lundi 21 janvier 2013

Jour de grève chez les marmottes / Nina Têtemba

C’est quoi ces gosses qui ne veulent pas dormir ! C’est peut-être parce que je vais bientôt être confronté au problème que j’ai choisi ces deux albums. Les histoires sont différentes mais le point de départ est le même : un personnage refuse d’aller se coucher et en route pour l’aventure !


Snitselaar et Saudo © Balivernes 2012
Bientôt l’automne dans les alpages. Les parents préparent le terrier pour l’hibernation mais les petites marmottes ne l’entendent pas de cette oreille : cette année, c’est décidé, elles font la grève du sommeil. A la place de la longue sieste qui s’annonce, elles préfèrent jouer à cache-cache dans la forêt, construire un barrage sur la rivière ou encore grimper en haut de la montagne. Mais malgré toute leur bonne volonté, c’est la fatigue qui aura le dernier mot...
Trop mignonnes ces marmottes en forme d’œuf de pâques. Chacune possède sur la fourrure un motif spécifique, ce qui permet de les distinguer les unes des autres et si on le souhaite, de mettre en place un petit jeu d’observation et de discrimination visuelle pour les plus petits. Un album très simple et rigolo comme tout. Et puis les marmottes, ça change des lapins et des souris !

Jour de grève chez les marmottes de Nicole Snitselaar et Coralie Saudo. Balivernes éditions, 2012. 28 pages. 8 euros. A partir de 3-4 ans

Snitselaar et Saudo © Balivernes 2012



Puidebois et Lacombe © Balivernes 2012
Chez les chauves-souris, il est l’heure d’aller se coucher. Mais la petite Nina refuse de dormir la tête en bas. Elle descend donc voir l’oiseau et lui demande comment il s’y prend pour trouver le sommeil. En équilibre sur une patte, ce n’est pas pratique ! Elle rencontre ensuite le lapin, le poisson, le hérisson et le putois mais aucun ne dort de façon convenable. Déçue, la chauve-souris n’a d’autre choix que de rentrer chez elle…
Un album en randonnée classique qui se démarque visuellement grâce à la subtile technique de collage utilisée par Nicolas Lacombe dont le rendu sur fond noir est réellement superbe.  
Si l’on devait trouver une morale à cette histoire, ce serait que rien ne vaut le cocon familial pour passer une bonne nuit !

Nina Têtemba de Laurence Puidebois et Nicolas Lacombe. Balivernes éditions, 2012. 28 pages. 8 euros. A partir de 3-4 ans.


Puidebois et Lacombe © Balivernes 2012


Ce billet signe ma première participation au challenge Je lis aussi des albums de Sophie 


samedi 19 janvier 2013

Pêche en eau trouble - Carl Hiaasen

Hiaasen © 10/18 2004
Voila, ça y est. Enfin. J’ai lu un polar de Hiaasen. J’avais pourtant dit que c’était pas mon truc les polars. Pas du tout même. Et puis Hélène a insisté. A force de persuasion, elle a su me convaincre : si je ne devais en lire qu’un, il fallait qu'il soit de Hiaasen. Je lui ai demandé lequel et elle m’a tout de suite conseillé Pêche en eau trouble. J’ai dit banco et j’ai bien fait.
 
Au cœur de la Floride profonde, celle des rednecks racistes et incultes, les concours de pêche au bass (un poisson d’eau douce proche de la perche) sont à la fois une passion et une grosse industrie. Engagé par un richissime pêcheur pour piéger la star incontestée de la discipline soupçonnée de tricherie, le privé RJ Decker va mettre les pieds dans un engrenage dont il va devenir malgré lui un rouage essentiel.      
  
Quelle galerie de personnages : un révérend véreux, un ermite se nourrissant exclusivement d’animaux écrasés récupérés sur la route, une garce incendiaire, un champion de pêche crétin, une tripotée de ploucs décérébrés, j’en passe et des meilleurs. Hiaasen ne ménage personne. Les héros et les salauds en prennent tous pour leur grade à un moment ou à un autre. Il décrit un nombre incalculable de situations barrées à souhait et pourtant on y croit (le coup du pitbull sur le tueur à gage, je ne l’avais pas vu venir !). Pas une seconde de répit, tout s’enchaîne avec fluidité et jamais l’auteur ne se laisse déborder par la surenchère permanente qu’il met en place. Dialogues surréalistes et humour noir cohabitent avec une violence qui fait parfois froid dans le dos. Mais derrière la grande pochade de façade se cache une dénonciation sévère de la pression immobilière qui détruit les derniers espaces naturels à grand coup de corruption ou encore de ces prédicateurs arnaqueurs qui pullulent sur les chaînes chrétiennes du câble. Le tout sans en rajouter, sans jamais tomber dans ce coté « donneur de leçon militant » qui pourrait lasser à la longue. 
                
Pour faire court, je me suis régalé. Comme quoi ça vaut toujours la peine d’écouter les bons conseils. Maintenant, j’en suis à deux polars depuis le 1er janvier, soit deux de plus que sur l‘ensemble de l’année dernière. Faudrait voir à ralentir sacrément la cadence avant que je n’y prenne goût.      
         
Pêche en eau trouble de Carl Hiaasen. 10/18, 2004. 478 pages. 8,80 euros. 

vendredi 18 janvier 2013

Le singe de Hartlepool

Lupano et Moreau
 © Delcourt 2012
1814. Un navire français sombre à quelques encablures des côtes anglaises, face au village d’Hartlepool. Le lendemain les villageois trouvent sur la plage un survivant du naufrage. C’est un chimpanzé, habillé d’un uniforme français, qui servait à bord de mascotte. Le prenant pour un être humain (et surtout pour un ennemi), ils le capturent et organisent un procès où le pauvre animal sera condamné en bonne et due forme par la vindicte populaire.     
      
On se dit au départ que c’est gros, trop gros. Comment peut-on confondre un singe et un homme ? Tout simplement en pensant que cet énergumène braillard dont la langue semble si agressive à l’oreille ne peut être qu’un de ces « fils de chienne engrossée par le diable déguisé en porc » que l’on trouve sur le sol français. Après tout, dans ce trou perdu d’Hartlepool, personne n’a jamais vu un soldat de Napoléon. Lupano s’est inspiré d’une légende toujours vivace en Angleterre. D’ailleurs la postface nous apprend qu’aujourd’hui encore les habitants d’Hartlepool continuent d’être la risée du royaume et sont affublés du sobriquet peu flatteur de monkey hangers, « les pendeurs de singe ».

