mercredi 19 octobre 2016

La guerre des Lulus, 1917 : La déchirure - Régis Hautière et Hardoc

A la fin de l’épisode précédent les Lulus étaient parvenus à quitter le familistère de Guise en sautant, pensaient-ils, dans un train à destination de la Suisse. Malheureusement ce train les emmena directement en Allemagne pour un « séjour » qui, loin de mettre fin à leur errance, fut le point de départ de la période la plus marquante de leur histoire. Une période dont on ne saura rien dans ce quatrième tome puisque nous retrouvons nos chers orphelins et la jolie Luce onze mois plus tard dans une Belgique occupée en cette année 1917 où rien ne laisse présager une fin imminente du conflit (pour info la période « allemande » sera relatée dans un spin-off à venir dessiné par Damien Cuvillier) .

Les Lulus en Belgique, c’est une fois de plus des rencontres (bonnes ou mauvaises), des surprises (bonnes ou mauvaise), du danger, de la débrouille, des chemins de traverse pour continuer à avancer malgré la guerre, la faim, la promiscuité, les allemands et ces pièges dans lesquels on se jette avec la naïveté de l’enfance. Une enfance de moins en moins présente par ailleurs car les Lulus grandissent et leurs préoccupations changent. Luce gagne en féminité et trouble ses soupirants qui ne la regardent plus uniquement avec les yeux de l’amitié. Une Luce qui va même quitter le groupe et laisser les garçons voguer sans elle vers de nouvelles aventures.

Je n’avais pas parlé du troisième tome car j’en étais ressorti déçu, avec l’impression que mes orphelins adorés tournaient un peu en rond. Pas un tome pour rien mais un tome bien en dessous des deux premiers. Je retrouve ici tout ce qui fait le charme de cette série à part dans la BD jeunesse actuelle. Une narration intelligente, une légèreté de façade, une intrigue enlevée où alternent action, rebondissements et émotion. L’inquiétude est présente tout au long d’un récit où la réalité de la guerre rattrape de plus en plus les personnages.

Le trait d’Hardoc a beaucoup mûri depuis le premier volume, il s’avère aussi précis que dynamique et parfaitement mis en valeur par les sublimes couleurs de David François.

Un vrai bonheur de retrouver les Lulus dans des aventures à  nouveau captivantes. Vivement la suite, qui sera aussi la fin. Impossible de quitter ces inoubliables gamins sans un pincement au cœur, je dois avouer que pour des tas de raisons qui ne regardent que moi, rarement une série jeunesse aura autant marqué ma vie de lecteur.

La guerre des Lulus T4 : 1917, la déchirure de Régis Hautière et Hardoc. Casterman, 2016. 56 pages. 13,95 euros.

Mon avis sur le tome 1
Mon avis sur le tome 2



La BD de la semaine,
c'est aujourd'hui chez Stephie








mardi 18 octobre 2016

Ma fugue chez moi - Coline Pierré

Anouk en a ras le bol. Du collège où tout va de travers, de son père qui ne donne jamais la moindre marque d’affection, de sa mère partie au bout du monde pour mener sa vie de scientifique et qu’elle voit deux fois par an. Parce qu’elle n’en peut plus, elle décide de disparaître, de se volatiliser. Sa fugue inquiète, forcément. La police enquête, ses parents et sa petite sœur sont rongés par l’angoisse, les recherches s’intensifient sans résultat. Car Anouk a trouvé la cachette idéale, une cachette à laquelle personne n’a pensé.

Une jolie variation sur le thème de la fugue adolescente, aussi originale qu’improbable. Anouk, sans s’épanouir totalement dans sa disparition volontaire, y trouve l’occasion de réfléchir, de se poser les bonnes questions sur sa situation, son avenir. Mais elle découvre aussi que les décisions qui nous font du bien peuvent rendre les autres tristes. Elle a du mal à supporter ce qu’elle inflige à sa famille alors qu’elle pensait ne pas avoir à s’en soucier.  Elle comprend ce que ses proches ressentent, l’impression qu’ils lui disent : « Tant que tu ne seras pas de retour, nous ne recommencerons pas à vivre ». Pour autant, elle refuse de céder et de revenir, pour son propre bien.

