mardi 21 novembre 2017

Kill the Indian in the child - Élise Fontenaille

Si je n’avais pas su que ce roman était basé sur des faits avérés, je ne l’aurais pas cru. J’aurais même poussé un gros coup de gueule parce qu’exagérer à ce point pour marquer les esprits me paraît toujours contre-productif. Je n’ai pas cessé de me dire « non, c’est pas possible, c’est trop gros ». Et pourtant… Plus de 150 000 enfants indiens ont été envoyés dans des pensionnats canadiens dirigés par des religieux pour « tuer l’indien en eux ». 30 000 au moins y ont trouvé la mort. Battus, humiliés, torturés, violés, forcés à manger de la nourriture infestée de vers, j’en passe et des meilleurs. Un enfer dont les traumatismes ont marqué des générations d’autochtones.

Mukwa, 11 ans, est un de ces enfants martyrs. Obligé de quitter les siens pour « parfaire son éducation », il se retrouve à Sainte-Cécilia, un établissement  où chaque jour ressemble à un long supplice. Ne supportant plus un quotidien aussi insoutenable, il décide de s’enfuir et de rejoindre son père dans la forêt…

Inspiré d’une histoire vraie s’étant déroulée en 1966, ce court roman ne peut que susciter l’indignation la plus totale face au calvaire subi par ces pauvres enfants. Autant vous prévenir, c’est un texte extrêmement dur qui ne laisse aucune place à la moindre légèreté. La voix de Mikwa résonne avec force, elle prend aux tripes et sa souffrance se grave profondément dans la tête du lecteur.

Sidérante. Voila l'adjectif qui me vient en tête pour qualifier la façon dont on a traité, ou plutôt maltraité, des milliers d'enfants pendant des décennies au Canada (le dernier établissement de ce genre a fermé ses portes en 1996). Une lecture bouleversante et une pépite jeunesse douloureuse dont on ne sort pas indemne.

Kill the Indian in the child d’Élise Fontenaille. Oskar, 2017. 92 pages. 9,95 euros. A partir de 12 ans.


Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette.









samedi 18 novembre 2017

De rose et de noir - Thibaut Lambert

Manon se remet avec difficulté de sa dernière relation amoureuse. Son compagnon Steph devenait violent dès qu’il avait un coup dans le nez et elle a plusieurs fois subi les foudres de cet homme colérique. Pour se reconstruire la jeune femme consulte une psy et profite du soutien bienveillant de sa colocataire. Mais le chemin vers une vie apaisée est semé d’embûches et lorsque Manon rencontre un garçon qui lui plait, le traumatisme de son histoire précédente est un obstacle qu’elle peine à franchir.

Sujet difficile, brûlant même, et malheureusement toujours d’actualité. Les violences faites aux femmes sont ici abordées « après coup ». Un traitement intéressant dans la mesure où il offre une relative distance par rapport à l’émotion brute des actes relatés « en direct ». Pour autant, même si la séparation avec l’agresseur est actée et définitive, les dégâts restent considérables et les blessures difficiles à cicatriser.

Thibaut Lambert a choisi une bichromie aux nuances sanguines pour relater la reconstruction de Manon. Son présent est dessiné avec un encrage épais tandis que les flash-back la ramenant dans son passé avec Steph sont représentés dans un lavis donnant une impression de souvenirs diffus et cotonneux. Ce parti pris graphique fonctionne bien et ne nuit en rien à la lecture, bien au contraire.

Je trouve par contre que tout va un peu trop vite dans cette histoire. La résilience de la jeune femme s’effectue « comme dans un rêve » : la psy est parfaite, les amies formidables et le nouveau copain est une crème. Ce déroulement positif participe forcément à la remise en confiance de Manon et quelques scènes n’éludent pas les problèmes rencontrés ou ceux restant à résoudre mais au final la trajectoire semble trop linéaire et manque parfois d’aspérités.

Après, cela renforce le message d’espoir porté par le récit, ce qui est évidemment une bonne chose et il serait stupide de réclamer davantage de coups durs pour Manon mais j’ai eu l’impression d’être resté à la surface des choses et de manquer d’un poil de profondeur. En même temps, on ne parlera jamais assez des violences faites aux femmes, il importe donc de défendre cet album qui met en lumière la possibilité d'un avenir tourné vers l'apaisement et une certaine forme de sérénité.

De rose et de noir de Thibaut Lambert. Des ronds dans l’eau, 2017. 72 pages. 18,00 euros.

Une lecture commune partagée avec Mo.




jeudi 16 novembre 2017

Le camp des autres - Thomas Vinau

« Le camp des nuisibles, des renards, des furets, des serpents, des hérissons. Le camp de la forêt. Le camp de la route et des chemins aussi. De ceux qui vivent sur les chemins. De la trime et de la cloche. Des romanichels et des bohémiens. Ceux qui parlent aux bêtes et aux nuits. Ceux qui n’ont pas peur de la lune. Ceux qui dressent l’indressable et apprivoisent l’inapprivoisable. Ceux qui connaissent la langue des fantômes. Le secret des plantes et des champignons. Les chants païens et antiques. Les proscrits aussi. Les fuyards. Les insoumis. Les orphelins. »

Le camp des autres, Gaspard l’a rejoint. Après avoir quitté la maison familiale où son père le battait comme plâtre, le gamin s’est retrouvé seul dans la forêt avec son chien. Il a affronté le froid, la faim, la peur, les loups. Recueilli par Jean-le-Blanc, un ermite vivant au cœur des bois, il s’est remis sur pied avant de partir sur les routes avec la Caravane à Pépère, une bande d’exclus épris de liberté qui sillonna la France au tout début du 20ème siècle. Des sans-abris, des sans-famille, des sans patrie. Des revenus du bagne, des voleurs à la tire, des gitans. La lie d’une société bourgeoise que Clémenceau écrasa avec ses brigades du tigre en 1907. Parmi ces « récalcitrants », « Gaspard va découvrir la vie en marchant sur le monde ».  

Un roman plein de souffle qui ne pouvait que me plaire. Les chapitres courts, comme autant de longs paragraphes, donnent la mesure. La partie en forêt est riche de descriptions proches du naturalisme et m’a rappelé les superbes envolées de Louis Pergaud dans son recueil « De Goupil à Margot ». La seconde, sur les routes, est une ode au peuple nomade et à son mode de vie sans frontière ni barrière. Les deux se complètent et forment un tout cohérent, porté par une langue magnifique.

C’est un texte à lire à voix haute pour profiter du balancement des phrases, de leur rythme, de l’équilibre entre le son et le sens. Un texte habité, engagé, une poésie sèche sans emphase inutile. Tout ce que j'aime et que je retrouve trop peu souvent dans la littérature française actuelle.

Le camp des autres de Thomas Vinau. Alma, 2017. 195 pages. 17,00 euros.