Le récit dénonce, en vrac et sans hiérarchie, l’ignorance crasse, la haine, le nationalisme exacerbé, l’obscurantisme le plus désolant ou encore l’effet de masse qui transforme des individus en un groupe d’abrutis (petite dédicace personnelle en passant aux supporters des équipes de foot que j’adore…). Le tout sans jamais tomber dans un quelconque didactisme plombant. Parce qu’il faut bien reconnaître que cette histoire sordide est aussi drôle, surtout grâce à son incroyable galerie de personnages (avec une mention spéciale pour le vieux cul-de-jatte Patterson), tous plus lourdauds et ridicules les uns que les autres et à ses savoureux dialogues truffés d’injures que les rosbeefs adressent aux bouffeurs de grenouilles : « Saleté de cloporte nourri à la fiente de poule ! Crevure de bouffeur de tripes de rats ! Sale glaviot de vieux ragondin malade ! Espèce de déjection d’hirondelle africaine bouffée par les vers ! » L’outrance des propos va de pair avec la violence sourde de certaines scènes qui peuvent mettre le lecteur mal à l’aise mais l’équilibre fragile entre le cocasse et l’insoutenable n’est jamais rompu. Et si le sort du pauvre singe est abominable, le clin d’œil final apporte un peu de lumière dans cette sombre tragédie.  
  
Graphiquement, le trait nerveux de Moreau sonne juste et traduit bien les emportements incontrôlés de la populace, le tout sous un ciel gris délavé typiquement anglais.  
  
Assurément un titre qui me marquera durablement tant la portée de son message reste malheureusement universel. Une découverte que je dois à Noukette (rendons à César !) et que j’ai le plaisir de partager avec Mo’, Lunch et Badelel. Encore une lecture commune me direz-vous. Et oui, il n’y pas de mal à se faire du bien !

Le singe de Hartlepool de Wilfrid Lupano et Jérémie Moreau. Delcourt, 2012. 94 pages. 14,95 euros.  

Les avis de Mango, Yvan, Hélène, MokaNoukette


Lupano et Moreau © Delcourt 2012



jeudi 17 janvier 2013

Éloge des garces

Liaut © Payot 2013
Saviez-vous que jusqu’au 16ème siècle, garce était le féminin du mot gars. Les dictionnaires lui donnèrent par la suite un autre sens, faisant de la garce une méchante, une fille de mauvaise vie. L’auteur prévient d’emblée : si la garce aime défier les conventions sociales, ne voyez pas en elle une féministe ! Cette femme, le plus souvent  « magnifique effrontée », se caractérise en premier lieu par son appétit de vivre : « Elle n’est intolérante qu’à la frustration. »

Dans son éloge, Jean-Noël Liaut dresse une rapide classification des différents types de garces, en commençant par la courtisane, garce parmi les garces, voleuse de mari qui n’aime rien moins que presser ses richissimes protecteurs « jusqu’au moment où ils ne donnent plus de jus. » Ainsi « La Belle Otero », chanteuse et danseuse de cabaret de la belle époque. Fille de prostituée, violée à 11 ans, elle haïssait tant les hommes que les détruire devint son passe-temps favori. Rien ne lui faisait plus plaisir que de comptabiliser les suicides de ses amants délaissés. 

Parmi les nombreuses femmes de lettres que l’on peut qualifier de garces, l’auteur retient trois noms : Louise de Vilmorin, connue pour son égocentrisme qui « portait plus volontiers le deuil d’un vase que celui d’un être humain » et qui déclara : « Une personne est intéressante parce que je l’intéresse. » Anaïs Nin, fieffée menteuse qui ne cessait dans son journal de travestir la réalité à son profit. Et enfin Dorothy Parker, célèbre pour son incommensurable méchanceté et sa capacité à afficher au fil de son œuvre ses multiples dégoûts et sa cruelle lucidité. 

Une autre caractéristique de la garce est son coté glamour. L’icône absolue des GG (Garces Glamour, un acronyme imaginé par l'auteur) reste incontestablement la somptueuse Marlène Dietrich. On peut y ajouter Joan Crawford et Bette Davis, flamboyantes garces hollywoodiennes devenues les pires ennemies. Quand Davis balançait, apprenant que Crawford voulait jouer du Shakespeare : « Nous sommes tous tellement excités de savoir que Joan a appris à lire », l’autre rétorquait : « Miss Davis a couché avec toutes les stars masculines de la MGM, à l’exception de Lassie. »

Toujours dans le domaine des garces glamour, on pourrait citer les filles de la famille Gabor qui, à elle quatre (les trois sœurs et leur mère) comptabilisèrent vingt-trois maris. Des croqueuses de mâles assumant leurs actes avec une épatante répartie. Ainsi Zsa Zsa déclara-t-elle : « Je n’ai jamais assez détesté un homme pour lui rendre ses diamants. »

Pour Liaut, le mot « garce » est à l’évidence un titre de noblesse en voie de disparition. Parmi les figures féminines actuelles, il n’y a guère que les couguars et les belles-mères qui méritent selon lui ce qualificatif. Ce n’est pas Blanche Neige et Cendrillon qui diront le contraire. Et puis un dicton italien n’affirme-t-il pas : « La vipère qui a mordu ma belle-mère est morte empoisonnée. »

Cet éloge est donc un bel hommage (certes un peu rapide) empreint de nostalgie. Les suppôts du politiquement correct ont fini par faire des garces une espèce quasi éteinte : « aujourd’hui, l’inventaire des spécimens les plus célèbres de ces trois cents dernières années ressemble à une liste de braves tombés au combat. La garce fière de son état, qui s’affichait avec franchise, sans remords, est délaissée au profit d’une fadeur frileuse et soporifique. » Les garces auraient donc disparu. Personnellement ça ne me gêne pas mais à y regarder de plus près, je ne suis pas loin de partager ce constat. Je travaille depuis longtemps dans un milieu très féminin et je n’ai jamais eu l’impression de côtoyer la moindre garce. Pareil avec la blogosphère (du moins pour ce qui concerne les blogs consacrés à la lecture) : quasiment que des filles et, il me semble, pas l’ombre d’une garce. Suis-je naïf à ce point ?     

