lundi 28 décembre 2015

Coups de cœur romans 2015

J'ai lu 85 romans et recueils de nouvelles cette année (hors littérature jeunesse). Pas simple d'en sortir cinq du lot mais après d'âpres délibérations avec moi-même, les heureux lauréats sont, par ordre de préférence :


Le principe de Jérôme Ferrari. Actes Sud, 2015. 160 pages. 16,50 euros.

Mon meilleur roman de l'année, ni plus ni moins. L'écriture de Jérôme Ferrari est toujours aussi éblouissante.






Finir la guerre de Michel Serfati. Phébus, 2015. 137 pages. 15,00 euros..

Un premier roman bouleversant aux questionnements multiples et profonds. Une magnifique découverte dont on a trop peu parlé et c'est bien dommage.  






Les échoués de Pascal Manoukian. Don Quichotte, 2015. 300 pages. 18,90 euros..  

Encore un premier roman et encore une énorme claque ! Un titre qui s'est répandu comme une traînée de poudre sur la blogosphère, c'est tant mieux et amplement mérité.






Dandy de Richard Krawiec. Points, 2015. 240 pages. 6,70 euros.

La littérature américaine que je préfère, celle des paumés et des sans-grades, celle qui gratte et qui pique sans donner de leçon de morale. Magistral !








Fin de mission de Phil Klay. Gallmeister, 2015. 310 pages. 23,80 euros.

Magnifique recueil de nouvelles sur la guerre en Irak écrit par un vétéran des marines. Un débutant qui a remporté grâce à ces douze nouvelles le National Book Award 2014, rien que ça !









Un auteur chouchou, deux premiers romans français, de la littérature américaine et un recueil de nouvelles, ce sont des coups de cœur qui correspondent bien au lecteur que je suis. Du moins je trouve... 




mercredi 23 décembre 2015

Sykes - Pierre Dubois et Dimitri Armand

Sykes est un marshal à l'ancienne. Un baroudeur, tireur d'élite et lettré que l'on envoie remettre de l'ordre partout où ça dérape. Comme ici, au fin fond du Wyoming, où une bande de hors la loi terrorise villes et campagnes. Aidé de son fidèle comparse O'Malley et d'un indien pisteur, il se lance aux trousses des brigands, sachant que pour lui et ses acolytes, c'est aussi une course contre la mort qui se joue.

Quel bonheur de retrouver l'elficologue Pierre Dubois aux manettes d'un western. Un vrai de vrai, pas du spaghetti à la mode italienne. Un qui cogne, qui saigne et laisse des traces, sans humour ni second degré. Du crépusculaire pur jus avec ses saloons enfumés, sa justice expéditive, ses grands espaces et ses pionniers tentant de survivre dans un environnement hostile. Un monde sombre et décadent où Sykes, justicier implacable marqué au fer rouge par un passé tragique, sait qu'il n'aura bientôt plus sa place. Un personnage complexe et torturé, aussi mystérieux que charismatique.

Il aura fallu six ans à Dimitri Armand pour venir à bout des 75 planches de l'album (parallèlement à son travail sur une série de Fantasy et à une reprise de Bob Morane). Son trait réaliste, son art du découpage et le choix des couleurs magnifient un scénario alternant les temps calmes et les épisodes particulièrement violents.

De la belle ouvrage, hommage respectueux aux classiques du genre qui ravira les fans. Seul bémol, j'ai trouvé la fin trop rapide et un peu brouillonne. Pour le reste, il n'y a rien à jeter.

Sykes de Pierre Dubois et Dimitri Armand. Le Lombard, 2015. 80 pages. 16,45 euros.






mardi 22 décembre 2015

Rien que ta peau - Cathy Ytak

« Tu n'as rien à craindre, tu es avec moi. Nous survivrons à tout parce que nous nous aimons. »

Mathis et Ludivine sont découverts dans un duvet, sur un lac gelé. La mère de la jeune fille gifle le garçon après avoir trouvé un préservatif usagé au fond du duvet et des hommes l’évacuent sans ménagement dans une voiture.

Ludivine, scolarisée dans un institut qu’elle qualifie elle-même de « lycée pour débiles », est une ado considérée comme immature, lente et quelque peu retardée intellectuellement. Pour ses parents, Mathis a forcément abusé d’elle. L’examen gynécologique prouve qu’elle n’est plus vierge mais le psychologue, après l’avoir entendue, estime qu’elle « était d’accord pour suivre ce garçon et avoir des relations sexuelles avec lui ». Car même si les adultes refusent de voir l’évidence, avant tout et plus que tout, Mathis et Ludivine s’aiment.

Cathy Ytak raconte avec une rare sensibilité, à travers la voix lucide, simple et sincère de Ludivine, la naissance d’un sentiment amoureux. La jeune fille n’a jamais douté de l’amour de Mathis, elle n’a jamais eu peur de s’offrir à lui et surtout, elle le désirait de tout son corps. Rien que ta peau est l’histoire d’une première fois basée sur la confiance, le respect et l’envie mutuels, en dehors de toute forme de contrainte. Juste la certitude que le moment est venu, que les choses vont se faire naturellement, sans rien forcer. Ces deux-là s’aiment et tant pis s'il est difficile de le croire et de l’accepter.

Un texte touchant et d’une grande justesse, à lire d’un souffle, comme tous ceux de cette collection que ma complice de lectures communes et moi-même aimons tant.

Rien que ta peau de Cathy Ytak. Actes Sud junior, 2014. 72 pages. 9,00 euros.

