Chez Perrault on est face à un texte adulte à l’érotique barbare, pas une bluette pour enfants. Pour autant ce conte est le seul de son recueil à avoir une fin aussi cruelle, aussi définitive. Il possède également une sobriété réaliste qui détonne : pas de magie, de fée, d’ogre ou de sorcière.
Anne-Marie Garat passe en revue toutes les composantes de ce récit court à l’unité de temps et d’espace remarquable. Le rôle de la mère, celui de la galette (important !) mais aussi celui du décor où la tragédie se joue, l’effrayante forêt des contes, celle où se déchaîne le Mal, où s’expriment la cruauté et le chaos de la nature.
Je ne vais pas revenir sur chaque chapitre pour éviter de tomber dans la paraphrase mais sachez que l’auteur passe Le Petit Chaperon rouge au tamis de l’histoire littéraire, de l’étymologie, de la stylistique et bien sûr de la psychanalyse. La question de la pédophilie est un élément central auquel vient se rajouter un soupçon de gérontophilie (le loup abuserait sexuellement de la grand-mère avant de se jeter sur elle et de la dévorer).
Mais en fait, ce que j’ai le plus apprécié, c’est la réflexion autour de la qualité littéraire du texte. Perrault est tout simplement parvenu à lui donner une musicalité exemplaire. « Il chante et chantonne, enchante de sa rythmique empruntée aux comptines et formulettes, les diminutifs variés multipliant le jeu de volubilité, l’alternance des voix et du récitatif répétant en leitmotiv toutes les tournures et les clés du langage. Il est un rite de passage, en son texte réglé comme portée musicale, à la note près, à la virgule près. »
J’ai aimé aussi apprendre comment le bourgeois Perrault, qui ne s’intéressait pas une seconde aux petites gens, à pu recueillir ces « textes de riens, venus d’une humanité sans valeur ». N’ayant pas accès à la source paysanne des contes, il les recueille par l’intermédiaire de la nourrice de son fils Pierre, qui a lui-même consigné dans un cahier les histoires racontés par cette femme au coin du feu. Alors qui de Pierre ou de son père est le réel auteur ? A l’évidence, c’est la réécriture de Charles qui a magnifié la matière brute du départ : « Il ne s’agit donc pas d’un divertissement subalterne et sénile, ni d’une activité excentrique. Avec un immense esprit de sérieux et un sens aigu de la modernité, Charles Perrault entreprend, à la suite de Pierre, d’écrire l’oral, d’en fixer la variable et insaisissable matière en une forme rigoureuse, qui, tout en gardant son caractère originel, obéit aux exigences et à l’esthétique classique de son temps, et lui donne dignité littéraire, jusque dans son choix de la prose, pour la majorité de ses contes. »
Un ouvrage à la fois érudit et simple d’accès. Voila une explication de texte d’une imparable limpidité qui mérite bien un 20/20.
Une faim de loup : lecture du Petit Chaperon rouge d’Anne-Marie Garat. Babel, 2008. 232 pages. 7,70 euros.
Une lecture commune que j’ai l’immense plaisir de partager avec Marilyne (il y avait longtemps que nous n’avions pas débuté une semaine ensemble, comme tu dis, et ça me manquait !). Et un grand merci à Canel pour le prêt !
Ma connaissance de la symbolique des contes se réduit à ... pas grand chose ! Marilyne a déjà tentée de m'expliquer les grandes lignes mais j'ai encore tout à apprendre ! ça a l'air très intéressant mais tout de même un peu complexe pour moi la débutante !
RépondreSupprimerNon ce n'est pas si complexe que ça. Personnellement j'ai trouvé ça assez passionnant.
SupprimerTon billet et l'analyse sont très intéressants mais tu sais quoi, j'ai encore envie de garder pour moi l'image que j'ai du "petit chaperon rouge", celui de mon enfance.
