mercredi 22 mars 2017

La Famille Fun - Benjamin Frisch

La couverture annonce la couleur : les Fun, représentent la famille américaine parfaite. Robert, le père, est un dessinateur de BD dont les strips autobiographiques connaissent un grand succès dans les journaux. Marsha, la mère, femme au foyer, est  une épouse modèle. Et leurs quatre enfants Robby, Molly, Mikey et J.T sont d’adorables garnements. Tout va bien donc chez les Fun, tout le monde s’aime et n’arrête pas de se le dire pendant que le sucre et la guimauve dégoulinent et que le lecteur a l’impression d’avoir été projeté dans une pub vantant l’American way of life.

Je vous rassure (ou pas), cette impression ne dure que les cinq premières pages. Parce qu’après les choses se gâtent. Un coup de téléphone annonce le décès de la maman de Robert. Ce dernier sombre dans la dépression, Marsha plie bagage et s’acoquine avec un gourou pendant que les enfants tentent de sauver les meubles. En vain.

J’ai rencontré Benjamin Frisch à Angoulême. Un jeune homme souriant, charmant et affable à qui on donnerait le bon Dieu sans confession. Un jeune homme doux comme son dessin tout en rondeur aux couleurs chaudes. Je ne savais pas alors ce qu’allait donner la lecture de l’album mais après coup, je me dis que ce cher Benjamin cache drôlement bien son jeu. Je ne pouvais pas me douter que ce visage d’ange et ce style « cartoonesque » dissimulaient un humour noir féroce et une critique acerbe du politiquement correct made in America.

Je vais rester évasif pour ne pas trop en dévoiler mais sachez que la famille Fun n’a rien de fun et que sous le verni très hypocrite du « tout le monde est happy » on trouve des névroses corsées et des pathologies plutôt lourdes. Le propos est grinçant et la fin, loin d’apaiser la situation, installe un malaise que je n’avais pas vu venir et que j’ai trouvé très dérangeant.

Une chronique familiale sans concession, portrait au vitriol d’une Amérique rongée par la religion, l’égoïsme et la cupidité. Le décalage entre le dessin tout mignon et les horreurs racontées est à l’évidence la trouvaille la plus remarquable (et la plus efficace) de l’album. Assurément une de mes plus belles surprises de ce début d’année en matière de BD.

La Famille Fun de Benjamin Frisch. Ça et là, 2016. 240 pages. 22,00 euros.










mardi 21 mars 2017

Trois ans de pépites jeunesse, ça se fête !

Trois ans que Noukette et moi avons décidé d’organiser un rendez-vous pour présenter ensemble  (presque) chaque mardi une pépite jeunesse. Un rendez-vous auquel nous tenons beaucoup et une volonté commune de partager nos lectures et de mettre modestement en lumière des titres courts et percutants qui montrent toute la diversité et la vitalité de la littérature jeunesse actuelle.

98 pépites en trois ans donc, et une envie de marquer le coup pour fêter cet anniversaire. Nous étions partis sur l’idée de choisir 10 pépites de 10 auteurs différents mais il nous a été impossible de respecter ce schéma de départ. Nous avons donc décidé de mettre à l’honneur 13 pépites et 13 auteurs qui ont marqués notre rendez-vous. Une sélection forcément subjective mais sur laquelle nous nous accordons en tout point.

Et puisque l’idée de ce rendez-vous est avant tout le partage, nous vous proposons de découvrir ces pépites. Deux exemplaires de chaque sont à gagner. Pour participer, rien de plus simple, il suffit de laisser un commentaire ici ou chez Noukette et de nous préciser si vous avez déjà lu un ou plusieurs titres de la liste. Pour le reste, on s’occupe de tout.

PS : les belges, les suisses, les canadiens et les DOM-TOM sont évidement les bienvenus. Et les résultats seront annoncés le 1er avril, ce n'est pas une blague !



Nos treize pépites incontournables :


La piscine était vide de Gilles Abier
Max et les poissons de Sophie Adriansen
Dans le désordre de Marion Brunet
Traits d’union de Cécile Chartre
La Belle Rouge d’Anne Loyer
Sauveur et fils, saison 1 de Marie-Aude Murail
Ma mère, le crabe et moi d’Anne Percin
A ma source gardée de Madeline Roth
Les fragiles de Cécile Roumiguière
Hugo de la nuit de Bertrand Santini
Ma tempête de neige de Thomas Scotto
Rien que ta peau de Cathy Ytak
Trop tôt de Jo Witek















samedi 18 mars 2017

Les lectures de Charlotte (34) : Le monstre du bain de Colin Boyd et Tony Ross

Vous êtes-vous déjà demandé où allait l’eau sale de votre bain ? La mère de Jackson connaît la réponse : elle est aspirée (à la paille) par un monstre caché sous la baignoire. Un monstre dont cette eau sale du bain est le SECOND plat préféré. Jackson le sait bien et c’est pour ça qu’il se lave tous les soirs, afin de s’assurer que le monstre est repu. Un jour pourtant il décide de ne plus y croire et file se coucher tout crotté. N’ayant rien à se mettre sous la dent, le monstre doit se rabattre sur son PREMIER plat préféré. Et la maman de Jackson trouve le lendemain matin le lit de son fils vide…

Je  vous rassure tout de suite, la chute est très drôle et absolument pas dramatique (en même temps il fallait s’en douter).  L’idée de départ est farfelue et le petit Jackson, garnement espiègle et pas franchement porté sur l’hygiène, plaira à nombre de petits lecteurs. Le dessin reconnaissable entre mille de Tony Ross offre au monstre du bain une bonne bouille, bien plus rigolote qu’effrayante.

Un album qui fait mouche, avec une thématique parlante, un texte savoureux, des illustrations particulièrement expressives et une conclusion aussi inattendue que rigolote. Le genre de petit bonbon à savourer le soir au moment du coucher. Et sans le moindre risque de carie en plus !

Le monstre du bain de Colin Boyd et Tony Ross. Seuil jeunesse, 2017. 32 pages. 12,90 euros. A partir de 3-4 ans.







jeudi 16 mars 2017

Le nom du fils - Ernest J. Gaines

Louisiane, début des années 70. Malgré la fin « officielle » de la ségrégation, la vie est toujours compliquée pour les noirs du sud profond. La lutte pour l’égalité mobilise encore fortement la communauté, notamment dans la petite ville de Sainte Adrienne où officie le révérend Philippe Martin. Un révérend exemplaire, admiré de tous pour son engagement dans la défense des droits civiques. Un révérend dont la vie va basculer le jour où débarque en ville un jeune homme venu de nulle part se faisant appeler Robert X. Le garçon refuse de dire à sa logeuse pourquoi il est là, il passe ses journées à traîner dans les rues et s’attarde souvent devant la maison de la famille Martin. Un soir, invité à une réception, il croise le regard du pasteur. Celui-ci, après l’avoir fixé quelques secondes, est pris d’un étourdissement et s’écroule sous les yeux de ses paroissiens…

Bien que fan absolu d’Ernest J.Gaines, dont j’ai lu tous les ouvrages sans exception, je dois reconnaître que ces dernières productions (« Mozart est un joueur de Blues » et « L’homme qui fouettait les enfants ») laissaient entrevoir un petit coup de mou. C’est donc avec un plaisir non dissimulé que je l’ai retrouvé ici en pleine forme, toujours aussi à l’aise pour faire entendre la voix de ceux qui n’ont pas droit au chapitre et redonner leur fierté aux hommes et femmes du Sud qu’il a côtoyé toute sa vie durant.

