L’exercice est incroyablement difficile. Parvenir à une telle épure et à une telle efficacité en termes d’écriture et de narration relève du tour de force. Et puis l’art de la chute est ici maîtrisé à la perfection. Mes histoires préférées ? Celle du gars seul qui, pour son anniversaire, s’achète un cadeau, le planque dans la maison et quelques jours plus tard s’enfile une bouteille de whisky. « Et une fois que je ne sais plus comment je m’appelle ni s’il fait jour ou nuit, je cherche mon cadeau. Cette année, je l’ai retrouvé. C’était un papillon épinglé dans une boîte. Je ne sais pas ce qui m’a pris de m’offrir un truc pareil. » J’ai aimé aussi celle du gars discret et silencieux, celui qu’on ne remarque jamais mais qui s’explose les oreilles chaque soir avec du hard rock (sans doute parce qu’il m’a rappelé quelqu’un…) ou encore ce dîner guindé où de l’apéritif au digestif, la discussion glisse de « Ah, moi je suis plutôt parc à l’anglaise, les jardins à la française m’ennuie… » à « Comment tu veux que je te branle ? ». Je pourrais en citer des tas d’autres tant les pépites se suivent à chaque page.
Un énorme coup de cœur, donc. Ce recueil, c’est la micro-fiction comme je l’aime, tellement, tellement plus irrévérencieuse que ce que fait Delerm par exemple.
On ne va pas se raconter d'histoires de David Thomas. Stock, 2014. 150 pages. 14,00 euros.
Un recueil que je m’empresse d’ajouter au challenge « Nos pépites de l’année » chez Galéa et une lecture commune que je partage une fois de plus avec une Noukette tout aussi emballée que moi.
Les avis de Krol et Moka
Allez, trois petits textes en cadeau :
Un autre homme
« Je ne regrette pas de t’avoir rencontré. Je ne regrette pas les enfants, d’avoir renoncé à bien des choses pour les élever, d’avoir quitté ma ville que j’aimais tant pour que tu aies ce boulot qui te plaisait tant. Je ne regrette pas ces vacances en Bretagne, même si, comme tu le sais, je déteste la Bretagne. Je ne regrette pas d’avoir fait pendant toutes ces années des dîners pour tes amis que je trouve un peu cons-cons, pas bien méchants, mais pas bien futes-futes non plus. Je ne regrette pas que tu m’aies trompée pendant six mois avec cette petite idiote, je ne t’en veux même pas, elle était très jolie et je l’étais nettement moins que lorsque que l’on s’est rencontrés. Je ne regrette pas que tu ne te sois jamais intéressé aux mêmes choses que moi, que tu n’aies jamais pu supporter ma sœur ou que tu m’emmènes pour mes anniversaires dans des villes ou des pays que tu rêvais de découvrir. Je ne regrette rien, mais dire que j’ai passé quinze ans avec toi, et qu’il a juste fallu que je rencontre un autre homme pour comprendre enfin que tu ne vaux rien. »
Volonté
« Ça y est ? Tu as pensé toutes tes horreurs, ça va mieux ? Je sais ce que tu t’imagines, et si je ne dis rien c’est parce qu’il n’y a rien à dire. C’est la faute au temps, c’est la faute au quotidien, c’est la faute au désir, c’est la faute au travail, c’est la faute à pas de chance, y a toujours une bonne raison. Toutes les raisons sont bonnes pour en avoir marre, pour céder, pour renoncer. Toutes et aucune. C’est une question de volonté. C’est tout. On a la volonté ou on ne l’a pas. Et toi, tu ne l’as plus. Tu n’as pas perdu ton désir pour moi, tu n’as pas perdu ton amour pour moi, tu n’as perdu que ta volonté. Je t’aime d’une façon beaucoup plus forte et plus intelligente qu’il y a douze ans. Mais cet amour-là, il t’ennuie. Et ça, ce n’est pas ma faute. »
Boule de pétanque
« Ça a commencé par des regards en biais, puis des soupirs, puis des gestes secs et enfin, pour que la parole se joigne aux actes, des insultes. Ensuite on s’est envoyé à la gueule tout ce qu’on avait sous la main, d’abord des torchons, après des bouteilles d’eau vides, puis pleines, et les choses sont devenues vraiment sérieuses avec des objets plus durs, à l’image des colères et des ressentiments. On est passés aux casseroles, appareils photo, ordinateurs portables, chaises… et hier ça a été une boule de pétanque demi-dure en acier et inox de 700 grammes et 78 millimètres de diamètre. Une boule de tireur, faite pour les carreaux. Ça a brisé net mon poignet. Et notre couple. »
Un régal absolu et un coup de cœur? Comment résister? Je le note, ce livre, bien sûr!
RépondreSupprimerTu peux le noter les yeux fermés.
SupprimerCe n'est pas ce que j'ai envie de lire en ce moment, mais je le note pour plus tard.
RépondreSupprimerPourtant c'est un régal.
SupprimerBelle idée d'avoir fourni des échantillons!
RépondreSupprimerC’était un peu indispensable pour montrer l'esprit du recueil.
SupprimerÇa décape ce matin les extraits chez Noukette et chez toi ..
RépondreSupprimerN'est-ce pas !
SupprimerIl y a un truc qui me gêne ... n'est-ce pas plombant à la longue ces histoires de couple qui finissent mal ? (oui, je suis en peine période de "j'aienviedycroireencoooooore".)