Éloge des garces de Jean-Noël Liaut. Payot, 2013. 120 pages. 13,50 €

PS : je veux bien faire de cet ouvrage un livre voyageur. Si certaines d’entre vous veulent en savoir plus sur les garces célèbres, n’hésitez pas !

mercredi 16 janvier 2013

Voyage aux îles de la Désolation - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2011
Em-ba-llé ! J’ai été tellement emballé par la lecture d’un printemps à Tchernobyl la semaine dernière que j’ai voulu enchaîner de suite avec le précédent album d’Emmanuel Lepage, Voyage aux îles de la Désolation. Aussitôt dit, aussitôt fait et j’ai embarqué durant le week-end pour une croisière des plus dépaysante. 
      
En mars 2010, Emmanuel Lepage et son frère photographe passent un mois à bord du Marion Dufresne, un navire assurant le ravitaillement et la relève de personnel des TAFF (Terres australes et antarctiques françaises). De la Réunion aux Kerguelen en passant par St Paul et les îles Crozet, le dessinateur découvre la fureur des 40èmes rugissants et des 50èmes hurlants et vit une incroyable aventure humaine vers « le bout du bout du monde ». A bord du bateau, des scientifiques, des militaires et quelques touristes triés sur le volet. Lepage décrit l’expérience de manière linéaire et chronologique, réalisant des portraits, recueillant des témoignages et croquant sur le vif la faune et la flore propres à chaque île. Il s’autorise aussi quelques flash-backs historiques sur l’histoire de certains lieux emblématiques (notamment les Kerguelen) et s’attarde le plus souvent sur les menus détails qui régissent la vie à bord, focalisant son attention sur les liens qui se créent à l’intérieur de ces petites communautés isolées. La tension est souvent palpable dans cet univers clôt mais au final l’entraide et la fraternité demeurent les garants d’une certaine forme de stabilité.

Le dessin, tantôt au pastel, à l’aquarelle ou au fusain, est somptueux. Le rendu de la texture de l’eau, sa transparence, le jeu sur la lumière, tout est magnifique. Lepage a établi un code simple pour que le lecteur s’y retrouve entre ce qui a été dessiné sur place et le reste : la couleur pour les croquis d’après nature, le sépia pour les flashs-back et le lavis en noir et blanc pour le présent du récit.    

Hommage à la France du bout du monde et aux hommes qui y consacrent une bonne partie de leur vie, Voyage aux îles de la Désolation n’est pas qu’un simple carnet de voyage, loin de là. Si je devais le comparer avec Un printemps à Tchernobyl, il me semble que je préférerais quand même ce dernier. Sans doute pour son coté plus introspectif. L’expérience menée en Ukraine a quelque chose d’intime, c’est une réflexion très personnelle alors que ce récit maritime est davantage tourné vers autrui. En soi, ce n’est pas un défaut mais cela me touche moins. Ne vous méprenez pas pour autant, cet album reste une pépite et si vous êtes en manque d’embruns et de dépaysement, vous ne trouverez pas mieux pour respirer à pleins poumons l’air du grand large.  

Voyage aux îles de la Désolation d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2011. 158 pages. 24,50 euros.




Les avis de Marilyne ; Yvan ; Choco ; Noukette ; Yaneck ; Mango



Lepage © Futuropolis 2011


mardi 15 janvier 2013

Crève saucisse - Pascal Rabaté et Simon Hureau

Hureau et Rabaté
© Futuropolis 2013
Pas une bonne idée de faire des cornes à un boucher. Surtout s’il est fan de BD et qu’il trouve dans un album de Gil Jourdan un plan machiavélique pour mettre au point une implacable vengeance. Didier découvre la liaison de sa femme Laurence avec son copain Eric. Le coup est rude à encaisser mais il se dit que ces deux-là ne perdent rien pour attendre. Les vacances en couples à Noirmoutier seront l’occasion de leur faire payer une addition des plus salées…   

Crève saucisse est une comédie de mœurs noire et grinçante. Simon Hureau explique que Rabaté lui a confié un scénario principalement composé de dialogues, comme une pièce de théâtre. D’où au final ce coté vaudeville, l’humour en moins et l’acidité en plus. Le boucher amoureux est touchant. Il encaisse, souffre, cogite et décide d’agir. Il sait que sa vengeance ne lui ramènera pas sa femme mais au moins elle lui met un peu de baume au cœur. Il comprend aussi que sa moitié ait des envies d’ailleurs, qu’elle ne se contente plus d’un « petit artisan bedonnant. » Elle, de son coté, est hyperémotive et un brin fleur bleue. Elle ne vit pas l’adultère comme une simple histoire de cul. Le salaud, c’est l’amant, arriviste et profiteur qui couche avec la femme de son pote sans se poser de questions. Rabaté évite l’équation simpliste qui mettrait d’un coté le pauvre cocu juste bon à plaindre et de l’autre la femme insensible et calculatrice juste bonne à être clouée au pilori. C’est cette finesse qui fait le sel du récit.

Niveau dessin, Hureau propose un trait plus épuré, moins chargé de détails que dans la plupart de ses autres productions. Simple et efficace, la lisibilité avant tout.

Une lecture agréable sur un sujet déjà abordé des milliers de fois et quasi impossible à renouveler. Je ne regrette absolument pas d’avoir jeté  mon dévolu sur cet album mais je me demande s’il m’en restera grand-chose dans quelques temps. En tout cas il m’a au moins permis de relire La voiture immergée ce week-end, pour voir quelle influence a eu le scénario de Tillieux sur le plan imaginé par le boucher. Et rien que pour ça, ça valait la peine !

Une lecture de plus que j’ai le plaisir de partager avec Mo’. Si je devais reprendre son célèbre système de notation, je gratifierais cet album d’un pouce levé, ni plus, ni moins.

Crève saucisse de Pascal Rabaté et Simon Hureau. Futuropolis, 2013. 80 pages. 17 euros.


Hureau et Rabaté © Futuropolis 2013

lundi 14 janvier 2013

La boucherie des amants de Gaetano Bolan

Bolan © Livre de poche 2011
Dans une petite ville chilienne, sous Pinochet, une boucherie de quartier tenue par Juan est le théâtre de nombreuses rencontres. Le boucher veuf, son fils aveugle Tom et l’institutrice Dolores forment le noyau central de l’histoire. S’y ajoutent le coiffeur Chico et quelques membres d’un bureau révolutionnaire se réunissant dans une pièce située à l’arrière de la boucherie. Des gens de peu qui rêvent d'un avenir meilleur... 

