jeudi 14 février 2013

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans - Faulkner

Faulkner © Folio 2012
Je voulais lire l’ensemble des Croquis de la Nouvelle-Orléans publié par Gallimard il y a quelques années mais c’est un ouvrage que la médiathèque n’a jamais acheté. Du coup je me suis rabattu sur cette « compilation » sortie l’été dernier. J’aime beaucoup découvrir comment un auteur est entré en littérature. Pour Faulkner (comme pour beaucoup d’autres d’ailleurs) ce fut par l’intermédiaire de la nouvelle. Ce Coucher de soleil regroupe des textes rédigés suite à un séjour de six mois dans la plus grande ville de Louisiane en 1925. On y trouve un mari à la jalousie maladive, un pauvre hère qui cherche l’Afrique de l’autre coté du Mississipi, un mendiant embarqué par la police, des contrebandiers d’alcool ou encore un fieffé menteur qui a la mauvaise idée, pour une fois, de raconter une histoire véridique.

Des gens simples et des nouvelles d’un certain classicisme formel où l’on voit déjà poindre quelques éléments qui feront par la suite la renommée de Faulkner, notamment la cohabitation entre une tonalité profondément réaliste et quelques pointes de lyrisme. Malgré l’unité de lieu, il est à noter que les situations proposées sont très variées et les personnages hauts en couleur valent le détour.

Entre humour et désillusion, la langue est d’une belle fluidité et les dialogues sonnent juste. Un petit recueil idéal pour découvrir les premiers pas d’un futur prix Nobel de littérature et déceler les promesses d’une œuvre à venir dont la qualité aura marqué de manière indiscutable la littérature américaine du 20ème siècle.

Coucher de soleil et autres croquis de la Nouvelle-Orléans de William Faulkner. Folio, 2012. 112 pages. 2 euros. 

mercredi 13 février 2013

Un peu de bois et d’acier - Chabouté

Chabouté © Vents d'ouest 2012
C’est l’histoire d’un banc. Un banc qui regarde passer les gens. Certains s’arrêtent et s'assoient, d’autres l’ignorent royalement. Des gens âgés, des plus jeunes, des amoureux transis qui attendent leur belle, des lecteurs, des musiciens, un SDF qui vient de temps en temps lui tenir compagnie la nuit venue… Des gens qui se croisent sans se regarder et un banc qui, au fil des saisons et des années, demeure un spectateur aussi silencieux qu’attentif…   

336 planches en noir et blanc et sans texte, il fallait oser. Chabouté le reconnaît, s’il n’avait pas depuis quelques années acquis une certaine notoriété, jamais son éditeur n’aurait accepté de publier un album pareil. Autant le dire tout de suite, je n’étais pas chaud pour me lancer dans cette lecture et si je ne l’avais pas croisé à la médiathèque je ne me serais jamais laissé tenter. J’avais peur de l’exercice de style, de la démonstration graphique froide, sans âme et surtout sans intérêt. Pour le coup mes aprioris se sont révélés totalement faux. Chabouté parvient à raconter quelque chose en laissant sa caméra posée face à ce banc sur des centaines de pages. Des petits riens qui, mis bout à bout, forment un tout. Les personnages passent, disparaissent, reviennent et évoluent (avec une mention spéciale pour le policier municipal). Aucun des procédés habituellement utilisés pour nourrir une intrigue ne sont présents et pourtant cette apparente futilité m’a beaucoup parlé. C’était d’ailleurs une volonté affichée dès le départ : « Je voulais un récit à la Tati, capable de rappeler à quel point l’inutile et le quotidien peuvent être beaux pour peu qu’on les regarde d’un œil attentif. » (interview casemate)

Graphiquement c’est toujours aussi fort. Plutôt que de proposer un seul et interminable plan fixe sur le banc, Chabouté ne cesse de tourner autour, utilisant les cadrages somptueux et variés qui sont sa marque de fabrique. Pour une fois, les blancs sont davantage marqués que les noirs et les décors sont réduits au strict minimum, sans doute pour donner au jardin public où se trouve le banc un coté universel dans lequel chaque lecteur pourra projeter ses propres références.

Une bien belle surprise donc. Pas un chef d’œuvre du niveau de Tout seul mais je m’attendais à beaucoup moins bien et j’avoue sans honte que mes aprioris n’avaient finalement aucun fondement. Il faut savoir le reconnaître quand on se trompe…

Un peu de bois et d’acier de Chabouté. Vents d’ouest, 2012. 336 pages. 30 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Hélène. Allez vite découvrir son avis. Mon petit doigt me dit qu’elle a moins apprécié cet album que moi… 


Chabouté © Vents d'ouest 2012








mardi 12 février 2013

Totam au parc : le premier livre de Charlotte

Deneux © Tourbillon 2013
Charlotte n’est pas encore arrivée à la maison (ça ne saurait tarder) mais elle a déjà son premier livre rien qu’à elle qui l’attend dans un coin de son lit. Bien sûr, elle a déjà des tas d’ouvrages que lui ont laissés ses grandes sœurs mais les livres en tissu que j’ai retrouvé au fond d’un carton n’ont plus aucune douceur. Ils ont été tellement mâchouillés et suçotés que je pourrais m’en servir comme papier de verre. Vous me direz, on peut toujours les laver (à la main, à l’eau froide, sans utiliser de javel et sans les sécher en machine, petit clin d’œil à Canel en passant…) mais ce n’est quand même pas pareil. Grâce à la gentillesse des éditions Tourbillon elle va pouvoir profiter d’un ouvrage tout neuf.

Totam est un petit lapin qui va faire un tour au parc. Faire de la balançoire, jouer dans le sable ou descendre le toboggan, il va y trouver des tas de choses pour s’amuser et faire de belles rencontres.         

Un format rond avec une couverture en velours vert et des pages intérieur en tissu dans lesquelles se cachent de petites billes qui roulent sous les doigts, voila un joli petit objet livre qui ne demande qu’à être manipulé par les mains de bébé. De plus les anneaux servant de reliure peuvent se détacher et permettent d’accrocher l’ouvrage à la poussette par exemple. Bref, il est possible d’emmener Totam en promenade partout, le bonheur quoi !