L'avis de Moka

Un billet qui conclut une année riche de pépites jeunesse dénichées avec ma très chère Noukette. Pour information et si cela vous intéresse, en voici la liste :

La règle d’or d’I. Minière
Les bébés ont un goût salé de D. Sampiero
High Line de C. Erlih
Eben ou les yeux de la nuit de E. Fontenaille
Cheval océan de S. Servant
Je suis le fruit de leur amour de C. Moundlic
Le baiser du mammouth d’A. Dole
Un beau jour de F. David
Max et les poissons de S. Adriansen
La coloc de J.Ph Blondel
Le pull de S. Kao
Géant de J. Hoestlandt
A ma source gardée de M. Roth
Trop tôt de J. Witek
Le journal de Gurty de B. Santini
La pyramide des besoins humains de C. Solé
Pas de problème de S. Morgenstern / Trop fort Victor de M. Ollivier
Comment je me suis débarrassé de ma mère de G. Abier
Cher cousin caché de D. Brisson
Ronde comme la lune de M. Disdero
Pensée assise de M. Robin
La seule façon de te parler de C. Yatk
146298 de R. Corenblit
Ma mère, le crabe et moi d’A. Percin
Mauvais fils de R. Frier
Entre eux deux de C. Verlaguet
Comme une envie de voir la mer d’A. Loyer
La peur au placard de P. Leblan
Le bébé et le hérisson de Mathis













lundi 21 décembre 2015

Déneiger le ciel - André Bucher

« Cette nuit lui paraissait être une porte. S’il la franchissait, il serait libre d’aller et venir, n’importe où. Dans le présent, les souvenirs, partout, tant que ses jambes le soutiendraient. »

David, sexagénaire vivant seul dans une ferme isolée sur les hauteurs de Sisteron, ne peut en cette veille de Noël déneiger les routes communales à cause d’une panne de tracteur. Alors qu’une nuit de tempête s’annonce, il reçoit un appel à l’aide de Pierre, son ami berger installé de l’autre coté du village. Puis c’est au tour d’Antoine, celui qu’il surnomme son fils d’adoption, de lui annoncer qu’il va tenter de venir jusqu’à lui en stop après avoir raté le dernier car. Sans moyen de locomotion, David, décide de partir vers ses amis à pieds, sous un ciel bas encombré de flocons, de la neige jusqu’aux genoux et un froid glacial lui cinglant le visage. Une nuit de marche et de méditation, de solitude et de rencontres où il convoquera tour à tour des silhouettes du passé et du présent, de sa défunte épouse à sa fille Noémie, de son amante Muriel à ses petits enfants adorés.

Longtemps que je n’avais pas lu André Bucher. Un écrivain comme je les aime, un taiseux, amoureux de blues, druide à la barbe et aux cheveux longs, bûcheron et agriculteur bio en Provence. Ses personnages lui ressemblent, hommes ou femmes de peu de mots, frustes sans être « ploucs », affrontant l’âpreté d’une nature qu’ils respectent plus que tout.

Ni roman de terroir, ni nature writing, ce « Déneiger le ciel » est une réflexion poétique et pudique sur la reconstruction, sur l’idée d’une résilience toujours possible malgré les coups durs. C’est aussi un hymne à l’amitié, à l’amour et à l’altruisme, sans leçon de moral ni arrière pensée. Je trouve l’écriture de Bucher lumineuse, sensible, d’une modestie remarquable. Je trouve aussi le titre superbe et la dernière image laissée par le texte, référence au cultissime "Crossroad" (cliquez pour écouter) de Robert Johnson, m'a profondément ému.

Déneiger le ciel d’André Bucher. Sabine Wespeiser éditeur, 2015. 146 pages. 8,00 euros.



Les avis de CathuluClara et Sylire





samedi 19 décembre 2015

Birthright T1 : Le retour - Williamson et Bressan

Un comics qui commence comme un drame familial archi classique : une sortie dans les bois entre un père et son fils, le fils disparaît, le père est soupçonné du meurtre même si on ne trouve aucune preuve contre lui, sa femme le quitte, il sombre dans l’alcool… cliché sur cliché.

On se dit donc au départ que pour l’originalité, on repassera. Et puis au bout de dix pages, virage à 360 degrés. On se retrouve un an après la disparition. Une espèce de Conan le barbare, sorti dont ne sait où avec une tripotée d’armes dignes du Moyen-âge, est arrêté par la police. Le gars a la trentaine, une armure, des tatouages, la barbe et les cheveux longs. Et il prétend être le gamin disparu à peine douze mois plus tôt ! Arrivé à ce stade, on se dit « mais qu’est-ce que c’est que ces conneries ???? » (enfin moi, c’est ce que je me suis dit). Sauf que. Le voile se lève petit à petit, Conan et le gamin s’avèrent bien être la même personne et on finit par se convaincre que ce scénario pour le moins improbable est drôlement bien ficelé.

Je ne vous explique rien de plus car il serait sacrilège de révéler les nombreuses surprises réservées par cette histoire menée tambour battant et oscillant entre le présent et les péripéties arrivées à l’enfant depuis sa disparition. C’est dense, assez gore et surtout totalement addictif. C’est simple, je n’avais pas pris un pied pareil à la lecture d’un comics depuis Locke and Key. Il y a d’ailleurs pas mal de points communs entre les deux titres, notamment au niveau du dessin et de l'intrusion importante du fantastique dans un environnement on ne peut plus réaliste.

Une lecture dont je n’attendais rien de spécial et qui m’a tout simplement bluffé. Le tome 2 est annoncé début 2016 par l’éditeur, j’espère que ce sera en janvier plutôt qu’en avril !

Birthright T1 : Le retour de Williamson et Bressan. Delcourt, 2015. 140 pages. 16,50 euros.






jeudi 17 décembre 2015

Yoki le doudou : c’est Noël ! / Jean-Michel et le Père Noël au bout du rouleau


Noël approche à grands pas, il est plus que temps d'y plonger avec des lectures de circonstances.


Yoki est un doudou. Un doudou pas tout à fait comme les autres puisqu’il est le doudou de la classe. Chaque fin de semaine Amélie, la maîtresse, organise un tirage au sort pour désigner l’enfant qui aura la chance de l’emporter chez lui pour le week-end. Et pour les vacances de Noël qui s’annonce, Yoki va aller chez Antonia.

Un petit album au format carré facilement manipulable qui passe en revue les grands moments liés à Noël. Les batailles de boule de neige et le bonhomme de neige, l’atelier cuisine où parents et enfants préparent des biscuits à la cannelle, la décoration du sapin, le repas de fête, la nuit du 24 au 25 où le sommeil est difficile à trouver, l’ouverture des cadeaux et enfin le retour en classe. Du grand classique aux illustrations toutes douces et au texte simple. Le parfait album de saison !

