Dagerman © Actes sud 1989 |
« Je suis dépourvu de foi et ne puis donc être heureux, car un homme qui risque de craindre que sa vie ne soit une errance absurde vers une mort certaine ne peut être heureux ». Ainsi commence cet inclassable opuscule d’à peine 20 pages. Stig Dagerman, écrivain suédois anarchiste, a rédigé ce texte en 1952. Le propos est d’une insondable noirceur. Où trouver la consolation ? Dans les bras d’une femme ? Dans la compagnie d’un ami ? Dans l’écriture ? Une certitude (pour lui), l’existence est « un duel entre les fausses consolations qui ne font qu’accroître mon impuissance et rendre plus profond mon désespoir, et les vraies, qui me mènent vers une libération temporaire. […] il n’existe pour moi qu’une seule consolation qui soit réelle, celle qui me dit que je suis un homme libre, un individu inviolable, un être souverain à l’intérieur de ses limites. » Pourtant, Dagerman reste persuadé que la liberté n’est qu’un leurre. « Selon moi, une sorte de liberté est perdue pour toujours ou pour longtemps. […] Thoreau avait encore la forêt de Walden – mais où est maintenant la forêt où l’être humain puisse prouver qu’il est possible de vivre en liberté en dehors des formes figées de la société. »
Autre constatation lucide : « Rien de ce qui est humain ne dure. » Le propos vise ici à souligner la relativité du temps et le fait que rien, au cours de notre fulgurant passage sur cette terre ne pourra jamais nous apporter une réelle consolation. La conclusion devient alors inéluctable : « Il me semble comprendre que le suicide est la seule preuve de liberté humaine. »
Stig Dagerman s’est donné la mort le 4 novembre 1954. Il avait 31 ans.
Ça va, je vous ai bien plombé le weekend à venir ? Sérieusement, ce texte d’un incroyable pessimisme m’a beaucoup touché. C’est en quelque sorte le testament philosophique d’un homme profondément dépressif (il parle d’ailleurs de la dépression dans plusieurs paragraphes) arrivé à une conclusion inéluctable. L’écriture est magnifique, les arguments avancés sont solidement charpentés et le titre est tout simplement superbe.
Les Têtes raides ont mis l’ensemble du texte en musique. Vous pouvez l’écouter ci-dessous même si, franchement, cette « lecture musicale » ne rend pas hommage à la qualité de la prose de Dagerman.
Notre besoin de consolation est impossible à rassasier de Stig Dagerman, Actes Sud, 1989. 24 pages. 4,10 euros.
L'avis d'Emmyne
Ce billet signe ma première participation au challenge "Littératures nordiques" de Miyuki.
Ta chronique me donne envie de le lire ! Les extraits traduisent un style d'écriture qui m'intéresse beaucoup. Merci pour ce billet ;)
RépondreSupprimerC'est un petit bijou, tu peux foncer !
SupprimerJ'ai été aussi bouleversé par ce texte, il m'a marqué, je le reprends parfois.
RépondreSupprimer( voici mon billet - c'est pour ta curiosité par pour un lien : http://lisezjeunesse.canalblog.com/archives/2010/10/31/19477412.html )
Tu as bien fait de mettre le lien, je m'empresse de rajouter ton avis !
Supprimerah oui, quand même... ;-)
RépondreSupprimerBen oui, il y a plus joyeux mais pour le coup c'est une lecture marquante.
SupprimerEn effet, texte super pessimiste mais plein de vérité, c'est ce qui surprend le plus : son raisonnement est bourré de logique et de réalisme et ses arguments ont très peu de failles. Mais bon, faut vraiment avoir basculé de l'autre côté pour penser ainsi. Ceci dit, coup de plume magistral! Heureusement qu'il ne reflète pas toute la littérature nordique ;)
RépondreSupprimerOui les arguments avancés tiennent vraiment debout c'est ce qui est assez terrifiant au final.
SupprimerJe l'ai lu voilà quelques temps déjà et , moi qui suis une incorrigible optimiste, je me suis mise à réfléchir sur ses propos...cela m'a miné le moral ( oui je sais je suis trop sensible et perméable à la douleur des autres, une véritable éponge !). En revanche je reconnais l'écriture, la beauté de la mise en mots...Mais je me suis promis de ne plus le lire :( J'ai besoin d'y croire moaaa !
RépondreSupprimerDisons que ce n'est pas un texte que je lirais tous les jours mais c'est vrai que le propos est fort et pousse à la réflexion, même si tout cela peut en effet fortement "miner le moral" comme tu dis.
SupprimerJe ne connaissais pas ce morceau des têtes raides ... je suis assez d'accord qu'il ne rend pas hommage à la qualité de la prose mais passé la première minute trente, ça sonne mieux, ma tête bouge ^^ Puis bon, pas facile de chanter ses paroles !
RépondreSupprimerJe crois que ce n'est pas un texte fait pour être chanté, tout simplement.
SupprimerLu aussi, et j'avais été émerveillée par l'écriture de ce court récit.
RépondreSupprimerUne écriture aussi sombre que merveilleuse, un vrai choc, quoi !
SupprimerElle m'avait marquée cette écriture.
RépondreSupprimeroui, je crois que l'on ne ressort pas indemne d'une telle lecture^^
Supprimerje suis inscrite à un challenge scandinave, mais pas à celui-ci !
RépondreSupprimeret ce livre fait partie de ma LAL (on s'en serait douté !)
Logique en effet qu'il fasse partie de ta LAL. Un texte qui se lit très vite mais qui ne s'oublie pas de sitôt !
SupprimerBonjour je suis navré de vous contredire mais ce texte est tout sauf pessimiste. C'est un hymne à la vie et de liberté
RépondreSupprimer" Le monde est donc plus fort que moi. A son pouvoir je n’ai rien à opposer que moi-même – mais, d’un autre côté, c’est considérable. Car, tant que je ne me laisse pas écraser par le nombre, je suis moi aussi une puissance. Et mon pouvoir est redoutable tant que je puis opposer la force de mes mots à celle du monde, car celui qui construit des prisons s’exprime moins bien que celui qui bâtit la liberté. Mais ma puissance ne connaîtra plus de bornes le jour où je n’aurai plus que le silence pour défendre mon inviolabilité, car aucune hache ne peut avoir de prise sur le silence vivant.
Telle est ma seule consolation. Je sais que les rechutes dans le désespoir seront nombreuses et profondes, mais le souvenir du miracle de la libération me porte comme une aile vers un but qui me donne le vertige : une consolation qui soit plus qu’une consolation et plus grande qu’une philosophie, c’est-à-dire une raison de vivre."
Je soyez pas navré, j'aime que l'on me contredise. Mais les faits sont là, il s'est suicidé à 31 ans et je continue à penser que ce geste était en totale cohérence avec ce texte plein de désespoir.
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