mercredi 9 mai 2018

The Promised Neverland - Kaiu Shirai et Posuka Demizu

Ça commence comme dans un rêve. Un orphelinat où les enfants s’épanouissent sous le regard attendri de celle qu’ils appellent « maman », où les lits sont douillets et les repas délicieux, où chacun a l’impression d’appartenir à la même famille et où l’on coule des jours heureux. 38 enfants avec un numéro tatoué dans le cou qui ont pour seules consignes de ne pas s’approcher du portail et de ne pas franchir la barrière dans la forêt.
Tout s’écroule le jour où les trois pensionnaires les plus âgés découvrent que leur orphelinat chéri est en fait un élevage d’enfants destinés à finir dans l’assiette d’horribles monstres. Après le traumatisme de cette révélation, ils décident d’échafauder un plan pour s’évader en emmenant avec eux leurs camarades. Mais ils vont vite comprendre qu’il n’est pas simple de tromper la vigilance de leur « maman ».

LE manga de l’année. En tout cas le plus médiatisé, avec un premier tome tiré à 100 000 exemplaires et un démarrage en fanfare depuis son lancement le 25 avril. C’est ma grande fifille qui a absolument voulu le lire, je ne pouvais pas faire autrement que l’accompagner.

Verdict ? C’est drôlement bien fichu et drôlement addictif. Ce seinen (manga pour jeunes adultes) mêle habilement le fantastique, l’horreur et le suspens. Son pitch de prime abord simpliste ne cesse de gagner en profondeur, tournant dans les dernières pages à une partie d’échec à huis clos où chaque camp avance ses pions en cachant son jeu. 

Ça fonctionne parce qu’on se demande évidemment comment les choses vont tourner mais aussi parce que l’on se rend compte en même temps que les enfants qu’ils ne savent rien du monde extérieur, que les monstres auxquels ils sont destinés règnent peut-être sur toute la planète et qu’ils n’auront par conséquent aucune échappatoire.

Après il faut voir ce que cela va donner sur la durée mais le début est plus que prometteur !

The Promised Neverland de Kaiu Shirai et Posuka Demizu. Kazé, 2018. 192 pages. 6,80 euros.






mardi 8 mai 2018

Deux secondes en moins - Marie Colot et Nancy Guilbert

C’est l’histoire d’une gueule cassée et d’un cœur brisé.

Igor ne pardonnera jamais à son père son manque d’attention au volant. Les yeux rivés sur son smartphone, il n’a pu éviter l’accident. Depuis son fils est défiguré et ne veut plus de contact avec l’extérieur. Rhéa, elle, ne comprendra jamais pourquoi son petit ami s’est jeté sous un train. Quelques semaines après la tragédie elle survit, submergée par un chagrin sans fin. Je vous le concède, le pitch résumé de la sorte est terriblement plombant. Pourtant ce roman jeunesse écrit à quatre mains est un bijou à découvrir d’urgence.   

Une gueule cassée et un cœur brisé, des ados comme deux planètes en perdition dont les trajectoires vont se croiser, se rapprocher et s’aligner. Non sans encombre, cela va de soi. Et c’est toute la réussite de Marie Colot et de Nancy Guilbert d’avoir pris le temps de disséquer le cheminement de l’un et de l’autre. Bien sûr on s’attarde sur les moments difficiles, ceux où l’on sombre, ceux où la colère et la rancœur prennent le pas sur le reste. Mais peu à peu une porte s’entrouvre timidement et laisse passer un fin rayon de lumière. Et peu à peu Igor et Rhéa vont refaire surface, aidés par la musique de Schubert et par un prof de piano vraiment pas comme les autres.

Les ados s’expriment à tour de rôle, confiant leurs douleurs, leur mal-être, leurs doutes et leurs maigres espoirs. On suit également les balbutiements de leurs rapprochements, les jours avec et les jours sans, l’amitié fragile dont les racines finiront par s’ancrer profondément. Un texte porteur d’espoir, qui montre que l’on peut se relever et reprendre goût à la vie après un drame, aussi terrible soit-il. Un texte superbe, d’une infinie justesse, d’un réalisme qui serre les tripes. Assurément un de mes plus grands coups de cœur de ces derniers mois en littérature jeunesse.

Deux secondes en moins de Marie Colot et Nancy Guilbert. Magnard, 2018. 304 pages. 14,90 euros. A partir de 15 ans.












vendredi 4 mai 2018

Québec Bill Bonhomme - Howard Frank Mosher

1932. L’hiver a été trop rude dans le Vermont. Alors que le printemps s’annonce timidement, le bétail affamé a un besoin urgent de nourriture. Sans le sou, Québec Bill Bonhomme se lance pour sauver le troupeau de sa femme dans un vol de whisky de contrebande qui va mettre à ses trousses la bande du terrible Carcajou. Accompagné de son fils Wild Bill et de son beau frère Henry, Québec Bill va tenter coûte que coûte d’échapper au mal qui rôde dans les bois et sur les eaux limpides du lac Memphrémagog pour ramener la marchandise à bon port. Avec sa malice, son optimisme à toute épreuve et une forme de folie qui lui permettra de franchir des obstacles plus insurmontables les uns que les autres.

Un roman furieusement délirant, où tout s’enchaîne pied au plancher. Un roman à dévorer sans se poser de question et à prendre pour ce qu’il est, une farce picaresque sans limite qui enchaîne les péripéties improbables et les scènes rocambolesques. Au menu, voiture déglinguée, mâchoire brisée, flic décapité à coup de canon, train de marchandises qui déraille et whisky à gogo, le tout porté par des dialogues aux petits oignons et des personnages inoubliables, à commencer par notre héros éponyme d’un mètre cinquante qui voit du positif dans toutes les situations, surtout les plus dramatiques. Mention spéciale également à son ennemi Carcajou, diable incarné ne cessant de revenir d’entre les morts, même lorsque l’on est certain de s’en être débarrassé.   
Au-delà du picaresque (qui est décidément l’adjectif résumant le mieux ce texte), Howard Frank Mosher propose une construction tout sauf linéaire qui permet, à travers les yeux du narrateur Wild Bill, de découvrir l’histoire de la famille Bonhomme depuis le 18ème siècle jusqu’à nos jours, l’événement de 1932 faisant office d’axe central autour duquel tout gravite.

Une lecture divertissante, drôle, frôlant parfois l’absurde et le fantastique. Une lecture de vacances parfaite qui m’a accompagné sur les plages bretonnes la semaine dernière pour mon plus grand plaisir.

Québec Bill Bonhomme d’Howard Frank Mosher  (traduit de l’anglais par Brice Matthieussent). Cambourakis, 2018. 440 pages. 13,00 euros.










vendredi 27 avril 2018

Pour services rendus - Iain Levison

1969, au Vietnam. Le sergent Freemantle dirige sa section avec autorité. Billy Drake lui, débarque sur le terrain des opérations sans expérience et avec beaucoup de maladresse. Sous les ordres du sergent, la jeune recrue va connaître une carrière aussi brève qu’anecdotique.

2016, aux Etats-Unis. Drake est en pleine campagne pour sa réélection au poste de sénateur du Nouveau-Mexique. Freemantle est quant à lui chef de la police d’une petite ville du Michigan. Le premier, après avoir beaucoup enjolivé ses actes de bravoure durant la guerre, est mis en cause par l’un de ses anciens camarades. Il demande au second de valider sa glorieuse version des faits devant les médias. Une formalité, rien de plus. Juste un petit mensonge, l’air de rien, pour satisfaire les électeurs. Freemantle hésite, il a des principes. Il finit par céder, mais son petit mensonge va s’avérer dévastateur. Comme la chute d’un domino entraînant celle de tous les autres...

