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mercredi 27 mai 2015

Un amour exemplaire - Florence Cestac et Daniel Pennac

Pennac et Cestac se retrouvent dans une brasserie. Daniel veut proposer à Florence d’illustrer une histoire d’amour, le genre de truc qu’elle déteste. Mais attention, pas n’importe quelle histoire, l’histoire de Jean et Germaine, un couple hors du commun auquel il s’était lié, enfant, lorsqu’il passait ses vacances chez sa grand-mère dans l’arrière pays niçois. Une histoire d’amour selon lui exemplaire, celle d’un couple excentrique qui faisait jaser le voisinage.

Comment Germaine a pu tomber amoureuse de ce gaillard moche comme un pou ? Pourquoi personne n’a jamais vu Jean travailler ? Que faisaient tous ces bouquins dans leur minuscule maison, envahissant chaque pièce, de la cave à la cuisine ?  Pourquoi Jean et Germaine n’ont jamais eu d’enfants ? Le petit Pennac, à force de stratagèmes plus ou moins finauds, parvint à tirer ces mystères au clair et à entrer de plain-pied dans l’intimité de ces inclassables énergumènes.

Quel plaisir de plonger dans cet album franchouillard et un poil foutraque. On sent tout l’attachement que porte Pennac à ce couple qui aura marqué son enfance et durablement influencé sa vision de l’amour. Cestac l’écoute et retranscrit ses propos, mais elle s’autorise aussi quelques digressions dont elle a le secret. C’est enjoué, bourré d’argot, plein de bonne humeur et de joie de vivre, hors des modes et du temps… tout simplement délicieux.

Graphiquement, pour la première fois l’auteure des « Déblok » abandonne sa marque de fabrique, « les tarbouifs en pomme au four » (autrement dit les gros nez ronds) pour affubler l’un de ses personnages (jean en l’occurrence) d’un pif en quart de brie. Aucune autre concession pour le reste, on retrouve ce trait reconnaissable au premier coup d’œil et ce découpage quasi systématique en gaufrier qui est son autre marque de fabrique.

Une ambiance doucereuse qui fleure bon les années 70, loin de toute mélancolie ou d’un pénible « c’était mieux avant ». Un amour idéal parce que tout sauf banal. Un amour sincère et durable, sans intermédiaire (entendez sans être pollué par les enfants ou le travail), comme l’explique Jean au petit Daniel. Un amour scandaleux pour l’époque et difficile à imaginer aujourd’hui. Exemplaire, quoi.

Un amour exemplaire de Florence Cestac et Daniel Pennac. Dargaud, 2015. 58 pages. 15,00 euros.


Les avis de L'irrégulière, Mo' et Violette.








mercredi 20 mai 2015

Le jardin de Minuit - Edith

Parce que son frère a la rougeole, Tom doit s’exiler quelques temps chez son oncle et sa tante afin d’échapper à la maladie. Une perspective qui ne l’emballe pas plus que cela, c’est le moins que l’on puisse dire. Dans une maison découpée en appartements, sans espaces verts et avec des barreaux aux fenêtres de sa chambre, Tom trouve le temps long. La seule chose qui l’intrigue est l’énorme pendule prenant la poussière dans l’entrée commune, une pendule appartenant à la vieille et très maniaque madame Bartholomée. Une pendule qui, Tom va le découvrir, sonne 13 fois à Minuit et ouvre une porte l’entraînant, non pas dans la courette bétonnée habituelle mais vers un somptueux jardin de l’époque victorienne. Un lieu étrange et un saut dans le temps dont le garçon se délecte chaque nuit, surtout depuis qu’il y a découvert la turbulente et ravissante « princesse Hattie ».

Adaptation d’un classique de la littérature jeunesse anglaise, cet album onirico-fantastique possède le charme suranné des récits d’antan. On y retrouve avec Tom le bonheur de l’exploration solitaire d’un lieu magique, on y rencontre ces amis imaginaires (ou pas !) qui parfois peuplent l’enfance. Beaucoup de souvenirs et de nostalgie, des passerelles qui se créent entre passé et présent et l’impression pour le lecteur d’être le seul à partager les mystères du jardin secret dans lequel le garçon pénètre chaque nuit.

Au début le charme a opéré et je m’y suis senti bien dans ce jardin. Mais au fil des pages, j’ai commencé à m’ennuyer. Je me suis un peu perdu aussi avec les incessants allers-retours temporels et j’ai vu la fin arriver grosse comme une maison. Pas le coup de cœur auquel je m’attendais, donc. Pourtant je reste fan du dessin d’Edith, découvert il y a fort longtemps avec l’excellente série « Basile et Victoria ». Mais ici c’est l’histoire d’origine et non son adaptation qui a fini par me lasser. Tant pis, ma référence en littérature jeunesse anglaise adaptée en BD restera le fabuleux « Vent dans les saules » de Michel Plessix. Une référence tellement intouchable à mes yeux qu’aucune comparaison ne sera jamais envisageable je pense.

Le jardin de Minuit d’Edith. Soleil, 2015. 96 pages. 17,95 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette

Les avis de Faelys, Jacques et L'ivresse des mots


Toutes les autres BD de la semaine
 sont chez Noukette







lundi 18 mai 2015

Un thé pour Yumiko - Fumio Obata

 « Je me sens perturbée. Cet endroit… L’air, la terre… J’ai beau retourner ça dans tous les sens, mes racines sont ici, c’est certain. Je crois que je l’ai nié trop longtemps. »

Vivant depuis des années à Londres, fiancée à l’anglais Mark, la japonaise Yumiko doit rentrer dans son pays natal suite au décès de son père. Un retour particulier tant la jeune femme se sent déconnectée de ses origines.

L’enterrement traditionnel, respectant une cérémonie longue et fastidieuse, ne lui arrache aucune larme. Ce manque d’émotion de surface cache en fait une tempête intérieure où la quête d’identité va faire vaciller ses certitudes.
Un parcours sensible et subtil où, peu à peu, Yumiko tombe le masque.

