dimanche 23 novembre 2014

La guerre des bisous

Parce que Montreuil approche à grands pas, je vais me focaliser cette semaine sur quelques nouveautés en littérature jeunesse. On commence en douceur avec un album plein de bisous.

La guerre des bisous a commencé quand Lili a embrassé Jojo sur la bouche. Un bécot. Un gros bécot ! Dounia a cafté et pour la peine, Thomas lui a fait un bisou. « Du coup, Julie, jalouse, a fait un bisou à Arthur qui a fait un bisou à Rayan, parce que y a pas de raison ! ». Puis c'est Aboubacar qui a embrassé la maîtresse et la directrice qui a embrassé Monsieur Bernard, le surveillant. A partir de là, tout est parti en sucette et le monde entier a été contaminé par une incontrôlable épidémie de bisous.

Oh la belle maladie que voilà ! Le battement d'ailes de deux enfants qui s'embrassent et c'est toute la terre qui s'embrase. A chaque page, le virus se répand un peu plus. Mais en bas de chaque page, dans le coin gauche, il y a un petit rabat. Sous ce rabat on retrouve Lili et Jojo. Pendant que la guerre des bisous s'étend, ces deux-là sont dans leur bulle. Ils ont déclenché les hostilités mais depuis, ils sont seuls au monde. L'événement à beau être planétaire, ils n'en font plus partie. Parce qu'ils s'aiment et que quand on s'aime, rien d'autre ne compte.

Malgré les apparences, Vincent Cuvellier a voulu écrire sur l'intimité. La vraie histoire est muette, c'est celle de Lili et Jojo, en bas à gauche de chaque page, sous ce petit rabat derrière lequel ils vont pouvoir s'isoler de la folie ambiante. Les illustrations de Suzanne Arhex, pleines de spontanéité, possèdent le coté naïf et nerveux qu'avaient les premiers Tom-Tom et Nana. Un très joli album, frais et léger, qui fait du bien. Autant en profiter, surtout par les temps qui courent.

La guerre des bisous de Vincent Cuvellier et Suzanne arhex. Gallimard, 2014. 24 pages. 13,90 euros. A partir de 5 ans.







vendredi 21 novembre 2014

Le puits - Ivan Repila

Je n’ai pas l’habitude de le faire, mais pour une fois je vais spolier à mort. Difficile de comprendre ce que j’ai ressenti en lisant cet OVNI si on ne connait pas l’ensemble de l’histoire. Je m’en excuse par avance mais je suis incapable de procéder autrement. Je précise d’emblée que ce livre, on me l’a prêté. Je n’en avais jusqu’alors jamais entendu parler. C’est un tout petit fascicule d’une centaine de pages. Dans la préface, Zoé Valdes s’extasie devant cette œuvre qu’elle place « au panthéon des Jules Verne, Alain Fournier et autres Antoine de Saint-Exupéry ». Franchement, je n’ai rien vu de tout ça.

Dès la première page, nous sommes avec deux frères prisonniers d’un puits. On ne sait pas où ils sont, on ne sait pas quand l’histoire se déroule, on ne sait pas comment ils s’appellent ni comment ils sont arrivés là. Il y a juste « le grand » et « le petit », coincés dans un trou sans aucune possibilité de s'en échapper. J’ai compris que les numéros des chapitres, s’enchaînant sans suite logique (2-3-5-7-11-13-17-19-23…), devaient correspondre aux jours qui passent. Pour info, le dernier chapitre est le 97…

Les jours passent, donc, et les enfants se nourrissent de vers et de racines. Ils s’occupent comme ils peuvent, dorment affreusement mal, dépérissent peu à peu. Dans ce huis clos irrespirable, le petit sombre peu à peu dans la folie. Tous deux pensent au meurtre, au cannibalisme, à cette faim qui les ronge, à cette liberté semblant à jamais perdue. Et pendant ce temps, personne ne leur vient en aide, personne ne semble même les chercher. A la fin, le petit s’en sort. Mais pas le grand. A la fin, le petit se venge. Mais je ne vous dirais pas comment. A la fin, j’ai refermé le livre en me demandant à quoi cela pouvait bien rimer.

Le puits, premier roman d’un auteur espagnol né en 1978, est pour moi un texte archi-dérangeant. Parce que je n’ai pas vu le sens, et j’aime trouver du sens quand je lis. Parabole, allégorie, fable sans morale ? Démonstration de ce que peut être la fraternité au sens le plus noble du terme ? Je cherche encore. J’accepte tout à fait de reconnaître que je n’ai rien compris mais alors qu’on m’explique ! Et puis pour un gars claustrophobe comme moi, cette lecture a été une véritable épreuve, à la limite de la souffrance physique. En tout état de cause, je ne suis pas près de l’oublier.


Le puits d’Ivan Repila. Denoël, 2014. 110 pages. 11,00 euros.

Les avis de Cryssilda et Sandrine









mercredi 19 novembre 2014

Little Tulip - Boucq et Charyn

New York, années 70. Alors qu’un tueur en série agresse les femmes seules dans des ruelles sombres, Pavel le tatoueur voudrait venir en aide à la police en réalisant un portrait-robot de l’assassin, mais malheureusement aucun témoin ni indice ne lui permet de se mettre à l’œuvre. Il faut dire que Pavel possède depuis l’enfance un don pour le dessin. Un don qui lui a sauvé la vie des années plus tôt, en 1947, lorsqu’il fut déporté avec ses parents dans un goulag sibérien. Il n’avait que sept ans à l’époque et pour survivre au cœur de cet enfer, il s’était rapproché du chef de gang « Kiril la baleine », dont il avait fini par devenir le tatoueur officiel. Un statut qui lui offrit pendant un temps une certaine forme de protection…

Il était inimaginable pour moi de rater le retour du duo Boucq/Charyn vingt-cinq ans après la publication du fabuleux « Bouche du diable ». Comme toujours avec le romancier originaire du Bronx, New York sert de toile de fond à une intrigue multipliant les va-et-vient entre l’URSS de Staline et l’Amérique de Nixon. Le récit est dans l’ensemble violent, sombre et cruel mais pas que. Il propose une réflexion sur les luttes de pouvoir dans le microcosme du goulag et insiste sur l’importance du sens que prenait chaque tatouage pour les prisonniers.

