« Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement. Il faudrait dire de l’emmurement. Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. »
La maison des femmes est un lieu où sont parquées les recluses, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu être elles-mêmes. La narratrice y vit avec sa mère. Elle y est née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Les circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de la bâtisse et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu.
Au-delà de la quête des origines, ce texte d’une beauté élégiaque est avant tout un cri de révolte. Contre la complaisance, la résignation de ces femmes acceptant leur sort, ces femmes devenues dépendantes au mal qu’infligent les hommes. C’est une voix qui s’élève pour dire « je viens de vous mais je ne suis pas à vous et je refuse de me sacrifier comme les femmes, depuis des millénaires, se sacrifient ». Sacrifiées « par fidélité, par honneur, par devoir, n’osant pas se lever et se rebeller. On les avait, ces femmes, dressées pour et quand est venu mon tour de choisir quel chemin prendre, il y eut, d’abord, ce besoin viscéral de me dresser contre. Contre elles et leur docilité de petites chiennes effrayées par l’ombre du maître quand moi, moi ma vie, moi mon destin, c’était, ce maître, l’approcher, le sentir, le toucher, et, yeux dans yeux, malgré le souffle court et le soulèvement vif du cœur dans la poitrine, lui murmurer à l’oreille : vois comme je n’ai pas peur de toi. Vois comme je te comprends. Vois comme je t’aime. »
Je suis sorti de ce roman abasourdi par la puissance de l’écriture, sensuelle, heurtée, poétique. L’absence d’ancrage géographique et temporel donne au propos un coté universel. Et mon regard masculin ne peut que constater l’évidence : oui, en se réfugiant derrière le poids des traditions et la force brute, les hommes ne font que signifier leur lâcheté. Incontestablement ma lecture la plus marquante de la rentrée littéraire.
A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harhci. Actes Sud, 2014. 164 pages. 17,80 euros.
Les avis de Jostein, Leiloona, Marilyne, Nadael, Noukette, Stephie
Les quelques billets lus plus le tien aujourd'hui me font dire que ce sera une lecture indispensable cette année.
RépondreSupprimerJe pense aussi que c'est un incontournable de la rentrée.
SupprimerBon, je vois que je suis la seule gênée par la redondance des cahiers intimes et par le style qui colle peu à certaines femmes ;)
RépondreSupprimerPour tout t'avouer, il y a un des carnets qui m'a gêné aussi, mais je n'en ai pas parlé dans le billet.
SupprimerTon avis est une excellente nouvelle, je l'ai acheté très récemment :-)
RépondreSupprimerJ'espère que tu aimeras autant que moi.
SupprimerJ'ai beaucoup aimé ce roman aussi. La tension très palpable, qui monte d'ailleurs au fil des pages, prend à la gorge et oppresse. Quand je suis sortie de cette lecture, j'avais l'impression de manquer d'air...
RépondreSupprimerC'est vrai que c'est assez étouffant.
Supprimeril m'attend !
RépondreSupprimerTant mieux !
SupprimerJe l'ai lu aussi......
RépondreSupprimerEt ?
SupprimerTa conclusion dit tout, sur l'écriture, sur le propos sans concession. Lecture marquante de cette rentrée pour moi aussi !
RépondreSupprimer( merci pour le lien )
Aucune concession, je suis bien d'accord avec toi.
SupprimerJe suis définitivement une grande fan de cette femme... Elle a une voix à part je trouve, et moi, elle me bouleverse...!
RépondreSupprimerIl ne te reste plus qu'à lire L'ampleur du saccage maintenant, une grosse claque à prévoir aussi !
Je lirai L'ampleur du saccage un jour ou l'autre, pas possible autrement.
SupprimerOn dirait une dystopie. Je retiens la couverture et si je le vois à la bibli, je le prendrai pour le feuilleter.
RépondreSupprimerLa couverture est très belle en plus.