Beaucoup de silence dans le parcours à la fois méditatif et introspectif d’une femme à la recherche de sens. Un portrait d’expatriée tiraillée entre ses racines et une carrière « à l’européenne » d’apparence plus émancipatrice et épanouissante, surtout pour une femme. Yumiko s’interroge, elle doute, avouant même à sa mère que si elle n’avait pas rencontré Mark, elle serait rentrée définitivement au Japon.

Le dessin à l’aquarelle est sobre et élégant, parfaitement raccord avec le propos. Une réflexion tout en pudeur sur le deuil et la construction de l’identité qui sonne juste. Touchant.

Un thé pour Yumiko de Fumio Obata. Gallimard, 2014. 155 pages. 22, 00 euros.


Les avis de ChocoMoka et Stephie


mercredi 13 mai 2015

Rosario - Sampayo et Stassi

Comme souvent, c’est la faute d’une femme (pas taper !). C’est à cause de Raquelita que Rogelio croupit derrière les barreaux depuis vingt ans. C’est à cause d’elle qu’il a commis un meurtre. Du moins c’est ce qu’il raconte dans une confession à un mystérieux destinataire. Amoureux fou de cette belle blonde, il partit à sa recherche après sa soudaine disparition. Tombant dans les griffes d’une autre femme (eh oui, forcément !), la sulfureuse mademoiselle Galiffi, fille d’un parrain de la pègre locale, Rogelio plongea la tête la première dans un nid de vipères dont il ne pouvait ressortir indemne.

A Rosario, dans l’Argentine du début des années 30, la ville appartenait au crime organisé. Les italiens et les juifs, spécialisés dans la prostitution, se partageaient le gâteau et les pouvoirs publics, corrompus, fermaient les yeux. Mais avec les troubles sociaux prenant de l’ampleur et l’implantation de plus en plus importante des anarchistes et des syndicalistes, la mafia trouva un ennemi commun à combattre.

C’est l’histoire d’un homme piégé par la passion amoureuse et devenu une marionnette dans les mains de malfaiteurs sans scrupules. Un polar noir à souhait, extrêmement classique, même si, vu le nombre de protagonistes et les incessants flash-back, l’ensemble peut paraître à première vu dense et complexe. L’ambiance de la ville portuaire sud-américaine au début du 20ème siècle, de sa coterie et de ses bas-fonds, est parfaitement restituée. Les manigances sont permanentes, les clans, en apparence soudés afin de lutter contre les mouvements d’extrême gauche, ne manœuvrent en fait que pour leurs propres intérêts. Un scénario mêlant affaires troubles et politique sans grande surprise qui ne me marquera pas durablement je pense. J’ai par ailleurs trouvé assez étrange ce tic du scénariste consistant à révéler l’avenir funeste de ses personnages en plein milieu de l’action, comme s’il voulait spolier son propre récit et lui ôter une bonne dose de suspens.

Graphiquement par contre, rien à dire, le trait épais et les couleurs directes à l’aquarelle sont superbes. Pas suffisant cependant pour emporter mon adhésion. Décidément, le polar, même en BD, j’ai du mal.

Rosario de Sampayo et Stassi. Ankama, 2015. 76 pages. 14,90 euros.



mercredi 6 mai 2015

Nora - Léa Mazé

On est-où avant d’être né ? Et pourquoi Mme Jeanne n’a jamais eu d’amoureux ? Maman m’a dit que tout le monde avait un amoureux ou une amoureuse quelque part et qu’un jour on le trouve. Si Mme Jeanne a toujours été seule, est-ce que c’est parce que son amoureux a oublié de naître ?

Été 1975. Nora est confiée à son oncle agriculteur pendant que ses parents préparent leur déménagement.  La petite fille, un peu sauvage, s’occupe comme elle peut et trouve refuge dans le tronc d’un arbre gigantesque. En escaladant les branches elle aperçoit la voisine, seule dans sa cour. Son oncle lui apprend que Mme Jeanne, 82 ans, est la vieille fille du coin. Pour Nora, il est temps de trouver à cette pauvre femme l’amoureux qui lui est forcément destiné…

La vie, l’amour, la mort, la sexualité, la solitude, tous ces thèmes sont abordés dans cet album. J’ai aimé que « Nora » soit un roman graphique intimiste qui sorte les jeunes lecteurs de leur zone de confort habituelle. J’ai aimé le fait que Léa Mazé installe son récit dans une certaine lenteur, qu’elle prenne le temps de dérouler des séquences muettes invitant à la méditation. J’ai aimé les réactions de l’oncle désarçonné par des questions existentielles auxquelles il n’est pas simple de répondre. J’ai aimé le point de vue à hauteur d’enfant, la naïveté et la logique du raisonnement de la fillette. J’ai aimé le dessin parfois proche du crayonné et la douceur du monochrome sépia. J’ai aimé refermer l’album en me disant que rien n’était gravé dans le marbre, qu’il y avait sans doute autant d’interprétations possibles que de lecteurs, que chacun pourrait y trouver son compte en fonction de son propre imaginaire.

En fait, je crois que j’ai tout aimé dans « Nora ».

Nora de Léa Mazé. Éditions de la Gouttière, 2015. 72 pages. 16 euros.

Une lecture commune que je partage avec mes deux complices Noukette et Stephie.

Les avis de Mo’ et Moka.











mercredi 29 avril 2015

Un homme de joie T1 - David François et Régis Hautière

1932. Sacha a quitté l'Ukraine pour ne pas crever de faim. Il débarque à New York chez un cousin éloigné et se rend compte d'emblée que Big Apple n'est pas la terre promise. Le cousin ne pouvant le loger, il trouve refuge dans une chambre de bonne et doit, en plus de s'acquitter du loyer, sortir les chiens de la proprio récemment décédée. Constatant la difficulté à trouver un emploi sur des chantiers où la main d'oeuvre est bien plus nombreuse que les postes à pourvoir, Sacha est aidé par un mafieux italien à qui il a sauvé la mise un soir, dans une ruelle sombre. Son nouvel « ami », en plus de le faire embaucher comme manœuvre à la construction de buildings, va l'entraîner dans des combines à priori sans danger. A priori seulement...