Un vrai plaisir de lecture simple et direct comme je les aime. Sans chichi, sans considérations intellos ou nombrilistes. De la BD populaire dans le bon sens du terme avec de l’action, des sentiments, de la tension et des drames. Le dessin de Boucq est comme d’habitude à tomber par terre et les couleurs sont somptueuses. Concernant le scénario, j’avoue que la fin est quelque peu tirée par les cheveux tant certaines coïncidences sont difficiles à croire. Mais on s’en fiche. Tout ce qui  compte est de se laisser prendre par la main dès la première page pour voir se déployer le destin hors du commun de ce tatoueur aux doigts de fée. Pas l’album de l’année, comme certains l’affirment déjà, mais sans conteste un incontournable pour les fans de ce duo aussi rare que talentueux.

Little Tulip de Boucq et Charyn. Le Lombard, 2014. 88 pages. 16,45 euros.











mardi 18 novembre 2014

La chasse aux papas - Mathis

Paul a besoin de parler de son père. « Qui s’énerve pour un oui ou un non. Qui hurle au lieu de lui parler. Qui lui dit de se taire au lieu d’écouter. Qui le gifle quand il lui répond ». Pauline l’écoute avec attention. Elle, c’est son chien qui s’appelle papa. Un père, un vrai, elle n’en a pas. Il est parti avant sa naissance. Les deux enfants viennent à peine de se rencontrer et pourtant ils décident de faire cause commune. Ensemble, ils se dirigent vers le parc pour se choisir un super papa. Une partie de chasse qui va leur réserver de belles surprises.

Suite de notre tour d’horizon des nouveautés de la collection « Petite poche » avec une histoire d’amitié touchante et sympathique. « Les  papas, c’est un peu comme des pommes dans un cageot. Il y en a toujours une ou deux qui sont un peu pourries. » Pauline a entendu cette phrase dans la bouche de sa voisine. Pour Paul, les choses ne sont pas si simples : « Les papas, c’est pas des pommes. Et les mamans, c’est pas des poires. » Les enfants s’accordent sur un profil idéal : Un papa sportif, un peu sérieux, mais pas trop, avec une bonne tête. Et pas déjà pris ! Autant dire que la mission est ardue.

Un petit ouvrage de lecture aisée et rapide qui aborde, sous ses faux airs de légèreté, l’importante question du rapport au père. Mathis a un don pour traiter avec sensibilité les sujets les plus complexes (je vous conseille, si vous ne me croyez pas, de découvrir son magnifique « Le bébé et le hérisson »). Il le prouve une fois de plus ici, avec le talent qui le caractérise.

La chasse aux papas de Mathis. Thierry Magnier, 2014. 47 pages. 5,10 euros. A partir de 8 ans.


Et une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.





lundi 17 novembre 2014

Toxic Boy T1 - Xavier

Dans un monde au bord de l'asphyxie, où des éruptions d'eaux toxiques condamnent à plus ou moins long terme toute activité humaine, le jeune Poko fait figure d'exception. Contaminé comme beaucoup d'autres par ces eaux polluées, il semble depuis insensible à leurs effets. Au contraire, il s'en nourrit comme d'une drogue et voit sa force décuplée dès qu'il plonge dans un bain de toxines. Poko intrigue et fascine. Il semble aussi attirer les ennuis comme un aimant...

Un shonen à la française de près de 300 pages, premier volume d'une série prévue en quatre tomes, il fallait oser ! Le pari de Xavier est risqué mais réussi. Son western futuriste post-apocalyptique est enlevé en diable et l'univers créé, d'une rare profondeur, offre de nombreuses perspectives. Un poil d'écologie, des personnages bien campés, des péripéties variées, une intrigue qui mêle mafia et politique et un épilogue qui ne peut que donner envie de connaître la suite, la recette est éprouvée mais efficace.

Le dessin, nerveux à souhait, offre une belle caisse de résonance à l'enchaînement des scènes d'action. A souligner aussi le travail très intéressant sur les décors, qu'ils soient désertiques ou maritimes. Une agréable surprise que ce mélange de manga et de BD franco-belge très éloigné de ma zone de confort habituelle. Il faut saluer la prise de risque d'un jeune auteur audacieux, capable de mettre en images un véritable page turner. Chapeau !



Toxic Boy T1 de Xavier. Sandawe, 2014. 296 pages. 13,90 euros.

Une lecture que j'ai le plaisir de partager avec Mo.




dimanche 16 novembre 2014

Les Vitalabri - Jean-Claude Grumberg et Ronan Badel

Les Vitalabri n’ont ni patrie ni pays. On pourrait croire qu’ils sont chez eux partout mais personne ne veut d’eux nulle part. Derrière leurs frontières infranchissables, ceux qui sont nés quelque part refusent de les accueillir. Sans abri, sans papiers, avec comme seuls biens leur musique et la liberté, les Vitalabri continuent leur errance.

Une très jolie réflexion sur l’exil, la famille, le rejet d’un peuple voyageur et mal aimé. Madame Vitalabri voudrait aller « là où on aime les Vitalabri », seulement ce lieu n’existe pas. Pour franchir la frontière, le passeur leur demande de l’argent mais ils n’ont « pas un sou. Pas un radis. Pas un kopeck. Pas un liard ». Embarqués par « des uniformes, bâtons levés », jusqu’à la préfecture, ils finiront expulsés. Comme toujours.

Sous la plume de Jean-Claude Grumberg, le destin de cette famille nomade malgré elle devient une fable profonde aux multiples niveaux de lecture. Homme de théâtre, il trousse de savoureux dialogues, souvent drôles, et n’hésite pas à interpeller le lecteur, dont il s’amuse à devancer les questions éventuelles : « Comment ? Vous n’avez pas compris, là, le pourquoi ? […] Comment faisaient-ils pour manger ? C’est une très bonne question, je vous remercie de l’avoir posée, ça va me permettre d’y répondre ». Le récit en devient d’autant plus dynamique et interactif. Après, je ne suis pas certain que les enfants saisissent la dimension historique et politique du propos, son actualité brûlante, mais peu importe. Ils verront l’injustice, l’exclusion, les préjugés, l’animosité gratuite et sans fondements. Ils verront aussi une famille soudée malgré les difficultés et surtout une fin positive et porteuse d’espoir : « Pourquoi voulez-vous que toutes les histoires finissent mal ? Il faut bien que quelques-unes finissent bien, non ? ».

Un texte subtil et engagé, illustré en douceur par l’excellent Ronan Badel, dont les aquarelles sont ici dignes d’un Sempé. Et en plus c’est un très bel objet-livre. Que demande le peuple ?