Je ne voulais pas garder une mauvaise impression de Gaetano Bolan. Son second roman m’a fortement déplu, c’est le moins que l’on puisse dire. Et comme je n’ai eu que de bons échos sur cette boucherie des amants, je ne me suis pas fait prier. Pour le coup je ne regrette pas. Ce texte propose une petite musique tout en simplicité qui sonne juste. Les personnages sont bien campés et il se dégage de ce court roman beaucoup d’amour et d’espoir, même si la fin tragique rappelle à quel point le Chili de cette sombre époque fut le tombeau de nombre d’opposants au régime. J’aime cette écriture minuscule qui cherche l’épure plutôt que le lyrisme. Phrases courtes, chapitres de trois ou quatre pages maximum, succession de scènes s’enchaînant avec dynamisme pour former un récit où une certaine forme de poésie côtoie une bonne dose de réalisme. Une belle réussite en somme.       
  
Comment expliquer une telle différence entre ce premier roman et le second ? Difficile à dire. Si je devais tenter une explication toute personnelle, je dirais que le second relève peut-être de l’exercice de style, d’une tentative (malheureuse) de se faire plaisir dans un registre particulier. Nul doute en tout cas que je serais au rendez-vous si Gaetano Bolan publie un nouveau texte. Ne serait-ce que pour voir quelle direction va prendre cet auteur insaisissable.    

La boucherie des amants de Gaetano Bolan. Le livre de poche, 2011. 92 pages. 4,50 €.

samedi 12 janvier 2013

Wilderness de Lance Weller (Gallmeister)

Weller © Gallmeister 2013
Le prologue se déroule en 1965. Dans la petite chambre de sa maison de retraite, Jane Dao-ming Poole est submergée par les souvenirs. La vieille femme, aveugle depuis que ses yeux ont gelé au cours d’un hiver fort lointain alors qu’elle n’était qu’une petite fille, repense à ses trois pères. De son premier, il ne lui reste rien. Elle sait juste qu’il a été tué en même temps que sa mère, dans les montagnes, alors qu’elle avait cinq ans. C’est son second père, Abel Truman, qui l’a secourue et l’a sauvée d’une mort certaine. Le troisième a pris le relais peu après. Glenn Makers l’a adoptée et éduquée au mieux. Lui, l’homme noir marié avec une femme blanche, qui sera retrouvé pendu à une branche de peuplier.

C’est Abel Truman qui est au cœur du roman. Les chapitres alternent entre deux époques. On suit d’une part son parcours en mai 1864, au moment de la terrible bataille de la Wilderness, une des plus sanglantes de la guerre de sécession. Soldat confédéré (sudiste), Abel vit l’horreur absolue pendant plusieurs jours avant d’être recueilli et soigné par une esclave en fuite. Fait prisonnier, il décide à la fin du conflit de rejoindre la côte pacifique, au nord-ouest. On l’y retrouve en 1899, vivant en ermite dans une cabane au bord de la plage avec son chien pour seul compagnon. Malade et fatigué, il décide d’effectuer un dernier voyage au cœur de la forêt. C’est là, après de douloureuses péripéties, que sa route croisera celle de la petite Jane.   

Encore un premier roman américain impressionnant. Quel souffle, quelle maîtrise de la narration ! L’écriture de Lance Weller est très visuelle, riche de bruits et d’odeurs. La longue partie consacrée à la bataille de la Wilderness est d’un réalisme sidérant qui m’a laissé groggy. Du très grand art ! Weller est un peintre subtil de la nature. Il procède par petites touches, entre lumière et crépuscule, s’attardant sur les moindres détails. Il serait toutefois injuste de limiter Wilderness à un simple exercice de Nature Writing. Il y est aussi question de souvenirs déchirants, de convictions ébranlées et de rédemption.    
            
Aussi solidement charpentée qu’ambitieuse, cette épopée à travers l’Amérique sauvage de la seconde moitié du 19ème siècle est une nouvelle pépite dénichée par les éditions Gallmeister. Pour mon premier roman de l’année 2013, je ne pouvais pas rêver mieux !           
  
Wilderness de Lance Weller. Gallmesiter, 2013. 335 pages. 23,60 euros. 

Les avis de Dominique et de Clara


vendredi 11 janvier 2013

Ronde de nuit - Simon Hureau

Hureau © Didier jeunesse 2013
La nuit, tous les chats sont gris. Certes, mais il se passe bien d’autres choses la nuit venue. Une fête dans un immeuble, un train qui passe, des hommes et des femmes sortant du restaurant, un renard qui bondit dans la lumière des phares...

Un superbe album où les illustrations invitent à la contemplation. La nuit est ici présentée comme un moment paisible et agréable. Une période au cours de laquelle l'activité ne s'arrête pas, bien au contraire. Simon Hureau aborde le sujet loin des thématiques angoissantes que l’on retrouve souvent. Point de danger ou de mystère, juste une déambulation sereine. Les illustrations, indépendantes les unes des autres, défilent en même temps que les heures que l’on peut lire sur chaque double page, coté gauche. Une succession de petits tableaux magnifiques où le noir et les différents tons de bleu sont d’une surprenante douceur. Le texte, plutôt poétique, nous emmène dans une délicieuse balade du crépuscule à l’aurore. Pendant que l’adulte lit, l’enfant observe, cherche les détails entre ombre et lumière. Autant d’arrêts sur image dont on se délecte avec la plus grande attention.     
 
Le livre en lui-même, avec sont format à l’italienne et sont épais papier mat, est un fort bel objet. Une lecture apaisante à partager avec un petit bout qui voit arriver la nuit avec appréhension. J’ai beaucoup aimé et ma pépette n°2 aussi. D’ailleurs elle a monté l’album dans sa chambre, sur sa table de chevet. Un signe qui ne trompe pas, il va falloir le relire souvent. Tous n’ont pas cette chance, loin s’en faut !

Ronde de nuit de Simon Hureau. Didier jeunesse, 2012. 36 pages. 13,10 euros. A partir de 4-5 ans.



