vendredi 20 juin 2014

La Petite-Fille de Menno - Roy Parvin

La Petite-Fille de Menno, tirée du recueil  « La Forêt sous la Neige », a été adaptée au cinéma par Claude Miller sous le titre « Voyez comme ils dansent ». Dans cette longue nouvelle on suit la trajectoire de Lindsay, 40 ans, dévastée depuis que son mari aujourd’hui décédé l’a quittée pour une autre. Profitant d’un long voyage en train à travers les États-Unis pour aller rendre visite à ses parents, Lindsay va s’arrêter au cœur du Wyoming, dans la bourgade où vécurent son ancien époux et sa nouvelle compagne. Une tempête de neige bloquant le train pendant plusieurs jours sera l’occasion pour elle de rencontrer sa « rivale ».

Le long trajet ferroviaire qui l'attend va permettre à Lindsay de faire le point. Revisiter son mariage chaotique, repenser à Whit, un mari buveur et violent, écrivain de talent qui l’abandonna du jour au lendemain pour une autre et finit par se suicider. Le voyage ne se fait pas que sur les rails, il touche à l’intime, est empreint de tristesse et de nostalgie. Mais il sera aussi le déclencheur d'un début de métamorphose, d’une prise de conscience libératrice. « Elle se souviendrait toujours de ce moment où la vie s’est remise debout pour reprendre sa marche en avant. »

Très beau texte, très beau portrait de femme, très beau voyage intérieur tout en pudeur et en retenu. Et puis les descriptions des grands espaces traversés par le train et des éléments naturels déchaînés pendant la tempête sont tout simplement somptueuses. Je n’avais jamais entendu parler de cet auteur avant de découvrir l’avis de Manu il y a quelques mois. Un grand merci à elle pour la découverte !

La Petite-Fille de Menno de Roy Parvin. Phébus (Libretto), 2011. 106 pages. 6,60 euros.


Les avis de Manu et Theoma


Un billet qui signe ma seconde participation au mois de la nouvelle de Flo.

jeudi 19 juin 2014

Traîne-Savane : vingt jours avec David Livingstone - Guillaume Jan

C’est l’histoire  vraie d’un aventurier en tongs qui traverse un bout d’Afrique avec sa dulcinée congolaise. Les tourtereaux vont improviser leur mariage sur un coup de tête dans un village pygmée après avoir passé des jours à déambuler dans la forêt. Guillaume Jan nous prend par la main et nous raconte son périple avec tendresse et désinvolture. Il crie son amour pour Belange, sa princesse bantoue au corps de liane. Il s’insurge contre la situation catastrophique de cette république démocratique en perdition, contre cette misère s’abattant sur le peuple alors que les ressources naturelles, notamment en métaux et minerais précieux, devraient faire du Congo un des pays les plus riches du monde. Pour autant, son propos ne sombre pas dans un infini pessimisme. Sa description de l’hallucinant quotidien de la population, notamment dans la tentaculaire capitale Kinshasa, reste empreinte de légèreté et d’humour. De beaucoup d'affection et d’admiration aussi pour ces hommes et ces femmes faisant face à l’adversité avec une forme de nonchalance qui force le respect.

Si le mariage avec Belange constitue la trame narrative principale du livre, l’auteur dessine en parallèle le portrait du docteur Livingstone, sans doute le plus célèbre aventurier du 19ème siècle. Un écossais fantasque qui aura passé trente ans, soit la moitié de sa vie, auprès des indigènes. On découvre un Livingstone rêveur, maladroit, lunatique, pitoyable meneur d’hommes, antiesclavagiste convaincu, piètre missionnaire n’ayant jamais évangélisé le moindre autochtone et surtout explorateur calamiteux. Un Mundélé (blanc) fou d’Afrique, happé par ce continent au point de demander à ce qu’on y enterre son cœur.

En entremêlant son épopée avec celle de Livingstone, Guillaume Jan crée un récit aussi instructif que vivant dans une langue savoureuse. Après Sylvain Tesson et Julien Blanc-Gras je découvre un nouveau travel-writer français pétri de talent, drôle, lucide, plein d’humilité, prenant le temps de s’émerveiller devant les personnes et les paysages et qui a simplement « envie de voyager comme on a envie de faire l’amour ». Un bien joli programme, n’est-il pas ?