Les Vitalabri de Jean-Claude Grumberg et Ronan Badel. Actes Sud junior, 2014. 84 pages. 15,00 euros. A partir de 8 ans.








samedi 15 novembre 2014

un livre, un lieu

Je n'ai pas été tagué cette fois-ci mais celui-là me plait beaucoup alors je me lance. Le principe est simple, il faut se souvenir de quelques lectures associées à certains lieux. Alors comme ça, sans trop réfléchir, voilà ce qui me revient :


J'ai lu celui-là au cours d'un séjour à Montréal, au début des années 2000. J'avais cherché un roman se déroulant là-bas avant de partir et c'était le seul que j'avais trouvé. Le début de mon histoire d'amour avec Dany Laferrière.



Un livre dévoré pendant ce que l'on appelait « les trois jours », à l'époque où le service militaire existait encore. Pour passer quelques temps dans une caserne avec des gradés, le titre me semblait parfaitement approrié. C'est devenu pour moi un roman culte (et accessoirement, j'ai fini objecteur de conscience...).  



Un grand souvenir ! J'avais 13-14 ans et mon grand-père avait une tripotée de bouquins de ce genre. Il les planquait très mal, je les lui piquais tout le temps et je les lisais, d'une main, dans mon lit. Quand, j'y pense, j'étais un sacré branleur...



Celui-là, je l'ai lu à la BU de la fac d'Amiens. Il était considéré comme un dictionnaire et on ne pouvait pas l'emprunter. J'aimais bien venir à la bibliothèque le consulter. J'y ai découvert des auteurs qui m'ont durablement marqué, de Ragon à Poulaille, en passant par Darien, Agustin Gomes-Arcos ou encore Ludovic Massé.



Un de mes plus grands souvenirs de lecture. En plein été, au bord du lac d'Annecy. J'avais eu les larmes aux yeux en terminant la nouvelle intitulée « Le manteau ». Je m'en rappelle parfaitement et j'y repense à chaque fois que j'aperçois ce recueil sur mes étagères.



Le livre que j'avais emmené pendant mon voyage à l'ïle Maurice, en 2009, quand je m'y suis marié. Ça se passe en Martinique mais j'avais envie d'un roman se déroulant sur une île.



Celui-là m'a accompagné à la maternité en février 2013, pendant l'accouchement de ma femme. J'avais besoin d'un petit fascicule à glisser dans ma poche avant de partir de la maison, je l'ai choisi au hasard dans ma pal. Et je l'ai lu entre deux contractions. J'ai largement eu le temps de le finir, il a duré cet accouchement (oui, je sais, je suis un mari indigne...).



Facile de me souvenir de celui-là, je l'ai lu la semaine dernière, dans un bistrot d'Amiens, avant de me rendre à une réunion bien pénible. Et c'est une lecture que je ne suis pas près d'oublier (mais ceux qui passent régulièrement par ici le savent déjà).


Je ne tague personne, comme d'habitude, mais si le cœur vous en dit, n'hésitez pas. C'est un joli exercice de mémoire je trouve.















vendredi 14 novembre 2014

5 ans déjà : les gagnant(e)s

Encore une fois, et sans aucune fausse modestie, je suis abasourdi et enchanté de voir le nombre de commentaires ayant fleuri suite à mon billet anniversaire. Beaucoup de gentillesse, de sincérité, de mots qui mettent du baume au cœur. Je constate que vous êtes quelques-un(e)s à apprécier de passer par ici et rien ne peut me faire plus plaisir.

Trêve de bavardage, passons au résultat du tirage au sort. Vous étiez 72 sur la ligne de départ, exactement comme l'an dernier.




Gagnante n°1 : 

Marion


Gagnante n°2 : 

L'ivresse des mots


Gagnant n°3 : 

Aifelle


Comme convenu, vous choisissez le livre que souhaitez parmi mes lectures de la rentrée littéraire. Et si vous préférez une BD à un roman, pas de souci. Prenez votre temps, rien ne presse. En cas de rupture chez l'éditeur ou de difficulté à récupérer un exemplaire, je vous préviendrais afin que vous sélectionniez un autre titre. Pour me signifier votre choix et me donner votre adresse, il suffit d'envoyer un petit mail.








Mauvaise pente - Keith Ridgway

« J’ai tué mon mari. L’ai étendu raide avec le capot de sa voiture. Suis partie après ça, et me suis fait couler un bain. Fait mon possible pour ne pas chanter. […] J’ai vu ses jambes se briser comme des allumettes. Il y avait très peu de sang mais j’ai vu le blanc de ses os à travers son pantalon déchiré. Je n’ai pas pu distinguer son visage, et j’ai pensé que c’était à cause de la façon dont il était tombé – parce que son visage était caché. Mais je crois que c’est parce que son visage avait disparu. »

Grace a tué ce mari alcoolique qui la battait comme plâtre. Elle l’a écrasé sur une petite route de campagne, par une nuit glaciale et étoilée, alors qu’il rentrait à pied à la maison. Des années auparavant, Grace a perdu son fils Sean, noyé dans un cours d’eau pendant qu’elle étendait le linge à quelques mètres de lui. Il n’était qu’un enfant. Grace a aussi vu partir pour Dublin son autre fils, Martin, le jour où il a annoncé à ses parents son homosexualité et où son père l’a dérouillé.

Après l’enterrement de son « cher époux » et alors que la police mène l’enquête pour retrouver le meurtrier, elle s’installe dans l’appartement de Martin. Mais le jour où elle avoue son forfait à un journaliste, elle brise définitivement le lien ténu qui la reliait encore à lui. Car en apprenant la vérité, le fils décide de la dénoncer aux autorités…

Un premier roman d’une force et d’une sobriété incroyables. Aucune flamboyance dans ces pages, aucun pathos. Juste le portrait d’une femme en chute libre, d’une femme née victime, rongée par la culpabilité : « Je l’ai fait parce que je voulais me libérer de lui, et maintenant je suis liée à lui plus indissolublement que je ne l’avais jamais été. […] Je voulais le cracher, je l’ai avalé. Je n’aurais pas dû le faire ». « Elle avait tué. Elle avait fait cela, elle avait accroché ce mot autour de son cou et il l’entraînait inexorablement vers le bas ». Et puis j’ai adoré l’atmosphère de Dublin recouverte en permanence d’un capuchon gris, de cette ville sous la pluie et le vent, de ses rues sombres et froides où les manteaux ne sèchent jamais tout à fait.

