Roth © Gallimard 2012 |
Mon premier Roth qui sera aussi son dernier puisque le romancier âgé de 79 ans a annoncé qu’il n’écrirait plus. Pour le coup, on peut dire qu’il termine sa carrière en beauté.
Némésis est la déesse de la vengeance qui veille à ce que les mortels ne tentent pas d’égaler les divinités. L’histoire de Bucky relève incontestablement de la tragédie. Parce qu’il a tout pour être heureux (la santé, une fiancée magnifique, un avenir radieux…) il subit un châtiment infligé à ceux qui transgressent, fût-ce sans le savoir, les limites humaines. En cela, son destin est en quelque sorte comparable à celui d’Œdipe. Autre référence évidente à la lecture de ce roman, La Peste de Camus. Même si l’auteur de L’étranger mettait en scène un combat et une résistance au fléau et que Roth décrit plutôt la stupeur et l’abattement des victimes, les parallèles restent nombreux.
La fatalité est au cœur du récit. L’écrivain déroule une mécanique impitoyable ou le pessimisme et le désenchantement jouent un rôle central. Bucky s’élève contre ce Dieu qui laisse périr ses enfants. En brisant un jeune homme exemplaire, Roth fait voler en éclat les valeurs supposées structurer nos sociétés : le devoir, le courage, la responsabilité, le sacrifice. Ce faisant, il met en lumière un élément fondamental qui nous concerne tous, la vulnérabilité. Le narrateur l’affirme : « il n’y a rien plus difficile qu’un garçon honnête démoli […] et privé de tout ce qu’il avait passionnément voulu avoir ». Ce narrateur est un des garçons du terrain jeu qui a survécu à la polio. Pour lui, « la polio a cessé d’être le drame de ma vie […] J’ai compris que j’avais vécu un été de tragédie collective qui ne devait pas forcément devenir toute une vie de tragédie personnelle ». Exactement l’inverse de la façon dont Bucky a considéré les choses. Pour lui, au final, il ne reste que la culpabilité.
Un très grand roman américain, tout en sobriété, qui raconte à la fois un paradis perdu et une idylle disparue. Magistral !
Némésis de Philip Roth. Gallimard, 2012. 226 pages. 18,90 euros.
Plus que noté! Même si j'avais lu d'autres de ses anciens romans...
RépondreSupprimerDu coup moi j'enchaînerais bien avec Pastorale Américaine.
SupprimerJ'ai beaucoup apprécié Némésis, moi aussi. Et ce sentiment de culpabilité qui anime Bucky, ohhhh !
RépondreSupprimerBelle chronique ! Le lecteur curieux est un narrateur avisé ;)
Vraiment un beau roman. En tout cas, c'est tout ce que j'aime !
SupprimerJ'aime bien sa plume, remarquée dans La tache et Une vie : un écrivain intéressant qui va à l'essentiel et ne se regarde pas écrire.
RépondreSupprimerOui, c'est une écriture plutôt sèche, typiquement américaine. J'adore !
SupprimerEtonnant que ce soit ton premier Philip Roth, vu que tu as l'air bien branché littérature américaine. Le seul de lui que j'ai lu m'ayant laissé une impression bien mitigée, je passe mon tour en dépit de tes éloges.
RépondreSupprimerJ'ai encore plein de lacunes en littérature américaine. Jamais lu Jim Harisson par exemple (en même temps je suis pas super tenté). Celui que je voudrais vraiment découvrir par contre, c'est Brautigan.
SupprimerMais non pas ton dernier Roth : tu peux encore lire les précédents.
RépondreSupprimerNon bien sûr, c'est son dernier à lui. Pour moi, c'est sans doute le premier d'une longue série^^
SupprimerBen, je ne sais pas pourquoi, mais moi, c'est Roth qui ne me tente pas ... Jamais réussi à finir "Portnoy et son complexe", "Le complot contre l'Amérique" fut achevé, mais sans passion. Quoique là, avec cette note évidemment, peut-être que ... Mais Harisson, y'a que "Dalva", il faut se laisser tenter par cette lame de fond. Plus "américain-grands-espaces-passion-tension-au-grand-galop", y'a pas ! (à mon humble connaissance)
RépondreSupprimerJe ne sais pas pourquoi Harisson me tente si peu. Sans doute ma manie (un peu stupide) de fuir les auteurs dont on parle trop.
SupprimerSinon concernant Roth, je crois que je vais poursuivre la découverte de son oeuvre avec Pastorale américains.
Ah la solitude de l’écrivain dans un salon du livre, derrière sa pile de bouquins, je connais. Merci donc d’avoir quelques compassions pour lui. Le pire ce sont ceux qui prennent le livre, lisent la 4e de couverture, l’ouvre, lisent quelque lignes et le reposent en disant d’un air méprisant : « Ah non décidément je n’aime pas »
RépondreSupprimerPour moi dans un salon ce n'est jamais de la compassion. Si je connais l'auteur, j'entame la discussion. Si je ne connais, je passe mon chemin, à moins d'être attiré par ce qu'il y a sur le table. En aucun cas je n'irai discuter avec un auteur, juste pour meubler.
SupprimerPour moi c'est exactement comme pour Athalie : j'ai abandonné Portnoy et lu Le complot contre l'Amérique sans adorer. Mais j'ai quand même envie d'y revenir, alors le prochain sera La tache. Sinon ta présentation de Nemesis me rappelle un autre roman sur une épidémie : L'aveuglement de Saramago.
RépondreSupprimerAh oui, La tâche, c'est un titre que je rajoute après Pastorale américaine. Mes deux priorités dans la bibliographie de cet auteur.
SupprimerPhilip Roth nous donne un dernier et très beau roman. Les phrases sont majestueuses, la langue est belle, l’écriture parfaite mais on n’attendait pas moins d’un tel écrivain ayant un palmarès si bien rempli. Les personnages sont très fouillés, les décors très précisément posés, on devine le travail derrière la narration. Le roman se lit très vite et on y prend du plaisir, mais un plaisir plus musical qu’autre chose, la satisfaction de lire une prose élaborée dont chaque mot est une note et chaque phrase un élément d’une douce symphonie. C’est pourquoi je n’irai pas jusqu’à dire que c’est l’un des meilleurs bouquins de l’auteur, car j’avoue que parfois je me demandais où Roth voulait en venir.
RépondreSupprimerJe trouve que c'est un roman qui mériterait une vraie analyse universitaire. Tellement riche qu'il est difficile d'en saisir toutes les subtilités.
SupprimerJ'ai aimé "Un homme" (le livre hein) alors celui ci me tente beaucoup et j'en ai lu beaucoup de bien.
RépondreSupprimerBon WE
Je ne connais pas "Un homme" (le livre hein) mais celui ci est vraiment excellent.
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