Toujours un plaisir de retrouver la plume acide de Iain Levison. Il dénonce ici les gros travers des politiques et leur capacité à tout mettre en œuvre pour arriver à leurs fins, coûte que coûte. Le mensonge est au cœur d’un récit alternant entre les événements de 1969 et leur répercussion sur ceux de 2016. Le lecteur, qui découvre ce qu’il s’est vraiment passé pendant la guerre, constate avec effarement à quel point la vérité peut devenir un détail effaçable d’un trait de plume pour peu que l’on sache se montrer persuasif et s’entourer de bons communicants.

Les dialogues sont comme toujours savoureux mais l’humour noir, si caractéristique de cet écossais exilé depuis près de cinquante ans au pays de l’Oncle Sam, est moins présent. Le ton se veut plus grave, désabusé, sans la moindre illusion. La fin est par contre inattendue et vient conclure avec une jolie pirouette ce court roman débordant de cynisme et de coups bas portés aux tristes manœuvres politiciennes. Enfin une lecture convaincante !

Pour services rendus de Iain Levison. Liana Levi, 2018. 220 pages. 18,00 euros.





mardi 24 avril 2018

Le journal de Gurty T4 : Printemps de chien - Bertrand Santini

Le premier chapitre annonce la couleur : un voyage en avion, une crotte de chien qui roule entre les sièges des passagers et finit sa course en première classe, voila des vacances de printemps qui s’annoncent palpitantes pour Gurty ! Il sera aussi question dans ce nouveau volume de bouse de vache, de problèmes gastriques, de pipi dans des pistolets à eau, d’allergies aux résultats surprenants ou encore d’un arbre centenaire à protéger.

Chaque jour est une aventure dans le monde de Gurty. Elle s’invite à une fête d’anniversaire où elle n’est pas la bienvenue, elle affronte ses ennemis jurés le chat Tête de fesses et l’écureuil sournois, elle subit la bêtise crasse des enfants du voisin et les moqueries des grenouilles avec une bonne humeur à toute épreuve, secondée comme il se doit par sa fidèle amie Fleur dont les déboires entrainent souvent des catastrophes en chaîne.

Rien de nouveau sous le soleil, le journal de cette petite bête pleine de poils déride toujours autant les zygomatiques. Comme d’habitude on frôle l’absurde, les dialogues ne volent pas bien haut, les gags ne sont pas du meilleur goût et les humains et les animaux ne brillent pas par leur intelligence. Et comme d’habitude on se prend au jeu et on dévore ces tranches de vie animalières avec un plaisir non dissimulé.

Je me répète (voir mes billets sur les tomes 1, 2 et 3) mais cette série est parfaite pour les enfants qui n’aiment pas lire car elle leur prouve que cette activité peut être un vrai moment de plaisir, sans autre enjeu que celui de divertir. D’ailleurs le cercle des fans de Gurty ne cesse de s’agrandir, c’est bien la preuve que cette petite chienne possède des atouts pour plaire à tous les lecteurs, petits ou grands. 

Le journal de Gurty T4 : Printemps de chien de Bertrand Santini. Sarbacane, 2018. 176 pages. 9,90 euros. A partir de 8 ans.





mercredi 18 avril 2018

Petite balade et grande muraille - Maïté Verjux

Pour moi, dans un carnet de voyage dessiné la mayonnaise prend ou ne prend pas en fonction de deux critères. D’abord le ton, la posture et l’état d’esprit de celui ou celle qui raconte son périple. Ensuite sa capacité à capturer et restituer l’atmosphère de ce qu’il ou elle a vécu. Maïté Verjux a su réunir ces deux critères en y ajoutant une pincée d’absurde qui épice à merveille son récit.

Son diplôme de graphisme en poche, la jeune femme décide de partir en Chine sur un coup de tête, en janvier 2016. Trois mois à Pékin en colocation alors qu’elle ne connaît absolument rien du pays et ne parle pas du tout la langue. Au bout d’un mois et d’une adaptation compliquée à son nouvel environnement, Maïté est rejointe par son amie Florie. Avec cette dernière le séjour se passe dans de meilleures conditions et les visites s’enchaînent, de la Cité interdite à la grande muraille, de Shangaï au tombeau des empereurs Qings. 

Loin du carnet de bord au jour le jour, cette balade chinoise se présente comme une succession de tranches de vie plus ou moins marquantes, plus ou moins anecdotiques : l’arrivée dans un appartement surpeuplé où la promiscuité n’est pas un vain mot, la pollution omniprésente, les arnaques sur les sites touristiques, la nourriture parfois difficilement identifiable, la surpopulation, le fait que la femme occidentale est une curiosité plus photographiée que les monuments historiques ou encore la célébration du nouvel an à Pékin, intense moment de ferveur collective.

Maïté Verjux ne cache rien de ses déboires, de ses déceptions, de sa naïveté, de ses erreurs. Elle le fait avec sincérité et une bonne dose d’autodérision, avec lucidité mais sans aigreur. Trois mois à l’autre bout du monde qu’elle voit au moment de son retour en France comme une parenthèse loin de la vie réelle qui restera forcément inoubliable.

Un roman graphique (et autobiographique) vif et joyeux qui n’a rien du guide touristique mais joue plutôt sur la corde du ressenti personnel, loin de toute vision universelle et caricaturale d’un pays dont il n’est de toute façon pas évident de saisir la complexité en quelques semaines. Une parenthèse rondement menée, instructive à sa façon, légère et savoureuse.

Petite balade et grande muraille de Maïté Verjux. Les éditions Fei, 2018. 184 pages. 19,00 euros.

mardi 17 avril 2018

Boom - Julien Dufresne-Lamy

Étienne tente de faire le deuil de Timothée, le deuil impossible de son meilleur ami. « Tu es parti avec ma tranquillité. Je ne dors plus, je vis mal, mes nuits sont bruyantes et mes journées deviennent de longs tunnels silencieux. »

Ils s’étaient rencontrés trois ans plus tôt. Trois ans dans le même lycée, trois ans à tout partager. Une amitié fusionnelle.  Timothée le bon élève, le bien éduqué. Étienne la grande gueule, le fêtard, le dilettante. Il aura fallu un voyage scolaire à Londres, une voiture folle sur le pont de Westminster et une jeunesse fauchée en quelques secondes pour que leurs chemins se séparent. A jamais.

Étienne s’en veut, il culpabilise de ne pas avoir été là au moment du drame. Son monologue s’adresse à l’ami disparu, il évoque les bons souvenirs, les moments inoubliables et ceux qu’ils ne pourront plus partager. L’absence est trop béante pour envisager une possible reconstruction, pour aller de l’avant, pour imaginer l’avenir.

D’une seule voix, comme une longue lettre à l’absent. C’est à la fois construit et décousu, hésitant et plein de certitudes. Étienne ne s’adresse pas à d’éventuels lecteurs, c’est à Timothée qu’il parle. Il oscille entre colère et confidences, tristesse et culpabilité.

Un texte touchant, pudique, qui ne fait qu’effleurer les causes de la mort pour se focaliser sur ses conséquences, sur cette blessure impossible à refermer. Le ton est juste, la douleur s’exprime sans débordements lacrymaux inutiles. Les mots se suffisent à eux-mêmes, l’amitié est si sincère qu’il n’est pas nécessaire d’en rajouter. Une confession sur un fil, fragile, avec les mots simples et directs d’un ado confronté à une tragédie qui le dépasse.