Une lecture commune partagée avec l'incontournable Stephie.










mercredi 15 novembre 2017

Et si l’amour c’était aimer ? - Fabcaro

- Sandrine, quand allez-vous quitter votre mari ?
- Michel, ça n’est pas si simple… on a le crédit de la Mercedes, un PEL à la Poste, et puis… j’ai peur de faire souffrir les enfants…
- Les enfants ?? Mais vous n’en avez pas…
- Oui non mais les enfants en général je veux dire.
- Qu’importe, je vous attendrai le temps qu’il faudra.
- Oui, on a l’éternité devant nous. 
- Ah… moi je pensais plutôt à genre 15 jours…
- Moi aussi je brûle d’impatience, mais notre histoire est inéluctable, nous sommes liés, rien ne pourra jamais se mettre en travers de notre route…
- Sandrine… je nous vois déjà dans les allées d’IKEA en train de noter des références de tables basses…
- Michel, on se fait du mal.

Il ne fallait pas que Sandrine ouvre la porte au livreur de macédoine (pas au livreur macédonien, hein, mais au livreur de Speed Macédoine). C’était pourtant une bonne idée au départ de commander de la macédoine pour le diner. Seulement derrière la porte se tenait Michel, et avec Michel le coup de foudre fut immédiat : « Le regard de cet homme, noir comme une nuit sans lune, la magnétisait tel un aimant dont elle ne pouvait se détacher ». Commence alors une relation aussi passionnée qu’interdite entre Sandrine et Michel. Henri, le mari de Sandrine, n’y voit d’abord que du feu. Mais lorsqu’il apprend la vérité sur cette liaison, il oblige sa femme à y mettre un terme. Michel, le cœur brisé, tente de se reconstruire auprès de ses amis tandis Sandrine peine à tirer un trait définitif sur son bel amant…

Ce résumé volontairement cucul la praline n’arrive pas à décrire le millième de cette  BD clairement  inspirée des romans-photos à l’eau de rose qu’adorait ma grand-mère. Surtout, il ne dit rien du traitement irrésistible que fait subir Fabcaro à cette idylle dont la trame semble de prime abord usée jusqu’à la corde. Parce que pour ce qui est de bousculer les codes, l’auteur de Zaï, zaï, zaï, zaï n’y va pas de main morte.

Des années, je dis bien des années que je n’avais pas autant rigolé en lisant un livre. C’est un festival de la première à la dernière page. Et d’ailleurs le tour de force est là. Trouver une chute hilarante ne relève pas de l’exploit mais en imaginer une à chaque planche sans jamais que le niveau baisse d’un millième, c’est inespéré. Attention, il faut aimer l’absurde, le non-sens et  l’humour parfois très noir. En fait pour être plus parlant je dirais qu’il faut aimer l’humour des Nuls de la grande époque, de la fin des années 80 au début des années 90. Pour moi c’est la référence ultime, personne ne m’a jamais autant fait rire depuis. Et là je retrouve cet esprit, ce grand n’importe quoi qui est en fait extrêmement construit et sans la moindre fausse note.

C’est le type d’album (extrêmement rare) qui fait de moi un gars super lourdingue. Parce que je passe mon temps à en parler à toute personne ayant le malheur de croiser ma route : « Purée, il faut que tu lises ça, c’est génial ! » ou « Tiens, je te prête le dernier Fabcaro, c’est une tuerie ! ». Résultat, ma femme a trouvé ça débile, ma grande pépette n’a pas tout compris et mes collègues l’ont gentiment posé sur leur bureau en me disant qu’ils y jetteraient un œil dès qu’ils auraient deux minutes (et moi de bouillir intérieurement avec l’envie de leur hurler « Mais bordel de m…, laisse tomber ce que t'es en train de faire et ouvre-moi ce bouquin !!!! »).

Bref c’est un indispensable, un incontournable, un essentiel (ne rayez aucune mention inutile, il n’y en a pas). Ma BD de l’année 2017.

Et si l’amour c’était aimer ? de Fabcaro. 6 pieds sous terre, 2017. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune et un enthousiasme partagés avec Noukette.




Toutes les BD de la semaine sont aujourd’hui chez Stephie




mardi 14 novembre 2017

Miss Pook et les enfants de la lune - Bertrand Santini

Paris, 1907. Une sorcière kidnappe les enfants pour les emmener dans son château sur la lune. Dans quel but ? Ne comptez pas sur moi pour vous le dire. Sachez juste qu’Élise, la dernière victime de Miss Pook, ne sera pas au bout de ses surprises une fois arrivée sur place. Non seulement elle va faire des rencontres aussi effrayantes qu’inattendues, mais elle va aussi découvrir que la terre est en grand danger…

Ouvrir un roman de Bertrand Santini c’est entendre une petite voix vous dire « Allez viens, je t’emmène, fais-moi confiance ». Avec Miss Pook il emmène ses lecteurs à la rencontre de sorcières, de dragons, de sphinx, de vampires, de faunes, de Mordrols et de Golgomes. Comme d’habitude son imagination sans limite nous en fait voir de toutes les couleurs, les scènes improbables s’enchaînent aussi vite que les traits d’humour. Comme d’habitude on discerne entre les lignes  ce regard désabusé sur la nature humaine et ses comportements insensés car comme d’habitude ce roman véritablement tout public offre plusieurs niveaux de lecture.

Un texte foisonnant et maîtrisé, sans fausse note ni temps mort. J’ai aimé la personnalité complexe de Miss Pook et davantage encore la malice d’Élise, gamine pétillante et débrouillarde qui m’a rappelé (désolé, je m’adresse aux fins connaisseurs de l’œuvre de Bertrand Santini) l’inoubliable petite Charlotte du non moins inoubliable Yark. Et comme avec le Yark, Jonas le requin mécanique ou Hugo de la nuit (une fois encore, clin d’œil aux connaisseurs), j’ai tourné la dernière page à regret, triste de quitter les enfants de la lune. Mais le coup de théâtre final appelle obligatoirement une suite, je me réjouis donc de les retrouver, et le plus tôt sera le mieux. Car une fois encore l’enchanteur Santini a su me mener par le bout du nez dans son univers unique et inclassable.

Miss Pook et les enfants de la lune de Bertrand Santini. Grasset jeunesse, 2018. 190 pages. 13,90 euros. A partir de 8-9 ans.


Une indispensable pépite jeunesse comme toujours partagée avec Noukette.









dimanche 12 novembre 2017

Les lectures de Charlotte (43) : Patate pourrie ! - Stephanie Blake


Le pauvre Simon rentre à la maison triste et en colère car sa copine Lou n’a pas été gentille avec lui à l’école. Non seulement il n’a plus droit au moindre regard ni au moindre bisou mais en plus elle préfère jouer avec Mamadou plutôt qu’avec lui. Alors quand sa mère lui demande s’il a fait ses devoirs, la réponse fuse : Patate pourrie ! Forcément maman se fâche et Simon est puni. Le lendemain dans la cour de récré le petit lapin compte bien régler ses comptes avec son ex-dulcinée. Il va encore y avoir du « patate pourrie » dans l’air…

Ah, Simon ! C’est une star à la maison, au même titre qu’Émile et Boris. Un personnage au fort caractère qui s’emporte, agit plus vite qu’il ne réfléchit, dit ce qu’il pense et boude plus vite que son ombre. Je dois me rendre à l’évidence, ma petite Charlotte n’apprécie que les sales gosses. Les rebelles, les écorchés vifs, les durs à cuir. Les badass comme dirait son ado de grande sœur.