Les deux grandes sœurs bûchent depuis quelques jours pour faire leur première lecture à voix haute. Pas certain que l’auditoire soit super attentif au début mais il n’est jamais trop tôt pour initier les bébés au plaisir d’entendre une histoire. 

Un grand merci à Pauline et aux éditions Tourbillon pour ce beau cadeau.

Totam au parc  de Xavier Deneux. Tourbillon, 2013. 6 pages. 11,95 euros. A partir de 6 mois.


Deneux © Tourbillon 2013





 

lundi 11 février 2013

Le tag des titres

Un tag de Philisine, ça ne se refuse pas (c'est pourtant ce que j'ai fait la dernière fois il me semble...). En plus c'est un tag très simple, tout ce qu’il me faut en ce moment.  Répondre à des questions par des titres de livres, ça reste dans mes cordes. Je me suis appliqué à ne choisir que des titres présents dans ma bibliothèque et j'ai rajouté le nom de l'auteur au cas où ça intéresse quelqu'un.

Décris-toi : L’agneau carnivore (A. Gomes Arcos)  – Vous remarquerez que ma modestie légendaire (et mon physique ingrat) m’empêchent de choisir Don Juan

Comment te sens-tu ? Plaisir d’offrir, joie de recevoir (A. Rozen)

Décris où tu vis actuellement : Au sud de nulle part (C. Bukowski)

Si tu pouvais aller n'importe où, où irais-tu ?! Dans les forêts de Sibérie (S. Tesson)

Ton moyen de transport préféré ?! Les autos tamponneuses (S. Hoffmann)

Toi et tes amis vous êtes ?! L’ombre de ce que nous avons été (L. Sepulveda)

Comment est le temps ? Il pleut des coups durs (C. Himes)

Ton moment préféré de la journée ? Le charme des après-midi sans fin (D. Laferriere)

Qu'est la vie pour toi ? Comme une blessure rapprochée du soleil (A. Laude)

Quel est le meilleur conseil que tu as à donner ? Faites-moi confiance (Ed. McBain)

Ta peur ? Jouer du piano ivre comme d’un instrument à percussion jusqu’à ce que les doigts saignent un peu (C. Bukowski)

Ta pensée du jour ?! Lâchons les chiens (B. Udall)

Comment aimerais-tu mourir ? Un jour en mai (G. Pelecanos)

La condition actuelle de ton âme ? Il ne pleuvra pas toujours (E. Anderson)

Comme d'hab, je ne tague personne en particulier. Si le cœur  vous en dit, faites-vous plaisir.

samedi 9 février 2013

Le cœur de l’homme - Jon Kalman Stefansson

Stefansson © Gallimard 20113
Contre toute attente, Jens le postier et le gamin ont survécu à la terrible tempête de neige qui les a surpris à la fin de l’hiver. Recueillis par un médecin, ils reprennent des forces alors qu’enfin le printemps s’annonce. Avant de repartir vers son village, le gamin rencontre une jeune fille rousse qui le trouble au plus haut point. De retour dans sa communauté, il reprend le cours de son existence auprès de la belle Geiprudur et des autres femmes qui l’entourent. Mais bientôt de nouveaux drames vont s’annoncer…

Le cœur de l’homme signe la fin de la trilogie islandaise de Jon Kalman Stefansson. La tristesse des anges, le volume précédent, m’avait littéralement emballé et je n’avais pas hésité à le mettre sur la plus haute marche de mes lectures 2012. Ici, pas le même énorme coup de cœur mais la magie a néanmoins de nouveau opéré. Cette conclusion se concentre sur la vie de la communauté villageoise et de ses membres. Le caractère épique et aventureux du volume précédent n’est plus de mise ce qui est quelque peu dommage. La profusion des personnages demande par ailleurs une attention accrue pour ne pas perdre le fil. De plus, il me semble difficile de se lancer dans cette lecture sans connaître les deux autres tomes car les références y sont nombreuses et donnent beaucoup de clés indispensables à la compréhension de l’ensemble.

Pour autant, Le cœur de l’homme reste un merveilleux roman. Toute l’âpreté de cette Islande du début du 20ème siècle vous saute à la gorge. A travers la figure du gamin sont abordées des questions existentielles majeures. Le rêve, la douleur, le deuil, la tristesse, l’absence, le désir et l’espoir d’une vie meilleure sont au cœur du récit.

Surtout, il y a toujours ces saillies inattendues, sortes d’aphorismes, qui illuminent chaque chapitre.

A propos du couple : « La vie se résume à trouver une autre personne avec qui partager ses jours, puis à survivre à la rencontre. »

A propos de la mort qui surgit sans crier gare : « Nous ne savons jamais dans quelle direction la vie nous emporte, ne savons jamais qui survivra à la journée et qui y succombera, nous ne savons pas si le dernier adieu sera un baiser, une parole amère, un regard blessant, il suffit que quelqu’un ait un moment d’inattention, qu’il oublie de regarder à droite pour qu’il meure, et alors il est trop tard pour retirer des paroles malheureuses, trop tard pour dire pardonne-moi, trop tard pour dire ce qui compte, ce que nous voulions dire, mais que nous ne pouvions pas articuler à cause de notre cruauté, notre fatigue, notre routine, du temps qui manque, tu as oublié de regarder à droite, je ne te verrai plus jamais et les mots que tu m’as dits continueront de résonner en moi chaque jour et chaque nuit, et le baiser que tu aurais dû recevoir sèchera sur mes lèvres où il deviendra une blessure qui se rouvrira à chaque fois que quelqu’un d’autre que toi m’embrassera. »   

A propos des livres et de la lecture : « La lecture élargit l’horizon de la vie, la vie devient plus grande, elle devient autre chose […] c’est comme si on possédait une chose que personne ne pourra jamais nous enlever, jamais […] et ça vous rend plus heureux. »

A propos de l’existence étriquée des modestes familles rurales islandaises : « Le plus difficile dans cette vie est de ne jamais pouvoir se fuir soi-même, quitter son existence, enfermés que nous sommes dans un étui, dans un monde qui ne disparaît jamais, sauf à l’occasion de quelques rêves, et qui vous revient dès que vous ouvrez les yeux, comment peut-on supporter ça ? »

Et puis la dernière phrase du roman, sublime : « Où commence la vie et où cesse la mort, ailleurs qu’en un baiser ? »          

L’écriture de Stefansson (ou plutôt l’exceptionnelle traduction d’Éric Boury) résonne fortement en moi. Ces réflexions sur le sens de la vie, le poids des mots, l’absolu besoin d’amour et cette haine viscérale pour la mort et la désolation qu’elle apporte me parlent et me touchent profondément. Pas certain que ce soit le cas de tout le monde. Je ne serais pas étonné de découvrir ici ou là des avis très mitigés sur ce texte qui peut, je le conçois, laisser totalement indifférent. Je ne cherche donc à convaincre personne. Je dis simplement que cette trilogie aura constitué pour moi un inoubliable moment de lecture. Et croyez-moi je ne dis pas ça tous les jours.