Pour information, la série compte six autres titres.

Yoki le doudou : c’est Noël ! d’Olivier Latyk. Actes sud junor, 2015. 32 pages. 8,20 euros. A partir de 3 ans.




Panique au pôle Nord ! Le Père Noël est en plein burn out, il va être incapable de tenir les délais et d’assurer sa tournée comme chaque année. Décision est prise de kidnapper Jean-Michel le caribou, super héros de son état, pour aider les lutins à terminer les préparatifs et éviter une catastrophe planétaire. Mais la disparition soudaine et inexpliquée de leur cher Jean-Michel inquiète au plus haut point les habitants de Vlalbonvent. Comment tout cela va se terminer ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire.

Jean-Michel  le caribou n’en est pas à sa première aventure. Ce super héros atypique, drôle et un poil déjanté, aura bientôt à sa propre série animée. Dans cet album lui aussi de circonstance, le trait si caractéristique de Magali Le Huche fait mouche une fois de plus et participe grandement, au-delà de l’histoire, au plaisir de la lecture. Idéal pour une première approche de la BD dès 5 ans.  

Jean-Michel et le Père Noël au bout du rouleau de Magali Le Huche. Actes sud junior, 2015. 40 pages. 12,00 euros. A partir de 5 ans.








mercredi 16 décembre 2015

Les vieux fourneaux T3 : Celui qui part - Cauuet et Lupano

Où l’on retrouve Antoine, Pierrot et Mimile se retournant sur un passé qu’ils auraient sans doute préféré laisser profondément enfoui. Pourquoi Antoine et sa voisine Berthe se détestent autant ? Pourquoi Mimile est-il parti au bout du monde à vingt ans ? Et qui est ce marin australien, estropié et balafré, qui déambule dans les rues du village ? Autant de questions qui trouveront des réponses au fil des pages, quitte à égratigner quelque peu  la respectabilité de chacun.

En voyant le titre (« Celui qui part »), je me suis dit qu’on allait perdre en route un de nos vieux fourneaux. Impression renforcée après le malaise de Mimile dès les premières pages. Heureusement, il n’en fut rien (ok, je spoile, et alors ????). Dans ce troisième tome, Lupano ne se repose pas sur ses lauriers. Il aurait pu se contenter du service minimum et décliner une fois encore les ingrédients qui ont fait le succès de la série, entre militantisme bon enfant, humour ravageur et gouaille inimitable. Sauf que. Pour pimenter l’affaire, il nous montre ses personnages sous un jour plus sombre, nous plonge dans un passé pas vraiment reluisant. J’ai adoré cet angle d’attaque. Le fait que l’on ait une jeunesse dont on ne soit pas spécialement fier, qu’il y ait un écart entre ce que l’on a été et ce que l’on est devenu, c’est quelque chose qui me parle énormément (et ne comptez pas sur moi pour rentrer dans les détails).

Après, les vieux fourneaux restent les vieux fourneaux, et c’est ça qui est bon : remontés comme des coucous, indignés, colériques, de mauvaise foi, altruistes… et drôles, terriblement drôles. Un bonheur de retrouver également  des dialogues ciselés, un ping-pong verbal permanent entre des gens qui n’arrêtent pas de se couper la parole et tombent plus souvent qu’à leur tour dans l’invective.

Antoine, Pierrot et Mimile. Des pépés flingueurs toujours aussi attachants, toujours aussi politiquement incorrects, avec chevillée au corps une indéfectible amitié. Un troisième âge qui a une pêche d’enfer et continue de croquer la vie à pleines dents. Assurément le troisième âge tel que je voudrais le connaître (bon, d’ici très longtemps hein, parce que l’air rien, je suis encore jeune et fringant. Surtout fringant d’ailleurs…).

Les vieux fourneaux T3 : Celui qui part de Cauuet et Lupano. Delcourt, 2015. 64 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.


Les avis de Les avis de Canel, Dasola, Gambadou, Laure, Sabine, Violette, Yvan











mardi 15 décembre 2015

Le bébé et le hérisson - Mathis

« Pourquoi personne n'apprend aux hérissons à traverser la route ? Tout le monde s’en fout ou quoi ? »

Jules se pose cette question après en avoir vu un « écrabouillé sur l’asphalte ». Faisant le parallèle avec son petit frère Léo, un bébé dont ses parents, restés des ados attardés, sont incapables de s’occuper, Jules se promet de lui apprendre tout ce qu’il sait pour que jamais il ne soit livré à lui-même.

Attention, énormissime coup de cœur ! Ce texte, je l’ai lu au moment de sa première publication en 2008. Et il me hante depuis. C’est de loin mon titre préféré de la collection « Petite poche », qui n’est pourtant pas avare de pépites. Je l’ai offert un nombre incalculable de fois, j’aurais voulu que le monde entier le découvre. Cette réédition, je ne pouvais pas passer à coté, forcément. J’ai donc racheté un exemplaire avec cette nouvelle couverture la semaine dernière à Montreuil. Et j’en ai glissé un autre dans le sac de ma complice de lectures jeunesse préférée. Forcément.

Le tour de force de Mathis ? Parvenir à vous laisser sur le carreau en à peine quarante-cinq pages, avec une justesse qui force l’admiration. Le tout sans effet de manche ni d’arguments tire-larmes et sans porter le moindre jugement.

Et puis il y a cette dernière scène inoubliable, sans doute la définition la plus pure de ce qu’est la fraternité. La fin a d’ailleurs l’intelligence de n’offrir aucune solution concrète. On se doute que l’apaisement n’est que temporaire et l’on referme ce formidable texte la gorge serrée en se disant qu’il ne faut parfois pas grand-chose pour être bouleversé.

Le bébé et le hérisson de Mathis. Thierry Magnier, 2015. 47 pages. 3,90 euros. A partir de 9 ans.


Une lecture que je partage évidemment avec Noukette.