Hureau © Didier jeunesse 2013

jeudi 10 janvier 2013

Treize alligators - Gaetano Bolan

Bolan © Livre de poche 2012
En voulant faire une blague idiote à son ancien patron, Manuel déclenche une catastrophe. Obligé de quitter en catimini la petite ville d’Arica avec sa famille, il part pour Valparaiso. Sur place, une mauvaise rencontre va plonger ce grand couillon dans un engrenage dévastateur dont il ne sortira pas indemne…

Bon, avouons-le sans détour, je n’ai pas passé un bon moment avec ce roman. Rien ne tient debout. L’histoire est totalement improbable (un mafieux croisé dans les chiottes d’un bar vous confie une mission mettant en jeu des sommes énormissimes alors qu’il vous connait depuis 24 heures. Bien sûr, bien sûr…). Impossible d’y croire une seconde. Quitte à se lancer dans le foutraque et le décousu, autant jouer sur la dérision et l’humour comme le fait Hiassen (je vous en parle bientôt, promis Hélène). Ou alors il faut tomber dans l’hyper réalisme noir et désespéré version Benjamin Whitmer, Eric Miles Williamson ou encore Richard Price. En tout cas on ne peut pas rester dans l’eau tiède. Ici l’écriture est plate, scolaire, sans aucune personnalité. Les dialogues sonnent faux et même le décor ne dégage aucun charme. Heureusement que l’on sait au départ que ça se passe au Chili parce que sinon on aurait du mal à le deviner.  Après je ne veux pas non plus être trop méchant (trop tard me direz-vous^^). Le personnage de Manuel est plutôt bien campé, comme sa nympho de petite amie. Il y a quelques passages assez drôles et les très courts chapitres donnent du rythme. Pour le reste, je ne préfère pas en dire plus…

Désolé Clara, je sais que tu as beaucoup aimé mais je ne te suivrais pas sur ce coup là. Après tout, on peut bien ne pas être d’accord de temps en temps. On m’a soufflé que le premier roman de l’auteur était beaucoup plus réussi. Comme je ne veux pas rester sur une mauvaise impression, je vais m’y mettre de ce pas.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette, même si pour une première on aurait pu mieux tomber. Pas grave, on essaiera de se rattraper la prochaine fois.

Treize alligators de Gaetano Bolan. Le livre de poche, 2012. 135 pages. 5,10 €.

mercredi 9 janvier 2013

Un printemps à Tchernobyl - Emmanuel Lepage

Lepage © Futuropolis 2012
Avril 2008. Emmanuel Lepage arrive en Ukraine, près de Tchernobyl. Accompagné de l’illustrateur Gildas Chasseboeuf, il se rend sur place pour réaliser un reportage sur la vie des survivants et de leurs enfants à l’ombre de la centrale. D’abord terrorisé par les risques de contamination, le dessinateur va finir par appréhender les lieux avec davantage de sérénité et découvrir que, malgré l’horreur de la situation, les habitants résistent et s’organisent.
     
Si le début de l’album est particulièrement anxiogène, les choses basculent peu à peu par la suite. Bien sûr les autochtones vivent dans une misère totale, « abandonnés à leur sort avec l’alcool et la foi comme seuls horizons » mais leur accueil est chaleureux, la joie de vivre reste présente malgré tout et l’entraide n’est pas un vain mot. Lepage va aussi s’apercevoir qu'il n'y a pas à Tchernobyl d’animaux à cinq pattes, que le muguet continue de fleurir et que les champignons (certes radioactifs) poussent toujours aux pieds des arbres. Venu pour dessiner l’horreur, il constate « l’éclatante beauté des lieux. » Dans ce monde dangereux qui « se cache, triche, ment », il veut « trouver des signes tangibles qui disent la tragédie. »  La difficulté pour lui est de retranscrire l’invisible, l’impensable. Dans la zone interdite près de la centrale, il découvre « une terre sans les hommes… et qui s’en passe. […] Une terre d’où les hommes sont exclus, se sont exclus, se sont chassés eux-mêmes. » Venu défier la mort dans un décor de fin du monde il se surprend à constater que la vie, coute que coute, n’a jamais baissé les bras.
 
Le dessin est sublime, envoutant. Le gris délavé des premiers temps laisse peu à peu la place à la lumière et à la couleur. Quelques grandes cases panoramiques, un découpage plus resserré, intimiste, lorsque les scènes se déroulent à l’intérieur des maisons. C’est simple, beau et efficace, rien à dire.
 
La sincérité de la démarche de Lepage est remarquable. Il a su retranscrire l’évolution de ses sentiments au fil de son séjour. Impossible pour lui de nier la beauté de cette nature et de cette humanité toujours debout malgré le désastre. Persuadé dans un premier temps qu’il aura matière à réaliser un implacable témoignage à charge contre le nucléaire, il se retrouve au final à proposer un récit qui, sans nier la réalité et le danger permanent de contamination, fait d’abord et surtout la part belle à l’amitié, à l’espoir et à la solidarité. Chapeau bas pour ce tour de force !
 
Un album qui m’a fait du bien. Par son indéfectible optimisme mais aussi parce que nos petits soucis nous paraissent bien légers à coté de ce qui se passe là-bas. Une évidence qu’il est parfois bon de se rappeler. Merci Mo’ pour ce beau cadeau, tu ne pouvais pas trouver mieux !

Un printemps à Tchernobyl d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2012. 164 pages. 24,50 euros.  


Lepage © Futuropolis 2012











mardi 8 janvier 2013

Gabriel et Gabriel - Pauline Alphen

Alphen ©
 Le livre de poche jeunesse 2011
A onze ans, Gabriel prend l’avion pour la première fois. Seul. Il part pour le Brésil, pays natal de sa mère, passer les vacances dans une famille qu’il ne connaît pas. Sur place, c’est sa marraine qui l’accueille. Gabriel découvre un drôle de pays. Tellement de chaleur, d’humidité… Le soleil semble plus grand, plus blanc et quand il pleut, « les grosses gouttes chaudes s’écrasent sur la peau avec un bruit de balle qui claque. Le ciel gronde et fume, les arbres gémissent et ploient comme s’ils allaient tomber. Et puis, brusquement, la pluie repart comme elle est venue, les arbres s’ébrouent et se redressent, le ciel redevient bleu comme dans une peinture, la terre sent bon, le soleil se dépêche de tout sécher, la vie entière est lavée. » Au Brésil, Gabriel va rencontrer un autre Gabriel, du même âge que lui. Alors que tout semble les opposer, les deux garçons vont devenir amis, jusqu’au jour où la magie va s’en mêler…


Pauline Alphen aura mis 19 ans à rédiger une version définitive de ce texte. Née d’un père français et d’une mère brésilienne (comme son héros), elle a à l’évidence mis beaucoup d’elle-même dans ce court roman fort bien écrit. Jouant avec sensibilité sur le registre de l’amitié et de la différence, elle campe deux enfants attachants en diable.    

