vendredi 22 août 2014

Au-dessous du volcan - Malcolm Lowry

Je ne sais pas si, comme moi, vous avez l’habitude de sauter les avant-propos, préfaces et autre postfaces avant de vous lancer dans un roman mais, pour le coup, je vous conseille de ne pas faire l’impasse sur celles qui ont accompagné la publication d’Au-dessous du volcan en France à la fin des années 50 et que l’on retrouve dans cette version chez Folio. Vous y trouverez les clés indispensables pour bien comprendre la substantifique moelle de ce texte que Paul Morelle n’a pas hésité à qualifier dans Le Monde de « chef d’œuvre comme il n’en existe pas dix par siècle ».

C’est un fait, Au-dessous du volcan n’est pas simple d’accès. Il demande de l’attention, il vous pousse dans vos derniers retranchements de lecteur. Le premier chapitre, d’une centaine de pages, est déstabilisant, presque inintelligible. Il se dresse comme un mur qu’il vous faudra contourner pour accéder à ce monument de la littérature, rien de moins. L’histoire est pourtant simplissime. Un homme, consul britannique déchu, échoué dans un coin perdu du Mexique, noie son mal-être dans la tequila et le mescal. Douze chapitres retraçant ses douze dernières heures, sa chute vertigineuse et inéluctable. Yvonne, sa femme, qui l’a quitté, qui revient, qui l’aime et qu’il aime, ne pourra que constater les dégâts, impuissante. Dans l’avant-propos, Maurice Nadeau parle de l’histoire d’amour du consul et d’Yvonne comme d’une « des plus belles et des plus poignantes qu’on ait jamais lues. »

Mais Au-dessous du volcan ne se résume pas à une magnifique histoire d’amour impossible. C’est « le roman d’un alcoolique qui, avec une lucidité effrayante et une suprême maîtrise de moyens, décrit tous les symptômes de sa maladie et lui trouve ses véritables causes, qui ne sont pas du ressort de la médecine » (Nadeau, encore). Car le consul est malade de l’âme, incapable d’aimer, incapable de communier avec l’autre. On assiste au spectacle de son dérèglement, à sa volonté délirante de dépasser l’ivresse pour accéder à l’absolu. Et le consul de finir abattu par des policiers fascistes à la sortie d’une gargote. Il bascule dans un ravin, mort. Quelqu’un jette auprès de lui le cadavre d’un chien.

Dis comme ça, ça fait ne fait pas très envie, je le concède. Mais ce roman est proprement fascinant. Sa construction, son exigence, son style inclassable en font un texte à part, essentiel, et je me répète, un monument de la littérature.

Extraits : 

« Ne te reste-t-il donc plus de tendresse ou d’amour pour moi ? demanda soudain Yvonne, presque piteusement en se tournant vers lui, et il pensa : Si, je t’aime, et il me reste pour toi tout l’amour du monde, mais cet amour me paraît si loin de moi, et si étrange aussi, je pourrais prétendre l’entendre, un bruit sourd et un sanglot, mais loin, très loin, un son triste, perdu, et qu’il s’approche ou s’éloigne, je ne saurais le dire. »

« Le consul, suçant une tranche de citron, sentit le feu de la tequila courir le long de sa colonne vertébrale comme la foudre frappant un arbre qui ensuite, par miracle, fleurit. »

« Il pria : Je vous en prie, accordez à Yvonne son rêve d’une vie nouvelle avec moi – je vous en prie, laissez-moi croire que tout cela n’est pas une abominable duperie de moi-même – je vous en prie, laissez-moi la rendre heureuse, délivrez-moi de cette effrayante tyrannie de moi. Je suis tombé bas. Faites-moi tomber encore plus bas, que je puisse connaître la vérité. Apprenez-moi à aimer de nouveau, à aimer la vie. »

Yvonne, s’adressant au consul : « Est-ce trop tard ? Je veux des enfants de toi pour bientôt, pour tout de suite, je les veux. Je veux sentir ta vie m’emplir et m’agiter. Je veux ton bonheur sous mon sein et tes peines dans mes yeux et ta paix entre les doigts de ma main. […] Tu marches au bord d’un gouffre et je ne puis te suivre. Si nous pouvions sortir de notre misère, nous chercher une fois encore, et retrouver la consolation de nos lèvres et de nos yeux. Qui s’interposera ? Qui peut s’opposer. »

Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry. Folio, 2012. 636 pages. 9,40 euros.


Et en plus c'est mon pavé de l'été (de l'année même !) chez Brize




jeudi 21 août 2014

Enon - Paul Harding

"La plupart des hommes de ma famille font de leurs épouses des veuves, et de leurs enfants des orphelins. Je suis l'exception. Ma fille unique, Kate, est morte renversée par une voiture alors qu'elle rentrait de la plage à bicyclette, un après-midi de septembre, il y a un an. Elle avait 13 ans. Ma femme Susan et moi nous sommes séparés peu de temps après".

Les six premières lignes du texte. Tout est dit. Charlie a perdu sa fille unique. Charlie a perdu sa femme. Charlie a perdu pied. Totalement.

Attaquer la rentrée littéraire avec un sujet aussi plombant à de quoi vous mettre le moral dans les chaussettes. Un père détruit par une tragédie personnelle impossible à surmonter, un père qui sombre dans l’alcool, la drogue et qui rôde la nuit venue près de la tombe de son enfant, il faut reconnaître que ce n’est pas joyeux-joyeux. Mais personnellement j’aime bien. Je suis dans ma zone de confort avec les personnages à la marge, les solitaires misanthropes, les histoires sombres, très sombres.

Bon j’avoue, le Charlie, on a souvent envie de lui botter le cul, de lui dire qu’il n’est pas le premier à qui ça arrive et qu’il ne sera malheureusement pas le dernier. On a aussi envie de lui dire que c’est un peu facile de se laisser couler de la sorte plutôt que d’affronter la réalité en face. Mais ce que j’aime chez Paul Harding c’est qu’il ne saute pas à la gorge de son lecteur en hurlant « regarde et pleure ! » comme tant d’autres savent si bien le faire. Il dessine l’indicible par petites touches, il bifurque, il vagabonde sur des chemins de traverse, perd le fil de son récit pour plonger dans les souvenirs d’enfance de son personnage ou exposer l’histoire de la ville d’Enon et sa toponymie. Et sans crier gare il revient au quotidien de Charlie et nous immerge à nouveau dans son terrible voyage aux confins de la déchéance et de la folie. J’adore ce choix narratif plein de liberté, une manière de dire au lecteur « qui m’aime me suive, et tant pis si j’en perds en route ». Et puis il peut se le permettre parce qu’il écrit magnifiquement bien. Il y a dans ce texte des passages absolument somptueux :

« Comprendre que mon chagrin était infinitésimal, comparé à la somme de l’univers, ne m’empêchait pas d’en être dévasté. Je savais bien que mon tourment était présomptueux, une manière fallacieuse de prétendre à la tragédie absolue. Si je ne cessais de clamer que j’étais trop faible pour supporter la mort de ma fille, cela ne signifiait-il pas justement que j’en avais la force en réalité ? […]Ma peine n’aurait-elle pas été plus intense si Kate n’avait jamais existé ? Beaucoup plus intense ? N’était-il pas vrai que sa brève et joyeuse existence était la plus grande joie de la mienne ? La joie de ces treize années ne constituait-elle pas un royaume à part entière, dont le chagrin assiégeait à présent les murailles, certes, mais sans parvenir à les abattre ? Voila ce que je me disais. La joie de ces treize années possédait une intégrité en propre, au sein de laquelle Kate continuait d’exister. Les souffrances entraînées par sa propre mort ne pouvaient l’atteindre. »

Ou encore :

« J’étais affamé de mon enfant et venais me repaître dans le cimetière, dans l’espoir qu’elle me rejoigne, à mi-chemin de nos deux mondes, ou juste au-delà, ne fût-ce qu’une nuit, ne fût-ce que pour un instant – qu’elle se dresse de nouveau, debout sur ses pieds nus, et foule l’herbe humide ou les feuilles mortes ou la terre enneigée de l’Enon vivant afin que nous puissions échanger elle et moi ne fût-ce qu’un seul, un dernier mot humain. »

Un roman d’une beauté tragique, un roman anti « feel good » par excellence. Tout ce que j’aime, quoi.

