dimanche 25 novembre 2012

Némésis de Philip Roth (rentrée littéraire 2012)

Roth © Gallimard 2012
Newark, New Jersey, 1944. L’Amérique est en guerre mais Bucky Cantor, 23 ans, ne peut prendre part au conflit. A cause de sa vue défaillante, il a été réformé. Jeune homme fort et athlétique, il est responsable d’un terrain de jeu du quartier juif de la ville. Sous sa responsabilité, des gamins suent toute la journée sous un soleil de plomb grâce aux différentes activités physiques qu’il leur propose. Au cours de ce mois de juillet suffocant, une calamité s’abat sur la ville. Une épidémie de polio se déclare. Deux jeunes garçons du terrain de jeu meurent subitement. Le virus se propage et la panique gagne les familles. Bucky veut résister au mal, il tente d’abord de répondre de façon rationnelle aux questions des parents mais il constate rapidement son impuissance devant le fléau qui ne cesse de s’étendre. Lorsque sa fiancée l’invite à le rejoindre dans un camp de vacances en forêt, Bucky hésite, conscient que sa place est à Newark, aux cotés de ceux qui souffrent. Se laissant finalement convaincre de quitter les miasmes de la ville, il se rend dans le cadre idyllique du camp où, malheureusement, la polio semble le poursuivre…

Mon premier Roth qui sera aussi son dernier puisque le romancier âgé de 79 ans a annoncé qu’il n’écrirait plus. Pour le coup, on peut dire qu’il termine sa carrière en beauté.

Némésis est la déesse de la vengeance qui veille à ce que les mortels ne tentent pas d’égaler les divinités. L’histoire de Bucky relève incontestablement de la tragédie. Parce qu’il a tout pour être heureux (la santé, une fiancée magnifique, un avenir radieux…) il subit un châtiment infligé à ceux qui transgressent, fût-ce sans le savoir, les limites humaines. En cela, son destin est en quelque sorte comparable à celui d’Œdipe. Autre référence évidente à la lecture de ce roman, La Peste de Camus. Même si l’auteur de L’étranger mettait en scène un combat et une résistance au fléau et que Roth décrit plutôt la stupeur et l’abattement des victimes, les parallèles restent nombreux.

La fatalité est au cœur du récit. L’écrivain déroule une mécanique impitoyable ou le pessimisme et le désenchantement jouent un rôle central. Bucky s’élève contre ce Dieu qui laisse périr ses enfants. En brisant un jeune homme exemplaire, Roth fait voler en éclat les valeurs supposées structurer nos sociétés : le devoir, le courage, la responsabilité, le sacrifice. Ce faisant, il met en lumière un élément fondamental qui nous concerne tous, la vulnérabilité. Le narrateur l’affirme : «  il n’y a rien plus difficile qu’un garçon honnête démoli […] et privé de tout ce qu’il avait passionnément voulu avoir ». Ce narrateur est un des garçons du terrain jeu qui a survécu à la polio. Pour lui, « la polio a cessé d’être le drame de ma vie […] J’ai compris que j’avais vécu un été de tragédie collective qui ne devait pas forcément devenir toute une vie de tragédie personnelle ». Exactement l’inverse de la façon dont Bucky a considéré les choses. Pour lui, au final, il ne reste que la culpabilité.

Un très grand roman américain, tout en sobriété, qui raconte à la fois un paradis perdu et une idylle disparue. Magistral !   

Némésis de Philip Roth. Gallimard, 2012. 226 pages. 18,90 euros.


20 commentaires:

  1. Plus que noté! Même si j'avais lu d'autres de ses anciens romans...

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    1. Du coup moi j'enchaînerais bien avec Pastorale Américaine.

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  2. J'ai beaucoup apprécié Némésis, moi aussi. Et ce sentiment de culpabilité qui anime Bucky, ohhhh !
    Belle chronique ! Le lecteur curieux est un narrateur avisé ;)

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    1. Vraiment un beau roman. En tout cas, c'est tout ce que j'aime !

