samedi 24 mai 2014

Mon troisième livre mystère - ????????

Ce troisième livre mystère m'a été remis en mains propres par Stephie lors du dernier salon du livre. Aucun mystère donc concernant l'expéditrice, comme ce fut d'ailleurs le cas avec mes deux lectures à l'aveugle précédentes, ce qui ne me gêne pas le moins du monde.

Première constatation, c'est un texte court (140 pages). Un point plutôt positif pour moi. Seconde constatation, c'est un grand format et la police de caractère est du genre atypique. Du coup, je me demande quel peut bien être l'éditeur. En tout cas j'écarte d'emblée Actes,Sud, Albin Michel, Stock et d'autres grands noms que j'ai l'habitude de fréquenter. Je me focalise un peu sur cette police parce que j'ai quand même l'impression de l'avoir déjà vue quelque part (après tout, un livre mystère mérite que l'on mène un peu l'enquête sur son compte.). Et là, ça me revient ! Cécile Coulon, Le roi n'a pas sommeil. Un roman lu il y a longtemps mais que j'ai feuilleté à nouveau il y a peu suite à un billet d'Athalie. Bref, je ressors mon volume de la bibliothèque et bingo, c'est exactement ça, même police et même format ! Mon livre est donc édité par Viviane Hamy, l'éditrice de Fred Vargas (ok, tout ça ne m'avance pas à grand chose mais j'ai été content de résoudre le mystère de l'éditeur tout seul comme un grand – que voulez-vous, on s'amuse comme on peut).

Vu le catalogue de Viviane Hamy, je me dis que je pourrais bien tomber sur un polar. Et je me dis aussi que Stephie connaît suffisamment mes goûts pour savoir que je ne suis pas fan du genre. Mais elle sait aussi que j'aime me laisser embarquer à contre courant vers des lectures qui ne sont à priori pas ma tasse de thé, donc je lui fais totalement confiance et je me lance sans retenue.

Le verdict tombe assez vite, on a bien affaire à une histoire de meurtre : à Londres, on découvre, flottant dans la Tamise, le corps d'un enfant âgé de 4 à 7 ans. Il est nu à l'exception d'un short orange. Le corps a été démembré, sa tête, ses bras et ses jambes retirés de telle sorte que seul reste le torse. L'enquête est confiée à l'inspecteur  Ling de Scotland Yard. L'enfant est d'origine africaine et très vite la police pense que le meurtre a une dimension rituelle. Ce fait divers abominable est suivi de près par Jean Windeman, journaliste à Libération. Étant proche de Ling, il va pouvoir s'immerger au cœur de l'enquête et rencontrer l'anthropologue sud africaine Saartjie Baartman dont il va tomber fou amoureux.

Ce roman n'est pas à proprement parler un polar selon moi. On se focalise beaucoup plus sur les personnes gravitant autour de l'enquête (Jean et l'anthropologue) que sur l'enquête elle-même. Il y a une dimension psychologique forte, avec beaucoup de références au vaudou, aux mythes et à la culture d'Afrique noire. Les personnages sont très incarnés, il se dégage de l'ensemble une atmosphère assez étrange, envoûtante, sensuelle, et l'écriture est par moments d'une grande beauté, tout en lyrisme contenu. Bref, une fois encore, ce livre mystère m'a beaucoup plu et c'est évidemment à nouveau un livre que je n'aurais jamais lu si une personne bien intentionnée ne l'avait choisi pour moi. Alors un grand merci à toi Stephie, tu as vu juste. Reste plus qu'à arracher le papier de couverture pour découvrir le titre et l'auteur...


Edit du 25 mai :

Ok, j'avais tout faux. Je croyais que l'éditeur était Viviane Hamy alors que pas du tout. Pourtant la police est exactement la même et elle est suffisamment spéciale pour qu'on ne la retrouve pas à tous les coins de rue. L'auteur est guadeloupéen, dramaturge, philosophe... j'aurais jamais cru. Je connais un peu la littérature antillaise que j'ai pas mal fréquentée à une époque mais là je n'aurais jamais fait le rapprochement.

Conclusion de tout ça :

1) je suis un enquêteur totalement nul et je me couvre de ridicule dans mon billet en pérorant avoir trouvé l'éditeur alors que j'étais carrément à coté de la plaque, mais j'assume.Le ridicule ne tue pas et c'est pas plus mal car il y a longtemps que je serais mort sinon.
2) au lieu d'essayer de faire le malin en conjecturant, j'aurais mieux fait de ne pas me poser de question et d'avancer dans cet texte vraiment à l'aveugle, même si au final ça n'a pas changé grand chose.
3) Le choix de Stephie était parfait, elle m'a fait découvrir un auteur dont je n'avais jamais entendu parler et j'ai vraiment apprécié cette découverte. Merci encore !



vendredi 23 mai 2014

La question qui tue - Audren

Comment colle-t-on un sparadrap sur une limace ? Y-a-t-il des vents qui ne soufflent pas ? Pour Wendy, petite fille d’origine laotienne, ces questions ne sont pas absurdes, elles sont intéressantes. Mais la maîtresse ne l’entend pas de cette oreille. Exaspérée par l’extravagance de ces interrogations qui viennent perturber son cours, elle lui demande de les réserver à ses proches et de ne plus dire tout haut ce qui lui passe par la tête. Mais après s’être tenue à carreau pendant une semaine, Wendy ne peut plus résister. Elle lève la main pour demander : « Est-ce que les fleurs sont des soupirs ? » Pour Mme Lamourette, cette fois, c'en est trop : « Alors là c’est la question qui tue ! ».

Le lendemain, quand elle apprend que la maîtresse est morte, Wendy, horrifiée, est persuadée que c'est sa question qui l'a tuée. Pensant posséder un pouvoir aussi dangereux qu’incontrôlable, la jeune fille décide alors de ne plus jamais répondre quand on l’interroge en classe. Il lui faudra l’aide de son père et de son meilleur ami Tobias pour comprendre que le problème ne vient pas forcément d’elle…

Un texte tout en finesse, pétri d’intelligence et de sensibilité. Au-delà des apparences et des différences, Wendy et son ami Tobias possèdent une grandeur d’âme qui les rend délicieusement attachants. Un petit roman introspectif qui, sans avoir l’air d’y toucher, aborde quelques questions importantes auxquelles les enfants d’aujourd’hui sont trop souvent confrontés (famille monoparentale, violence, handicap…). Un texte à mettre entre toutes les mains.


La question qui tue d’Audren. L’École des Loisirs, 2011. 80 pages. 8,00 euros. Dès 9 ans.

Une lecture commune que je partage une nouvelle fois avec Noukette et une contribution à la semaine thématique de Stephie consacrée à l'auteur.

Du coup je vous mets le lien vers un billet consacré à un autre de ses romans, Ma grand-mère m'a mordu.






jeudi 22 mai 2014

On ne va pas se raconter d'histoires - David Thomas

65 textes en 150 pages. Des tout petits riens, des instantanés, des polaroïds. Beaucoup d’histoires de couples qui vacillent, mais pas que. Les narrateurs sont des hommes et des femmes qui savent manier l’ironie et ont la répartie cinglante. Des hommes et des femmes désabusés, lucides, d’une sincérité qui ne laisse aucune place à l’orgueil mal placé. C’est un régal absolu, c’est parfois absurde, souvent cruel, toujours très drôle. Et la légèreté de façade cache des réflexions bien plus profondes qu’il n’y parait.