Le cœur de l’homme de Jon Kalman Stefansson. Gallimard, 2013. 455 pages. 22,90 euros. 


Un billet qui signe ma seconde contribution 
au challenge Voisins Voisines de Anne

vendredi 8 février 2013

Les petites gens - Campi et Zabus

Campi et Zabus
© Le Lombard 2012
Dans une petite rue tranquille, les gens se croisent, se parlent ou s’ignorent. Il y a Armand qui s’est improvisé bibliothécaire et qui, de sa fenêtre, prête ses livres à ses voisins. Il y a aussi Lucie, qui faisait quelques ménages pour arrondir sa pension mais dont l’employeur vient de lui signifier son congé. Et puis Louis et son papa, inconsolables depuis le décès de leur mère et épouse. Irina l’ex-danseuse continue quant à elle de se produire devant une salle vide tandis que Paul cherche à comprendre pourquoi le sourire permanent de son collègue, futur retraité, l’irrite à ce point. Des petites gens à la vie discrète, loin de toute exubérance. Des petites  gens qui n’ont sans doute pas besoin de grand-chose pour trouver le bonheur…        

L’idée est intéressante et l’intrigue bien ficelée. Pas évident d’entrelacer ces différents destins en restant lisible. Le scénario est donc intelligemment construit et ne souffre d’aucune faille majeure. Pour autant, si le canevas est bien tissé, il manque d’épaisseur. Les portraits sont trop rapidement dressés et le lecteur n’a pas le temps de s’attacher aux personnages qu’il faut déjà les quitter. A l’évidence le quotidien de ces héros anonymes aurait mérité d’être davantage creusé. Sans compter que les situations de départ problématiques se résolvent trop facilement et le happy end final et collectif est certes plein d’optimisme mais il est bien trop beau pour être crédible.  

Niveau dessin le travail de Thomas Campi est très sympa. Rien de révolutionnaire mais l’ensemble est sacrément agréable à regarder. Et puis le choix des couleurs, avec le ton orange qui domine, apporte une douceur qui colle bien au propos.

Pas vraiment une déception parce que je n’attendais pas grand-chose de cet album mais j’ai la désagréable impression qu’il ne m’en restera aucun souvenir d’ici peu.

Les petites gens de Campi et Zabus. Le Lombard, 2012. 72 pages. 15 euros.

Une lecture commune que j’aurais dû partager mercredi avec Valérie, Sandrine et Oliv’ mais la petite Charlotte en avait décidé autrement. N’hésitez pas en tout cas à aller découvrir leurs avis ainsi que celui d'Yvan


Campi et Zabus © Le Lombard 2012

mercredi 6 février 2013

Je vous présente Charlotte

Charlotte, à peine une demie heure
après sa naissance. Trop mimi, non ?
Cette semaine, pas de BD du mercredi mais un bébé du mercredi !

Depuis hier matin, la petite Charlotte fait la fierté de ses deux grandes sœurs et de ses parents. Un tout petit bout de rien du tout  d’à peine 2,2 kg qui a connu une venue au monde un peu difficile et qui depuis s’en remet doucement. Nul doute que les choses vont rentrer dans l’ordre au plus vite et qu’elle pourra très bientôt être accueillie comme il se doit à la maison.
 
En attendant on la couvre de câlins et de bisous. Tellement à croquer qu’il est impossible de faire autrement de toute façon ! Un grand bonheur que j’ai le plaisir de partager avec vous !

lundi 4 février 2013

Comme des marmottes : L’hibernation

Francesconi et Mazille © Ricochet 2012
Par les temps qui courent nous sommes nombreux à rêver d’hibernation. Difficile de supporter le froid, la pluie, la neige, le vent, le manque de luminosité et les maladies de saison qui vont avec. Ah, si on pouvait traverser cette sale période en dormant plusieurs mois pour se réveiller lorsque les beaux jours seront revenus... Et bien laissez-moi vous dire que ce n’est pas si simple. Une hibernation, ça se prépare, et pas qu’un peu. Déjà il faut se goinfrer pendant l’été. En deux mois de temps, les futurs hibernants doublent de volume (et ça mesdames, passer de 55 à 110 kgs pour dormir tout l’hiver je ne suis pas certain que cela vous emballe). Ensuite, il faut aménager son terrier ou sa tanière pour ne pas souffrir du froid. Sans compter que l’activité cérébrale est tellement réduite au cours de cette période que chez les humains on parlerait de coma. Enfin, il faut savoir que l’hibernation ralentit les battements du cœur et la respiration de manière considérable. A tel point que si l’on n’est pas bien préparé pour hiberner, notre corps ne supportera pas l’exercice et lorsque le printemps sera revenu, notre long sommeil sera devenu définitif (ce qui arrive encore souvent chez certains hibernants, notamment les hérissons).

Un album extrêmement instructif. J’ai appris des tas de choses (en même temps les sciences et moi ça fait deux^^). Par exemple, il y a une différence entre les hibernants (ceux qui dorment en continu avec à peine quelques phases de réveil, pour grignoter ou uriner) et les hivernants qui eux ne dorment que d’un œil et peuvent sortir si le temps le permet ou même donner naissance à leurs petits pendant l’hiver. L’ours par exemple est un hivernant, comme le raton-laveur ou le blaireau.