Traîne-Savane : vingt jours avec David Livingstone de Guillaume Jan. Intervalles, 2014. 305 pages. 19,90 euros.






mercredi 18 juin 2014

Anuki T4 : Duel dans la plaine - Sénégas et Maupomé

Il y a eu les poules, puis les lapins et enfin les castors. Chaque fois qu’Anuki a croisé la route d’un animal, il a connu bien des soucis. Dans cette quatrième aventure, on ne change pas les bonnes habitudes et c’est un poney pour le moins indomptable qu’il va devoir affronter. Parce que comme tout indien qui se respecte, Anuki se doit d’avoir une monture. Mais pour traverser la plaine sur un fidèle destrier, encore faut-il parvenir à l’attraper. Et l’affaire se corse quand entre en scène un rival iroquois ayant jeté son dévolu sur le même poney que lui. L’union pourrait faire la force mais les choses ne sont pas si simples. Surtout quand, pour amadouer ledit poney, on vole les carottes d’un vieillard et qu’il vous surprend en plein chapardage…

La recette est connue. Éprouvée. Et approuvée depuis belle lurette. Anuki l’indien un brin poissard est toujours aussi craquant. Dans cet album, il passe par toutes les émotions : la surprise, la joie, la colère, la peur, la douleur, etc. Et à chaque fois ses mimiques sont d’une rare expressivité. On suit ses cavalcades et ses rencontres le sourire aux lèvres. Pas de temps mort, du mouvement à chaque page, des courses poursuites trépidantes, des personnages secondaires inoubliables (avec une mention spéciale pour le poney) et bien sûr, comme toujours, aucun texte. C’est fluide, d’une grande lisibilité, et il faut le relire plusieurs fois pour ne rater aucun détail.

Déjà quatre albums et aucune lassitude. Les auteurs parviennent à renouveler leur univers en gardant un niveau de qualité constant, ce qui n’est pas la moindre des gageures. Et les enfants continuent d’adorer Anuki, sans doute parce que ce gamin facétieux est le genre de copain que l’on rêverait d’avoir.

Anuki T4 : Duel dans la plaine de Sénégas et Maupomé. Éditions de la Gouttière, 2014. 37 pages. 9,70 euros.


Et comme d’habitude, qui dit Anuki dit lecture commune avec Noukette.







lundi 16 juin 2014

C'est pas moi, c'est la baleine ! - Pauline Pinson et Magali Le Huche

Buc le cochon lapin profite que sa mère est au téléphone pour multiplier les bêtises dans la cuisine. En découvrant les dégâts, sa maman, furieuse, lui demande ce qui lui a pris et là , la réponse fuse : « C'est pas moi, c'est la baleine ! ». Selon lui, il y a une baleine endormie dans le salon. Et quand elle s'est réveillée tout à l'heure, elle avait soif. Pour ça qu'il y a du jus d'orange renversé partout. C'est elle aussi qui a dessiné sur le mur, qui s'est fabriqué une écharpe en papier toilette et une coiffe d'indien avec les feuilles de la plante verte. Bref, tout ça, c'est la faute à la baleine, pas celle de Buc !

Ne pas assumer ses bêtises, c'est un grand classique (et à tout âge d'ailleurs...). Ici, la ficelle est un peu grosse et la maman n'est pas dupe, même si au fond elle admire le mensonge imaginé par son fiston pour ne pas se faire disputer.

Une histoire rigolote comme tout avec un personnage dont la mauvaise foi se révèle craquante. Les illustrations sont simples et dynamiques, très expressives. L'objet livre en lui-même est parfait pour les bambins avec sont petit format carré, ses pages cartonnées indéchirables et ses coins arrondis pour éviter les accidents malencontreux. Une réussite !


C'est pas moi, c'est la baleine ! De Pauline Pinson et Magali Le Huche. Tourbillon, 2014. 20 pages. 7,95 euros. A partir de 3 ans.





samedi 14 juin 2014

Langues de feu - Christopher Cook

Le titre pourrait faire penser à un mauvais porno des années 70 (ok, j'ai l'esprit mal placé) mais on en est loin. Langues de feu est le titre d'une des cinq nouvelles de ce recueil, un texte retraçant le destin de Nathan, un homme persuadé jusqu'à son dernier souffle de ne pouvoir être touché par l'esprit saint malgré sa foi. Dans les quatre autres on découvre un fait divers raconté selon trois points de vue différents (Trilogie de Tiger Ridge), on apprend l'histoire d'un célèbre brigand des bayous (Lafayette Dugas, desperado des bayous), on partage 24 heures de la vie d'une famille modeste à travers les yeux d'un enfant (La tourmente) et on écoute la confession d'un homme n'ayant pas voulu trahir un camarade en succombant aux avances de sa petite amie (Le code).