Un vrai bonheur de retrouver le duo Hautière / François après l'excellentissime « De briques et de sang » ! Sacha est un personnage comme Hautière les aime : un peu gentil, un peu naïf, un peu rêveur, sans ambition démesurée. Un personnage qui se laisse porter par les événements, qui accepte tout ce qu'on lui propose sans calcul ni arrière pensée. Un personnage qui va tomber amoureux, sans doute pour le pire. Typiquement un personnage Hautièrien quoi !

J'adore l'univers graphique de David François, dessinateur bien trop rare et coloriste de talent. Ici ses vues panoramiques de New-York, au pinceau et sans encrage, sont à tomber par terre. Il a su aussi donner à ses personnages des trognes inimitables, loin des canons de beauté que l'on croise habituellement.

Bon, je ne vous cacherais pas mon inquiétude pour Sacha. La dernière phrase de la citation d'Olivier Supiot en introduction « Cette ville est une dévoreuse d'âme » n'est à mon avis pas là par hasard et il ne m'étonnerait pas que le si attachant ukrainien suive une trajectoire similaire à celle d'Abélard. Je peux me tromper (je souhaite me tromper!) mais je ne suis guère optimiste.

Un superbe album en tout cas, de ceux qui vous font regretter de ne pas avoir immédiatement la suite sous la main. La suite et la fin d'ailleurs, puisqu' « Un homme de joie » sera un diptyque.

Un homme de joie T1 de David François et Régis Hautière. Casterman, 2015. 54 pages. 13,95 euros.

Et une lecture commune de plus que je partage avec Mo' et Noukette.

L'avis de Moka




mercredi 22 avril 2015

Un certain Cervantès - Christian Lax

Mike Cervantès, vétéran d’Afghanistan, a perdu un bras et a été capturé par les talibans au cours d’une mission. Libéré contre une rançon, son retour au pays n’a rien d’un long fleuve tranquille. En plein choc post-traumatique, Mike multiplie les coups de sang et se retrouve derrière les barreaux. C’est là qu’il découvre l’œuvre de son homonyme et s’identifie, par mimétisme, au héros de papier du 17ème siècle en lutte contre les moulins à vent. Une révélation qui va le pousser à se lancer sur les routes afin de combattre les injustices de son époque.

Une jolie transposition que nous propose Lax avec cet album, en soulignant que les combats symboliques de Don Quichotte ont leurs équivalents dans l’Amérique d’aujourd’hui. L’inquisition existe toujours, notamment à travers la censure ou le prosélytisme permanent des télévangélistes, tout comme les croisades menées en terres d’islam, tandis que l’ultralibéralisme, internet et Big Brother n’ont rien à envier à la contre-réforme. Le risque de chercher en permanence des parallèles était de tomber dans des comparaisons tirées par les cheveux. Pour le coup, l’écueil est évité et Lax, après quelques albums plus consensuels, revient à un discours très à gauche pour dénoncer un modèle occidental où la dignité humaine n’a plus sa place et un système broyant les démunis et les petites gens. Je retrouve ici l’auteur engagé que j’avais adoré à l’époque de sa série « Le Choucas ».

Parce que les temps ont quand même (un peu) changé, Rossinante a pris les traits d’une Ford Mustang et Sancho Pança ceux d’un clandestin péruvien. Pour le reste, Mike est le même antihéros poissard et illuminé  que « l’ingénieux chevalier ». Je le reconnais, sa posture altermondialiste a un petit quelque chose de déjà-vu et le propos apparaît par moments un poil simpliste. Mais au fond, ça ne m’a pas gêné. De toute façon, un personnage qui lit Bukowski, Selby, Fante, Buroughs et Eward Abbey trouvera toujours grâce à mes yeux, quels que soient ses défauts.

Graphiquement, le dessin au lavis est parfait pour nous emmener sur la route avec Mike, du sud de Kaboul à New York en passant par l’Arizona.

Un album forcément picaresque et truculent. Indispensable pour tout amateur de Cervantès qui se respecte. Ça tombe bien, j’en suis un.

Un certain Cervantès de Christian Lax. Futuropolis, 2015. 204 pages. 26,00 euros.


Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo'.




La BD de la semaine est
 cette semaine chez Stephie








dimanche 19 avril 2015

Hautes œuvres : petit traité d’humanisme à la française - Simon Hureau

Je ne pouvais pas clôturer cette séquence «cadeaux » sans sortir de ma bibliothèque un livre offert par Mo’. Qui dit Mo’ dit BD. Je fréquente son bar depuis des années et on y est toujours aussi bien accueilli. J’ai honte de l’avouer mais elle m’a offert l’intégrale de Maus et je ne l’ai toujours pas lue, tout comme elle m’a offert le diptyque de Miriam Katin (« Lâcher prise » et « Seule contre tous »), que je n’ai pas lu non plus ! Promis, promis, promis, je m’y mets bientôt. En attendant, j’ai poursuivi grâce à elle ma découverte de l’univers de Simon Hureau (Crève saucisse, Mille parages) avec ces « Hautes œuvres », récit édifiant (et véridique !) du calvaire subi par Robert-François Damiens, accusé de tentative de meurtre sur Louis XV et torturé devant des milliers de parisiens sur la place de Grève.

En 1757, le régicide était considéré comme le crime suprême (le crime de lèse-majesté). Pour Damiens, cet attentat raté à l’arme blanche (le roi n’eut qu’une simple éraflure) se solda par la plus impitoyable des condamnations : main brûlée ; bras, cuisses et poitrine découpés à la tenaille ; huile bouillante ; pois et plomb fondu versé sur les plaies avant un démembrement à l’aide de chevaux et, cerise sur le gâteau, le bûcher. Le tout devant un public nombreux, fasciné ou horrifié par le spectacle.

C’est le bourreau, Charles-Henri Sanson, qui revient par le menu sur l’interminable supplice du condamné. Exécuteur des hautes œuvres maladroit et inexpérimenté, il a dû faire face à de nombreux soucis « techniques », finissant cette éprouvante journée sous les quolibets de la foule. Hureau n’épargne au lecteur aucun détail et certains passages sont peu ragoutants, mais au-delà de l’atrocité, il rend bien compte de l’atmosphère particulière de l’époque, du sentiment de révolte et d’injustice grondant dans les rangs du peuple au libertinage d’une noblesse décadente.