Le titre anglais (The Long Falling) est bien plus parlant je trouve. Il dit la solitude, la révolte, la résignation. Il dit la misère du cœur et la défaite qui s’annonce, inéluctable. Mauvaise pente est un roman du désastre, terrible et lancinant, qui vous marque au fer rouge. En filigrane, Keith Ridgway, à travers un fait divers véridique lié au droit à l’avortement qui avait défrayé la chronique en 1992, propose la radiographie sans concession d’un peuple irlandais en proie à ses démons, incapable de briser les chaînes le reliant aux siècles passés. C’est tout simplement brillant.

Mauvaise pente de Keith Ridgway. 10/18, 2009 (Prix Fémina 2001). 380 pages. 8.10 euros.

Une découverte que je dois une fois de plus à Marilyne et une lecture que j'ai évidemment le plaisir de partager avec elle.

L'avis de Clara



jeudi 13 novembre 2014

La fractale des raviolis - Pierre Raufast

Ça commence avec une femme voulant punir son mari volage. Comme la vengeance est aussi un plat qui se mange chaud, elle lui prépare un empoisonnement aux raviolis aussi discret qu’efficace. En théorie du moins, parce que rien ne se passe comme prévu. Enfin, difficile de savoir comment les choses vont se terminer puisqu’au moment fatidique, le lecteur bascule dans un souvenir plutôt délicat de la femme trompée. Puis il glisse vers l’histoire d’un homme capable de visualiser l’infrarouge avant de tomber sur un arnaqueur, un écrivain en manque d’inspiration, des rats-taupes, un gamin féru de stratégie militaire, j’en passe et des meilleures…

Très belle surprise que ce premier roman à la construction digne d’une poupée gigogne. Chaque récit s’emboîte dans le précédent, le prolonge, le complète d’une façon subtilement explicite. Il faut voir la première histoire comme un domino entraînant les autres. Au final, la boucle est bouclée, les raviolis sont servis, la chute, savoureuse, peut se déguster.

C’est pour tomber sur des textes comme ceux-là que je lis autant de premiers romans. Au-delà de la découverte d’une voix nouvelle, j’y cherche des auteurs osant sauter dans le vide sans parachute, ne cédant pas à la dictature de l’autofiction et sachant créer sans complexe des univers bien à eux. Je pourrais vous citer en exemple Monde sans oiseaux ou La chance que tu as parmi les plus récents. Ici, Pierre Raufast joue à merveille de ses talents de conteur. Il nous emmène à Marseille pendant l’épidémie de peste du 18ème siècle, nous parle de grandes batailles, de petites victoires et de réelles désillusions. Le trait n’est jamais forcé, c’est fin, enlevé, sans aucune fausse note. Une vraie réussite.

La fractale des raviolis de Pierre Raufast. Alma, 2014. 262 pages. 18,00 euros.

Et encore une lecture commune que je partage avec Noukette. Décidément..















mercredi 12 novembre 2014

Ce n’est pas toi que j’attendais - Fabien Toulmé

Je me rappelle de nos rendez-vous chez le gynéco lors de la première grossesse de ma femme. Le gars devait avoir pas loin de 70 ans et son matériel était aussi vieux que lui. Il ponctuait chacune de ses phrases d’un tonitruant « Hein ? D’accord ? » et nous on était toujours d’accord, forcément. Il montrait un truc sur l’écran de son échographe et disait, « là, c’est les reins, là, le cœur... hein, d’accord ? » et moi je ne voyais qu’un haricot, de la neige et quelques traits. Je me rappelle qu’il comptait les doigts, aux pieds et aux mains, qu’il insistait toujours sur l’importance du pouce (« le pouce, c’est la pince, hein, d’accord ? »). Pépette n°1 avait des pouces, on était sauvé. Elle semblait aussi avoir tout ce qu’il fallait là où il fallait mais je n’étais jamais franchement rassuré en sortant de son cabinet.

L’inquiétude n°1, celle qui m’a toujours terrorisé (parmi tant d’autres, mais celle-là prenait largement le dessus) concernait la trisomie. Avoir un enfant trisomique était ma hantise. J’étais persuadé que je ne pourrais pas assumer, que je serai lâche et irresponsable. Je finissais par me convaincre que mon amour pour cet enfant ne souffrirait pas de sa différence, mais la méthode Coué ayant ses limites, je gardais en moi l’intime conviction que je n’arriverais pas à gérer une telle situation.

Bien sûr, il est aujourd’hui possible, très tôt dans la grossesse, d’écarter (ou pas) le risque de trisomie. Mais le système n’est pas infaillible et le taux d’erreur, même infime, existe. C’est ce qui est arrivé à Fabien Toulmé et à sa femme Patricia. Parents d’une petite Louise de quatre ans en parfaite santé, leur seconde fille, Julia, est née trisomique. Pourtant, la grossesse s’était passée sans souci, les examens de contrôle n’ayant décelé aucune anomalie particulière. Le choc fut d’autant plus rude.

L’album raconte le point de vue d'un papa face à ce cataclysme (ce serait d'ailleurs mon seul petit bémol, le fait que la maman soit assez effacée tout au long du récit, un peu mise à distance. En même temps, il n'est pas simple pour le père de se mettre à sa place). Il raconte l’angoisse, le dégoût, le rejet, la colère. Il raconte le difficile accouchement d’un amour paternel, le long chemin vers l’acceptation. Sa peur, sa méconnaissance de la trisomie, sa propre intolérance face aux handicapés, le parcours du combattant entamé face aux professionnels de santé, Fabien Toulmé ne cache rien. Avec pudeur, délicatesse et sincérité. Avec parfois des mots durs mais aussi de l’autodérision et de l’humour. Son témoignage m’a bouleversé à un point inimaginable. J’en suis ressorti ébloui, admiratif devant la façon dont il a abordé le sujet. J’ai été touché par cette humanité, cette simplicité ne laissant aucune place au pathos et à la mièvrerie.

Je ne vais pas en rajouter, je ne vais pas en faire des tonnes. mais sachez que si j’étais riche, j’achèterais ce livre par palettes entières pour l’offrir partout autour de moi. Si j’étais influent et que j'avais une vraie force de persuasion, je convaincrais mon large auditoire de se jeter dessus. Je ne suis rien de tout cela mais je voudrais quand même crier sur les toits que cet album est un petit bijou. Et ne venez pas me dire que l'histoire vous fait peur, que dès que l'on vous parle d'enfants malades, handicapés ou mourants, vous partez en courant, je n'accepterai aucun de ces arguments en amont de la lecture. Parce que ce témoignage est une leçon de vie d'une intelligence, d'une justesse et d'une humilité désarmantes. Parce qu'il est porteur d'un espoir lucide qui vous fouille les tripes et vous ouvre les yeux. Parce que... bon, je suis à court d'arguments mais j'espère que le message est passé.