Toutes ces nouvelles se déroulent au fin fond de l'East Texas. Elles mettent en scène les vies minuscules de cow-boys des temps modernes tout sauf fringants. Des cow-boys descendus depuis longtemps de leurs chevaux pour devenir ouvriers sur des plate-formes pétrolières, traîner dans les bars ou chercher un emploi. Tous restent enfermés dans les traditions séculaires et bibliques qui régissent depuis toujours leur communauté. Des gens simples, violents, robustes et dignes pour qui la liberté reste la plus grande des richesses (« C'est comme s'il était mort, il a perdu sa liberté, il est plus bon à rien. »). Des taiseux ne se laissant pas aller à la sentimentalité. Des hommes habités par une certaine forme de solitude, comme en prend conscience le jeune garçon dans « La tourmente » : « Ainsi vivait-on dans le monde des hommes. On était seul. […] L'ostracisme et la solitude étaient son lot. Justes ou non, ils étaient siens et il leur appartenait. Ils étaient en lui par nature, pas disposition ou par acquisition, mais en lui, quoi qu'il advienne, et désormais indissociables de lui. »

Né au Texas, ayant connu une éducation ultra religieuse, Christopher Cook dépeint une région et des individus qu'il connaît parfaitement. Avec beaucoup de respect et de sollicitude, sans chercher à forcer le trait, il leur rend un hommage d'une grande sincérité dans une très belle langue.

Langues de feu de Christopher Cook. Rivages, 2014. 238 pages. 21,80 euros.

Un billet qui signe ma première participation au mois de la nouvelle de Flo.



vendredi 13 juin 2014

La coupe du monde des livres

Puisque je suis de tempérament plutôt joueur, je relève le défi proposé par Cajou, à savoir créer une équipe parfaite de 11 livres pour ce mois de Coupe du Monde.

Le principe est simplissime, on doit réunir pour notre équipe :

Un gardien de but : THE roman que vous voulez à tout prix lire, celui qui n'a pas le droit de passer à travers les mailles du filet des profondeurs de votre PAL.
Des attaquants : les 4 romans de votre PAL que vous voulez ABSOLUMENT lire.
Des milieux de terrain : les 3 romans de votre PAL que vous avez envie de lire juste après.
Des défenseurs : les 3 romans que vous n’avez pas encore dans votre PAL mais que vous voudriez vous offrir -sans attendre le Mercato- pour parfaire votre équipe.

Voila donc à quoi ressemble mon équipe idéale :




Mon gardien ne pouvait être que ce cher vieux dégueulasse. Je me suis gardé ce recueil sous le coude depuis janvier parce que passer les premiers jours d’été avec Buko, c’est un peu le rêve pour moi.

Parmi mes attaquants, Bulbul Sharma parce que je l’adore, Olivier Bleys, découvert il y a peu et dont je ne pouvais manquer le nouveau roman, Velibor Colic parce ce n’est pas un auteur à laisser traîner sur sa pal et David Thomas parce qu’après la claque de « On ne va pas se raconter d’histoire », impossible d’en rester là avec lui (et en plus c’est un cadeau de Noukette, on va le lire ensemble donc j’ai encore plus hâte de m’y lancer).

Mes trois milieux de terrain seront sont sans doute les livres que j’emmènerai à la plage cet été : le fameux Rebecca de Du Maurier que tout le monde m’a conseillé à corps et à cris après ma lecture de Ma cousine Rachel. Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur, un pavé que j’aurais le temps de lire les pieds dans l’eau et La maison où je suis mort autrefois, parce qu’il m’a été prêté par Manu et que je le séquestre depuis bien trop longtemps.

En défense, trois ouvrages qui seront bientôt miens, pas possible autrement. La boîte aux lettres du cimetière, repéré pas plus tard qu’avant-hier chez Hélène, J’appelle mes Frères parce qu’In cold blog en a trop bien parlé et Pietra Viva parce qu’à force de lire des billets très élogieux sur ce roman, je me dis qu’il est fait pour moi.