J’ai voulu entraîner Noukette dans cette première lecture de la rentrée. Pas sûr que ma binômette préférée ait autant apprécié le voyage à Enon que moi…

Enon de Paul Harding. Le cherche midi, 2014. 288 pages. 17,50 euros.






mercredi 20 août 2014

Fairest T1 : Le grand réveil - Willingham, Gimenez et Sturges

Après une succession de déceptions livresques, j’ai voulu revenir vers une valeur sûre pour me remettre sur les rails. Rien de mieux que la BD, rien de mieux qu’un comics, qu’un spin off d’une série que j’adore (Fables) pour retrouver un vrai plaisir de lecture. Du moins c’est ce que je pensais avant d’attaquer ce Fairest. Parce qu’après coup, je n’ai qu’une chose à dire : encore raté !

Pourtant le pitch avait tout pour me plaire : Ali Baba réveillant la Belle au bois dormant d’un baiser langoureux et la sauvant des griffes d’une horde de gobelins aidé par un odieux génie sorti d’une bouteille, avouez que ça donne envie. Faire en sorte, en plus, que le prince des voleurs, devenu prince charmant, se trompe dans un premier temps et emballe la Reine des neiges avant sa dulcinée, fallait oser. Ça démarrait donc drôlement bien, juste barré comme j’aime. Mais patatras, sur la distance, ça n’a malheureusement pas tenu la route.

Le scénariste Bill Willigham a créé avec Fables  une œuvre dense, originale et particulièrement riche. A tel point qu’il peut se permettre de sortir certains personnages de la série-mère pour leur offrir leur propre histoire (il l’avait déjà fait avec Jack – celui du haricot magique – au fil des six tomes de Jack of the Fables »). Une façon comme une autre d’exploiter le filon mais pour le lecteur, il y a un vrai risque de perte d’intérêt et de dispersion. C’est du moins ce que j’ai ressenti ici. Les mésaventures d’Ali et de ses femmes relèvent franchement de l’anecdotique et si les dialogues sont souvent drôles, les péripéties pour le moins abracadabrantesques ont failli m’arracher quelques bâillements, c’est dire.

Encore raté, donc. Mais je ne baisse pas les bras, je vais bien finir par trouver chaussure à mon pied.


Fairest T1 : Le grand réveil de Willingham, Gimenez et Sturges. Urban Comics 2014. 155 pages. 15 euros.

mardi 19 août 2014

Le faire ou mourir - Claire-Lise Marguier

Le jour où Dam, seize ans, se fait malmener par une bande de skateurs, Samy s’interpose et lui sauve la mise. Une première rencontre qui va bouleverser son existence. Avec Samy et ses ami(e)s gothiques, Dam trouve enfin un environnement chaleureux et fraternel  lui permettant de mieux vivre son mal-être permanent. Surtout, il va développer pour son sauveur une forme d’affection qu’il ne pouvait soupçonner et à laquelle il est incapable de résister, au grand dam de ses parents.

Un roman coup de poing, une claque, un énorme coup de cœur… tous les avis glanés ici où là sont dithyrambiques, du coup je suis un peu gêné d’écrire que ce texte m’a davantage agacé que touché. Clairement, pour moi, ça manque de finesse. A vouloir trop secouer le lecteur, la narration perd de son impact. Les personnages de Dam et Sammy sont bien campés, c’est un fait, et l’évolution de leur relation est parfaitement menée, comme la description du terrible mal-être de Dam. Mais comme l’a écrit Anne dans son billet, ce roman pêche souvent par excès. Excès de pathos, d’effets tire-larmes (le mot « larmes » doit d’ailleurs être présent une bonne cinquantaine de fois en cent pages) et de personnages secondaires caricaturaux (les skateurs forcément beaux gosses, friqués et branleurs, les parents incapables de comprendre l’hypersensibilité et la douleur de leur fils avec, cerise sur le gâteau, un père plus beauf que beauf, etc.).

Une grosse originalité quand même, il y a deux fins différentes, ce que je n’avais pas compris au départ (je pensais que la première était juste un rêve, un fantasme). Quoi qu’il en soit je n’ai été convaincu par aucune des deux. Je ne peux pas la spolier, cette première fin, mais je l’ai trouvée ridicule, pas crédible pour deux ronds, notamment par rapport à la description des faits et aux échanges avec la police. Bref… La seconde, dégoulinante de guimauve, offre une conclusion où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil et compréhensif après avoir été ignoble dans les pages précédentes. Bref...

Clairement, je suis passé à coté. Ça fait trois fois en trois jours (après Benameur et Kerangal) et avec trois ouvrages coup de cœur pour une très grande majorité de lecteurs. C’est quoi mon problème en ce moment ?

Le faire ou mourir de Claire-Lise Marguier. Rouergue, 2011. 102 pages. 9,70 euros. A partir de 14 ans.

Un roman jeunesse que je partage une fois de plus avec Noukette.

Les avis de Anne, Bouma, Cajou, Clara, In Cold Blog, Krol, Paikane, SaraStephie, Theoma  


lundi 18 août 2014

Réparer les vivants de Maylys - Kerangal

L'accident a eu lieu au petit matin, sur une route du pays de Caux. Les gamins revenaient d'une séance de surf en plein hiver. Chris a perdu le contrôle du véhicule. Sur les trois passagers, Simon était le seul à ne pas avoir sa ceinture. Coma irréversible, mort cérébrale. Le drame va se dérouler en vingt-quatre heures et en trois actes : d'abord prévenir les parents, leur annoncer la nouvelle et les accompagner face à l'horreur de la situation. Puis leur faire comprendre que si leur fils a perdu la vie, son cœur palpite encore. L'infirmier de réanimation demande à ce couple fou de douleur s'il accepte que l'on prélève les organes de Simon. Avec tact, sans jamais leur forcer la main et en leur laissant le temps de réflexion nécessaire. Enfin, après avoir obtenu le consentement parental, mettre en branle la procédure ultra codifiée permettant les prélèvements. Une course contre la montre où chaque acteur du théâtre médical doit connaître son rôle sur le bout des doigts.

Ce roman abordant la question du don d'organe est fascinant à bien des égards. Maylis de Kerangal propose une réflexion profonde sur le sens que l'on peut donner à la mort. Et le lecteur de s'interroger à son tour, d'imaginer quelle serait sa réaction dans une situation semblable. Comment par exemple accepte-t-on, en tant que parent venant de perdre son enfant, de voir son corps « profané » pour prolonger la vie d'une autre personne ?

Le fond interpelle, bouscule, transcende l'atrocité pour faire jaillir l'espérance. Mais la forme est pour moi plus problématique. L'écriture est ample, sèche, précise, très descriptive, froide. Elle ne laisse à aucun moment l'émotion déborder sur l'aspect purement chirurgical. Je peux comprendre ce choix narratif et constater son efficacité mais il m'a laissé à distance. Finalement, j'ai trouvé ce roman trop écrit, manquant d'une certaine forme de spontanéité.

Une belle découverte néanmoins et je ne regrette pas une seconde de m'être lancé dans ce texte qui ne pourra laisser personne indifférent.

Réparer les vivants de Maylys de Kerangal. Verticales, 2014. 280 pages. 18,90 euros.

Ce billet n'est pas tout à fait un billet comme les autres puisqu'il est le millième publié depuis la naissance de ce blog. Et, cerise sur le gâteau, j'ai le plaisir de partager cette lecture avec Moka, Noukette et Stephie, trois blogueuses qui sont sans conteste les plus belles rencontres virtuelles ET réelles que je dois à la blogosphère.