RépondreSupprimerMalgré mon grand âge je suis encore une petite fille ;D
Le Chaperon de ton enfance n'est pas forcément celui de Perrault d'ailleurs. Si à la fin du conte on ouvre le ventre du loup pour en sortir la fillette sans dommages, c'est que tu n'es pas dans la version originale ;)
Supprimer« Les jeunes filles, belles, bien faites et gentilles, font très mal d'écouter toutes sortes de gens. », voici la conclusion de la version originale. Heureusement que je te connais un peu, Jérôme ! Je peux quand même suivre tes conseils sans prendre le risque de me faire dévorer. Au mieux, c'est moi qui dévorerai le livre !
RépondreSupprimerDévorer le livre, ce serait déjà beaucoup !
SupprimerCa me rappelle un essai de Bruno Bettelheim : http://livre.fnac.com/a341037/Bruno-Bettelheim-Psychanalyse-des-contes-de-fees
RépondreSupprimerPassionnant du reste !
Exactement j'ai pensé aussi à ce livre dont je ne trouvais plus le titre... Merci !
SupprimerBettelheim, c'est une excellent référence mais ici l'analyse n'est pas que psychanalytique.
SupprimerJ'ignorais moi aussi la façon dont Perrault avait récolté ces contes, qui pose quelques questions intéressantes sur la "paternité" de ces textes (me voilà replongée dans mes souvenirs des cours d'histoire de la littérature et du droit d'auteur...)
RépondreSupprimerTout comme Marilyne, tu m'as convaincue, je lirai cette analyse.
L'auteure aborde cette question dans les derniers chapitres et je crois que ce sont les aspects du livres que j'ai préférés.
SupprimerJ'ai lu Psychanalyse des contes de fées, il y a fort fort longtemps, mais là je craquerais bien encore!
RépondreSupprimerLes deux livres sont finalement très différents.
SupprimerComme Hélène je pense à Bruno Bettelheim ou à Gaston Bachelard qui s'est intéressé au symbolisme dans la littérature. Mais plus que tout, que penserait Perrault de toutes ces analyses, on fait une interprétation moderne de textes qui ont plusieurs siècles.
RépondreSupprimerJe me souviens d'un prof qui décortiquait tellement les textes, qu'il enlevait tout le plaisir de la lecture....si ça se trouve on a tout faux dans ces interprétations...
Mais j'aime bien, c'est intéressant (tant que c'est pas moi qu'on dissèque ainsi!! :) )
L'intérêt ici c'est q'une grande partie de l'interprétation est remise dans le contexte de l'époque. Et ça change totalement la lecture moderne que l'on peut avoir de ce conte.
SupprimerCe livre doit être passionnant (d'Anne-Marie Garat en plus!). Il me fait évidemment penser à Bettelheim et sa psychanalyse des contes de fées. Je note!
RépondreSupprimerSi tu as lu Bettelheim, tu verras que les deux approches ne sont pas tout à fait les mêmes.
SupprimerJ'ai lu aussi Bettelheim... très intéressant.
RépondreSupprimerC'est peu ragoûtant et l'innocence est bien mise à mal !
Peu ragoûtant, c'est rien de le dire !
SupprimerCe siècle est celui des " folkloristes " en Occident, c'est à dire des auteurs qui permettent de fixer la tradition-transmission orale à l'écrit, rien que ce sujet là est passionnant.
RépondreSupprimerProchaine lecture plus sucrée :)
C'est exactement ça, cette fixation de l'oral dans l'écrit (et en même temps son indispensable transformation) est juste passionnante.
SupprimerJe me souviens qu'en 1ere année de fac, on avait eu un manuel qui décryptait tout ce qu'il y avait de terriblement cruel et subversif dans les contes et de leur nécessaire catharsis sociale....Ton billet me fait immédiatement pensé à ce très vieux souvenir, j'avais été très impressionnée, depuis je ne les lis plus pareil aux enfants
RépondreSupprimerC'est certain, la symbolique des contes est vraiment multiple.
SupprimerIdem que sur Babelio.
RépondreSupprimerLa flemme du lundi soir, alors je fais un cop-coll : Yep, suis ravie de ton enthousiasme ! J'avais d'abord découvert des bribes (il s'agit de la thèse de A-M G., je crois) sur le net, vraiment alléchantes. Et oui, simple d'accès, en plus.