Les exemples d’adaptation du métabolisme à la période d’hibernation sont incroyables. Ainsi la chauve-souris ralentit son rythme cardiaque de 500 à 12 pulsations minute en moyenne alors que la température corporelle des marmottes passe de 37 à 7 degrés tandis que le hérisson, lorsqu’il hiberne, peut rester une heure sans respirer. Et que dire de la grenouille terrestre du Canada, un animal à sang froid qui, pour passer l’hiver, se laisse prendre dans la glace jusqu’aux beaux jours. En fin d’ouvrage, un texte fort intéressant nous apprend que le cerveau d’un rongeur en hibernation présente de nombreuses ressemblances avec celui d’un malade d’Alzheimer en phase terminale, la différence fondamentale entre les deux étant que chez le rongeur, la dégradation des fonctions cérébrales n’est que temporaire et surtout réversible alors que ce n’est pas le cas chez l’être humain. Les chercheurs tentent donc de comprendre comment les hibernants parviennent à retrouver un fonctionnement normal pour envisager de reproduire le phénomène sur l’homme et espérer ainsi vaincre Alzheimer. Passionnant je vous dis !

Graphiquement, le trait de Capucine Mazille a la patine et le charme des dessins naturalistes d’antan. Le format à l’italienne et les doubles illustrations pleine page sont un régal pour les yeux.

Un superbe album faisant partie d’une collection (Ohé la science !) aussi riche que variée. Voila donc une incontournable lecture de saison à partager avec vos petits bouts (moi c’est déjà fait). 

Comme des marmottes : L’hibernation de Michel Francesconi et Capucine Mazille. Ricochet, 2012. 40 pages. 12,20 euros. A partir de 6 ans


Francesconi et Mazille © Ricochet 2012







samedi 2 février 2013

Le peintre d’éventail - Hubert Haddad

Haddad © Zulma 2013
Après avoir causé la mort d’une jeune fille dans un accident, Matabei quitte Kobe et se réfugie à Atôra, au nord-est de l’île d’Honshu. Accueilli à la pension de Dame Hison, une ancienne courtisane, il tente de se reconstruire, loin du brouhaha du monde. Dans ce lieu si particulier, Matabei rencontre Osaki, peintre d’éventail et créateur d’un jardin zen qui lui enseigne son art. A la mort de son maître, il hérite de l’atelier et s’applique à terminer les éventails inachevés tout en entretenant le jardin. Dans cette quête de perfection esthétique hors de la folie des hommes, Matabei trouve l’apaisement. Au contact de la nature, il découvre que l’équilibre des compositions du jardin participe à l’équilibre de l’âme. Mais une passion naissante pour une jeune femme et surtout un terrible séisme entraînant un tsunami et une catastrophe nucléaire vont anéantir  sa sérénité retrouvée.
   
Une chose est sûre, Hubert Haddad ne ménage pas ses personnages lorsque ceux-ci se lancent dans un exil volontaire censé leur offrir une vie meilleure. Ce fut déjà le cas avec Alam l’afghan dans Opium Poppy, son roman précédent, c’est la même chose ici pour Matabei. La fuite, le rêve et la mort, point de salut. Mais dans son portrait du japon rural, l’écrivain ajoute cette fois-ci à la tragédie en cours la célébration de la beauté crue d’une nature indomptable. Une nature certes suppliciée par le séisme mais qui, toujours, finit par se relever.

L’écriture d’Haddad est aérienne, contemplative et mélancolique, tout en délicatesse. Il se dégage de son texte une musicalité vibrante qui jamais ne sombre dans une quelconque préciosité. Une forme de raffinement dans lequel le lecteur se laisse bercer avec délectation. Comme si, dans ce monde au bord de l’apocalypse, il était encore possible de préserver un soupçon de grâce.

Le peintre d’éventail d’Hubert Haddad. Zulma, 2013. 192 pages. 17 euros.

L'avis de Maryline
L'avis de Skriban


vendredi 1 février 2013

Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn - Ben Fountain

Fountain © Albin Michel 2013
Les héros de l’Amérique sont de retour au pays. Huit membres d’une compagnie ayant survécu à une embuscade près de Bagdad sous les caméras de Fox News ont été choisis par l’administration comme emblèmes du courage made in USA. La vidéo fait un tabac sur Youtube et les soldats font la tournée des grands ducs pendant quelques jours. Une « tournée de la victoire » passant par la Maison Blanche et se terminant un jour de Thanksgiving au Texas Stadium de Dallas où les militaires sont « exposés » en public à la mi-temps d’un match de football américain, entre les arabesques des pom-pom girls et un mini concert des Destiny’s Child.

Parmi ces combattants revenus temporairement du front, il y a Billy Lynn, 19 ans. Obligé de s’engager pour éviter la prison après avoir saccagé la voiture de son beau-frère, Billy ne sait plus où il en est. Érigé en sauveur de la nation avec ses sept compagnons d’armes, il constate, lucide et impuissant, que leur gloire ne leur appartient pas, « qu’ils baignent dans la manipulation, c’est leur élément, car quel est le boulot d’un soldat sinon d’être un pion qu’on avance ? »    

Tout est là, dans ces chimères que chaque personne croisée leur fait miroiter, notamment  Albert, producteur de film leur assurant qu’il va vendre à prix d’or les droits de leur histoire à Hollywood. Depuis une semaine, les mêmes mots reviennent dans la bouche de leurs interlocuteurs : fierté, liberté, héros, sacrifice, 11 septembre, etc. « Vous êtes l’Amérique » ne cesse-t-on de leur dire. On les étreint, on leur demande des autographes, on les remercie. Billy et les siens n’écoutent plus. Ils sont emportés dans un maelström qui les dépasse totalement. Marionnettes manipulées par l’administration Bush, ils vivent cette dernière journée avant de repartir en Irak comme un mauvais trip dont il sera difficile de se relever. Pour Billy, seule la rencontre avec la jolie cheerleader Manon apportera un soupçon de lumière dans cette sombre mascarade, même si au final la jeune fille, béate d’admiration devant le héros de guerre, ne se révélera pas différente des autres.    

Après un recueil de nouvelles, Ben Fountain signe un premier roman engagé. Une charge sans complaisance contre l’Amérique conservatrice. Il dénonce en vrac l’égoïsme, l’opulence, la cupidité et le cynisme de ces républicains texans aussi gras qu’ignorants. L’auteur souligne aussi les névroses d’une société gavée d’images et de publicité qui laisse ses propres enfants se faire dévorer aux jeux d’un cirque médiatique qui les dépassent.  