Les avis de ClaraFransoazGambadouKathelLaurieLeiloona,LilibaMangoManuMirontaineNadaelPhilisineSylireTitineValérie



dimanche 17 août 2014

Profanes - Jeanne Benameur

Octave Lassalle a 90 ans et il refuse de laisser la vieillesse prendre le dessus : « je m’embarque pour la partie de ma vie la plus précieuse, celle où chaque instant compte, vraiment ». Cet ancien chirurgien porte en lui un terrible drame, la mort accidentelle de sa fille dont il ne s’est jamais remis. Sa femme l’avait quitté peu après et depuis il est resté seul.

Octave vit retiré dans sa grande maison avec sa gouvernante, madame Lemaire. Avant qu’il ne soit trop tard, il décide de rompre sa solitude en recrutant quatre personnes qui se relayeront auprès de lui chaque jour. Marc, le jardinier, viendra le matin. Hélène, la peintre, lui succédera puis se sera au tour de Yolande tandis que la jeune Béatrice passera ses nuits dans la maison. Ces quatre-là ne se connaissent pas, ils ne sont pas des gardes-malades, ils sont là pour entourer et enrichir les dernières années du vieil homme. Ces quatre-là sont des âmes cabossées en quête de sens et de rédemption. Leurs histoires personnelles vont les lier peu à peu, profondément, intimement. Et le projet d’Octave va l’emmener bien plus loin qu’il ne l’avait imaginé…

On m’avait prévenu que ce roman de Jeanne Benameur risquait de me laisser sur le bord du chemin et malheureusement ça a été le cas. C’est pourtant un texte plein de vie et de poésie, un texte lumineux où la petite musique si subtile de l’auteure des « Demeurées » résonne avec toujours autant de force. Mais j’y ai trouvé trop de bienveillance, trop d’optimisme. L’alchimie qui fonctionne entre les personnages est, selon moi, trop parfaite pour être crédible. Sans doute est-ce dû à mon indéfectible pessimisme envers la nature humaine. Pour tout vous dire, retrouver de l’espoir dans la compagnie des hommes alors que l’on est au fond du trou n’est pas une éventualité à laquelle je pourrais m’accrocher personnellement, du coup je suis resté insensible au message positif distillé par ce très joli texte. Je n’ai développé aucune empathie pour les protagonistes et je suis resté en dehors de l’histoire, regardant l’enchaînement des événements de loin, de très loin même.

Dommage, mais on m’avait prévenu…

Profanes de Jeanne Benameur. Actes Sud (Babel), 2014. 273 pages. 7,80 euros.

Bon, il y a des milliards d’avis positifs sur ce roman, j’ai retrouvé ceux de AlexCanel, ClaraCristina, Evalire, Jostein, Krol, Laurie, Mango, Midola, Mirontaine, Nadael, Noukette, Stephie, Sylire, Un autre endroit, Valérie, Zazy



Et une nouvelle participation au challenge de Noukette

vendredi 15 août 2014

Quand mes nouvelles coquines sont publiées dans un recueil XXL…

L’association Ciels en Picardie, éditrice de la revue « Les années » à laquelle je participe régulièrement, profite de l’été pour lancer une collection de recueils de nouvelles. « L’été 14 » aura en tout six numéros et devinez quoi, le dernier regroupera mes nouvelles coquines rédigées pour le rendez-vous de Stephie. Pour l’occasion, j’ai écrit un troisième texte totalement inédit, « Le plus petit abîme ».


Les recueils sont au format pdf, totalement gratuits bien sûr, et fournis sur demande. Le mien, intitulé « XXL » vient d’être corrigé et mis en page alors si vous souhaitez le recevoir il suffit de me le demander à cette adresse : dunebergealautre@gmail.com


Lectures et pal de vacances

Alors voila. Je suis parti en vacances il y a trois semaines avec six romans dans ma valise.


Bilan, au retour, j'ai lu ça :


Trois des six romans + Profanes, Soie et Épisodes de la vie des mantes religieuses achetés sur place et Maine que ma femme avait emmené pour elle et que je n'ai pas pu m'empêcher de lire. Des titres auxquels il faut ajouter un manga, un comics et trois ouvrages lus avec mes pépettes : un roman jeunesse pour pépette n°1, une BD pour pépette n°2 et un album trop mignon pour la petite dernière.

Et comme en chemin j'ai croisé nombre de librairies toutes plus belles et plus attirantes les unes que les autres, ma pal a pris un peu de poids :



Bref, des vacances livresques riches et variées comme j'aime. Il est temps maintenant de me plonger à corps perdu dans la rentrée littéraire (et accessoirement de reprendre le boulot, mais ça c'est un détail...).





jeudi 14 août 2014

Chasse au trésor - Molly Keane

Les Ryall ne s'attendaient pas à ça ! Le jour des funérailles de Sir Roderick, le patriarche, ils apprennent de la bouche de leur notaire que le défunt les laisse au bord de la ruine. Seule solution pour sauver le domaine familial de Ballyroden, transformer le château en maison d'hôtes. Philip, le fils de Roderick, aidé de sa cousine Veronica, va tenter de faire comprendre à son oncle Hercules et sa tante Consuelo que le temps du champagne à gogo, des journées aux courses et des séjours à Monaco est révolu. Un message difficile à faire passer tant ses aînés ont depuis toujours l'habitude de vivre dans le faste et de dépenser sans compter. Et le jour où les premiers hôtes débarquent d'Angleterre, les choses se compliquent davantage encore pour le pauvre héritier !

Un texte plein de mordant où la haute bourgeoisie irlandaise aux traditions séculaires en prend pour son grade. Un roman finalement très proche d'une pièce de théâtre. Le rideau se lève et les scènes d'anthologie s’enchaînent : personnages excentriques (mention spéciale pour la vieille tante Anna Rose et pour le trio de domestiques pas piqués des hannetons ), description piquante du dandy Hercules et de sa sœur Consuleo, dialogues savoureux, situations improbables proches du vaudeville, tout y est. Bon c'est loufoque, il ne faut pas être imperméable à l'humour « so british », mais personnellement c'est une forme de burlesque que j'aime retrouver de temps en temps au fil de mes lectures.

Bref , mordante, drôle, légère et improbable, cette Chasse au trésor se déguste comme un bon verre de cherry accompagné de quelques biscuits. Sans prétention mais drôlement bien troussée.

Chasse au trésor de Molly Keane. Quai Volatire, 2014. 270 pages. 20,00 euros.

Les avis de Clara et Valérie



mercredi 6 août 2014

La clinique de l'amnésie - James Scudamore

Quito, 1995. Anti, arrivé d'Angleterre depuis deux ans pour suivre ses parents journalistes, est scolarisé au lycée international. Il y a rencontré Fabian, un équatorien vivant chez son oncle Suarez. Les deux adolescents sont devenus les meilleurs amis du monde, même si Fabian a parfois un comportement étrange. Depuis que le véhicule de ses parents est tombé dans un précipice des années plus tôt, faisant de lui un orphelin, son humeur est souvent cyclothymique. Surtout, le corps de sa mère n'ayant jamais été retrouvé, il veut se persuader qu'elle est toujours en vie. Inspiré par les talents de conteur hors pair de son oncle, il invente des histoires extravagantes, notamment pour expliquer les causes de l'accident. Pour tenter de consoler son ami, Anti va à son tour imaginer un scénario improbable et l'embarquer dans un voyage chimérique à travers l'Équateur.

Un  agréable premier roman où l'imagination est au pouvoir. C'est aussi l'occasion de découvrir un  pays aux multiples facettes. Pour autant, James Scudamore ne donne pas dans le folklore. Son récit est très construit, avec ce qu'il faut d'intensité dramatique pour qu'on le dévore d'une traite. La galerie de personnages est riche et chacun apporte un soupçon de complexité à l'ensemble. Les dialogues sonnent juste, l'écriture est simple mais les descriptions, précisent et imagées, offrent un vrai dépaysement.