Boom de Julien Dufresne-Lamy. Actes sud junior, 2018. 112 pages. 9,80 euros. A partir de 15 ans










mardi 3 avril 2018

La course impitoyable - Guillaume Guéraud

Après la mort de ses parents, Max a été élevé par son grand-père. Dans le garage miteux tenu par ce dernier, le jeune garçon est cantonné au lavage des voitures. Fasciné par le bolide avec lequel son aïeul a remporté le Grand Prix de Miami quarante ans plus tôt, il rêve de se mettre au volant mais du haut de ses onze ans, il sait que son heure n’est pas encore venue. Jusqu’au au jour où un concours de circonstances dramatique le pousse à foncer à tombeau ouvert sur les routes de Floride aux cotés de la petite fille d’un terrible mafieux avec, à ses trousses, un non moins terrible tueur à gages.

Qu’il s’adresse aux grands ados ou aux plus jeunes lecteurs, guillaume Guéraud garde la même ligne de conduite, à savoir ne pas prendre de gants. Dans cette course impitoyable qui porte bien son nom, l’aventure se déroule à fond la caisse et l’action prend le pas sur tout le reste.

Guéraud fait donc du Guéraud. Dialogues enlevés, niveau de langue pas franchement soutenu mais terriblement moderne et vivant, tension qui ne cesse d’aller crescendo, on reconnait d’emblée la plume sans concession de l’auteur du terrifiant Plus de morts que de vivants. Ajoutez quelques coups de feu, quelques morts et quelques litres de sang et vous obtenez une recette épicée en diable qui laisse malheureusement en bouche un petit goût de trop peu (la fin est trop abrupte et c’est bien dommage).

Un roman jeunesse pied au plancher, aussi divertissant que trépidant, où les nerfs des jeunes lecteurs sont mis à rude épreuve. Les amateurs de sensations fortes vont se régaler !

La course impitoyable de Guillaume Guéraud. Thierry Magnier, 2018. 100 pages. 7,40 euros. A partir de 10 ans.





vendredi 30 mars 2018

Le mangeur de citrouille - Penelope Mortimer

Comme rien ne me convient en ce moment, quitte à passer au travers autant se tourner vers un titre à l’évidence pas du tout pour moi. Soigner le mal par le mal quoi, en se lançant dans un roman britannique de 1962, écrit à la première personne, ultra psychologique et ultra déprimant, sorte d’autofiction avant l’heure. Tout ce que je déteste pour, éventuellement, finir avec un coup de cœur. Ça se tentait, non ? Au point où j’en suis de toute façon.

Mrs Armitage est la narratrice. Elle en est à son quatrième mariage, a une tripotée de gamins (dont on ne connaîtra jamais le nombre), un mari scénariste et un thérapeute qui la gave de médocs. Le jour où elle lui annonce une nouvelle grossesse, son homme la convainc de se faire avorter. Et d’en profiter pour faire en sorte de ne plus jamais avoir d’enfant. Pendant qu’elle souffre le martyre à la clinique, monsieur la trompe avec une de ses amies, qu’il met enceinte. Lorsqu’elle apprend cette liaison, elle plonge dans une profonde dépression. En même temps il y a de quoi… 

Un roman très autobiographique. Comme Miss Armitage, Penelope Mortimer a eu pour second mari un scénariste. Comme elle, elle a eu beaucoup d’enfants, comme elle son mari l’a trompée après lui avoir demandé de se faire stériliser. Et comme elle, elle a sombré dans la dépression.

Le texte est glaçant. La voix de Miss Armitage exprime une confession surprenante de lucidité et de sincérité sur son statut de femme trahie, de femme en souffrance, de femme brisée. Elle dit la violence psychologique d’un mari manipulateur, « lâche, fourbe, mesquin, vaniteux, cruel, rusé, négligent ». Elle montre également à quel point elle n’est pas dupe, bien plus résignée que naïve face à la situation. C’est terrible, douloureux, mais on ne va pas se mentir, je n’ai pas été embarqué par cette histoire de couple à la dérive. Beaucoup trop psychologique pour moi, trop névrosé aussi, trop intime.

Pour autant je suis ravi d’avoir découvert une auteure galloise dont je n’avais jamais entendu parler et qui a beaucoup influencé le féminisme britannique des années 60. Une telle lecture, même si elle n’a rien du coup cœur, est loin d’être une perte de temps. C’est déjà pas mal par les temps qui courent.

Le mangeur de citrouille de Penelope Mortimer. Belfond, 2018. 250 pages. 16,00 euros. 





mercredi 28 mars 2018

Le vendangeur de Paname - Frédéric Bagères et David François

Paris, 1912. Des meurtres en série mettent les forces de police sur les dents. Pas le meilleur moment pour une jeune recrue de débarquer au 36 quai des orfèvres. Surtout quand cette recrue n’est autre que le fiston du ministre de l’intérieur et que tout le monde le considère comme un pistonné. Chafouin, le commissaire divisionnaire colle le petit nouveau dans les pattes de L’Écluse, un vieux de la vieille, alcoolique notoire, mis au placard depuis des années. Les improbables duettistes débutent une enquête sur le meurtre d’un caviste qui les mènera, de brasserie en estaminet, à la reconnaissance inattendue de leurs pairs.

Une BD gouleyante, qui se descend d’une traite, à la vitesse où L’Écluse sèche ses verres de rouge. Un bonheur de plonger dans une Belle Époque plus paillarde que chic où les dialogues plein d’argot se dégustent sans modération (avec une mention spéciale à la mère maquerrelle qui promet un velouté de carottes au client lui demandant une fille rousse). Clairement, l’ambiance de l’époque et le bagout des personnages font le sel d’un récit où l’intrigue policière passe rapidement au second plan. Niveau dessin le trait souple et libre de David François restitue un Paris en perpétuel mouvement et croque quelques trognes particulièrement expressives.

Premier tome d’une série dont on a hâte de découvrir la suite, cet album aussi truculent qu’hédoniste froissera les culs serrés défenseurs de la loi Évin et ravira les adeptes de Dionysos et Bacchus (ne me faites pas l’affront de me demander dans quel camp je me range, s’il vous plait !).

Le vendangeur de Paname : Une enquête de L’Écluse et la Bloseille de Frédéric Bagères et David François. Delcourt, 2018. 60 pages. 15,50 euros.

mardi 27 mars 2018

Moins que rien - Yves-Marie Clément

Élevée par sa mère, Éliette a dû quitter son village natal pour devenir une « lapourça ». A Haïti, les lapourças sont des jeunes filles au service d'un maître (elles sont là pour obéir et travailler en échange du gite et du couvert). Une forme d'esclavage moderne subie par des milliers d'enfants dont les familles ne peuvent ou ne veulent plus s'occuper et qui pour Éliette se traduit au quotidien par une multiplication de tâches à effectuer plus épuisantes les unes que les autres. Ses rares moments de liberté, elle les passe à jouer au foot avec ses copains Ricardo et Jean-Jackson. Ne supportant plus les accès de colère violents de son maître, elle voudrait quitter cette misère et retourner chez elle. Pour autant, elle n'ose prendre seule une décision aussi lourde de conséquences. En fait Éliette attend un signe. Un signe venu du ciel, ou d'ailleurs…

Yves-Marie Clément montre avec beaucoup de finesse une sordide réalité. Pas besoin de forcer le trait, les faits se suffisent à eux-mêmes. L'auteur décrit avec précision la vie à Haïti, n'hésitant pas à utiliser le vocabulaire et les expressions locales. Il saupoudre par ailleurs son récit d'une surprenante pointe de fantastique qui ne tombe pas pour autant comme un cheveu sur la soupe.

Un roman jeunesse soutenu par Amnesty International qui conjugue découverte du monde et prise de conscience de l'existence de l'esclavage moderne et du travail des enfants. le message est distillé en douceur, ce qui renforce son efficacité. A mettre évidemment entre toutes les mains.