Avec « Le nom du fils », il installe une ambiance pleine de tension et de non-dits où un homme persuadé d’avoir trouvé la paix après une jeunesse troublée voit resurgir un passé qui vient ébranler les fondations sur lesquelles il pensait reposer avec force et sérénité. Le dilemme dans lequel s’enfonce le pasteur pousse à la réflexion et soulève des questions à la fois éthiques et intimes. Le texte résonne avec force, porté par des dialogues comme d’habitude plein de vivacité. Et comme d’habitude le drame se noue et les personnages se drapent dans la douleur et la dignité. Un roman sobre et puissant, du Gaines comme je l’aime en sorte.

Le nom du fils d’Ernest J. Gaines. Liana Levi, 2013. 270 pages. 19,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Innganmic.






mardi 14 mars 2017

Phobie - Fanny Vandermeersch

Sophia a connu une scolarité brillante. Jusqu’au collège du moins. Tout avait pourtant bien commencé en 6ème mais peu à peu la machine s’est grippée. Notes en baisse, peur du regard des autres, difficulté à affronter la puberté et un corps qui change, impression d’être invisible pour tout le monde… la jeune fille perd ses moyens et se laisse ronger par l’angoisse. Elle se rend de plus en plus souvent à l’infirmerie, sèche les cours et finit par ne plus pouvoir passer les grilles de l’établissement. Un blocage total et incontrôlable qui la conduira jusqu’à une hospitalisation suite à une crise de panique.

Qu’il est intelligent ce petit roman ! Il aurait été tellement simple de jouer la carte de la dramatisation à outrance, de poser un décor misérabiliste et de dresser le portrait d’une gamine en échec scolaire maltraitée par ses proches et/ou harcelée par ses camarades de classe. Du glauque tire-larmes qui aurait forcément expliqué la phobie. Sauf que Sonia, comme beaucoup d’enfants touchés par ce trouble, a en apparence tout pour être heureuse. Elle a une vie équilibrée, des parents même pas divorcés et un niveau scolaire excellent. Fanny Vandermeersch décrit parfaitement l’enchaînement des événements. Un petit grain de sable dans l’engrenage, le malaise s’installe, l’enfant se referme sur lui-même et se réfugie dans le silence, il se coupe du monde et a honte d’avouer son mal être. Il s’enfonce peu à peu sans vraiment savoir pourquoi. Une chute aussi incontrôlable qu’incompréhensible.

 Les facteurs sont multiples, le premier restant un manque total de confiance en soi. La souffrance n’est pas éludée, la forme du journal intime renforce l’expression de la douleur de Sophia et de ses interrogations, mais le plus important est qu’après avoir touché le fond, elle soit capable de remonter vers la lumière. Sans résoudre le problème d’un coup de baguette magique mais en avançant fébrilement, pas à pas, soutenue par les siens et par une aide extérieure indispensable à sa reconstruction.

On sent que l’auteure connait son sujet, que l’environnement particulier du collège n’a aucun secret pour elle. Tout sonne juste dans ce texte, des réactions de Sophia à celles, pas franchement à la hauteur mais tellement réalistes, de ses parents. A lire et à faire lire, pour comprendre et discuter, pour ne plus laisser tant d’enfants en souffrance.

Phobie de Fanny Vandermeersch. Le Muscadier, 2017. 90 pages. 9,50 euros. A partir de 10 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.













lundi 13 mars 2017

Norwood - Charles Portis

Norwood Pratt se voit en futur star de la country. Même s’il n’est jamais monté sur scène, n’a pour seule richesse qu’une vieille guitare déglinguée et vient tout juste de quitter l’armée pour rentrer au Texas afin de s’occuper de sa sœur après le décès de leur père. A Ralph, le bled paumé où il a vu le jour, Norwood vivote en tant que pompiste. Il s’ennuie ferme surtout. Et depuis que sa frangine a ramené à la maison un gars qu’il ne peut pas blairer, il a des envies d’ailleurs. Alors quand on lui propose de convoyer deux voitures à New-York moyennant finances, il fonce. Surtout qu’un de ses potes troufions, qui lui doit 70 dollars, s’est installé dans la grosse pomme il y a peu. Ce sera l’occasion de faire une pierre deux coups.

Voila donc Norwood au volant d’une bagnole flambant neuve, chapeau de cow-boy enfoncé jusqu’aux oreilles, guitare en bandoulière et sur le siège passager une pute mal embouchée qu’on lui a collé dans les pattes sans lui demander son avis. La voiture est évidemment volée, comme celle qu’il traîne avec une remorque. Commence alors un road trip où galères et rencontres improbables s’enchaînent, du routier parano au nain hâbleur, du poulet savant à la midinette croisée dans un bar miteux.

Charles Portis, célèbre pour son western True Grit, a commis en 1966 cette hilarante parodie de récit beatnik déjanté et un poil foutoir. Un premier roman où l’Amérique profonde en prend pour son garde, mais sans méchanceté. Comment en vouloir à ce grand couillon de Norwood, qui n’a à l’évidence pas inventé l’eau chaude, mais qui prend les choses comme elles viennent, même quand la situation vire au cauchemar ? A croire que les malheurs l’éclaboussent sans le mouiller, que les coups durs s’encaissent les uns après les autres et ne laissent jamais de traces durables. Un benêt pareil, attachant en diable, ne peut qu’attirer la bienveillance.

Les dialogues frôlent parfois l’absurde mais ils sont plein de vivacité et font le sel du roman. Loufoque, farfelu ou burlesque, appelez ça comme vous voulez. Norwood est un texte en roue libre à l’humour pince-sans-rire. Vous pensez bien que j’y ai trouvé mon compte.

Norwood de Charles Portis (traduit de l’anglais par Théophile Sersiron). Cambourakis, 2017. 142 pages. 18,00 euros.







dimanche 12 mars 2017

Le tunnel - Hege Siri et Mari Kanstad Johnsen

Ils s’aiment et sont inséparables. Il a le poil blanc, elle a la fourrure fauve. « Ils creusent un sentier sous le sol. L’un et l’autre, ensemble. Ils tracent leur route ». Jour et nuit ils avancent dans l’obscurité. Parfois ils sortent et gagnent la forêt. Pour manger et boire, fuir un danger, trouver une nouvelle cachette, faire leur toilette. Sous terre ils sont davantage en sécurité. Dehors la grande route les hypnotise. Mais jamais ils ne s’élanceront pour la franchir. Ils se souviennent du chat, de l’écureuil et du renard étendus sur le bitume. Alors ils continuent de creuser, côte à côte. Car rien n’est plus important que rester ensemble quand on s’aime.

Une histoire digne d’une fable, où la sagesse se conjugue à un soupçon de mélancolie. Un couple de lapins qui avance malgré les embûches, trace son chemin au cœur d’un monde hostile et affronte les dangers main dans la main, enfin patte dans la patte. Tout à leur travail, ils discutent, parlent des atouts et handicaps des lièvres par rapport à eux (ils courent plus vite mais creusent moins bien) ou encore des raisons qui les poussent à construire un tunnel sans fin.