Le récit, très documenté,  s’avère passionnant et montre à quel point le siècle des lumières aura, malgré sa volonté affichée de modernité, gardé des pratiques relevant de la barbarie et de l’obscurantisme le plus abominables. Pas pour rien d’ailleurs que l’album a pour sous-titre plein d’ironie, « Petit traité d’humanisme à la française ». Autre ironie, et non des moindres, le même Charles-Henri Sanson deviendra quelques années plus tard le véritable régicide officiel, celui-là même qui guillotinera Louis XVI et Marie-Antoinette. Édifiant je vous dis !

Hautes œuvres : petit traité d’humanisme à la française de Simon Hureau. La boîte à Bulles, 2013. 48 pages. 13,00 euros.

L'avis de Mo'







mercredi 15 avril 2015

Deux frères - Fabio Moon et Gabriel Ba

Adaptation d’un roman de l’auteur brésilien Milton Hatoum, « Deux frères » se déroule essentiellement après la seconde guerre mondiale et raconte la destinée d’une famille libanaise installée à Manaus. Le récit se focalise sur les jumeaux Yaqub et Omar, deux frères se haïssant depuis leur enfance. Deux frères aux caractères diamétralement opposés, séparés par un antagonisme inconciliable.

Mon deuxième gros coup de cœur BD de l’année après « Le grand méchant renard ». Pourquoi j’ai adoré ? Parce que c’est riche, dense, ambitieux, foisonnant, incroyablement bien construit en terme de narration. C’est une saga familiale à la beauté tragique qui se déploie au fil des pages, pleine de rancœur et de non-dits. Beaucoup d’ellipses et de flash-back, des protagonistes à la psychologie très fouillée, une lecture pas toujours aisée, c’est un album qui se mérite et ça me convient tout à fait. La ville de Manaus est aussi un personnage à part entière. On suit son évolution, sa transformation urbaine, son passage vers la modernité. On ressent la proximité de l’Amazonie, la chaleur, l’humidité du climat, le soleil implacable et les pluies diluviennes. L’immersion est totale !

Niveau dessin, je suis fan de ce trait anguleux et de ce noir et blanc intense digne des grands maîtres argentins Eduardo Risso et José Munoz. Le découpage est parfait et le format XXL de l’album offre à chaque case une rare profondeur, c’est bluffant.

Amour, passion, violence, doutes, colères, espoirs, mépris, trahison… il y a un caractère universel dans l’histoire de ses deux frères et de leur famille. Fabio Moon et Gabriel Ba ont su se jouer de la complexité du texte d’origine, donnant au récit une dynamique et un rythme parfaits. Du grand art, le genre d’album exigeant et touffu qui procure un plaisir de lecture incomparable. Je me suis régalé, tout simplement.

Deux frères de Fabio Moon et Gabriel Ba, d’après le roman de Milton Hatoum. Urban Comics, 2015. 232 pages. 22,50 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Mo'.


Et aujourd'hui, la BD de la semaine
est chez Noukette




lundi 13 avril 2015

Les larmes de l’assassin - Thierry Murat et Anne-Laure Bondoux

Je me rappelle de la dédicace d’Anne-Laure Bondoux à Montreuil en décembre dernier. De Stephie, attendant son tour et s’étonnant d’apprendre que je n’avais jamais lu cette auteure jeunesse incontournable. Limite choquée, la Stephie ! Du coup, je suis reparti du salon avec son dernier roman, « Tant que nous sommes vivants ». Mais j’ai eu le malheur de le prêter quelques jours plus tard, avant même d’avoir eu le temps de l’ouvrir, et je ne l’ai pas revu depuis. Alors quand cette BD, adaptation de l’un de ses autres textes, m’a fait de l’œil avant-hier à la médiathèque, je n’ai pas hésité.

« Ici, personne n’arrivait par hasard. Car ici, c’était le bout du monde, le sud extrême du Chili où la côte fait de la dentelle dans les eaux du Pacifique. Sur cette terre malmenée par le vent, même les pierres semblaient souffrir ». Le narrateur a vu un jour débarquer dans la bicoque des ses parents, isolée à des kilomètres de toute autre habitation, un fugitif. Un truand, un escroc, un assassin. Un homme qui allait changer sa vie à jamais…

Soyons clair et net, j’ai adoré. Il y a tout pour me plaire dans cet album. Un environnement rugueux, une terre désolée, des gens de peu de mots, une tragédie en marche. C’est une histoire de rédemption et d’amour, une histoire de naissance commune, une histoire de solitudes, de silences qui en disent bien plus que de longs discours. Quasiment pas de dialogues, des récitatifs superbement littéraires, le vent, la pluie, l’humidité et le froid comme décor. Fascinant.

La sobriété graphique de Thierry Murat touche à la perfection avec des registres monochromes incroyablement expressifs et des cases s’étirant en longueur pour souligner l’immensité des paysages de la Terre de Feu. Tout en pudeur et en émotion contenue, cette adaptation libre mais respectueuse du roman d’origine est une réussite totale. Un album d'une rare qualité. Me voila prêt à plonger dans la bibliographie d’Anne-Laure Bondoux, Du moins dès que j'aurais récupéré l'exemplaire que j'ai eu le malheur de prêter.


Les larmes de l’assassin de Thierry Murat (adapté du roman d’Anne-Laure Bondoux). Futuropolis, 2011. 125 pages. 18,30 euros.


Les avis de BoumaCanel (Mr), Enna, MangoMo, Noukette, Sara, Yvan,






mercredi 8 avril 2015

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie - Arnaud Floc’h

20 août 1955. Emmett Till, 14 ans, descend du train en gare de Money, dans le fin fond du Mississippi. Ce gamin noir de Chicago vient passer ses vacances chez son oncle. Faisant fi des mises en garde, Emmett le fanfaron décide d’entrer dans une épicerie interdite aux nègres. On ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé à l’intérieur mais la femme blanche derrière la caisse accusera Emmett de lui avoir « manqué de respect ». Un affront suffisamment grave pour que son mari et le demi-frère de ce dernier décident de faire payer à l’impudent son comportement inadmissible. Le 31 août, le corps d’Emmett est sorti de la rivière, atrocement mutilé. Arrêtés, les deux hommes reconnaissent l’enlèvement du garçon mais nient le meurtre. Au bout de trois jours de procès et 67 minutes de délibération, les jurés, tous blancs, prononcent leur acquittement malgré de nombreux témoignages à charge. Ils ressortent de la salle d’audience sous les vivas de la foule, posant pour les photographes aux bras de leurs épouses, cigares et larges sourires aux lèvres.