Heureusement Simon n’est pas qu’un sale gosse.  Il est drôle, il multiplie les bêtises, c’est un adepte du pipi-caca-prout. Et dans ce nouvel album, avec son cœur brisé, il est touchant comme tout. Une fois encore, Stephanie Blake va à l’essentiel. Trait minimaliste, pas de décors, des personnages toujours dessinés en entier et des émotions qui passent essentiellement par le regard. Simple, lisible et efficace, idéal pour focaliser l’attention des petits sur l’image et rien que l’image.

Un album qui montre que les chagrins d'amour n'attendent pas le nombre des années. Heureusement pour Simon tout est bien qui finit bien, vous vous en doutez.

Patate pourrie ! de Stephanie Blake. L’école des loisirs, 2017. 32 pages. 12,70 euros. A partir de 3 ans.






vendredi 10 novembre 2017

Demain c’est loin - Jacky Schwartzmann

J’ai tellement adoré le précédent roman de Jacky Schwartzmann que je me réjouissais de le retrouver avec un nouveau titre, même si celui-ci est catalogué « polar » et que ce genre n’est franchement pas ma tasse de thé.

Demain c’est loin raconte les mésaventures de François Feldman, pas le chanteur mais un trentenaire au nom juif et à la tête d’arabe qui a grandi parmi les racailles d’une cité lyonnaise et qui se retrouve malgré lui en cavale dans la voiture de sa banquière avec une bande de dealers aux trousses. Pas la peine d’en dire plus, il serait dommage de déflorer davantage ce scénario déjanté qui ne brille pas par sa finesse mais se révèle d’une redoutable efficacité.

J’ai aimé retrouver l’écriture très orale et pleine de verve déjà présente dans « Mauvais coûts ». Une fois encore un discours social sans langue de bois se cache sous le vernis de la rigolade, même si les personnages sont parfois caricaturaux. Après, je préfère vous prévenir, mieux vaut être amateur d'humour pas forcément de bon goût pour apprécier cette histoire. Sans tomber dans le lourdingue, le franc-parler un poil vulgaire et la répartie sans filtre de ce cher François pourraient froisser les âmes sensibles. Perso je suis toujours bon client quand on donne dans ce registre et qu’on l’assume de bout en bout, donc je me suis régalé.

Un polar divertissant, sans temps mort ni prise de tête et surtout très drôle. Du trash marrant, trivial, survolté, politiquement incorrect et violent, j’ai l’impression d’avoir réuni les ingrédients du parfait roman feelgood. Selon mes critères du moins…

Petit extrait qui donne le ton :

« Brigitte s’est mise à quatre pattes pour que je la prenne en levrette et j’ai découvert qu’elle avait le visage de Johnny Hallyday tatoué dans le dos. En énorme. Un putain de poster, c’était. Mais bon, je n’étais pas là pour faire la fine bouche, je me suis exécuté et j’ai pris Brigitte par les hanches comme on prend un chariot à Carrefour. Je l’ai secouée, car c’était ce qu’elle voulait, mais ce bon vieux Johnny s’est mis à vivre, à bouger, sa bouche remuait sur la peau de Brigitte. Plus je la besognais, plus Johnny avait des trucs à me dire. »

Demain c’est loin de Jacky Schwartzmann. Seuil, 2017. 184 pages. 17,00 euros.












mercredi 8 novembre 2017

Sérum - Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard

Paris, en 2050. La dictature s’est installée en France et Kader, suite à une condamnation dont on ne connaît pas les causes, a subi une injection de sérum l’obligeant à dire en permanence la vérité. Ne pas pouvoir mentir est pour lui un calvaire : « Vous savez ce que c’est d’être obligé de dire la vérité à des gens qui ne veulent surtout pas l’entendre ? ». Kader vit seul, reclus, déprimé. Il ne parle jamais à personne, ce qui est pour lui le meilleur moyen de ne pas s’attirer d’ennuis. Parallèlement, un groupuscule clandestin prépare une action d’envergure susceptible de renverser le régime. Et ce groupuscule semble avoir fait de Kader un maillon essentiel de son plan…

J’ai beaucoup apprécié le fait que rien ne soit offert d’emblée au lecteur. On découvre cet homme seul dans un univers étrange, on déambule avec lui dans un champ d’éoliennes, on le voit « cueillir » un papillon et le glisser dans sa poche. C’est une entrée en matière aussi déstabilisante que plaisante, j’ai eu l’impression de naviguer à vue et de voir apparaître des indices au compte-goutte, comme autant de petits cailloux laissés sur mon chemin pour éclairer ma compréhension de l'histoire.

Au-delà de cette narration ambitieuse, il faut évidemment souligner la dimension politique du propos, la réflexion sur le pouvoir, sur l’importance du mensonge dans les relations humaines (ou du moins l’importance de ne pas toujours dire la vérité selon les circonstances) ou encore sur le pragmatisme qui a tôt fait de rattraper les idéalistes une fois arrivés au pouvoir : «  Il est trop tôt pour dire la vérité. Il faut reconstruire le pays, préserver la démocratie. Elle est fragile. »

Le dessin de Nicolas Gaignard m’a souvent rappelé celui de l’excellent Frederik Peeters. J’avoue avoir été fasciné par sa capacité à installer une ambiance étrange, angoissante, avec une économie de moyens remarquable. En quelques traits il croque un monde gris, froid et hostile dominé par des couleurs ternes. Il montre la solitude, les regards vides, le quotidien morne. Graphiquement c’est très sombre et totalement raccord avec la France anesthésiée et sans âme imaginée par Cyril Pedrosa.

Après « Le voyageur » j’enchaîne une seconde BD qui ne brille pas par son optimisme débordant, c’est le moins que l’on puisse dire. Mais cette triste vision de l’avenir  est une fois encore exprimée avec finesse et intelligence, elle pousse à la réflexion sans poncifs ni militantisme maladroit. Une belle réussite qui ravira les amateurs de récit d’anticipation.

Sérum de Cyril Pedrosa et Nicolas Gaignard. Delcourt, 2017. 160 pages. 18,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo.




Toutes les BD de la semaine sont aujourd'hui chez Noukette








mardi 7 novembre 2017

D’un trait de fusain - Cathy Ytak

« S’habituer… S’habituer à passer du rire aux larmes en quelques secondes. De la plaisanterie la moins fine à la peur la plus forte. Avec la mort infiltrée. Mais sérieusement, quand on a dix-sept ou dix-huit ans, ça veut dire quoi, mourir, si on n’a rien vécu ? »

Mary, Monelle, Julien et Sami. Ils sont quatre. Lycéens. Au début des années 90. Dans leur quotidien débarque sans prévenir cette saloperie de sida dont trop peu de monde parle. C’est l’heure des premiers amours, des premières fois, des premières confrontations avec l’hypocrisie des adultes, des premiers engagements politiques, de la prise de conscience effrayante qu’avec ce virus la jeunesse n’est plus forcément synonyme d’avenir et  d’insouciance.