Je trouve les illustrations, épurées à l’extrême, d’une grande puissance. Sobriété des images, poésie d’un texte tout en délicatesse et profondeur d’un propos quasi philosophique, il n’en fallait pas pour que je tombe sous le charme de cet album aussi somptueux qu'inclassable.

Le tunnel de Hege Siri et Mari Kanstad Johnsen (traduit du norvégien par J-B. Coursaud). Albin Michel jeunesse, 2017. 40 pages. 11,90 euros. A partir de 5 ans.






jeudi 9 mars 2017

Les animaux de l’arche - Kochka et Sandrine Kao

Ils sont neuf. Dans une cave. Dehors, c’est la guerre. Les balles siffles, les bombes explosent, la ville s’écroule. Dans leur refuge avec matelas, réchaud, lampe à huile et provisions, les habitants de l’immeuble se serrent les coudes, terrorisés. Hommes, femmes, enfants. Khalil, Nabil, Elie, Mourad, Oumayma, Zeynab, Antoine, madame Alberti la centenaire et mademoiselle Razelle. Cette dernière, ancienne institutrice, propose pour s’occuper et donner un peu de vie et de couleurs à un décor sinistre, de refaire sur les murs de la cave la grande arche de Noé. Feutres, feuilles, ciseaux, colle, agrafes, carton, ficelle, clous et magazines animaliers s’étalent alors sur le sol. Méthodiquement, chacun se met à la tâche et les couples d’animaux s’installent sur les murs, faisant oublier pour quelques heures la peur et l’insupportable angoisse du quotidien.

Kochka m’enchante depuis « Le grand Joseph ». Il y a dans son écriture une douceur, une bienveillance et une attention permanente à l’égard de ses personnages qui met du baume au cœur. Sans guimauve, angélisme ni naïveté, elle dit ici l’espoir au milieu de l’effroi, l’infime rai de lumière dans les ténèbres. Au fil des jours et des nuits, faute d’accéder à la paix et à la liberté, les reclus vont convoquer près d’eux l’amour et la fraternité, refusant conflits et tensions au sein de leur petite communauté.

Une réflexion tendre et positive sur l’altruisme et la possibilité d’un avenir malgré l’horreur du présent. Un très beau texte, sur un thème difficile, qui parlera à coup sûr aux jeunes lecteurs auxquels il s’adresse. Cerise sur le gâteau, l’objet-livre est superbe, joliment agrémenté par les illustrations tout en délicatesse de Sandrine Kao.

Les animaux de l’arche de Kochka et Sandrine Kao. Grasset jeunesse, 2017. 92 pages. 15,00 euros. A partir de 8-9 ans.





mercredi 8 mars 2017

Et il foula la terre avec légèreté - Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau

Envoyé par sa compagnie étudier la faisabilité d’une extraction de pétrole au large de la Norvège, Ethan le parisien se retrouve sur les îles Lofoten, près du cercle polaire. Sur place il découvre un univers sauvage et préservé, à mille lieux du fourmillement, du bruit et de la folie de la vie urbaine. Au contact de la population locale, il comprend à quel point le projet qui l’a amené là risque de profondément modifier l’écosystème et  briser l’harmonie d’un des derniers paradis terrestres. Sa mission arrivant à son terme, le jeune homme n’est pas certain de vouloir retrouver la civilisation, il prend conscience qu’un changement de vie est possible, il suffit de le vouloir…

Pour Ethan, c’est une géographie intime qui se bouleverse. L’acclimatation tourne à la fascination, l’objet de sa mission devient secondaire par rapport à la découverte d’un environnement et d’une population dont le rapport au monde s’imprègne d’une vision profondément respectueuse de la nature, de son rythme et de ses richesses. Sans naïveté ni angélisme, en mettant en perspective les différents points de vue, Ethan se remet en question et s’ouvre des perspectives jusqu’alors insoupçonnables.

Un album engagé, inspiré par la vie et l’œuvre du philosophe Arne Naess, fondateur du mouvement de l’écologie profonde. Il y est question de décroissance, de progrès au service de la société de consommation, d’un rejet de la modernité qui ne nie pas pour autant les bienfaits de la technologie. Ni jargon ni discours lourdement politique mais plutôt un voyage intérieur conjuguant moments contemplatifs et bienveillance à l’égard des insulaires.

Les aquarelles de Laurent Bonneau retranscrivent à merveille les silences et la beauté crépusculaire de paysages imposant leur force tranquille et leur sérénité à l’homme. Le rythme est lent, il ne se passe pas grand-chose mais le charme opère. C’est une lecture que j’ai trouvée apaisante, d’où se dégage une certaine forme de poésie. J’ai apprécié cette façon intelligente de pousser la réflexion en laissant une place à la contradiction, autrement dit sans vouloir à tout prix imposer un point de vue que l’on estime indiscutable.



Et il foula la terre avec légèreté de Mathilde Ramadier et Laurent Bonneau. Futuropolis, 2017. 176 pages. 27,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.










mardi 7 mars 2017

Très intime - Solange

Il y a celle qui est restée vierge longtemps, pas par conviction mais plutôt par manque d’occasions. Celle qui s’est épanouie après trente ans de vie commune et un divorce libérateur. Celle qui a trompé son copain « virtuellement » en envoyant des clichés pornos et en entamant une correspondance très érotique avec un inconnu. Celle dont la libido est en berne, qui voit la sexualité comme l’activité la plus ennuyeuse de la terre. Celle qui a eu plus de deux cents amants. Celle qui n’aime que les filles et n’envisage pas un quart de seconde d’essayer quoi que ce soit avec un homme. Celle qui est un garçon manqué, vulgaire et bordélique, qui a trouvé l’équilibre en se mettant à la colle avec un type doux, posé et raffiné. Celle qui a horreur du cuni, celle qui au contraire adore ça et ne tolère pas qu’un gars se montre dégoutté par la pratique alors qu’il n’a jamais essayé. Celles qui repensent à leur premier contact avec un pénis en érection, celles qui ont testé les plans à trois ou la bisexualité, celle qui entre sur la pointe des pieds dans la ménopause, etc.

Vingt femmes de 18 à 46 ans, vingt témoignages. Solange est la confidente, elle questionne peu, écoute beaucoup. La parole est libérée, touchante ou vindicative. On est dans le très intime qui ne bascule jamais dans le graveleux, on n’est pas là pour exciter le lecteur, on n’est pas là pour se marrer ou se moquer mais pour parler de sa sexualité en toute sincérité et en toute simplicité. J’ai adoré la diversité des profils, la diversité des tons aussi. Le niveau de langue est très différent d’une femme à l’autre, de la beurette au langage des cités à la quadra plus posée, de celle qui se qualifie de « bourrine » à la timide qui s’excuserait presque d’avoir si peu de choses à dire sur sa vie sexuelle. Tous les cas sont particuliers mais il n’y a pas de cas « à part », pas de portraits « extrêmes ». Ces femmes sont à la fois uniques et universelles.

Je dois sans doute être un grand naïf mais je suis par contre effaré de constater, comme l’annonce l’auteure en avant-propos, que parmi ces vingt femmes, « sept ont connu une ou plusieurs situations d’abus et/ou de viol. Une sur trois doit composer avec des traumatismes pour la vie. Certaines minimisent si bien ce qu’il leur est arrivé que je me suis presque laissée berner ».

