jeudi 4 septembre 2014

Yparkho - Michel Jullien

Ilias est sourd et muet, comme sa mère Maria. Tous deux vivent dans une petite maison crétoise, loin de tout. Maria est en bout de course. Totalement sénile. Ilias s’en occupe comme il peut. Dans la journée, il répare les camions venus trouver secours au seuil de son petit atelier. Le soir, il pêche dans les criques avec sa vieille barque. Un jour, entre deux falaises, Ilias entend le souffle du vent : « ses deux tympans s’ouvrirent, cravachés d’un coup de grisou expulsé du puisard. Quelque chose venait de hurler qu’il reconnut pour un bruit, le premier, entré dans sa tête. Un bruit neuf, distinct, pas de ces borborygmes claustrés tout le jour dans son immense caisse de résonance intérieure […] Un son intelligible, venu de l’extérieur. » Une impression nouvelle qui le bouleverse…

Que se passe-t-il dans ce court roman ? Pas grand-chose à vrai dire. La vie qui s’écoule, paisible. Silencieuse. L’écaillage d’un mérou, la réparation d’un camion, l’agonie d’une dorade, une séance de manucure, tout est prétexte à décrire le moindre geste, le moindre mouvement. Une écriture sensorielle à l’incroyable force d’évocation. C’est poétique sans être ronflant, imagée sans tomber dans la banale compilation de descriptions. Ça pourrait être très lourd, ça pourrait être de la pure esbroufe, de l’exercice de style sans âme. C’est au contraire une déclaration d’amour à la langue et au pouvoir enchanteur des mots. On sent un auteur exigeant, orfèvre, ciselant chaque phrase avec minutie et prenant un évident plaisir à le faire. Tout est là, je pense. Michel Jullien joue avec un lexique foisonnant, il créé une musicalité qui enchante et force l’admiration. Et le lecteur de se régaler de ces petits riens si joliment troussés. Juste somptueux.

Yparkho de Michel Jullien. Verdier, 2014. 137 pages. 13,50 euros.

Quelques extraits, j’aurais pu recopier des dizaines de pages :

« Plus que le silence familial, plus que leur défaut d’ouïe, Ilias et Maria partagent le peu de choix de leur vie d’élection, cet endroit délaissé, cette maison bâtie sous un virage en épingle à cheveux dont l’accotement verse parfois sur la toiture. Mère et fils ne se voient pas, non qu’ils s’ignorent : leur mutuelle surdité les en dispense, et puis manger force à regarder en bas. Ils n’ont jamais mis au point de gestations codées, de mimes, nulle distorsion de faciès pour un verbe, nulle agitation buccale où lire un mot, pantomine de lèvres, nul mouvement impudique de langue comme l’ont les sourds discutant entre eux à qui se coupe la parole. Il ne rient ni ne se consolent. Muets au pas de la mer, ils partagent leur pudibonderie depuis une quarantaine d’années… »


« Sur la barge de peu de pente, au départ de la barque, six chats postés tenaient l’air de ne surtout pas être là, sur pattes ou mal alanguis, la babine agitée d’un flegme sardonique. […] L’un d’eux s’étira, le dos en plein cintre, comme s’il allait quitter la place mais l’alibi de l’indolence le fit s’asseoir exactement là où il venait de se lever, seigneurial et galeux. Un autre boulé sur ses croûtes se pelageait le croupion de bonne foi, l’aine béante, une gigolette en l’air, cessant soudain ses lècheries pour regarder la barque s’éloigner, une lunule de langue figée entre ses dents. »


Ma 4ème participation au challenge
1% de la rentrée littéraire





16 commentaires:

  1. Tu le ferais voyager, dis ? *yeux du chat potté*

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  2. Je te signale que ses précédents romans valent aussi le détour!
    http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2013/04/esquisse-dun-pendu.html
    et
    http://enlisantenvoyageant.blogspot.fr/2014/07/au-bout-des-comedies.html

    il mes reste à lire un autre à la bibli, et ce dernier, donc. J'ai découvert que l'auteur vient en librairie pas trop loin de chez moi.

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    1. J'ai vu qu'Esquisse d'un pendu était à la médiathèque. Il sera mien bientôt.

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  3. Il pourrait tout-à-fait me convenir celui-là.

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  4. "Une écriture sensorielle à l’incroyable force d’évocation."

    C'est beau comme du Jérôme ça... :)

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    1. Rhooo, manU, quel flatteur ! (bon, en même temps j'aime ça, donc ne te prive pas...)

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  5. Tu l'avais bien vendu sur FB. Noté déjà.;-)

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    1. Pas sovent que l'on tombe sur une écriture pareille, j'avais envie de la partager ;)

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  6. Je suis presque sûre de passer à côté bizarrement... La langue est sûrement très belle mais je ne suis pas sûre d'accrocher...

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    1. Je ne pense pas non plus que ce soit ta tasse de thé.

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  7. tu me donnes très envie de le découvrir

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  8. J'ai apprécié Esquisse d'un pendu, surtout pour l'ambiance médiévale et le style incroyable de l'auteur : vraiment original.

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    1. Le style incroyable de l'auteur, c'est vraiment la chose la plus marquante !

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