Le manœuvre sur un chantier, c’est l’arpète, le grouillot.
Celui qui est constamment au service des différents corps de métier, qui pousse
la brouette, manie la pioche, la pelle et le marteau-piqueur.
A la fin des années 80, Thierry Metz, recruté comme manœuvre
par une agence d’intérim, passe huit mois à « transformer
une fabrique de chaussures en résidence de luxe ». Suite à ce chantier, il
décide d’écrire un journal relatant cette expérience pendant la période où il
perçoit des indemnités de chômage. Il décrit la fatigue, la répétition des
gestes, les relations avec les autres ouvriers, les jours de repos, le
soulagement quand s’en vient le vendredi (« La pioche est moins bavarde le
vendredi. On sent dans les reins qu’on a porté du poids toute la semaine. On
sent qu’on approche. Ce sont les derniers mètres avant la halte, avant de
retrouver le livre d’images dans le poing fermé du dormeur ») et la dure
réalité du lundi (« Le lundi est une eau froide, une pluie glacée. On s’y
risque à petits pas comme des oiseaux traversant une flaque, en sautillant. Nos
gestes, encore engourdis, ne déplacent pas plus d’une brindille à la fois »).
Il parle du caractère abrutissant de son activité, insiste sur les silences
dans lesquels il s’enferme pour mieux supporter la tâche (« Tout devient
geste. On n’entend plus que nos pelles
qui raclent l’inépuisable. Ici, après neuf heures, on ne pense plus à rien »).
Le journal se compose de courts textes,
parfois réalistes, à d’autres moments beaucoup plus poétiques.
C’est pas un scoop, j’aime quand la littérature salit ses
mains auprès des sans grades, quand elle traîne avec les ouvriers et se place à
hauteur d’homme. Ici, la forme ultra-courte et les phrases sèches donnent à l’écriture
le coté « taciturne » qui convient parfaitement au propos. Pas un mot
de trop pour traduire de l’intérieur le ressenti de celui qui aura vécu le
chantier de A à Z, entre souffrance, incrédulité et lucidité.
Thierry Metz a multiplié les emplois manuels : bâtiment,
entrepôts, abattoirs, terrassement, etc. Parallèlement, il a commencé à écrire
des poèmes et a obtenu le prix Voronca en 1988. En 1996, rongé par
l’alcoolisme, il décide de se soigner en demandant à être interné dans un asile
psychiatrique. Il se suicide le 16 avril 1997, à 41 ans… Sa voix restera une
voix à part, celle d’un ouvrier poète, d’un digne représentant de la
littérature d’expression populaire, de cette « littérature prolétarienne »
que j’aime tant.
Journal d’un manœuvre de Thierry Metz. Folio, 2004. 125
pages. 7,90 euros.
Extraits :
« 4 août - On a posé vingt-sept poutrelles de six
mètres. Dans la journée. D’une traite. Sans regarder la montre. Sans penser que
c’était lourd et difficile. Sans le dire. Sans compter.
Nous nous sommes avancés loin dans le chantier. Mais ce soir on a des enclumes au bout de nos bras. Nos visages en disent long. Impossible de cacher le dormeur qui s’accroche à nous.
Tout ce que nous pouvons faire maintenant : c’est bâtir une chambre autour de lui. Pour l’écouter. Pour finir ce que nous avons commencé là-bas. Sans lui.
C’est le peu qui nous reste.
Un souffle
Une image.
C’est pour cela qu’on est venu nous chercher. »
Nous nous sommes avancés loin dans le chantier. Mais ce soir on a des enclumes au bout de nos bras. Nos visages en disent long. Impossible de cacher le dormeur qui s’accroche à nous.
Tout ce que nous pouvons faire maintenant : c’est bâtir une chambre autour de lui. Pour l’écouter. Pour finir ce que nous avons commencé là-bas. Sans lui.
C’est le peu qui nous reste.
Un souffle
Une image.