L’écriture assez elliptique, les nombreux dialogues et le changement de narrateur (lorsque Gabriel écrit dans son journal à la première personne) pourront rendre le texte difficilement accessible aux faibles lecteurs. De même les mots brésiliens, très fréquents et non traduits, renvoyant au lexique en fin d’ouvrage, cassent parfois le rythme de la lecture et la fluidité de l’ensemble. Mais ces quelques bémols n’empêcheront pas une très grande majorité d’apprécier à sa juste valeur ce récit intimiste et touchant faisant la part belle aux sentiments sans aucune mièvrerie. 

Gabriel et Gabriel de Pauline Alphen. Le livre de poche jeunesse, 2011. 122 pages. 4,90 euros. A partir de 9 ans.

dimanche 6 janvier 2013

Mon premier atlas de la terre

© Tourbillon 2012
Encore une belle découverte des éditions Tourbillon avec ce Premier atlas de la Terre qui fait suite à La maison aux trésors.  Ce n’est pas seulement un atlas mais un ensemble composé de trois parties : d’abord un planisphère géant dépliable, ensuite un livre d’accompagnement présentant 80 animaux, lieux de vie, instruments de musique et moyen de transport continent par continent, enfin une planche d’autocollants à positionner au bon endroit sur le planisphère en fonction des informations trouvées dans le livre d’accompagnement. Une vraie gymnastique interactive et ludique qui oblige à jongler entre les trois supports. Remplir la carte avec application demande un minimum d’attention (pour ne pas mettre la tour Eiffel en Chine ou les pyramides en Russie). Surtout, le petit lecteur apprend plein de choses grâce au livre, puisque dans ce dernier chaque autocollant est illustré par un texte de quelques lignes. Par exemple, ce drôle d’oiseau que l’on colle sur l’Islande est un macareux et quand il pêche, il peut coincer jusqu’à 30 poissons dans son bec ou alors ces habitations de cinq à sept étages au Yemen qui ont plus de mille ans et sont toujours habitées s’appellent des maisons-tours. Pas forcément des infos indispensables mais le fait de ne pas se concentrer sur des éléments économico-démographiques rend les choses abordables pour les petits bouts.
Bref, l’enfant apprend et s’amuse. Avec cet atlas, la Cathédrale Saint-Basile de Moscou, la mosquée d’Ispahan, le Taj Mahal ou encore la statue de la liberté n’auront plus de secrets pour lui. Ma pépette n°2 a passé une bonne heure à placer tous les autocollants et depuis elle y revient régulièrement pour picorer selon ses envies des informations sur tel ou tel continent. L’autre jour j’ai eu droit à « Papa, je savais pas que le Japon c’était en Asie ! » J'ai pensé : ok, le programme de géographie en CE1 n’est pas au point mais au moins cet atlas aura servi à quelque chose.
  
Un beau cadeau pour découvrir le monde en douceur. Testé, approuvé et adoré par le public cible, je ne peux pas vous dire mieux !

Mon premier atlas de la terre de Cécile Jugla, Sandra Laboucarie et Julie Mercier. Tourbillon, 2012. 48 pages. 16,95 euros. A partir de 5 ans.

L'avis de Sophie

extrait du livre d'accompagnement

Un "bout" du planisphère
(avec les autocollants)










samedi 5 janvier 2013

La rousse - Ed McBain

McBain © Gallimard 1996
Je claironne un peu partout sur vos blogs que je ne lis pas de polars, que c’est un genre qui ne me tente pas du tout et me laisse totalement insensible. Ce n’est pas tout à fait vrai. Quelques auteurs (très rares !) trouvent grâce à mes yeux. J’adore Chandler par exemple, mais aussi Chester Himes et surtout Ed McBain. Sa saga du 87ème District fut pour moi une révélation. Mc Bain y a inventé dès 1956 tous les codes propres aux séries policières modernes, notamment en faisant de l’ensemble de la brigade le personnage central des romans et en mêlant constamment vie professionnelle et vie privée des flics qu’il met en scène. Bien sûr, il faut lire plusieurs enquêtes pour comprendre la complexité et la pertinence du projet. Il existe plus de 50 romans consacrés au 87ème District réunis chronologiquement par Omnibus dans une magnifique intégrale en neuf volumes (qui trône fièrement sur les étagères de ma bibliothèque soit dit en passant). Comme il est joliment écrit dans la préface de cette intégrale, l’œuvre explore « ce qui se passe sous la peau des maisons, quand un crime donne l’occasion d’aller y voir de plus près, de sonder les cœurs, les âmes et les esprits, l’âpre grouillement des passions humaines. »     
    
Ce qui caractérise les romans de McBain c’est ce réalisme glaçant décrivant l’ordinaire des inspecteurs de la brigade. L’écriture est magnifique et il y a souvent des passages d’anthologie, notamment lorsque le narrateur décrit en longs paragraphes cette ville d’Isola (sœur jumelle fictive de New York) où se déroule chaque affaire. J’adore le narrateur du 87ème District. Totalement omniscient, il nous balade des flics aux délinquants avec une musique bien à lui, oscillant entre humour noir, cynisme désabusé et description clinique des crimes les plus atroces. Tout cela avec une distance et un détachement qui rendent son propos absolument délicieux. Les dialogues sont l’autre gros point fort de la série. Fluides, pertinents, faisant de chaque interrogatoire un morceau de bravoure plus vrai que nature.    
      
La rousse (1968) est un roman un peu part dans la saga puisqu’il fait partie des cinq titres qui composent le feuilleton à rebondissement consacré au Sourd, un criminel insaisissable qui met toute la brigade sur les dents en imaginant des plans machiavéliques et toujours très meurtriers. Pas le meilleur, loin de là, mais puisque je lis les épisode dans l’ordre (La rousse est le 24ème) je ne pouvais pas faire l’impasse. Il y est question de lettres anonymes, de demandes de rançon, de menaces de mort sur le personnel municipal et de la mise à exécution de ces menaces. Comme toujours, plusieurs affaires se croisent et pendant que ses collègues se focalisent sur le Sourd, l’inspecteur Carella tente d’attraper des ados qui s’amusent à bruler des clochards cuvant sur les trottoirs. Au final rien de bien passionnant je dois l’avouer. Pour autant, c’est toujours avec le même plaisir que je retrouve les flics d’Isola et cette ambiance propre au 87ème District. Il me reste une trentaine de romans à découvrir avant de les quitter définitivement. De bien belles lectures en perspective…  

         
La rousse d’Ed McBain. Gallimard, 1996. 294 pages. 7,80 euros. 

vendredi 4 janvier 2013

Le guide du mauvais père - Guy Delisle

Delisle © Delcourt 2012
- Papa ! C’est quoi la pénétration ?
- La pénétration c’est quand le monsieur est sexuellement excité et que son pénis devient tout dur. Ça s’appelle une érection. Ensuite le monsieur fait entrer son pénis dans le vagin de la madame. C’est ça qu’on appelle la pénétration.
- Mais moi je parlais dans Zelda...