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  3. J'aime bien sa plume, remarquée dans La tache et Une vie : un écrivain intéressant qui va à l'essentiel et ne se regarde pas écrire.

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    1. Oui, c'est une écriture plutôt sèche, typiquement américaine. J'adore !

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  4. Etonnant que ce soit ton premier Philip Roth, vu que tu as l'air bien branché littérature américaine. Le seul de lui que j'ai lu m'ayant laissé une impression bien mitigée, je passe mon tour en dépit de tes éloges.

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    1. J'ai encore plein de lacunes en littérature américaine. Jamais lu Jim Harisson par exemple (en même temps je suis pas super tenté). Celui que je voudrais vraiment découvrir par contre, c'est Brautigan.

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  5. Mais non pas ton dernier Roth : tu peux encore lire les précédents.

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    1. Non bien sûr, c'est son dernier à lui. Pour moi, c'est sans doute le premier d'une longue série^^

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  6. Ben, je ne sais pas pourquoi, mais moi, c'est Roth qui ne me tente pas ... Jamais réussi à finir "Portnoy et son complexe", "Le complot contre l'Amérique" fut achevé, mais sans passion. Quoique là, avec cette note évidemment, peut-être que ... Mais Harisson, y'a que "Dalva", il faut se laisser tenter par cette lame de fond. Plus "américain-grands-espaces-passion-tension-au-grand-galop", y'a pas ! (à mon humble connaissance)

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    1. Je ne sais pas pourquoi Harisson me tente si peu. Sans doute ma manie (un peu stupide) de fuir les auteurs dont on parle trop.
      Sinon concernant Roth, je crois que je vais poursuivre la découverte de son oeuvre avec Pastorale américains.

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  7. Ah la solitude de l’écrivain dans un salon du livre, derrière sa pile de bouquins, je connais. Merci donc d’avoir quelques compassions pour lui. Le pire ce sont ceux qui prennent le livre, lisent la 4e de couverture, l’ouvre, lisent quelque lignes et le reposent en disant d’un air méprisant : « Ah non décidément je n’aime pas »

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    1. Pour moi dans un salon ce n'est jamais de la compassion. Si je connais l'auteur, j'entame la discussion. Si je ne connais, je passe mon chemin, à moins d'être attiré par ce qu'il y a sur le table. En aucun cas je n'irai discuter avec un auteur, juste pour meubler.

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  8. Pour moi c'est exactement comme pour Athalie : j'ai abandonné Portnoy et lu Le complot contre l'Amérique sans adorer. Mais j'ai quand même envie d'y revenir, alors le prochain sera La tache. Sinon ta présentation de Nemesis me rappelle un autre roman sur une épidémie : L'aveuglement de Saramago.

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    1. Ah oui, La tâche, c'est un titre que je rajoute après Pastorale américaine. Mes deux priorités dans la bibliographie de cet auteur.

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  9. Philip Roth nous donne un dernier et très beau roman. Les phrases sont majestueuses, la langue est belle, l’écriture parfaite mais on n’attendait pas moins d’un tel écrivain ayant un palmarès si bien rempli. Les personnages sont très fouillés, les décors très précisément posés, on devine le travail derrière la narration. Le roman se lit très vite et on y prend du plaisir, mais un plaisir plus musical qu’autre chose, la satisfaction de lire une prose élaborée dont chaque mot est une note et chaque phrase un élément d’une douce symphonie. C’est pourquoi je n’irai pas jusqu’à dire que c’est l’un des meilleurs bouquins de l’auteur, car j’avoue que parfois je me demandais où Roth voulait en venir.

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    1. Je trouve que c'est un roman qui mériterait une vraie analyse universitaire. Tellement riche qu'il est difficile d'en saisir toutes les subtilités.

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  10. J'ai aimé "Un homme" (le livre hein) alors celui ci me tente beaucoup et j'en ai lu beaucoup de bien.
    Bon WE

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    1. Je ne connais pas "Un homme" (le livre hein) mais celui ci est vraiment excellent.

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