La construction du texte est limpide : toute l’action se déroule en une seule journée, avec simplement un flashback permettant de retrouver Billy de retour pour quelques heures dans le cocon familial. La plume est corrosive, les dialogues savoureux et les portraits au vitriol des républicains 100% pur jus s’enchaînent sans temps mort (avec une mention spéciale pour Norman Obesgly, le richissime propriétaire de l’équipe de foot de Dallas). Entre ironie grinçante, satire impitoyable et roman profondément politique, Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn est en quelque sorte un miroir que Ben Fountain voudrait tendre à ses contemporains les plus ordinaires pour qu’enfin peut-être ils cessent de se voiler la face. Une vraie belle réussite.   

Fin de mi-temps pour le soldat Billy Lynn de Ben Fountain. Albin Michel, 2013. 402 pages. 22,00 euros. 

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie. Filez vite voir son avis.


Et une nouvelle participation au défi de Anne !


jeudi 31 janvier 2013

Le grillon - Tristan Koëgel

Koëgel © Didier jeunesse 2013
L’histoire du grillon est celle d’un enfant d’origine coréenne dont le bateau est abordé par des pirates au large des côtes somaliennes. Ses parents sont tués au cours de l’attaque et le jeune garçon est recueilli par les assaillants. Commence pour lui une vie en mer avec des hommes taciturnes et violents auprès desquels il trouve parfois un soupçon de bienveillance. Une existence âpre qu’il finit par apprécier jusqu’au jour où l’un des pirates trahi l’équipage. Confié un institut dirigé par Mr Arsène au cœur de Mogadiscio, le grillon vit un difficile retour sur la terre ferme...
  
Un premier roman ambitieux qui aborde un sujet difficile et peu commun. La voix de l’enfant sonne juste et ses réflexions, entre lucidité et naïveté, sont d’une grande pertinence. Par ailleurs, la violence, la solitude et le coté rêveur du grillon donnent corps à un personnage des plus touchants.           

Il y a quand même quelques faiblesses. La narration est parfois confuse et il n’est pas évident pour un jeune lecteur de s’y retrouver parmi les nombreux protagonistes. Sans compter que l’histoire d’amour imaginaire avec une fillette de papier, certes originale, n’apporte pas grand chose à l’intrigue. Dernier grief, malgré le prologue censé présenter le contexte dans lequel se déroule les événements, il manque quelques éclaircissements permettant de mieux comprendre la situation géopolitique complexe de la région et les motivations qui poussent nombre de somaliens à devenir pirates.

Reste au final et malgré ces bémols un roman jeunesse poignant à l’écriture très contemporaine qui trouvera sans problème sa place sur les rayonnages d’un CDI de collège.

Le grillon de Tristan Koëgel. Didier jeunesse, 2013. 132 pages. 12 euros. A partir de 10-11 ans.

Les avis de Sophie ; Anne ; Hérisson


Et une nouvelle participation au défi de Anne


mercredi 30 janvier 2013

La guerre des Lulus, 1914 : La maison des enfants trouvés - Régis Hautière et Hardoc

Hautière et Hardoc
© Casterman 2013
Les Lulus, ce sont quatre orphelins vivant à Valencourt, dans l’Aisne, à « La maison des enfants trouvés ». Ils se prénomment Ludwig, Lucas, Luigi et Lucien. Des gamins inséparables qui en font voir de toutes les couleurs aux prêtres en charge de l’institution qui les accueille. A l’été 1914, au moment où la guerre se déclare, les Lulus sont « oubliés » lors de l’évacuation du village. Livrés à eux-mêmes, ils se réfugient dans leur cabane au fond des bois et vont tenter de survivre tant bien que mal sans l’aide des adultes. Les semaines passent mais à l’approche de l’hiver, la situation devient de plus en plus difficile à gérer…    
     
Régis Hautière (Abélard) au scénario, Hardoc (Le loup, l’agneau et les chiens de guerre) au dessin et David François (De briques et de sang) aux couleurs, voila un album 100% picard qui ne pouvait pas naître sous de meilleurs auspices. Une histoire de plus sur 14-18, me direz-vous. Certes, mais c’est une histoire de civils dans la guerre, loin des tranchées. Surtout, c’est un récit à hauteur d’enfants qui tient davantage de la Guerre des boutons ou de Seuls (le fantastique en moins) que des BD de Tardi.

Ce premier volume met en tout cas l’eau à la bouche et pose les bases d’un univers fort bien construit. Logique, avec Régis Hautière à la baguette. Son sens du dialogue, déjà remarqué dans Abélard (faut-il vous rappeler à quel point la lecture de ce diptyque est ABSOLUMENT incontournable…), fait mouche à nouveau. Les Lulus s’expriment avec un naturel déconcertant et les pointes d’humour, disséminées ici et là, sont un vrai régal.    

Le dessin semi-réaliste de Hardoc allie fraîcheur et vivacité. Ses Lulus ont des faux airs de titis parisiens que n’aurait pas reniés Poulbot. Les couleurs tout en douceur de David François rappellent parfois le travail de François Lapierre sur la série Magasin général. Que du bon, quoi !

Un vrai album tout public mettant en scène des gamins touchant en diable dans une atmosphère plutôt légère malgré la guerre qui s’annonce. Mais le scénariste a déjà prévenu que dès le deuxième tome un événement va plomber l’ambiance. Rien de surprenant quand on connaît la fin d’Abélard… (je sais je suis lourd avec Abélard mais c'est pour votre bien !).

PS : ne cherchez pas la commune de Valencourt sur une carte de l’Aisne, vous ne la trouverez pas. Pour créer ses décors, le dessinateur s’est inspiré son propre village, près d’Albert dans la Somme. La Picardie, quand même, quelle belle région !      

La guerre des Lulus T1 : 1914, la maison des enfants trouvés de Régis Hautière et Hardoc. Casterman, 2013. 64 pages. 12,95 euros.  


Hautière et Hardoc © Casterman 2013



mardi 29 janvier 2013

Raclée de verts - Caryl Férey

Férey © Pocket 2013
Pas la peine de s’emballer en voyant Caryl Férey apparaître ici. Pas la peine de penser que ça y est, ma conversion est achevée et que le polar est devenu ma nouvelle religion livresque. D’abord j’aime bien cet auteur. Pas pour ses polars (jamais lus) mais pour ses ouvrages de littérature jeunesse, notamment Krotokus mais aussi sa série mettant en scène la jeune Alice. Ensuite, si cette Raclée de verts a fini sur ma table de chevet, c’est juste parce que l’histoire me paraissait suffisamment barrée pour me plaire, rien de plus. Pour le coup, je n’ai pas été déçu du voyage. 
    