Je ne connaissais pas la québécoise Solange, qui est apparemment assez célèbre (et appréciée) grâce à sa chaîne Youtube. J’avoue qu’au départ je craignais de tomber sur une simple discussion entre copines ou sur la rubrique sexo d’un magazine féminin où s’enchaînent clichés et jugements à l’emporte-pièce. Pour le coup j’ai eu tout faux et c’est tant mieux.

Très intime - Solange. Payot, 2017. 285 pages. 15,00 euros.








lundi 6 mars 2017

Une famille explosive - Yan Ge

« Un foyer reste un foyer et une famille une famille. Tout en concorde, en harmonie, avec ses nettoyages de printemps réguliers ».

Et chez les Xue, le nettoyage s’annonce sévère. Alors que la matriarche s’apprête à fêter ses 80 ans, les événements s’accélèrent. Le fils cadet, patron de l’usine de pâte de piments familiale, a installé sa maîtresse au-dessus de l’appartement de sa mère. Accro au sexe, il multiplie les aventures extraconjugales et va évidemment finir par se faire prendre les doigts dans le pot de confiture. La grande sœur, présentatrice télé, s’apprête à divorcer mais veut cacher la vérité à sa mère jusqu’à la fête d'anniversaire. Quant à l’aîné, professeur à l’université, il n’est toujours pas marié la quarantaine passée et craint les réprimandes maternelles. Car l’octogénaire n’a pas sa langue dans sa poche et terrorise les siens. Il faut dire qu’elle est assise sur un magot conséquent et que personne n’ose lui tenir tête au risque d’être déshérité.

Bienvenue au bal des faux-culs ! Une chronique familiale épicée dans une région de Chine (le Sichuan) réputée pour sa cuisine relevée. Il est d’ailleurs beaucoup question de gastronomie, car c’est souvent autour de la table que se nouent les drames et les intrigues. Le fils cadet est de loin le plus pathétique. Macho, queutard invétéré, alcoolique, d’une vulgarité crasse, c’est LE beauf dans toute sa splendeur. D’ailleurs, naïvement, je ne pensais pas que de tels personnages pouvaient exister en Chine.

Un roman où on lave son linge sale en famille, où chacun règle ses comptes en se cachant derrière une hypocrisie à toute épreuve. De la grand-mère chef de clan à la belle-fille plus intéressée par l’argent de son mari que  par ses infidélités à répétition, il y n’y en a pas un pour rattraper l’autre.

Amateurs de raffinement à la chinoise et d’ambiances tout en délicatesse et en retenue, passez votre chemin. On donne ici dans l’ironie, le mauvais goût et l’ordurier, dans l’excès et le mauvais esprit. Un humour vache et moqueur et une plume outrancière qui, assurément, ne plairont pas à tout le mode. Personnellement, et même si ce n’est pas le roman du siècle,  j’ai passé un savoureux moment auprès de cette famille on ne peut plus dysfonctionnelle.

Une famille explosive de Yan Ge (traduit du chinois par Alexis Brossolet). Presses de la cité, 2017. 320 pages. 20,00 euros.






dimanche 5 mars 2017

Jolly Jumper ne répond plus - Bouzard

Jolly Jumper fait la gueule. Et Lucky Luke se demande bien pourquoi. Voila l’album résumé en deux phrases. Du moins son point de départ. Que dire de plus ?

Ça fait drôle de voir Lucky Luke torse nu et hirsute dès la première case.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke porter une chemise rouge et un foulard jaune (normalement c’est l’inverse).
Ça fait drôle de voir Lucky Luke marcher plus vite que son ombre.
Ça fait drôle de voir Jolly Jumper mutique.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en colère essayer de descendre ce même Jolly Jumper.
Ça fait drôle de voir Lucky Luke en petite forme.
Ça fait drôle de voir le Dalton Averell (vous savez, le plus grand et le plus neuneu) en obèse demandant à ce qu’on lui pose un anneau gastrique.

Pour dire les chose autrement, ça fait drôle de voir un auteur s’emparer d’un personnage aussi mythique et se permettre autant de libertés, de décalages, de pas de coté par rapport à la version originale. Mathieu Bonhomme avait déjà apporté quelques variations dans « L'homme qui tua Lucky Luke » mais Bouzard va plus loin. Il garde l’univers de base, convoque quelques personnages secondaires emblématiques (Ma Dalton ou Phil Defer), mais il jette tous les ingrédients ensemble dans la marmite et les remue sans ménagement.

Ainsi le flegmatique cow-boy solitaire et sûr de lui devient un angoissé du bulbe inquiet de ne pas comprendre ce que lui reproche sa chère moitié, inquiet de voir que son jean lui fait de gosses fesses, inquiet de ne pas trouver un bon plan pour mener sa mission à bien, bref un pauvre homme pétri d’incertitudes (et au QI assez limité aussi, il faut bien le reconnaître).

Bouzard se lâche, donc. Égal à lui-même oserais-je dire. Et pour un fan de Lucky Luke comme moi (j’ai tout lu, sauf les albums scénarisés par Laurent Gerra, il y a des limites quand même) le choc est violent. Heureusement je suis bon client avec l’humour absurde, les jeux de mots pourris (les Dalton daltoniens, fallait le trouver) et ce graphisme très relâché (pour ne pas dire plus) qui m’a rappelé le Jack Palmer de Pétillon.

Bref, gros kiffe en ce qui me concerne pour ce Lucky Luke à la mode Bouzard qui, je ne n’en doute pas une seconde, filera la nausée à certains puristes de la première heure amoureux du duo Morris/Goscinny.

Un grand merci à la très chère personne qui a pensé à moi après l’avoir lu et me l’a gentiment offert, avec en bonus dans l’enveloppe un présent inestimable. Comprenne qui pourra…

Jolly Jumper ne répond plus de Bouzard. Lucky Comics, 2017. 48 pages. 14,00 euros.






samedi 4 mars 2017

Les lectures de Charlotte (33) : Le chat le plus mignon du monde - Vincent Pianina

- Est-ce qu’on peut avoir un petit chat ? 
- Non !

Mille fois la fillette a posé la question, mille fois ses parents ont répondu non. Jusqu’au jour où, enfin, le non est devenu oui. Alors tout le monde est monté dans la voiture, direction l’animalerie. Sur place, un seul critère a guidé le choix de la famille : le chat devait être MIGNON ! « On est tombés sur le plus mignon des mignons alors c’est lui qu’on a voulu ramener à la maison ».

Arrivé dans son nouveau chez lui, le chaton joue, mange et fait des câlins, comme tous les chatons. A une différence près : jamais il ne montre sa trombine. « Mince, c’est vrai ça ! On n’avait pas pensé à le regarder bien en face, notre petit chat… il était déjà tellement mignon de dos ». Et le pire, c’est que le chenapan use de tous les stratagèmes pour ne pas se laisser regarder de face. Pourquoi tant de coquetterie ? Mystère…

Un album au ton décalé et à la loufoquerie assumée. C’est vif et coloré, on frôle parfois l’absurde, les doubles pages sous forme de listes insérées au fil de l’histoire offrent des ruptures rigolotes sur lesquelles on s’attarde longuement et la chute fonctionne à merveille. Bref, on se régale de bout en bout.