Voila, sans doute pas avec cette équipe que je gagnerai un jour la coupe du monde des livres mais c’est bien le dernier de mes soucis.



jeudi 12 juin 2014

Les nuits de San Francisco - Caryl Férey

D’un coté, il y a Sam. Un sioux. Un sioux des temps modernes, parqué dans une réserve. Son quotidien est le même que celui de ses semblables : pauvreté, désœuvrement, alcool, chômage… Une ado engrossée après une énième beuverie. La fuite. Quitter la réserve, partir sans véritable but. Las Vegas, les chantiers. La crise économique qui vous met à la rue. « La rue qui salit sans cesse, qui pue, qui vous agresse à coups de tessons de bouteille quand vous dormez d’un sommeil de plomb, la rue qui vous engloutit en quelques jours et vous recrache en morceaux. » Atterrir en lambeaux à San Francisco et se demander quel sera le bon jour pour mourir.

De l’autre coté, il y a Jane. Une enfance à Fresno, « ville la plus bête d’Amérique, autant dire du monde. » Un viol subit un soir de fête de fin d’année et un départ précipité pour San Francisco. Des cours de théâtre, du mannequinat pour faire bouillir la marmite, un coloc gay qui va l’entraîner dans la drogue. Le coup de foudre pour Jefferson, musicien d’un groupe de rock. La naissance de leur fils treize mois plus tard. Et puis l’accident. Terrible. Dévastateur. Une existence qui s’écroule et Jane se retrouve à errer dans le Golden Gate Park. C’est là que son chemin croise celui de Sam…

Un texte en miroir. Deux trajectoires tortueuses, deux vies cassées qui se font face. Deux destins reliés par la nuit et ses excès. L’Amérique d’hier, celle des indiens massacrés à Wounded Knee, humiliés en permanence depuis, et celle d’aujourd’hui, aussi abrutie que violente. Pas grand chose d'original dans cette histoire, c’est un fait. Mais la prose électrique de Caryl Ferey lui donne une autre dimension. Ce gars écrit avec une fluidité incroyable. Tout coule de source, les phrases s’enchaînent dans un mouvement limpide, sans accro. Une écriture tour à tour poétique, cruelle, directe. Court et dense, ce récit sans fioriture garde une forme d’émotion à fleur de peau. Et puis j’adore la fin. Je n’y peux rien si les tragédies m’ont toujours fasciné…


Les nuits de San Francisco de Caryl Férey. Arthaud, 2014. 120 pages. 10,00 euros.




mercredi 11 juin 2014

Le sourire de Rose - Sacha Goerg

Montréal, l’hiver. Wilson est au chômage et se bagarre avec son ex-compagne pour faire respecter son droit de visite et voir son fils Théo. Lorsque sa route croise celle de Rose, kleptomane poursuivie par un duo de receleurs auxquels elle a dérobé une inestimable relique, Wilson se retrouve embarqué dans une affaire qui le dépasse.

Une déception cet album. Graphiquement il est très beau. J’adore les aquarelles sans cadres aux couleurs douces et la représentation du frimât montréalais. Mais ça ne suffit pas. Bien sûr, l’histoire de Wilson et de Rose est celle d’une belle rencontre. Au départ douloureuse, leur relation évolue vite vers une jolie forme d’entraide. Rose la jolie fille un peu étrange va donner à ce père en perdition un coup de fouet bienvenu. Un retour à la vie salvateur, des dialogues bien menés et un scénario mélangeant action et bons sentiments qui se déroule d’une traite, c'est plutôt positif.

Le problème vient du fait que tout semble survolé, que tout va trop vite. J’ai ressenti un vrai manque d’épaisseur dans la psychologie des personnages, dans leurs rapports. Finalement le lecteur est comme eux, il patine sur un lac gelé sans craindre grande chose, il reste à la surface des choses alors que les profondeurs du dit-lac, sombres et froides, auraient amené bien plus de piquant à l'affaire.

Un album à l'esthétique imparable mais dont le contenu manque singulièrement d'originalité, d'intensité et d'aspérités. Vraiment dommage.


Le sourire de Rose de Sacha Goerg. Casterman/Arte, 2014. 102 pages. 17,00 euros.

