jeudi 20 février 2014

Le jour du slip / Je porte la culotte - Anne Percin et Thomas Gornet

L’espace d’une journée, Corentin devient Corinne et Corinne devient Corentin. Le cauchemar, vous imaginez bien. Vêtements, loisirs, attitude en classe, comportement avec les copains/copines, tout est à revoir ! En changeant de sexe, ces élèves de CM1 découvrent un monde nouveau. D’abord effrayant, forcément, mais auquel ils vont peu à peu s’adapter. A tel point qu’à la fin de la journée, le cauchemar ne sera plus qu’un simple rêve. Et pas désagréable en plus…

Alors voila donc l’objet du délit. Un livre subversif au possible. A brûler en place public parmi tant d’autres, parait-il. Une fille et un garçon qui échangent leur corps, un scandale ! Soyons sérieux. C’est gentillet et drôle, les situations sont bien amenées et le système des deux histoires en miroir (le livre se présente tête bêche) est original.

On aborde ici la question du regard que les enfants portent les uns sur les autres. C'est un texte qui peut ouvrir à la discussion et permettre d'échanger sur les rapports filles/garçons en dédramatisant le problème. Bref, c'est un livre utile. Si de tels ouvrages sont subversifs et corrompent la jeunesse au point qu'il faille les retirer des écoles et des bibliothèques, alors nos pauvres bambins n'auront bientôt plus grand chose à lire.  

Le jour du slip / Je porte la culotte d’Anne Percin et Thomas Gornet. 65 pages. 6,50 euros. A partir de 8 ans.

Une lecture commune géante, une lecture commune pour défendre ce texte et ses auteurs attaqués de façon ignoble sur la toile. Une lecture commune dont vous retrouvez tous les participants chez Stephie.


mercredi 19 février 2014

Annie Sullivan et Helen Keller - Joseph Lambert

Incroyables destins que ceux d’Helen Keller et d’Annie Sullivan. La première est née en 1880 dans l’Alabama. A 19 mois, elle a contracté une maladie inconnue qui l’a rendue aveugle et sourde. La seconde est née en 1866. A cinq ans, cette fille d’immigrée irlandais fut victime d’une infection oculaire et perdit presque la vue.  Abandonnée par son père, elle fut recueillie avec son petit frère dans un hospice. En 1880 elle entra à l’institut Perkins, une institution chargée de fournir assistance et éducation aux personnes aveugles ou malvoyantes. A 20 ans, sortie diplômée de l’institut et major de sa promotion, elle accepta un poste de préceptrice auprès d’Helen Keller.

L’album raconte comment Annie a pu domestiquer et éduquer Helen, une gamine
sauvage et incontrôlable ne supportant aucune contrariété et aucun contact. De leurs luttes épiques, du combat quotidien mené par la préceptrice pour inculquer à son élève les règles de vie les plus élémentaires et la maîtrise du langage, va naître une relation quasi fusionnelle. Le face à face entre ces deux écorchées vives est parfaitement rendu. Les flash back dans la jeunesse d’Annie permettent de comprendre pourquoi cette jeune femme tient tant à réussir l’éducation d’Helen. Son acharnement sans faille apparaît à certains moments effrayant mais l’auteur montre à quel point le chemin menant la petite fille aveugle et sourde vers le savoir fut long et douloureux.

Niveau dessin, j’avoue que je ne suis pas fan du trait de Joseph Lambert. Son gaufrier de 15 ou 16 cases par planches est hyper répétitif mais il était je pense nécessaire pour détailler longuement chaque scène-clé de l’album. De toute façon, le lecteur n’est pas là pour prendre une claque visuelle. Il est là pour découvrir comment les liens se tissent, comment l’obstination sans faille et la certitude dans les méthodes pédagogiques déployées par Annie ont porté leurs fruits.

Une double biographie poignante et maîtrisée qui ne se laisse à aucun moment déborder par un trop plein d’émotion. Il aurait pourtant été facile de tomber dans le larmoyant mais Joseph Lambert évite ce piège avec brio.

Un album offert par Valérie dans le cadre du loto BD de Loula. Un choix pertinent, je me suis régalé.
Et une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Sandrine.


Annie Sullivan et Helen Keller de Joseph Lambert. ça et là, 2013. 94 pages. 22 euros.

Les avis de Valérie et Yvan.






mardi 18 février 2014

Rien qu’un méchant loup - Sylvie Poillevé et Virginie Sanchez

Mea culpa. J’ai péché. J’ai présenté ici même il y a quelques jours un ouvrage pas très catholique. Un album pour enfants abordant la question de l’identité sexuelle. Scandaleux ! Alors pour expier ma faute je vais vous parler aujourd’hui d’un livre bien sous tous rapports. Un livre qui ne peut susciter aucune polémique. Un livre de droite, 100% UMP. De ceux que Mr Copé et les siens pourront lire à leurs chères têtes blondes le soir au coin du feu.

Dans ce livre on découvre le prince Degrangarou. Un loup à particule, un aristocrate. Un loup tout blanc, « venant d’un pays tout blanc », nous précise-t-on. Un loup aryen, quoi. Ce loup vient d’emménager dans une
coquette demeure. De l’autre coté de sa barrière, il y a une chaumière. Comme ce loup est bien élevé, et poli, il décide d’aller se présenter à ses voisins. Des voisins qui ne sont autres que trois petits cochons sales et ronchons. Des cochons en basket-casquette qui jouent à la console, boivent du soda et mangent n’importe quoi. Des cochons qui vont lui claquer la porte au nez après l’avoir insulté. Il est choqué le grand loup blanc ! Mais sa mère lui a appris les bonnes manières alors il persévère et retourne voir les garnements avec un petit cadeau. L’accueil est tout aussi glacial. Obstiné, le loup les invite à dîner. Mais une fois dans la place, les trois sales gosses vont saccager sa belle maison et se montrer menaçant. Ni une, ni deux…

Voila, voila. Un loup bourgeois, blanc comme neige, à l’attitude irréprochable. De la racaille en basket-casquette sans éducation. A la fin l’honneur est sauf. Le gentil loup bourgeois boulotte les trois vilains cochons. Et oui, l’honneur est sauf, le raffinement prend le dessus sur la chienlit. En quelque sorte, l’accomplissement d’un vieux rêve frontiste où les bonnes gens distingués boutent hors de chez eux et de façon définitive une racaille aussi incontrôlable qu’envahissante. Il est magique cet album !

