lundi 18 avril 2016

En veilleuse - Matt Sumell

Alby est en colère. Contre tout. Et tout le monde. Dès la première page, une simple dispute à propos du lave-vaisselle lui suffit pour avoir envie de cogner sa sœur. Ce qu’il va faire d’ailleurs, et sans que ça lui pose de problème, puisque pour lui « elle est un peu comme un frère, mais avec des seins ». Alby est un pauvre type, un gars capable de constater devant le corps nu de sa mère mourante, que « son vagin est dans un bien meilleur état [qu’il] ne le pensait. » Un gars qui, après avoir lu un poème enamouré de la fille avec laquelle il sort, écrit 11/20 en haut de la feuille avant de lui rendre et de s’étonner qu’elle lui fasse la gueule pour si peu. Un gars qui pense que « le Temps est cancérigène, comme le bacon brûlé », qui picole trop, enchaîne les petits boulots, est maladroit, impulsif, détestable.

 Mais quand il cesse de fanfaronner, Alby peut se montrer touchant, fendre la carapace. Comme lorsque qu’il décide d’élever un oiseau tombé du nid en le nourrissant à la paille ou cherche désespérément son chien perdu dans la forêt. Ou quand il regarde avec franchise sa relation aux autres : « Malgré la relative aisance avec laquelle j’enchaîne les râteaux, ce n’est jamais simple à vivre. Chercher en moi l’optimisme, la confiance et même, je dois l’avouer, la force nécessaire pour brancher une jolie fille demande un boulot de malade, quasi héroïque, surtout si on prend en compte toutes les fois dans ma vie pas-si-envieuse où ces efforts on été non seulement inutiles mais aussi même contre-productifs ».

Je me demande pourquoi j'ai un faible pour les personnages possédant un tel degré d'inadaptation sociale. Pourquoi je voue un culte à Ignatius Reilly, pourquoi le Bandini de John Fante me fascine, pourquoi je suis tombé amoureux de Mailman, pourquoi le journaliste crevant la dalle de Knut Hamsun est mon héros, le Chinaski de Bukowski mon idole et le Calaferte du Requiem des innocents mon Dieu. Les sales gosses infréquentables, misanthropes, à la fois vindicatifs et résignés, sont définitivement ma came. Sans doute parce que j'en ai beaucoup côtoyé et que je leur ai beaucoup ressemblé à une période de ma vie, que je les comprends et qu'ils me parlent. J'aime leurs excès, leur vulgarité, leur violence, leur mal être. Leur humour, souvent cradingue, me fait mourir de rire. Et leur autodérision permanente, l'absence d'orgueil et d'amour propre qui les caractérise est pour moi la marque des grands losers pathétiques sachant pertinemment la partie perdue d'avance, une marque de lucidité que je partage et admire.

Pour son entrée en littérature, Matt Summel a tout compris. Découpant son récit en chapitres constituant autant de petites nouvelles, il fonce, sans se poser de question. Il est fluide, facile, à l'aise. Il ne répète pas de gammes apprises dans des séances de « creative writing » comme la plupart de ses collègues anglo-saxons. Sa prose coule à l'instinct, ça crève les yeux et bordel que ça fait du bien.

Alors non, je ne tenterais pas de vous convaincre de faire la connaissance d'Alby. Parce que je me doute que ce premier roman tonitruant et plein de rage pourrait vous hérisser le poil et vous donner la nausée. Parce qu'il y a de grandes chances que vous détestiez cet homme à fleur de peau rongé par le chagrin, incapable de se remettre de la disparition de sa mère, incapable de nouer un véritable dialogue avec son père qu'il adore pourtant plus que tout. Et surtout parce que vous êtes assez grands pour savoir par vous-même si un personnage aussi fantasque, insupportable et politiquement incorrect a une quelconque chance de trouver grâce à vos yeux.

En veilleuse de Matt Sumell (trad. Jérôme Scmidt). Plon, 2016. 235 pages. 20,90 euros.