L’exercice est incroyablement difficile. Parvenir à une telle épure et à une telle efficacité en termes d’écriture et de narration relève du tour de force. Et puis l’art de la chute est ici maîtrisé à la perfection. Mes histoires préférées ? Celle du gars seul qui, pour son anniversaire, s’achète un cadeau, le planque dans la maison et quelques jours plus tard s’enfile une bouteille de whisky. « Et une fois que je ne sais plus comment je m’appelle ni s’il fait jour ou nuit, je cherche mon cadeau. Cette année, je l’ai retrouvé. C’était un papillon épinglé dans une boîte. Je ne sais pas ce qui m’a pris de m’offrir un truc pareil. » J’ai aimé aussi celle du gars discret et silencieux, celui qu’on ne remarque jamais mais qui s’explose les oreilles chaque soir avec du hard rock (sans doute parce qu’il m’a rappelé quelqu’un…) ou encore ce dîner guindé où de l’apéritif au digestif, la discussion glisse de « Ah, moi je suis plutôt parc à l’anglaise, les jardins à la française m’ennuie… » à « Comment tu veux que je te branle ? ». Je pourrais en citer des tas d’autres tant les pépites se suivent à chaque page.

Un énorme coup de cœur, donc. Ce recueil, c’est la micro-fiction comme je l’aime, tellement, tellement plus irrévérencieuse que ce que fait Delerm par exemple.  

On ne va pas se raconter d'histoires de David Thomas. Stock, 2014. 150 pages. 14,00 euros.

Un recueil que je m’empresse d’ajouter au challenge « Nos pépites de l’année » chez Galéa et une lecture commune que je partage une fois de plus avec une Noukette tout aussi emballée que moi.

Les avis de Krol et Moka




Allez, trois petits textes en cadeau :

Un autre homme
« Je ne regrette pas de t’avoir rencontré. Je ne regrette pas les enfants, d’avoir renoncé à bien des choses pour les élever, d’avoir quitté ma ville que j’aimais tant pour que tu aies ce boulot qui te plaisait tant. Je ne regrette pas ces vacances en Bretagne, même si, comme tu le sais, je déteste la Bretagne. Je ne regrette pas d’avoir fait pendant toutes ces années des dîners pour tes amis que je trouve un peu cons-cons, pas bien méchants, mais pas bien futes-futes non plus. Je ne regrette pas que tu m’aies trompée pendant six mois avec cette petite idiote, je ne t’en veux même pas, elle était très jolie et je l’étais nettement moins que lorsque que l’on s’est rencontrés. Je ne regrette pas que tu ne te sois jamais intéressé aux mêmes choses que moi, que tu n’aies jamais pu supporter ma sœur ou que tu m’emmènes pour mes anniversaires dans des villes ou des pays que tu rêvais de découvrir. Je ne regrette rien, mais dire que j’ai passé quinze ans avec toi, et qu’il a juste fallu que je rencontre un autre homme pour comprendre enfin que tu ne vaux rien. »

Volonté
« Ça y est ? Tu as pensé toutes tes horreurs, ça va mieux ? Je sais ce que tu t’imagines, et si je ne dis rien c’est parce qu’il n’y a rien à dire. C’est la faute au temps, c’est la faute au quotidien, c’est la faute au désir, c’est la faute au travail, c’est la faute à pas de chance, y a toujours une bonne raison. Toutes les raisons sont bonnes pour en avoir marre, pour céder, pour renoncer. Toutes et aucune. C’est une question de volonté. C’est tout. On a la volonté ou on ne l’a pas. Et toi, tu ne l’as plus. Tu n’as pas perdu ton désir pour moi, tu n’as pas perdu ton amour pour moi, tu n’as perdu que ta volonté. Je t’aime d’une façon beaucoup plus forte et plus intelligente qu’il y a douze ans. Mais cet amour-là, il t’ennuie. Et ça, ce n’est pas ma faute. »

Boule de pétanque

« Ça a commencé par des regards en biais, puis des soupirs, puis des gestes secs et enfin, pour que la parole se joigne aux actes, des insultes. Ensuite on s’est envoyé à la gueule tout ce qu’on avait sous la main, d’abord des torchons, après des bouteilles d’eau vides, puis pleines, et les choses sont devenues vraiment sérieuses avec des objets plus durs, à l’image des colères et des ressentiments. On est passés aux casseroles, appareils photo, ordinateurs portables, chaises… et hier ça a été une boule de pétanque demi-dure en acier et inox de 700 grammes et 78 millimètres de diamètre. Une boule de tireur, faite pour les carreaux. Ça a brisé net mon poignet. Et notre couple. »    






mercredi 21 mai 2014

Chico et Rita - Javier Mariscal et Fernando Trueba

Cuba, 1948. Chico est un pianiste de génie et Rita une chanteuse à la voix envoûtante. Leur rencontre ne pouvait que déboucher sur une idylle passionnée. Mais leurs carrières respectives ne décollant pas à la même vitesse, les amoureux vont devoir s’éloigner l’un de l’autre, par la force des choses. Les retrouvailles ponctuelles sont aussi "caliente" que tumultueuses et précèdent toujours une nouvelle séparation. Leur histoire n’est faite que de ruptures et de réconciliations, sur fond de jazz et de Be Bop avec, au cœur de leur relation, une sensualité à fleur de peau et des caractères bien trempés. soixante ans plus tard, Chico se souvient…

Il y avait à priori de sacrés bons ingrédients dans ce roman graphique basé sur le film d’animation éponyme : le Cuba des années 50, l’amour fou, la passion, la musique, la chaleur des corps et des nuits tropicales, tout cela était fort alléchant. Oui mais voila, je suis resté de marbre. Limite, je me suis ennuyé.

Pour des amoureux passionnés, Chico et Rita manquent singulièrement d’âme. Difficile de s’attacher à eux, à leur parcours, à leur histoire commune. Le récit est lent, contemplatif par moments mais paradoxalement j’ai eu l’impression que tout allait trop vite. La Havane, New York, Hollywood, Paris, Las Vegas, les événements  s’enchaînent, se précipitent, s’emballent même, sans jamais m’avoir véritablement embarqué.

Il faut dire que parler de musique en BD, créer l’émotion en mettant la musique au cœur du propos, ce n’est pas évident. N’est pas Renaud Dillies qui veut. Pareil pour le dessin, auquel je n’ai pas accroché une seconde. Trop proche de l’animation, trop froid malgré les couleurs pétantes, manquant singulièrement de personnalité. Et puis là encore, quand on vient de voir la Havane dessinée par Berthet dans Perico, celle de Chico et Rita ne soutient pas la comparaison. Bon, tout n’est pas à jeter, entendons-nous. J’ai aimé par exemple la tirade de Rita devant son public sur sa condition de star noire à Vegas : « Je suis là devant vous ce soir, en train de chanter dans ce club fabuleux, cet hôtel merveilleux mais je ne peux pas y dormir, je dois dormir dans un motel en dehors de la ville. A Miami, ce fut encore pire. On m’a laissée rester, mais on a vidé la piscine pour m’empêcher de m’y baigner ! Malgré tout on ne cesse de me dire que je suis une star. Qu’en pensez-vous ? »

Pour autant, je dois reconnaître que ma rencontre avec Chico et Rita est un rendez-vous manqué, vraiment. J’en suis le premier déçu. Surtout que cet album est arrivé jusqu’à moi depuis La Réunion grâce à Unchocolatdansmonroman qui a eu la gentillesse de me le prêter. Mais peu importe, je tenais à le lire et je ne regrette pas une seconde de l’avoir découvert.


Chico et Rita de Javier Mariscal et Fernando Trueba. Denoël Graphic, 2011. 212 pages. 23,00 euros.