Bref, ce texte couronné en 2007 par le prestigieux Somerset Maugham Award m'a permis de découvrir une nouvelle et talentueuse voix de la littérature britannique. Une lecture de vacances idéale, je ne suis pas certain que je l'aurais autant apprécié dans la grisaille de la rentrée.

La clinique de l'amnésie de James Scudamore. Stock, 2014. 300 pages. 20,00 euros.

L'avis de Clara



samedi 2 août 2014

Épisodes de la vie des mantes religieuses - Louis Calaferte-

Calaferte est un génie. De ceux qu'un lecteur croise rarement dans une vie. Il a écrit "Septentrion", un chef d'oeuvre dont je serais bien incapable de parler un jour tant il est trop grand pour moi. Parmi les autres titres de son immense bibliographie, je vous recommande aussi "La mécanique des femmes", "Rosa Candida" ou encore le fabuleux "Requiem des innocents", mais il y en a bien d'autres.

Dans les "Épisodes de la vie des mantes religieuses", il parle une fois de plus des nombreuses femmes de sa vie. Une géographie amoureuse complexe, particulièrement sexuelle, souvent dérangeante. Il y décrit notamment sa relation avec D., celle qu'il aime et qui chaque soir se transforme en mante religieuse : "Végétale, armée de tiges carnivores surmontées d'une infinité de petits dards aux aiguilles rétractiles, chaque nuit elle dort auprès de moi, me dévore doucement pendant mon sommeil."

Mais il y a aussi toutes les autres, femmes d'un soir ou putains aux seins flasques : "Je les voudrais prostituées à moi. Dans des rues étroites, puantes. Dans des escaliers d'hôtels borgnes. Pour des accouplements qui seraient des sacrifices. Les jeter ensuite dans les cuvettes des bidets. Je m'assiérais au bord pour les regarder se débattre, déchets animés, dans le tourbillon de l'eau siphonnée. Femmes froissées, femmes-miettes. La peau de leur sexe flottant à la surface."

Chez Calaferte, la chair est triste. "Images lubriques. Fange du sexe. [...] Forcer l'impossible. Être Dieu. S'anéantir dans la débauche, jusqu'au crime. Exacerbation du sexe. Désir d'échapper à la ruine intérieure." Il y a bien quelques moments d'apaisement ("T'envelopper dans mes bras, t'étreindre, te blottir contre moi, couvrir de baisers ton visage, tes cheveux, t'étouffer de tendresse") mais le désespoir lucide reprend vite la main : "Je me hisse sur sa froideur cadavérique. Ses lèvres pâles grimaçent. En vain nous nous essoufflons, l'un à l'autre impénétrables. Une nuit nous sépare."

Ce texte n'est pas un roman. C'est une succession d'aphorismes, de souvenirs épars, de bribes de poèmes en prose. C'est doux et violent, insignifiant et profond. Le rythme de chaque phrase oscille entre calme et fureur avec une force incomparable. Dans la préface, Marcela Iacub qualifie ces épisodes de hold-up, de coup de poing, de viol, de massacre. C'est un livre qui "nous secoue, nous torture, nous humilie. Nous pénètre, nous envahit, nous contamine, nous vampirise, nous corrompt." Et je dois dire qu'elle n'a pas tout à fait tort...

Calaferte est mon écrivain français préféré. Un génie. Un monstre. Son écriture me foudroie, il a par moments des fulgurances qui me laisse abasourdi :

"Nuit.
Retraite.
Elle ouvre et referme sans bruit la porte.
Certitude d'une présence. Son pas volontairement léger. Elle traverse la grande pièce.
Je fais semblant de dormir.
Elle entre dans la chambre, pose son sac à main sur le fauteuil. Je sais qu'elle me regarde. Son parfum.
Bruit de la laine, de la fermeture éclair du pantalon. Mouvement autour de moi.
Déclic de l'agrafe du soutien-gorge. Les couvertures, les draps soulevés.
Poids dans le lit.
Cette fraîcheur, cette souplesse prenante qui s'ajuste à moi.
La langue passe sur mes lèvres. Caresse de la main. Je frissonne malgré moi.
Elle chuchote quelque chose que je ne comprends pas.
La langue entre dans ma bouche, y reste droite. Immobile. La main me prend, fourreau coulissant.
Je me retourne.
Elle me recouvre de son corps."


Épisodes de la vie des mantes religieuses de Louis Calaferte. Denoël, 2014.186 pages. 11,90 euros.




mardi 29 juillet 2014

Eleanor et Park - Rainbow Rowell

« Pas pour moi je crois. Pas du tout même. » Voila le commentaire que j’avais laissé chez Cajou après avoir découvert son billet enthousiaste à propos de ce livre. De la littérature Young adult pleine d’amour et de bons sentiments entre deux ados, sérieux, faudrait me payer pour lire un truc pareil ! Sauf qu’entre temps Noukette l’a lu et l’a adoré elle aussi. Et qu’on en a parlé ensemble. Erreur fatale ! Parce que la force de persuasion de Noukette, ce n’est pas rien. Et la promesse d’une nouvelle lecture commune avec elle, ce n’est pas rien non plus. Bref, je suis faible. Trop faible. Et je me suis une fois de plus laisser embarquer. Bon, faut dire aussi que j’aime bien de temps en temps explorer des territoires très, très éloignés de ma zone de confort. Par pure curiosité. Et aussi parce que je suis rarement déçu en suivant les yeux fermés des prescriptrices convaincantes…

Park a croisé pour la première fois Elelanor dans le bus scolaire. Il l’a trouvée « grosse et gauche. Avec des cheveux hallucinants, rouges et bouclés. Et elle était habillée comme… comme si elle voulait qu’on la remarque ». Elle lui a fait penser à un épouvantail. Quand elle s’est assise à coté de lui, il l’a ignorée, ni plus ni moins. Peu à peu pourtant il a fini par se rapprocher d’elle, il a partagé avec elle sa passion de la musique et des comics et il est tombé follement amoureux. Il a également découvert qu’Eleanor n’avait pas une existence facile, avec sa mère sans travail, son beau-père alcoolique et violent et ses quatre frères et sœurs. Harcelée par des camarades de lycée, tentant de surnager dans un quotidien infernal, c’est une jeune fille en souffrance. Park va devenir le phare qui illumine son quotidien, celui grâce auquel  la vie vaut la peine d’être vécue.

J’étais sceptique, j’avoue. Et pas qu’un peu. Peur que tout cela dégouline de guimauve fondante, peur d’un récit pour midinettes sentant l’eau de rose à plein nez. Peur d’avoir à m’enfoncer deux doigts dans la gorge pour faire passer la nausée qui ne manquerait pas de m’envahir. Et finalement mes préjugés ont volé en éclat au fur et à mesure de la lecture. Parce que tout cela n’est pas du tout cucul. Bon, je trouve la barque d’Eleanor chargée, l’accumulation de ses malheurs m’a semblé un peu trop tire-larmes pour être honnête. Mais c’est un détail. Parce que l’amour naissant entre ces deux lycéens atypiques est rudement bien amené, tout en finesse.  Et puis j’ai adoré Park, un garçon intelligent, sensible, sentimental en diable, assumant sans honte son amour fou et tellement, tellement touchant. Pour lui, Eleanor n’est pas charmante. Elle n’est pas jolie non plus : « Elle ressemblait à une œuvre d’art. L’art n’a rien à voir avec le beau, il existait pour faire ressentir les choses. » Lucide, entier et sincère, c’est ce que j’aime.