Bien sûr vous allez me dire que j’interprète, que j'extrapole, que j'affabule, que je vois le mal partout. Certes. Mais nous le faisons tous il me semble. Et je ne vois pas pourquoi je n'aurais pas autant le droit que d'autres de le faire. Non mais !

Rien qu’un méchant loup de Sylvie Poillevé et Virginie Sanchez. Père Castor, 2005. 32 pages. 5,50 euros. A partir de 4 ans.

lundi 17 février 2014

Mon livre mystère - ????????

Il y a quelques semaines je recevais d’une blogueuse que j’apprécie particulièrement un livre mystère. Un livre de poche, entièrement recouvert de papier. Impossible de lire le titre ni la 4ème de couverture. Impossible de connaître l’auteur. La page de titre (à l’intérieur du livre) était elle-même cachée sous les rabats de la couverture. Ce livre, d’après elle (et elle me connaît bien), je ne l’aurais jamais ouvert si je savais de quoi il parlait et qui l’avait écrit. Elle me proposait de lire les premières pages à l’aveugle pour le découvrir sans préjugés. J’ai fait mieux, je l’ai lu de la première à la dernière page sans jamais arracher le papier qui le recouvre. Et au moment où je rédige ce billet, je ne connais toujours pas son titre et son auteur. Quitte à jouer le jeu, autant le faire jusqu’au bout.

Ce roman, qui raconte l’histoire de Jean et Béatrice, est un roman épistolaire. Jean a vu Béatrice monter sur l’estrade lors d’un congrès sur l’enfance maltraitée. Bénévole dans une association qui accompagne les filles-mères souhaitant confier leur nouveau-né à l’adoption, elle est venue témoigner de son expérience. Sa prise de parole a électrisé le public. Sur un coup de tête, il a décidé de lui écrire. Quelques jours plus tard, elle lui a répondu.

Lui est psychiatre. C’est un vieux garçon, un ours dont la tanière se trouve dans le centre de la France. Elle est parisienne, mariée et a une fille de 18 ans, Camille. De lettres en lettres, ils vont s’ouvrir l’un à l’autre. Enfin, c’est surtout Béatrice qui se livre. Un mariage tout sauf heureux, un mari tyrannique qui la tient sous sa coupe depuis des années. Jean écoute, conseille, réconforte. Il devient le confident et peu à peu, bien plus. Dans une de leurs premières lettres, ils se sont engagés à ne jamais se rencontrer. Béatrice voudrait briser ce pacte, mais Jean refuse obstinément...

Avant de vous dire ce que j’ai pensé de ce roman, laissez-moi vous préciser à quel point j’ai vécu une expérience étrange. Se lancer dans un livre sans aucun indice permettant de l’identifier a quelque chose de déstabilisant. Privé de mes repères habituels (titre, auteur et 4ème de couv), je me suis senti un peu tout nu face au texte. Finalement, c’est plutôt une bonne chose et j’ai vraiment eu l’impression de défricher une terre vierge, non polluée par mes à priori sur l’écrivain ou les éventuels avis laissés par ceux qui l’auraient lu avant moi. Et je dois avouer que je me suis régalé des deux premiers tiers. Je me suis attaché à ces personnages qui se découvrent, à leurs échanges tout en retenu où le rapprochement se fait avec autant de lenteur que de certitudes, comme une évidence. Il y avait quelque chose de délicieux à découvrir l’évolution du ton de leur correspondance. Malheureusement le dernier tiers a quelque peu gâché mon plaisir. Les révélations qui tombent les unes après les autres sont vraiment « too much » et tirent selon moi artificiellement sur la corde sensible, c’est bien dommage.

Mais à la limite peu importe ma déception finale, ce fut une super expérience de lecture. Et puis l’air de rien, chère blogueuse, tu m’as ni plus ni moins fait plonger dans une bonne vieille romance et nul doute que si j’avais vu la couverture et le résumé avant de l’ouvrir je l’aurais placée tout en bas de ma pal. Bien sûr, avec un tel livre mystère, il faut jouer le jeu sinon ça n'a aucun intérêt mais en tout cas je suis partant pour renouveler l’opération dès que possible. A bon entendeur...

XXXXX de ?????? – 250 pages.

PS : si vous avez reconnu le roman dont je parle, n’hésitez pas à me le dire, je suis prêt à lever le mystère.

Edit du 17/02 à 22h00 : j'ai retiré le papier qui recouvrait le livre, je connais enfin son auteur et son titre. L'auteur ne me dit rien mais punaise, ce titre et cette photo de couverture m'auraient fait fuir si je les avais vus avant de l'ouvrir !!!!










samedi 15 février 2014

Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon - Christian Bruel et Anne Bozellec

L’édition de 1976
Parce que la censure qui en train de se mettre en place de manière abominable autour de certains ouvrages de littérature jeunesse m’est insupportable, j’ai envie de vous présenter le premier album pour enfants ayant abordé le thème de l’identité sexuelle. Un album de 1976 réédité en 2009 et malheureusement à nouveau épuisé aujourd’hui, l’éditeur ayant mis la clé sous la porte.

« Julie n’est pas polie. Julie n’est pas très douce, elle n’aime pas les peignes et se cache sous la mousse pour ne pas qu’on la baigne. Julie sait ce qu’elle veut, elle en parle à son chat, ils ont de drôles de jeux que ses parents n’aiment pas… mais elle voudrait qu’on l’embrasse quand même. »

Julie est un garçon manqué, son père n’arrête pas de lui répéter. Si bien qu’un matin elle se réveille avec une ombre de garçon. Julie est perturbée par cette ombre étrange qui mélange tout et la dérange : « Allez, laisse moi tranquille, je ne suis pas comme toi, moi ! Je suis une fille ! » Julie ne sait plus qui elle est, elle ne sait plus à qui elle ressemble, elle voudrait être toute petite, se cacher dans un trou.

La réédition de 2009
Une très belle histoire sur la quête d’identité d’une petite fille. Le texte est poétique et dit la souffrance, l’incompréhension. Un album resté incroyablement moderne, qui interpelle et ça fait du bien. Un album dont certains passages vont heurter la sensibilité des culs serrés, et ça aussi ça fait du bien : « Ce soir, Julie est découragée… Et si c’était l’ombre qui avait raison… Elle n’est peut-être qu’un garçon… manqué en plus, avec cette fente entre les cuisses qu’elle aime bien toucher doucement… ».  Un album à recommander chaudement, donc. Si vous fréquentez une médiathèque municipale et que ce titre fait partie de son fonds, n’hésitez pas à l’emprunter, vous allez faire une sacrée découverte.