Un album plein de rage et d’indignation. Les faits se suffisent à eux-mêmes, il n’est pas nécessaire d’en rajouter, Arnaud Floc’h l’a bien compris. La sobriété renforce l’aspect tragique de cette innommable barbarie. Le scénario est habilement construit, multipliant les allers-retours entre 1955 et 2015. On sent la chaleur du mois d’août dans le sud profond, l’humidité poisseuse du bayou, mais aussi la résignation d’une population afro-américaine sous le joug d’une ségrégation séculaire semblant impossible à remettre en cause. On sent la cruauté des bourreaux, la peur panique d’Emmett, sa souffrance, son martyre. Un enfant d’à peine 14 ans… L’émotion monte au fil des pages, la gorge se serre et la colère ne cesse de gronder. On referme l’ouvrage groggy, secoué par tant d’horreur et d’injustice. Le dossier pédagogique final, avec remise dans le contexte historique, témoignages et photos d’époque, apporte un éclairage encore plus édifiant à ce fait divers abject.

Une BD d’utilité publique, surtout par les temps qui courent, pour rappeler à ceux qui en douteraient encore que l’inhumanité et la bêtise n’ont aucune limite. La mort d’Emmett aurait inspiré Rosa Parks lorsqu’elle refusa de céder sa place à un blanc dans un bus, en décembre de la même année. Le calvaire vécu par ce pauvre garçon et l’acquittement de ses assassins constituent pour certains historiens la pierre angulaire de la lutte pour les droits civiques des noirs aux États-Unis. Un élément déclencheur qui aura eu le mérite de dresser l'ensemble d'une communauté face à l'arbitraire, même si cette revanche posthume n’effacera jamais les supplices endurés.

Emmett Till : Derniers jours d’une courte vie d’Arnaud Floc’h. Sarbacane, 2015. 80 pages. 19,50 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka et Noukette.



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie







samedi 4 avril 2015

Calavera - Charles Burns

Alors voila. Partout cette BD a été qualifiée de chef d’œuvre, dans les médias et sur les blogs. Et je me rappelle avoir été très séduit par l’univers totalement inclassable de Charles Burns avec Black Hole, donc je me suis lancé en toute confiance. Sauf que...

Sauf que je ne savais pas que ce « Calavera » était en fait le dernier volume d’une trilogie (il n’y a d’ailleurs aucune indication en ce sens sur l’album). J’ai donc emprunté le 1er à la médiathèque mais il n’y avait pas le suivant donc j’ai dû passer du 1 au 3 et clairement il me manque une pièce du puzzle. Déjà, je suis bien incapable de résumer l’histoire, ce qui n’est pas bon signe. Pour ce que j’en ai compris, on suit Doug, un jeune homme souffrant d’insomnies qui le plongent dans un état hallucinatoire et lui ouvrent les portes d’un monde surréaliste où il croise d’étranges créatures. Doug vit avec la douce et bienveillante Sally mais il reste hanté par les souvenirs de son ex-petite amie Sarah. Doug va mal, très mal même. Doug semble totalement perdu et j’avoue sans honte que je me suis perdu avec lui.

J’ai quand même retrouvé quelques éléments appréciés dans Black Hole, notamment la peinture d’une jeunesse américaine dépressive et mélancolique. J’ai retrouvé aussi des thématiques récurrentes chez Burns comme la difficulté du passage à l’âge adulte, le sexe, l’alcool et la drogue. Pour le reste, je n’ai pu donner aucun sens aux déambulations hallucinées du double onirique de Doug (alors que ce sens existe et qu’il doit même être symboliquement très profond – sans doute trop profond pour moi malheureusement !).

Graphiquement, l’hommage assumé à la ligne claire franco-belge et au Tintin d’Hergé dans les passages se déroulant dans l’imaginaire torturé de Doug est fort réussi. Le découpage privilégie la lisibilité et les aplats de couleurs offrent à l’ensemble sobriété et élégance, rien à dire à ce niveau-là.

Alors voila. Il faut parfois savoir reconnaître ses limites intellectuelles et rendre les armes face à l’hermétisme d’un « chef d’œuvre » auquel il nous est impossible de rendre les honneurs qu’il mérite. J’essaierai de faire mieux la prochaine fois…

Calavera de Charles Burns. Cornélius, 2014. 64 pages. 21,50 euros.



Un album lu dans le cadre de l'opération
"La BD fait son festival" de Priceminister".
Pas franchement une bonne pioche...


mercredi 1 avril 2015

Le reste du monde T1 - Jean-Christophe Chauzy

Bientôt la fin des grandes vacances pour Marie et ses deux enfants. Voulant consacrer sa dernière journée au rangement du chalet pyrénéen qu’elle loue depuis plusieurs semaines, cette prof de français dans un collège parisien confie Théo et Jules à un couple d’amis. Le soir venu, un terrible orage éclate, suivi d’un violent tremblement de terre. En plein chaos, coupée de toutes formes de communication, Marie part à la recherche de ses fils. Après les avoir récupérés sains et saufs, elle tente de rejoindre la ville la plus proche. Mais les dégâts sont tels que la jeune femme se retrouve piégée avec des centaines d’autres rescapés dans une vallée d’où il semble désormais impossible de s’échapper. Commence alors un huis clos à ciel ouvert où les tensions, exacerbées par le manque d’informations et de nourriture, vont peu à peu faire basculer la communauté dans une incontrôlable violence.