Imaginez un supporter de Saint-Etienne tueur en série qui perd un de ses cinq sens à chaque assassinat. Imaginez pour compléter le tableau que ce supporter est un vrai de vrai, du genre bedonnant, alcoolique, totalement abruti, raciste, interdit à vie de stade et se baladant continuellement en short avec des chaussures de foot aux pieds. Il a chien qu’il a appelé Janvion (nom d’un ancien défenseur des verts) et à chaque fois qu’il s’acharne sur une victime, il voit en elle un célèbre footeux ayant affronté son club chéri. Un peu cintré le monsieur, c’est le moins que l’on puisse dire.   

Mieux vaut connaître le football et l’histoire de Saint-Etienne pour apprécier ce texte à sa juste valeur. Si ce n’est pas le cas, vous y trouverez néanmoins votre compte tant la pochade est énorme et tragiquement drôle. Par contre, si vous cherchez la finesse et la légèreté, vous pouvez passer votre chemin.

Un petit roman qui se lit en une heure dans lequel l’auteur s’est à l’évidence fait plaisir. D’ailleurs il ne le nie pas sur la quatrième de couverture : « Un délire qui, personnellement, m’a permis d’écrire en pleurant (de rire face à la connerie du personnage). » Pour le lecteur, un bon moment de détente, rien de plus. C’est un peu ce que je reproche à beaucoup de polars : ça se lit vite et bien mais au final il n’en reste pas grand-chose une fois la dernière page tournée (pas taper, j’ai écrit « beaucoup de polars » pas « tous les polars », je sais que certains sont inoubliables, je commence à peine à défricher le terrain).    

Pour info ce texte est paru initialement aux éditions La Branche en 2007 dans la collection Suite noire.  


Raclée de verts de Caryl Férey. Pocket, 2013. 90 pages. 3,90 €.

lundi 28 janvier 2013

Les p’tites poules et la grande casserole - Christian Jolibois et Christian Heinrich

Jolibois et Heinrich
© Pocket Jeunesse 2012
Les P’tites Poules s’apprêtent à célébrer la fête de l’Étoile Poulaire qui annonce l’arrivée prochaine de l’hiver. Pour se faire, elles doivent se rendre dans la forêt afin d'y trouver les graines, les noisettes, les tendres pignons et les pommes givrées qu’elles dégusteront ensemble le soir venu. Mais la récolte s’avère catastrophique, les sangliers étant passés avant elles et ne leur ayant laissé que quelques miettes. Heureusement, la rencontre inattendue avec un marchand venu d’Orient va permettre aux P’tites Poules de découvrir une délectable friandise qui remplacera avantageusement le menu habituel...

Quel bonheur de découvrir un nouvel album des P’tites Poules. Celui-ci n’est sans doute pas le meilleur de la série, c’est un fait. Il n’empêche, c’est toujours un plaisir de replonger dans cet univers qui, à force, nous est devenu familier. C’est un peu comme quand j’étais gamin et que je tombais sur un nouvel Astérix. Le scénario ne tenait pas toujours la route (surtout quand Uderzo est resté seul aux commandes) mais il y avait ce village et ces personnages qui me faisaient rêver. Avec Les p’tites poules, c’est un peu la même chose, la filiation se retrouve même dans les patronymes des gallinacées : Pitikok ; Bangcoq, Coquenpâte, Molédecoq, Coqueluche, Cudepoule, Crêtemolle... ça vaut Abraracourcix, Agecanonix, Assurencetourix et Cie.  

Une série qui se partage en famille. Pour les lecteurs qui débutent, il est possible de se lancer tout seul. Après, si l’adulte lit et y met le ton, notamment pour bien retranscrire les nombreux dialogues, le plaisir devient encore plus grand. Ces dialogues sont depuis le début un des points forts des P’tites poules. A noter aussi que certains clins d’œil à l’actualité ou à des problématiques très contemporaines disséminés au fil du texte ne seront compris que par les plus grands, mais ce double niveau de lecture n’est pas un inconvénient, bien au contraire. Et puis graphiquement, ces poulettes sont à croquer !

Vous l’aurez compris, Les P’tites Poules ont de nombreux fans à la maison. Depuis peu, les albums de la série sont passés de la chambre de la pépette n°1 à celle de la pépette n°2. Nul doute qu’ils finiront un jour chez la pépette n°3 qui, même si elle n’est pas encore née, possède déjà une PAL d’enfer. 

Les p’tites poules et la grande casserole de Christian Jolibois et Christian Heinrich. Pocket Jeunesse, 2012. 46 pages. 10,70 euros. A partir de 5-6 ans


Jolibois et Heinrich © Pocket Jeunesse 2012






samedi 26 janvier 2013

Les délices de Turquie - Jan Wolkers


Wolkers  © Belfond 2013
Dans la Hollande de la fin des années 60, le narrateur, peintre et sculpteur sortant à peine de l’école des beaux arts, raconte son histoire d’amour incandescente avec Olga. Cette rousse incendiaire rencontrée un peu par hasard qui deviendra sa femme, le quittera pour un autre et qu’il ne cessera jamais d’aimer. Olga la fille de bonne famille, attirée par l’artiste bohème, qui se lassera de ses exubérances et de son insatiable appétit sexuel. Un récit sulfureux et tragique dont personne ne sortira indemne. Une véritable histoire d’amour, quoi.    
      
Un roman qui connut un succès phénoménal au moment de sa sortie en 1969. Le texte est cru, d’un érotisme sans retenu, volontairement provocateur. Pour preuve, les toutes premières lignes : « J’étais vraiment dans la merde depuis qu’elle m’avait plaqué. Je ne travaillais plus, je ne mangeais plus. Toute la journée je restais allongé entre mes draps sales et je collais le nez sur des photos d’elle à poil, si bien que je pouvais m’imaginer voir frémir ses longs cils surchargés de rimmel lorsque je me branlais. » Le reste est du même tonneau. J’aime cette langue à l’étonnante liberté de ton. Les délices de Turquie est en quelque sorte un roman de mœurs. Jan Wolkers crache à la gueule de cette société protestante et pudibonde qu’il exècre. La relation vénéneuse entre l’artiste et la fille de notables permet de clouer au pilori la bourgeoisie néerlandaise dont il dresse un terrible portrait à travers la figure de la belle mère. Pour autant, le narrateur n’est pas exempt de reproches. Son machisme, sa libido incontrôlable, son incapacité à reconnaître ses erreurs en font un sale gosse agaçant en diable. Reste Olga, fleur fragile qui n’aura de cesse de se faner, femme fatale se consumant à petit feu avant de disparaître définitivement. 
                     