« Les gens disent que les filles, ça doit faire comme filles, les garçons, ça doit faire comme les garçons !
On n’a pas le droit de faire un geste de travers…
Tiens, c’est comme si on était chacun dans son bocal !
- Comme pour les cornichons ? 
- Oui, comme pour les cornichons…
Les cornifilles dans un bocal, les cornigarçons dans un autre, et les garfilles, on ne sait pas où les mettre !
Moi je crois qu’on peut être fille et garçon, les deux à la fois si on veut… Tant pis pour les étiquettes… On a le droit ! »

Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon de Christian Bruel et Anne Bozellec. Etre, 2009. 48 pages. 18,50 euros. A partir de 6 ans.







vendredi 14 février 2014

Love Songs

J’ai beau être un gros dur tatoué, j’ai aussi un petit cœur tout mou. Alors puisqu’aujourd’hui c’est la St Valentin, je vous offre la playlist de mes chansons d’amour préférées. Bon, c’est pas du joyeux-joyeux, l’amour, je ne l’aime pas tout miel, je le préfère douloureux, quand il gratte un peu. D’ailleurs, avant de passer à la musique je vous propose un poème de Verlaine que j'adore !

LASSITUDE

De la douceur, de la douceur, de la douceur !
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit, parfois, vois-tu, l’amante
Doit avoir l’abandon paisible de la sœur.

Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l’étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !

Mais dans ton cher cœur d’or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l’oliphant
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !

Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse !




















jeudi 13 février 2014

Ce qui ne nous tue pas - Antoine Dole

Antoine Dole m’avait tellement impressionné avec « Á copier 100 fois » que je me suis lancé avec une certaine gourmandise dans son tout nouveau roman.

« Je m’appelle Lola, et c’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir. Á peu près au moment où les choses ont commencé à mal tourner entre mes parents, j’ai découvert sur internet que mon prénom vient de l’espagnol Dolores, qui signifie « douleur ». La mauvaise graine dans la mauvaise terre, la mauvaise fille pour les mauvais parents. »

Lola trimballe avec elle une colère permanente. Contre ses profs, contre ses camarades de classe, contre ses parents qui ont décidé de se séparer. Contre la terre entière en fait. Une goutte d’eau et le vase déborde. Lola fugue. Elle erre et se retrouve par hasard chez Colette, vieille dame vivant seule dans un appartement insalubre. Colette perd la boule, elle baptise Lola Anna, la considère comme une invitée ou comme une intruse. Peu à peu, Lola et Colette vont s’apprivoiser. Malgré une cohabitation peu évidente, des échanges parfois confus et une vraie difficulté à communiquer, la mamie et l’adolescente basculent peu à peu vers ce que l’on pourrait sans crainte appeler de la tendresse.

Deux femmes en crise, deux femmes désorientées, deux solitudes. Le récit alterne les chapitres à la première personne où Lola remonte le fil des événements l’ayant conduit chez la vieille dame et ceux à la troisième personne dans le huis clos de l’appartement. Phrases courtes, rage au ventre et au cœur, le lecteur navigue entre la voix intime de Lola et une narration extérieure permettant de prendre un certain recul.

L’ensemble est percutant mais ne tient pas vraiment la comparaison avec « Á copier 100 fois ». Je trouve que l’on insiste trop lourdement sur la douleur de Lola, que l’on enfonce le clou de son mal être avec de gros sabots ce qui, au final, dessert le propos. En fait j’aurais aimé un texte plus ramassé sur lui-même, plus elliptique peut-être. Un effet coup de poing, quoi, un uppercut qui vous laisse groggy. Là, j’ai l’impression qu’il y a des mots en trop, que l’on cherche à tout prix à faire vibrer la corde sensible mais sans finesse. Et pourtant l’écriture d’Antoine Dole garde une patte, une identité qui me plait beaucoup. C’est juste que, sur ce coup-là, trop de pathos tue l’émotion.

Ce qui ne nous tue pas d’Antoine Dole. Actes Sud junior, 2014. 115 pages. 11,00 euros. A partir de 13 ans.


Une lecture commune que je partage une fois de plus, et pour mon plus grand plaisir, avec Noukette et Stephie.




mercredi 12 février 2014

Le jardin d’hiver - Dillies et La Padula

« On ne choisit pas toujours qui on adopte et par qui l’on peut être adopté ».

Une ville grise et terne, un temps de chien, un temps à s’ouvrir les veines. Sam vivote dans un apart minable. Il bosse dans un troquet sans âme et traîne une mélancolie dont rien ne semble pouvoir le débarrasser. Même s’il y a Lili, la danseuse qu’il rejoint certains soirs avec plaisir. Il croit qu’il l’aime et se demande si c’est réciproque. Sam navigue dans un quotidien bien rôdé, tellement bien rôdé qu’il en a depuis longtemps perdu tout intérêt. Un quotidien empli de solitude et d’indifférence. Il faudra une rencontre avec son voisin du dessus pour qu’une porte s’ouvre. Le vieil homme le prend pour son fils. Il va surtout lui faire comprendre qu’une douce folie est nécessaire pour embellir la vie, pour faire en sorte que les rêves puissent s’accomplir.

Pour une fois Dillies n’est pas aux pinceaux mais sa petite musique résonne toujours aussi fort. On se dit au départ que le récit va être d’une insondable tristesse, une « ode » à la déprime que l’on devine dès la couverture. Mais cette fois-ci il y a de la lumière, beaucoup de lumière. Une jolie forme d’humanité alliée à une tendre poésie. Des corps et des esprits cabossés qui reprennent des couleurs. A la fin, la pluie a cessé, c’est un signe qui ne trompe pas.

De prime abord, le dessin anguleux de l’italienne Grazia La Padula interpelle. Mais sous l’apparente (et fausse) impression d’une certaine maladresse se cache un vrai talent graphique capable de créer une atmosphère servant à merveille le scénario.

Du bon Dillies, de l’excellent Dillies même. J’ai le sentiment de redire toujours la même chose à propos de cet auteur mais il est tellement rare de construire une œuvre sans faire la moindre fausse note que cela mérite d’être répété encore et encore.


Le jardin d’hiver de Dillies et La Padula. Paquet, 2009. 66 pages. 15,50 euros.

Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka

Les avis  de Choco, Loo, MarionNoukette et Yaneck.








mardi 11 février 2014

L’ombre de chacun - Mélanie Rutten

Des mois que cet album est posé sur mon bureau. Comme tant d’autres. En souffrance. Attendant que je me penche sur son cas. Et puis samedi dernier Moka a publié un avis sur ce titre. Un avis enthousiaste. Un peu plus que ça même. Quand elle a un tel coup de cœur, je la suis toujours les yeux fermés et je ne suis jamais déçu. L’ombre de chacun ne fera pas exception à la règle.