Moins que rien d’Yves-Marie Clément. Talents hauts, 2018. 84 pages. 12,00 euros.

dimanche 25 mars 2018

Un autre Brooklyn - Jacqueline Woodson

August a débarqué à Brooklyn à 12 ans. Arrivée du Tennessee avec son père et son petit frère, la jeune fille espère chaque jour que sa mère, dont elle n'a plus de nouvelles, finira par les rejoindre. D'abord confinés dans l'appartement familial, les enfants mettent peu à peu le nez dehors. Et pour affronter les rues du quartier, August se trouve des amies. Avec Sylvia, Angela et Gigi elle va grandir, fréquenter les garçons et traverser les turpitudes des années 70, de la guerre du Vietnam à l'influence grandissante de la Nation de l'Islam sur la communauté noire, de la violence des rues à l'espoir d'un avenir meilleur, des premiers amours aux premières déceptions.

Le roman s'ouvre sur l'enterrement du père. A la faveur d'un trajet en métro August croise un visage connu, pas revu depuis des dizaines d'années. A partir de là les souvenirs affluent de manière anarchique, fragments d'un passé qui semblait oublié. L'écriture est elliptique, le rythme saccadé. La narratrice mêle l'intime et le politique, la culture et la religion pour dire la place d'une adolescente noire dans un des quartiers les plus pauvres de New-York.

Procéder par petites touches n'a pas que des avantages. Les multiples paragraphes se concluant souvent de façon brutale offrent de la nervosité au récit et rappellent une construction proche de l'impressionnisme. Mais au final ces petites touches ne m'ont pas permis de discerner le tableau dans son ensemble, le roman, en manque de liant, perdant peu à peu de son intérêt pour sombrer dans l'anecdotique. Les fils du canevas ne sont pas suffisamment serrés pour qu'il se tienne solidement, c'est du moins le désagréable sentiment qu'il me reste de la lecture de ce petit roman que j'aurais tant aimé apprécier davantage.

vendredi 23 mars 2018

Quelques battements d’ailes - Mickael el Fathi et Pierre Pratt

Le temps passe si vite quand on est une montagne. Les siècles, les tempêtes, et les ciels défilent de manière discontinue. Les arbres à peine poussés deviennent vieillards, les hommes sont à peine installés que déjà ils disparaissent. Et peu à peu la montagne rétrécit. Géant à la merci des éléments, elle devient colline puis grain de sable. Collée sous les pattes d’un oiseau, en quelques battements d’ailes, elle finira par traverser les océans…

Une lecture superbe et poétique qui interroge sur l’élasticité du temps et la manière dont on perçoit cette élasticité. Le point de vue de la montagne montre qu’à son échelle tout se déroule à une vitesse folle. Parce qu’elle compte les années en millénaires, les transformations des êtres vivants et des éléments lui semblent durer quelques secondes.

L’illustrateur canadien Pierre Pratt exprime à la fois le caractère immuable et mouvant de notre univers. Ses doubles pages sont sublimes et les passages sans texte offrent une pause qui invite à la méditation et renforce l’impression de voir le temps s’écouler sous nos yeux. Le graphisme participe grandement au plaisir de lecture que procure l’album et la dimension poétique reste parfaitement accessible pour les enfants.

Quelques battements d’ailes de Mickael el Fathi et Pierre Pratt. Motus, 2017. 36 pages. 13,00 euros. A partir de 4-5 ans.

mercredi 21 mars 2018

Ar-Men : L'Enfer des Enfers - Emmanuel Lepage

Le phare d'Ar-Men est l'édifice le plus à l'Ouest du Finistère, à dix kilomètres de l'île de Sein, en pleine mer d'Iroise. Un phare que l'on découvre dans les années 60, au moment de l'hélitreuillage de l'un de ses gardiens, Louis. Germain, lui, est déjà sur place. Hanté par de douloureux souvenirs, ce taiseux solitaire relate l'histoire du phare à travers les légendes qu'il racontait à sa fille et à travers le destin de Moïzez, nourrisson trouvé sur la plage en 1850 après un naufrage qui deviendra dix-sept ans plus tard un des bâtisseurs du phare, dont il sera le premier gardien.

Quel bol d'air cet album ! On en sort vivifié, fouetté par les embruns. A chaque page s'expriment la violence de la mer et la force des éléments déchaînés. Emmanuel Lepage convoque autour de l'incroyable épopée de la construction du phare des figures de la mythologie bretonne telles que l'Ankou ou la fabuleuse cité d'Ys et son maître Gradlon, roi d'Armorique. Il montre également le quotidien hors-norme des gardiens seuls au monde, entourés d'un environnement redoutable.

Pour ne pas perdre en route le lecteur parmi les époques et les récits enchâssés les uns dans les autres, le dessinateur use de différentes techniques. Aquarelle pour les années 60, lavis noir et blanc aux teintes brunes pour le 19èmes siècle et encres de couleurs pour la partie sur la ville d'Ys. Ces choix graphiques parfaitement clairs rendent la narration fluide et la lecture ne souffre d'aucune difficulté de compréhension particulière.

Au final je me suis régalé. C'est tellement beau, la puissance d'évocation de chaque planche maritime est renversante et l'histoire du phare se révèle passionnante. Un magnifique voyage au bout du monde (breton).


Ar-Men, l’Enfer des enfers d’Emmanuel Lepage. Futuropolis, 2017. 96 pages. 21,00 euros.

mardi 20 mars 2018

J'ai suivi un nuage - Maëlle Fierpied

« Maman redoute que les choses dérapent à nouveau et que la maladie l’empêche de veiller sur moi. Car maman est malade. Certains la traite de folle, mais je n’aime pas qu’on l’appelle comme ça. Je préfère dire qu’elle est comme un nuage. Les jours gris, elle pleut, et les jours de soleil, elle resplendit, blanche et pure, comme dans un ciel d’été. »

Une maman pluie et une maman soleil. Une maman qui change d’humeur sans crier gare, qui rayonne puis s’éteint, perd le goût de tout et ne s’occupe plus de rien, même pas du fils qu’elle élève seule. Ce fils, c’est lui qui parle. Il dit son quotidien incertain, les hauts et les bas, la vie dans un grand huit sans fin. Il dit ce jour où maman n’est plus parvenue à faire face, ce jour où elle s’est retrouvée à l’hôpital psychiatrique et lui chez ses grands-parents. Il dit le moment de la première visite, sa crainte de voir des fous partout et sa certitude que sa mère n’avait rien à faire parmi eux. Il le dit avec ses mots, ses peurs, ses incompréhensions, ses espoirs.

L’enfant ne juge pas, ne critique pas, n’accable pas. Il déborde d’amour et s’inquiète. Pas pour lui mais pour elle. Il ne perd pas pied, ne voit pas tout en noir, même si l’angoisse ne le quitte pas, à l’école et ailleurs.

Un roman jeunesse tout en retenu. Un roman jeunesse intelligent qui ne se règle pas à coup de baguette magique et ne sombre pas non plus dans le sordide. Bien sûr à la fin la maman va mieux et un avenir se dessine. Mais tout reste fragile et l’enfant, d’une étonnante maturité, en a bien conscience : « Si maman est un nuage, moi je suis le petit arbre en dessous. Alors, quand maman pleure, c’est moi qui suis mouillé. […] Mais maintenant je me rends compte que ça ne me dérange pas d’être mouillé de temps en temps. Je n’ai pas peur de suivre un nuage. »
En un mot comme en cent : Superbe !