C’est simple, « Le chat le plus mignon du monde » est devenu le livre de chevet de Charlotte. Chaque soir, on n’y coupe pas. A force, ma femme et moi le connaissons par cœur et la pépette aussi, à tel point qu’elle se marre toujours aux mêmes endroits, c’est devenu un rituel où la lassitude n’a pas (encore) sa place. Rares sont les livres qui lui ont fait un tel effet. A bon entendeur...

Le chat le plus mignon du monde de Vincent Pianina. Thierry Magnier, 2017. 48 pages. 12,50 euros. A partir de 3-4 ans.




jeudi 2 mars 2017

Chiisakobé T2 - Minetarô Mochizuki

Après l’incendie de l’entreprise familiale et la mort de ses parents, le charpentier Shigeji tente de maintenir à flot la société sans aide extérieure. Mais les temps sont durs et ses meilleurs ouvriers, attirés par les salaires plus lucratifs de la concurrence, le laissent en plan alors que les chantiers en cours sont loin d’être achevés. Parallèlement, le jeune homme continue d’entretenir une relation ambigüe avec Ritsu, une amie d’enfance qu’il a engagée comme cuisinière et femme de ménage. Les orphelins turbulents recueillis par cette dernière logent dans la maison de Shigeji , qui semble enfin s’intéresser à eux. Et si Ritsu ne parvient pas vraiment à dompter les garnements, ce n’est pas le cas de leur enseignante Yûko, que le charpentier semble de plus en plus apprécier.

Un triangle amoureux tout en suggestion se noue au fil de ce second tome. Entendons-nous, rien n’est clairement exprimé, Shigeji le taiseux et Ritsu la timide n’étant pas du genre à s’épancher. Plus en retrait, Yûko n’en reste pas moins présente et son mutisme en dit bien plus que de longs discours.

Un manga inclassable au charme indéfinissable. Il ne se passe pas grand chose, tout est question d’atmosphère. La narration extrêmement sobre porte le récit, les gros plans sont d’une grande expressivité et le langage corporel est fondamental, chaque infime mouvement se chargeant de sens. Les silences s’imposent avec naturel et sont sources de communication, tout comme l’inclinaison d’une tête, la fuite d’un regard ou la moindre posture. Je crois que c’est pour cela que j’adore cette série, sous ses airs de rien, elle dit la complexité des sentiments avec une profondeur qui force l’admiration.

La ligne claire de Mochizuki ne s’embarrasse pas de trames ou de décors surchargés. C’est dans l’épure que son art se déploie avec finesse. Une façon unique de parler aussi bien de l’amour que du deuil, de l’enfance en danger ou de l’artisanat et des traditions.

La série compte en tout quatre tomes, les deux derniers m’attendent sagement depuis quelques temps mais il se pourrait bien que je les ai engloutis au moment où vous lirez ces lignes.

Chiisakobé T2 de Minetarô Mochizuki. Le Lézard Noir, 2016. 215 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec A Girl From Earth.






mercredi 1 mars 2017

Les voyages d’Ulysse - Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet

Le peintre Jules Toulet, à la recherche de sa muse, quitte Istanbul sur un navire baptisé L’Odysseus après savoir été accepté à bord par la capitaine Salomé Ziegler. Cette dernière, séduite par ses toiles, espère surtout que son « invité » pourra l’aider à retrouver Ammôn Kasacz, le plus grand peintre actuel de la Rome antique dont personne n’a de nouvelles depuis des années. Car Jules possède un carnet de croquis réalisés par Kasacz, un carnet qui pourrait permettre à Salomé de remonter la piste menant à celui qui la fascine tant, sans que l’on sache réellement pourquoi.

L’obsession de Salomé  pour Kasacz est au cœur de l’album. Sa quête est liée à un drame de son enfance, point de départ de son parcours jusqu’à la barre de l’Odysseus. Grâce à de nombreux flashbacks, on comprend le destin tragique d’une jeune femme qui avait au départ tout pour être heureuse mais qui a dû faire face à de douloureuses épreuves.

Un plaisir de retrouver le trait fascinant de Lepage. Du moins au départ. Parce que son retour à la fiction après d’excellents reportages dessinés (Un printemps à Tchernobyl, Voyages aux îles de la désolation et La lune est blanche) ne m’a pas emballé plus que ça. La faute à un scénario que j’ai trouvé bancal. Tout se focalise sur Salomé et son histoire, la relation avec Jules Toulet, à la base riche de promesses, est à peine effleurée, tout comme la quête de sa muse, résolue assez artificiellement  en deux coups de cuillère à pot. La balance n’est donc pas du tout équilibrée entre les deux personnages. Et puis cette fiction reste d’un classicisme « romanesque » sans véritable surprise, jouant sur un registre émotionnel convenu et sans surprise. Loin, très loin des réflexions profondes et intimes du voyage à Tchernobyl par exemple.

Après, force est de reconnaître que l’objet-livre est splendide et que le dessin de Lepage, surtout au cours des séquences maritimes, est à tomber par terre. Magnifiques également les illustrations de René Follet, devenues pour les besoins de l’album les œuvres du fameux Ammôn Kasacz et insérées au fil des pages. Rien à dire sur la forme donc, à part une admiration sans borne pour le travail d’un dessinateur incroyable. Mais au niveau du fond, je suis loin d’y avoir trouvé mon compte.

Les voyages d’Ulysse d’Emmanuel Lepage, Sophie Michel et René Follet. Éditions Daniel Maghen, 2016. 270 pages. 29,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec la douce Moka.














mardi 28 février 2017

Théo chasseur de baignoires en Laponie - Pascal Prévot

Théo veut suivre les traces de son père et devenir chasseur de baignoire. Un métier à risques qui fait voyager à travers le monde, un métier bien plus mouvementé que celui de son grand-père qui n’était qu’un pauvre accordeur de fermetures éclair. Comment ça vous ne saviez pas que l’on chasse les baignoires ? C’est pourtant connu, certaines baignoires retournent à l’état sauvage et deviennent férocement dangereuses, au point parfois d’avaler ceux qui les approchent de trop près. D'où l'importance de les neutraliser !

D’ailleurs Théo et son père viennent d’être engagés pour une mission des plus périlleuses. Le Comte Krolock Van Rujn a fait appel à eux car une des baignoires de son immense château en Laponie sème la terreur. Pire encore, toute la salle de bain a été contaminée, elle a subitement disparu et se déplace dans le château comme bon lui semble. L’heure est grave car si les autres baignoires du manoir décident à leur tour de se faire la malle, la situation va devenir incontrôlable.  

Un grain de folie parcourt ce petit roman de la première à la dernière page. Le point de départ est ÉNORME et pas forcément évident à accepter mais en passant outre cette énormité (en gros si l’on accepte le fait que la proie à capturer est une baignoire sauvage), on plonge avec délice dans un récit d’aventure relativement classique avec son lot de situations tendues, voire dangereuses, mais aussi une bonne dose de suspens et un rythme qui jamais ne faiblit. Sans compter, ce qui ne gâche rien, que Théo est un petit gars attachant, son père un baroudeur aux souvenirs tous plus loufoques les uns que les autres et que la famille du comte vaut son pesant de cacahuètes.

Au final, sous ses airs délirants, cette chasse à la baignoire menée de main de maître ravira à coup sûr les amateurs d’action et d’humour. Autant dire une très grande majorité de petits lecteurs !


