toujours possible… C’est fort. Très fort.

June de Nicolas Moog. 6 pieds Sous Terre, 2011. 56 pages. 20 euros.

L'avis d'Oliv





lundi 23 septembre 2013

Le chemin des morts - François Sureau

Les années 80, « la cocaïne, l’indifférence à la misère, le goût d’aller vite et de gagner beaucoup d’argent. » Le narrateur sort de  l’école de la magistrature et prend son premier poste au conseil d’État en qualité d’auditeur de deuxième classe. Acceptant une affectation à la commission des recours des réfugiés, une juridiction chargée d’examiner les demandes d’asile, il découvre que les décisions ne sont pas toujours simples à prendre : « Ces malheureux ne quittent pas le pays où ils ont été persécutés avec un certificat de torture en poche signé du chef de la police. Ils ne présentent presque jamais de preuves. C’est leur récit qui compte. Il y faut beaucoup de discernement. Certains ne disent pas la vérité qui leur vaudrait le statut, et préfèrent raconter les fables dont un ami les a persuadés qu’elles emporteraient la conviction. D’autres font mauvaise impression en plaidant d’une voix de stentor ou en essayant d’émouvoir, alors qu’un récit plus simple, plus fidèle, déciderait leur juge. »  

Chargé d’instruire le dossier d’un certain Ibarrategui, militant basque réfugié en France depuis la fin des années 60 après avoir pris part à la guérilla pro-républicaine, le jeune juge et ses pairs rejettent la demande d’asile, justifiant cette décision par le retour de la démocratie en Espagne. Un verdict lourd de conséquence puisque qu’un groupuscule clandestin franquiste assassinera peu après le militant de retour au pays.  

Des années après, le juge revient sur ce qu’il considère sans doute comme un cas de conscience, un sentiment prégnant de culpabilité même si, au fond de lui, il sait qu’il n’a commis aucune erreur et que la décision finale ne pouvait être différente. Le droit et la justice face à l’humanité. La raison d’état et la politique qui s’imbriquent de façon intime. Comment un récit aussi « technique » juridiquement parlant peut être aussi touchant ? Sans doute parce que de ce regret, ce remords même, à l’évidence très autobiographique, François Sureau a su faire une œuvre littéraire. A peine soixante pages âpres, denses, limpides, sans un mot de trop. A travers la figure christique du militant basque déchargeant par avance les juges de la responsabilité de sa mort à venir, il offre à son récit une surprenante hauteur spirituelle.

Voila un tout petit texte qui pousse à la réflexion. Sur la notion de droit, sur les enjeux politiques de certaines décisions juridiques, sur le fait que la raison d’état prend toujours le pas sur les considérations individuelles. Impressionnant !

Le chemin des morts de François Sureau. Gallimard, 2013. 55 pages. 7,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Marilyne.




samedi 21 septembre 2013

Esprit d’hiver - Laura Kasischke

Un matin de Noël. Une tempête de neige. Une mère qui se retrouve seule à la maison avec sa fille adoptive. La gamine a 15 ans. Ses parents sont allés la chercher dans un orphelinat Sibérien alors qu’elle n’était qu’un bébé. Mais en ce matin de Noël Tatiana, d’habitude si gentille, a un comportement étrange. Un comportement qui, au fil de la journée, va devenir de plus en plus inquiétant…

La middle class américaine décortiquée jusqu’à l’os. Sous le vernis des apparences proprettes, le mal rode et le malaise est profond. Cette thématique est le fonds de commerce de Laura Kasischke, une auteure à l’univers romanesque parfaitement délimité. Kasischke, c’est un peu une bonne copine qui proposerait gentiment de faire votre nœud de cravate et serrerait petit à petit la soie autour de votre cou jusqu’à vous étrangler totalement. Sans avoir l’air d’y toucher. Elle possède cette capacité à diffuser une ambiance malsaine en toute décontraction. Dans ses romans, on tourne les pages avec le même leitmotiv en tête : « jusque-là tout va bien, jusque-là tout va bien… ». Et pourtant on sait que ça va mal finir. C’est du moins ce que j’ai toujours ressenti en la lisant. Et ici aussi c’était le cas jusqu’à la moitié du texte. Mais après j’ai lâché prise. Trop de longueurs, trop de redites. Les incessants flash-backs dans l’orphelinat de Sibérie pour répéter en permanence un seul et unique événement m’ont saoulé. L’impression d’être pris pour un abruti auquel on rabâche sans cesse les mêmes informations pour être certain qu’il a bien compris.

En fait ce roman est beaucoup trop psychologique pour moi. Ce huis-clos glaçant en pleine tempête de neige avait pourtant tout pour me plaire. Mais l’ensemble n’est pas assez tendu, pas assez nerveux. Surtout il pourrait largement être amputé d’une centaine de pages sans que cela gêne le moins du monde, bien au contraire. Pour tout vous dire, je l’ai acheté le jour de sa sortie, il y a un mois. Commencé dans la foulée avec impatience, je l’ai ensuite fait traîner pendant des semaines. Un signe qui ne trompe pas et me pousse à classer ce texte dans la catégorie des lectures « chiantes », ni plus ni moins. Dommage mais ça arrive. Et je me sens bien seul puisqu’après voir fait un tour sur Babelio je constate que 24 chroniques sont en ligne et pas une seule ne met moins de 4/5 à ce titre. C’est quoi mon problème ?

Esprit d’hiver de Laura Kasischke. Bourgois, 2013. 276 pages. 20 euros.

Un autre avis négatif, celui de Cuné !




vendredi 20 septembre 2013

Ernest et Rebecca T5 : L’école des bêtises

Rebecca va mieux. Depuis que ses défenses immunitaires se sont renforcées, le microbe Ernest, son meilleur copain, a disparu. Mais alors qu’elle retourne à l’école, l’affreux « virus-zombie » de la grippe fait des ravages dans la cour de récré. Fièvre, vomissements, fébrilité, les enfants tombent comme des mouches. Heureusement pour Rebecca, Ernest continue de veiller sur elle. Si la grippe lui cherche des noises, elle trouvera à qui parler !

Toujours aussi trognonne, cette gamine pétillante me fait fondre. Elle n’a pourtant pas la vie facile entre sa santé fragile, sa sœur Coralie en pleine crise d’adolescence et la difficile séparation de ses parents. En plus dans ce nouveau volume, son grand-père chéri, pépé bestiole, se retrouve à l’hôpital. Pas mal d’inquiétude et quelques larmes versées mais la bonne humeur et la joie de vivre finissent pas l’emporter. En courtes scénettes, les auteurs dressent avec bonheur le quotidien d’une petite fille attachante en diable.

Je suis totalement fan de cette série depuis ses débuts mais j’ai quand même ressenti un petit coup de moins bien sur ce tome. Moins de poésie et d’humour, un intérêt moindre pour l’histoire et surtout une certaine frustration tant beaucoup de questions restent en suspens : qui est le mystérieux correspondant virtuel de Coralie ? Comment va évoluer la santé de Pépé  bestiole ? Je serai évidemment au rendez-vous du prochain album parce que j’adore Ernest et Rebecca mais j’espère que ce tome de « transition » ne restera qu’une parenthèse un peu moyenne dans un ensemble de grande qualité. En même temps je ne suis pas spécialement inquiet. Avec Guillaume Bianco au scénario, le destin de Rebecca est entre de bonnes mains.


Ernest et Rebecca T5 : L’école des bêtises. Le Lombard, 2013. 46 pages. 10,60 euros. A partir de 7-8 ans.

Mon avis sur les tomes 1 et 2.