J’ai trouvé ce texte fin dans sa construction et intelligent dans sa réflexion. La mère qui n’assume pas son statut, la souffrance infinie du père, la maturité de la pétiré soeur. Une famille « biscornue et rafistolée comme tant d’autres ». Et cette jolie fin, positive sans mièvrerie, porteuse d’espoir et d’avenir mais ne reniant pas une réalité bien plus complexe que les apparences ne le laissent penser : « L’humanité tout entière passe son temps à s’enfuir. Je crois que c’est le cours normal des choses ». Pas faux ma chère Anouk. 


Ma fugue chez moi de Coline Pierré. Rouergue, 2016. 115 pages. 10,20 euros. A partir de 12 ans.


Une lecture jeunesse commune que je partage une fois de plus avec Noukette








lundi 17 octobre 2016

Une mort qui en vaut la peine - Donald Ray Pollock

1917. Les frères Jewett ont passé leur vie à suivre leur métayer de père à travers l’Alabama et la Géorgie à la recherche de petits boulots harassants payés à coups de bâton. Une existence misérable dont ces crèves la faim vont s’extraire le jour où leur tyrannique paternel casse sa pipe. Inspirés par Bill Bucket, un cow-boy de papier dont ils lisent en boucle les exploits dans le seul livre qu’ils trimballent dans leurs maigres bagages, Cane, Cob et Chimney se lancent dans une improbable carrière de braqueurs de banque.

Pendant le premier tiers du roman, Pollock pose ses pions sur l’échiquier. Une foule de personnages qu’il prend le temps de présenter de façon indépendante avant de commencer à jouer, d’entrelacer leurs destins, de leur offrir un moment de gloire ou, le plus souvent, de complète déveine.

Pour être honnête, on n’est pas au niveau d’un diable tout le temps. Pas autant d’intensité, de profondeur, d’effet de souffle balayant tout sur son passage. Ici on part dans tous les sens, on s’éparpille, on est dans le saupoudrage. L’intrigue manque de liant. Trop de personnages, de petites histoires gravitant autour du fil rouge constitué par celle des frères Jewell. Pollock finit par boucler la boucle mais laisse de nombreuses portes ouvertes et donne à son roman un goût d'inachevé.

Après, il reste son écriture incisive, sa plume au vitriol, ses situations folles, ses antihéros hauts en couleur,  ses dialogues cinglants, ce regard lucide et sarcastique porté sur la noirceur de l’âme humaine et cet humour ravageur qui est un peu sa marque de fabrique. Du Faulkner version Tarantino qui vous embarque et vous laisse admiratif car malgré quelques faiblesses, on ne peut que saluer un auteur capable de mettre en scène une fiction aussi pétaradante.

Une mort qui en vaut la peine de Donald Ray Pollock. Albin Michel, 2016. 565 pages. 22,90 euros.





samedi 15 octobre 2016

Les lectures de Charlotte (25) : Le merveilleux voyage de la petite abeille - Britta Teckentrup

Le jour se lève sur la prairie et la petite abeille s’envole. De pissenlits en marguerites, elle se met au travail. Au cœur de chaque fleur elle butine le précieux nectar. « Digitales, capucines, roses, sur toutes, elle se pose. Derrière elle, le pollen, emporté par le vent, ondoie comme une traîne et partout se répand ».

Il est magnifique cet album. On suit l’abeille et on sent l’air doux de la campagne. On suit l’abeille et on voit les fleurs bouger sous la brise. On suit l’abeille et on croise biches, renards, écureuils et coccinelles. Un suit l’abeille et on comprend que grâce à elle et à un grain de pollen, la vie se crée.

Un somptueux voyage à travers la nature et dans la tourbillonnante vie d’une abeille. Britta Teckentrup nous avait éblouis avec « Au creux de mon arbre », elle récidive ici dans ce livre aux découpes intelligentes et aux éclatantes illustrations façon pochoirs. Le merveilleux voyage de la petite abeille ou comment aborder sans avoir l’air d’y toucher l’importance de la pollinisation dans notre quotidien. Idéal pour à la fois faire rêver et sensibiliser.



Le merveilleux voyage de la petite abeille de Britta Teckentrup. Hatier, 2016. 32 pages. 13,80 euros. A partir de 4 ans.





vendredi 14 octobre 2016

Nos âmes la nuit - Kent Haruf

Holt, Colorado. Addie frappe à la porte de son voisin Louis pour lui demander s’il accepterait de venir dormir avec elle certains soirs. Pas pour le sexe, simplement pour discuter, pour « passer le cap des nuits ». Elle s’adresse à lui car elle pense que c’est un homme bien. Tous deux sont veufs, septuagénaires et conscients que la solitude est un poids difficile à supporter. Après une infime hésitation, Louis accepte. Mais il sait qu’en ville les ragots vont enfler, que derrière les fenêtres les mauvaises langues vont les juger. Et qu’il va aussi être difficile de faire avaler la pilule à leurs enfants respectifs.