Cette histoire n’est pas un conte de fée, c’est l’amour vrai, douloureux, tout sauf un long fleuve tranquille. Bon, évidemment, j’ai pas pleuré, faut pas pousser. Je ne ferai pas non plus de ce roman un coup de cœur mais je serais d’une totale mauvaise foi si je ne reconnaissais pas avoir pris énormément de plaisir à passer quelques heures avec ces deux gamins attachants. Quand je dévore 400 pages en trois jours alors que j’ai bien d’autres choses à faire, quand je suis impatient de retrouver des personnages dont l’histoire me touche et que je me rends compte en refermant le livre qu’ils vont me manquer, c’est un signe qui ne trompe pas. Comme quoi :
1) il est drôlement bon, de temps en temps, de sortir de sa zone de confort
2) il faut toujours écouter les conseils avisés de ceux et celles qui vous veulent du bien

Eleanor et Park de Rainbow Rowell. Pocket Jeunesse, 2014. 378 pages. 16,90 euros. A partir de 13-14 ans.

Une lecture commune qe je partage évidemment avec Noukette

Les avis de Cajou et Cécile




vendredi 25 juillet 2014

Le messager - Charles Stevenson Wright

Je n’avais jamais entendu parler de ce livre. Encore moins de cet auteur. C’est Noukette qui me l’a fait découvrir. Pas parce qu’elle l’a lu (et je doute d’ailleurs qu’elle le lise un jour) mais parce que sa libraire lui en a parlé et qu’elle a tout de suite pensé que ça allait me plaire. Elle a bien fait.

Charles Stevenson Wright (1932-2008) est l’auteur d’une trilogie dédiée à New York dont « Le messager », publié en 1963, constitue le premier volume. Un recueil de textes courts, à l’évidence très autobiographiques, où l’on navigue avec le narrateur dans les rues de Big Apple. Un narrateur dont le boulot de coursier lui rapporte moins de dix dollars par jour et qui habite, seul, dans un immeuble décati du nord de Manhattan. Un narrateur vivant parmi les arnaqueurs, les prostitués, les drogués et les travelos. Un narrateur métis au corps splendide et au cul superbe qui n’hésite pas à tapiner dans les bars pour améliorer l’ordinaire, se vendant au plus offrant, homme ou femme, blanc ou noir.

Ça parait glauque dit comme ça mais ça ne l’est pas du tout. Il y a au contraire beaucoup de lumière, une analyse lucide des rapports humains et une savoureuse galerie de personnages à la marge. Attention, ce n’est pas drôle pour autant, loin de là. Mais si je devais comparer « Le messager » avec d’autres romans ayant décrit l’underground New Yorkais, je dirais qu’il se dégage de celui-ci davantage de mesure que chez Selby par exemple (exemple extrême, je vous le concède, tant la vision de Selby est apocalyptique). Ce que je veux dire, c’est que l’écriture est ici plus léchée, tout en retenue. J’ai lu des dizaines de bouquins de ce genre à l'époque où je m'injectait chaque jour de la littérature américaine en intraveineuse (c'était bien avant le blog...) et j’ai retrouvé chez Wright la gouaille d’un Icerberg Slim, l’argot et la vulgarité en moins. J’ai retrouvé aussi la fougue et l’insouciance du cultissime « Basket Ball Diaries » de Jim Carroll. Je pourrais aussi citer Bruce Benderson, Jerome Charyn, Chester Himes ou Richard Price. Bref, je suis en terrain connu et j’adore ça.

C’est un régal si on aime le genre. Des découvertes comme celle-là, je veux bien en faire tous les jours. Pour conclure et vous donner le ton de l’ensemble, je vous offre deux extraits abordant des thématiques centrales du recueil, la solitude et la condition de métis dans l’Amérique des années 60 :

« Au petit matin, accablé d’un morne désespoir, concentré sur moi-même, je parcours les rues. Les bars sont en train de fermer et une magie terrible, indéfinissable, se mêle à l’air frais. A New York, l’aube du dimanche possède cette qualité calme et subtile. Les solitaires, partout dans le monde, connaissent ce moment particulier de la matinée. Pas lents et mal assurés, votre image déformée dans les devantures qui ne sont plus éclairées. Regards en coulisse, coups d’œil envieux, honteux, lancés aux couples que l’on croise. Vous reconnaissez les solitaires, vos frères. Ils prennent une direction et vous une autre. […]
Vous vous avouez vaincu, petit Waterloo personnel, vous montez les marches d’un pas lourd. Vous tournez la clé dans la serrure. Vous allumez l’électricité. Vous vous déshabillez. Vous arpentez le plancher et, finalement, vous essayez de dormir, sans que rien ne vienne vous réconforter, sinon la promesse d’un autre lever de soleil. »

« Etre né noir. Pas de ce noir absolu qu’on qualifie d’absence de couleur, pas brillant, pas monstrueux. Mais noir. Ou plutôt d’un élégant café au lait. Moitié moitié. Noir. Ma famille est à peu près également divisée entre les nuances claires et les nuances foncées. Je suis bronzé, d’un brun jaune, comme si on m’avait exposé au soleil au moment où je sortais du ventre de ma mère. Beige. Je suis un homme de couleur. La Ronde a commencé dès que mes ancêtres ont débarqué d’Afrique. Je maudis le jour de leur luxure. Je leur souhaite de nombreuses saisons dans un enfer syphilitique. […]
Ils ont fait de moi un marginal. Une minorité à l’intérieur d’une minorité. »


Le messager de Charles Stevenson Wright. Tripode, 2014. 200 pages. 17,00 euros.








jeudi 24 juillet 2014

Il est temps de prendre le large...

C'est parti pour près de trois semaines loin de ma Picardie natale. La Camargue d'abord puis Gap et Lyon pour quelques jours. Pas d'autres ambitions que me reposer, buller, lire, passer du bon temps en famille et revenir bronzé comme un grain de café.

Le blog part en vacances lui aussi. Un billet demain peut-être, une LC avec Noukette pour vous parler d'Eleanor et Park mardi prochain et ce sera tout jusqu'au 15 août.

Dans mes bagages j'emmène six romans. Un pavé pour le challenge de Brize, un roman anglais paru en mai et quatre titres de la rentrée. Je fonde de gros espoirs sur Paul Harding et le nouveau Patrick Deville. Pour le reste, on verra bien.



Bonnes vacances à  celles et ceux qui ont la chance d'en avoir et bon courage au autres. Je vous dis à très bientôt.



mercredi 23 juillet 2014

Bouche d'ombre T1 : Lou , 1985 de Maud Begon et Carole Martinez

Une bande d'ados BCBG dans un lycée parisien au milieu des années 80, une séance de spiritisme qui tourne mal, un drame, un fantôme, de l'hypnose, de permanents allers-retour entre rêves et réalité, il y a tout cela dans « Bouche d'ombre », première BD scénarisée Carole Martinez.

Les événements s'articulent autour de Lou, jeune fille rousse et pétillante qui se découvre le don de communiquer avec les défunts. Hantée par le suicide de son amie Marie-Rose, elle voit cette dernière lui apparaître soudainement, jour et nuit. Pensant être responsable de sa mort, elle tente de comprendre les raisons qui l'ont poussée à commettre l'irréparable...

Carole Martinez aime jouer de la fragilité de ses personnages pour s'interroger sur la communication entre les êtres et les relations entre les vivants et les morts.Elle ajoute à sa trame de départ un lourd secret de famille, une bonne dose de rancœur et une pincée de romance pour pimenter l'ensemble. Il se dégage de cet album une atmosphère mystérieuse et fantastique qui m'a, je dois l'avouer, laissé à quai. Le surnaturel et les questions sur l'au-delà n'étant pas ma tasse de thé, je me suis pas mal ennuyé et je crains qu'il ne me reste pas grand chose de l'histoire d'ici quelques jours. J'ai par contre trouvé le dessin de Maud Begon plein de charme et de subtilité.