J’ai suivi un nuage de Maëlle Fierpied. L’école des loisirs, 2018. 84 pages. 12,50 euros.

dimanche 18 mars 2018

Homo sapienne - Niviaq Korneliussen

Quand on se lance dans un roman groenlandais, on pourrait s'attendre à quelques images d'Épinal : le froid, la glace, la neige et la chasse aux phoques par exemple. Les grands espaces, les déplacements en motoneige et la communion avec la nature aussi. On pourrait s'attendre à tomber sur un écrivain qui défend la culture ancestrale des siens, une charge contre le colonialisme danois et un chant d'amour pour les 55 000 descendants d'Inuits qui peuplent cette terre hostile.

Mais le lecteur espérant un tel catalogue de clichés risque de tomber de sa chaise avec Niviaq Korneliunssen. Cette groenlandaise née en 1990 exprime le malaise d'une jeunesse qui se cherche. En cinq chapitres elle offre une voix à cinq personnages vivant à Nuuk, la capitale. On suit donc dans ce récit choral Fia, qui découvre qu'elle est attirée par les femmes, son frère homosexuel Inuk, sa colocataire Arnaq avec qui elle va connaître sa première relation « entre filles », Ivik, une jeune femme comprenant qu'elle est un homme et ne supportant plus que son amie Sara la touche. Une Sara bouleversée à la fois par le rejet d'Ivik et par la naissance de sa nièce.

Fia, Inuk, Arnaq, Ivik et Sara. Des chemins qui se croisent le temps de soirées noyées sous l'alcool, des relations humaines complexes, des questionnements profonds sur la difficulté d'être pleinement soi et une quête d'identité sexuelle jamais évidente à assumer. Un roman cru, urbain, à l'écriture très contemporaine. Dans la préface l'universitaire québécois Daniel Chartier le qualifie, entre autres, de politique, féministe, social et queer. Niviaq Korneliunssen brise les tabous et dresse le portrait d'une génération refusant les conventions d'une société restée très traditionnelle et très patriarcale.

Omniprésence de l'anglais (volontairement non traduit dans la version française), multiplication des formes de discours (du dialogue au journal intime en passant par le SMS, le mail, les hashtags et messenger), la forme est pour le lecteur plus déroutante que le fond. Mais au final tout se tient et si cinq points de vue différents s'enchaînent, le texte reste cohérent de bout en bout.

Une superbe découverte que ce portrait sans concession d'un Groenland moderne traversé par des problématiques finalement universelles.

mercredi 14 mars 2018

Mon voisin Raymond - Troubs

Il ne se passe rien dans cette BD. Mais vraiment rien. Et c'est ce qui fait tout son charme. Troubs y raconte sa relation avec son voisin Raymond, en Dordogne. Raymond est un vieil homme qui vit dans un hameau où n'habitent plus que lui et son frère. le dessinateur l'aide à couper son bois, à entretenir son jardin et ses ruches. Ensemble ils vont aux champignons, passent des heures à discuter et à boire du café. On suit les deux hommes de janvier à décembre, au rythme des saisons.

Un album calme, tranquille, serein, contemplatif. Un album plein de silences, de solitude et d'empathie. Des vies simples, une réflexion sur la vieillesse et le temps qui passe. Isolé, Raymond a de plus en plus de mal à rester autonome : « C'est le coeur qui fatigue. Je porte un bout de bois, c'est comme si j'avais travaillé toute la journée ». Certains matins il reste au lit. Et chaque automne, quand le temps devient maussade et que les feuilles tombent, il n'a pas le moral et pense à la mort. Mais le paysan demeure vaillant. de toute façon il ne pourrait pas vivre ailleurs que dans la maison de ses parents, sur cette terre où il est né.

Une plongée apaisante chez les taiseux. Pas un mot de trop, pas la peine de parler pour ne rien dire, pas de poésie bucolique à deux balles, Troubs ne cherche pas à dresser une chronique rurale où les clichés s'enfileraient comme des perles. Son trait doux et presque enfantin ne donne pas non plus dans l'esbroufe. Proches du crayonné, ses déambulations et ses heures partagées avec Raymond semblent croquées sur le vif.

Bien sûr on est loin de la BD d'aventure trépidante, de l'adaptation de roman percutante, de la biographie pimpante ou de la virée au bout du monde dépaysante. Ici, la nature règle le pas des hommes, lentement. Et l'amitié pudique entre le paysan et le dessinateur se suffit à elle-même pour faire naître douceur et émotion.

Mon voisin Raymond de Troubs. Futuropolis, 2018. 92 pages. 17,00 euros.

mardi 13 mars 2018

Soixante-douze heures - Marie-Sophie Vermot

Voilà, il est né, Max. Il est né à 15 heures le 15 avril. Trois kilos six cent vingt grammes. Irène a choisi elle-même son prénom. Elle a accepté qu'on le pose sur elle. Ce bébé qu'elle vient d'expulser de son corps est le sien pour la vie. Elle le sait. Et le fait de l'abandonner à la naissance n'y changera rien.

Irène, 17 ans, élève de première. Il a suffi d'une fois, sa première fois, pour qu'elle tombe enceinte. Elle a pu cacher se grossesse le plus longtemps possible. Ses parents ont évidemment mal pris la chose. Leur petite fille modèle qui attend un bébé, bonjour le choc ! Maintenant que le mal est fait, sa mère voudrait la convaincre de garder l'enfant. Irène a soixante-douze heures pour revenir sur sa décision. Mais la jeune fille semble sûr d'elle, inébranlable. Ce bébé a beau être le sien, elle n'envisage pas une seconde de l'élever.

Soixante-douze heures dans la tête d'Irène. de son accouchement au moment où elle quitte la maternité. Irène avec sa mère, Irène avec la psy, Irène avec l'assistante sociale. Et le temps qui passe jusqu'au moment de signer les papiers faisant de Max un enfant né sous X. La jeune maman revient sur le moment où sa vie a basculé. Elle revient sur son environnement familial, sur sa relation difficile avec sa propre mère, sur l'amour qu'elle porte à sa jeune soeur handicapée mentale, sur sa grand-mère qu'elle adore, sur ses vacances d'été avec sa meilleure amie Nour. Les heures passent et Irène vit un tourbillon intime. Elle dit en toute sincérité à la fois son attachement à Max et sa conviction d'avoir fait le meilleur choix. Pour lui mais aussi pour elle.

Un roman jeunesse qui, malgré son sujet, ne joue pas sur le registre de l'émotion et c'est tant mieux. Il y a chez Irène quelque chose de froid, d'analytique, de réfléchi. Elle n'est pas vraiment touchante, on n'a pas vraiment envie de la plaindre mais son cheminement intérieur et sa maturité fascinent. A la fois forte et fragile, elle se pose évidemment une tonne de questions mais elle assume et ne se laisse pas influencer.

Un texte aussi percutant qu'atypique, qui ne nous emmène pas sur des sentiers où tout semble couru d'avance. le thème de la maternité est abordé de manière frontale, sans jugement ni bienveillance mal placée. C'est cru, réaliste, sensible et surtout d'une grande subtilité.