C’est l’histoire d’un Cerf et d’un petit Lapin qui vont devenir tout l’un pour l’autre.


« Est-ce qu’on sera toujours ensemble ? »
- Oui
- Toujours, toujours ?
- Un jour tu grandiras…
- Mais on sera quand même ensemble !
- Tu seras toujours dans mon cœur.
- Est-ce que tu vas mourir ? 
- Pas maintenant.
- Mais un jour…
- Un jour… c’est normal.
- Et est-ce que je serai toujours dans ton cœur alors ? 
- Je serai toujours dans le tien…
- alors on ne sera pas toujours ensemble… » dit le petit Lapin.

Mais c’est aussi l’histoire d’un Soldat en guerre, d’un Chat qui fait toujours le même rêve, d’un Livre qui veut tout savoir et d’une Ombre. C’est une histoire d’amitié et d’amour, d’altruisme et de solidarité. Affronter ensemble les épreuves, ses propres craintes. Se soutenir, aider l’autre sans condition. Une leçon de vie, quoi.

C’est un album qui se mérite, traversé par une certaine forme d’exigence. La polyphonie, les ellipses, une chronologie des événements par forcément évidente à reconstruire, c’est tout ce qui fait la richesse du récit. L’implicite a aussi une part importante dans ce texte. Une part fondamentale même. C’est l’interprétation, les interprétations possibles qui en font sa richesse. Si la littérature a à voir avec la beauté, et si ce qui crée la beauté c’est le style alors cet album est sacrément littéraire.

Et puis il y a dans la relation entre le Cerf et le petit Lapin quelque chose qui résonne fortement en moi. Des petits lapins, j’en ai trois à la maison. Des petits lapins qui vont grandir et partir un jour. C’est logique et c’est tant mieux parce que de toute façon je ne serai pas toujours là. Alors je suis un peu comme le Cerf, je les encourage à grandir mais en même tant mon cœur me dit : « Pas trop vite, pas trop vite ! »

Bref, à mon tour de crier au coup de cœur. C’est beau, c’est fort, tellement plein d’émotion. Si cet album arrive un jour entre vos mains, ne le laissez  pas traîner sur votre bureau pendant des mois, il mérite tellement, tellement mieux que ça.

L’ombre de chacun de Mélanie Rutten. Memo, 2013. 52 pages. 17 euros.

L'avis de Moka






lundi 10 février 2014

Le goût sucré des pommes sauvages - Wallace Stegner

Wallace Stegner (1904-1993) était un total inconnu pour moi avant que Marilyne me propose cette lecture commune. Il est pourtant considéré comme la principale source d’inspiration des écrivains du Montana et reste LA référence absolue pour Jim Harrison. Prix Pulitzer 1972, il a également remporté le National Book Award. Une pointure de la littérature américaine, quoi.

Cinq nouvelles en tout dans ce recueil. Les deux premières abordent le registre de la nostalgie, du temps qui passe et sont traversées par une certaine forme de mélancolie. Je les ai malheureusement trouvées trop courtes. A peine le temps de s’y installer qu’il fallait déjà en sortir. La troisième est plus intéressante et met en scène un cocktail mondain, un pianiste retors et un narrateur à l’ironie mordante dans une ambiance digne de Gatsby le magnifique. La quatrième est sans conteste la plus faible et est surtout sans aucun intérêt selon moi.

J’étais donc pour le moins dubitatif avant d’attaquer le dernier texte. Pas vraiment emballé par ce que j’avais lu, je me demandais bien pourquoi on faisait de Stegner un des plus grands écrivains de l’Ouest. Mais cette nouvelle a tout changé. 130 pages de pure Nature writing où des cowboys traversent avec leur troupeau la plaine du Saskatchewan (Canada) en plein hiver 1906, un des plus rudes du 20ème siècle. On trouve dans ce mini-roman d’initiation une écriture inspirée, des descriptions magnifiques, des relations entre les personnages très travaillées et un scénario au cordeau. Bref, c'est un récit âpre et tendu, qui tient le lecteur en haleine. La volonté farouche des hommes face aux éléments déchaînés est parfaitement rendue. Le froid, la promiscuité, les efforts terribles à fournir pour continuer à avancer malgré le blizzard, la neige et les vêtements qui gèlent à en devenir cassant comme de la glace, etc. Formidablement évocatrice, la prose de Stegner se dévore littéralement.  

Un recueil qui mérite donc d’être lu, essentiellement pour cette magistrale dernière nouvelle. J’ai maintenant hâte de découvrir un de ses romans.

Le goût sucré des pommes sauvages de Wallace Stegner. Points, 2009. 300 pages. 8,50 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Marilyne et une première participation au mois de la nouvelle de Flo.





samedi 8 février 2014

Quand ma pal BD grossit à vue d’œil

Début janvier, je faisais le point sur ma pal BD en me disant que la situation n’avait rien d’alarmiste : une grosse trentaine d’albums en souffrance pas de quoi s’affoler. Oui mais voila, depuis une dizaine de jours une véritable pluie de BD m’est tombé dessus, pour mon plus grand plaisir. Petit tour d’horizon de ces nouveaux arrivants sur mes étagères :

Les achats compulsifs (ceux auxquels je ne peux pas résister et surtout auxquels je n’ai pas envie de résister) :















Les albums offerts par deux adorables blogueuses (qui se reconnaîtront) pour mon anniversaire :


























Les albums gagnés dans le cadre des lotos BD organisés par Loula et Valérie :

















Douze nouveaux albums en quelques jours, une véritable avalanche. La question maintenant est : avec lequel vais-je commencer ? Et si vous êtes partant(e) pour une lecture commune, n’hésitez pas à me faire signe.



jeudi 6 février 2014

Baignade surveillée - Guillaume Guéraud

C’est l’histoire d’Arnaud et d’Estelle. Ils partent en vacances au camping du Cap-Ferret avec Auguste, leur fils de 9 ans. Un couple en lambeaux, en bout de course : « On ne baisait plus que tous les 36 du mois alors on ne comptait plus les nuits sans, la fréquence de nos emboîtements étaient de plus en plus faible et ça ne leur faisait pas pour autant gagner en intensité, merde, à quoi ça tenait, j’en sais rien, l’usure, le linge sale, les mauvaises habitudes, les remarques déplacées et les yeux qui se fermaient pendant que tout rabotait les angles qui nous imbriquaient l’un dans l’autre. » C’est aussi et surtout l’histoire de deux frangins. Arnaud est l’ainé, docker à Marseille, encarté à la CGT et fier de l’être. Max est le cadet, un voyou qui enchaîne les séjours en prison et trempe en permanence dans des combines malsaines. Entre Arnaud et Max, les relations sont tendues. Et quand ce dernier débarque sans crier gare au camping, le grand frère se doute qu’il y a anguille sous roche…