Un rendez-vous manqué donc, entre cet album et moi. Je ne suis pas mécontent d'avoir découvert Carole Martinez en scénariste de BD mais je vais plutôt essayer de me pencher sur ses talents de romancières.

Bouche d'ombre T1 : Lou, 1985 de Maud Begon et Carole Martinez. Casterman, 2014. 70 pages. 15,00 euros.    
 


mardi 22 juillet 2014

La boîte aux lettres du cimetière - Serge Pey

« La boîte aux lettres du cimetière » est une chronique d'enfance douce-amère. Trente récits de quelques pages, autant de souvenirs égrainés avec humour, tendresse et nostalgie. Le narrateur est un enfant de la guerre d'Espagne réfugié en France. Un enfant « rouge et noir », « fier d'être le fils d'un homme qui n'a pas peur de Dieu ». Un enfant vivant dans une communauté libertaire, toujours en lutte contre le fascisme, les bondieuseries et l'État.

Dans cette communauté, pour accueillir les camarades autour d'une table trop petite, on n'hésite pas à dégonder la porte de la maison familiale pour la coucher sur deux tréteaux. Parce qu'après tout, c'est bien connu, « les portes nous aiment quand on ne les ferme pas ». Dans cette communauté, on colle les timbres à l'envers, façon symbolique de renverser l'État, le chien de la maisonnée s'appelle Proudhon et il dort par terre sur un drapeau noir, l'école se trouve dans une ancienne porcherie et un clown équilibriste vient apprendre aux enfants à ne pas tomber.

On croise aussi des personnages haut en couleur, de la grand-mère égorgeuse de poulets à Chucho le chasseur de grillons en passant par la tante Hirondelle ou encore Pedro, le guitariste aux ongles impeccables et lisses.

Il y a beaucoup de poésie dans ces petites histoires. Un soupçon de cruauté aussi. L'écriture est belle et sonne comme une musique mélancolique aux accents autant burlesques que poignants. Simple et touchant, tout ce que j'aime.

La boîte aux lettres du cimetière de Serge Pey. Zulma, 2014. 200 pages. 17,00 euros.

L'avis d'Hélène, à qui je dois cette découverte.


lundi 21 juillet 2014

La machine à influencer : une histoire des médias - Brook Gladstone et Josh Neufeld

« Nous avons les médias que nous méritons ». Voila comment se conclut ce foisonnant « essai graphique » (ben quoi, on parle bien de « roman graphique », j'ai le droit à mon néologisme, non?) retraçant l'histoire des médias aux États-Unis, de la guerre d'indépendance au conflit afghan en passant par la guerre de sécession, les deux guerres mondiales, le Vietnam et l'Irak. Mais le propos ne se limite pas au traitement médiatique des conflits. Brooke Gladstone décortique les pratiques journalistiques, leur influence, leur asservissement aux politiques et au monde de la finance. Pour autant, elle ne jette pas le bébé avec l'eau du bain, considérant que le problème vient avant tout du consommateur d'information, c'est à dire de nous : « nous avalons de plus en plus souvent l'info comme des fraises Tagada vautrés dans nos cybercanapés. Nous marinons dans un jus de pseudo-experts, assaisonné seulement des faits et opinion qui nous semblent acceptables. […] Et si les médias que nous choisissons nous abrutissaient aussi ? Et s'ils diminuaient notre capacité d'attention, attisaient nos bas instincts, érodaient nos valeurs, brouillaient notre jugement ? ».

A qui la faute si les JT sont aussi creux, anecdotiques ou hystériques ? Est-ce que les organes d'information doivent donner au public ce qu'il veut ou ce dont il a besoin ? Mais que veut le public ? De quoi a-t-il besoin ? Et existe-il un seul et unique public ? Cette question n'est qu'une parmi tant d'autres. L'ouvrage est pointu sans être indigeste. Toute la partie sur l'objectivité est passionnante, comme celle sur la censure ou les sondages, sans parler de la profonde réflexion sur les réseaux sociaux et le fait qu'aujourd'hui chacun de nous, grâce au net, peut être à la fois consommateur et producteur d'information. Et puis qu'on le veuille ou non, les médias nous influencent en permanence, même quand nous les critiquons ou que nous tentons de leur résister, Brooke Gladstone le démontre brillamment.

Graphiquement, Josh Neufeld (American Splendor), illustre avec simplicité et beaucoup de trouvailles visuelles un texte parfois très envahissant. Au final, La machine à influencer n'est pas un plaidoyer pro médias. Ce n'est pas non plus une charge virulente contre eux. L'analyse est beaucoup plus fine, dense, parfois ardue. Exigeante, quoi. Journalistique diront certain. Dans le sens le plus noble du terme.

La machine à influencer de Brook Gladstone et Josh Neufeld. Ça et là, 2014. 185 pages. 22,00 euros.




samedi 19 juillet 2014

Les cavaliers afghans - Louis Meunier

En 2002, Louis Meunier abandonne une carrière de cadre toute tracée pour s'engager dans une ONG et partir en Afghanistan afin d'aider à la reconstruction du pays après la chute des talibans. Désireux de s'immerger dans la vie et les traditions de son pays d'accueil, il apprend la langue et découvre avec fascination le buzkashi, un combat équestre où hommes et montures se disputent avec une violence inouïe la carcasse d'un veau qu'il faut déposer dans un cercle tracé au sol pour marquer un point. Rêvant de devenir un cavalier du buzkashi, un tchopendoz, Louis meunier se met en quête d'un cheval et d'une équipe acceptant de l’accueillir.

Le récit se découpe en trois grandes parties et commence par son arrivée sur place et ses difficiles premiers pas professionnels ainsi que le début très compliqué de sa carrière de tchopendoz. La seconde partie, que j'ai trouvée la plus passionnante, relate la traversée du centre pays effectuée à cheval, en 2005. Un périple de deux milles kilomètres entre les montagnes et les vallées de l'Hindou Koush avec trois chevaux et un compagnon afghan, à la rencontre des populations les plus isolées du pays. Dans la dernière, nous sommes en mars 2006 et Louis Meunier s'est installé à Kaboul, où il a créé sa société de production audiovisuelle, réalisant des reportages et des documentaires tout en continuant à vivre pleinement sa passion pour le buzkashi.

J'ai beaucoup aimé cette plongée pleine de tendresse mais aussi d'une grande objectivité dans l’Afghanistan « des seigneurs et des chefs de guerre, une société moyenâgeuse où ne survivent que les plus forts. Dans cette contrée secouée depuis toujours par les combats, les intrigues et les luttes de pouvoir. »  L'auteur conjugue à l'analyse géopolitique parfois assez poussée son ressenti intime, son émerveillement devant la nature sauvage et indomptable qui l'entoure et la richesse de ses rencontres avec la mosaïque d'ethnies (Ouzbeks, Turkmènes, Pashtouns, Tadjiks, Hazaras, arabes, etc) croisées au fil de ses pérégrinations. Admirable aussi sa lucidité devant son statut de « Khareji », d'étranger qui, quoi qu'il fasse et quelles que soient les amitiés qu'il parvient à nouer, ne pourra jamais s'intégrer totalement dans la société afghane (« les alliances et les amitiés des afghans avec les étrangers sont intéressées et temporaires »).

« Les cavaliers afghans » est un récit initiatique autant qu'un témoignage éclairant sur ce qu'est l’Afghanistan d'aujourd'hui, loin du triptyque « taliban-burqua-attentat » servi par les médias occidentaux pour stigmatiser un pays à la réalité bien plus complexe. C'est aussi et surtout une magnifique invitation au voyage qui ravira les lecteurs épris de grands espaces et de liberté.

Les cavaliers afghans de Louis Meunier. Kero, 2014. 330 pages. 20,00 euros.

