Stefansson © Gallimard 20113 |
Le cœur de l’homme
signe la fin de la trilogie islandaise de Jon Kalman Stefansson. La tristesse des anges, le volume précédent, m’avait littéralement emballé et je n’avais pas
hésité à le mettre sur la plus haute marche de mes lectures 2012. Ici, pas le même
énorme coup de cœur mais la magie a néanmoins de nouveau opéré. Cette
conclusion se concentre sur la vie de la communauté villageoise et de ses
membres. Le caractère épique et aventureux du volume précédent n’est plus de
mise ce qui est quelque peu dommage. La profusion des personnages demande par
ailleurs une attention accrue pour ne pas perdre le fil. De plus, il me semble
difficile de se lancer dans cette lecture sans connaître les deux autres tomes
car les références y sont nombreuses et donnent beaucoup de clés indispensables
à la compréhension de l’ensemble.
Pour autant, Le cœur de
l’homme reste un merveilleux roman. Toute l’âpreté de cette Islande du début du
20ème siècle vous saute à la gorge. A travers la figure du gamin
sont abordées des questions existentielles majeures. Le rêve, la douleur, le
deuil, la tristesse, l’absence, le désir et l’espoir d’une vie meilleure sont
au cœur du récit.
Surtout, il y a
toujours ces saillies inattendues, sortes d’aphorismes, qui illuminent chaque
chapitre.
A propos du couple :
« La vie se résume à trouver une autre personne avec qui partager ses
jours, puis à survivre à la rencontre. »
A propos de la mort qui
surgit sans crier gare : « Nous ne savons jamais dans quelle
direction la vie nous emporte, ne savons jamais qui survivra à la journée et
qui y succombera, nous ne savons pas si le dernier adieu sera un baiser, une
parole amère, un regard blessant, il suffit que quelqu’un ait un moment
d’inattention, qu’il oublie de regarder à droite pour qu’il meure, et alors il
est trop tard pour retirer des paroles malheureuses, trop tard pour dire
pardonne-moi, trop tard pour dire ce qui compte, ce que nous voulions dire,
mais que nous ne pouvions pas articuler à cause de notre cruauté, notre
fatigue, notre routine, du temps qui manque, tu as oublié de regarder à droite,
je ne te verrai plus jamais et les mots que tu m’as dits continueront de
résonner en moi chaque jour et chaque nuit, et le baiser que tu aurais dû
recevoir sèchera sur mes lèvres où il deviendra une blessure qui se rouvrira à
chaque fois que quelqu’un d’autre que toi m’embrassera. »
A propos des livres et
de la lecture : « La lecture élargit l’horizon de la vie, la vie
devient plus grande, elle devient autre chose […] c’est comme si on possédait
une chose que personne ne pourra jamais nous enlever, jamais […] et ça vous
rend plus heureux. »
A propos de l’existence
étriquée des modestes familles rurales islandaises : « Le plus
difficile dans cette vie est de ne jamais pouvoir se fuir soi-même, quitter son
existence, enfermés que nous sommes dans un étui, dans un monde qui ne
disparaît jamais, sauf à l’occasion de quelques rêves, et qui vous revient dès
que vous ouvrez les yeux, comment peut-on supporter ça ? »
Et puis la dernière
phrase du roman, sublime : « Où commence la vie et où cesse la mort,
ailleurs qu’en un baiser ? »
L’écriture de
Stefansson (ou plutôt l’exceptionnelle traduction d’Éric Boury) résonne
fortement en moi. Ces réflexions sur le sens de la vie, le poids des mots,
l’absolu besoin d’amour et cette haine viscérale pour la mort et la désolation
qu’elle apporte me parlent et me touchent profondément. Pas certain que ce soit
le cas de tout le monde. Je ne serais pas étonné de découvrir ici ou là des
avis très mitigés sur ce texte qui peut, je le conçois, laisser totalement indifférent.
Je ne cherche donc à convaincre personne. Je dis simplement que cette trilogie
aura constitué pour moi un inoubliable moment de lecture. Et croyez-moi je ne
dis pas ça tous les jours.
Le
cœur de l’homme de Jon Kalman Stefansson. Gallimard, 2013.
455 pages. 22,90 euros.
Un
billet qui signe ma seconde contribution
au challenge Voisins Voisines de Anne |
Les citations, sur le couple, la mort et la lecture, me vont droit au coeur. Notamment celle sur la mort qui me touche particulièrement et personnellement. Merci de les avoir notées.
RépondreSupprimerPas de quoi, il me tenait vraiment à coeur de les reproduire.
SupprimerJ'ai été une des rares à ne pas avoir accroché à "Entre ciel et terre", je suis donc méfiante, malgré les beaux extraits...