L’histoire d’une rencontre, de deux êtres qui s’apprivoisent, se confient, se trouvent des affinités et aspirent une dernière fois au bonheur. Deux êtres voulant faire fi des convenances et vivre pleinement une relation épanouissante. Louis et Addie ont chacun eu leur lots de drames, de déceptions et d’échecs. Elle a perdu sa fille renversée par une voiture, il a brisé son ménage en partant vivre avec une autre femme avant de revenir vers son épouse. Ils ont souffert ou ont fait souffrir, ils estiment avoir le droit de connaitre un ultime frisson, main dans la main.

Ça pourrait être mièvre, ça pourrait être une avalanche de bons sentiments sucrés au point de vous donner la nausée. C’est tout sauf ça. Kent Haruf signe un texte sobre, épuré, déchirant. Avec bienveillance et tendresse,  il amène ses deux personnages à tourner le dos au passé pour regarder droit devant, vers un avenir qui, sans être radieux, a le mérite de laisser entrevoir de doux et beaux moments. Pour autant, il ne tombe pas dans l’angélisme et la tournure pleine d’amertume et de tristesse prise dans les dernières pages vient le souligner tout en subtilité. Les histoires d’amour finissent toujours, bien ou mal, une évidence qu’il est bon de rappeler, surtout avec autant de finesse et de grâce.

Je découvre ici la plume d’un auteur qui me touche en plein cœur. Un auteur décédé en 2014, peu de temps avant la parution de ce roman aux États-Unis. Il me reste à découvrir ses autres livres, en commençant par « Le chant des plaines », que beaucoup considèrent comme son chef d’œuvre.

Nos âmes la nuit de Kent Haruf. Robert Laffont, 2016. 170 pages. 18,00 euros.


Les avis de Keisha, Electra et Zazy.








mercredi 12 octobre 2016

Forçats T1 : Dans l’enfer du bagne - Bedouel et Perna

« Vous voulez que je vous raconte le bagne ? Alors je vais vous parler de la Guyane. Parce que le véritable enfer n’est pas ici, entre les murs de ce cachot… mais dehors, tout autour. […] On peut dire, sans risquer de se tromper, que la Guyane est juste une putain de forêt vierge où l’homme n’a pas sa place. Pour avoir une chance d’y survivre, il faut se garder des serpents venimeux qui tombent des arbres ou se faufilent entre les herbes hautes de la savane. Des colonnes de fourmis s’y déplacent jour et nuit, dévorant tout sur leur passage. Certaines font deux centimètres de long et leur venin peut tuer un bœuf. Et puis il y a les mouches. Elles vous attaquent, pire que des abeilles et piquent au sang ou pondent leurs œufs sous la peau, jusqu’à vous rendre dingue. Vous voulez que je vous dise, m’sieur ? Ici pas besoin de barbelés ni de gardiens ».

Ce témoignage est recueilli par le journaliste Albert Londres à Cayenne, en 1923. Il lui est fourni par Dieudonné, membre supposé de la bande à Bonnot envoyé au bagne après un procès inique. Enfermé suite à une tentative d’évasion, Dieudonné se confie et montre à Londres l’innommable réalité d’une vie de bagnard. Une prison à ciel ouvert où l’état français a mis en œuvre une déportation de masse pour se débarrasser de ses criminels les plus dangereux. Une prison à ciel ouvert où la durée de vie moyenne n’excède pas cinq ans. Une prison à ciel ouvert où l’on paie pour attraper la tuberculose ou la lèpre afin de s’offrir un séjour prolongé à l’infirmerie et s’extraire de l’horreur du quotidien.

« Jamais je n’oublierai ce que j’ai vu ici. Quelle que soit la nature des crimes qu’ils ont commis, ces hommes ne méritent pas le traitement indigne que la république leur inflige. Rien ne justifie qu’on dépossède à ce point un homme de son humanité. La Guyane est une machine à broyer, sans distinction ni remords ».