Puisque Noël approche et que cette pépite, on voudrait vraiment vous la faire découvrir, nous avons décidé de l'offrir à deux d'entre vous. Un concours express afin d'être certain que les gagnants reçoivent leur exemplaire avant le 25. Pour participer, il suffit de laisser un commentaire ici ou chez Noukette avant jeudi midi. Nous glisserons alors tous les noms dans le même chapeau et les heureux élus n'auront plus qu'à nous donner leur adresse.
Les belges, les suisses et les Dom-Tom sont évidemment les bienvenus.

Edit du 17/12 

Comme promis, nous avons effectué le tirage au sort ce midi. Ici même, la grande gagnante est : Saxaoul



Pour connaître le nom de l’heureux(se) élu(e) chez Noukette, suivez la flèche… 









dimanche 13 décembre 2015

La couleur de l’eau - Kerry Hudson

Alena, échappée des griffes d’un souteneur après avoir rallié Londres depuis sa Russie natale, est prise en flagrant délit de vol de chaussures par Dave, vigile célibataire ayant grandi dans une cité. La rencontre de ces laissés-pour-compte aux parcours douloureux, qui vont finir par s’installer ensemble dans le minuscule appartement de Dave, sera le point de départ d’une cohabitation mouvementée où chacun tentera à sa manière d’apprivoiser l’autre, malgré les zones d’ombres et les blessures intimes...

Une histoire d’amour pleine d’aspérités entre deux antihéros cabossés et attachants. Kerry Hudson décrit avec réalisme la vie animée des quartiers pauvres, le quotidien des classes sociales les plus modestes, leur soif de vivre, leurs rêves qui persistent malgré un horizon bouché. Sans optimisme béat, sans misérabilisme ou mièvrerie. Elle dit aussi avec une belle sensibilité les balbutiements de l’amour, ces moments charnières où une relation se développe, dans le respect et l’attirance de l’autre, entre peur, espoir et petites lâchetés quotidiennes.

Un couple d’amoureux doux, sensibles, fragiles et incapables de se livrer totalement malgré l’évidence de leur « connexion naturelle ». J’aurais dû être totalement emballé. Oui mais voila, j’ai lu il y a peu Dandy, qui racontait une histoire très semblable. Et le couple «Artie / Jolene »  de Dandy continue de me hanter avec une force inégalable. Car le roman de Krawiec offre une narration plus décomplexée, des scènes d’anthologie et un humour omniprésent malgré le désespoir ambiant. Dandy m’a marqué au fer rouge et malgré ses évidentes qualités, « La couleur de l’eau » ne peut soutenir la comparaison. Pour autant, il serait malhonnête de ne pas reconnaître que Kerry Hudson signe, avec ce prix Femina étranger 2015, un second roman aussi ambitieux qu’émouvant.

La couleur de l’eau de Kerry Hudson. Editions Philippe Rey, 2015. 348 pages. 20,00 euros.


Les avis de Keisha et Sylire


vendredi 11 décembre 2015

Le bonhomme de neige / Lili et l'ours - Raymond Briggs


« Quel pays des merveilles, l’imagination d’un enfant ! »

Noël approche, s’il vous reste un peu de place pour des cadeaux livresques, je peux vous souffler quelques titres à l’oreille. Commençons avec l’immense Raymond Briggs et la réédition de deux albums magnifiques.

Le Bonhomme de neige est l’ouvrage le plus célèbre de Raymond Briggs. Publié en 1978, il a remporté un nombre incalculable de prix dans le monde entier et son adaptation en film animé est diffusée chaque année à Noël par la télévision britannique. C’est sans doute également une des toutes premières BD muettes de l’histoire. 

Un matin d’hiver, un petit garçon sort de chez lui pour construire un bonhomme de neige. Il lui met une orange à la place du nez, l’affuble d’un chapeau et d’une écharpe,  puis orne son ventre de boutons en charbon. Le soir venu, n’arrivant pas à s’endormir, l’enfant enfile sa robe de chambre et retourne dans le jardin. Il y trouve son bonhomme de neige le sourire aux lèvres et le chapeau à la main. Tous deux retournent dans la maison et vont passer une nuit inoubliable…

Le bonhomme de neige de Raymond Briggs. Grasset jeunesse, 2015. 32 pages. 12,50 euros.




Lili et l’ours est plus récent (l’édition originale date de 1994). C’est là aussi une BD, mais avec du texte. Cette réédition est somptueuse, dans un format XXL sublimant chaque case et offrant une profondeur incroyable aux magnifiques illustrations pleine page disséminées au fil de l’album.

Lili accueille une nuit dans sa chambre un énorme ours polaire. Le lendemain matin, elle raconte à ses parents qu’il y a un ours dans son lit. Tout au long de la journée, elle va s’occuper de cet envahissant nouvel ami, avant de s’endormir entre ses pattes le soir venu…

Lili et l’ours de Raymond Briggs. Grasse jeunesse, 2015. 48 pages. 20,00 euros.




Deux albums qui parlent de rencontre et d’amitié, qui mettent en scène ces compagnons imaginaires peuplant souvent le temps de l’enfance. Le bonhomme de neige et l’ours s’invitent avec tendresse dans le quotidien d’enfants avec lesquels ils vont nouer des liens indéfectibles. Le trait souple et doux de Raymond Briggs et sa manière unique d’utiliser les crayons de couleur offrent à ses récits une finesse et une émotion inégalable. Du très grand art !  




jeudi 10 décembre 2015

A ce stade de la nuit - Maylis de Kerangal

Octobre 2013. La narratrice entend le mot « Lampedusa » au moment où on annonce à la radio le naufrage d'un navire venu de Libye et la mort de plus de 300 migrants. Commence alors une nuit de divagation où ce mot va raviver en elle des évocations de voyages, d’îles, de films, de livres. A chaque stade de la nuit un souvenir remonte, et au fil des heures, au fil des pages, se décline une méditation très personnelle, intime, touchant parfois (et paradoxalement) à l’universel.  