L'avis enthousiaste d'Aaliz




vendredi 18 juillet 2014

Les mécanos de Vénus - Joe R. Lansdale

A la seconde où il voit Trudy débarquer chez Hap, Léonard sait que les emmerdements s'annoncent. Parce que son meilleur copain n'a jamais su résister à son ex-femme, même si elle lui en a fait baver, et pas qu'un peu. A chaque fois qu'elle se pointe, il fond devant ses longs cheveux blonds et ses jambes à n'en plus finir, « de belles jambes bronzées aux cuisses fermes. Et elle savait s'en servir : elle avait ce genre de démarche qui lui chaloupait les hanches et donnait à ses seins ce charmant petit rebond capable de te foutre un conducteur dans le fossé au premier coup d’œil. »

Manipulatrice en diable, usant de ses charmes pour parvenir à ses fins, elle convainc son ancien mari de s'associer à elle pour faire main basse sur un pactole abandonné dans des valises au fond d'un marécage suite à casse ayant mal tourné des années auparavant. Un coup à un million de dollars pour lequel elle a juste besoin d'un peu d'aide. Mais évidemment, les choses ne sont pas si simples et rien ne va se passer comme prévu...

Vous le savez peut-être, je suis totalement fan de cet auteur et de ses deux anti-héros au grand cœur. Les mécanos de Vénus est le premier titre de la série, celui dans lequel on découvre comment Hap, le blanc hétéro, et Léonard, le noir homo, se sont rencontrés en trimant dans des champs au fin fond du Texas. Honnêtement, ce n'est pas le meilleur roman de Joe R. Lansdale, loin de là. L'intrigue est très linéaire, un peu plate. Les dialogues sont mous du genou, il n'ont pas la gouaille et la saveur que l'on retrouvera par la suite et qui sont la marque de fabrique de l'auteur. On sent un texte écrit au frein à main, un texte dans lequel Lansdale ne lâche pas les chevaux. Mais finalement l'intérêt est là. Découvrir la toute première fois de Léonard et Hap et sentir un auteur qui se cherche, un auteur en construction. De toute façon, il était hors de question que je fasse l'impasse sur le roman fondateur d'une série qui a si souvent fait mon bonheur de lecteur. Et si vous aimez les univers à la Donald Ray Pollock et que vous voulez découvrir Hap et Léonard au meilleur de leur forme, je vous conseille « L'arbre à bouteilles » et « Le mambo des deux ours », de loin leurs deux aventures les plus abouties.


Les mécanos de Vénus de Joe R. Lansdale. Denoël, 2014. 240 pages. 19,90 euros.


mercredi 16 juillet 2014

J'ai pas volé Pétain mais presque... - Bruno Heitz

Une tante qui passe l'arme à gauche et Jean-Paul se retrouve à la tête d'un petit héritage et de six garages à Nancy censés lui assurer, dixit le notaire, un excellent rendement locatif. Sauf qu'un des garages est vide et qu'il va falloir lui trouver un nouveau locataire. Coup de bol (quoique), Gérard, un flic croisé par Jean-Paul dans sa mésaventure précédente, lui propose un client idéal : Maître Lamblin, à la recherche d'un box pour y stocker quelques affaires. Des affaires qui ne sont rien moins que le cercueil du maréchal Pétain, dont l'avocat rêve de rapatrier la dépouille à Douaumont, nécropole des poilus de Verdun. Embauché par Gérard pour convoyer le maréchal (ou ce qu'il en reste) de l'île d'Yeu jusqu'en Lorraine, Jean-Paul refuse dans un premier temps avant de céder devant les arguments de la pulpeuse secrétaire de maître Lamblin. Une faiblesse qui, comme d'habitude, lui vaudra les pires ennuis.

Après « J'ai pas tué de Gaulle, mais ça a bien failli » et « C'est pas du Van Gogh mais ça aurait pu », revoilà le naïf et un brin couillon anti-héros de Bruno Heitz embarqué dans un délirant enlèvement post-mortem. Pour le coup, le fait-divers est véridique puisqu'en 1973 une équipe de bras cassés nostalgiques de Vichy enleva la dépouille de Pétain pour la transporter en fourgonnette jusqu'à un garage de la région parisienne. L'occasion pour l'auteur du Privé à la Cambrousse de mêler la petite histoire de Jean-Paul à une grande (et lamentable) histoire qui marqua en son temps la France de Pompidou.

Avec le trait minimaliste et la gouaille qui le caractérisent, Heitz s'amuse à mettre en scène ce personnage poissard sachant mieux que personne se lancer, à son corps défendant, dans des coups pour le moins foireux. Les seconds rôles sont toujours aussi bien croqués (avec une mention spéciale pour la secrétaire pulpeuse et machiavélique) et on ne peut que se régaler devant ce Road Trip digne des Pieds Nickelés. Jubilatoire !

J'ai pas volé Pétain mais presque... de Bruno Heitz. Gallimard, 2014. 90 pages. 17,00 euros.



mardi 15 juillet 2014

Le cachot de la sorcière - Joseph Delaney

Billy Calder, jeune orphelin, s'apprête à débuter une carrière de gardien de nuit dans un château hanté utilisé comme pénitencier. Surveiller des assassins, des criminels et des sorcières en déambulant dans des couloirs infestés de fantômes, le programme ne le réjouit pas le moins du monde. Pris en charge par Adam Colne, geôlier impitoyable à la sulfureuse réputation, Billy découvre que la tâche qui l'attend n'est pas particulièrement compliquée puisqu'elle consiste uniquement à faire des rondes et surveiller les détenus.

Seul endroit à éviter coûte que coûte, le cachot de la sorcière dans lequel est enfermé un prisonnier qu'il est préférable de ne jamais croiser : «  Il est attaché par une longue chaîne à un anneau fixé dans le sol et il dort toute la journée. La nuit venue, il se réveille, et on doit le nourrir à minuit, sinon la situation deviendrait vraiment dangereuse pour tous les employés de la prison. » Théoriquement, Billy n'aura jamais à s'occuper de ce prisonnier. Théoriquement...

Un petit roman jeunesse idéal pour se faire peur. Au début on se dit que c'est léger, que ça casse pas trois pattes à un canard, que les fantômes et autres sorcières dont on nous parle dès le départ ne vont jamais entrer en scène. Et puis Billy se retrouve piégé et nous aussi. La tension monte, on en vient à vider des seaux contenant des litres de sang, des os et de la viande crue, on se retrouve face à un monstre et...

Et j'adore la conclusion, parfaitement trouvée, aussi difficile à voir venir qu'inéluctable finalement. La quatrième de couverture indique « Pour lecteurs avertis ». Âmes sensibles s'abstenir ? Sans doute. Mais ce n'est pas non plus totalement effrayant, et puis les jeunes lecteurs aiment tellement avoir un petit frisson d'angoisse (il n'y a qu'à voir le succès de la série « Chair de poule ») qu'une grande majorité sera conquise par les mésaventures du pauvre Billy.

Le cachot de la sorcière de Joseph Delaney. Bayard jeunesse, 2014. 110 pages. 9,95 euros. A partir de 9-10 ans.





dimanche 13 juillet 2014

L’effet postillon et autres poisons quotidiens - Julien Jouanneau

Il vous est déjà arrivé, à l’apéro, de vous retrouver avec un noyau d’olive en bouche et aucune solution « élégante » pour vous en débarrasser ? Et bien pour Julien Jouanneau, « proposer des olives non dénoyautées témoigne d’un manque d’attention délibéré, voire haineux de la part des hôtes ». Il tient d’ailleurs le même discours à propos des tomates cerises (impossible à embrocher avec une fourchette et giclant partout dès que l’on croque dedans).