Ce n’est pas toi que j’attendais de Fabien Toulmé. Delcourt, 2014. 244 pages. 18,95 euros.


Une lecture que je partage avec Noukette. Et partager cet immense coup de cœur avec elle, rien ne pouvait me faire plus plaisir !

L'avis de Sandrine


















mardi 11 novembre 2014

Vibrations - Raphaële Frier

Clara est amoureuse de Sylvain. Il ne s’est encore rien passé entre eux mais elle a bon espoir. Pour l’instant, ils ne font que manger ensemble à la cantine et s’envoyer des SMS plein de bisous virtuels. Accrochée à son portable, elle guette la moindre vibration dans sa poche, signe qu’un nouveau texto du bellâtre est arrivé. Mais le jour où elle emporte par erreur le téléphone du jeune homme et y découvre une vidéo raciste et humiliante tournée à l'encontre de son ami d’enfance Hakim, Clara comprend que Sylvain n’est pas celui qu’elle croit, que le prince charmant n’est rien d’autre qu’un affreux salopard.

Honnêtement, j’ai crains le pire au départ. Peur de tomber sur une bluette d’ados à coups de SMS sans relief. Honnêtement, je ne suis pas fan de l’écriture, de ces phrases à la première personne très orales au jeunisme un poil artificiel. Mais au-delà de ça, ce court roman possède d’indéniables qualités de fond. Il y est notamment question du refus de la haine ordinaire, d’une jeune fille à l’étonnante maturité, capable de prendre ses responsabilités, prête à s’indigner devant l’intolérable et à faire bouger les lignes. Le discours n’est pas simpliste, son attitude devrait pousser bien des jeunes lecteurs à la réflexion. Pas la pépite du siècle, certes. Mais un texte malheureusement d’actualité, un texte utile et qui a du sens, ce qui est déjà beaucoup.

Vibrations de Raphaële Frier. Talents hauts, 2014. 90 pages. 7,00 euros.

Une nouvelle lecture jeunesse du mardi que je partage avec Noukette.











lundi 10 novembre 2014

Le petit voleur de temps - Nathalie Minne

Petite fille, tu as changé ma vie. Avant ce lundi, je ne savais pas que tu existais et tous les jours se ressemblaient. Ce lundi, je t’ai vue et j’ai voulu tout savoir de toi. Tu m’as donné rendez-vous et  j’ai commencé à attendre. Combien de nuits devaient passer, combien de jours ? Cela semblait long, très long, infiniment long. Et puis le moment est arrivé. Ce jour-là tu m’as dit : « J’aime que tu sois timide, j’aime bien quand on se tait. » Le temps que l’on a passé ensemble a paru court, très court, infiniment court.

Depuis ce jour, tu ne m’as plus quitté. Nous avons choisi des mots, beaucoup de mots, pour décider quand se revoir : souvent, toujours, vite, encore, tôt ou tard, bientôt, quand tu veux ou tu veux, demain, samedi, tout à l’heure, jamais. Ensemble, nous volons un peu du temps chaque jour pour l’avoir à nous tout seuls. Et quelle que soit la fin de notre histoire, nous nous rappellerons toujours ce temps que nous avons volé et que jamais nous ne rendrons.

Un petit garçon qui tombe amoureux au premier coup d’œil, un lundi. Sa belle lui donne rendez-vous le jeudi suivant. Pour ne pas la rater, pour être certain de la revoir encore et encore, il va mémoriser les jours de la semaine, le nom des mois et des saisons. Avec la petite fille, "ils sauront que juin vient avant juillet, comme vendredi vient avant samedi". Il est question de sentiments, du plaisir d'être ensemble, de l'amour qui naît, qui chamboule et emporte tout sur son passage. Les illustrations, aux couleurs vives et aux formes géométriques, sont sublimes.

Un album pour apprendre la notion de temps autrement, en poésie. Un album à lire, à offrir, à partager sans retenue.


Le petit voleur de temps de Nathalie Minne. Casterman, 2014. 36 pages. 14,95 euros. A partir de 4 ans.







samedi 8 novembre 2014

5 ans déjà !

7 novembre 2009. Je créé ce blog et m’apprête à sauter dans le vide. Une bouteille à la mer dans laquelle je glisse modestement mon premier billet. Je doute fortement que cette bouteille soit ramassée et ouverte par qui que ce soit. Et à la limite peu m’importe, j’ouvre cet espace pour m’en servir de bloc-notes, pour garder une trace écrite de mes lectures, rien de plus. Je ne savais pas encore qu’en mettant timidement le nez dans la blogosphère, j’allais accumuler les découvertes et les belles surprises.

En cinq ans, que de rencontres ! Virtuelles et réelles, toujours positives. Des liens très forts se sont créés et de belles amitiés se sont nouées. Réelles et sincères. In et off. Beaucoup de off d'ailleurs. Il y a ce que l'on voit ici et tout le reste, qui compte au moins autant, voire davantage (les intéressées se reconnaîtront...). Finalement, c’est tout ce que j’aime dans ce passe-temps chronophage. Échanger, écouter, conseiller, offrir, recevoir, partager, respecter les points de vue d’autrui et défendre les siens. J’aime aussi les lectures communes (c’est rien de le dire), les rendez-vous hebdomadaires ou mensuels que je ne raterais pour rien au monde, les balades quotidiennes chez les uns et les autres.