A ce stade de mon billet, je me demande pourquoi je vous parle de ce livre. J’ai voulu redonner une chance à Maylis de Kerangal, dont le fameux « Réparer les vivants » ne m’avait pas convaincu, c’est rien de le dire. Je l’avais par la suite découverte dans un registre différent avec l’album  « Hors Piste » (sympa sans plus). Jamais deux sans trois…

Ce petit recueil tient pour moi du journal intime qui, par définition, ne regarde que soi. Forcément, du coup, ce partage m’interpelle. Quel est l’intérêt de cet exercice très autocentré ? Je n’arrive pas à répondre à cette question, ce qui est quand même particulièrement embêtant. A part ça l’écriture est belle, le lexique d’une grande richesse, le rythme des phrases parfaitement tenu. Sans compter que l’avant dernier chapitre est splendide, enfin au cœur du sujet si je puis dire. Mais c’est bien le seul dont la divagation m’a touché au cœur et aux tripes. Trop peu trop tard.

A la base, ce texte est le fruit d’une commande passée à l’occasion des 14èmes Rencontres littéraires des pays de Savoie l’an dernier. Le ressortir des tiroirs au moment où la question des réfugiés est d’une brûlante actualité, pourquoi pas, mais personnellement j’y vois une certaine forme d’opportunisme. J’ai peut-être l’esprit mal placé (sans doute même, on n’arrête pas de me le dire), n’empêche…

A ce stade de la nuit de Maylis de Kerangal. Verticales, 2015. 74 pages. 7,50 euros.




mercredi 9 décembre 2015

Le grand méchant Renard : édition limitée spéciale Noël - Benjamin Renner

Il suffit de pas grand-chose finalement. Déambuler dans les allées du salon de Montreuil un samedi matin avec Stephie et Noukette par exemple. Tomber sur cette édition limitée du grand méchant Renard. Rester en arrêt devant l’exemplaire, le feuilleter. Se dire que le récit inédit de 60 pages ajouté à ce tirage spécial a l’air drôlement chouette. Se dire aussi qu’il ne serait pas raisonnable de craquer vu que j’ai déjà l’édition « normale » à la maison. Des questions existentielles fondamentales, quoi.

Et puis Noukette prend les choses en main et décide à ma place. Cet album, elle va me l’offrir, comme ça je n’aurais plus de questions à me poser. Noël avant l’heure ! L’histoire aurait pu s’arrêter là mais quelques minutes plus tard on tombe sur Benjamin Renner en pleine séance de dédicace avec une seule et unique personne dans la file d’attente. Autant vous dire que j’ai sauté sur l’occasion ! Bref, il a suffi de pas grand-chose pour que je me retrouve avec une superbe édition limitée ET dédicacée : l’adorable attention d’une très chère amie et un brin de hasard.


Bon, je ne vais pas vous reparler des mésaventures du grand méchant Renard, je vous ai déjà dit tout le bien que j’en pensais il y a près d’un an. La question avec cette édition « augmentée » est de savoir si le récit inédit justifie à lui seul un nouvel investissement pour ceux qui possèdent déjà l’ancienne. Ma réponse sera oui, trois fois oui ! Parce qu’il serait dommage de passer à coté de l’assassinat sanglant du Père Noël par un duo Lapin/Canard totalement crétin. Le Père Noël est en plastique, je vous rassure, mais les deux zigottos sont persuadés d’avoir « accidentellement » tué le vrai. Ils décident donc de le remplacer au pied levé. Évidemment, ça va tourner à la catastrophe, surtout pour le pauvre cochon qui va sans cesse tenter de les ramener à la raison…

Point de Renard dans cette histoire mais c’est toujours aussi drôle et déjanté. Le découpage est toujours aussi dynamique, l’influence du travail dans l’animation de Benjamin Renner (co-réalisateur d’Ernest et Célestine) ressort au cours de chaque scène menée tambour battant. Pour faire court et simple, j’ai kiffé grave !

S’il vous reste un petit cadeau de Noël à offrir, que ce soit pour un enfant ou un adulte, ne cherchez pas plus loin. L‘histoire du grand méchant Renard + un inédit de 60 pages dans une édition cartonnée classieuse avec papier épais, tranchefile et signet, c’est la certitude de faire des heureux. La preuve, Noukette a fait de moi un homme heureux samedi matin.

Le grand méchant Renard : édition limitée spéciale Noël de Benjamin Renner. Delcourt, 2015. 252 pages. 22,95 euros.



Les participants à la BD de la semaine
sont aujourd'hui chez Stephie




mardi 8 décembre 2015

La peur au placard - Perrine Leblan

Sur sa fiche de rentrée, à la ligne « objectifs de cette année », Elsa à écrit « comprendre pourquoi ». Bien sûr la prof a tiqué et lui a demandé des éclaircissements. Des éclaircissements qu’elle n’a évidemment pas pu fournir. Comment expliquer en effet que son activité préférée en classe est d’observer en cachette la fille du premier rang. Pourquoi cette attirance, ce besoin irrépressible de tourner son regard vers elle ? Elsa est incapable de le dire de « mettre des mots sur cette chose. Lui donner, du même coup, une réalité ». Et quand les gros lourdauds du collège embêtent Chloé, une nouvelle élève dont le look et l’attitude lui valent d’être étiquetée comme lesbienne, Elsa est mal à l’aise, très mal à l’aise même...

Un joli portrait d’ado qui se cherche. Elsa ne se sent à sa place nulle part. Elle est perdue, elle souffre et ne peut se confier à personne. Face à la bêtise, à la violence, au harcèlement dont ses camarades vont faire preuve envers Chloé, elle n’ose s’interposer. Entre peur, honte et mensonge à soi-même, Elsa s’enfonce peu à peu dans l’obscurité. Heureusement Phil, l’ami homo de sa mère, est là pour l’écouter et lui faire partager se propre expérience. Heureusement Chloé est une fille forte qui deviendra un exemple à suivre. Heureusement, il est des épreuves que l’on parvient à surmonter lorsque l’on se décide à y faire face.

J’ai beaucoup aimé ce court roman qui ne met le couvercle sur aucun des problèmes auxquels sont souvent confrontés les jeunes en plein questionnement face à leur identité sexuelle. C’est peut-être parfois un peu pédagogique et un poil caricatural mais le message de tolérance passe sans trop enfoncer des portes déjà grandes ouvertes, c'est l'essentiel. Beaucoup d’empathie et beaucoup d’espoir au final (« j’ai eu la surprise de trouver, tapie dans un recoin de mon ventre, la certitude que tout irait bien – en dépit de tout ce qui irait de travers ») c'est ce que je retiendrais en priorité de ce texte.