Soixante-douze heures de Marie-Sophie Vermot. Éditions Thierry Magnier, 2018. 170 pages. 13,00 euros. A partir de 15 ans.







lundi 12 mars 2018

L'affaire Furtif - Sylvain Prudhomme

Le Furtif, un petit voilier, a quitté Lisbonne en pleine nuit avec les vedettes de la douane aux trousses. A son bord un équipage hétéroclite composé d'un sculpteur new-yorkais et de sa maîtresse, d'une photographe italienne, d'un architecte russe, d'une musicienne irlandaise et d'un scientifique japonais. Ayant semé ses poursuivants après avoir passionné les médias du monde entier, le Furtif fait route vers un archipel aussi isolé que glacial de l'Atlantique sud. Arrivé à destination, chacun des passagers s'installe sur un caillou de quelques centaines de mètres carrés et plus personne ne s'intéresse à leur cas. Les années passent, jusqu'au jour où une chaîne de télévision décide d'envoyer sur place une expédition pour tenter de retrouver leur trace…

Nouveau départ ? Nouvelle vie ? Happening ? Choses à cacher ? Les grands pontes se penchent sur le cas des naufragés volontaires pour tenter de comprendre. On organise des colloques, on invite des spécialistes à la télé, on écrit des livres à leur sujet. Chacun glose, interprète, avance des arguments définitifs, aussitôt contredits. Lorsque l'on trouve des indices sur les lieux de leur installation, la machine à interpréter repart de plus belle, toujours autant à coté de la plaque. C'est drôle, cynique, grinçant. Assez affligeant aussi, et caractéristique d'une époque où tout le monde donne son avis sur tout avec la certitude d'avoir raison.

On retrouve dans ce court texte publié pour la première fois il y a huit ans la plume fluide d'un Sylvain Prudhomme s'amusant comme un petit fou à mettre en scène la quête d'isolement et de solitude d'un groupe d'originaux voulant plus que tout qu'on leur fiche la paix. Il joue sur différents registres d'écriture, mêlant notes, journal intime ou haïkus, alternant les moments faussement intello et l'humour noir un poil féroce. Il s'amuse quoi, en toute liberté de ton et de forme, sans pour autant perdre ses lecteurs en route.

« L'affaire Furtif » n'a certes pas encore la profondeur de « Légende » mais pas la peine d'être devin pour déceler dans ce roman de jeunesse la promesse d'un futur grand.

mercredi 7 mars 2018

Royal City T1 : Famille décomposée - Jeff Lemire

Suite à un malaise, Peter Pike sombre dans le coma. Sa femme et ses enfants se retrouvent à son chevet, sans pour autant montrer l’image d’une famille parfaitement unie. La mère est rongée par une ancienne histoire d’adultère, la fille Tara négocie une future opération immobilière juteuse, Patrick, l’aîné, débarque en ville avec un roman à écrire et la pression de son éditeur tandis que le cadet Richard passe son temps à boire et en oublie d’aller pointer à l’usine. Mal dans leur peau et dans leur vie, les Pike sont de plus hantés par la présence de Tommy, le quatrième enfant de la famille, disparu tragiquement en 1993.

« Famille décomposée ». Le titre du premier volume de la nouvelle série de Jeff Lemire résume parfaitement la situation. La figure du père mourant ne suffit pas à resserrer les liens. Tara et Patrick sont sur le point de divorcer, Richard doit de l’argent à des gros bras qui menacent de lui faire la peau, la mère cherche son salut dans la religion… Chacun joue égoïstement sa propre partition, chacun suit son propre chemin sans se soucier des problèmes des autres. On comprend que l’éclatement familial remonte à la mort de Tommy, que personne ne s’est remis de cette disparition et que le défunt est le ciment fragile reliant les Pike entre eux.

Quel bonheur de retrouver Jeff Lemire dans une veine intimiste. Une petite ville industrielle sans âme, des petites gens, l’équilibre instable d’une cellule familiale que les liens du sang ne parviennent pas à souder, ce premier tome expose les grandes lignes d’un scénario saupoudrant d’un touche de fantastique les moindres événements du quotidien.

L’auteur de Winter Road prend son temps. Il multiplie les scènes contemplatives et la noirceur de son dessin est adoucie par des tons pastel qui renforcent la frontière entre rêve et réalité. J’aime ce rythme lent, la complexité des relations humaines qui se tissent, les non-dits, les silences. La famille, l’amour, la mort, la solitude, Lemire parle de la vie et dresse les portraits de personnages sans éclat, passionnément ordinaires. Vivement la suite !

Royal City T1 : Famille décomposée de Jeff Lemire. Urban Comics, 2018. 168 pages. 10,00 euros.

Quand on me dit Lemire je pense tout de suite à Mo, il était donc impensable de ne pas partager cette lecture avec elle !




Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Moka




lundi 5 mars 2018

Entrez dans la danse - Jean Teulé

Strasbourg, le 12 juillet 1518. En pleine rue une femme entre en transe et se met à danser. Incapable de s’arrêter, elle attire bientôt à elle, comme un aimant, des pauvres hères qui la rejoignent pour se lancer dans une farandole sans fin. Les jours passent et le nombre de danseurs ne cesse de croître. Pieds en sang, épuisés, affamés, ils semblent possédés, incapables de stopper leur folle sarabande. Dépassés par un phénomène aussi incontrôlable qu’inexplicable le maire, l’armée, les médecins et l’église tentent de trouver une solution. En vain.

J’aime bien quand Teulé donne dans le roman historique. J’aime y retrouver sa patte inimitable, ses anachronismes lexicaux (ici on a droit aux danseurs qui font un flash mob où à la rave party), sa verve, son langage fleuri, sa sexualité débridée. Sauf que dans le cas des danseurs strasbourgeois, même si ces éléments sont présents, je me suis fait ch… Grave.

 Il ne se passe rien dans ce roman. Plus précisément, il se passe toujours la même chose. On danse, on crève de chaud, on crève de faim, on nage dans les immondices et la vermine. Les forces publiques tentent de régler le problème. Le maire bedonnant est un bon à rien, l’évêque un enfoiré de première. Et on danse encore et on crève toujours plus de chaud, on crève toujours plus de faim, et tout est toujours plus dégueulasse, et les mêmes hommes tiennent toujours les mêmes discours. Les gueux dansent la farandole et le lecteur tourne en rond.

Désolé monsieur Teulé, je vous adore pourtant mais là, pas moyen. Votre roman m’a paru sans intérêt. Un roman vain. Sans souffle, sans relief, sans épaisseur, sans passion. Un vrai raté dont je ne vous tiens évidemment pas rigueur. A charge de revanche cela dit.

Entrez dans la danse de Jean Teulé. Julliard, 2018. 160 pages. 18,50 euros.









vendredi 2 mars 2018

Les lectures de Charlotte (50) : Petites histoires de nuits - Kitty Crowther

Parce qu’il a dit trois fois s’il te plaît, l’ourson a droit à trois histoires avant de s’endormir.

Dans la première, la gardienne de la nuit frappe sur son gong pour prévenir les animaux de la forêt qu’il est l’heure d’aller se coucher. Ce faisant, elle doit convaincre quelques récalcitrants. Dans la seconde, on rencontre la petite Zhora qui, partant à la recherche de la plus belle mûre, finit par se perdre. Heureusement, recueillie par le gentil Jacko Mollo, Zohra va passer la nuit au chaud avant de pouvoir rentrer chez elle. Dans la dernière, Bo, incapable de trouver la moindre « miette de sommeil », se dirige vers la mer. En chemin il rencontre son amie loutre qui lui conseille d’aller nager pour régler son problème.

Un petit livre carré à la couverture douce comme une peau de pêche. Un petit livre aux teintes roses, illuminé par les crayons de couleur d’une Kitty Crowther au meilleur de sa forme. Un petit livre qui donne envie de se glisser sous la couette et d’ouvrir grand ses oreilles pour plonger dans un univers merveilleux. Un petit livre parfait pour faire de jolis rêves avec en écho la tendre voix de maman ourse. Un petit livre poétique et moelleux qui ravira parents et enfants et fera de l’histoire du soir un moment rare de plaisir à partager.