Les avis de Canel, Hélène et Unchocolatdansmonroman










mardi 20 mai 2014

Les vilains petits - Catherine Verlaguet

C’est une cour de récré comme les autres. Ce sont trois gamins comme les autres. Des amis tranquilles. Sans embrouilles. Jusqu’au jour où Malone débarque dans la classe. Malone et sa mauvaise réputation. Paraît qu’il s’est battu dans son ancienne école. Avec un p’tit. Il est allé à l’hôpital le p’tit. Malone débarque et l’équilibre du groupe va changer. Malone veut prendre le pouvoir. Il va trouver en Loan un allié de poids. Loan le suiveur, prêt à abandonner ses anciens copains, Maya et Valentin. Maya, la fille persuadée de ne pas en être une parce que « les filles ça n’a le droit de rien. Ça rit comme des casseroles, ça sait pas courir au foot, ça se casse fragile, ça crie quand ça tombe et faut les ramasser ; ça sait pas se débrouiller, faut toujours les aider et leur démêler les cheveux ! Les filles y faut pas les salir, y faut pas les toucher […] J’suis pas une fille. » et Valentin « l’enrobé » qui va devenir le souffre-douleur idéal. Valentin et son ras le bol : « Leurs moqueries me font fondre à l’intérieur, chacune un peu plus, je me dissous de l’intérieur. […] J’imagine qu’il en faut un, de punching-ball, de bouc émissaire, un seul sur qui taper, c’est plus facile, on ne peut pas se tromper. »

Cette pièce de théâtre est un bijou de réflexion sur l'enfance. Tout y est : la camaraderie et la cruauté, les jeux de pouvoir, les alliances temporaires ou durables, la complicité sincère et celle de façade. Les enfants qui souffrent, les violents, ceux n’acceptant pas leur corps et ceux qui voudraient juste exister aux yeux de leurs parents. C’est tonique et enlevé, les réparties font mouche, la langue est vive et musicale. Il y a même des moments de poésie :
- Regarde, la nuit est en train de tomber !
- On va la ramasser ?
- On va s’en mettre plein les poches.
- S’en barbouiller partout.
- Jusqu’à devenir noirs de nuit.
- Et disparaître
- Devenir invisibles.

Et puis il y a cette fin incroyable, tellement surprenante parce que tellement à contre courant de l’esprit consensuel que l’on trouve d’habitude en littérature jeunesse. Un drame survient et il faut se serrer les coudes. Oui mais. Ces enfants sont humains, donc forcément égoïstes. Sauver sa peau, rien de plus logique, quitte à  enfoncer l’autre. Oui mais. Tout n’est pas si simple. Des vilains petits, c’est dans le titre. Ou des petits tout court, juste humains, pas forcément vilains…


Les vilains petits de Catherine Verlaguet. Théâtrales jeunesse, 2014. 86 pages. 8,00 euros. A partir de 9 ans.

Une nouvelle lecture commune du mardi avec Noukette pour une nouvelle pépite jeunesse !







lundi 19 mai 2014

La tour fantôme T1 - Taro Nogizaka

Le 23 juin 1952, à 23h53, Tatsu Fujimiya, 60 ans, fut sauvagement assassinée par sa fille adoptive, Reiko, 23 ans. On retrouva son corps les os brisés, attaché aux aiguilles du cadran d'une horloge au sommet d'une tour. Deux ans plus tard, Taïchi Amano est victime de la même agression mais il s'en sort in extremis. Une tentative de meurtre qui va l'entraîner dans une improbable chasse au trésor au cœur d'une bâtisse que tout le monde surnomme désormais la tour fantôme...

Longtemps que je n'avais pas lu de manga. Celui-ci m'a attiré parce qu'il n'avait à priori rien pour me plaire (oui, je sais, je ne suis plus à une contradiction prêt). Pensez-donc, un manga « à mi-chemin entre le récit horrifique et le roman d'enquête pour ados », c'est le genre de truc qui devrait me faire fuir. Et bien là pas du tout. C'est drôlement bien fichu. Fluide, simple à suivre, et les différents protagonistes se reconnaissent au premier coup d’œil (ce qui n'est pas toujours le cas et me pose parfois problème avec les mangas). Sans compter que la tension monte crescendo et que le final laisse le lecteur sur un suspens insoutenable !

Bon, on comprend vite que Taïchi n'est qu'un pion dépassé par les événements mais le plus intéressant ce sont les drôles de personnages qui gravitent autour de lui, tous plus inquiétants et mystérieux les uns que les autres. Surtout, ce tome d'introduction mets tous les éléments en place pour que la suite s'avère palpitante. En gros, je suis ferré, et pas qu'un peu. Et même si j'en suis le premier surpris, je n'ai aucune raison de le nier.


La tour fantôme T1 de Taro Nogizaka. Gl énat, 2014. 224 pages. 7,60 euros.


vendredi 16 mai 2014

El ultimo lector - David Toscana

Quand Marilyne me propose une lecture commune je suis toujours partant, parce que son choix va forcément me plaire. Même si je ne connais pas le livre qu’elle me propose. Même si c’est un roman mexicain alors que je ne sais rien de la littérature de ce pays et même si le texte débute avec la découverte du cadavre d’une fillette…

A Imacole, bled paumé du nord du Mexique, la sécheresse semble ne jamais vouloir prendre fin. Seul Remigio a la chance d’avoir encore un peu d’eau au fond de son puits pour arroser son avocatier. Mais le jour où il y trouve le corps d’une enfant de 12-13 ans, il se dit que ce puits risque de lui attirer bien des ennuis. Cachant sa macabre découverte, il se rend chez son père Lucio, le bibliothécaire du village, pour lui demander conseil…

Pas la peine d’en dire davantage, ce n’est pas un roman qui se résume, c’est un roman dans lequel il faut juste croquer à pleines dents. Ne serait-ce que pour se régaler de la verve et de la lucidité de Lucio, un « ultimo lector » incorruptible passant au tamis de ses goûts littéraires chaque ouvrage aspirant à rejoindre les rayonnages de sa bibliothèque. Ceux n’ayant pas à ses yeux de qualités suffisantes finissent en enfer, une pièce où il élève des cafards dévoreurs de livres médiocres. « Le feu ne lui semble pas un châtiment approprié, car il confère à un livre prétentieux l’utilité de produire de la chaleur, la gloire de devenir lumière. L’enfer doit être quelque chose qui consume lentement, parmi l’urine et les mâchoires qui avec ténacité réduisent  en miettes couvertures, jaquettes et photographies d’auteurs immortalisés, les hommes dans une pose intellectuelle, les femmes dans leur désir de beauté. » Lucio est donc un grand malade, un fou de littérature autour duquel va graviter une cohorte de personnages plus savoureux les uns que les autres.

C’est un texte qui peut paraître foutraque, où la réalité ne cesse d’être transfigurée par l'imaginaire, où l’on se demande si c’est la fiction qui devient réelle où si c’est le réel qui n’est que fiction. On peut facilement perdre le fil mais peu importe. C’est un texte auquel il ne faut pas tenter de résister. Se laisser prendre par la main, se laisser porter par les mots et profiter d’une atmosphère incomparable, hors du temps et des modes. Un  grand moment de littérature ! Moi qui pensais être hermétique au réalisme magique latino-américain, je constate avec plaisir que ce n’est pas le cas. Borges me voila !

El ultimo lector de David Toscana. Zulma, 2013. 188 pages. 8,95 euros.

Le billet de Marilyne

Les avis de In Cold Blog, Manu et Coccinelle

jeudi 15 mai 2014

La ballade d’Hester Day - Mercedes Helnwein

Après Dieu me déteste, La belle colère s’enrichit d’un second roman sur l’adolescence. En même temps, c’est le principe de cette collection, proposer des romans dont les héros sont des adolescents sans que le «jeune public» soit spécifiquement visé. Pour le coup, l’objectif est une fois encore atteint.

La ballade d’Hester Day raconte les déboires existentiels d’Hester, 18 ans, gamine un peu paumée, incompréhensible pour son entourage, asociale sans être véritablement rebelle, juste incapable de se voir un avenir. A la veille de rentrer à l’université, elle va, sur un coup de tête, se marier avec un apprenti poète qu’elle connait à peine puis embarquer avec lui pour un road-trip en camping car en emmenant dans ses bagages son cousin de dix ans.