La peur au placard de Perrine Leblan. Oskar, 2015. 78 pages. 7,00 euros. A partir de 12 ans.

Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.









dimanche 6 décembre 2015

Invisible - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Marie, c’est l’ado invisible. Gentille, serviable, mais hyper timide et renfermée. A la maison, ils sont trois et ses parents n’en ont que pour le petit dernier. Au collège, elle rase les murs et n’a pas d’amis proches, même si son cœur bât la chamade pour Soan. Un mal être qui se traduit par un besoin permanent de nourriture et une silhouette qui ne cesse d’épaissir. Quand la prof de théâtre lui propose de créer les costumes de la pièce qui sera jouée en fin d'année, elle accepte, surtout parce que Saon fait partie du casting. Le garçon semble d’ailleurs s’intéresser à elle. Le miracle semble en marche. Sauf que. Plus dure sera la chute…

Après Alex, Léa et Chloé, Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini mettent en scène un nouveau personnage d’ado en plein tourment. Toujours dans le même établissement, toujours autour de thématiques sensibles et propre à cet âge si compliqué où des enfants qui ne le sont plus vraiment sont confrontés pour la première fois à la dureté du monde et de ses jugements. Marie souffre. Elle ne parvient pas à s’intégrer, se sent rejetée, n’a personne à qui se confier. Il suffit pourtant d’une petite lumière dans sa grisaille pour que l’espoir naisse et gonfle, pour qu’elle décide de se prendre en main et gagne un peu de confiance en elle. Mais le soufflé va vite retomber et Marie va plonger…

J’ai trouvé la fin terrible, extrêmement sombre mais en même temps tellement plausible. Parce que chez les plus fragiles, les petits riens peuvent prendre des proportions inimaginables, cet album tout en délicatesse nous rappelle à quel point il importe d’être attentif et à l’écoute de nos ados. Une sorte d’appel à la vigilance, salutaire sans jamais être donneur de leçon.


Invisible de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulf Stream, 2015. 72 pages. 15,00 euros.

Les avis de Moka et Stephie





vendredi 4 décembre 2015

Fable d’amour - Antonio Moresco

« Par une fin d’après-midi pluvieuse, assise sur une chaise à regarder la pluie couler sur la vitre de sa fenêtre, se sentant loin de tout et de tous et complètement seule et vide, elle se souvint tout à coup de ce vieux fou et de leur amour impossible. Elle se souvint que, dans sa vie, un temps, il y avait eu cette inconcevable rencontre et qu’elle avait cru, elle aussi, que l’impossible était possible, que c’était là la seule chose possible pour pouvoir vivre dans un monde pareil. »

Antonio et Rosa. Le vieux fou et la fille merveilleuse. La belle et le clochard. Elle le ramasse dans la rue, crasseux, infesté de parasites, dormant sur des cartons, se nourrissant dans les poubelles, avec sur le dos des vêtements récupérés dans des conteneurs. Elle le ramène chez elle après avoir prononcé un seul mot : « viens ». Elle le lave, l’épouille, l’habille. Elle lui accorde une place dans son lit. Ils s’aiment. Puis elle le rejette avec une infinie violence. De retour dans la rue, le vieux fou se laisse mourir. Et pourtant, leur histoire ne fait que commencer…

A lire mon résumé comme ça, on dirait du Musso ! Sauf que non. Du tout (et encore heureux). En fait à première vue ce texte, c’est à n’y rien comprendre. Du moins si on reste les pieds sur terre, engoncé dans une vision prosaïque des choses. Mais si on se laisse prendre par la main, emmené dans cet univers hors du temps et de la réalité la plus concrète, si l’on accepte l’aspect invraisemblable de la situation et de ses rebondissements, l’enchantement nous guette.

Moresco est un conteur qui s’autorise toutes les libertés sans perdre de vue le sens de son propos. Sa fable d’amour possède des accents métaphysiques et une construction créative où, comme il le dit lui-même dans la postface, « la cruauté et la douceur, la désolation et l'enchantement, la réalité et le rêve, la vie et la mort », finissent par se confondre. J’ai adoré la clarté, la limpidité de son écriture. Interrogé par « Le matricule des anges » en septembre dernier, son traducteur Laurent Lombard parle d’une voix « pas complètement enfantine ni adulte », et je crois que c’est exactement ça.

Qu’il fait du bien ce conte de fées moderne avec un happy end aussi improbable que revigorant ! Allez, je laisse le dernier mot au traducteur : « Dans ce roman […] s’estompent la réalité et le réalisme, jaillit l’énergie de la fable et de l’impossible, bouillonne le désordre que nous portons en nous. » Pas mieux !

Fable d’amour d’Antonio Moresco. Verdier, 2015. 125 pages. 14,00 euros.

Les avis d’Aifelle, AlexMirontaine et Pativore.







mercredi 2 décembre 2015

Desseins - Olivier Pont

Pas facile, la nouvelle en bande dessinée. Chabouté s’y est frotté avec brio dans  « Fables amères ». Ma dernière bonne surprise dans le domaine remonte à cet été avec le suédois Pelle Forshed et ses « Histoires de famille ». En fait, pour que cela fonctionne, il faut un fil conducteur, une thématique récurrente qui donne de la profondeur à l’ensemble. Olivier Pont l’a bien compris et il signe ici un superbe recueil consacré aux femmes dans toute leur diversité.

Elles s’appellent Chloé, Mathilde, Alison, Sylvia, Fanny, Elikya, Fleur. Elles souffrent  d’un complexe ou d’un cancer, se libèrent d’un mari triste ou se vengent d’un mari volage, luttent pour garder une boutique de lingerie face à des promoteurs sans scrupules, refusent de continuer à montrer leurs corps dans des films X, deviennent les muses d’un sculpteur et sauvent un village africain de la sécheresse. Sept parcours, sept tranches de vie formant à leur manière le panorama d'une condition féminine qui dit non, qui résiste, s’émancipe et œuvre à la démolition de préjugés sexistes d’un autre âge.