Cathy Ytak signe avec ce Trait de fusain un splendide roman. C’est beau, triste, touchant, à la fois d’un réalisme cru et traversé par beaucoup de douceur. Elle montre la surprise, le coup de massue, l’impossibilité d’y croire (« Parce que ce genre de chose, ça n’arrive pas à des gens comme eux. Ils sont trop jeunes, trop ordinaires, trop… quelconques. »). Elle dit la rage, la colère et la résignation, la joie de vivre, les amitiés qui se fissurent ou se renforcent, la perte définitive de l’innocence. Elle revient aussi sur les premiers pas d’Act Up en France, ses actions coup de poing pour frapper l’opinion, l’élan de vitalité qui portait les militants malgré l’ombre de la mort planant sur beaucoup d’entre eux.  

Plus que tout, j’ai trouvé ce texte d’une grande dignité, loin du tire-larmes vers lequel il aurait été facile de basculer. Pas de pathos ni de jugement mais une empathie débordante et contagieuse qui met du baume au cœur en dépit de la douleur et de l’injustice qui laboure les tripes. Un bijou de sensibilité.  


D’un trait de fusain de Cathy Ytak. Talents hauts, 2017. 255 pages. 16,00 euros.  


Une pépite jeunesse évidemment partagée avec Noukette.










lundi 6 novembre 2017

8 ans !

Huit ans. Huit ans que je vous accueille ici, que je m’amuse à parler de mes lectures en toute simplicité, sans chercher à élargir coûte que coûte le cercle de mes visiteurs  et  sans jamais me soucier de l’esthétique (affreuse) de ce blog qui n’a pas bougé d’un iota depuis la première seconde où il a été mis en ligne.

Quitte à enfoncer des portes ouvertes, ce que je retiens de ces huit ans ce sont  les moments de partage et d’échanges, les lectures communes et surtout les belles rencontres qui sont pour certaines devenues des amitiés solides en passant du virtuel au réel.

Si je pense par exemple à l’année écoulée, les souvenirs les plus marquants sont mon Montreuil avec Noukette (je ne peux pas envisager un Montreuil sans Noukette de toute façon), un festival d’Angoulême mémorable avec  une bande de frapadingues que j’adore et qui se reconnaîtront, un salon du livre avec les délicieuses Electra et Eva et les rendez-vous BD d’Amiens avec ma très chère Moka. De jolis moments rendus possibles grâce à ce blog qui continuera d’exister tant que je ne serai pas gagné par la lassitude ou l’envie de passer à autre chose.

J’espère donc être encore là l’an prochain pour souffler mes neuf bougies mais en attendant et comme à chaque anniversaire, je vais me faire un plaisir d’offrir à trois d’entre vous un de mes coups de cœur de l’année. Pour cela rien de plus simple, il suffit de m’indiquer en commentaire votre volonté de participer au tirage au sort. Pour le reste, je m’occupe de tout.

Edit du 23/11 :

Alors voila, une petite main innocente de bientôt 5 ans a plongé dans mon chapeau et en retiré trois noms parmi la soixantaine qui s'y trouvait. Les gagnantes sont donc, par ordre alphabétique :

- Emma
- Gambadou
- Moka

Mesdames, il ne vous reste plus qu'à me donner votre adresse et je m'occupe du reste !

Merci à tous les participant(e)s et aux lecteur(trice)s qui prennent le temps de passer régulièrement (ou occasionnellement) par ici. Et rendez-vous l'an prochain pour souffler les 9 bougies de mon blogounet.








samedi 4 novembre 2017

Tout est brisé - William Boyle

Pour le coup le titre est parfait. Tout est en effet brisé dans la vie d’Erica : elle vit seule à Brooklyn et a du mal à joindre les deux bouts depuis la mort de son mari, sa mère ne s’est pas remise d’une fracture du col du fémur après une mauvaise chute, son père à l’agonie la tyrannise au point de l’obliger à le sortir de l’hôpital pour le ramener chez elle alors qu’il n’est pas capable de descendre de son lit sans s’écrouler et son fils homosexuel, dont elle n’avait plus de nouvelles, revient à la maison avec sa dépression et son alcoolisme en guise de bagages. Rien que ça. Ah non, j’oubliais, il y a aussi sa sœur, qui pourrait lui donner un coup de main si elle n’était pas elle-même au chevet de son homme malade. Bref, l’horizon d’Erica est bouché. Et sa barque bien trop chargée à mon goût, dans le genre mélo, difficile de faire pire.

Après, j’ai apprécié le fait qu’elle affronte les embûches avec force et fragilité, sans se plaindre ni s’apitoyer sur son sort. J’ai aimé l’écriture beaucoup plus descriptive que psychologique s’attardant davantage sur les faits que sur les pensées des uns et des autres. Le fils, enfermé dans une spirale autodestructrice, est une vraie tête à claque et le papy invivable donne juste envie de l’étouffer avec son oreiller pour avoir la paix mais les deux sont croqués avec réalisme.

Le problème c’est que tout est sombre et désespéré, il m’a vraiment manqué quelques rayons de lumière dans l’obscurité pour apprécier ma lecture et ne pas refermer le roman avec l’envie de me noyer sous les antidépresseurs. Il y a bien le personnage de Frank, sorti de nulle part avec son optimisme à toute épreuve qui aurait pu ensoleiller ce triste tableau, mais je me suis demandé ce qu’il venait faire dans cette galère et je n’ai pas compris à quoi il servait dans la mécanique du récit. Pour tout vous dire, il m’a rappelé le personnage d’Alec Baldwin dans un épisode de Friends qui trouve tout merveilleux et finit par se mettre tout le monde à dos (désolé, on a les références qu’on peut !). En gros, il est plus ridicule qu’autre chose.

Conclusion ? William Boyle sait créer une ambiance pesante et mélancolique, son écriture m’a plu, comme sa maîtrise des dialogues, mais pour le reste j’ai moyennement apprécié cette histoire déprimante aux traits mélodramatiques bien trop forcés et manquant de nuances.

Tout est brisé de William Boyle. Gallmeister, 2017. 210 pages. 22,40 euros.




jeudi 2 novembre 2017

Ostwald - Thomas Flahaut

Simon Johannin, David Lopez, Timothée Demeillers et maintenant Thomas Flahaut. Quatre jeunes écrivains, à peine ou pas encore trentenaires. Trois ont signé cette année leur premier roman, un autre son second. Leur point commun ? Tous les quatre tournent le dos à la branlette autofictionnelle en vogue pour donner dans le roman social, pour montrer de façon parfois crue une jeunesse sans avenir, un monde du travail sans pitié, une condition ouvrière à l’agonie. Ce retour du roman social dans le paysage littéraire français me ravit, ces gamins osent, ils grattent là où ça mal et surtout, ils le font avec talent.