L’histoire en elle-même n’a rien d’original. L’intérêt majeur tient dans cette peinture sociale sans concession à une époque où la littérature pouvait encore scandaliser dans les chaumières. Ce titre inaugure la nouvelle collection « Vintage » des éditions Belfond qui se propose de redonner vie à des livres cultes devenus introuvables. Parmi les prochains romans à paraître sous ce label, Le bâtard d’Erskine Caldwell (en avril), Les femmes de Brewster Place de Gloria Naylor (en mai) et Crazy Cock d’Henry Miller (en septembre). A noter pour finir que Les délices de Turquie a été adapté au cinéma par Paul Verhoeven en 1973.     

           
Les délices de Turquie de Jan Wolkers. Belfond, 2013. 246 pages. 17 euros. 


Ce billet signe ma 1ère participation au
challenge Voisins Voisines de Anne

vendredi 25 janvier 2013

Thermae Romae 5 - Mari Yamazaki

Yamazaki © Casterman 2013
Toujours coincé dans le Japon d’aujourd’hui, l’architecte romain Lucius poursuit sa découverte des mœurs locales, notamment à travers l’art du massage et de la chiropraxie. Lorsque des mafieux s’intéressent de trop près à l’établissement dans lequel il est accueilli, Lucius voit rouge, surtout quand ces misérables s’en prennent à la belle Satsuki.

J’étais déjà sorti très sceptique de la lecture du quatrième volume mais là le doute n’est plus permis : cette série part vraiment en cacahuète ! Un cheval qui tombe raide dingue amoureux de Lucius, lui-même épris de Satsuki, un grand père roi du kung-fu, des yakusas de pacotille, l’utilisation d’un char de course romain pour arrêter une grosse berline, etc. Mari Yamazaki pousse à l’évidence le bouchon trop loin et elle le reconnaît d’ailleurs dans la postface : « On est donc sorti du manga d’étude comparée des bains pour arriver à du grand n’importe quoi. » Faute avouée à moitié pardonnée ? Ben non, malheureusement, cette belle lucidité n’excuse pas le piètre tournant que prend Thermae Romae. Une fois de plus la quasi totalité de l’intrigue se passe au Japon. A peine une courte incursion dans la Rome antique pour revenir sur la situation critique de l’empereur Hadrien, c’est bien peu. Pas grand-chose à sauver donc, à part peut-être les interludes entre certains chapitres qui restent dans l’ensemble agréables à lire et sont souvent fort instructifs.

Le tome 6 devrait être le dernier. Franchement, il est temps de mettre un terme à une série qui, après un démarrage surprenant et de qualité, sombre au fil de chaque nouveau volume dans une médiocrité de plus en plus criante.  

Thermae Romae T5  de Mari Yamazaki, Casterman, 2013. 194 pages. 7,95 euros.

Mon avis sur les tomes 1 et 2, le tome 3, le tome 4


Yamazaki © Casterman 2013


Une nouvelle participation au challenge de  Soukee


jeudi 24 janvier 2013

La place - Annie Ernaux

Ça  commence par la mort du père. Puis Annie Ernaux remonte le fil d’une vie commencée au tournant du siècle. Ce père né en Normandie dans une famille de journaliers agricoles qui deviendra d’abord ouvrier avant de se marier et d’ouvrir un commerce. Un café-épicerie dans un quartier d’Yvetot. Une vie de peu, entièrement dédiée à sa boutique. Des gens simples, modestes. Des braves gens, comme on disait après-guerre. 

L’exercice n’est pas aisé : « je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie et cette distance venue à l’adolescence entre lui et moi. » Parce qu’il restera viscéralement attaché au « monde d’en bas » qui est le sien alors que sa fille, par les livres et les études, va découvrir et intégrer une petite bourgeoisie dont il ignore tout. Son univers à lui sera toujours resté confiné dans un espace limité dont il ne cherchera jamais à s’écarter.

Point de tristesse, d’amertume ou de lyrisme malvenu. Ernaux a préféré employer le ton du constat. « Je me tiens au plus près des mots et des phrases entendues, les soulignant parfois par des italiques. Non pour indiquer un double sens au lecteur et lui offrir le plaisir d’une complicité, que je refuse sous toutes ses formes, nostalgie, pathétique ou dérision. Simplement parce que ces mots et ces phrases disent les limites et la couleur du monde où vécut mon père, où j’ai vécu aussi. Et l’on n’y prenait jamais un mot pour un autre. »

Une prose épurée à l’extrême, dépouillée de toute emphase. Annie Ernaux parle d’elle et pourtant son « je » est un « nous ». Toute la force de son écriture tient dans cette universalité, cette volonté de rester à l’écart d’une indécente forme d’autofiction. Sans doute son succès populaire s’explique en grande partie par le fait que son œuvre s’articule autour de la valeur collective du « je » autobiographique. La place est pour moi un roman magnifique, tout en retenu et pourtant d’une incroyable force. Pas pour rien que ce texte est devenu un incontournable du programme de français au lycée, tant pour l’analyse du genre autobiographique que de la relation père/fille ou encore, dans les filières économique et sociales, pour l’étude des classes sociales.
  
La place d’Annie Ernaux. Folio, 2004. 114 pages. 4,80 €.

Prix Renaudot 1984

Les avis de : manU17 ; Clara ; Jacky Caudron


Ce billet signe ma 1ère participation
au challenge "A tous prix" de Laure

mercredi 23 janvier 2013

Le vagabond de Tokyo 3 - Takashi Fukutani

Fukutani © Le lézard Noir 2012
Difficile de faire un plus grand écart avec les BD des mercredis précédents. Après deux superbes albums d’Emmanuel Lepage, je mets les mains dans le cambouis avec ce manga aussi inclassable que cradingue. Je vous préviens d’emblée, âmes sensibles s’abstenir. Si vous cherchez du glamour, il faudra éviter de passer par ici aujourd’hui.