Des histoires simples, pudiques, jamais graveleuses. Les femmes ne sont pas ici des pin-up ou des gravures de modes. Vieilles ou jeunes, grosses ou maigres, elles ne ressemblent en rien à de viles manipulatrices ou à des veuves noires calculatrices. Toutes sont belles à leur manière, touchantes, pleines de vie. Elles rejettent les contraintes, sont en quêtes d’autonomie, de liberté. Elles assument et s’assument sans en rajouter, fières et indépendantes.

Graphiquement c’est un vrai bonheur de retrouver le trait souple, sensuel et si caractéristique d’Olivier Pont dix ans après le fabuleux « Où le regard ne porte pas ». Un trait parfaitement mis en valeur par les couleurs à la fois chaudes et tendres de Laurence Croix.

Une déclaration d’amour au sexe dit faible d’une rare subtilité, et qui fait le plus grand bien. D’ailleurs, ce n’est pas Noukette, avec qui j’ai le plaisir de partager cette lecture commune, qui me contredira.

Desseins d’Olivier Pont. Dargaud, 2015. 96 pages. 17,95 euros.




mardi 1 décembre 2015

Le premier mardi c'est permis (43) : Esmera - Vince et Zep

Zep qui s’encanaille, j’avoue, ça m’intriguait. Il l’avait déjà plus ou moins fait dans « Happy sex » mais le registre restait humoristique (et le résultat était assez moyen je dois dire). Alors que là, avec Esmera, il donne dans le « porno chic », et même s’il ne signe que le scénario, j’avais hâte de savoir si le papa Titeuf allait lâcher les chevaux.

Verdict ? Du classique, pas transcendant mais plaisant, sans plus. L’histoire lorgne du coté du fantastique à la Manara. Esmera suit sa scolarité dans une école catholique italienne, à Gênes. Nous sommes en 1965 et la jeune fille, après avoir perdu sa virginité à la va vite dans un bal de village, découvre le plaisir avec sa compagne de chambre. Une révélation qui tourne à la stupéfaction lorsqu’elle se rend compte que chaque orgasme la fait changer de sexe ! Une situation difficile à vivre dont elle tirera partie avec plus ou moins de bonheur au fil du temps, de ses études à la Sorbonne à un passage éclair dans une communauté hippie d’Ibiza, des années sida à 2015, le tout sans prendre une ride puisque son étrange pouvoir l’empêche de vieillir. Des décennies jalonnées d’étreintes plus torrides les unes que les autres où Esmera, tantôt homme, tantôt femme, prendra le plaisir comme il vient sans trop se poser de questions…

Un album « pour public averti » enchaînant des cabrioles plus explicites les unes que les autres. Alors oui, Zep lâche les chevaux sans tricher. Aux crayons, Vince s’en sort avec les honneurs. Son trait réaliste en noir et blanc teinté de sépia rend un bel hommage aux courbes féminines et ses scènes de sexe, même lorsqu’elles offrent quelques gros plans, ne sombrent jamais dans le vulgaire.

Pas un chef d’œuvre, loin de là, mais une lecture agréable. Le vrai problème, c'est que ce « conte pornographique », comme le qualifie Zep, se révèle bien trop sage au niveau du scénario pour renouveler le genre. Dommage…

Impossible de finir ce billet sans pousser un gros coup de gueule par rapport au prix prohibitif de cet album. 24 euros pour 78 pages de BD, je m’étrangle, je m’insurge, je hurle à l’escroquerie ! Rien de particulier dans la fabrication, tant au niveau du format que de la qualité du papier, à peine peut-on souligner un cahier cousu et non collé. Même pas un dos toilé ou un ex-libris, même pas un cahier graphique en bonus, juste un album tout ce qu’il y a de plus banal qui ne devrait pas dépasser les 16 euros. Franchement, l'éditeur exagère.


Esmera de Vince et Zep. Glénat, 2015. 78 pages. 24,00 euros.











lundi 30 novembre 2015

Une vie entière - Robert Seethaler

« Comme tous les êtres humains, il avait, lui aussi, nourri en son for intérieur, pendant sa vie, des idées et des rêves. Il en avait assouvi certains, d’autres lui avaient été offerts. Beaucoup de choses étaient restées inaccessible ou lui avaient été arrachées à peine obtenues. Mais il était toujours là. »

Andreas Egger, né en 1898. Orphelin élevé à la dure par un fermier qui le battait comme plâtre, au point de le rendre définitivement boiteux un soir de dérouillée plus appuyée que les autres. Le lecteur le découvre à 33 ans, au moment où il rencontre Marie, qui deviendra sa femme. Dans ces montagnes autrichiennes où il passa sa vie, Andreas connut l’amour, une avalanche dévastatrice, l’arrivée du progrès et la construction des premiers téléphériques à laquelle il participa activement. Puis vint la guerre. Envoyé sur le front de l’Est, il fut prisonnier dans un camp russe et ne rentra chez lui qu’en 1951, pour devenir guide de montagne.

J’ai bien fait d’écouter Le petit carré jaune qui m’a chaudement recommandé ce roman. Forcément j’ai aimé ces petits riens d’une petite vie. Le destin d’apparence minuscule d’un taiseux épris de silence et de solitude ne pouvait que me parler. L’écriture se veut discrète, épurée à l’extrême, cheminant à son rythme, sans esbroufe. Un dépouillement proche d’une forme d’humilité bien loin des modes actuelles, et qui m’a parfois rappelé le meilleur de De Luca.

Une vie entière loin de la clameur du monde, à la fois heureuse et douloureuse, comme toute vie qui se respecte. Une vie d’isolement au cœur des montagnes, dont la beauté est restituée avec une touchante sobriété. Et puis ces dernières phrases, que j’aimerais faire miennes au soir de ma propre vie : « Il ne s’était jamais trouvé dans l’embarras de croire en Dieu, et la mort ne lui faisait pas peur. Il ne pouvait pas se rappeler d’où il venait, et en fin de compte ne savait pas où il irait. Mais, à cet entre-temps qu’était sa vie, il repensait sans regret, avec un petit rire saccadé et un immense étonnement. »

Un roman magnifique, tout en simplicité et en retenue.