Un récit post-apocalyptique au cœur des Pyrénées, entre Bagnères-de-Luchon et le col de Peyresourde (pour ceux qui connaissent…). Jean-Christophe Chauzy imagine la transformation psychologique d’une femme confrontée à une catastrophe naturelle aussi inattendue que dévastatrice. Il décrit le réflexe de survie, le retour aux instincts grégaires. Il peint une humanité réinventée ou le moteur de l’existence est uniquement régi par la nécessité de subvenir à ses besoins primaires. Quand la situation sanitaire devient invivable, l’individualisme et la force brute prennent le pas sur toute autre considération. Face à l’adversité, Marie et ses enfants, au diapason de leurs congénères, révèlent leur part de sauvagerie, d’esprit de meute.

Les dessins sont sublimes, les paysages grandioses et dévastés s’étendent parfois sur des double-pages donnant le vertige où l’on découvre la montagne éventrée et les torrents en furie. Il a fallu un an et demi au dessinateur pour réaliser les 110 planches mais quand on voit le résultat, on se dit qu’il a bien fait de prendre son temps.

Un album somptueux, totalement glaçant, qui interroge profondément sur la nature humaine et la façon dont nous-mêmes réagirions dans une telle situation.


PS : ce premier tome se termine au moment où Marie s’apprête à découvrir ce qu’est devenu le reste du monde après le cataclysme. Autant vous dire que j’attends la suite avec la plus grande impatience !

Le reste du monde T1 de Jean-Christophe Chauzy. Casterman, 2015. 110 pages. 18,00 euros.






dimanche 29 mars 2015

Les promeneurs sous la lune - Zidrou et Mai Egurza

Le pitch tiendrait sur un timbre : un homme se réveille régulièrement dans le lit d’une blanchisseuse d’origine chinoise qu’il ne connait absolument pas. Il ne sait pas comment il est arrivé-là et elle non plus, surtout qu’à chaque fois toutes les issues étaient fermées de l’intérieur. On lui parle de crise de somnambulisme mais ce diagnostic évident ne permet pas à lui seul d’expliquer l’inexplicable…

Il aurait pu m’agacer prodigieusement cet album. Il aurait dû même, tant parfois il frôle le gnangnan. Mais ça n’a pas été le cas. Ça se joue à trois fois rien. Ça se joue à une ambiance légère et bon enfant, à un dessin tout en rondeur aux couleurs pastel pleines de douceur, à des personnages attachants, à des dialogues savoureux, à des situations vraiment drôles, à un chien gauchiste qui ne ne fait ses besoins que sur le Figaro, jamais sur Libé ou Charlie Hebdo, à une maladie contagieuse qui offre de vrais moments de poésie, à des flics au grand cœur que l’on punit pour leur excès d’humanité, etc. Ça se joue à des détails qui s’additionnent et forment un tout. Bien sûr, ce n’est pas l’album du siècle. Bien sûr j’ai connu Zidrou plus mordant ou plus émouvant. Mais cet album, je l’ai refermé un sourire niais aux lèvres, avec l’impression d’avoir passé quelques minutes dans une bulle douillette et protectrice, loin de la folie du monde.

Conclusion, c’est pas grand-chose mais ça fait du bien, comme dirait le géant Raymond Carver (c’est le titre d’une de ses plus belles nouvelles, dans le recueil « Les vitamines du bonheur » - oui, je sais, je m’écarte du sujet, mais quand je peux citer Carver, toutes les excuses sont bonnes). Et par les temps qui courent, alors que tout nous ramène à une actualité et un quotidien anxiogènes, il n’y a vraiment pas de mal à se faire du bien.


Les promeneurs sous la lune de Zidrou et Mai Egurza. Rue de Sèvres, 2015. 70 pages. 14,00 euros.


Les avis de Mo', Noukette et Titou.





mercredi 25 mars 2015

L’homme montagne - Séverine Gauthier et Amélie Fléchais

« Grand-père, comment es-tu toujours si sûr qu’on se retrouvera ? »
« Parce que mon plus beau voyage, c’est toi ».

Alors que les montagnes qui ont poussé dans son dos l'immobilisent peu à peu et que ses pieds fatigués peinent à le porter, un grand-père s'apprête à partir une dernière fois, seul. Son petit-fils lui demande de retarder son départ et de l’attendre, le temps pour lui de trouver le vent capable de soulever les montagnes. Et l’enfant d’entamer un merveilleux périple où il croisera un arbre, des cailloux et le roi des bouquetins. Un périple au cours duquel il découvrira l’importance des racines, où il apprendra que les voyages se partagent et où il comprendra, les larmes aux yeux, que certaines promesses sont impossibles à tenir mais que les souvenirs des bons moments passés avec ceux qui nous sont chers gardent à jamais une valeur inestimable.

Un album affichant fièrement sur sa couverture les noms de Séverine Gauthier (Cœur de pierre) et Amélie Fléchais (Le petit loup rouge) ne pouvait que finir entre mes mains. La première a imaginé un récit initiatique très allégorique autour de la perte d’un proche. J’y ai retrouvé avec plaisir son univers à la fois léger, sensible et touchant, empreint parfois de gravité, mais aussi d’une certaine fantaisie et de beaucoup de poésie. Quant à la seconde, elle illustre avec une inventivité graphique et une subtilité remarquables une histoire où l’imaginaire prédomine. Les doubles-pages notamment, véritables tableaux fourmillant de détails, sont à tomber par terre. Et je ne vous parle même pas de son travail sur la lumière et les couleurs !

Réflexion tout en douceur sur le deuil, la filiation et la transmission, « L’homme montagne » est un album dont on sort aussi ému que revigoré. Tout simplement magnifique, tant sur la forme que sur le fond.