J’aime quand Guillaume Guéraud fait du Guillaume Guéraud. Une noirceur totale, une écriture nerveuse, sèche comme un coup de trique, sans chichi ni envolée lyrique. On reste à hauteur d’homme, on ne donne pas dans la psychologie de bazar et surtout on ne juge pas. Jamais. Les faits parlent d’eux-mêmes, ils vous électrisent et vous laissent groggy. Bien sûr c’est très sombre, bien sûr il y a comme un malaise et ça peut déranger, je le comprends tout à fait. Maintenant, lorsqu’un auteur sait aller à l’essentiel sans prendre de gants, ça me botte, et pas qu’un peu.

La construction du récit est efficace et alterne entre le présent des vacances au camping et des chapitres en flash-back revenant sur les événements tragiques qui ont poussé Max à rejoindre son frère. Des dialogues ciselés, des moments de tension et d’autres beaucoup plus légers avec parfois une vraie pointe d'émotion, des personnages sacrément malmenés... du grand art, quoi.

Baignade surveillée de Guillaume Guéraud. Le Rouergue, 2014. 125 pages. 13,80


Une nouvelle lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec les drôles de dames Moka, Noukette et Stephie.

mardi 4 février 2014

Le premier mardi c'est permis (24) : Kamasutra : ce que veulent vraiment les hommes

Depuis que je participe au rendez-vous de Stephie je vous ai présenté un dictionnaire coquin, je vous ai expliqué comment faire l’amour à un homme et comment rater sa vie sexuelle et je vous ai même fait un petit topo sur l’éjaculation précoce. Aujourd’hui je vais vous dire ce que veulent vraiment les hommes en matière de sexualité. Enfin, d’après ce bouquin, alors autant dire qu’il va falloir grandement relativiser ce qui va suivre.

Cinq grands chapitres, mêlant conseils pratiques et témoignages masculins.

1) Caresse-moi : je vous la fais courte mais en gros on adore les massages et les caresses (tu parles d’un scoop !). N’hésitez pas à titiller notre point F et notre point P, sans oublier notre point U (je vous laisse chercher à quoi tout ça correspond mais vous avez l’air malines maintenant avec votre seul point G^^). Mon passage préféré de ce chapitre a pour titre « Jouer aux boules » : « Nos boules sont très proches de la salle de bal (j’aurais plutôt dit du trou de balle même si c’est tout de suite moins glamour) mais on ne les invite pas à la fête. C’est bien dommage car elles sont pleines de terminaisons nerveuses et nous adorons quand vous jouez avec. »
Sinon, parmi la foultitude de conseils prodigués, il y en a quelques uns qu’il faut oublier avec moi comme le suçotage des doigts de pieds par exemple. Je trouve l’idée super dégueu (pas que j’ai les pieds crados mais le fétichisme des pieds, ça me donne des hauts le cœur). Autre truc à éviter, la brutalité (il paraît que nombreux sont les hommes qui aiment être brutalisés pendant les ébats. En ce qui me concerne, les menottes, les griffures, les fessées ou le martinet, c’est pas du tout mon truc).

2) Aguiche-moi : On insiste sur l’importance du baiser, du souffle, de la langue. Suivent les sempiternels conseils sur la fellation et ses variantes avec cette règle d’or à respecter que je vous rappelle une fois de plus parce qu’on ne le dit jamais assez : « Sans les dents ! » Par contre, il est ici ajouté : « Sauf petit mordillement avec accord préalable. » Ce à quoi j’ai envie de répondre : même pas en rêve !

3) Séduis-moi : « Si vous désirez un homme, dites-le lui franco. Vos compliments lui iront droit aux parties génitales » (Euh, c’est pas si simple en fait). Envoyez-lui des sextos, félicitez-le quand il a été à la hauteur. (mouais, pourquoi pas…). « Passez un après-midi au lit ou octroyez-vous une grasse matinée coquine. » (moi je veux bien mais il faut être un couple sans enfants parce que sinon je ne vois pas comment c’est possible). Un chapitre sans intérêt qui se termine par le catalogue des positions et des lieux où l’on peut s’acoquiner (le genre de truc déjà vu cent fois ailleurs).

4) Fais-moi plaisir : Proposez des séances photos torrides (en short ?), baladez-vous en mini-jupe sans culotte et penchez-vous pour ramasser quelque chose (sérieux ?), donnez-lui votre rasoir et invitez-le à tailler votre petit buisson (sérieux ?), faites un strip-tease, etc. Plus étrange : « Allez au lit avec un chapeau. Cela peut sembler bizarre mais c’est une façon sexy et coquine de nous dire de quelle humeur vous êtes. » (??????).

5) Électrise-moi : N’hésitez pas à prendre des postures de chienne en chaleur, on adore ça (par contre vous, si ça vous gêne parce que, disons, vous avez un minimum de pudeur, peu importe…). Déguisez-vous, attachez-nous, faites-nous la surprise d’un plan à trois (avec deux filles si possible en ce qui me concerne), bref électrisez-nous !

Que dire en conclusion ? Entre les conseils vus et archi-vus des centaines de fois et ceux qui vont vous laisser pour le moins dubitatives, il ne reste pas grand-chose à sauver de ce « Guide indispensable écrit PAR des hommes POUR des femmes » (dixit l’éditeur). Personnellement, j’y vois une façon un brin grossière de prendre les femmes pour des cruches et ça m’agace au plus haut point.


Kamasutra : ce que veulent vraiment les hommes. Éditions Fetjaine, 2012. 240 pages. 9,90 euros.




lundi 3 février 2014

Coucou ! - Fiona Roberton

Quand Coucou sortit de sa coquille, tout allait très bien. Mais dès qu’il ouvrit la bouche, ses frères et sœurs virent qu’il était différent. Incapable de se faire comprendre, il quitta les siens pour trouver quelqu’un à qui il pourrait parler. Sa quête ne fut malheureusement qu’une succession d’échecs. Alors Coucou décida que, puisque personne ne parlait sa langue, il allait apprendre celle des autres...