L'avis d'Oliv






mardi 10 juin 2014

Le marchand de souvenirs - Ghislaine Biondi

C'est un drôle de magasin qui vient d'ouvrir près de chez Antoine. Lorsque ce dernier en franchit le seuil pour la première fois, il ne se doute pas qu'il vient d'entrer dans un magasin de souvenirs très particulier. En effet dans cette échoppe on trouve uniquement des objets magiques permettant de vivre des souvenirs de choses que l'on n'a pas vécues. Antoine a du mal à y croire alors le marchand va lui faire un cadeau. Le jeune garçon n'ayant jamais eu l'occasion de partir en vacances à la mer, il se voit offrir un galet. En le mettant au creux de sa main et en fermant les yeux, il va voir apparaître des images, des bouts d'histoires, et il va se construire de vrais et beaux souvenirs de moments passés sur la plage. Grâce à cette première expérience aussi étonnante que réussie, Antoine va comprendre qu'un vaste champ de possibles s'ouvre à lui...

Un très joli petit roman chargé d'ondes positives, loin de la littérature jeunesse anxiogène qui pullule en ce moment. C'est plein d'optimisme sans jamais être cucul, bien au contraire. Rêver sa vie, quel beau programme finalement ! Le propos est plus profond qu'il n'en a l'air et m'a rappelé à bien des égards Le miroir brisé de Jonathan Coe, notamment à travers cette capacité à se projeter vers une existence telle qu'elle pourrait ou devrait être.

Une lecture qui fait du bien en somme. Un roman « feel good » pour les 8-11 ans, c'est plutôt rare alors il serait dommage de s'en priver.

Le marchand de souvenirs de Ghislaine Biondi. Oskar, 2013, 55 pages. 6,95 euros. A partir de 8-9 ans.


Une lecture jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette

Les avis de Bouma et Faelys


dimanche 8 juin 2014

Un verger au Pakistan - Peter Hobbs

« J'ai passé quinze ans en prison. J'ai vingt-neuf ans. Mon corps est celui d'un homme bien plus âgé. Une relique que je connais trop intimement : ces cicatrices, cette silhouette brisée. Toutes ces années ! Elles m'ont tout pris. Ma santé et ma famille. Elles m'ont pris la personne que j'aurais pu être et m'ont rendu à la place la moitié d'un homme, une ombre. »

Nord du Pakistan. Après un long séjour derrière les barreaux, un jeune homme est recueilli avec bienveillance par un sage épris de livres et de poésie. Aidé de la fille de son hôte, il va consigner son histoire dans un cahier pour celle qu'il n'a jamais cessé d'aimer, celle dont il s'est épris et qui aura été malgré elle la cause de son malheur.

« Saba. Nous n'étions alors que des enfants, nous ne savions rien des frontières qui traversent le monde des adultes. Nous ne savions pas que le monde était constitué de murs et de barreaux, que les peuples étaient séparés les uns des autres. Les montagnes étaient poreuses, comment aurait-on pu y tracer des frontières ? Et si même les nations ne pouvaient être séparées, alors pourquoi deux personnes quelconques auraient-elles dû l'être ? Non, nous étions des enfants et ne savions rien de tout ça ; peut-être ne serons nous plus jamais aussi sages. »

Une lettre à l'absente, belle et déchirante. L'écriture fait œuvre de résilience, elle lui permet d'avancer malgré les épouvantables stigmates d'un douloureux passé. L'horreur de la prison côtoie le calme apaisant du verger de son enfance dans lequel il revient dorénavant chaque jour. Les épisodes sordides de sa vie en captivité sont précédés ou suivis de réflexions sur la beauté de la nature, du vol des hirondelles au goût suave de la grenade dont le jus fait frémir les lèvres. Sur le cahier, les mots apportent la lumière et aident à rester debout. C'est parfois poétique, à d'autres moment d'un réalisme qui fait frémir mais toujours d'une grande beauté. Un superbe texte, vraiment.

Une découverte que je dois à Marilyne. Elle a eu la gentillesse de me prêter ce livre, pensant qu'il pourrait me plaire. Comme d'habitude, elle ne s'est pas trompée.

Un verger au Pakistan de Peter Hobbs. Bourgois, 2013. 138 pages. 14,00 euros.

Les avis de Alex Mot-à-motsClara, Krol, Marilyne