L’idée était vraiment sympa et aurait pu donner un texte enlevé et jubilatoire mais ce n’est pas le cas. Le problème c’est que tout sonne faux. Je n’y ai pas cru une seconde. Trop de caricatures : l’ado en crise, la mère hystéro, le père invisible qui veut juste qu’on évite de le déranger, la sœur haïe, le cousin obèse et rêveur, l’apprenti poète ronchon mais touchant, etc. Et puis de drôles coïncidences, nécessaires pour faire avancer le schmilblick mais paraissant sacrément artificielles (comme les retrouvailles d’Hester et de Fenton dans l’ascenseur de l’hosto par exemple, ou celles avec Jack dans une ferme isolée du fin fond du Kansas…).  Je n’ai pas non plus aimé l’écriture faussement djeune, les « putains » et  les « connards » pas franchement indispensables ou les réflexions philosophiques creuses comme « j’imagine qu’on ne peut pas vivre sans apprendre ». Et puis, une narratrice qui, parlant de sa mère et à cent pages d’intervalle, utilise deux fois l’expression « elle en chierait dans son froc d’extase », désolé mais ça ne passe pas.

Ok, je chipote, je rentre dans des détails sans intérêt. Je crois simplement que je l’ai mal pris, ce roman. Que c’était pas le bon moment pour m’y lancer, que j’étais pas d’humeur à subir la logorrhée d’une ado qui se cherche et ne parvient pas à se trouver. D’ailleurs je dois reconnaître quelques qualités à ce texte, des séquences marquantes, des dialogues percutants et des passages plutôt drôles.

Pour autant, je suis resté totalement extérieur à l’histoire. Rien à cirer d’Hester et des ses états d’âme, de Fenton, de Jethro du conflit parents/enfant et de ce road trip tout sauf trépidant. Je suis passé complètement à coté, quoi. Ça arrive…

La ballade d’Hester Day de Mercedes Helnwein. La belle colère, 2014. 368 pages. 20 euros.

Une lecture commune que je partage avec Karine, Lasardine, Noukette et Stephie. J'espère être le seul vilain petit canard de la bande...





mercredi 14 mai 2014

Les temps mauvais : Madrid 1936 – 1939 - Carlos Giménez

« De 1936 à 1939, eut lieu en Espagne ce que certains historiens, versés en littérature, ont appelé « la dernière guerre romantique ». Pour ceux qui l’ont vécue, ce fut simplement la guerre. »

Madrid, de 1936 à 1939. Suite au putsch militaire de Franco, la ville est assiégée et les républicains tentent de résister au fascistes. Carlos Gimenez raconte la guerre civile à travers le quotidien d’une famille qui l’a vécue « de plein fouet ». Mr Marcelino, le père, est un socialiste modéré. Entouré de sa femme et de ses trois enfants, travaillant dans un atelier de confection, il va endurer les privations et vivre au milieu de l’horreur et du chaos. Arrestations et exécutions arbitraires, bombardements, famine, maladie, promiscuité, insécurité permanente, rien ne sera épargné aux madrilènes pendant trois ans, jusqu’à la défaite.

Cette intégrale regroupant quatre albums inédits en France se compose d’historiettes de quelques pages. Des tranches de vie  sidérantes de réalisme qui ne glorifient personne mais cherchent à montrer un conflit vécu à hauteur d’homme par une population terrorisée.

Dans un dossier très complet en fin d’ouvrage, l’auteur explique sa démarche : « Je voulais raconter la guerre du point de vue de ceux qui l’ont subie, ceux qui recevaient les bombes et ont connu la terreur, la faim, l’angoisse et la misère. Je voulais raconter la guerre en minuscules, la guerre du quotidien, celle des coulisses, celle de ceux dont on ne parle pas dans les journaux, ni dans les manuels d’histoire. »

Impossible selon moi d’avaler ce pavé d’une traite, il est préférable de procéder par étapes pour éviter l’indigestion et profiter au maximum de la richesse de l’ensemble.

Le dessin en noir et blanc serait davantage adapté à un registre humoristique mais plus on avance dans le recueil et plus on se dit qu’il colle parfaitement au propos. D’ailleurs, un trait plus réaliste aurait sans doute rendu les événements relatés à la limite du supportable.

Il faut aimer le genre, il faut aimer le sujet, il faut accepter d’être sacrément bousculé par l’atrocité du conflit. Mais il faut aussi reconnaître que c’est de la très grande BD historique, une somme d’une rare qualité que j’ai trouvé absolument passionnante.

Les temps mauvais : Madrid 1936 – 1939 de Carlos Giménez. Fluide Glacial, 2013. 240 pages. 35,00 euros.


Un album lu dans le cadre de l’opération « La BD fait son festival » organisée par Priceminister. Et puisqu’il me faut donner une note à ces « Temps mauvais », je leur accorde un 18/20 bien mérité.
















mardi 13 mai 2014

Ce crime - Catherine Leblanc

Une classe de seconde, en l’an 2000. Une blague qui tourne mal et Jonas est poignardé par Romain dans un couloir du lycée. Il ne se relèvera pas.

Dix ans plus tard, les anciens élèves se souviennent. Chacun donne son point de vue. Il y a ceux qui voudraient « rembobiner le film, revenir en arrière, recommencer autrement. » D’autres n’ont toujours pas surmonté le traumatisme alors que certains se sont servis de cet épisode tragique pour avancer. Il y a aussi celui qui, aujourd’hui encore, a l’air de prendre l’affaire à la légère tandis que le prof, lui, ne s’en est jamais remis : « je n’ai pas pu empêcher ça, ce crime. C’est une faute trop lourde à porter. » Les voix se succèdent, la polyphonie souligne à quel point il y avait dans cette classe une tension sous-jacente ne demandant qu’à éclater au grand jour. Un microcosme avec ses clans, ses rois, ses reines et ses victimes désignées, une atmosphère étouffante où les humiliations subies ont fini par devenir insupportables, où la mèche, une fois allumée, a provoqué l’explosion…

Avec les années, la maturité aidant, la réflexion autour du drame, de ses causes et de ses conséquences, est  plus profonde. Les fêlures portées comme un fardeau à l’adolescence resurgissent au fil des souvenirs égrainés et chaque témoignage possède un ton et une force assez remarquable.

Un récit choral poignant et réaliste. Extrêmement court mais d’une redoutable efficacité. De la très bonne littérature jeunesse, en somme.

Ce crime de Catherine Leblanc. Balivernes, 2010. 56 pages. 7,50 euros. A partir de 12 ans.

Une nouvelle lecture commune du mardi que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.

Les avis de Clara et Lasardine.



lundi 12 mai 2014

Au secours, j’ai perdu mon slip ! (ou la véritable histoire de Tarzan) - Christophe Loupy et Bérengère Delaporte

Si Tarzan est le roi de la jungle, c’est parce qu’il est le plus beau, le plus fort et le plus rapide, mais c’est aussi et surtout parce qu’il porte un incomparable slip léopard. Alors le jour où son seul vêtement disparaît, le roi de la jungle se trouve fort démuni. Et lorsqu’il découvre ledit vêtement sur les fesses poilues du gorille, il comprend que les animaux ont changé de roi. Mais Tarzan ne s’avoue pas vaincu et il va se confectionner un nouveau slip, bien décidé à reconquérir son trône…

Il est rare de tomber sur un album jeunesse aussi drôle. Il faut dire que je suis très bon public pour les histoires de slip. Et puis ici on a droit à un impayable Tarzan à rouflaquettes que l’on découvre cul-nu au détour d’une page. En même temps, il importe de préciser que ce n’est pas que la fête du slip. On rigole beaucoup mais l’air de rien on parle ici aux enfants de vivre ensemble et c’est joliment amené.

Le dessin est simple, expressif, coloré, et participe grandement à l’ambiance potache de l’ensemble. De la grosse poilade et un message intelligent, voila un album qui va forcement faire mouche auprès du jeune public auquel il s’adresse.

Au secours, j’ai perdu mon slip ! (ou la véritable histoire de Tarzan) de Christophe Loupy et Bérengère Delaporte. Marmaille et Compagnie, 2014. 32 pages. 12,00 euros. A partir de 4-5 ans.