Théo, chasseur de baignoires en Laponie de Pascal Prévot. Éditions du Rouergue, 2016. 128 pages. 8,50 euros. A partir de 9 ans.


Une nouvelle pépite jeunesse que j'ai le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 27 février 2017

Mascarade - Ray Celestin

C’était le roman parfait pour une semaine de vacances. Un gros pavé que je ne voulais pas laisser traîner et une histoire pas compliquée mais riche de tellement de personnages qu’il valait mieux avoir un peu de temps devant soi pour l’engloutir d’une traite et ne pas perdre le fil.

Chicago, fin des années 20. Ida Davis et Michael Talbot, détectives de la célèbre agence Pinkerton, sont engagés par une femme de la haute société pour retrouver sa fille et son futur gendre qui viennent de disparaître la veille de leur mariage. Parallèlement, un photographe de la police cherche à résoudre le meurtre d’un gangster blanc retrouvé dans une ruelle du quartier noir tandis que débarque en ville un homme chargé par Al Capone de faire la lumière sur une tentative d’empoisonnement au champagne frelaté visant les personnes les plus influentes de la ville, qu’il avait conviées dans l’un de ses hôtels. Trois intrigues à priori sans rapport qui vont pourtant peu à peu s’entremêler et rapprocher les différents protagonistes, pour le meilleur et surtout pour le pire.

Mafia, prohibition, jazz, corruption, règlements de compte à coup de sulfateuse et figures mythiques du banditisme, Ray Celestin tricote un canevas sans faille dont les mailles se resserrent jusqu’à l’imparable dénouement. Un bonheur de retrouver Ida, Michael et le grand Louis Armstrong, découverts dans Carnaval, le premier volet de cette série de quatre romans dont l’ambition est de retracer « l’histoire du jazz et de la mafia pendant cinquante ans au 20ème siècle ». Après la Nouvelle Orléans et Chicago, le prochain se déroulera à New-York dans les années 40.

L’auteur propose une fois de plus un récit très documenté, mêlant personnages réels et héros de fiction. Son écriture nerveuse et cinématographique offre un rythme effréné ne souffrant d’aucun temps mort. Dialogues au cordeau, tension, violence, drames, scènes d’action hyper visuelles, tout y est. Un polar solide donc, qui se déguste cul sec, rugueux et gouleyant comme un bon vieux whisky de contrebande.

Mascarade de Ray Celestin. Le Cherche Midi, 2017. 565 pages. 21,50 euros.





samedi 25 février 2017

Le goût du Kimchi - Yeon-sik Hong

Madang et sa femme déménagent à la campagne pour offrir à leur petit garçon d’un an un cadre de vie plus épanouissant  que la grande ville. Après un rude hiver, la famille trouve ses marques, installe un potager et découvre des voisins toujours prêts à donner un coup de main. Mais le quotidien de Madang est perturbé par l’état de santé de ses parents. Cloîtrés à Séoul dans un appartement en sous-sol, presque sans ressources, ils n’ont plus la moindre activité. Le père boit comme un trou et la mère passe ses journées à dormir. Quand cette dernière enchaîne les hospitalisations, Madang et son frère peinent à régler les frais de santé. Tiraillé entre sa vie de famille à la campagne et sa volonté de ne pas délaisser ses parents, le jeune homme a de plus en plus de mal à assumer ses responsabilités.

Un gros pavé de 360 pages en noir et blanc qui m’a ému au-delà de ce que j’aurais pu imaginer. Madang est partagé entre deux mondes. Celui de la maison qui lui est si précieux et qu’il veut protéger coute que coute et celui des contraintes liées à l’état de ses parents. Avec eux il doit se rendre disponible alors que son travail lui prend beaucoup de temps (il est dessinateur de BD), supporter leur humeur infecte et les soutenir financièrement malgré ses faibles moyens, quitte à s’endetter pour régler leurs factures.

La réflexion sur le vieillissement est profonde et touchante. Le fils n’abandonne pas ses aînés mais il refuse de les laisser entrer dans sa sphère privée (impossible de se résoudre à les accueillir chez lui par exemple, car il sait que ce serait la fin de « son monde »). Au-delà, il pense à sa propre vieillesse, à la charge qu’il risque de devenir pour son fils. Son frère le persuade que la santé est leur bien le plus précieux et qu’il faut tout faire pour la préserver. Des flash-back ramènent Madang à son enfance, plus particulièrement aux délicieux repas que sa mère lui préparait. La cuisine devient une madeleine de Proust lui donnant plaisir et sourire, une éclaircie bienvenue dans un quotidien plein de nuages.


Le dessin est simple et va à l’essentiel, la narration est d’une redoutable efficacité et le noir et blanc donne au récit une sobriété bienvenue. Un album dont je n’attendais rien de particulier et qui a fait vibrer en moi une corde très sensible, me rappelant de douloureux et récents souvenirs.  Je ne sais pas si l’histoire est autobiographique mais je l’ai trouvée d’une pudeur, d’une dignité et d’une honnêteté exemplaires. Sans aucun doute une des plus belles et inattendues découvertes de ce début d’année en matière de BD.

Le goût du Kimchi de Yeon-sik Hong (traduit du coréen par Mélissa David). Sarbacane, 2017. 360 pages. 19,50 euros.




jeudi 23 février 2017

Défaite des maîtres et possesseurs - Vincent Message

Pour une fois (enfin j’espère que ce n’est pas le cas d’habitude), je vais faire un billet nébuleux. Ne rien dire du tout de l’histoire parce qu’il serait vraiment dommage de la déflorer. D’ailleurs celle qui m’a offert ce livre m’avait prévenu : « Lance-toi sans rien savoir, ne lis surtout pas la quatrième de couv ». Alors comme je suis un élève studieux j’ai respecté les consignes et je me suis jeté dans ce texte à l’aveugle.

Au début la déstabilisation a été totale. C’est simple, je n’ai rien compris. Qui est le narrateur, de quoi parle-t-il ? Où sommes-nous ? À quelle époque ? Que s’est-il passé pour que l’on en arrive là ? Le flou complet ! Je suis heureusement assez vite retombé sur mes pieds. Une grosse louche de dystopie, une fable philosophique qui ne dit pas son nom, une dénonciation de notre rapport aux animaux, une interrogation sur la notion de responsabilité, une réflexion sur la loi du plus fort qui finit toujours par desservir ceux voulant l’appliquer… rien que ça oui.

C’est donc particulièrement dense, assez perché, et le raisonnement est très construit. Trop même. Le narrateur théorise énormément, j’ai parfois eu l’impression d’être dans un essai plutôt que dans un roman. Il donne beaucoup d’explications, absolument nécessaires, j’en conviens, mais qui nuisent à la fluidité de l’histoire en elle-même. Une histoire qui avance d’ailleurs peu. Ou très lentement. Et puis c’est bien trop psychologique pour moi. Et trop politique aussi (les débats au parlement m’ont assommé).

Après, je suis obligé de reconnaître que le propos est solide, cohérent, engagé et pertinent. C’est un roman culotté, ambitieux, qui ne se cache pas comme tant d’autres derrière son petit doigt. Rien que pour cela j’admire la démarche et la prise de risque. Mais ce n’était tout simplement pas un roman pour moi, ce qui en soi n’a rien de dramatique. Même si je sais que celle qui a eu la gentillesse de me l’offrir aurait préféré que je l’adore. On va dire que ce n’est que partie remise.