Un joli petit album sur la différence et la volonté d’intégration d’un petit oiseau voulant à tout prix communiquer avec autrui. Beaucoup d’efforts, des difficultés d’apprentissage réelles et au final une belle note d’espoir. Les illustrations peuvent paraître simplistes mais certaines pages proposent des compositions
très travaillées.

L’histoire doit impérativement être déclamée à voix haute et le lecteur va se faire plaisir en imitant les cris de tous les animaux que Coucou va croiser sur sa route. Pour les enfants, c’est du bonheur garanti. D’ailleurs à la maison Pépette n°2, qui a pourtant passé l’âge d’une telle lecture, a dévoré cet album et l’a refermé avec cette sentence définitive : « C’est magnifique ! ». Et j’aime autant vous dire que tous les ouvrages passant entre ses mains ne se voient pas affubler d’un tel qualificatif, loin de là.



Coucou ! de Fiona Roberton. Circonflexe, 2014. 32 pages. 13 euros.



samedi 1 février 2014

Concerto pour la main morte - Olivier Bleys

Mourava, Sibérie centrale. Un hameau ravitaillé par les corbeaux tous les trente-six du mois. Un trou perdu que voudrait quitter Vladimir Golovkine, surnommé l’éboueur. Seul moyen pour lui de rejoindre la grande ville la plus proche, prendre le bateau qui s’arrête (rarement) près du village. Mais Vladimir n’a pas suffisamment d’argent pour monter à bord. Faute de pouvoir partir, il va voir débarquer dans sa vie Colin, un musicien français arrivant chez lui avec son piano. Colin est venu s’isoler en Sibérie pour guérir l’étrange mal qui le ronge. A chaque fois qu’il se lance dans le concerto n°2 de Rachmaninov, sa main droite se recroqueville comme une pince de crabe et refuse de lui obéir. Pour l’éboueur et les soixante âmes qui peuplent Mouravia, l’arrivée du pianiste raté représente un événement aussi étrange qu’inattendu.

J’ai beaucoup aimé ce roman frais et léger, sorte de fable à la frontière de l’absurde et du surréaliste. La galerie de personnages vaut son pesant d’or. L’improbable duo Vladimir/Colin bien sûr, mais aussi Dimitri l’épicier, Sergueï l’indécrottable alcoolique, Oleg l’ancien spationaute devenu ermite ou encore Sveta la vieille rebouteuse. Et puis il y a la Sibérie. Sa nature sauvage, sa forêt profonde, son froid polaire, sa neige immaculée, sa vodka coulant à flot et ses ours parfois particulièrement agressifs.

Olivier Bleys enchaîne les scènes cocasses, les dialogues enlevés et les descriptions évocatrices. Le ton devient par instants plus grave mais on fini toujours le sourire aux lèvres. Ce Concerto pour la main morte est aussi une belle déclaration d’amour à la musique et à son charme universel. Bref,  ce roman est une réussite qui m’a quelque peu sorti de mes lectures habituelles et j’en suis ravi.

Un grand merci à Un chocolat dans mon roman qui n’a pas hésité à faire voyager ce livre depuis La Réunion afin que je le découvre.


Concerto pour la main morte d’Olivier Bleys. Albin Michel, 2013. 234 pages. 18 euros.






jeudi 30 janvier 2014

La fille surexposée - Valentine Goby

 « La fille est nue. De profil, côté droit. Les seins pèsent. Le bras droit replié masque les tétons. Les doigts tiennent une cigarette à peine allumée dont la fumée gris clair se dissout dans le gris foncé de l’arrière plan. Le ventre bombé répond courbe pour courbe à la cambrure, noir des reins creusés, blanc tranchant de l’abdomen. Le cadre coupe le corps au ras du pubis. Le visage incliné est bordé d’ombre, la peau est mate, c’est la vraie peau de la fille. Bouche charnue, nez épaté, yeux baissés. Visage statuaire, sans regard, qui fixe le sol. »

Une photo. Une carte postale coloniale représentant une femme-objet costumée selon les standards aguicheurs du début du 20ème siècle.  La photo date de 1924. En 2011, Isabelle découvre cette carte postale dans les affaires de son grand-père. Il l’a envoyée à son ami Alexandre en 1954. En 2011 toujours, l’artiste Miloudi Nouiga balafre cette même photo de peinture, dans un geste venu non du bras mais de l’estomac, chaque projection de couleur trempant « dans la bile du dedans. » Un geste provoquant, plein de révolte. On suit le parcours de cette carte à travers ceux qui, à moment ou l’autre, vont l’avoir en main. Miloudi, Isabelle, son grand-père Maurice, soldat français fréquentant dans les années 50 le Bousbir, ce quartier clos de Casablanca entièrement réservé à la prostitution mais aussi celui qui a pris le cliché en 1924 ou encore la prostitué qui a eu Maurice pour client. Une carte postale comme un symbole, tant du colonialisme d’hier et de son érotisme exotique que du changement profond connu par le Maroc depuis son indépendance.

Soyons franc, je n’ai pas été autant secoué par ce texte que par Kinderzimmer, mais en même temps, comment aurait-il pu en être autrement ? J’ai par contre retrouvé avec le même plaisir la « patte » de Valentine Goby. Une écriture sensuelle, précise, ultra descriptive, où le corps occupe une place fondamentale. Après tout je n’y peux rien si la petite musique de cette auteure me parle et me touche autant.

Dans une mini postface, elle explique sa réflexion autour des « multiples mensonges de l’image. » La photo saccagée par le peintre que l’on voit en couverture du livre, elle l’a croisée dans une galerie de Rabat. « Qu’est-ce qu’on voit vraiment ? De quoi, de qui est-ce qu’on parle ? Je dessine, restitue, invente le hors-champ, le hors-temps de l’image, du moment : cela fait des romans. » Position de l’écrivain par rapport à l’artiste dont elle cherche à comprendre la démarche. « Je suis la fille qui se trompe, […] voit dans le tableau un geste de censure où il a y en fait un appel, une terreur de l’oubli. Je suis la fille qui rencontre le peintre, comprend qu’elle s’est trompée d’interprétation, et cherche à rendre compte de son erreur, du véritable geste du peintre, des multiples mensonges de l’image depuis sa construction il y a presque cent ans, et des vérités qu’elle révèle, rappelle, fixe définitivement. »

Au final cela fait un roman. Un excellent roman.

La fille surexposée de Valentine Goby. Alma, 2014. 128 pages. 17 euros.