Petites histoires de nuits de Kitty Crowther. Pastel, 2017. 76 pages. 11,00 euros. A partir de 3 ans.



mercredi 28 février 2018

La tristesse de l’éléphant - Nicolas Antona et Nina Jacqmin

C’est une belle, une magnifique histoire d’amour. Une histoire d’amour pure et cristalline. Parce que parfois l’évidence existe. Une rencontre, quelques approches maladroites, une séparation douloureuse, des lettres pour maintenir le contact et entretenir la flamme, des retrouvailles qui renforcent les certitudes. Le temps passe et les sentiments demeurent, malgré les différences, malgré l’éloignement, malgré les nombreux obstacles. Le temps passe et il faut faire des choix, prendre des risques. Le temps passe et chaque jour prouve que le bonheur existe. Le temps passe et arrive le moment de se dire adieu.

C’est l’histoire de Louis et Clara. Lui, orphelin obèse et binoclard, elle, fille du cirque dresseuse d’éléphant. C’est l’histoire de leur vie à deux, de leurs chemins qui se croisent, s’éloignent, fusionnent et se séparent. C’est l’histoire de leur amour infini et de leur indéfectible volonté de passer leur existence côte à côte.

Je ne vais pas m’étendre davantage parce que tout a déjà été dit sur ce superbe album aux illustrations pleines de charme. C’est beau, c’est touchant et c’est émouvant mais (ben oui, il y a un mais, désolé) j’ai moyennement aimé la fin. Pas la fin en elle-même, plutôt sa mise en scène. J’ai eu l’impression qu’on cherchait par tous les moyens à me tirer quelques larmes, qu’on dramatisait à outrance une conclusion qui n’avait pas besoin de ça pour être cohérente et raccord avec le reste. Un bémol minuscule cela dit, qui ne doit pas occulter les innombrables qualités de cette BD qui fera fondre à coup sûr les cœurs les plus endurcis.

La tristesse de l’éléphant de Nicolas Antona et Nina Jacqmin. Les enfants rouges, 2016. 76 pages. 17,00 euros.


Toutes les BD de la semaine sont à retrouver chez Mo !


















mardi 27 février 2018

Nos cœurs tordus - Séverine Vidal et Manu Causse

Une histoire d’amour contrariée, une histoire d’adolescence et de handicap.

Vlad débarque le jour de la rentrée avec sa canne, son bagout, sa passion pour le cinéma et sa dégaine de « tordu », pieds en dedans et genoux qui se cognent. Handicapé de naissance, Vlad se déplace comme il peut, à son rythme. Et il sait en intégrant l’ULIS (classe spécialisée pour la scolarisation des élèves en situation de handicap) du collège Georges Brassens que l’année va être longue. A ses côtés il y a Dylan le trisomique et Mathilde dans son fauteuil roulant. Il y a aussi Saïd le redoublant à qui on ne cesse de promettre le conseil de discipline et l’exclusion définitive. Il y a surtout Lou, la belle, la magnifique Lou dont Vlad tombe éperdument amoureux. Problème, Lou est déjà avec l’athlétique Morgan, un garçon tout ce qu’il il y a de plus normal avec lequel un  « pantin désarticulé » ne peut pas rivaliser…

Un texte à quatre mains pétri de sensibilité, sans angélisme ni pathos. Pas simple de mettre en scène une telle bande d’ados, d’imaginer des interactions crédibles entre chacun d’eux et de ne pas tomber dans l’apitoiement. Pas simple de donner à ses enfants souffrant d’un handicap une voix qui sonne juste, d’exprimer leur envie de lutter contre l’injustice de leur condition. C’est poignant, plein d’émotion contenue et ça respire la joie de vivre.

Finalement, je crois que la tirade du grand-père de Vlad dans les dernières pages résume au mieux l’esprit de ce roman jeunesse lumineux : « Ton handicap n’est rien comparé à ce que tu vaux. Rien. Alors je le traite comme il le mérite. Je fais comme s’il n’était pas là. »

Une lecture qui fait du bien et qui donne le sourire. A recommander plus que chaudement !   

Nos cœurs tordus de Séverine Vidal et Manu Causse. Bayard, 2017. 220 pages. 13,90 euros. A partir de 12-13 ans.


Une superbe pépite jeunesse, évidemment partagée avec Noukette !















lundi 26 février 2018

LaRose - Louise Erdrich

Un accident de chasse. Landreaux Iron, un indien Ojibwe, tue un enfant en tirant sur un cerf. L’enfant s’appelle Dusty, il est le fils de son voisin et ami Peter Ravich. Dusty avait cinq ans. En échange de cette mort donnée accidentellement et suivant une tradition ancestrale, Landreaux offre son plus jeune fils, LaRose, aux parents en deuil. Une décision évidemment lourde de conséquences qui va bouleverser la vie des deux familles.

Franchement j’ai eu peur. Peur d’un torrent de larmes et de mouchoirs à essorer, peur d’une tragédie jouant uniquement sur la corde sensible et les ressorts convenus d'un mélo juste bon à faire pleurer dans les chaumières. Heureusement Louise Erdrich ne cède pas à tant de facilité. Les émotions qu’elle déplie au fil des pages sont complexes, parfois contradictoires, toujours d’une rare finesse. LaRose est le guérisseur, celui qui apaise les âmes en peine, celui qui apporte un rayon de lumière dans les ténèbres. Tout le monde est ravagé par la situation. Les mères en premier lieu, celle de Dusty bien sûr, mais aussi sa propre mère, incapable de supporter la perte de cet enfant qu’on lui arrache. Les pères ne sont pas plus à la fête. Landreaux ne comprend pas comment l’accident a pu avoir lieu et Peter est écartelé entre la pitié pour son ami et une légitime envie de vengeance face au tueur de son fils.

Louise Erdrich ne se contente pas de tisser les relations entre les deux familles. Elle nous renvoie des siècles en arrière, s’attarde sur d’autres indiens que les quatre parents et sur le prêtre se battant chaque jour pour remettre les brebis égarées de la réserve sur le chemin du Seigneur. Elle montre le quotidien souvent sordide d’une population ravagée par l’alcool et les opiacés, elle montre une jeunesse qui se serre les coudes et continue malgré tout à rêver d’avenir. Surtout, elle ne cesse de mettre chacun à l’épreuve, de pousser ses personnages dans leur dernier retranchement, de chercher en chacun d’eux l’étincelle, parfois infime, qui pourra rallumer la flamme de l’espoir.

Un roman splendide, où la colère se drape de dignité, où la douleur ne cesse d’être pudique, où tradition et modernité, passé et présent, se conjuguent à la perfection. Une partition sans la moindre fausse note. 
     
LaRose de Louise Erdrich (traduit de l’américain par Isabelle Reinharez). Albin Michel, 2018. 512 pages. 24,00 euros.












vendredi 23 février 2018

Les lectures de Charlotte (49) : Mon royal petit frère - Sally-Lloyd-Jones et David Roberts

Il était une fois un papa, une maman et « la plus jolie, la plus intelligente, la plus gentille princesse qui fut. […] Ils vivaient dans un royaume où il y avait toujours du temps pour raconter des histoires, de la place sur les genoux de maman et jamais le moindre pleur. Jusqu’à cet abominable, cet horrible jour qui vit naître un tyran… ». Bébé arrive et la princesse disparaît aux yeux de ses parents. Elle raconte elle-même ses déboires et son témoignage contre le petit frère est à charge : sans nuance ni demi-mesure.