C’est pour cela qu’on est venu nous chercher. »
« 20 août - Le chef roule sa cigarette. Manuel chahute
avec Ahmed. Antoine regarde une fille. Louis s’est assis sur un parpaing, au
soleil. Alain ne dit rien. Les gens passent. Il fait chaud. Nos mains s’étaient
engourdies pendant le repas. On était bien parti pour faire une sieste...
Mais le chef regarde sa montre :
- On y va ?
On se lève. Il y a beaucoup de choses à faire. Et on n’a pas beaucoup de temps. Alors on se tait parce que, soudain, tout devient utile. »
Mais le chef regarde sa montre :
- On y va ?
On se lève. Il y a beaucoup de choses à faire. Et on n’a pas beaucoup de temps. Alors on se tait parce que, soudain, tout devient utile. »
Sûrement intéressant mais je ne suis pas tentée.
RépondreSupprimerC'est très spécial, je suis conscient de ne pas tenter grand monde avec ce titre.
SupprimerJe note immédiatement car, comme toi, je suis adepte de la littérature des "petites gens". De plus, le style phrases courtes qui claquent, j'adore ça.
RépondreSupprimerJe me doutais que ça te parlerait ;)
SupprimerJe note, curieuse de lire ce livre que tu as aimé
RépondreSupprimerJ'aime ta curiosité ;)
SupprimerJe sens d'emblée que ce n'est pas une lecture pour moi, pourtant, tu es tellement enthousiaste que je serais presque prête à changer d'avis pour découvrir ce texte qui te parle tant...!
RépondreSupprimerJe ne suis pas certain que tu y trouves ton compte, c'est quand même très éloigné de ce que tu aimes.
SupprimerArtiste inconnu pour moi mais ce que tu en dis me touche et me donne envie.
RépondreSupprimerMerci Monsieur Jérôme !
Je suis content de te donner envie, tiens ;)
SupprimerJ'aime beaucoup ta phrase : "la littérature... se place à hauteur d'homme". Moi aussi j'aime cette littérature-là. Je note donc ce livre dont je n'avais jamais entendu parler.
RépondreSupprimerC'est loin d'être un livre connu mais je suis content de lui offrir un petit espace sur mon blog.
SupprimerTu me l'avais soufflé pour la chronique de conseils de lecture sur les Invisibles... il semble très bien écrit, outre l'intérêt du thème.
RépondreSupprimerOui, je me rappelle t'avoir donné ce titre (entre autres...).
SupprimerTon avis m'a convaincu.
RépondreSupprimerTes extraits m'ont convaincu.
Je suis plus que convaincu, j'ai vraiment envie de le lire !
Je suis ravi de t'avoir convaincu ;)
SupprimerJe n'en avais jamais entendu parler, mais j'adore tes billets sur ce type de littérature que tu appelles "prolétarienne", on sent que ton enthousiasme vient du coeur.
RépondreSupprimerC'est vrai que ça vient du cœur. Et de la littérature prolétarienne, j'en ai plein ma bibliothèque !
SupprimerJe trouve que le roman est un bon reflet et analyste de la société, également.
RépondreSupprimerOui, le roman comme miroir de la société, c'est un classique.
SupprimerC'est également le genre de lecture que j'aime, et celui ci j'aimerais bien que mon fils le lise. (Il m'énerve il glandouille à la fac, alors j'aimerai qu'il comprenne qu'il vit ses meilleures années mais qu'il ne doit pas les gâcher, il est trop préservé)
RépondreSupprimerMoi quand je suis rentré à la fac, mes parents m'ont envoyé à l'usine 3 mois avant pour que je me rende compte de la chance que j'avais. Et j'ai compris le message ;)
SupprimerTrès bon livre que vous m'avez donné envie de relire, merci !
RépondreSupprimerTant mieux !
SupprimerBonsoir, j’ai lu le livre et il m’a plu néanmoins après 3 relectures, je n’arrive toujours pas a bien cerner la problématique.
RépondreSupprimer