Une lecture commune que j’ai une fois de plus le plaisir de partager avec Leiloona et Noukette.



Un billet qui signe ma seconde participation au challenge de Valérie



mercredi 29 janvier 2014

La guerre des lulus, 1915 : Hans - Régis Hautière et Hardoc

Rappelez-vous des Lulus. Lucas, Lucien, Ludwig et Luigi. Quatre orphelins picards abandonnés au moment de l’évacuation de leur village à l’automne 1914. Quatre gamins obligés de se débrouiller seuls dans la forêt où ils ont construit une cabane. Rapidement rejoints par un cinquième élément, Luce, les enfants tombent nez à nez avec Hans, un soldat allemand mal en point.

Dans ce second volume, on les retrouve au début de l’année 1915, au moment où ils découvrent que Hans n’est pas forcément un ennemi. Cet homme est un déserteur fuyant l’horreur des combats et son seul objectif est de retrouver sa femme enceinte. Avec ce nouvel allié les Lulus vont affronter dans la bonne humeur le printemps et l’été qui s’annoncent. Mais l’horreur de la guerre n’est jamais bien loin et les enfants vont l’apprendre à leurs dépens.

Quel bonheur de retrouver ces personnages si attachants. Il y a dans cet album une forme de fraternité et d’humanisme qui fait un bien fou. Pour autant point d’angélisme, ce serait mal connaître Régis Hautière. Si la partie se déroulant au printemps allie légèreté et tendresse, la fin de l’été sera tragique. Parce qu’au fond, tout cela n’est pas un jeu et les dernières planches de ce second tome laissent à penser que les Lulus ne sont pas au bout de leur peine.

Graphiquement, j’ai l’impression qu’Hardoc a beaucoup progressé. Les nombreuses scènes se déroulant en forêt sont magnifiques et le travail sur la lumière est somptueux. Et le fan du noir et blanc que je suis dois bien avouer que la mise en couleur est de toute beauté.

Un deuxième volume encore supérieur au premier. La profondeur du propos, la façon dont l’histoire progresse dans une succession de scènes enjouées et d’épisodes douloureux rendent l’ensemble absolument irrésistible. Pas besoin d'en dire davantage, la Guerre des Lulus est une très grande série tout public, rare et précieuse.  

La guerre des lulus, 1915 : Hans de Régis Hautière et Hardoc. Casterman, 2014. 64 pages. 13,50 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec mes chères complices Moka et Noukette, elles aussi grandes fans des Lulus.

L'avis de Sandrine




Ce billet signe par ailleurs ma première participation au challenge « Une année en 14 » de Stephie.








lundi 27 janvier 2014

Une faim de loup : lecture du Petit Chaperon rouge - Anne-Marie Garat

Incroyable cette lecture du Petit Chaperon rouge par Anne-Marie-Garat. Incroyable parce que son explication de texte analyse le conte dans les moindres détails, même les plus inattendus. Déjà, précisons qu’elle ne s’intéresse qu’à la version de Perrault datant de 1697, pas à la guimauve des frères Grimm où le Chaperon s’en sort à la fin sans dommages, ni à toutes les variantes qui ont pullulé au cours des siècles.

Chez Perrault on est face à un texte adulte à l’érotique barbare, pas une bluette pour enfants. Pour autant ce conte est le seul de son recueil à avoir une fin aussi cruelle, aussi définitive. Il possède également une sobriété réaliste qui détonne : pas de magie, de fée, d’ogre ou de sorcière.

Anne-Marie Garat passe en revue toutes les composantes de ce récit court à l’unité de temps et d’espace remarquable. Le rôle de la mère, celui de la galette (important !) mais aussi celui du décor où la tragédie se joue, l’effrayante forêt des contes, celle où se déchaîne le Mal, où s’expriment la cruauté et le chaos de la nature.

Je ne vais pas revenir sur chaque chapitre pour éviter de tomber dans la paraphrase mais sachez que l’auteur passe Le Petit Chaperon rouge au tamis de l’histoire littéraire, de l’étymologie, de la stylistique et bien sûr de la psychanalyse. La question de la pédophilie est un élément central auquel vient se rajouter un soupçon de gérontophilie (le loup abuserait sexuellement de la grand-mère avant de se jeter sur elle et de la dévorer).

Mais en fait, ce que j’ai le plus apprécié, c’est la réflexion autour de la qualité littéraire du texte. Perrault est tout simplement parvenu à lui donner une musicalité exemplaire. « Il chante et chantonne, enchante de sa rythmique empruntée aux comptines et formulettes, les diminutifs variés multipliant le jeu de volubilité, l’alternance des voix et du récitatif répétant en leitmotiv toutes les tournures et les clés du langage. Il est un rite de passage, en son texte réglé comme portée musicale, à la note près, à la virgule près. »

J’ai aimé aussi apprendre comment le bourgeois Perrault, qui ne s’intéressait pas une seconde aux petites gens, à pu recueillir ces « textes de riens, venus d’une humanité sans valeur ». N’ayant pas accès à la source paysanne des contes,  il les recueille par l’intermédiaire de la nourrice de son fils Pierre, qui a lui-même consigné dans un cahier les histoires racontés par cette femme au coin du feu. Alors qui de Pierre ou de son père est le réel auteur ? A l’évidence, c’est la réécriture de Charles qui a magnifié la matière brute du départ : « Il ne s’agit donc pas d’un divertissement subalterne et sénile, ni d’une activité excentrique. Avec un immense esprit de sérieux et un sens aigu de la modernité, Charles Perrault entreprend, à la suite de Pierre, d’écrire l’oral, d’en fixer la variable et insaisissable matière en une forme rigoureuse, qui, tout en gardant son caractère originel, obéit aux exigences et à l’esthétique classique de son temps, et lui donne dignité littéraire, jusque dans son choix de la prose, pour la majorité de ses contes. »

Un ouvrage à la fois érudit et simple d’accès. Voila une explication de texte d’une imparable limpidité qui mérite bien un 20/20.

Une faim de loup : lecture du Petit Chaperon rouge d’Anne-Marie Garat. Babel, 2008. 232 pages. 7,70 euros.

Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Marilyne (il y avait longtemps que nous n’avions pas débuté une semaine ensemble, comme tu dis, et ça me manquait !). Et un grand merci à Canel pour le prêt !

samedi 25 janvier 2014

Goodbye Bukowski - Flavio Montelli

Bukowski est mon écrivain préféré celui qui a fait de moi un lecteur, rien de moins. On « fête » en 2014 les 20 ans de sa mort et pas mal d’ouvrages lui seront consacrés. Des rééditions de ses textes, un recueil d’inédits que je suis en train de dévorer, quelques biographies que j’ai déjà lues et donc cette BD réalisée par un jeune dessinateur italien né en 1984.