Défaite des maîtres et possesseurs de Vincent Message. Seuil, 2016. 300 pages. 18,00 euros.




mercredi 22 février 2017

Les deux vies de Baudouin - Fabien Toulmé

Je suis rentré dans cet album sur la pointe des pieds. D’abord parce que Fabien Toulmé m’avait bouleversé avec son livre précédent et que je ne voyais pas comment il pourrait maintenir la barre aussi haut. Ensuite parce qu’à la lecture du pitch, j’ai craint le pire. Je vous explique :

Baudouin est juriste pour une grosse boîte dans une tour de la Défense. Célibataire, sans enfant ni amis, il se tue au boulot et passe ses soirées en tête à tête avec son chat. Le retour de son frère du Bénin pour quelques semaines bouscule un peu son quotidien. Médecin dans l’humanitaire, Luc est un baroudeur, un séducteur qui brûle la chandelle par les deux bouts. Quand Baudouin apprend qu’une tumeur ne lui laisse que quelques mois à vivre, son frangin le persuade de tout plaquer pour l’accompagner en Afrique et profiter de la vie avant qu’il ne soit trop tard.

Ce pitch m’a fait tiquer. Le condamné à mort à l’existence triste qui décide de vivre enfin pleinement avant de casser sa pipe, c’est du vu et revu. En plus d’être plombant, le risque était grand d’enfiler les clichés comme des perles. D’ailleurs j’ai trouvé certains personnages plutôt caricaturaux (les parents notamment). Pour autant, mes craintes se sont assez vite évaporées. D’abord parce que Toulmé prend son temps, il déploie son histoire sur près de 300 pages, ce qui lui permet de donner une véritable épaisseur à son « héros ». En insérant de petits flashback sur l’enfance et l’adolescence de Baudouin entre chaque chapitre, il nous offre une vision bien plus large, bien plus dense de son parcours.

Ensuite parce qu’il ne simplifie pas les choses, il n’est pas non plus dans le jugement, il incite plutôt à la réflexion de manière assez universelle, au-delà de la situation particulière de son personnage, poussant le lecteur à s’interroger sur la priorité souvent donnée à la stabilité au dépend de l’épanouissement. Enfin, il ménage ses effets et surprend avec une conclusion que je n’avais pas vue venir.

Niveau dessin, j’étais en terrain connu. C’est simple et sans fioriture, la priorité étant donnée à la lisibilité. Mention spéciale aux couleurs de Valérie Sienno qui jouent sur le contraste saisissant entre le gris triste de Paris et la luminosité chaleureuse de Cotonou.

Les deux vies de Baudouin est donc un récit intelligent et malin qui ne cherche à aucun moment à faire vibrer artificiellement la corde sensible. Touchant mais jamais gnangnan (égal à lui-même en quelque sorte),  l’auteur de Ce n’est pas toi que j’attendais transforme brillamment l’essai, certes en changeant de registre et en s'éloignant de l'autobiographie, mais en gardant cette petite musique si caractéristique qui n’appartient qu’à lui et que j’apprécie tant.

Les deux vies de Baudouin de Fabien Toulmé. Delcourt, 2017. 275 pages. 25,50 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.











mardi 21 février 2017

Y a pas de héros dans ma famille - Jo Witek

« Un héros n’est pas forcément quelqu’un qui a une médaille, un trophée ou une cape de Zorro. »

Maurice Dambek et Mo sont une seule et même personne. Le premier est le nom officiel de l’élève studieux et poli apprécié par sa maîtresse de CM2, Mme Rubiella. Le second est un surnom, celui utilisé par sa famille pour qualifier le petit dernier de la fratrie. A l’école, « on se tient bien, on parle comme dans les livres, on entend les mouches voler ». A la maison (ou plutôt dans le minuscule appartement où l'on s'entasse à six, plus les deux chiens), « ça parle fort, ça hurle, du dedans et du dehors, ça dit des gros mots ». Loin de sombrer dans la schizophrénie, Maurice s’est habitué à ses deux identités, il a construit des barrières infranchissables entre ses deux mondes et il lui parait naturel de passer « deux fois par jour et cinq jours par semaine » la frontière d’un pays à l’autre.

Mais quand Mo se rend chez son ami Hippolyte et voit sur le mur les photographies de ses ancêtres (un grand chirurgien humanitaire, un prix Nobel de physique, un acteur célèbre, etc.), il a soudainement honte de sa propre famille et commence à s'en éloigner. Parce que chez lui, il en est certain, il n’y pas de héros mais que des zéros.

Un roman pétillant et un narrateur plein de gouaille à la naïveté touchante. Jo Witek a pris le temps de donner corps à sa famille de bras cassés (mère au foyer, père au chômage, frères flirtant avec la délinquance et sœur fashion victim), ne laissant personne dans la superficialité, offrant au contraire à chacun une densité, une épaisseur qui le rend attachant. C’est vivant, drôle et rythmé, les dialogues claquent sans langue de bois, les interactions fonctionnent comme une mécanique bien huilée et rien ne sonne faux. Un texte positif et plein d’humanité, je me suis régalé.

Y a pas de héros dans ma famille de Jo Witek. Actes Sud junior, 2017. 134 pages. 13,50 euros. A partir de 9 ans.


Une pépite jeunesse que j'ai évidemment le plaisir de partager avec Noukette.











lundi 20 février 2017

Le promeneur d’Alep - Niroz Malek

Il y a celle qui se trouve au loin, celle qui « a laissé un très beau baiser sur [son] cou, un autre sur [sa] bouche et un troisième sur [son] épaule ». Il y a ces gens qui coupent les arbres dans les parcs et les jardins publics pour se chauffer. Il y a les amis qui sont partis, se sont dispersés et sont maintenant « des expatriés, des bannis, des migrants, des exilés ». Et « ceux qui sont morts de toutes les manières possibles ». Il y a ce garçon trisomique fauché par une rafale de mitraillette. Il y a cet amour d’enfance « tuée par la balle d’un sniper ». Il y a ce soldat qui voudrait que le poète écrive une lettre d’amour à sa fiancée. Et tout autour il y a Alep en ruine, Alep en guerre, Alep martyrisée qui baigne dans le sang.

Niroz Malek n’a pas voulu quitter sa ville. Il arpente ses rues, passe les barrages, vit avec les coupures d’électricité, le bruit des déflagrations, les murs qui tremblent après une explosion. Il vit la peur au ventre, croise des fantômes, attend le retour de sa femme emprisonnée, retrouve des connaissances au café et traverse la cité malgré les dangers.

Le promeneur d’Alep, c’est un peu Delerm sous les bombes. Une écriture minuscule, une succession de tableaux pour dire les petits riens d’une existence sous la mitraille. Ce sont les mots d’un homme traumatisé par les atrocités mais qui refuse de les décrire de façon brutale et réaliste. Son témoignage est avant tout poétique, aussi sensible que bouleversant, sans jamais tomber dans le pathos ou le larmoyant. Il décrit des ambiances, un cheminement de l’esprit  perturbé par un environnement des plus anxiogènes. Et pourtant cette description du quotidien garde en permanence une petite note lumineuse, une sorte de minimalisme solaire qui traverse chaque texte et transcende l’horreur pour extirper la beauté des décombres. Comme pour apaiser les plaies béantes de la guerre avec la force de l’écriture.