SupprimerJe n'avais pas particulièrement aimé L'ampleur du saccage. Mais celui-ci me tente.
RépondreSupprimerEt moi j'ai maintenant envie de découvrir L'ampleur du saccage au plus vite.
SupprimerC'est vrai ? A ce point-là?
RépondreSupprimerCe livre est un peu partout avec globalement de bonnes critiques ( à part Stephie je crois), ce qui tu le sais me fait toujours hésiter, mais je dois dire que ton billet me donne l'impression qu'il serait peut-être l'une des belles lectures de cette rentrée !
Je ne sais pas s'il te conviendrait, il faudrait que tu essaies.
Supprimerj'ai essayé de poster un commentaire de ma tablette mais il n'est pas passé, je ne sais pas pourquoi, ton blog "exige"! que je sois sur mon ordi!!!
RépondreSupprimerje lirai ce livre , tu m'as tenté,
Je sais qu'il y a parfois beaucoup de problèmes pour laisser un commentaire et je n'y trouve malheureusement aucune solution.
SupprimerC'est sûr, je finirait pas le lire. Mais je ne sais pas quand.
RépondreSupprimerCa ne va pas jusqu'au coup de coeur tout de même?
Non, pas jusqu'au coup de cœur parce qu'il y a un ou deux détails qui m'ont un poil dérangé.
SupprimerIrais-tu jusqu'à me dire quoi? Ou tu ne peux pas pour ne rien dévoiler?
SupprimerSi tu le lis, on en discutera après et je te dirais tout ;)
Supprimerça a vraiment à voir avec des points très précis.
Je t'envoie un MP. ;)
Supprimerok, par MP je pourrais tout te dire ;)
SupprimerJe l'ai noté. Il n'y a que des bonnes critiques ... Tu confirmes !!!
RépondreSupprimerL'enthousiasme est justifié je dois dire.
Supprimerje ne l'avais noté, le thème me plombant le moral plus qu'autre chose mais tu me ferais changer d'avis :-)
RépondreSupprimerLe sujet n'est pas super rigolo, c'est certain.
SupprimerCe roman fait l'unanimité, il fera très certainement partie de mes lectures cette année.
RépondreSupprimerOui, pour l'instant, il met tout le monde d'accord.
SupprimerEt bien ta note est marquante aussi ! Tu me donnes envie, même si je crains de friser la dépression à la fin de ce roman.
RépondreSupprimerC'est assez plombant mais c'est aussi très beau.
SupprimerVous êtes tous tellement enthousiastes que c'est difficile de ne pas être tentée !!
RépondreSupprimerNous sommes unanimes, c'est vrai.
SupprimerFranchement, je ne sais pas ce que j'ai mais je trouve toutes les lectures "barbantes", j'ai feuilleté ce roman et l'écriture ( tordue ou poétique?) m'a refroidie (pff).
RépondreSupprimerJe vais attendre que ça passe.
T'as qu'à replonger dans un Lansdale pour te remettre dans le bain !
SupprimerJe l'ai noté car je voudrais absolument le lire
RépondreSupprimerJe peux le faire voyager si tu veux.
SupprimerRepéré chez Noukette, je l'avais déjà noté (ouf) (chouette cette impression de ne pas surcharger sa LAL^^).
RépondreSupprimerMais c'est juste une impression ;)
SupprimerCe roman à l'air vraiment intéressant! je vais l'ajouter à ma PAL. Merci pour la découverte !
RépondreSupprimerIl mérite que l'on s'intéresse de près à son cas.
SupprimerAhahah voilà que je lis enfin ton avis sur le livre sur lequel je travaille (il était temps tu me diras !). Aimerai bien savoir pourquoi ce n'est pas un coup de cœur ?! je crois que je vais t'envoyer petit mot pour savoir quels sont les petits détails qui t'ont dérangé .... (oui suis curieuse moa !)
RépondreSupprimerDes BISOUS <3