Une vie entière de Robert Seethaler. Sabine Wespieser, 2015. 160 pages. 18,00 euros.



samedi 28 novembre 2015

Les lectures de Charlotte (12) : Au creux de mon arbre - Britta Teckentrup

Bientôt le printemps. « Dans la forêt calme et silencieuse, rien ne bouge, pas un bruit... Au creux de son arbre, Hibou se réveille du long sommeil de l'hiver. Déjà, la neige commence à fondre, les premières fleurs sortent de terre. » Les oursons fêtent le retour des beaux jours, les écureuils sautillent, les oiseaux font leur nid. Quand l’été arrive, « le soleil est haut dans le ciel, les abeilles bourdonnent joyeusement, les pommes juteuses et sucrées sont prêtes à être croquées. » Les premiers nuages d’automne annoncent des nuits plus froides, tandis que les arbres se parent de feuilles rouges et or. Les animaux font des réserves avant que le vent du nord se lève et que la neige revienne. Au creux de son arbre, hibou se blottit, prêt à affronter à nouveau l’hiver…

Un album à découpes qui laissent apparaître et disparaître les animaux dans le tronc et les branches d’un arbre entre le printemps et l’hiver. Toujours le même arbre, seuls changent son environnement et les pensionnaires qui viennent l’habiter.



Visuellement, c’est superbe ! Le texte, à la fois poétique et précis, tient en deux lignes sous chaque illustration. L’évolution de ce décor identique au fil des pages permet à l’enfant de comprendre le temps qui passe et les saisons. Simple et enchanteur, un album aux accents vintage et à la finition très soignée qui, à la maison, a ravi petits et grands.



Au creux de mon arbre de Britta Teckentrup. Hatier, 2015. 32 pages. 13,80 euros. A partir de 3 ans.






vendredi 27 novembre 2015

La promesse de l’ogre - Rascal et Régis Lejonc

J’ai ressenti une belle émotion en découvrant les noms de Rascal et de Régis Lejonc sur la couverture de cet album. Un duo d’auteur que je rêvais de croiser à nouveau depuis le fabuleux « Phare des sirènes » (et encore, fabuleux n’est pas un adjectif assez fort pour qualifier ce bijou !) publié il y a bientôt dix ans.

Un ogre veuf et son fils vivaient dans une cabane au fond des bois. « Sans crainte de se tromper, l’on pouvait dire que le père et le fils s’aimaient ». Un seul différend notable causait une certaine tension entre eux : lorsqu’il y avait de l’enfant au menu, le jeune garçon refusait d’en manger. Et à chaque fois que l’ogre revenait de la chasse avec dans son sac une proie humaine, son fils le suppliait en vain de lui laisser la vie sauve. L’ogre finit par céder et déclara à son rejeton : « Je te fais la promesse de ne plus jamais manger de petits ». A partir de ce jour, le bonheur rayonna sans partage dans la maisonnée. Mais par un matin froid et pluvieux, l’ogre, cédant à ses plus bas instincts, rompit sa promesse…




Une énorme claque ! J’avais beau m’y attendre, je ressors tout chamboulé de ce récit bouleversant. Rascal raconte avec une poésie et une force incroyable cette histoire d’amour tragique entre un père et son fils. Tout est dans le titre : il n’est jamais anodin de ne pas respecter la parole donnée, de ne pas tenir une promesse faite à son propre enfant.

Si l’écriture est d’une rare beauté, que dire des tableaux flamboyants de Régis Lejonc ! L’ouvrage s’organise en double page avec, à gauche le texte, et à droite une magnifique illustration pleine page. L’alchimie fonctionne parfaitement, les mots trouvant une résonance particulière en écho de chaque dessin.

Un album qui a le goût, l’odeur et la patine des contes d’antan. Vous savez, ceux où une petite fille en rouge ne sortait pas vivante du ventre du loup après avoir été dévorée, par exemple. Un conte cruel quoi. Cruel mais somptueux. Et absolument inoubliable.

La promesse de l’ogre de Rascal et Régis Lejonc. Pastel, 2015. 40 pages. 13,70 euros.







jeudi 26 novembre 2015

Les lumières de Central Park - Tom Barbash

Une mère divorcée ne veut pas que son garçon fréquente une serveuse bien plus âgée que lui. Un mari reçoit ses amis pour fêter Thanksgiving alors que son épouse l’a quitté la veille. Il justifie l’absence de sa moitié en lui inventant un déplacement professionnel. Un ado se rappelle de l’accident de voiture où son frère a perdu la vie, par sa faute. Un apprenti promoteur immobilier arnaque un vieux couple dont il a peu à peu gagné la confiance. Un professeur d’université d’origine indienne supporte mal que son fils couche avec l’une de ses étudiantes. Un jeune homme s’agace des conquêtes de son père, veuf depuis peu. Treize nouvelles en tout, empreintes de tristesse et de solitude.

Ça m’agace de plus en plus cette manie qu’ont les éditeurs d’en appeler à la figure tutélaire de Carver dès qu’il s’agit de présenter un recueil de nouvelles américaines. Arrêtons de comparer l’incomparable. D’ailleurs ici, point de pauvres hères déboussolés comme chez le grand Raymond mais plutôt des gens qui ont tout pour être heureux, à qui il ne manque rien, et qui se sentent pourtant totalement démunis.

Barbash entraîne ses personnages à un point de rupture, au bord du précipice. Des personnages qui se débattent comme ils peuvent et constatent qu’il n’y pas grand-chose à faire pour échapper à la chute. Le tout dans un style direct et épuré, loin de toute circonvolution psychologique plombante. Le plus incroyable est qu’il nous amène à aimer ces êtres si imparfaits, lâches ou égoïstes. Peut-être parce qu’à travers leurs plaies, leur chagrin, leurs angoisses et leurs regrets se reflète ce qu’il y a de plus humain en chacun de nous.

Sobre et mélancolique. Forcément, j’ai beaucoup aimé.

Les lumières de Central Park de Tom Barbash. Albin Michel, 2015. 258 pages. 22,90 euros.


L'avis de Cathulu