Dans Ostwald, Thomas Flahaut mélange réalité et fiction. La réalité, c’est la fermeture de l’usine Alstom à Belfort et l’onde de choc qu’elle a engendrée dans l’économie locale. La fiction, c’est l’incendie de la centrale nucléaire de Fessenheim qui provoque une évacuation massive de population, des Vosges à Strasbourg en passant par l’Allemagne et la Suisse. Noël est le narrateur. Il vient de terminer ses études et ne sait pas de quoi demain sera fait. Évacué avec son frère Félix dans un camp gardé par l’armée en lisière de forêt suite à l’incendie, il doit fuir après avoir été témoin d’un événement tragique. Son frangin et lui vont traverser une Alsace désertée, croisant juste quelques clochards ou des singes échappés d’un zoo…

A travers leur errance se dessinent à la fois le manque d’ambition d’une jeunesse provinciale perdue et le délitement des liens sociaux. Les parents ont divorcé après le plan social de l’usine, les enfants sont allés jusqu’à l’université parce qu’ils n’avaient rien de mieux à faire et à l’heure de se lancer sur le marché du travail, ils savent que leur région n’a rien de solide à offrir. Disparition d’un monde, disparition d’un modèle familial, vision pessimiste et même apocalyptique de l’avenir, Flahaut raconte le cheminement vers une impasse à l’aide d’une écriture sobre. Phrases courtes et parfois sans verbe, chapitres d’une ou deux pages, poésie sèche centrée sur le réel  qui ne s’autorise aucun éparpillement lyrique, on va à l’essentiel sans fioriture et j’avoue que j’adore ça.  

Un premier roman injustement passé inaperçu dans le flot de la rentrée littéraire et un jeune auteur (né en 91 !) à suivre de très près, qu’on se le dise.


Ostwald de Thomas Flahaut. L’Olivier, 2017. 170 pages. 17,00 euros. 





mercredi 1 novembre 2017

Été - Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf

« Deux mois de liberté totale… Puis nous deux ensemble, sans regret, pour toujours. »

Abel et Olivia décident de faire un break le temps d’un été. Chacun de leur coté, sans le moindre contact. Le temps de faire des choses remises jusqu’alors à plus tard, de se retrouver seul face à soi-même, de profiter, de s’interroger et de lâcher prise. Le temps aussi de savoir si leur amour peut résister à une telle épreuve.

Un album qui se décline en historiettes d’une page, un coup avec Abel, un coup avec Olivia. Pendant que l’une va à confesse l’autre prend l’avion sur un coup de tête, pendant que l’une emmène sa tante en Islande, boit des coups avec ses copines en parlant de cul et rentre pour la première fois de sa vie dans un cinéma porno, l’autre fait du rock comme quand il était ado, va au casino et saute sur la moindre occasion de finir dans le lit d’une inconnue.

C’est bête à dire mais je crois que j’ai passé l’âge de ce genre de trucs, de ces histoires de couples presque trentenaires qui ne savent pas où ils en sont, qui ne savent pas où ils vont et surtout qui ne savent pas ce qu’ils veulent. En fait je m’en tamponne de leurs états d’âme, de leurs questionnements existentiels et de leur relation compliquée. Et puis j’ai du mal avec les phrases à la con genre « faut pas avoir peur, si on a peur, on ne fait plus rien » ou « le temps passe trop vite, on se construit plus de regrets que de souvenirs ». Franchement qui dit ça dans une conversation normale en sirotant un apéro entre potes ????

Un album aux dessins sans relief et aux couleurs qui piquent les yeux, qui était en fait au départ un feuilleton BD en ligne publié sur Instagram et co-produit par Arte. Un album dans l’air du temps que je qualifierais de « branchouille », encensé par les Inrocks et d’autres magazines à la mode, ce qui est tout sauf surprenant. Mais ce n’est pas du tout ma came, vous l’aurez compris. Pour moi ce n’est qu’une accumulation de clichés et de petits riens sans intérêt, portrait d’une jeunesse très autocentrée dont le sort m’indiffère. De l’anecdotique aussi vite lu qu’oublié en somme.

Été de Cadène, Safieddine, Duvelleroy et Surcouf. Delcourt, 2017. 80 pages. 15,50 euros.

PS : Il y a quand même un truc intéressant à souligner, le fait que l’ensemble des planches fonctionne comme un palindrome, c’est-à-dire que l’on peut relire l’album "à l'envers" en commençant par la dernière page et voir l’histoire sous un angle fort différent. C’est original, très bien fait et tout sauf gadget.




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mardi 31 octobre 2017

Les optimistes meurent en premier - Susin Nielsen

« Ensemble, nous avons réussi à ne pas tomber. »

C’est la dernière phrase de ce roman et elle dit tout. Tout de ces ados cabossés qui, après s’être rapprochés non sans difficulté, ont fini par se soutenir les uns les autres et par avancer malgré leurs drames respectifs. Pour une fois je vais faire court et essayer de vous donner envie de découvrir  ce superbe texte en en disant le moins possible.

Sachez donc que l’on suit au fil des pages Pétula, qui ne se remet pas du décès de sa petite sœur. Sa route va croiser celles de Jacob, Koula, Alonzo et Ivan. Des gamins « à problème », comme elle, des gamins paumés qui semblent tous être dans une impasse et incapables d’en sortir.

C’est un livre plein d’amour, de culpabilité, de douleur, d’amitié et de chats. Un livre plein d’espoir qui se tourne résolument vers l’avenir sans rien résoudre d’un coup de baguette magique. C’est un livre qui vous serre le cœur, vous fait sourire et grimacer, engendre un incontrôlable excès de tendresse pour Pétula et ses comparses. C’est un livre rare et précieux, de ceux que l’on voudrait recommander et faire lire à la terre entière. Une pépite jeunesse indispensable.    


Les optimistes meurent en premier de Susin Nielsen (traduit de l’anglais par Valérie Le Plouhinec). Hélium, 2017. 192 pages. 14,90 euros. A partir de 14 ans.






Une lecture commune évidemment partagée avec Noukette !









dimanche 29 octobre 2017

Par le vent pleuré - Ron Rash

Il a suffi de fragments d’os ramenés sur la berge par une rivière en crue pour qu’une vieille affaire ressurgisse...

 1969. Ligeia la hippie débarque dans un petit bled des Appalaches, envoyée par ses parents chez son oncle pour calmer ses démons. Bill et Eugène, deux frères, la rencontrent et sont attirés par son magnétisme. La jeune femme leur fait tourner la tête. Eugène, le plus jeune, cède à tous ses caprices, allant jusqu’à voler pour elle des opiacés dans la pharmacie de son grand-père médecin. Un jour Ligeia disparaît sans laisser la moindre trace. Une fugue sans doute. Mais des décennies plus tard, quand la rivière rend ses ossements, Eugène croit comprendre ce qu’il s’est passé. Pour en avoir le cœur net, il va devoir reprendre contact avec ce frère auquel il n’a pas parlé depuis des années.

Un roman entre présent et passé. Le passé d’une jeunesse où Bill et Eugène, sous la coupe d’un grand-père tyrannique, grandissent sans avoir droit au moindre écart. Un présent où leurs trajectoires respectives ont suivi des chemins bien différents, le premier étant devenu un chirurgien reconnu alors que le second a brisé son mariage et a failli tuer sa fille dans un accident de voiture à cause de l’alcool. Bill n’a jamais cessé de briller alors qu’Eugène n’a fait que sombrer. La découverte de la dépouille de Ligeia va les mettre face aux fantômes qui les hantent, sans pour autant amorcer entre eux la moindre réconciliation, bien au contraire.