Les avis de Leiloona et Mya Rosa.



samedi 10 mai 2014

Un ciel rouge, le matin - Paul Lynch

Dans l'Irlande du 19ème siècle, Coll Coyle, un jeune fermier menacé d’une expulsion qu'il considère injuste, décide d'aller demander des explications au fils de son propriétaire. Dans un accès de colère, il le tue accidentellement. Pour éviter les représailles, Coll doit fuir, laissant derrière lui sa femme enceinte et sa fille. A ses basques, le terrible Faller, homme de main du domaine décidé coûte que coûte à venger son patron.

Le résumé de l'histoire pourrait tenir sur un timbre. Une histoire de fuite, en trois temps. D'abord la fuite à pied jusqu'au port de Derry. Puis la traversée de l'Atlantique dans des conditions abominables. Enfin la fuite en Pennsylvanie où Coll est embauché sur un chantier de chemin de fer, près de Philadelphie.

Un premier roman dense et prometteur. Le seul gros souci est pour moi le manque de profondeur des personnages auxquels on a du mal à s'attacher. Pour le reste, la construction est imparable. Faisant se succéder des tableaux mettant successivement en scène la fuite et la traque, Paul Lynch joue sur l'opposition classique entre le bien et le mal. Faller incarne le mal absolu. Froid, cruel et déterminé, on se demande juste quelles sont ses réelles motivations (d'où le manque de profondeur). Quant à Coll, il reste une figure d'innocence malgré son crime, une proie cherchant désespérément à échapper à l'implacable chasseur ne perdant jamais sa trace.

On est donc face à une sorte de western américano-irlandais mâtiné de roman d'aventure à l'ancienne et de nature writing. Mais la singularité tient ici à la qualité de l'écriture, une écriture très visuelle, presque cinématographique avec par moments un registre lyrique où s'exprime la violence des hommes dans de somptueux décors magnifiés par d'amples descriptions. Finalement, on se demande si les éléments naturels ne sont pas les protagonistes principaux du récit, au détriment d’individus n'existant que par leurs actes et leurs sensations, en dehors de toute psychologie, et c'est presque dommage.

Il n'empêche, ce premier roman reste d'une redoutable efficacité et j'ai aimé son dénouement, certes pessimiste mais selon moi tellement lucide, prouvant, comme une évidence, que notre liberté n'est qu'illusoire et notre défaite finale inéluctable, quels que soient nos efforts.


Un ciel rouge, le matin de Paul Lynch. Albin Michel, 2014. 304 pages. 20,00 euros.

Les avis de Canel et Cristie, très mitigés...










jeudi 8 mai 2014

Tyrannicide - Giulio Minghini

Tyrannicide est pour son auteur Gérard Joyau le livre d’une vie. Pensez donc, une éducation sentimentale de 934 pages dans une prose d’un « classicisme baroque » qui raconte « les déboires d’un provincial aux prises avec une mère mutique et autoritaire (qui le maltraite depuis son enfance), et amouraché d’une charcutière nymphomane (sa maîtresse) », ce n’est pas rien. Sauf que la sixième mouture du manuscrit vient d’être à nouveau refusée par les éditions Gallimard. Un refus accompagné pour la première fois d’un petit mot de Philippe Sollers himself. Pour Gérard c’en est trop, la coupe est pleine et la réponse va être cinglante. Dans une longue lettre à l’attention du « mandarin égocentrique des lettres françaises », il va défendre son texte avec un aplomb à toute épreuve. Avec véhémence, conviction, et sans peur du ridicule…

Gérard Joyau est persuadé d’être un écrivain, un vrai, « contraint de mendier auprès de l’éducation nationale un poste, non pas déshonorant, mais très au-dessous de [sa] juste valeur » à cause de la « malveillance des éditions Gallimard » qui refusent de reconnaître son talent. C'est également un lecteur passionné du magazine Détective, de Mauriac, de Montherlant et de bien d’autres, qui n’hésite pas à retirer à coups de ciseaux les pages superflues ou ratées des livres qu’il dévore : « Ma pléiade Céline ne compte que trente-huit pages, celle de Gide un peu moins de deux cents ». Surtout, c’est un vieux garçon à l’œdipe mal géré, s’accrochant désespérément à un seul et unique rêve : être publié dans « La blanche ».

C'est une évidence, elle est pathétique sa lettre. Plus il avance dans l’analyse minutieuse de son « œuvre » et plus il s’enfonce. C'est bien connu, les écrivaillons persuadés d'être des génies sont légions. Et ils sont prêts, coûte que coûte, à défendre leur prose, même si on leur démontre par A + B qu'elle ne vaut pas tripette. Tout cela aurait pu être plombant et grossier mais au final l’exercice proposé par Giulio Minghini se révèle éminemment littéraire. Pas de moquerie vacharde, tout est présenté avec beaucoup de finesse et d'humour, même si le pauvre Gérard n'en ressort pas grandi, loin s'en faut. Et puis certaines piques attaquent bille en tête, et avec justesse, le monde de l’édition : « Gallimard, cette maison d’édition qui, par ses jeux diplomatiques grossiers et mafieux arrive un an sur deux à obtenir avec l’un de ses auteurs le prix Goncourt. Comme c’est bizarre, n’est-ce pas ? », tandis que d’autres sont d’une lucidité touchante : « Juste une curiosité, au passage ; combien avez-vous tué d’écrivains dans l’œuf littéraire […] mis à mort par la hache de votre indifférence… Combien ? Savez-vous combien vous en avez broyés, effacés, rayés de leur propre vie ? »

Voila donc un petit texte brillant à l’écriture très travaillée. Et cette lettre n’épargnant au final ni l’expéditeur ni le destinataire m'a fait passer un moment de lecture délicieusement jubilatoire.

 Tyrannicide de Giulio Minghini. Nil, 2013. 78 pages. 8,50 euros.


Une découverte que je dois à  Stephie. Elle a eu la gentillesse de m’offrir ce livre et je la remercie sincèrement, c’est une très belle découverte.




mercredi 7 mai 2014

Les vieux fourneaux T1 : Ceux qui restent de Lupano et Cauuet

Antoine, 77 ans, vient de perdre sa femme. Pierrot et Émile, les amis de toujours, sont là pour le soutenir le jour de l’enterrement. Mais quand il apprend le lendemain que son épouse bien-aimée a eu une relation extraconjugale une quarantaine d’années auparavant, il devient fou de rage. Surtout que l’amant n’était autre que son patron de l’époque, magnat d’un grand groupe pharmaceutique, aujourd’hui nonagénaire exilé par sa famille dans une villa toscane où il passe ses journées à sucrer les fraises, frappé de plein fouet par un Alzheimer dévastateur.

Décidé à venger son honneur, Antoine prend son fusil et saute dans sa voiture, direction l’Italie. Pour éviter le drame, Pierrot et Émile, accompagnés de Sophie, la petite-fille d’Antoine, s’embarquent à leur tour dans un périple mouvementé…

Un régal cet album ! Ces petits vieux sont attachants mais pas que. Ils fument et picolent parce qu’il n’y pas de raison de se priver de ces petits plaisirs, ils débordent d’énergie, ne sont certes pas dans la forme de leur vie mais ils sont prêts à déplacer des montagnes pour aider leur copain. En ces temps d’égoïsme, ils revisitent l’altruisme de façon magistrale. Et sans mièvrerie, avec un cynisme et un humour dévastateur. La réflexion politique n’est jamais loin, les dialogues, très travaillés, sonnent comme du Audiard mâtiné de Jean Rochefort. Même l’ex-patron est drôle malgré lui et finit par devenir attendrissant.

Et que dire de la confrontation savoureuse entre Sophie, digne représentante de la jeunesse actuelle, et ces vieillards qu’elle considère comme « la pire génération de l’histoire de l’humanité. » Un régal je vous dis !