Un album plein d’humour pour aborder la question sensible de l’arrivée d’un nouveau venu dans la famille et du sort réservé aux aînés. La princesse se sent invisible, elle ne comprend pas pourquoi un petit être si bruyant et si puant peut susciter autant d’admiration. Résignée, elle ne peut que constater « le règne démoniaque » de « son altesse sacrément gourmande ! Sa grandeur potelée, le roi Bébé ! ». C’est drôle parce que la fillette force le trait et fait preuve d’une sacrée mauvaise foi. En même temps on comprend son agacement et sa frustration de ne plus être au centre de l’attention : « Admirez l’élu, sa majesté pourrie gâtée, le roi bébé ! ».

Le point de vue de la grande sœur est joliment illustré par le trait aiguisé de David Roberts, dont certaines double-pages fourmillant de détails sont un régal pour les yeux. Évidemment la fin est positive et atténue la rancœur, évidemment la grande sœur, sous ses airs bravaches, garde une place au chaud dans son cœur pour le royal petit frère. Mais le ton décalé de l’album permet d’aborder la question avec une percutante originalité.

Mon royal petit frère : une terrible histoire vraie de Sally-Lloyd-Jones et David Roberts. Little Urban, 2018. 40 pages. 13,50 euros. A partir de 3 ans.

mardi 20 février 2018

Philibert Merlin apprenti enchanteur - Gwladys Constant

Philibert est perdu, Philibert ne comprend pas. Dernier né d’une grande lignée d’enchanteurs, ses six frères et sœurs sont tous des génies dans leur domaine et lui a beau chercher, il ne se trouve aucun don particulier. La musique, la littérature, la danse, les mathématiques, la peinture et l’informatique étant déjà pris, il a tenté sa chance du côté de l’herboristerie mais le résultat s’est révélé catastrophique puisqu’il a intoxiqué un de ses camarades de classe. Se jeter du toit de l’école pour voir s’il savait voler était une fausse bonne idée, comme le fait de passer son bras à travers le grillage de la cage aux fauves du zoo pour essayer de les apprivoiser. Rien n’y fait, Philibert ne sort pas du lot. Enfant sans talent, Philibert s’interroge sur ses capacités et ses parents, même s’ils le soutiennent de tout cœur, s’inquiètent sérieusement d’avoir un fils « normal » à la maison.

Difficile de trouver sa place, de supporter la pression exercée par un environnement ou chacun tend vers l’excellence. Philibert se rend compte qu’il est différent. Sa quête de don à tout prix le perturbe fortement. Il se cherche, chacun souhaite lui venir en aide mais au final c’est pire que mieux. Et si, tout simplement, on lui fichait la paix à Philibert ? Et s’il n’était qu’un petit garçon pas forcément doué mais pas mal dans sa peau pour autant ?

J’aime l’écriture de Gwladys Constant découverte avec  « La révolte des personnages ». Elle parsème d’humour et de légèreté un sujet sensible et pousse à la réflexion sans avoir l’air d’y toucher. La grande question de l’orientation perturbe bien des familles, même les plus illustres. Plutôt que de pousser nos enfants trop vite dans une hypothétique vocation, n’est-il pas préférable de leur laisser le temps de trouver leur voie par eux-mêmes sans chercher à forcer les choses ? La réponse semble évidente mais Philibert et les siens vont mettre du temps à la trouver. Et comme (presque) toujours, le hasard est un allié de choix pour faire basculer un destin...

Philibert Merlin apprenti enchanteur de Gwladys Constant. Le Rouergue, 2018. 110 pages. 9,50 euros. A partir de 9 ans.


Une jolie pépite jeunesse partagée une fois encore avec Noukette.













lundi 19 février 2018

Il n’en revint que trois - Gudbergur Bergsson

C’est l’histoire d’une ferme isolée dans un coin paumé d’Islande, à deux pas d’un champ de lave et de l’océan. Une ferme où vivent un vieux couple, leur fils, leurs deux petites filles et un gamin dont la mère malade ne peut s’occuper. C’est l’histoire de cette ferme avant, pendant et après la seconde guerre mondiale. L’histoire de cette ferme à l’aune de l’évolution d’un pays foncièrement rural que le conflit va amener sur le chemin de la modernité.
D’abord grâce à l’occupation anglaise, ensuite et surtout grâce à l’arrivée des américains et de l’installation de leurs bases militaires un peu partout sur l’île.

Le roman raconte donc les décennies du 20ème siècle qui ont transformé la société islandaise à travers une galerie de personnages avec lesquels on partage quelques années. Et c’est tout le problème selon moi. On navigue de l’un à l’autre, on commence à s’attacher à certains qui disparaissent soudainement et dont on n’entend plus jamais parler. L’ensemble manque de liant, d’épaisseur, tout va trop vite et les différents événements sonnent comme des anecdotes, rien de plus. En gros je me suis ennuyé. Et pas qu'un peu. Quand je mets plus de quinze jours à lire 200 pages ce n’est pas bon signe. Du tout.

J’ai bien compris la volonté de l’auteur de montrer la difficulté pour un pays enfermé dans ses traditions ancestrales de se confronter de façon brutale à la modernité, j’ai bien compris que le personnage central de son texte est la ferme isolée et non ceux qui gravitent autour d’elle mais il m’a manqué beaucoup trop de choses pour que ce roman passionne. Dommage parce qu’une fois encore la traduction d’Eric Boury est impeccable.

Il n’en revint que trois de Gudbergur Bergsson (traduit de l'islandais par Eric Boury). Métailié, 2018. 210 pages. 18,00 euros.






















samedi 17 février 2018

Paris-Venise - Florent Oiseau

J’avais qualifié le premier roman de Florent Oiseau de « roman de branleur » (ce qui n’avait rien de péjoratif pour moi, bien au contraire). Je constate que le second est du même tonneau. Un personnage sans ambition à la vanne facile, un quotidien de banlieue triste comme un jour de pluie, une forme de renoncement et de désillusion assumée, pas un rond en poche, la glandouille comme principale activité...  un parfait branleur quoi. Sauf que la pression mise par sa banquière oblige Roman à chercher un job. Engagé par une compagnie ferroviaire privée sur le Paris-Venise, le jeune homme plonge dans l’univers très particulier des trains de nuit longue distance.

Dans ce train faussement haut de gamme, il découvre les avantages de certains postes par rapport à d’autres, les collègues magouilleurs, les clients pénibles, les pigeons bons à plumer, les fraudeurs et les clandestins qui tentent de monter à bord pendant les escales en Suisse ou en Italie. Il découvre l’état effroyables des toilettes à nettoyer en fin de nuit, les douaniers portés sur la boisson, les policiers lourdingues, les supérieurs pénibles. Sans compter les arrivées au petit matin dans une ville grise et lugubre où il passe sa journée à dormir dans un hôtel miteux avant de repartir le soir suivant vers Paris.

Roman se met vite au diapason de ses collègues et profite de la moindre opportunité pour améliorer l'ordinaire. Il a parfois des états d’âme mais les scrupules ne l’étouffent jamais longtemps. Il y a une truculence jouissive dans la prose de Florent Oiseau. Son récit sent le vécu à plein nez. Loin du glamour et du romantique, son Paris-Venise est sordidement drôle, porté par une langue très orale. C’est frais, moderne, spontané et derrière le je-m'en-foutisme de façade affleure une réflexion profonde sur la nature humaine.

Seul petit bémol, j’ai parfois trouvé Roman trop gentil, trop naïf, trop bien-pensant. Je l’aurais préféré plus roublard, plus cynique. Un poil moins lisse en somme. Mais je chipote parce qu’au final j’ai pris un vrai plaisir à partager son quotidien de galérien et ses mésaventures tragi-comiques. Il se confirme donc que les romans de branleur me vont comme un gant, ce qui ne surprendra personne je pense.

Paris-Venise de Florent Oiseau. Allary Éditions, 2018. 240 pages. 17,90 euros.