On a tous connu ces grands moments de solitude avec nos enfants. Guy Delisle déroule ainsi quelques anecdotes sur la façon dont il vit sa paternité. Un mauvais père ? En aucun cas. Juste un papa maladroit, gaffeur et pas toujours très attentif à sa progéniture. Un père normal, quoi. Je me suis retrouvé dans certaines situations. Oublier de faire passer la souris et voir le petit bout tout penaud le lendemain matin sa dent à la main ça nous est arrivé il y a peu. Pareil quand il emmène sa fille à la piscine, promet qu’il va la regarder et file à la cafète boire un coup pour revenir deux minutes avant la fin du cours, j’ai fait ça aussi. Et ces discussions sur Pâques, du genre, "comment c’est possible qu’un lapin géant saute par-dessus la clôture avec son panier rempli d’œufs en chocolat" et nous qui tentons juste de noyer le poisson en constatant que ce bambin, malgré son âge, il cogite déjà drôlement et qu’il va être de plus en plus en plus difficile de le rouler dans la farine. Après il y a des choses plus spécifiques à la vie du dessinateur, comme quand sa fille lui amène un dessin fait pour lui et qu’il analyse la chose avec l’œil du pro : « J’te le dis franco, c’est pas avec ça que tu risques de ramener un Fauve d’or à la maison. »

Il fallait forcément m’offrir cette BD en ce moment. Le cadeau tout trouvé qui fait bien marrer. Le pire c’est que c’est vrai, je me suis bien marré. Il n’y a que le titre que je trouve franchement mauvais (c’est du marketing diront les pros du commerce). C’est tout sauf un guide et ce n’est en aucun cas le portrait d’un mauvais père. Où alors nous le sommes tous. Des papa-poules raides dingues de leurs têtes blondes qui sacrifient tout pour eux et ne font jamais la moindre erreur en matière d’éducation, j’en connais pas beaucoup et je suis certain de ne jamais le devenir. Suis-je pour autant un mauvais père ? J’ai pas l’impression. Tant que je suis là pour leur donner la main en sortant de l’école, leur faire un câlin dès que l’envie s’en fait sentir, leur offrir des tas de bouquins et leur tenir les cheveux au-dessus de la cuvette à 4 heures du mat pendant qu’elles vomissent comme ce fut le cas la nuit dernière (la gastro cartonne sévère cette année en Picardie, c’est une réalité !), je me dis que je ne m’en tire pas si mal. Vous allez sans doute me rétorquer que je n’ai pas non plus d’ambitions démesurées. Certes, mais rassures-toi ma petite pépette à venir très bientôt, tu aurais pu tomber plus mal...

En tout cas Le guide du mauvais père est une bonne BD d’humour. Ça se lit peut-être un peu vite mais c’est vraiment drôle, n’est-ce pas là le principal ?

Le guide du mauvais père de Guy Delisle. Delcourt, 2012. 190 pages. 9,95 euros.





jeudi 3 janvier 2013

Je sauve le monde dès que je m’ennuie - Guillaume Guéraud

Guéraud © Rouergue 2012
Je souhaite cette année davantage parler de littérature jeunesse sur ce blog. Jusqu’alors je me contentais des albums pour les plus petits. Tous les romans jeunesse que je lis, notamment pour les 9-12 ans, étaient présentés sur Lire pour le plaisir, un site que j’ai créé il y a quelques années. Or depuis peu une chroniqueuse épatante (cherchez pas elle n’a pas de blog^^) m’a rejoint pour m’épauler et assurer une grande partie de l’animation du site. Du coup, maintenant, quand je lirai un ouvrage au départ destiné à Lire pour le plaisir, j’en parlerai ici et elle fera le billet de l’autre coté (je me garde quand même le billet BD du mercredi, faut pas pousser !). Ça offrira plus de visibilité aux différents titres et les points de vue pourront diverger. Tout ça pour vous dire qu’il va y avoir plein de littérature jeunesse dans le coin en 2013 !

Allez, on commence dès aujourd’hui avec le dernier roman de Guillaume Guéraud, auteur du célèbre et controversé Je ne mourrai pas gibier, rencontré quelques minutes à Montreuil début décembre (merci Noukette !).

« Eugène est incapable de se concentrer. »
« Eugène est incapable de supporter les contraintes. »
« Eugène est incapable de faire des efforts pour modifier son comportement. »
C’est Mme Charbonneau, la maîtresse, qui l’écrit dans son dossier. Il n’y peut rien, Eugène, s’il préfère rêver à de folles aventures plutôt que d’écouter ses cours. Voyager avec Jack Sparrow, Naruto ou Spiderman, c’est quand même autre chose que de se coltiner les tables de multiplication. En classe, « il faut écouter. Il faut apprendre. Il faut réciter. Tu parles d’une aventure. » Eugène est un rêveur, un point c’est tout. Dès qu’il ferme les yeux, son imaginaire l’emporte dans des contrées lointaines et fait de lui un héros sauvant la veuve et l’orphelin. Forcément, ses parents s’inquiètent. La meilleure solution ? Prendre rendez-vous chez le « pédopsy comportementaliste »…

Un joli petit texte sur le pouvoir de l’imagination propre à l’enfance. Guéraud en profite en passant pour se payer ces parents persuadés qu’il vaut mieux se frotter à la dure réalité dès ses plus jeunes années plutôt que de rêvasser et qui, à la moindre supposée alerte « comportementale », se ruent chez un spécialiste à priori seul capable de régler le problème.

Plaidoyer plutôt drôle pour le droit de rêver et le besoin de s’évader, Je sauve le monde dès que je m’ennuie est un petit roman sans prétention et très facile à lire qui m’a fait passer un bon moment. Peut-être à réserver davantage aux garçons dès 8 ans, même si les filles éprises de grandes aventures pourront aussi y trouver leur compte.