Ron Rash parle de culpabilité, de chagrin, de mensonge, du sens des responsabilités également. J’ai pour une fois trouvé que tout allait trop vite, que le récit aurait mérité de se déployer de façon plus ample (en gros je l’aurais aimé un peu plus épais ce livre, comme quoi je ne suis plus à une contradiction près !). Le personnage de Ligieia ne m’a fait ni chaud ni froid et le papy autoritaire m’a semblé à la limite de la caricature. J’ai par contre adoré cette relation complexe entre frangins n’ayant aucun point en commun, aucune affinité, aucune envie de se rapprocher malgré les liens du sang. Elle a fait raisonner beaucoup de choses de ma propre histoire et c’est de loin ce que je garderais de plus marquant de ce texte sans grande originalité, tant au niveau du fond que de la forme, mais dont l’écriture élégante et les dialogues ciselés m’ont au final fait passer un agréable moment de lecture.

Par le vent pleuré de Ron Rash (traduit de l’anglais par Isabelle Reinharez). 200 pages. 19,50 euros.




vendredi 27 octobre 2017

Pas bête(s) ! - Christophe Léon

Une poule de batterie heureuse de l'enclos de 50 cm² dans lequel elle passe ses journées à picorer et à pondre. Un zoo censé participer activement à la préservation des espèces rares où les visiteurs pensent davantage à consommer et à se bâfrer qu’à découvrir les animaux. Des cadres supérieurs qui pratiquent la tauromachie. Un abattoir ultramoderne où rien n’est laissé au hasard. Un papa victime de l’économie libérale aux prises avec des cafards. Un mouton mégalo et fasciste à la rhétorique persuasive. Un chien de chasse à la retraite qui découvre les affres de la téléréalité.

Christophe Léon propose sept fables dont la morale n’est pas forcément explicite. Il faut fournir un petit effort de réflexion pour comprendre les enjeux de chaque texte, ce qui n’est pas plus mal. D’ailleurs est-ce vraiment des fables ? On est sans doute ici plus proche de la parabole, mais peu importe finalement. Ce qui compte, c’est la limpidité du propos. Pas de dénonciation grossière à coup de gros sabots mais plutôt un discours tout en finesse dont l’évidence se dévoile peu à peu. D’où une lecture de chaque histoire nécessairement attentive voire accompagnée pour certains enfants qui auront peut-être du mal à en saisir les subtilités. 

Le ton est caustique, souvent drôle. Il y a aussi une certaine gravité et de jolies trouvailles, comme cette « passerelle » imaginée entre les deux textes qui ouvrent et ferment  le recueil où la poule et le chien se rejoignent dans un final inattendu.

De la littérature jeunesse engagée qui appuie avec intelligence là où ça fait mal et qui reste dans la lignée de ce que proposent les éditions Le muscadier depuis leur création. Personnellement, çà me convient tout à fait.

Pas bête(s) ! de Christophe Léon. Le muscadier, 2017. 145 pages. 11,50 euros. A partir de 10-11 ans.






mercredi 25 octobre 2017

Le Petit Nicolas : la bande dessinée originale - Sempé et Goscinny

La première histoire « écrite » du Petit Nicolas a été publiée le 29 mars 1959 dans le journal « Sud-Ouest Dimanche ». Mais le personnage avait fait ses débuts deux ans et demi plus tôt dans les pages du magazine belge « Le Moustique » sous forme de bande dessinée. Cet album réunit pour la première fois l’ensemble des  28 planches  parues entre  septembre 1955 et mars 1956.

Loin des copains, de l’école et des scènes savoureuses que l’on retrouve dans les histoires illustrées, ces débuts en BD, où le trait balbutiant de Sempé manque quelque peu de maîtrise, se concentrent uniquement sur l’environnement familial. Le voisin Blédurt est déjà présent et Alceste fait une courte apparition mais pour le reste, tout tourne autour de Nicolas, sa mère et surtout son père. Ce dernier subit à chaque page les conséquences des bêtises de son fiston. Un comique de répétition gentillet qui montre un Petit Nicolas d’une sagesse plus que relative, trouillard devant le docteur, râleur chez le photographe et terrorisant son coiffeur.

Le gag en une planche n’a pas la même force que les récit longs déclinés par la suite, même si certaines histoires en BD ont inspiré des nouvelles publiées en recueil. A ce titre les deux exemples repris en fin d’album montrent bien comment s’est opéré le passage d’une forme à l’autre.

Un livre parfait pour découvrir les origines d’un personnage culte qui a traversé les décennies avec un succès indémodable. Un livre idéal pour les inconditionnels de ce facétieux gamin et pour les nostalgiques de l’humour un brin désuet des années 50. A l’évidence ce Petit Nicolas en BD va se retrouver sous de nombreux sapins au moment de Noël.

Le Petit Nicolas : la bande dessinée originale de Sempé et Goscinny. IMAV éditions, 2017. 48 pages. 12,90 euros.


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mardi 24 octobre 2017

A quoi tu ressembles ? - Magali Wiéner

Ils s’appellent Théo, Mario, Yoan, Maël, Diane, Yannis, Antonin, Jeff, Mika, et Benjamin. Neuf garçons et une fille de la même classe de troisième. Une bande de copains où les profils diffèrent, forcément. Chacun à tour de rôle, au fil de l’année scolaire, ils prennent la parole et s’interrogent sur la puberté, l’amour, l’avenir, la première fois, la violence. Tous parlent surtout de la relation avec leurs parents, de la difficulté à cohabiter, à les supporter, ou à s’en passer. Parce que les parents aussi sont différents les uns des autres. L’ouvrier en colère, le playboy qui tient à son apparence, celui qui force sur la bouteille, celui dont le métier fait honte, ceux qui ont l’esprit trop étroit, celle qui a besoin de confiance en elle, les trop gentils et ceux dont les secrets bien gardés finissent toujours par être révélés.

Un roman choral mené de main de maître. Les voix des ados sont variées, chacun possède sa propre identité, sa propre sensibilité. Chacun exprime ses doutes, ses inquiétudes ou ses angoisses à travers le prisme d’un épisode compliqué toujours lié à l’attitude de ses parents. Les témoignages se complètent, se font écho, se répondent parfois lorsque l’on retrouve les mêmes personnages d’une histoire à l’autre. Et dans l’ensemble le ton est plus mesuré que colérique malgré le malaise ou la frustration.

Un fort joli recueil, touchant et réaliste, qui dit à quel point il n’est pas simple de grandir, de se construire avec ou contre des figures parentales qui, depuis la petite enfance, tiennent plus ou moins solidement un rôle de modèle. Un modèle dont on cherche à se détacher à l’adolescence, un modèle qui se fissure peu à peu, comme une coquille qu’il importe de briser pour prendre son envol.

A quoi tu ressembles ? de Magali Wiéner. Le Rouergue, 2017. 144 pages. 10,70 euros. A partir de 13 ans.