L’homme montagne de Séverine Gauthier et Amélie Fléchais. Delcourt, 2015. 40 pages. 10,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka et Noukette, en souvenir des beaux moments partagés ensemble samedi dernier au salon du livre.







mercredi 11 mars 2015

Cet été-là - Julian et Mariko Tamaki

Comme chaque année, Rose part en vacances avec ses parents à Awago Beach. Comme chaque année, elle y retrouve Windy, d’un an et demi sa cadette. Mais cet été-là n’est pas tout à fait comme les autres, puisque c’est celui où Rose va basculer peu à peu dans les affres de l’adolescence…

Je vais faire court car je ne voudrais pas m’étendre sur un album dont je pense qu’il ne me restera pas grand-chose d’ici peu. Clairement, je me suis ennuyé. C’est une réflexion intéressante sur le passage compliqué de l’enfance vers une plus grande maturité. Le corps change aussi vite que les préoccupations, on abandonne les châteaux de sable pour regarder des films d’horreur, on est fasciné par les relations sentimentales des jeunes adultes, on entre en conflit avec les parents, etc. J’ai apprécié le fait que la différence d’âge entre Rose et Windy joue énormément sur leurs comportements respectifs. Windy est la plus jeune et elle est encore « bébé » dans ses réflexions et ses attitudes. L’analyse est donc très fine et très subtile mais la narration est lente, très lente. On se traîne sur les pas de Rose, on vit avec elle un été apathique et franchement ce n’est pas passionnant.

Par contre j’ai bien aimé le dessin nerveux à l’encrage épais. C’est simple et direct, un peu brut de décoffrage parfois, mais aussi très spontané.

Une petite déception, donc. Je ne regrette pas pour autant d’avoir découvert le travail des cousines Tamaki et j’ai apprécié leur façon de mettre en scène les silences et les non-dits propre à cette période si particulière qu’est « la fin de l’insouciance ».


Cet été-là de Julian et Mariko Tamaki. Rue de Sèvres, 2014. 316 pages. 20,00 euros.

Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Sandrine.

Les avis de Anne, Antigone, Bouma, Kathel, Lasardine, Leiloona, Marion, Mo', Noukette, Stephie.



Les BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie





dimanche 8 mars 2015

Un océan d’amour - Lupano et Panaccione

Certains livres sont plus précieux que d’autres. Parce qu’ils ont par exemple été offerts par des personnes qui comptent énormément ou encore parce que leur lecture a été un moment de grâce, une bulle de douceur loin des soucis du quotidien. Et bien Un océan d’amour réunit à lui seul ces deux conditions en ce qui me concerne.

Comment ne pas craquer pour les déboires de cette bigouden et de son mari marin. Harponné par un chalutier, il dérive sur l’océan avec une mouette pour seule compagnie. En chemin il croisera un pétrolier pollueur, des douaniers un peu trop zélés et des pirates plutôt bienveillants. Quant à elle, bien décidée à le retrouver, elle s’embarquera pour une croisière vers Cuba dont elle ne sortira pas indemne.

La BD muette me touche quand elle ne donne pas dans la démonstration technique et conceptuelle, quand le dessin reste en permanence au service de l’histoire et que sa fluidité permet un confort de lecture optimum. Autant vous dire que c’est le cas ici. L’alchimie fonctionne entre les délires scénaristiques finalement très structurés de Lupano et leur mise en scène par un Gregory Panaccione au sommet de son art. Je crois que jamais un récit muet ne m’avait autant parlé !

J’adore Lupano pour sa capacité à prendre en permanence le contre-pied des modèles dominants. Il fait de losers ou de retraités des héros magnifiques (Ma révérence et Les vieux fourneaux), et quand il s’attaque au western, c’est pour dénoncer l’usage des armes à feu (L’homme qui n’aimait pas les armes à feu). Ici, il nous raconte une histoire d’amour XXL entre un marin maigrichon et binoclard et une bigouden taillée comme une armoire normande. Tout sauf des gravures de mode mais des personnages attachants prêts à soulever des montagnes pour se retrouver. L’alternance de séquences hilarantes et d’autres plus dramatiques donne toute sa force à l’ensemble. Le découpage dynamique et imparable de Panaccione offre à leur épopée maritime l’écrin qu’elle mérite.

Une BD incroyable, totalement inclassable, dans laquelle on a envie de replonger encore et encore pour y dénicher de nouveaux détails, de nouvelles trouvailles ayant échappés à la lecture précédente. Une réussite totale, un album pétillant comme une coupe de champagne. Mais sans aucune bulle !

Un océan d’amour de Wilfrid Lupano et Gregory Panaccione. Delcourt, 2014. 224 pages. 24,95 euros.


Une lecture commune que j'ai l'immense plaisir de partager avec Moka.


Les avis de Livresse des mots, MargueriteMo', Noukette, SandrineSara et Violette.





mercredi 4 mars 2015

Les ogres-Dieux T1 : Petit - Hubert et Gatignol

Au royaume des ogres, la consanguinité affaiblit la race à chaque nouvelle génération. A tel point que le dernier rejeton du roi est à la naissance à peine plus grand qu’un bébé humain. Hors de question pour le monarque de laisser en vie un pareil avorton. Pour lui éviter une mort certaine, sa mère le cache et il est élevé par sa tante Desdée, une géante mis au ban de sa communauté car elle refuse de manger de la chair humaine. L’enfant prénommé à juste titre « Petit » grandit loin de la folie et de la violence de la cour mais plus les années passent et plus il lui est difficile de rester dans la clandestinité…

Un album SOMPTUEUX ! L’objet-livre en lui-même est superbe, de très grande taille (logique vu son sujet), et la mise en page particulièrement soignée avec une narration alternant les séquences de BD et des intermèdes présentant, au fil de longs et beaux textes à la typographie travaillée, les aïeux de Petit. Graphiquement, Gatignol propose une incroyable galerie de personnages, jouant sur les effets d’échelle et de perspective pour souligner les différences entre les géants et les humains. Il rend à merveille l’immensité du château et la terreur provoquée par ces monstres semblant perpétuellement en quête de chair fraîche à se mettre sous la dent. Les tons de gris renforcent l’aspect sombre et angoissant du récit et offrent relief et texture à l’ensemble. Du grand art !

Loin du simple conte, cette histoire aux accents gothiques propose une réflexion profonde sur le déterminisme familial et le libre arbitre. Petit est celui qui peut sauver les siens d’une dégénérescence inéluctable, il est entre deux mondes régis par des rapports de force inégaux et ne sait plus vraiment auquel de ces mondes il souhaite appartenir (celui des ogres sclérosé par des siècles de repli sur soi ou celui des humains, bien plus moderne et culturellement avancé mais pas pour autant moins cruel). Une histoire fascinante à la construction imparable. Il est rare de trouver autant de finesse, d’intelligence et d’originalité sur un thème aussi éculé.