Après, je crois que mon petit blogounet me ressemble. Simple, sans prise de tête. Pas donneur de leçon pour deux ronds, ouvert à toutes les curiosités livresques. J’ai mes préférences bien sûr, mes zones de confort, ma sensibilité (si, si !) et je manque très souvent d’objectivité, mais je me soigne. Je m’amuse, je prends du plaisir et tant que ce sera le cas, je me vois encore continuer longtemps. On verra bien, comme dirait l’autre…

En attendant, pour fêter ces cinq ans d’existence, un petit concours s’impose. Comme d’habitude, aucune règle. Il suffit juste de vous manifester dans les commentaires de ce billet et vous ferez partie du tirage au sort (sauf si vous ne le souhaitez pas, bien entendu). Qu’est-ce qu’on gagne ? On va dire que je vais sortir trois noms de mon chapeau magique et que les personnes concernées pourront choisir le titre qu’elles veulent parmi mes lectures de la rentrée littéraire. Et si elles préfèrent la BD, elles pourront fouiller ici.




vendredi 7 novembre 2014

Charlotte - David Foenkinos

Foenkinos a découvert la peintre Charlotte Salomon à l’occasion d’une exposition de ses toiles à Hambourg : « Ce fut immédiat. Le sentiment d’avoir enfin trouvé ce que je cherchais. » Depuis, la vie de cette femme est devenue son obsession et il a ressenti le besoin de mener l’enquête, de reconstituer son parcours, de la suivre pas à pas. Née en 1917 dans une famille juive de Berlin, Charlotte perd très tôt sa mère. Adolescente introvertie, hantée par les suicides qui frappent les siens à chaque génération, elle se découvre une passion pour la peinture qui ne la quittera plus. Fuyant l’antisémitisme après la Nuit de Cristal fin 1938, elle rejoint ses grand-parents à Villefranche-sur-Mer. C’est là qu’entre 1940 et 1942 elle réalisera quelques centaines de gouaches rassemblées sous le titre « Leben ? Oder Theater ? » (Vie ? ou Théâtre ?), aujourd’hui exposées au musée juif d’Amsterdam. Dénoncée, arrêtée, déportée à Drancy puis à Auschwitz, elle meurt dans les chambres à gaz à l’âge de 26 ans, enceinte de cinq mois.

Je n’avais jamais lu Foenkinos avant, je n’ai donc aucun point de comparaison possible avec le reste de son œuvre. Finalement, ce n’est pas plus mal. Sur le fond, la trajectoire de cette femme m’a passionné. Sa tragédie familiale, l’éveil de sa conscience artistique, son destin rattrapé par l’Histoire avec un grand H, ses petites victoires, ses joies dérisoires et ses grandes peines. Sur la forme, je suis plus mitigé. Déjà, le coté autofictionnel m’a agacé à plusieurs reprises. Quel intérêt a l’auteur de nous expliquer qu’il s’est rendu dans la maison d’enfance de l’artiste et qu’il n’a pu la visiter parce qu’on lui a claqué la porte au nez ? Franchement ? Pour nous prouver qu’il est bien parti à sa recherche ? Euh… on le sait depuis le début. Patrick Deville fait souvent le même genre d’intrusions dans ses récits mais elles ont toujours du sens, alors que là… Et puis sur la forme en elle-même, j’ai eu beaucoup de mal. Du sujet-verbe-complément-retour-à-la-ligne sans doute pas si simple que cela à écrire mais qui, à la lecture, offre une trop grande accessibilité au texte et lui enlève toute qualité littéraire.

Par contre, j’ai aimé que Foenkinsos se justifie, qu’il assume son parti-pris formel : « Pendant des années, j’ai pris des notes. J’ai parcouru son œuvre sans cesse. […]. J’ai tenté d’écrire ce livre tant de fois. Mais comment ? […] Quelle forme mon obsession devait-elle prendre ? Je commençais, j’essayais, puis j’abandonnais. Je n’arrivais pas à écrire deux phrases de suite. Je me sentais à l’arrêt à chaque point. Impossible d’avancer. C’était une sensation physique, une oppression. J’éprouvais la nécessité d’aller à la ligne pour respirer. Alors j’ai compris qu’il fallait l’écrire ainsi. » Point de coquetterie donc, une vraie sincérité, une certaine pudeur aussi.

Je trouve donc la démarche de l’auteur touchante mais ce minimalisme, cette volonté d’en dire le moins possible pour aller à l’essentiel m’a beaucoup trop laissé à distance. Le style télégraphique fini par être d’une froideur clinique et ne laisse aucune place à l’émotion. Tout l’inverse de ce qu’a par exemple fait Valentine Goby avec Kinderzimmer et que j’ai tant aimé. Je ressors donc ni véritablement déçu ni totalement convaincu. On sent l’œuvre portée par l’auteur pendant des années et son besoin quasi viscéral de la coucher enfin sur le papier pour, quelque part, s’en libérer. Mais du strict point de vue de la lecture et de la petite musique des mots, il ne m'a donné aucun plaisir.

Charlotte de David Foenkinos. Gallimard, 2014. 220 pages. 18,50 euros.

Une nouvelle lecture commune que je partage, une fois de plus, et c'est toujours le même plaisir, avec Noukette.

Les avis de Blablablamia, Laure, Laurie, L'irrégulière, Mango, Sandrine, Unchocolatdansmonroman






jeudi 6 novembre 2014

La source des jours - Mélanie Rutten

C'est l'histoire d'une ourse danseuse, d'un cerf amoureux d'une louve, d'un livre qui a perdu sa première page, d'un petit chat à la recherche de son ballon, d'un bison musicien ou jardinier et d'un lapin blanc. C'est aussi et surtout une histoire de rencontres, de trajectoires à priori éloignées qui vont finir par se croiser. Dans cette histoire, on n'est rien d'autre que ce que l'on est. Et dans la tempête, certains sont contents d'avoir un grand frère, d'autres se débrouillent tout seul, d'autres aimeraient que quelqu'un soit là, tandis que d'autres encore jouent les protecteurs en attendant que les choses se calment.

Résumée comme cela, cette histoire peut paraître confuse, elle peut sembler n'avoir ni queue ni tête. Or c'est tout le contraire. Je n'ai malheureusement pas le talent de conteur de Mélanie Rutten. Si vous vous laissez prendre par la main, elle vous emmènera dans son univers tendre et poétique. Vous comprendrez d'où vient la source des jours, surtout si comme moi vous avez eu la chance de lire son précédent album, « L'ombre de chacun ». On retrouve ici les mêmes personnages et l'on remonte à l'origine de leur rencontre.

Une fois encore c'est un livre qui se mérite : beaucoup d'ellipses, beaucoup d'implicite, une multitude d'interprétations possibles. Et une fois encore Mélanie Rutten enchante par son trait coloré, inventif et plein de douceur. Elle nous offre une parenthèse hors du temps et du triste quotidien, un voyage dépaysant vers une contrée où il fait bon vivre. C'est simple, c'est beau, tout en émotion. C'est à des années lumière de ce que j'ai l'habitude de fréquenter mais qu'est-ce que c'est bon !


La source des jours de Mélanie Rutten. MeMo, 2014. 52 pages. 17,00 euros.