RépondreSupprimerIl n'y a pas que des histoires de couples qui finissent même si les extraits que j'ai mis pourraient le laisser penser. Rien de plombant selon moi dans ce recueil.
SupprimerC'est exactement ce que j'attends d'une lecture, je le note Monsieur le fournisseur!!!! plus efficace que mon libraire :)
RépondreSupprimerTu parles d'un compliment ! Je le prend avec plaisir.
SupprimerJe suis fan de David Thomas, j'ai aussi beaucoup aimé celui-ci !
RépondreSupprimerJ'espère lire ton avis bientôt.
Supprimer150 pages qui ont l'air décapantes.
RépondreSupprimerElles le sont totalement !
SupprimerRhhooo comme je suis contente d'avoir livre ce livre avec toi !! Un vrai bonbon, je l'ai dégusté tout doucement pour faire durer le plaisir, c'est dire...!
RépondreSupprimerEt puis je trouve ça chouette qu'on ait choisi des textes différents, en tout, ça fait 6 textes à découvrir entre ton billet et le mien, espérons que ça donne envie de découvrir les 59 autres ! ;-)
Si on n'a pas donner envie de découvrir ce recueil, on ne peut pas faire plus !
SupprimerVous vous êtes concertés pour les textes ?
RépondreSupprimerJ'ai noté et je pense le lire bientôt. Enfin... je ne vais pas le laisser croupir dans ma LAL.
On a fait exprès de ne pas citer les mêmes, deux fois plus de plaisir comme ça ! ;-)
SupprimerNe m'en veux pas, je passe. Signalons pour ceux qui sont intéressée qu'il est dans la sélection masse critique de demain (sauf si je n'avais pas les yeux en face des trous).
RépondreSupprimerCe n'est évidemment pas pour toi Valérie. Trop court, bien trop court ;)
SupprimerC'est assez incisif en effet ;-) Très bien écrit mais je ne suis pas sûre que ces histoires soient pour moi !
RépondreSupprimerA toi de voir. Mais incisives et très bien écrites, elles le sont, ces histoires.
Supprimerok j aime bien ce que tu donnes en exemple, mais ça m'agace que tu compares à Philippe Delerm..
RépondreSupprimerFranchement pourquoi?
On peut aimer un écrivain sans dénigrer un autre qui a plus de succès , c'est tellement bizarre le succès.
je te laisse une citation de saint François d'Assise qui m'a fait beaucoup réfléchir:
"Il faut renoncer à comparer les hommes entre eux. La comparaison écrase . En valorisant les uns, elle désespère les autres.
seule la reconnaissance des différences donne à chacun une chance d'exister."
Je ne voulais pas dénigrer Delerm avec ma dernière phrase, j'adore Delerm (la preuve, j'en ai parlé ici : http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2011/12/ecrire-est-une-enfance-calendrier-de.html et ici : http://litterature-a-blog.blogspot.fr/2011/01/le-trottoir-au-soleil.html).
SupprimerEn fait je voulais juste dire que si Thomas utilise le même genre d'écrit que Delerm (la micro nouvelle) il n'est pas du tout dans le même registre, rien de plus. Mais j'aime les deux !
Celui-ci, si je le croise, je prends !
RépondreSupprimerN'hésite pas !
Supprimernoté ! doublement noté même
RépondreSupprimerIl faut le noter. Doublement même ;)
SupprimerJ'aime le décapage et connais quelques problèmes avec Delerme... je note et renote ce livre
RépondreSupprimerTu fais bien je pense.
SupprimerJe viens de le cocher sur Masse critique (avec un autre...), les textes que vous citez Noukette et toi sont jubilatoires, ça donne envie de lire les autres...
RépondreSupprimerJ'espère que tu vas le recevoir !
SupprimerPas très nouvelles, comme tu le sais, mais là, ça semble valoir le détour quand même. En tout cas, plutôt tentée, je dois dire, tu l'as bien vendu.;-)
RépondreSupprimerA vrai dire, je tenais à bien le vendre celui-là ;)
SupprimerJ'ai de la peine à résister aux coups de coeur...
RépondreSupprimerDe toute façon, il n'y a aucune raison d'y résister.
SupprimerMerci Jérôme, un livre de plus sur ma PAL, ta chronique donne très envie
RépondreSupprimerTant mieux s'il finit sur ta pal, il le mérite.
SupprimerJ'adore vos billets complémentaires à Noukette et toi (surtout dans le choix des extraits), je note et pourtant, tu sais bien que les nouvelles, ce n'est pas mon truc...mais là les extraits séduisent d'eux même
RépondreSupprimerLà, ce ne sont même pas des nouvelles, ce sont des instantanées, des tout petits riens. Je pense que cette écriture pourrait te plaire, vraiment.
SupprimerJ'aime l'idée des instantanés....;-)
SupprimerAlors fonce !
SupprimerJ'ai déjà été emballée par un recueil de cet homme, un titre improbable parlant de pluie et de buffles (je crois); j'avais coché celui-ci chez Babel mais ce sera de la poésie Doucey, ce qui est très bien aussi. Passons voir chez la libraire si Monsieur Thomas est en vitrine!
RépondreSupprimerMême s'il n'est pas en vitrine, j'espère bien qu'il sera quand même présent à l'intérieur de la librairie !
SupprimerVoilà ! C'est lu et j'ai adoré ! Je te laisse le lien de ma chronique : http://wp.me/p3voHc-LO
RépondreSupprimerC'est vraiment une très belle découverte qui risque de faire partie des coups de coeur 2014.
Je m'empresse de rajouter ton lien !
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