On y découvre Bukowski à 50 ans, au moment où il tente de percer en littérature. Poète reconnu pour ses lectures publiques mouvementées, père d’une fillette de six ans, il s’abîme chaque jour un peu plus dans l’alcool et la solitude. Sa courte liaison avec Diana met fin à plusieurs années sans femme. Entre deux frasques éthyliques, il parvient à être un papa plein de tendresse. Puis on revient sur sa jeunesse, le père violent qui le fout à la porte à 18 ans, les petits boulots qu’il enchaîne à travers l’Amérique, de chambres minables en chambres minables, ses premières tentatives d’écriture qui se soldent par des refus de tous les éditeurs auxquels il soumet ses textes. Il échappe à la mobilisation en 1945, réformé pour instabilité mentale. Puis ce sont ses années de travail abrutissant à La Poste. Montelli raconte aussi la fameuse anecdote où il se retrouve à l’hôpital pour un terrible ulcère dont il réchappe miraculeusement. Le médecin lui dit que s’il boit un verre de plus, il y laissera sa peau. Buk l’écoute religieusement et en sortant de l’hosto il rentre dans le premier troquet et s’en jette un derrière la cravate. 

L'ouvrage se termine sur deux rencontres qui vont changer sa vie. D’abord un éditeur qui lui demande d’écrire un roman et lui propose de le rémunérer avant même la publication, ce qui lui permet de quitter son boulot. Il rédige alors « Le postier » en 21 jours. Ce sera le véritable début de sa carrière. Ensuite il rencontre Linda, avec laquelle il se mariera en 1985. Une femme extraordinaire qui veillera sur lui et l’accompagnera jusqu’à son dernier souffle.

Un album sympa mais sans plus. C’est assez décousu, on passe d’un événement à l’autre, d’une période à l’autre sans véritable lien. Le portrait est touchant sans tomber dans l’idolâtrie, ce que je craignais le plus. Maintenant je me demande à qui s’adresse cette BD. Les fans connaissant sa vie par cœur (c'est-à-dire moi) n’y apprendront rien de nouveau. Les autres risquent d’être un  peu perdus. Surtout, le plus gros problème selon moi c’est que l’on ressort de cette lecture sans avoir compris à quel point cet écrivain est gigantesque. Je ne sais pas, ça manque de citations, de quelques extraits, d’indices permettant à un néophyte de déceler la nature si particulière et incroyablement moderne de son œuvre. Du coup, « frustration » est le mot que je garderais en refermant ce livre.


Goodbye Bukowski de Flavio Montelli. Casterman, 2014. 156 pages. 15 euros.



jeudi 23 janvier 2014

Feu pour feu de Carole Zalberg

C’est la lettre d’un père à sa fille emprisonnée. Un père qui a quitté son pays d’origine alors qu’elle n’était qu’un bébé, le jour où tous les habitants de leur village ont été massacrés. Ensemble ils ont traversé des déserts et des océans avant d’échouer dans les rues et les parcs de villes sans nom. Ils ont erré, de centre de rétention en foyer de travailleurs, jusqu’à l’obtention du permis de séjour, ce Graal qui, enfin, aurait dû leur permettre de se réinventer une vie, même au cœur d’une cité délabrée. Mais le bébé, devenu une jeune fille hargneuse et révoltée, a commis l’irréparable…

Ce petit texte renforce ma conviction qu’il n’y a rien de tel que les écrits courts pour voir ce qu’un auteur a dans le ventre. Bon, en même temps je déteste les pavés, c’est pas un scoop alors je ne suis sans doute pas objectif mais quand même. Dans l’écriture minuscule l’écrivain se met à nu. Pas possible de se cacher ou de tricher, tout est dit en si peu de mots. C’est risqué, très casse-gueule même. Mais c’est un révélateur indiscutable. Et pour le coup ici, c’est parfait. Rien de trop, pas un poil de gras (petit clin d’œil en passant à Anne qui aime cette expression), on est tout de suite sur l’os. Évidemment je suis fan. Et puis quelle langue ! Le récit du père vous emporte, les interventions de sa fille vous laissent groggy, c’est magnifiquement construit.

Pour cette nouvelle lecture commune, Noukette m’a envoyé un petit message il y a quelques jours alors qu’elle venait de terminer le livre et que de mon coté je ne l’avais pas encore ouvert. En gros elle me disait « Ai fini Zalberg, outch ! ». Je crois que c’est ça, « outch ! ». Parce que cette histoire on la prend de plein fouet. L’histoire d’un homme qui fuit son pays en guerre avec son enfant sous le bras. Son voyage n’a rien d’une épopée au long cours. Rien non plus de glorieux, pas la peine d'en faire un roman fleuve, c'est juste une question de survie. On sent la tendresse, l’amour, le lien indestructible qui unit ces deux exilés. Mais avec les années le fossé se creuse entre le père et sa fille et l’inéluctable se produit : « J’ai accepté que le monde se glisse entre toi et moi et regarde, mon Adama, regarde où le monde t’a conduite ! Regarde où il t’a jetée ! ». Les mots disent la fragilité de l’homme, son incompréhension aussi. Naïvement, il a eu la faiblesse de croire que le plus dur était derrière eux : «  Je ne me pardonne pas d’avoir cru que toi et moi, parce que nous en avions eu notre content, de drame, nous en avions fini. » Mais son bébé est devenu une ado de 15 ans emportée par le tourbillon de la cité et pour ce père, le besoin de consolation est aujourd'hui impossible à rassasier (une expression que j'emprunte à l'écrivain suédois Stig Dagerman).

C’est beau, c’est fort, c’est intense. Une tragédie. Outch !

Allez, un dernier petit extrait, j'aurais pu en citer tellement d'autres : "Je ne pourrai remonter le cours de notre vie jusqu'au lit de ton crime car il est le dernier domino à tomber et j'ignore ce qui, de mon silence, de nos épreuves, de ton désœuvrement ou de tout autre chose encore a été le premier vacillement. Et quelle différence cela aurait-il fait si je t'avais raconté d'où nous venions ?"

Feu pour feu de Carole Zalberg. Actes Sud, 2014. 72 pages. 11,50 euros.

Une lecture commune percutante que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona et Noukette.

Les avis enthousiastes de BrizeClara, Jostein et Un endroit pour lire