Je ne pouvais partager cette lecture qu'avec Moka. C'est à elle que je dois ma découverte de Mélanie Rutten et j'espère que nous lirons ensemble bien d'autres album de cette grande artiste.




mercredi 5 novembre 2014

Le linge sale - Rabaté et Gnaedig

Après vingt ans derrière les barreaux, Pierre Martino retrouve la liberté. Trompé par sa femme, il avait voulu l’assassiner avec son amant dans l’hôtel où ils avaient l’habitude de se retrouver. Mais il s’était trompé de chambre et avait tué un autre couple avant de blesser un des policiers venus l’interpeller. Libéré pour bonne conduite, le prisonnier modèle n’a rien oublié et il est bien décidé à terminer la mission qu’il n’avait pu achever deux décennies plus tôt. Et comme entre temps son ex s’est mariée avec l’amant, il imagine que la tâche n’en sera que plus facile. La vengeance est un plat qui se mange froid mais que l’on peut parfois avoir bien du mal à digérer…

Un récit tenant à la fois du polar rural, de la chronique sociale et de la comédie de mœurs. La nouvelle famille de l’ex-femme est beauf jusqu’au trognon, vivant de rapines dans une maison délabrée en pleine cambrousse. Père, mère, enfants et grands-parents dorment sous le même toit, vident les bouteilles à l’unisson et jurent comme des charretiers. Un quart monde décrit avec humanité et sans misérabilisme. C’est sordide mais jamais cynique, Rabaté n’étant pas du genre à se mettre au-dessus de ses personnages. Et c’est aussi très drôle, tant grâce aux dialogues plein de gouaille qu’aux péripéties pathétiques vécues par cette bande de pieds nickelés ingérable. Le cocu assassin est quant à lui un antihéros aigri et déterminé, tendant méticuleusement et patiemment la toile qui doit lui permettre de prendre sa revanche. Tellement déterminé qu’il en deviendrait presque sympathique et que l’on souhaiterait de tout cœur le voir mener à bien son entreprise.

Si ce linge sale est bien du Rabaté pur jus, je n’en ferais pas mon préféré. Dans la même veine, Crève saucisse et La marie en plastique m’avaient plu davantage. Ici, la fin, grinçante à souhait, est bien trouvée mais le reste est par moment poussif. Il faut dire aussi que j’ai eu beaucoup de mal avec le trait particulièrement naïf de Sébastien Gnaedig qui ne sert pas au mieux le scénario, c’est le moins que l’on puisse dire. Une lecture agréable, du bon Rabaté mais pas de l’excellent Rabaté.

Le linge sale de Rabaté et Gnaedig. Vents d’ouest, 2014. 126 pages. 19,50 euros.








mardi 4 novembre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : In Bed - Lydia Frost et Kalondji

Dans un hôtel de Central Park, un couple après l’amour. La femme est rayonnante, l’homme bien plus soucieux. Il faut dire que Rachel et Luka sont mariés, mais pas ensemble. Une relation adultérine vécue différemment par ses deux protagonistes, l’un culpabilisant beaucoup plus que l’autre…

Une réflexion très fine sur l’adultère. Il est appréciable que les auteurs ne se soient pas emparés du sujet pour tomber dans la simple histoire de cul multipliant les visuels aussi froids que cliniques. Ici, tout est en suggestion, l’approche étant essentiellement psychologique. L’histoire est certes des plus banales mais l’intérêt tient dans le fait que l’on s’intéresse aux causes et aux conséquences de la tromperie. Sans jugement, sans défendre où accuser. Lui va voir ailleurs parce qu'il est dans une fuite en avant, ne sachant pas vraiment ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il est fragile, mal à l’aise, manquant d’assurance. Il est lâche et ne parvient pas à compartimenter les choses. C’est un homme, quoi. Rachel est au contraire une working girl bien sa peau, qui veut juste briser la routine d’un quotidien avec mari et enfants. Elle assume, fait la part des choses et ne se prend pas la tête. Je ne dirais pas qu’elle a le beau rôle, mais presque.

Et finalement, c’est ce que j’ai aimé. Le portrait, même un poil caricatural, d’une femme belle, talentueuse et sûre d’elle face à un homme qui se perd en tergiversations. Comme j’ai aimé l’individualisation d’une problématique universelle, le fait que leur histoire banale possède un caractère unique. Et puis niveau dessin, c‘est d’une rare élégance et les scènes « coquines », certes discrètes, sont passionnées et brûlantes.

Finalement, la réflexion est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pour Rachel, coucher n'est pas tromper. Pour Luka, ce n'est pas si simple, loin de là. Pour le lecteur, c'est une question de point vue, d'opinion ou d'expérience personnelle, voire de mauvaise foi...

In Bed de Lydia Frost et Kalondji. Delcourt, 2014. 90 pages. 15,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka. Et ce n'est rien dire que ça me fait très plaisir !









lundi 3 novembre 2014

Meursault, contre-enquête - Kamel Daoud

« Un français tue un arabe allongé sur une plage déserte. Il est quatorze heures, c’est l’été 1942. Cinq coups de feu suivis d’un procès. L’assassin est condamné à mort pour avoir mal enterré sa mère et avoir parlé d’elle avec une trop grande indifférence. Techniquement, le meurtre est dû au soleil où à de l’oisiveté pure. […] Tout le reste n’est que fioritures, dues au génie de ton écrivain. Ensuite, personne ne s’inquiète de l’arabe, de sa famille, de son peuple. A sa sortie de prison, l’assassin écrit un livre qui devient célèbre où il raconte comment il a tenu tête à son Dieu, à un prêtre et à l’absurde. Tu peux retourner cette histoire dans tous les sens, elle ne tient pas la route. »

Un vieil homme se confesse dans un bar d'Oran. Dans un long monologue proféré à un prétendu universitaire, il raconte celui qui, pour tous, a toujours été « l'arabe », et rien d'autre. Une victime innocente, tuée sur une plage. Une victime qui n'était autre que son frère, Moussa : « celui qui a été assassiné est mon frère. Il n'en reste rien. Il ne reste que moi pour parler à sa place, assis dans ce bar, à attendre des condoléances que jamais personne ne me présentera. » Haroun n'avait que sept ans à l'époque. Il ne sait pas vraiment ce qu'il s'est passé ce jour-là. Alors il extrapole, il digresse et revient sur son enfance, sur cette mère assoiffée de vengeance qui l'a toujours traité comme un moins que rien. Sur le meurtre qu'il commettra lui-même vingt ans plus tard, en 1962, au moment de l'indépendance. Un meurtre gratuit, contre un français.