Le promeneur d’Alep de Niroz Malek (Traduit de l’arabe par Fawaz Hussein). Le Serpent à plumes, 2015. 155 pages. 16,00 euros.  



Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec ma chère Moka.



dimanche 19 février 2017

Le monde d’après - Jean-Christophe Chauzy

Encore du post-apocalyptique. Après Dans la forêt et Sweet Tooth, j’enchaîne avec une autre vision de fin du monde. A croire que je deviens nihilisite…

Des tremblements de terre partout en Europe ont provoqué des dégâts irréversibles et la civilisation vacille. Marie, prof de français en vacances avec ses deux enfants, se retrouve coincée dans les Pyrénées, dans une vallée isolée entre Bagnères-de-Luchon et le col de Peyresourde. Décidée à rejoindre son ex-mari en Espagne, elle s’équipe et entraîne sa progéniture dans une fuite éperdue pleine de dangers.

Le premier tome de ce diptyque posait le cadre du récit (la catastrophe, la prise de conscience de son ampleur, la sidération, la remobilisation, l’organisation concrète d’une vie loin des balises habituelles, les premiers réflexes de survie). Avec ce second volume, on suit Marie et ses enfants dans leur voyage vers la mer, là où ils pensent trouver un environnement plus calme et plus accueillant. Le cheminement est périlleux, loin des rôdeurs et des pilleurs, dans des maisons abandonnées, avec pour seule nourriture quelques boîtes de conserves trouvées dans des supermarchés en ruines. La faim, le froid, la peur, la fatigue, le moral en berne… la situation se détériore au fil des pages pour devenir franchement dramatique. Chauzy n’épargne pas ses personnages, il livre une vision sans concession du chaos, d’un retour à la sauvagerie qui éloigne toute forme d’humanité. Ne plus faire confiance à personne, tuer ou être tuer, avancer coûte que coûte, ne plus penser au passé et à ce qu’il avait de rassurant, garder espoir malgré tout… la tâche est difficile, voire insurmontable.

Le propos est d’une noirceur totale, même si la fin laisse une porte entrouverte vers un avenir possible. C’est donc une lecture plutôt plombante, sublimée par un dessin au cordeau, des cadrages vertigineux et des paysages de désolation d’une surprenante beauté.

Aucun doute, les amateurs du genre seront conquis. Et pour moi qui suis loin d’en être un (d’amateur du genre), la plongée au cœur du désastre se sera révélée aussi intense que dérangeante.

Le monde d’après de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2016. 110 pages. 18,00 euros.






vendredi 17 février 2017

Quelques jours dans la vie Tomas Kusar - Antoine Choplin

C’est la petite histoire d’un cheminot confronté à la grande Histoire. C’est la petite histoire d’un garde barrière de Trutnov (Tchécoslovaquie) amoureux de la nature. C’est la petite histoire de sa rencontre avec un dramaturge dénommé Vaclav Havel, dissident du régime et futur président de la république. C’est l’histoire de leur amitié, de leurs années de cheminement côte à côte, de leur implication respective (évidemment plus intense pour l’un que l’autre) dans la révolution qui va bouleverser leur pays. C’est l’histoire de quelques jours dans la vie de Tomas Kusar par Antoine Choplin et comme d’habitude, je suis ressorti de ce roman admiratif et sous le charme.

Tout ce que j’aime chez Choplin est ici présent. La résistance, l’art, le portrait d’un homme de l’ombre, le portait d’un homme de peu, fragile comme la flamme vacillante d’une bougie au cœur de la noirceur du drame. L’écriture est toujours aussi dépouillée, le rythme lent et contemplatif, les silences omniprésents. Et toujours également ce respect absolu de l’écrivain pour ses personnages, cette tendresse et cette affection sincères qu’il leur porte en permanence, sans les ménager pour autant.

Tomas Kusar, tout en dignité, en justesse et en sobriété, entre en lutte à sa façon contre l’arbitraire. De son côté Vaclav Havel n’est pas un idéologue « prosélyte ».  Il accompagne Tomas, l’initie à l’art, à la culture, participe à l’éveil de sa conscience politique et de son esprit critique. L’intellectuel engagé ne prend jamais le cheminot de haut, la condescendance n’ayant pas sa place dans leur relation. Un récit d’amitié et de fraternité simple et humble, comme une main tendue vers un engagement qui dépasse les clivages sociaux. C’est juste et touchant, il n’y a pas un mot de trop. C’est du Choplin pur jus.

Quelques jours dans la vie Tomas Kusar d’Antoine Choplin. La fosse aux ours, 2017. 218 pages. 18,00 euros.











jeudi 16 février 2017

Le petit oiseau, la vache et le renard - Mathis

Mathis ne va jamais là où on l’attend. C’est sans doute pour ça que j’apprécie autant cet auteur. Prenez ce petit album qui ne paie pas de mine. Dessin rigolo en couverture, fond vert pomme et titre qui pourrait faire penser à une fable de La Fontaine. On découvre à l’intérieur que l’histoire est bien tirée d’une fable, mais d’une fable Tibétaine.

Première page, le petit oiseau, seul dans son nid, a froid (trop mimi se dit le lecteur). Deuxième page, en cherchant sa maman il se penche et tombe du nid (pauvre petit oiseau se dit le lecteur). Troisième page, en plus d’avoir froid, il a mal à la tête et il pleure (pauvre, pauvre petit oiseau se dit le lecteur). La suite ? Pas question de vous la raconter. Je vous donne juste les morales de la fable (il y en a trois), parce qu’elles valent leur pesant de cacahuètes et en disent bien plus qu’un long discours :
« Trois moralités à cette histoire. 
Celui qui te met dans la merde ne te veut pas forcement du mal. 
Celui qui t'en sort ne te veut pas forcément du bien.
Quand tu es dans la merde... ferme ta gueule. »

Bon, dans le livre, ce n’est pas tourné de façon aussi explicite (grossière diront certains) mais dans l’esprit, c’est exactement ça. Alors, la question est, est-ce que c’est un livre pour les tout petits ? Euh… A vous de voir. Personnellement, j’aurais tendance à dire oui. Même sans le second degré nécessaire pour prendre un minimum de recul, même si la cruauté de l’histoire risque d’en laisser plus d’un comme deux ronds de flan. Parce que c’est un texte issu d’un corpus traditionnel qui mérite d’être connu et surtout parce que l’adulte lecteur a un rôle d’accompagnateur et de médiateur essentiel pour présenter et expliquer les choses, notamment que la morale d’une histoire n’est pas toujours celle que l’on croit.



En plus, même prise au premier degré, cette fable et son traitement graphique vont faire rire, c’est certain. Après tout il n’y a pas d’âge pour s’initier à l’humour noir. Je vais très vite tester avec ma pépette de quatre ans et je pense qu’elle sera bon public, même pour un album aussi décalé. Et si ce n’est pas le cas, on le laissera de côté pour le reprendre dans quelques temps, quand elle sera davantage prête à s’y plonger.

Le petit oiseau, la vache et le renard de Mathis. Thierry Magnier, 2017. 24 pages. 12,00 euros. A partir de ???? ans.