Il faut reconnaître aussi que le dessin de Cauuet offre à ces papys des trognes inoubliables. De nombreuses choses passent dans leurs regards, leurs postures et leurs corps abîmés par les années, tout cela participe à rendre l'atmosphère de cet album assez unique.

Un premier tome en tout point excellent, rocambolesque à souhait, mélangeant avec bonheur le road trip improbable et la comédie sociale, on en redemande. Ça tombe bien, le second volume est déjà entièrement dessiné et devrait sortir en novembre. Une vraie bonne nouvelle !

Les vieux fourneaux T1 : Ceux qui restent de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Moka, Noukette et Yaneck.

L'avis d'Yvan






mardi 6 mai 2014

Le premier mardi c'est permis (26) : Sexe, mensonges et banlieues chaudes - Marie Minelli

Je pensais avoir touché le fond en matière de clit lit avec la culotte sale de Mila Braam mais je me rends compte que l’on peut creuser toujours plus profond vers la médiocrité et j’avoue que ça m’affole un peu. Parce que là, franchement, le bouchon est poussé bien trop loin.

Dans ce roman, on suit la vie chiante à mourir trépidante de la  cruche pétillante Sara, richissime jeune femme de Neuilly fiancée à Amaury de Saint Sauveur, futur magnat de la finance. Le mariage avance à grands pas mais Sara s’ennuie ferme et ne voit pas l’avenir sous les meilleurs auspices. Avec Amaury, ce n’est pas vraiment le pied : « j’essaie de me souvenir de la dernière fois que j’ai joui avec Amaury… je crois bien que Whitney Houston était encore vivante et que DSK était considéré comme un espoir de la politique française. »

Prisonnière d’un milieu qu’elle trouve irrespirable, Sara va chercher à s’émanciper en remplissant un formulaire anonyme pour passer un entretien d’embauche à France Télévision. Recrutée pour faire partie d’un programme « spécial diversité », Sara se fait passer pour une marocaine et fréquente pour la première fois de sa vie des gens vivant de l’autre coté du périph. Parmi eux, le beau Djilali qui va faire fondre son petit cœur tout mou…

L’éditeur annonce en 4ème de couv « une comédie made in France avec de vraies scènes de sexe à l’intérieur ». Franchement, il y a tromperie sur la marchandise parce qu’en dehors du « made in France », je me demande où sont cachées la comédie et les vraies scènes de sexe. Bon du sexe, il y en a un peu. Mais ça vole pas haut. Parce qu’une fille qui crie en pleine copulation « Ah oui, oui ! Encore, encore… », c’était bon dans le porno à papa ce genre de choses. Niveau « émoustillage », je n’ai pas ressenti le moindre début de frisson. Les quelques rares « scènes de sexe à l’intérieur » m’ont laissé de marbre. Et pourtant je ne suis pas difficile d’habitude.

Autre énorme problème, les citations permanentes de noms de marques et de personnalités. On appelle ça le « name dropping » et c’est quelque chose qui me sort par les yeux. Là, on est au top du top de la bourgeoisie alors on a droit à du Vuitton, du Gucci et des tas d’autres trucs dont je n’ai jamais entendu parler. Et puis ils boivent des « mimosas » et je ne sais même pas ce que c’est que ce cocktail. M’étonnerait pas qu’il y ait du champagne dedans…

Donc si on fait le point, ça nous donne : du sexe pas émoustillant et une pub géante pour des marques inabordables. Ajoutez un incroyable catalogue de clichés pour faire bonne figure et la potion sera particulièrement amère. Dans le monde de Sara, c’est « grisant de chercher du boulot ». Dans son monde, tous les décorateurs d’intérieur sont gays. Dans son monde, on se demande si « l’amour c’est jouir ensemble ? Ou bien c’est se marier ensemble ? ».  Dans son monde, quand on met un pied dans le 93 c’est pour se retrouver dans une loge VIP du stade de France. Et je vous passe les orgies cocaïnées de la jeunesse dorée du royaume de France…

La cerise sur le gâteau, c’est quand même la platitude totale de l’écriture, malgré quelques passages assez drôles. Et quand on s’apprête à se lancer dans une scène torride, le ridicule n’est jamais loin. Petit exemple éloquent : « Son odeur envahit mes narines. Une odeur de musc, de transpiration, de café fort, bref une odeur de mâle. Je jurerais même qu’il sent un peu la bite. »  Heu, comment dire, là je crois que ça va pas être possible. Sentir un peu la bite ? Quézaco ? Sentir de la bite à la limite je veux bien, et au moins ça me parle. Mais sentir la bite, franchement, ça ne veut strictement rien dire, non ?

Bref, vous aurez compris à quel point j’ai adoré ce roman... Il faut sans doute prendre tout cela au second ou au troisième degré pour en extraire la substantifique moelle mais j’avoue que c’est au dessus de mes forces…

Sexe, mensonges et banlieues chaudes de Marie Minelli. La Musardine, 2014. 180 pages. 14,00 euros.

Une participation de plus à l'incontournable rendez-vous de Stephie et une lecture commune que je partage avec Hélène et Leiloona.







lundi 5 mai 2014

Théorie générale de l’oubli - José Eduardo Agualusa

Luanda, capitale de l’Angola, en 1975. Alors que la guerre d’indépendance éclate, Ludovica, venue du Portugal pour s’installer avec sa sœur et son beau frère dans un grand appartement avec terrasse, se retrouve seule du jour au lendemain. Sa peur du dehors la pousse à « s’emmurer » avec son berger allemand pour se protéger de l’extérieur. Elle restera enfermée pendant près de trente ans dans cet appartement, sans aucun contact avec qui que ce soit, survivant, entre autres,  grâce au potager créé sur le balcon, à quelques poules volées à ses voisins et à de nombreux pigeons piégés à l’aide de pierres précieuses.

Dans une note préliminaire, l’auteur indique que Ludovica Fernanes Mano à vraiment existé. Décédée en octobre 2010, à l’âge de 85 ans, elle a laissé des cahiers dans lesquels elle a consigné son journal. Et lorsque le papier et les stylos ont manqué, elle a continué d’écrire sur les murs avec du charbon de bois. L’histoire est donc à la base réelle mais José Eduardo Agualusa précise à ses lecteurs : « ce que vous lirez est de la fiction. De la pure fiction. »

Non content de se focaliser sur la recluse volontaire, l’auteur a imaginé la vie de nombreux personnages ayant traversé cette période trouble de l’histoire angolaise. Des personnages aux destins chaotiques, enfant des rues ou infirmière, journaliste ou ancien bourreau de la police politique. Des personnages reliés à Ludovica et à son appartement par un fil parfois ténu. C’est là que tient le sel du récit, c’est là que l’écrivain s’est emparé d’un fait divers et l’a transformé en matériau romanesque. Il a savamment tissé sa toile, créant une architecture narrative implacable, sortant de la confusion géopolitique et de l’instabilité permanente des existences qui incarnent, chacune à leur manière, la complexité d’un pays au bord du gouffre. L’exercice est brillant et m’a enchanté.

Théorie générale de l’oubli de José Eduardo Agualusa. Métailié, 2014. 172 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Valérie





vendredi 25 avril 2014

Ma cousine Rachel - Daphné Du Maurier

Un monumental manoir des Cornouailles. Philip y a été élevé par son cousin Ambroise depuis la mort de ses parents. Les deux hommes vivent dans leur domaine comme des vieux garçons totalement désintéressés par une quelconque présence féminine. Mais lors d’un séjour à Florence, Ambroise rencontre Rachel, une lointaine cousine. Tombé fou amoureux, il l’épouse dans la foulée et s’installe en Italie. Quelques temps plus tard, Philip reçoit une lettre d’Ambroise lui indiquant qu’il soupçonne sa femme de vouloir l’empoisonner. Prenant cette menace pour argent comptant, il se rend à Florence et découvre que son parent est mort depuis trois semaines. La cousine Rachel, elle, semble s’être volatilisée. Philip jure de venger Ambroise mais lorsque Rachel débarque au manoir, elle ne semble pas du tout être la femme machiavélique qu’il imaginait…

Un roman que m’a offert Athalie et une lecture prévue de très longue date avec Ingannmic. Heureusement d’ailleurs que j’avais cet engagement parce que j’avoue que sinon j’aurais eu du mal à m’y mettre et je serais passé à coté d’un excellent moment de lecture. Pensez donc, une sorte de suspens psychologique en pleine campagne anglaise, un huis clos entre un richissime rentier, naïf comme c’est pas permis, et une manipulatrice sans vergogne. Il y avait tous les éléments pour que je m’ennuie ferme.