Tout cela a bien entendu à voir avec « L'étranger » et sonne comme une réponse à ce dernier. Pourtant, jamais le nom de Camus n'est cité. Le livre est attribué à Meursault, qui l'aurait écrit lui-même en sortant de prison. Comme s'il s'agissait d'un véritable fait divers, comme si la réalité rejoignait la fiction. Les correspondances entre cette contre-enquête et « L'étranger » sont nombreuses et l'on peut dire que Daoud écrit contre Camus, collé tout contre lui. L'effet miroir est saisissant : son « héros » a un problème avec sa mère, son héros tue sans véritable raison un français, son héros voit sa solitude fugitivement brisée par une figure féminine, son héros hait la religion et le crie bien fort.

Ce ne pourrait être qu'un exercice de style, c'est bien plus ambitieux. Peut-être trop d'ailleurs. J'avoue que je suis resté sur ma faim. L'idée d'exploiter la figure de la victime anonyme, cet angle mort du roman de Camus, ce « hors champ », était intéressante, mais j'aurais préféré découvrir vraiment la vie de cette victime plutôt que celle de son frère. Je m'attendais à découvrir cette histoire-là, je ne sais pas pourquoi. Du coup, le monologue décousu du narrateur sur sa propre existence, sa volonté, inconsciente ou pas, de créer le parallèle avec le personnage de Meursault m'a laissé quelque peu indifférent. Pas vraiment une déception, j'admire la façon dont le sujet a été traité, mais ce n'est pas celui que j'aurais aimé découvrir.

Dernière précision qui a son importance, je trouve l'écriture de Kamel Daoud très belle, oscillant sans cesse entre colère sourde et envolées pleines d'exaltation : « Une langue se boit et se parle, et un jour elle vous possède ; alors elle prend l'habitude de saisir les choses à votre place, elle s'empare de la bouche comme le fait le couple dans le baiser vorace ».

Meursault, contre-enquête de Kamel Daoud. Actes Sud, 2014. 153 pages. 19,00 euros.

Une lecture commune que je partage une fois encore avec Noukette.

L'avis de Marilyne





vendredi 31 octobre 2014

La malédiction du bandit moustachu - Irina Teodorescu

Ça commence comme un conte. Nous sommes à la fin du XIXème siècle, quelque part en Roumanie, et une malédiction est lancée à l’encontre de Gheorghe Marinescu par un bandit moustachu détrousseur de bourgeois : la mort frappera tous les descendants mâles de sa famille, et ce jusqu’à l’an 2000. A partir de là nous suivons, de génération en génération, le destin tragique des fils Marinescu qui ne pourront échapper à la fatalité. Et l’on découvre que les Marinescu n’ont rien de bons samaritains, tant les hommes que les femmes d’ailleurs. Ce ne sont pas « Maria la cochonne », « Maria la laide », « Ana la sorcière » ou « Margot la vipère » qui me contrediront.

Bof, bof, bof, ai-je envie dire. Ce premier roman d’une jeune auteure roumaine de 35 ans (écrit en français, je précise que ce n’est pas une traduction) a un coté loufoque qui pourrait être plaisant. L’écriture est dynamique, le changement de niveaux de langue donne beaucoup de vivacité, comme les chapitres très courts. Mais pour le reste... Les choses vont trop vite. On passe d’une époque à l’autre, d’un « Marinescu » à l’autre sans véritable liant. Et puis je me rends compte que j’ai beaucoup de mal dès qu’il y a plus de cinq personnages dans un roman. Je suis finalement un lecteur assez limité (bon ça, il y a longtemps que je le sais). Mais là, franchement, pour suivre le rythme et m’y retrouver, il m’aurait fallu un arbre généalogique détaillé. L’autre aspect qui m’a dérangé, c’est la méchanceté et le cynisme permanent dont font preuve les membres de cette famille. Je freine toujours des quatre fers devant le cynisme et la méchanceté. Il paraît que ça peut être drôle mais ça ne me fait jamais sourire. Du coup, les Marinescu et leur histoire, je n’en ai rien eu à faire, et ce dès le début. J’ai même été bien content de les quitter en tournant la dernière page, c’est dire.

Alors oui, c’est un premier roman enlevé et original qui sort des sentiers battus et de l’autofiction généralisée (ce qui est quand même un sacré bon point !), mais non, il ne m’a pas séduit une seconde et en ce qui me concerne,  je vais le classer sans regret dans la catégorie des « aussi vite lus qu’oubliés ».


La malédiction du bandit moustachu d’Irina Teodorescu. Gaïa, 2014. 155 pages. 17,00 euros.





jeudi 30 octobre 2014

Un pommier dans le ventre - Simon Boulerice et Gérard Dubois

Quand Raphael mange une pomme, il la mange en entier, sauf la queue. Lorsqu’on son copain Rémi l’apprend, il est affolé : « Tu ne sais pas que si tu avales un seul pépin, un pommier peut pousser dans ton ventre ?! ». Raphael ne veut d’abord pas le croire mais il finit par se plier aux arguments de son ami. Horrifié, il retourne en classe avec des crampes à l’estomac. Plus tard, devant le miroir, il lui semble voir son ventre tout bosselé. Et quand il cogne sa poitrine, il a l’impression de frapper une porte en bois. A la maison, sa mère lui coupe les cheveux. Les yeux fermés, il sent « que le plancher de la cuisine se couvre de petites branches et de feuilles mortes »…

Un très joli album sur les peurs enfantines, sur la capacité des bambins à laisser leur imaginaire extrapoler une situation du quotidien jusqu’à la rendre particulièrement anxiogène. Les proportions prises par la certitude pour Raphael qu’un pommier pousse dans son ventre deviennent vite incontrôlables. Heureusement, en partageant son angoisse avec sa mère, il parviendra à la raisonner. La conclusion est très joliment trouvée, laissant au final l’insouciance de l’enfance emporter la partie.

Graphiquement, c’est totalement vintage, à tel point que j’ai cru au départ avoir entre les mains la réédition d’un album des années 50. Les illustrations sont superbes, elles ont le charme suranné des vignettes d’antan. Un très bel objet-livre, une histoire à la fois tendre et sensible qui permettra peut-être à certains petits lecteurs d’exorciser leurs propres peurs. Que demander de plus ?

Un pommier dans le ventre de Simon Boulerice et Gérard Dubois. Grasset Jeunesse, 2014. 48 pages. 13,50 euros. A partir de 5 ans.


Les avis de Martine et Sophie Van der Linden