mardi 26 avril 2016

Les fragiles - Cécile Roumiguière

Le petit Drew a bien grandi depuis ce jour où, du haut de ses neuf ans, il a pris en pleine face le racisme paternel. Une expérience des plus traumatisantes venue s’ajouter à bien d’autres épisodes douloureux. A l’époque, l’enfant avait déjà compris que son père lui en voulait. D’être trop tendre, trop bon à l’école, pas assez costaud, pas assez sportif. Il le craignait ce père violent et colérique. Pour lui plaire, Drew faisait exprès de rater ses devoirs et de ramener des mauvaises notes, hors de question de passer pour le premier de la classe et de se faire enguirlander. Mais en dépit de tous ses efforts, impossible de trouver grâce aux yeux de son géniteur, impossible de supporter sa brutalité, impossible de le satisfaire.

Aujourd’hui, Drew est un lycéen monté trop vite en graine, échalas dégingandé fan de métal, amoureux de la belle et intouchable Sky, devenue par miracle sa meilleure amie. Son père, parti dans le sud de la France pour suivre sa nouvelle compagne, continue de le hanter malgré la distance. Et au moment de leurs retrouvailles parisiennes, l’inéluctable face à face va tourner au cauchemar…

Je ne vous révèle rien avec la phrase précédente puisque le drame est annoncé dès la première page. Cécile Roumiguière s’applique à remonter le fil du temps et des événements pour expliquer comment les choses ont pu en arriver là. Huit ans avant, sept ans avant, cinq ans avant, quatre ans avant, le compte à rebours défile, entrecoupé par des épisodes se déroulant au présent, le jour J, ce jour où tout bascule. Comme toujours chez cette auteure que j’adore (ben, oui, pourquoi le nier !), chaque personnage est bouleversant d’humanité, même Cédric, ce père affreux qu’il m’a été impossible de détester.

Cécile Roumiguière ne s’offre aucun raccourci, aucune facilité. Le puzzle se met en place, chaque pièce s’emboîte naturellement. La narration est fluide, les dialogues sonnent juste et les interactions entre chacun fonctionnent à merveille, même (et surtout) pendant les moments de tension. Les fragiles du titre ce sont eux, Drew, Cédric, Sky. Incapables de communiquer vraiment, incapables d'exprimer leurs sentiments, incapables de fendre la carapace derrière laquelle ils se sont retranchés. La relation conflictuelle père/fils est menée de main de maître et vous serre les tripes jusqu’à la dernière ligne. Une fin que j’ai d’ailleurs trouvée parfaite, totalement ouverte sur un avenir pour le moins incertain et loin de tout optimisme béat.

De la littérature jeunesse comme j'aime. Ambitieuse, exigeante, ancrée dans son époque, qui ne cherche pas à rendre le monde plus beau qu’il n’est sans pour autant sombrer dans le désespoir absolu. Tout en subtilité et en intelligence, un texte fort, poignant, magistral.

Les fragiles de Cécile Roumiguière. Sarbacane, 2016. 200 pages. 15,50 euros. A partir de 13 ans.

Extrait :

« Papa… on aurait pu s’aimer. J’aimais bien, petit, quand tu me portais sur tes épaules. Tu courais, on rigolait…
Tu vois, il reste quand même des images, collées au fond de mon crâne. T’aimes pas les gens, t’aimes pas les Noirs, t’aime pas les Arabes… tu t’aimes pas. Mais moi, j’aurais pu t’aider, il aurait juste fallu te dire que t’étais un chouette père. 
Papa… je te demande pardon. J’ai jamais été le fils que tu voulais, on a tout raté. C’est de ma faute, aussi. Avant moi, t’étais heureux, tu étais amoureux de Maman. Quand elle parle du temps avant moi, du regard que tu avais, elle est belle… J’ai tout gâché. »



Une pépite du mardi que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.










28 commentaires:

  1. Il me tente bien, celui-là. J'ai trop mis de côté les romans pour ados, ces derniers temps. Je dois y revenir!

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  2. Je ne lis jamais de romans ados mais cette histoire me tente beaucoup !

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    1. Quitte à me répéter, c'est loin d'être un "simple" roman ado.

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  3. J'ai failli mettre la même citation que toi...!
    Elle est belle cette pépite, ambitieuse et intelligente comme tu le dis si bien. Je suis baba d'admiration devant la plume de Cécile Roumiguière, cette collection coup de poing lui va vraiment comme un gant je trouve !

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    1. J'aime aussi quand elle davantage dans l'émotion, son écriture me touche à tous les coups en fait.

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  4. C'est un roman réussi. Mais je vais me laisser encore quelques jours avant d'écrire mon billet

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  5. Encore une pépite qui s'annonce passionnante.

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  6. Une pépite à découvrir alors !

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  7. eh, mon budget du CDI explose avec vos pépites !

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    1. Pas grave, ce n'est que du bon investissement :)

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  8. C'est vrai, à te lire côté litté jeunesse, j'ai bien l'impression qu'elle est plus ambitieuse et exigeante que ce que je lisais dans ma jeunesse - ou que ce qu'on voit côté YA. Ce sont des thématiques sacrément pas légères. Je ne sais pas si tu es très film mais côté relations père/fils, j'avais adoré le film japonais Tel père, tel fils. C'est très subtil, tout dans les non-dits, j'avais vraiment beaucoup aimé.

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    1. Jamais entendu parler de ce film, mais je veux bien te faire confiance les yeux fermés.

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  9. Il a l'air superbe j'ai hâte de le lire :)

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  10. Rien que l'écho que tu en donnes me bouleverse. Pour ado, vraiment ? En tout cas je sais que je vais le lire, même si je pressens que ça laissera des traces.

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  11. J'aime beaucoup Cécile Roumiguière, je me dis qu'il faudrait peut être que je me penche sur celui là !

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    1. Et moi je te dis que tu aurais bien raison de le faire ;)

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  12. Une histoire d'adolescent marqué au fer rouge qui me plaîrait beaucoup, c'est certain.
    Bonne journée Jérôme

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    1. Je pense qu'elle peut plaire à tout le monde cette histoire, vraiment.

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