Je sauve le monde dès que je m’ennuie de Guillaume Guéraud (ill. M. Romero). Rouergue, 2012. 84 pages. 7 euros. A partir de 8 ans.


Ce billet signe ma première participation au challenge
Cartable et tableau noir de George


mercredi 2 janvier 2013

La guerre du feu 1 : Dans la nuit des âges - Emmanuel Roudier d'après le roman de J-H Rosny Aîné


Roudier © Delcourt 2012
Les Oulhamr viennent de perdre le feu. Une catastrophe en ces temps reculés où ce don du ciel constituait le seul véritable protecteur face au vaste monde : « il rassurait la horde dans les forêts tremblantes, sur la steppe interminable, au fond des cavernes. C’était le père, le gardien, le sauveur. » Pour le retrouver, le chef de la tribu propose la main de sa fille, la belle Gammla, à celui qui parviendra à le récupérer. Naoh, le fils du Léopard, offre ses services : « qu’on me donne deux hommes aux jambes rapides, et Naoh ira prendre le feu chez les fils du mammouth ou chez les dévoreurs d’hommes qui chassent au bord du double-fleuve. » Accompagné de Gaw et de Nam, le fier guerrier se lance dans une quête où le danger le guettera à chaque pas...

Emmanuel Roudier propose ici une adaptation la plus fidèle possible du roman de J-H Rosny Aîné. Contrairement au film de Jean-Jacques Annaud, il restitue les dialogues du texte d’origine. Les personnages parlent d’eux-mêmes à la troisième personne dans un langage plutôt châtié, ce qui peu de prime abord surprendre, mais finalement on s’y fait assez vite. Ce premier volume relate le tout début de la quête et s’arrête au moment où Naoh et ses condisciples retrouvent la trace des hommes qui possèdent le feu. Un tome d’introduction qui permet de poser les bases de l’univers dans lequel les Oulhamr évoluent, un environnement d’une grande sauvagerie où les hominidés et les animaux étaient encore sur un pied d’égalité. Le lecteur découvre ainsi un bestiaire effrayant allant de l’auroch au mammouth en passant par les tigres, les lions et l’ours gris. Une lutte à mort quasi perpétuelle entre ces espèces restituée avec un réalisme à couper le souffle. Tout tient dans cette tension permanente, cette existence rythmée par la peur, la faim et le froid, comme si les êtres vivants, quels qu’ils soient, étaient embarqués dans une même galère où seuls les plus forts pourront s’en sortir. Face à un monde tellement hostile, on se demande comment l’homme a pu survivre.

Le dessin de Roudier est éblouissant. Jouant du cadrage pour étirer les cases dans de magnifiques panoramiques, il étale sur des doubles pages des combats titanesques tenant quasiment de la fresque. Et que dire de la couleur ? Moi qui suis d’habitude un fervent défenseur du noir et blanc, je dois bien reconnaître que le travail de Champelovier sur les couleurs donne une autre dimension aux décors lumineux ou crépusculaires qui jalonnent l’album. Graphiquement, c’est du très grand art.

Laissons le dernier mot à l’auteur, il résume mieux que quiconque l’essence même de cet album : « Ce premier tome est une ode à la nature sauvage, dangereuse et fascinante, peuplée de fauves et de colosses. » Une somptueuse adaptation, vraiment, même s’il faudra attendre le second volume pour que l’histoire se lance pour de bon.


La guerre du feu T1 : Dans la nuit des âges, de Roudier et Champelovier. Delcourt, 2012. 56 pages. 14,30 euros.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Delcourt pour la découverte


Roudier © Delcourt 2012



mardi 1 janvier 2013

Le premier mardi c'est permis (13) - Et bonne année à tous !

Cornette et Karo © Drugstore 2009
Je ne sais pas si le rendez-vous de Stephie aura lieu aujourd’hui mais je fais comme si. Est-ce bien raisonnable de parler de lecture inavouable le 1er jour de l’année ? Remarquez, c’est peut-être le moment ou jamais. Dans les vapeurs d’alcool mal dissipées du réveillon de la veille, on a des excuses pour se lâcher. Evidemment, en ce qui me concerne, les vapeurs d’alcool n’y sont pour rien, vous connaissez tous ma probité de père de famille (respectable, le monsieur).

En tout cas du coté des lectures inavouables, je n’ai pas trouvé grand choses à me mettre sous la dent en décembre, du coup je me suis rabattu sur une BD lu au moment de sa parution en 2009 et qui m’avait laissé un bon souvenir.

C’est l’histoire d’un couple très amoureux et très complice. L’album se découpe en saynètes tendres et décomplexées. Du voyage à l’étranger à la copine qui vient passer une soirée à la maison, toutes les excuses sont bonnes pour batifoler. Ces deux-là sont bien dans leur corps, bien dans leur vie de couple et assument une sexualité joyeuse, sans aucune prise de tête. Pas de bizarrerie ou de recherche de performances, juste du désir et très peu de pudeur. J’aime ce ton léger. Rien de glauque, pas non plus de situations abracadabrantes. Le trait est bien sûr un peu forcé par moment mais ça reste dans l’ensemble très réaliste. Et puis visuellement les personnages ne sont pas des gravures de mode, je trouve ça appréciable ce coté « passe-partout » (sans mauvais jeu de mots).

Attention quand même pour les âmes les plus sensibles, je préfère vous prévenir, on ne donne pas dans le simple érotisme. Les ébats sont montrés sans aucune retenue mais sans non plus en rajouter des caisses. Simple et direct, pas de fioriture, on pénètre (sans mauvais jeu de mots) dans l’intimité sexuelle d’un couple sans en rater une miette. Évidemment pas l’album du siècle mais tellement mieux que ce que j’ai pu lire dans le domaine ces derniers temps que je me permets de vous le recommander si vous cherchez une bonne BD un peu plus qu’érotique.

Arthur et Janet : A fleur de peau de Cornette et Karo. Drugstore, 2009. 48 pages. 13,90 euros.

Et sinon je profite de ce 1er janvier pour vous souhaiter à toutes et à tous une belle et heureuse année. Tous mes vœux de bonheur et de réussite pour vous et vos proches.
Personnellement, je sais déjà que 2013 va changer beaucoup de choses dans ma petite famille. Entre une naissance prévue en février et une entrée en sixième en septembre, c’est une année riche d’événements qui s’annonce. Wait and see...


Cornette et Karo © Drugstore 2009