Les ogres-Dieux T1 : Petit d’Hubert et Gatignol. Soleil, 2014. 174 pages. 26,00 euros.


Les avis de Lunch et Yvan.






mardi 3 mars 2015

Le premier mardi c'est permis (34) : Explicite : Carnet de tournage - Olivier Milhaud et Clément Fabre

Quand Jean, alias John B. Root, célèbre réalisateur de films pour adultes, propose a son ami Olivier Milhaud d’interpréter le rôle d’un policier dans sa nouvelle production, ce dernier se montre d’abord hésitant. Bien sûr, il ne jouera que des scènes de comédie, mais quand même ! Après avoir obtenu le feu vert de sa compagne et de son éditeur, il finit par accepter et se retrouve immergé dans un univers dont il ne connait pas les codes.

Mettons tout de suite les choses au point, il n’y a aucune image à caractère sexuel dans cet album. Quel intérêt de le lire alors ? me direz-vous, bande de coquins ! Et bien en ce qui me concerne et comme toujours, une curiosité intellectuelle sans limite qui me pousse à explorer des domaines auxquels je ne connais strictement rien. Ben oui, le porno et moi ça fait deux (j’en vois déjà qui rigolent au fond). Mon gros problème avec ce genre de film, c’est que les (très) rares fois où j’ai essayé d’en visionner, je n’ai jamais vu la fin. Bizarrement, je m’endors toujours à un moment donné et je ne m’explique pas ce coté soporifique (ok, j’ai conscience que l’excuse du sommeil pour justifier le fait de ne jamais aller au bout d’un porno ne va pas convaincre grand monde mais je tente quand même le coup…). Tout ça pour vous dire que je me suis plongé dans cet ouvrage avec un regard de sociologue, loin de tout voyeurisme, cela va de soi (et je vois toujours les mêmes qui rigolent au fond).

Les coulisses d’un film X (du moins celui-là) n’ont pas le coté glauque auquel je m’attendais. Déjà, le lieu du tournage (une villa dans le sud de la France avec piscine) est loin du hangar désaffecté et crado que l’on voit parfois (enfin je suppose, vu mon peu d’expérience en la matière). Ensuite il y a beaucoup de décontraction, on a l’impression d’être dans une colo (une colo certes un peu spéciale), même si au moment des prises de vue, le professionnalisme reprend le dessus et rien n’est laissé au hasard.

Plutôt timide et introverti, Olivier Milhaud se montre discret. Il découvre la concurrence énorme entre les filles qui engendre jalousies et vacheries, le pétage de plomb de certains acteurs se comportant parfois comme de vrais branleurs (oui, je sais, elle était facile mais j’aime céder à la facilité) et les questionnements existentiels d’un réalisateur qui a perdu la foi depuis l’arrivée des sites porno gratuits. Il se rend aussi compte que les discussions au petit déj peuvent mettre mal à l’aise. Exemples : « Jean, ça t’embête si pour la scène je mets pas le collier. Je vais sucer, sinon c’est chiant avec. » / « Bon, là ça va, je peux boire un café, j’ai pas de sodo, parce que sinon… » / « Je commence à me faire vieux, j’ai du bide, ça le fait pas. Et j’en ai marre de me raser les couilles. » Forcément, on ne parle pas de la météo.

L’album est vraiment agréable, drôle et léger, mais honnêtement, la vision du milieu présentée ici me paraît un peu idyllique. Sans doute parce que John B. Root est un réalisateur respectueux et à l’écoute, ce qui est loin d’être le cas de ses confrères, comme le précise une actrice : « Les filles qui commencent le métier avec lui pensent que c’est partout pareil. Elles se disent que c’est pas du tout sordide et enchaînent avec un tournage à Budapest. Et là… c’est l’abattage ». N’empêche, il ne m’aurait pas déplu d’être à la place d’Olivier Milhaud pour me faire ma propre idée. Par pure curiosité intellectuelle, évidemment…

Explicite : Carnet de tournage d’Olivier Milhaud et Clément C. Fabre. Delcourt, 2015. 124 pages. 16,95 euros.













samedi 28 février 2015

Buffalo Runner - Tiburce Oger

Sud du Texas, 1896. Après avoir mis en déroute les agresseurs d’une famille de pionniers en route pour la Californie, Edmund Fischer se cache avec la seule survivante de l’attaque dans une hacienda en ruines, persuadé que le reste de la bande va revenir se venger. Commence alors une longue nuit d’attente au cours de laquelle, pour éviter de sombrer dans le sommeil, le vieil homme va raconter sa vie à la voyageuse. Et quelle vie ! Orphelin élevé par les comanches puis par un trappeur, participant à la guerre de sécession aux cotés des armées sudistes, devenant ensuite chasseur de bisons, perdant femme et enfant après un raid indien contre sa ferme pendant son absence, il finira homme de mains d’un riche marquis venu de France avant de repartir sur les pistes poussiéreuses, revolver à la ceinture.

Au-delà du western, Tiburce Oger raconte la véritable histoire de l’Ouest américain, loin des clichés hollywoodiens. Il dépeint des pionniers miséreux partant vers un hypothétique eldorado que beaucoup n’atteindront jamais, il met en scène des indiens et des cow-boys sans le clivage entre les  bons d’un coté et les méchants de l’autre. L’épisode sur l’extermination des bisons est on ne peut plus véridique, comme la lutte acharnée et sanglante entre propriétaires terriens.

Un album très documenté, donc, violent et sans concession, comme l’était le Far West à cette époque. Un album superbe aux nombreux plans larges magnifiant les paysages, au découpage nerveux et inspiré et surtout aux dessins sublimes d’un auteur dont on reconnaît le trait au premier coup d’œil. Les couleurs sont parfaites et les quelques illustrations pleine page insérées au fil du récit sont à tomber par terre. Bref, tant sur le fond que sur la forme, si on aime le genre, une lecture incontournable !  


Buffalo Runner de Tiburce Oger. Rue de Sèvres, 2015. 78 pages. 17,00 euros.