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samedi 21 octobre 2017

Les lectures de Charlotte (42) : Bienvenue chez Maman Ours - Ryan T. Higgins

Dans l’album précédent paru il y a an l’ours Michel, grand amateur et grand voleur d’œufs, s’était retrouvé malgré lui à la tête d’une portée d’oies qui avaient fait de ce gros râleur leur maman d’adoption.

Lorsque débute cette nouvelle aventure, notre ours grognon part migrer vers le sud avec sa progéniture. Pas que ça l’emballe, bien au contraire, mais en tant que « maman », il n’a pas le choix. C’est un moment vraiment pénible cette migration, surtout qu'il préférerait hiberner. Mais pire encore, en rentrant chez lui au printemps suivant, Michel constate que des souris ont transformé sa maison en hôtel forestier. C’en est trop, l’ours à la mauvaise humeur légendaire s’énerve pour bon, mieux vaut ne pas traîner dans les parages !

Excellent, vraiment excellent cet album. Un humour décapant avec ces plages bondées, ces souris roublardes, ces opossums joueurs, ce renard fin gourmet, ces éléphants en goguette et surtout cet ours bougon aux sourcils toujours froncés qui ne dessert les dents que pour râler ou s’énerver. Les illustrations fourmillent de détails, tous les animaux sont d’une hilarante expressivité et la liaison texte/image fonctionne à merveille.



J’ai beaucoup plus apprécié ma lecture que Charlotte, les gags sont trop subtils et l’implicite un peu trop présent pour qu’une enfant de 4 ans saisisse toute la finesse de l’histoire. Mais je lui garde au chaud, je sais que dans quelques temps elle rigolera autant que moi des malheurs de ce pauvre ours mal léché.

Bienvenue chez Maman Ours de Ryan T. Higgins. Albin Michel jeunesse, 2017. 48 pages. 12,00 euros. A partir de 5-6 ans.







vendredi 20 octobre 2017

Une histoire des abeilles - Maja Lund

1851, en Angleterre. William, commerçant au bord de la faillite, se passionne pour l’apiculture et élabore les plans d’une ruche révolutionnaire qui devrait faire sa fortune.

2007, aux États-Unis. George, apiculteur bio, apprend avec stupeur que son fils unique ne souhaite pas prendre sa relève et constate avec effroi que ses abeilles disparaissent du jour au lendemain par colonies entières.

2098, en Chine. Les insectes ayant été rayés de la surface de la terre, Tao, comme tous ses compatriotes, passe ses journées à polliniser manuellement des hectares de vergers. Le jour où son fils s’écroule pendant une sortie en forêt et est évacué en hélicoptère vers la capitale sans qu’on lui donne la moindre information, la jeune femme plonge à la source de « L’Effondrement », cet événement majeur qui, des décennies plus tôt, bouleversa à jamais le destin de l’humanité.  

Trois époques, trois histoires et trois personnages distincts reliés par un fil aussi ténu que solide. Cette histoire des abeilles est un texte plus éclairant qu’alarmant je trouve. Le message est limpide (et connu) : sans abeilles, les humains sont en grand danger. Pour autant tout n’est pas noir, l’espoir demeure et avec davantage de raison, il est envisageable d’éviter une catastrophe irréversible. La norvégienne Maja Lund aborde à la fois les causes et les conséquences de la disparition des insectes. Le propos est engagé, militant et écolo mais le vernis de la fiction et une narration maline à défaut d’être originale (chaque personnage prend la parole à tour de rôle) allège grandement la façon d’aborder le sujet.

L’écriture est sans relief mais l’ensemble se lit très facilement. Un roman prenant, qui pointe du doigt un danger de plus en plus imminent et dont les prédictions semblent malheureusement plus visionnaires que farfelues. A la fois instructif et effrayant.

Une histoire des abeilles de Maja Lund (traduit du norvégien par Loup-Maëlle Besançon). Les Presses de la Cité, 2017. 400 pages. 22,50 euros.






mercredi 18 octobre 2017

C’est la jungle ! - Harvey Kurtzman

Pour Terry Gilliam (Monty Python) « Kurtzman était un dieu ». Pour Wolinski, un génie. Pour Goscinny, un ami qu’il admirait sans réserve. Pour Robert Crumb et Daniel Clowes, « un héros ».  Pour Art Spiegelman, « un père spirituel ». Pour Gilbert Shelton et Gotlib, une source d’inspiration majeure. Pour le New-York Times, « une des figures les plus importantes de l’Amérique de l’après-guerre ».

Créateur de la mythique revue MAD, Harvey Kurtzman est une icône de la contre-culture aujourd’hui tombé dans l’oubli dont l’influence a rayonné jusqu’en Europe et inspiré (entre autres) les fondateurs d’Hara-Kiri et Fluide Glacial. Cette réédition de « C’est la jungle ! », son œuvre la plus emblématique publiée pour la première fois en 1959, permet de redécouvrir ce que beaucoup considèrent comme le premier roman graphique de l’histoire, vingt ans avant Will Eisner.

En quatre récits distincts, Kurtzman fait l’étalage de son formidable sens de l’humour et de la mise en scène. Deux de ces récits sont des parodies de séries télé des années 50. La première raconte l’enquête farfelue menée par un détective privé aux compétences aussi limitées que son QI, le tout sur fond de jazz et de poulettes bien roulées. La seconde est un western où un shérif ne cesse de provoquer en duel l’ennemi public n°1, qui ne cesse de tirer plus vite que lui. Celle ayant pour titre « Le cadre supérieur au complet de flanelle grise », à l’évidence autobiographique, raconte l’arrivée chez un éditeur de revues bas de gamme d’un nouvel employé naïf et pétri d’idéaux qui se heurte à la dure réalité d’un monde régit par une impitoyable économie de marché. Quant à la dernière, qui est de loin ma préférée, elle montre des péquenauds du sud profond qui vont s’empresser de lyncher un innocent après la découverte du corps d’une jeune femme dans un fossé. « Décadence dégénérée » (c’est le titre on ne peut plus explicite de cette histoire) est une attaque en règle contre les écrivains du sud comme Tennessee Williams ou Erskin Caldwell et leurs personnages de bouseux décérébrés (si vous avez lu « Le bâtard » de Caldwell, vous savez de quoi je parle).

Le dessin est simple, souple, spontané, épuré, du noir et blanc rehaussé d’un léger lavis gris clair porté par un découpage d’où se dégage une vivacité et un sens du rythme remarquables. Pour ce qui est des scénarios, les références à la culture populaire américaine des fifties ne sont pas toujours évidentes à saisir pour un lecteur d’aujourd’hui (français de surcroît). Il n’empêche, Kurtzman propose avec « C’est la jungle ! » un mélange de parodies et de satires analysant avec perspicacité les vices de la nature humaine. C’est drôle, mordant, ça bouscule les codes, c’est plein d’ironie et de sarcasmes, le tout distillé avec une grande finesse.

La réédition classieuse de ce petit bijou d’humour décalé permet de remettre en lumière le travail incroyablement novateur, féroce et sans concession d’un des plus grands noms de la BD. Une lecture indispensable pour les amateurs (éclairés) du genre.

