Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, Bukowski est mon héros. Enfin, pas mon héros parce que je n’idolâtre personne. Mais il est celui qui a fait de moi le lecteur que je suis devenu. Alors forcément attaquer une anthologie de textes inédits signés de sa main ne me laisse pas indifférent.
Je savais à quoi m’attendre parce que j’avais déjà lu sa correspondance dans un ouvrage publié il y a plus de dix ans. Bien sûr ici le contenu est inédit mais sur le fond, rien ne change. Le vieux dégueulasse éructe, provoque, se moque, semble bourré 24h/24, se répète beaucoup, passe du coq à l’âne, égratigne ses confrères. Il parle d’écriture. La sienne et celle des autres. Entre la fin des années 40 et le début des années 70 il n’y a que la poésie qui compte. La sienne est la meilleure, les autres sont nuls (« ça fait des années que la poésie me gonfle, depuis des siècles, mais j’ai continué à en écrire parce que les autres s’y prenaient tellement mal »). Par la suite, quand son travail en prose commence à être reconnu, il s’apaise un peu. Mais dans l’ensemble il reste égal à lui-même. Il en fait des caisses, il surjoue, passe à la moulinette poètes, écrivains, éditeurs et critiques. Il endosse son habit préféré, celui du détestable misanthrope atrabilaire se plaignant de son pauvre sort de crève-la-faim incapable de garder un job, en permanence au bord de la folie et du suicide. Rien de neuf sous le soleil quoi.
Il faut dire aussi que ne suis pas fan de correspondance. D’abord parce que ça relève du domaine privé, donc ça ne me regarde pas. Ensuite parce que ce type d’échanges ne m’intéresse pas vraiment. Pour autant tout n’est pas à jeter dans cet amas de lettres. Je me suis amusé à le trouver obséquieux dans ses courriers à Henry Miller, j’ai apprécié ses références constantes aux très rares auteurs trouvant grâce à ses yeux (le Hemingway des débuts, Céline, Dostoïevski, Knut Hamsun et Sherwood Anderson) et j’ai adoré sa lettre la plus sincère et la plus poignante adressée à celui qu’il considère comme le plus grand de tous, John Fante (« Je ne sais pas d’où vous tenez votre talent mais les dieux vous en ont assurément bien doté. Vous avez représenté et représentez pour moi plus que n’importe quel homme mort ou vivant. Il fallait que je vous le dise »).
J’ai aussi apprécié ses réflexions sur l’écriture disséminées au fil des pages, son refus obstiné de l’académisme (« Il n’y a aucune excuse pour une création mutilée par les directives de l’académisme, de la mode, ou le livre de messe valétudinaire qui dit : la forme, la forme, la forme !! Autant foutre les mots en cage. Autorisons-nous l’espace et l’erreur, l’hystérie et la peine. »), sa soif de simplicité (« Je ne crois pas aux histoires de techniques, d’écoles ou de divas… Je crois plus au fait de s’accrocher aux rideaux comme un moine ivre… pour les réduire en morceaux encore, encore, encore… »), son humour toujours aussi ravageur, sa capacité à rire de lui-même, à savoir d’où il vient, à ne jamais se voir plus beau qu’il n’est (« C’est du côté des incultes que je me range, les incapables, les gens si avides de jeter leurs pensées sur papier qu’ils n’ont pas eu la patience d’attendre des années pour acquérir une base solide »).
C'est un fait, il n’y a rien de transcendant dans ce recueil. Rien de nouveau pour ceux, comme moi, qui ont tout lu de lui et sur lui. Mais cette somme est représentative de ce qu’il a toujours été et de ce qui m'a toujours séduit chez lui : un gars qui n’en a jamais rien eu à foutre. Des gens, des élites, des penseurs, des modèles à suivre, des casse-couilles et des culs serrés. Un gars qui a mené sa barque sans s’occuper de personne et a marqué de son empreinte indélébile tout un pan de la contre-culture américaine.
Sur l’écriture de Charles Bukowski (traduit de l’anglais par Romain Monnery). Au diable Vauvert, 2017. 320 pages. 20,00 euros.
Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Valérie.