32 commentaires:

  1. Je ne suis pas sûre en effet que ce personnage ne me hérisse pas le poil !
    Par contre, j'essaye de t'imaginer en bad boy...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ce n'est pas une question de bad boy, c'est plus une attitude désabusée et un regard de vaincu porté sur le monde.

      Supprimer
  2. Moi aussi j'aime les bad boys désespérésur ! Je vais tenter ma chance avec celui-ci.

    RépondreSupprimer
  3. moui moui, les loosers ont leur charme mais quelques fêlures ne suffisent pas toujours à racheter un monceau d'ignominies :-D cela dit ça se tente :-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On est d'accord, ça ne rachète jamais rien. Mais ça peut valoir le coup ;)

      Supprimer
  4. Pas politiquement correct tout ça... et sans doute d'autant plus intéressant!

    RépondreSupprimer
  5. Les passages sur facebook ne m'ont pas donné envie (et j'aime Mailman...)

    RépondreSupprimer
  6. le commentaire sur le vagin de sa mère mourante me suffit ! je sais, depuis longtemps, que je ne peux pas tout lire. Bonne chance à ce jeune auteur (sans moi!)

    RépondreSupprimer
  7. Moi, ce sont les extraits que tu as mis sur fb qui me refroidissent. Je ne crois pas que j'aimerais ce livre.

    RépondreSupprimer
  8. J'avais complètement craqué sur la couverture, à voir peut-être me lancerai-je un jour... (quand j'aurai oublié les extraits partagés)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. La couverture n'est qu'un détail par rapport au contenu, hein ;)

      Supprimer
  9. Peu de chance que je lise ce roman un jour mais ton billet me réjouit ! On sent que tu as trouvé chaussure à ton pied et que tu t'es régalé, c'est le principal non ? ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Le plaisir, il n'y rien de mieux, ce n'est pas à toi que je vais apprendre ça ;)

      Supprimer
  10. "Il ne répète pas de gammes apprises dans des séances de « creative writing » comme la plupart de ses collègues anglo-saxons. Sa prose coule à l'instinct, ça crève les yeux et bordel que ça fait du bien." Cette phrase me plait car, comme toi, j'en ai marre de ses écrivains états-uniens formatés. Alors, pourquoi pas

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour le coup c'est vrai, il est très éloigné des standard américains actuels.

      Supprimer
  11. J'ai adoré Ignatius, John Fante, j'accroche énormément, j'aime aussi ces inadaptés sociaux, humains et attachants malgré tout, bien qu'énervants par moment. Et souvent, ils sont drôles malgré eux. Seule ombre au tableau, Bukowski. ;-) Tes extraits FB m'ont paru trash mais s'il y a un contexte, un sens dans tout ça, si ce n'est pas du trash gratuit, le plaisir de balancer des mots/images chocs juste pour le plaisir, ça pourrait me plaire. Bon, en même temps, ta référence à Buk me freine énormément.;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Si ça peut te rassurer, on est quand même très, très loin de Buk. Dans ce coté asocial, mais c'est tout.

      Supprimer
  12. Ce genre d'homme est ma came, à moi aussi (mais seulement sur papier)! Alors, je suis d'avance convainque!

    RépondreSupprimer
  13. C'est de lui les extraits ? pas trop ma cam, j'aime les losers mais pas tout à fait les mêmes mais très joli billet !

    RépondreSupprimer
  14. Tous les personnages que tu invoques pour les comparer dans ton affection au héros de ce roman, sont des personnages que j'aime également. Autant dire que c'est une bonne raison de me pencher sur ce roman donc :)

    RépondreSupprimer
  15. J’aime aussi les personnages en marge, ceux avec un « tel degré d'inadaptation sociale » :D
    L’absence d’amour propre dont tu parles est ce qui les rend à la fois touchant. On devine que sous la couche de protection, il y a un être de sensibilité...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Alby est un hyper sensible, j'en suis persuadé ;)

      Supprimer

Je modère les commentaires pour vous éviter les captcha pénibles de Google. Je ne filtre rien pour autant, tous les commentaires sans exception seront validés au plus vite, promis !