Et bien je ne me suis pas ennuyé une seconde. D’abord parce que les personnages principaux et secondaires sont parfaitement campés. Ce grand couillon de Philip, qui, à bientôt 25 ans, ne connaît rien aux femmes et va se laisser embobiner comme un bleu par la magnifique Rachel, impulsive et retorse, dont on ne cesse de se demander s’il faudrait lui donner le bon dieu sans confession ou si au contraire elle n’est rien d’autre qu’une machiavélique diablesse. Ensuite, ce n’est pas ennuyeux parce que l’intrigue avance en permanence et ne tourne pas en rond. A chaque chapitre un élément nouveau, une pièce supplémentaire du puzzle qui s’imbrique pour nous mener vers un dénouement vraiment bien trouvé. Enfin, on ne s’ennuie pas une seconde parce que les rapports humains sont tricotés serrés-serrés, tout se tient merveilleusement bien, sans aucune fausse note. Bien sûr l’intrigue se déroule dans l’atmosphère lente, engoncée et poussiéreuse propres aux grandes fortunes anglo-saxonnes mais, à ma grande surprise, j’ai pris un vrai plaisir à fréquenter ces gens de la haute dont les comportements sont régis par le respect de l’étiquette.  

Finalement, on referme le roman en se demandant qui est vraiment Rachel. Une âme pure ou un succube ? Personnellement, je la verrais bien un tantinet schizophrène. Et pas qu’un peu à vrai dire…

Merci à Athalie pour cette superbe découverte. Un vieux (et stupide) réflexe de mon passé ouvrier m’interdisait jusqu’alors de lire un auteur à particule. Grâce à elle, j’ai franchi le cap. Bon, pour autant, pas demain la veille que je lirai d’Ormesson ou Poivre d’Arvor…

Ma cousine Rachel de Daphné Du Maurier. Le livre de poche, 2009. 382 pages. 7,10 euros.

Un lecture commune que j'ai donc le plaisir, vous l'aurez compris, de partager avec Ingannmic.




jeudi 24 avril 2014

Passe-passe - Delphine Cuveele et Dawid

Une grand-mère et sa petite fille sur un banc. Un papillon se pose sur le crâne de la grand-mère et le récit commence. Cinq moments clés de l’histoire commune de l’enfant et de la vieille femme vont marquer la disparition progressive de cette dernière.

La mamy perd peu à peu couleurs et vitalité pour les transmettre au papillon. Au final on assiste à une « évaporation graphique » tout en douceur, un tour de passe-passe magique, sans un mot, qui en dit bien plus que de longs discours.

Je suis toujours fasciné par la narration sans texte. Tout tient dans un découpage où la lisibilité de l’image est le seul maître mot. En jouant sur le cadrage, le mouvement, l’alternance entre les grandes cases, les illustrations pleine page et les plans resserrés, il faut parvenir à donner du rythme en gardant le propos parfaitement compréhensible. Un tour de force qui, lorsqu’il est réussi comme c’est le cas ici, émerveille.

Une façon magistrale d’aborder le deuil, le souvenir et le temps qui passe. La nostalgie n’est pas triste et l’absence est comblée par les joyeuses réminiscences. Il est finalement très lumineux cet album.

J’ai l’impression de me répéter à chaque fois que je présente un ouvrage des éditions de La gouttière mais je n’y peux rien si le catalogue de cet éditeur ne propose que des pépites, des BD jeunesse d’une qualité rare que j’ai envie de faire découvrir au plus grand nombre. Et celui-là ne fera évidemment pas exception à la règle.

Passe-passe de Delphine Cuveele et Dawid. Éditions de la gouttière, 2014. 36 pages. 9,70 euros. A partir de 6-7 ans.

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette et Moka.

L’album sort aujourd’hui. Plus d’infos sur le site des éditions de la gouttière.

L'avis de Lunch






mercredi 23 avril 2014

L’assassin qu’elle mérite T1 et T2 - Corboz et Lupano

Vienne, 1900. Prenez un gamin des rues pur et innocent et plongez-le dans le luxe d’une maison close avec crédit illimité. Initiez-le aux charmes de l’oisiveté et de l’argent facile, donnez-lui accès à des choses qui lui sont inabordables puis coupez-lui les vivres sans crier gare. Tel est le projet d’Alec, jeune dandy capricieux, irresponsable et tête à claque voulant transformer un gavroche en ennemi public numéro 1. Le but ultime étant de le façonner comme une œuvre d’art, une œuvre d’art « subversive et véritablement décadente ». Victor sera la victime désignée d’Alec. Un gosse pas verni par la vie, maltraité par un père à la main lourde et dont la carrière de tailleur de pierres qui l’attend ne l’enchante guère. Avec Alec, il va découvrir un train de vie dont il ne soupçonnait même pas l’existence. Mais le choc est rude, trop rude. Et le pétage de plombs inévitable…

Pour ce scénario, Lupano s’est inspiré de « L’assassinat considéré comme un des beaux-arts » de Thomas De Quincey et surtout d’un passage de « A rebours » de Joris-Karl Huysman dans lequel l’auteur déclare vouloir changer brutalement la vie d’un homme pauvre afin de « créer un gredin de plus pour la société et lui donner l’assassin qu’elle mérite ». Entraîné dans quelque chose  qu’il ne maîtrise pas, dépassé par ce qui lui arrive, Victor va devenir incontrôlable, allant bien au-delà des espoirs placés en lui par son pygmalion.

Une série à l’atmosphère délicieusement sulfureuse. Lupano montre la bourgeoisie viennoise engoncée dans ses certitudes d’un autre temps, incapable d’anticiper les catastrophes à venir alors que la pauvreté, le chômage de masse et l’antisémitisme galopant transforment en profondeur la société. Avec Victor, il procède à une métamorphose violente. Une personnalité simple et neutre qu’Alec a besoin de totalement effacer pour la réécrire à sa guise. C’est une expérience sans filet, un mélange qui devient aussi dangereux qu’explosif…

Que dire du dessin de Corboz, si ce n’est qu’il représente à merveille la Vienne de l’époque. L’architecture, l’opéra, les brasseries, les quartiers populaires, tout est fidèlement resitué. Son trait réaliste campe avec conviction les différents personnages et affirme le caractère de chacun.

Une superbe série, tant sur le fond que sur la forme. Le troisième volume paraîtra le 21 mai, je vais me faire un plaisir de le dévorer dès sa sortie.

L’assassin qu’elle mérite T1 : Art nouveau de Corboz et Lupano. Vents d’ouest, 2010. 56 pages. 13,90 euros.
L’assassin qu’elle mérite T2 : La fin de l’innocence de Corboz et Lupano. Vents d’ouest, 2012. 56 pages. 13,90 euros.


Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.



mardi 22 avril 2014

On nous a coupé les ailes - Fred Bernard et Émile Bravo

Il était une fois un gamin de 8 ans qui, au tournant du 20ème siècle, passait de merveilleux étés avec ses frères et son cousin Firmin à faire les quatre cents coups dans une parfaite insouciance. Un gamin prénommé René, rêveur patenté, fasciné par l’apparition des premiers avions. Un gamin persuadé que quand il serait grand, il volerait lui aussi et pourrait caresser les nuages. Un gamin heureux, conscient de la magie de l’enfance et confiant en l’avenir.