RépondreSupprimerJe comprends tout à fait que l'on puisse ne pas accrocher avec cet auteur (même si ce n'est pas mon cas^^).
SupprimerUne trilogie, alors, à démarrer par le début?
RépondreSupprimerDifficile de les lire dans le désordre, il y a une vraie continuité entre chaque tome.
SupprimerJe note, mais pas pour moi. Ca plairait à un ami.
RépondreSupprimerNote, note, c'est du tout bon^^
SupprimerLe premier de la trilogie traîne toujours dans ma PAL, mais tu me donnes l'impression que je ne serai pas déçue...
RépondreSupprimerTu peux le remonter en haut de ta PAL, il le mérite^^
SupprimerOh la la, l'Islande... Rien qu'en lisant Indridason, j'étais au bord de la déprime ! J'avais l'impression qu'il pleuvait chez moi !
RépondreSupprimerAh ben là c'est pareil, pluie, vent froid et brouillard sont au rendez-vous même si le réci se déroule au printemps.
SupprimerTu sais vendre, avec ou sans la petite Charlotte. Bises et bravo pour cet article complet.
RépondreSupprimerEn génaral quand j'ai aimé, il faut que ça se sache ;)
SupprimerPour moi c'est le premier tome qui a été le plus fort et vraiment c'est une très très belle trilogie comme tu le dis très bien, le genre de livres dont on ne se sépare pas et qu'on relira un jour
RépondreSupprimerJe crois en effet qu'il n'est pas impossile que je relise cette trilogie un jour.
SupprimerWaouh, ton billet et tes citations donnent terriblement envie ! Je n'ai lu que le 1er volume de cette trilogie sublime, mais c'est une erreur de ne pas avoir continué.
RépondreSupprimerOui, une vraie erreur qu'il faut réparer au plus vite !
SupprimerTua s dû marquer pleins de pages et de passages pendant ta lecture.
RépondreSupprimerEt encore je n'est pas reproduit tous les extraits que j'avais relevés. Il y a avit des post it partout à la fin de ma lecture !
SupprimerBon, je me suis rendu à l'évidence, je ne pourrai pas rattraper mon retard, mais tant pis, je viens de reprendre le premier "Entre ciel et terre", que j'avais laissé tomber au bout de 50 pages, il y a quelques mois, je ne sais plus pourquoi, mais là, je me régale .... Merci !
RépondreSupprimerTrop content de te savoir plongée dans le 1er tome. Te connaissant, je me régale d'avance à l'idée de découvrir ton billet.
SupprimerJolies citations... Il va falloir que je me penche sur le cas de cet auteur !
RépondreSupprimerJe crois que ça te plairait.
SupprimerJe ne connaissais pas cette trilogie. Merci pour cette découverte.
RépondreSupprimerC'est une trilogie qui mérite vraiment d'être connue.
Supprimer"La tristesse des anges" est dans ma pal, il va revenir en haut de la pile d'après ce que tu en dis !
RépondreSupprimerJ'ai totalement adoré ce roman, vraiment somptueux !
SupprimerJe ne suis pas venue à bout de "Entre ciel et terre" : à peine une centaine de pages et je m'ennuyais terriblement. Il est vrai que je ne suis pas très pêche à la morue...
RépondreSupprimerJe comprends très bien que l'on puisse s'ennuyer avec cette prose et cet environnement si particuliers, même si ce n'est pas du tout mon cas^^
Supprimeroh la la ! comment résister à un billet pareil ??
RépondreSupprimerPourquoi résister ?
Supprimerj'adhere complaitement à ce que vous dites concernant cet auteur c'est un coup de foudre pour moi et une delectation j'en suis au deuxieme tome de la trilogie. Merci de me l'avoir fait connaitre.
RépondreSupprimerLe deuxième est le meilleur. Un chef d'oeuvre !
Supprimeroh! completement plutot !!!!!
RépondreSupprimerJe viens de terminer la trilogie...
RépondreSupprimerJe suis éblouie...
Toute la beauté du monde...
Toute la tristesse du monde...
Désespérance et soif de vivre...
Une langue somptueuse et bouleversante.
L'homme n'estpas totalement mauvais...
Et la Poésie pourrait le sauver...
Prendre un livre et ne jamais le lâcher, même si la mort menace...
Éblouie...
Mes origines normandes,m'ont fait remontée jusqu'à la baie D'Ecalgrain où par le plus grand des hasards,j'ai senti le lieu de naissance de mon Adn viking ....Lectrice, je cherchais une langue et un univers pour mettre en mots cette intuition..La trilogie m'offre ce cadeau,un port d'attache que j'attends depuis presque vingt ans !Merci....Il fut long le chemin...
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