Mais son courroux ne se limite pas aux aliments. Dans cet ouvrage, il liste les (petits) tracas et autres poisons qui gangrènent son quotidien. Et tout y passe : la pendaison de crémaillère (« un gang bang d’emmerdements »), la bronzette à la plage, les notices de médicament, le convive assis en face de vous au restaurant qui postillonne dans votre assiette, les voyages en train, la piscine, les toilettes publiques, les jours de pluie où il faut éviter les baleines de parapluies pour ne pas finir éborgné, les cheveux gras, les gargouillis gastriques, le morceau de nourriture qui vous reste entre les dents après un repas et vous accompagne jusqu’au soir dans tous vos rendez-vous importants, les supermarchés, les livres de bibliothèque cradingues et bourrés de bactéries, les mouches, les chocolats visuellement engageant qui cachent en leur sein un alcool au goût immonde, la mauvaise haleine, etc.

Vous l’aurez compris, Julien Jouanneau est un râleur. Un vrai de vrai. Et en bon râleur, il force le trait à la moindre occasion, considérant que la source de ses emmerdements vient forcément d’autrui. Si on se dit que certains des « enfers ordinaires » présentés sont observés avec justesse, on ne peut s’empêcher de déceler (souvent) beaucoup de mauvaise foi dans les arguments avancés. Personnellement, étant un adepte convaincu de la mauvaise foi, je trouve l’exercice brillamment mené. Mais je comprendrais parfaitement que ce recueil de ronchonnements permanents et finalement assez anecdotiques agace au plus haut point. Une chose sûre, ce n’est pas un livre à lire d’une traite, mieux vaut y picorer avec parcimonie pour éviter l’indigestion.

Une jolie plume, un grincheux misanthrope dans lequel je me suis parfois retrouvé, bref, voila un recueil que j’ai dégusté avec un évident plaisir.


L’effet postillon et autres poisons quotidiens de Julien Jouanneau. Rivages, 2014. 170 pages. 12 euros.





samedi 12 juillet 2014

Myrmidon T3 : Myrmidon dans l'antre du dragon - Dauvillier et Martin

Quand Myrmidon tombe sur une épée figée dans une enclume, son premier réflexe est d'essayer de la retirer. Mais difficile de rejouer Arthur libérant Excalibur avec un pyjama sur le dos. Heureusement, un costume de chevalier traîne près de l'enclume. Et comme par magie, une fois le costume enfilé, Myrmidon peut mener sa tâche à bien. Une première épreuve finalement assez facile par rapport à ce qui l'attend. Parce que se retrouver nez à nez avec un dragon, c'est une autre paire de manches !

Troisième aventure de Myrmidon, toujours sans aucun texte, et le concept continue de fonctionner à merveille. Ici la construction est encore plus audacieuse puisque les codes narratifs propres à la BD sont bousculés. Les bords d'une case s'effondrent, Myrmidon descend sous la page pour entrer dans l'antre du dragon et il doit réparer la case abîmée pour échapper au monstre. Pour le lecteur, l'absence de couleur du dragon permet de comprendre que la créature n'est pas réelle, qu'elle n'est que le produit de l'imagination du petit garçon. Une imagination qui, comme d'habitude, se met en branle dès qu'il enfile son costume.

Une série pour les tout-petits qui parvient à se renouveler à chaque tome. Les trouvailles narratives, alliant originalité et parfaite lisibilité, sont facilement compréhensibles sans être simplistes. Un véritable tour de force. Et puis, au-delà de la forme, ce petit bonhomme est juste craquant et ses aventures ont tout pour plaire et faire rêver.

Myrmidon T3 : Myrmidon dans l'antre du dragon de Dauvillier et Martin. Éd de la Gouttière, 2014. 32 pages. 9,70 euros. A partir de 3-4 ans.

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.



vendredi 11 juillet 2014

Le Petit Loup Rouge - Amélie Fléchais

Il était une fois un petit louveteau toujours de rouge vêtu qui devait apporter un lapin à sa grand-mère. Une seule recommandation lui fut faite par sa mère: éviter de s'aventurer près de la demeure du chasseur et de sa fille. Mais en chemin le louveteau s'éloigna du sentier et se perdit dans la forêt. Il rencontra une charmante fillette qui lui proposa son aide. Mais les apparences sont parfois trompeuses et la fillette était loin de n'être que pureté et innocence...

Une réécriture libre et ambitieuse du conte de Perrault. Les rôles sont d'une part inversés et plus ambiguës mais l’histoire est également fort différente. L'intérêt majeur tient à l'ambiance si particulière qui se dégage de chaque page. Ambiance graphique tout d'abord, avec des illustrations d'une richesse incroyable, d'une texture et d'un grain vraiment particuliers. Le travail sur la lumière et les couleurs renforce les aspects angoissants de certaines scènes et éclaire les passages plus légers. Ambiance propre au récit ensuite, où l'intensité dramatique va crescendo, distillant le zeste de frisson nécessaire pour tenir le lecteur en haleine jusqu'au soulagement final.

J'ai aimé également l'intelligence du propos, le fait que le monde décrit ne soit pas tout noir ou tout blanc, qu’il se décline en de nombreuses nuances de gris. Et puis l'air de rien, il est toujours bon de rappeler qu'il ne faut pas donner une confiance aveugle au premier inconnu qui croise notre chemin.

Un superbe objet-livre, des dessins somptueux, une écriture élégante au ton délicieusement poétique, bref, une pépite à déguster et à partager sans retenue.




Le Petit Loup Rouge d'Amélie Fléchais. Ankama, 2014. 80 pages. 15,90 euros.

L'avis de Moka, tentatrice dont j'ai bien fait, une fois de plus, de suivre les conseils éclairés.

L'avis de Livresse des Mots




mercredi 9 juillet 2014

Tourne-disque - Beuchot et Zidrou

Tourne-disque est un homme qui approche de la cinquantaine. Un homme noir, vivant dans le Congo des années 30 au sein d’une riche famille blanche. Depuis qu’il a huit ans il est employé à faire tourner un gramophone pour que ses maîtres puissent écouter de la musique. Le problème avec les 78 tours, c’est qu’il faut les retourner toutes les cinq minutes. Et quand on veut profiter d’un opéra dans son intégralité, les manipulations s’avèrent fastidieuses. Tourne-disque a donc été formé pour passer les galettes sans les abîmer. Comme le dit le fils de son maître avec un humour tout ce qu’il y a de plus colonial : « Pour chaque disque qu’il rayait, mon père lui donnait un coup de cravache. A ce régime-là, même un éléphant aurait appris à traiter les disques avec plus d’attention qu’un nourrisson. »

Lorsque Tourne-disque rencontre le grand violoniste Eugène Isayë venu de Bruxelles pour offrir un récital aux colons, il trouve enfin un interlocuteur aussi passionné de musique que lui. Peu à peu les deux hommes vont apprendre à se connaître et à s’apprécier, au point qu’Eugène, de retour en Belgique, confiera à se femme avoir trouvé un « frère de son ».

Encore une belle histoire imaginée par Zidrou et magnifiquement illustré par le trait élégant et les couleurs lumineuses de Raphaël Beuchot. Une histoire d’amitié qui coule comme une évidence entre deux personnes que tout semble pourtant opposer. Une histoire de connivence et d’estime mutuelle au-delà de toute considération sociale. Mais comme toujours avec ce scénariste, on ne donne pas pour autant dans la guimauve. Il est aussi question de servitude, de colonisation, du peu d'égard qu’ont les blancs pour les « nègres ». Et quand on croise un homme voulant retrouver la femme noire qu’il a chassée après l’avoir mise enceinte vingt ans plus tôt pour s’excuser de son geste, on trouve l’intention admirable. Sauf que l’on apprend quelques pages plus loin que cette visite n’avait rien d’altruiste, son but étant d’amadouer la mère afin de récupérer l’enfant et de l’amener en Belgique pour qu’elle puisse veiller sur les vieux jours de ce père inconnu. Bref, comme d’habitude chez Zidrou, il faut qu’à un moment ou l’autre ça gratte un peu. Et comme d’habitude ça rend la lecture d’autant plus savoureuse.

Tourne-disque de Beuchot et Zidrou. Le Lombard, 2014. 102 pages. 17,95 euros.

Une nouvelle lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.