Il était une fois ce même gamin, en octobre 1914, écrivant à sa mère : « J’ignore ce que l’on sert à nos officiers, Maman, mais mon ventre crie souvent famine ici. […] Voila maintenant des semaines que l’armée allemande est bloquée à 40 kilomètres de Paris, mais il s’en est fallu de peu pour qu’elle nous déborde… Alors elle se venge et nous pilonne au canon, nous déchiquette à la mitraillette. Nous on creuse, on s’enterre et on s’enfonce dans la Marne. A perte de vue, de la boue et des cadavres, des chevaux gonflés par la putréfaction, […] des villages rasés et des arbres noirs ébranchés. »

Le gamin devenu un jeune adulte découvre l’horreur du front. Il apprend la mort du cousin Firmin et de son frère Eugène, il s’évade en repensant aux instants joyeux partagés avec eux par le passé et en regardant les avions tournoyer dans le ciel, toujours plus rapides et plus flamboyants…

J’avais peur que le propos insiste trop sur l’histoire de l’aéronautique. Il y a certes quelques termes techniques et la présentation d’incontournables pionniers de la conquête de l’air mais le cœur de l’album ne se focalise pas sur ce sujet. A travers l’histoire de René, les auteurs parlent avec finesse de ses hommes auxquels la guerre a coupé les ailes. L’alternance entre l’enfer des tranchées et le paradis de l’enfance montre à quel point ce monstrueux conflit a brisé des millions de vies et autant de rêves d’avenir.

Un texte sobre et touchant, des illustrations parfaites d’Émile Bravo, cet album est un petit bijou absolument tout public, à lire dès dix ans selon moi.

On nous a coupé les ailes de Fred Bernard et Emile Bravo. Albin Michel, 2014. 56 pages. 11,50 euros. A partir de 9 ans.

Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette, comme chaque mardi.

L'avis d'Ys





Ma troisième participation
au challenge de Stephie 





lundi 21 avril 2014

Où est donc ma maison ? - Françoise Laurent et Emmanuelle Houssais

Puisque c’est le week-end de Pâques, je vais vous parler d’un petit poussin nommé Valentin. Un poussin qui a perdu sa maison et va interroger ses voisins pour tenter de la retrouver. Dès qu’il aperçoit une nouvelle demeure, il croit être rentré chez lui. Mais le chien, le cheval, les grenouilles, les abeilles, les oiseaux, les lapins, la taupe et même le loup lui répondent à chaque fois qu’il se trompe.

Encore un album en randonnée (décidément, c’est à croire que c’est le seul schéma narratif à proposer aux tout-petits). Le poussin chemine d’animal en animal sans trouver de solution à son problème, jusqu’au dénouement heureux. L’intérêt ici est que l’on découvre les habitations propres à chaque espèce, ce qui permet d’enrichir le vocabulaire. De la niche à la ruche en passant pas le clapier, l’écurie, le terrier, le nid, la tanière ou l’aquarium, l’éventail est très large.

Les illustrations sont simples et colorées, avec une mention spéciale pour la taupe que j’ai trouvée trop choupi.

Les pages de garde finales proposent en outre le « jeu de poussin Valentin », qui n’est autre qu’un jeu de l’oie revisité où l’on retrouve tous les animaux croisés dans le livre.

Un fort joli album plein de fraîcheur mettant en scène un petit poussin craquant comme tout. J'en connais une qui va adorer le découvrir d'ici peu.


Où est donc ma maison ? de Françoise Laurent et Emmanuelle Houssais. Ricochet, 2014. 32 pages. 11,00 euros. A partir de 3 ans.

samedi 19 avril 2014

La dame à la camionnette - Alan Bennett

Le dramaturge et homme de radio anglais Alan Bennett raconte ici vingt ans de cohabitation avec une SDF. En 1969, Miss Shepherd installe sa camionnette en face de chez lui, dans un quartier calme de Londres. Une camionnette dans un état aussi déplorable que sa propriétaire, dont c’est la seule demeure. L’arrivée de la squatteuse ne va évidemment pas plaire à tout le monde. Sommée par la municipalité de quitter les lieux, souvent embêtée par quelques vauriens, la vieille femme subit sans véritablement broncher. Dans un élan de compassion, Bennett lui propose d’installer son tas de boue dans son jardin. Elle ne le quittera plus jusqu'à sa mort, en 1989.

Au final, la charité de Bennett aura été bien mal récompensée. Tyrannique, ultraconservatrice, n’en faisant qu’à sa tête, d’une saleté innommable et passant son temps à se plaindre ou à proposer des projets d’émission foireux, la clocharde est une emmerdeuse de première. Vingt ans d’un quotidien houleux déroulés en quelques tableaux, en divers moments marquants, parfois drôles, le plus souvent anecdotiques et je dirais presque sans intérêt.

Oui, je l’avoue, je n’ai pas trouvé grand chose d’intéressant dans ce témoignage. Les petits épisodes s’enchaînent, relatant des échanges sans saveur, dignes de ceux que l’on pourrait tenir avec son voisin (même si je ne souhaite à personne d’avoir une voisine comme Miss Shepherd !). On sait finalement très peu de choses sur elle, ce qui donne à ce portrait un désagréable coté superficiel. Je me suis interrogé sur le but d’un tel témoignage, que je n’ai à aucun moment trouvé touchant. J’en suis même venu à me demander si l’auteur ne voulait pas simplement passer pour un bon samaritain auquel chaque lecteur devrait dresser des lauriers, mais je ne pense sincèrement pas que ce soit le cas. Heureusement, un post-scriptum rajouté cinq ans après la première publication nous en apprend beaucoup plus sur la vie de Miss Shepherd avant qu’elle ne tombe dans la marginalité. C’est, et de loin, la partie la plus attrayante de l’ouvrage.

La dame à la camionnette d’Alan Bennett. Buchet Chastel, 2014. 114 pages. 9,00 euros.

Les avis de Canel, Clara et Zazy


vendredi 18 avril 2014

Notre histoire commence - Tobias Wolff

Un fait divers évité de justesse dans la chambre d’hôtel minable de journaliers mexicains. Un fils quittant le chevet de sa mère mourante pour établir un devis dans un funérarium. Une enseignante prise en otage par un parent d’élève mécontent. Un soldat qui vient vaguement en aide à la sœur d’un camarade parti en Irak. Une étudiante fascinée par la confession intime de l’une de ses profs. Un homme qui promène le chien de sa compagne disparue. Un père amenant de force son fils dans un collège militaire. Un américain victime d’un pickpocket gitan en Italie. Un mari qui ne peut oublier cette fille embrassée trente ans plus tôt… Dix nouvelles en tout. Dix petits riens, dix moments fugaces comme autant d’instantanés pris sur le vif. Des hommes et des femmes fragiles, en proie au doute.

Soyons clair : si vous êtes allergique à Carver (j’en connais certaines, elles se reconnaîtront), passez votre chemin. Mais si vous êtes comme moi amoureux de la prose minimaliste du grand Raymond, vous allez vous régaler. Tout est banal dans ce recueil. Parfaitement banal. Ces nouvelles sont un peu comme des bribes de tableaux impressionnistes construits par petites touches, à peine esquissés. Des scènes relevant de l’insignifiant, des histoires sans véritable chute.

Je suis clairement fan de ce genre épuré à l’extrême, de cette représentation du grand ordinaire de nos existences avec trois fois rien. La normalité, voila de quoi parle ce recueil. Une normalité à peine bousculée, une atmosphère suspendue quelques minutes ou quelques heures, quand survient un frémissement qui, peut-être, sera annonciateur d’une forme de basculement. La vie, quoi.

Notre histoire commence de Tobias Wolff. Bourgois, 2014. 178 pages. 15,00 euros.