Le vagabond de Tokyo, c’est Yoshio, un branleur dans tous les sens du terme. Au sens propre d’abord, la masturbation étant son loisir favori. Au sens figuré ensuite puisque ce jeune homme est sans doute la plus grande feignasse de l’histoire du manga. Quelques boulots sur des chantiers afin de payer son saké quotidien (oui, parce que Yoshio picole pas mal aussi, ça occupe) et pour le reste, rien de mieux que la sieste et la glandouille. Résultat, il vit dans une chambre délabrée sur un vieux futon tout pourri, au milieu des bouteilles vides et des magazines porno tout en se nourrissant quasi exclusivement de nouilles instantanées. Son existence n’est qu’une succession d’échecs plus retentissants les uns que les autres. Le loser absolu, quoi.  

Pour être franc j'ai eu quelques craintes parce que ce troisième tome démarre doucement. Après un retour dans sa campagne natale, Yoshio nous raconte son dépucelage à 17 ans (rien de glorieux, forcément) puis les dures journées sur les chantiers qui se terminent toutes au troquet où il dépense en alcool sa paie quotidienne. Quelques passages onirico-érotique par-ci par-là mais rien de bien méchant, pas la moindre trace de scatologie ni de situations vraiment répugnantes alors que les volumes précédents en regorgeaient. Je me suis dis que Takashi Fukutani avait mis de l’eau dans son vin. Et puis arrivé au trois quart du recueil, je tombe sur l’histoire du « Lucky Hole » et je retrouve toute la verve trash et sans limite qui me plait tant dans cette série. C’est quoi un Lucky Hole ? Comme un petit dessin vaut mieux qu’un grand discours, je vous montre :



Le principe est on ne peut plus simple. On pose une serviette dans le trou, on y glisse son engin et de l’autre coté de la cloison une jeune fille s’occupe de vous manuellement. Glauque, non ?  Le problème quand il y a une pénurie de main d’œuvre c’est que les tenanciers de ces lieux sordides doivent parfois faire appel à des femmes bien moins jeunes et quand ils ne trouvent pas de femmes, ils doivent se tourner vers des hommes qui prennent une voix de fausset pour masquer la supercherie. Et devinez qui va se retrouver derrière la cloison d’un Lucky Hole ? Yoshio bien sûr. Rien ne lui sera épargné, de l’odeur abominable répandue dans la pièce au fil de la journée à ses vêtements, sa figure et ses cheveux recouverts de… Une expérience effrayante qui tournera à la catastrophe quand l’un des clients ne se contentera pas du massage manuel et voudra passer à la vitesse supérieure (je vous avais prévenu, pas de glamour ici aujourd’hui).

Je me suis régalé. J’adore quand un auteur lâche prise à ce point. C’est tellement énorme, tellement barré, tellement drôle (bon il faut aimer l’humour très noir et très vulgaire mais je suis bon public pour ce genre de chose). Et puis ce n’est pas tous les jours que l’on tombe sur un personnage aussi navrant et aussi pathétique.

Est-que je vous conseille de vous ruer sur ce manga ? Surement pas ! D’ailleurs même si je vous le recommandais chaudement, je crois que vous ne seriez pas beaucoup à me suivre. En tout cas si vous voulez tenter le coup, je serais ravi de savoir ce que vous en pensez.

            
Le vagabond de Tokyo T3  de Takashi Fukutani. Le Lézard Noir, 2012. 408 pages. 23 euros. 

Fukutani © Le lézard Noir 2012





mardi 22 janvier 2013

Une longue journée de novembre - Ernest J. Gaines

Gaines © 10/18 1996
Ernest J. Gaines est l’un de mes écrivains préférés. J’ai lu tous ses ouvrages. Autobiographie de Miss James Pittman est pour moi un petit chef d’œuvre. Dites-leur que je suis un homme, lauréat de National Book Award, est un roman absolument bouleversant. Mais c’est avec Une longue journée de novembre que j’ai découvert cet écrivain afro-américain né en 1933 sur une plantation de coton.

Dans ce recueil composé de deux nouvelles, Gaines revit en quelque sorte son enfance en Louisanne. Dans le premier texte éponyme, une mère décide de quitter le foyer avec son fils. Le mari est trop absent depuis qu’il a acheté une voiture. Ne supportant plus de le voir rentrer chaque nuit à deux heures du matin, sa femme fait ses valises. L’histoire est racontée par Ti-Bonhomme, l’enfant du couple. Une immersion dans la vie quotidienne des coupeurs de canne à sucre du sud profond. Beaucoup de dialogues, quelques échanges savoureux, un père un peu couillon et une femme qui, à l’évidence, porte la culotte. Ti-Bonhomme essaie de comprendre le monde des adultes avec ses mots à lui. C’est simple et touchant.

La seconde nouvelle met en scène un gamin de huit ans et sa mère. Il a une rage de dent, il faut l’emmener en ville pour le soigner. La mère a de quoi payer le bus et le dentiste, pas plus. En partant tôt, ils devraient être de retour avant onze heures et elle pourra aller travailler dans les champs en rentrant. Mais la salle d’attente est bondée et lorsque la pause du midi arrive, le cabinet ferme ses portes sans que le gamin ait pu être soigné. Mère et fils vont traîner en ville dans un froid glacial, sous la grêle, en attendant la réouverture. Le gamin est gelé et crève de faim mais il ne dit rien. Il sait que sa mère n’a pas les moyens de lui payer un repas. A travers le regard du fils se dresse le magnifique portrait d’une maman fière et indomptable.

Deux très beaux textes, racontés à hauteur d’enfant. La prose est limpide, d’une désarmante simplicité qui fait mouche. Sans doute l’idéal pour appréhender l’univers de ce grand écrivain américain. Le recueil publié par les éditions 10/18 en 1996 est aujourd’hui épuisé. Liana Levi a ressorti la première nouvelle dans sa collection Piccolo sous le titre Ti-Bonhomme. Il serait néanmoins dommage de s’en contenter tant le deuxième texte, absent de cette réédition, est un petit bijou. 

Une longue journée de novembre d’Ernest J. Gaines. 10/18, 1996. 140 pages. 4 euros.