C’est la jungle ! d’Harvey Kurtzman. (Traduit de l’anglais par Frédéric Brument). Wombat, 2017. 176 pages. 25,00 euros.












mardi 17 octobre 2017

Roméo moustique sympathique - Luc Blanvillain

Il n’y avait que Luc Blanvillain pour imaginer une histoire dont le héros serait un moustique mâle polyglotte passionné par les feuilletons à l’eau de rose. Roméo (puisque c’est de lui qu’il s’agit) parle couramment grenouille, araignée, mouche et chat, il comprend le chien et se débrouille en humain. Lorsqu’il se pose sur le sonotone de Camille, une mamie elle aussi fan de soap-opera, c’est le début d’une grande amitié. La vieille dame et le moustique deviennent inséparables, jusqu’au jour où débarque Clélia, la petite fille de Camille, et sa mère Corinne. Cette dernière, obsédée par l’hygiène, va pousser Roméo à quitter la maison. Dehors, un monde hostile l’attend où le danger semble se tapir derrière  chaque brin d’herbe.

Un roman jeunesse vivifiant et plein de peps. Sur les traces de Roméo le lecteur découvre à quel point une vie de moustique est tout sauf un long fleuve tranquille. Les ennemis sont nombreux, du chat joueur à la chauve-souris gloutonne, de la grenouille affamée à la cruelle araignée en passant par la tique assoiffée de sang. Aucun temps-mort, un rythme haletant qui donne envie de savoir à chaque fin de chapitre comment Roméo va se sortir du guêpier dans lequel il s’est fourré, le plus souvent malgré lui.

Blanvillain, égal à lui-même, multiplie les rebondissements, les dialogues savoureux et les tournures de phrases drôlissimes. Il se moque gentiment des séries  romantiques aux scénarios tortueux et campe des personnages aux caractères bien trempés qui ne s’oublient pas de sitôt. Comme toujours, son écriture d’une grande fluidité se déguste avec délectation.

En général la durée de vie d’un moustique mâle n’excède pas dix jours mais j’espère néanmoins que l’on retrouvera bien vite Roméo dans une nouvelle aventure, sa courte mais trépidante existence mérite à l’évidence un nouveau coup de projecteur.

Roméo moustique sympathique de Luc Blanvillain (illustrations de Marie Novion). Poulpe Fiction, 2017. 184 pages. 9,95 euros. A partir de 8-9 ans.


Une lecture commune partagée comme chaque mardi avec Noukette.









dimanche 15 octobre 2017

Tu seras ma princesse - Marcus Malte et Régis Lejonc

Marcus Malte et Régis Lejonc sur la même couverture. L’association d’auteurs que j’adore dans un livre-poème où un papa déclare son amour à sa fille pas encore née. Autant vous dire que l’excitation était à son comble au moment d’ouvrir l’album. Et là, patatras !

« Un jour
un jour tu seras là
Un matin ou un soir
Ou une nuit peut-être 
[…]
Il n’y aura plus de jours
Il n’y aura plus de nuits
Sans toi
Je t’en fais la promesse
Tu seras ma princesse »


Et quelques pages plus loin :

« Ton palais le voici 
C’est mon cœur
Il possède autant de pièces
Que tu voudras
La chaleur
Si tu as froid
L’hiver
Tu trouveras une vaste cheminée
Où brûle
Un feu de joie
Si tu pleures »

Ou le coup de grâce :

« Tu seras mon ange
Je serai ton gardien »

Sur le coup je suis tombé de haut. Je me suis dit qu’il avait viré cucul la praline Marcus, qu’il avait trempé sa plume dans la guimauve arrosée de miel. Je me suis dit qu’il ne manquait plus à son monde de prairies, de tapis de fleurs et d’arc-en-ciel que quelques licornes pailletées pour compléter le tableau. Je me suis dit aussi qu’il était mal barré ce papa déclarant sa flamme à sa future fille. Qu’il allait nous fabriquer une enfant-roi ce papa gâteau déjà prêt à céder à tous ses caprices. Et puis qu’à la couver autant il allait l’étouffer sa princesse, qu’il allait la dorloter comme on dorlote un animal en cage que l’on veut toujours garder sous ses yeux.

Heureusement une pirouette finale vient mettre à mal la relation exclusive envisagée par ce père débordant d’amour. Et c’est le soulagement qui l’emporte : Ouf, Marcus n’est pas devenu un gros nounours en sucre ! 

Niveau graphisme, je suis une nouvelle fois sur le cul devant le talent de Régis Lejonc. Dans un style lorgnant vers le baroque-rococo-Belle Époque, il trousse des tableaux colorés pleins de détails débordant de fantaisie et d’originalité, parfaitement mis en valeur par le format XXL de l’album. Du grand art.

Tu seras ma princesse de Marcus Malte et Régis Lejonc. Sarbacane, 2017. 40 pages. 18,00 euros. 








vendredi 13 octobre 2017

Jusqu’à la bête - Timothée Demeillers

Les murs, l’usine, le bruit. Le travail à la chaîne dans l’abattoir. L’odeur du sang, son épaisseur collante sous les semelles, les éclaboussures sur la blouse et les bottes. La chaleur des viscères débordant des carcasses éventrées. Le froid des frigos où on entasse les kilos de barbaque. Le goût de la mort, partout. Que l’on ramène à la maison, qui s’incruste dans les vêtements. Sur la peau. Pour Erwan, l’usine, c’était son quotiduen. Jour après jour, année après année. Toujours la même rengaine triste, grise, monotone. Jusqu’à « l’événement », il y a deux ans. Depuis, Erwan dort en prison. De sa cellule, il raconte. Sa jeunesse pas folichonne, son histoire d’amour avec Laetitia, saisonnière à l’abattoir le temps d’un été. Sa vie d’ouvrier sans avenir ni horizon. Et cet enchaînement de coups durs qui l’on conduit à commettre l’irréparable.

Un roman résonne la voix des pas grand-chose. Ceux qui se tuent à la tâche, subissent les cadences infernales imposées par la hiérarchie, n’ont pas d’autre vie que celle les rattachant à l’usine. Ceux que l’on méprise dans les hautes sphères, ceux à qui on reproche de ne pas se bouger le cul pour retrouver un boulot quand la grande lessiveuse libérale les laisse sur le bord de la route après un plan social dont ils sortent forcément perdants.

J’ai adoré ce texte plein de rage et de désespoir. J’ai connu l’usine, j’ai côtoyé « ces gens-là » qui ne sont pas ceux que chantait Brel. J’ai vu ces visages et ces corps fatigués, abîmés par le travail harassant et répétitif qui fait « qu’à vingt ans on en paraît quarante et qu’à la retraite on est bon pour la morgue ». Timothée Demeillers maîtrise son sujet. Il signe ici un second roman éminemment social, évidemment très engagé. Sa prose est mouvementée comme les pensées d’Erwan, alternant  les phrases courtes et les envolées au lyrisme contenu. C'est tendu, prenant, touchant, simple et direct. Un texte qui vient du cœur et des tripes. Forcément je suis sous le charme.

Jusqu’à la bête de Timothée Demeillers. Asphalte, 2017. 150 pages. 16,00 euros.