Ajout : Plus simple que 'Psy des Contes de Fées', qui m'avait bcp plu aussi.
Plus simple et moins purement psychanalytique que Bettelheim. Et puis l'écriture d'Anne-Marie Garat est de grande qualité.
SupprimerJ'aime beaucoup Anne Marie Garat et je ne connaissais pas du tout cet essai... Mais je n'aime pas trop en général que l'on décortique un texte, même si c'est un conte... Je trouve que ça lui enlève une bonne partie de son mystère...
RépondreSupprimerLà pour le coup il est décortiqué en long, en large et en travers.
SupprimerUn enthousiasme extrêmement communicatif !
RépondreSupprimerJ'espère bien !
SupprimerAh tiens, ça ça me parle bien ! Je suis très contes (même ceux de la folie ordinaire), et j'aime particulièrement les contes détournées, revisités, réadaptés, bref, et évidemment, tout ce qui s'y rapporte, comme analyse & co.Super, un LAL+1 qui me fait bien plaisir, je ne connaissais pas.
RépondreSupprimerRajoute donc ça à ta LAL puis à ta PAL, c'est un bon choix, même si la lecture finale est prévue aux alentours de 2019-2020^^
SupprimerPeut-être pas - en fait il y a pas mal de LAL récentes que j'ai fait passer en PAL puis en LUS dernièrement. C'est assez imprévisible ces trucs-là en fait.^^ Là je suis sur un ni LAL, ni PAL, juste un VU à la bibli. Je saute des étapes aussi parfois.^^
SupprimerC'est bien, tu es imprévisible, j'aime ça ;)
SupprimerCe doit être très intéressant, cette explication de texte. Je retournerais volontiers à l'école le temps de 232 pages...
RépondreSupprimerEt ce qui est bien aussi c'est que ce n'est pas du tout scolaire.
SupprimerOh c'est très intéressant tout ça. Je pensais, au contraire, que les contes de Grimm étaient les moins édulcorés, les plus cruels. Je ne connaissais pas cet ouvrage mais ce que tu en dis me donne envie de le découvrir.
RépondreSupprimerPour le Petit Chaperon rouge, il y a un monde de cruauté entre la version de Perrault et celle des frères Grimm.
SupprimerJ'avais bcp aimé de AM Garat "dans la main du diable", et j'ai aussi lu ce bouquin très intelligent qui se lit presque comme un roman tant il est accessible. Grâce à lui j'ai lu ce conte autrement et je l'ai aussi transmis autrement à mes élèves...
RépondreSupprimerOui, c'est à la fois accessible et pointu.
SupprimerIl y avait déjà eut une analyse psy des contes. Voilà un nouvel éclairage.
RépondreSupprimerC'est complémentaire en fait.
Supprimertrès intéressant apparemment! Ma fille de 5 ans connaît presque le conte par cœur, je lui offrirai ce livre dans quelques années :-)
RépondreSupprimerQuelques années oui, parce que là pour le coup elle est encore un peu jeune^^
SupprimerNoté! Et même souligné! Je ne connaissais pas ce livre, mais les contes, leur histoire, leurs origines, m'intéresse. J'aime les contes subversifs, dérangeants, difficiles, pas ceux édulcorés que nous ont offerts Disney et autres pour enfant. Donc, son analyse du Petit Chaperon rouge m'intéresse beaucoup! Merci :)
RépondreSupprimerEt là pour le coup on est très loin de chez Disney !
Supprimerj'ai aimé découvrir ce conte petite puis le relire au collège et le travailler à la fac tout en me disant à chaque fois, mais c'est dingue ce qu'on peut trouver là dedans ! Le plus drôle est que lorsque je donne cette version a mes élèves ils me disent que ce n'est pas le vrai ! hihi !. C'est sans doute le texte le plus parodié aussi et là il y a quelques pépites à découvrir ;)
RépondreSupprimerLes variantes sont nombreuses mais si on veut vraiment les apprécier, mieux vaut commencer par découvrir l'originale !
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