Je crois que j’ai lu tout Albert Londres dans ma jeunesse. Au-delà de son engagement, de sa vision du journalisme (« notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie »), j’ai adoré son écriture, son lyrisme contenu et sa façon incroyablement puissante de vivre et de raconter chacun de ses reportages. C’est un plaisir de le retrouver ici dans cette libre adaptation de son recueil d'articles « Au bagne », adaptation fidèle à la réalité historique mais prenant parfois les accents d’un roman d’aventure.

Graphiquement, je découvre avec bonheur le trait aiguisé de Fabien Bedouel, ses grands aplats noirs, son bleu profond, son rouge sang, sa façon de retranscrire l’atmosphère suffocante et la violence de la colonie pénitentiaire, l’absence totale d’espoir et de lumière pour les condamnés.

Une plongée dans l’indicible sur les pas d’Albert Londres pour rappeler à quel point Cayenne et son bagne sont à jamais restés une honte pour la France (d'ailleurs l'enquête du journaliste aura un tel retentissement qu’elle aboutira à la fermeture du pénitencier de Saint-Laurent-du-Maroni).

Forçats T1 : Dans l’enfer du bagne de Bedouel et Perna. Les arènes, 2016. 64 pages. 15,00 euros.











mardi 11 octobre 2016

Happy-End - Anne Loyer

Les journées de Tom sont réglées comme du papier à musique. Le matin c’est sardines à l’huile au petit déjeuner, toilette rapide, installation devant la télé puis déjeuner avec maman. L’après-midi c’est le parc, le goûter, le passage chez le marchand de journaux. Le soir douche, repas devant le JT et lectures de contes au moment du coucher. Tom a 17 ans. Pour les moqueurs, c’est un attardé. Pour sa mère, il est Tompouce, un garçon différent, un colosse, un esprit d’enfant dans un corps d’adulte.

Depuis que sa nouvelle voisine Béa est arrivée, Tom est fasciné. Il la trouve belle et mystérieuse avec ses yeux tristes et ses vêtements noirs. Béa s’est installée avec son père, un homme sévère et brutal. Tom voudrait la protéger, il s’imagine en prince charmant. Un prince prêt à tout, même à bousculer un quotidien si bien réglé pour venir en aide à sa princesse…

Anne Loyer n’a pas peur de s’attaquer à des sujets difficiles. Les grossesses d’ados (Candy), les secrets de famille qui bouleversent les enfants (Comme une envie de voir la mer) ou encore un fugueur s’échappant d’un centre pour mineurs (La Belle Rouge). Et à chaque fois je suis resté admiratif devant sa capacité à incarner avec réalisme ses personnages. Ici, elle met en scène un simple d’esprit confronté pour la première fois au sentiment amoureux. Sans caricature ni angélisme, elle exprime à travers la voix de Tom la candeur et le regard tendre porté sur le monde par un gamin attachant en diable.

Un texte court, simple, direct et émouvant.  

Happy-End d’Anne Loyer. Alice Éditions, 2016. 64 pages. 11,00 euros. A partir de 15 ans.


Une nouvelle lecture jeunesse que j'ai une fois encore le plaisir de partager avec Noukette.









lundi 10 octobre 2016

Le vieux saltimbanque - Jim Harrison

Le vieux saltimbanque a tiré sa révérence le 26 mars dernier. Un mois plus tôt paraissait ce recueil en forme de testament littéraire. L’auteur de Légendes d’automne y relate ses souvenirs, fragments de vie remontant de façon aléatoire le cours d’une mémoire forcément sélective. Une autobiographie à la troisième personne pour « échapper à l’illusion de la réalité » dont chaque épisode est pourtant on ne peut plus véridique. En vrac, il parle de la perte de son œil gauche à l’âge de sept ans, de la mort de sa sœur à dix-neuf ans et de celle de son père dans un accident de la route. Autres thèmes abordés, le mariage, son infidélité et son alcoolisme chroniques, sa passion pour la cuisine, le sexe, les femmes, le vin et la France. Mais aussi son parcours professionnel depuis sa décision de devenir poète à l’adolescence, ses années de prof de fac, sa difficulté à vivre de sa plume et la manne assurée par l’écriture de scénarios pour Hollywood.

La nature reste au cœur de son existence, dans le Montana et en Arizona. L’épisode le plus cocasse et le plus touchant est celui où il raconte avoir acheté sur un coup de tête une truie enceinte et passé les mois suivants à voir grandir avec amour les porcelets. Une passion dévorante où le vieil homme, débordant de tendresse, semble parfaitement épanoui. Moins reluisantes ses frasques alcoolisées, son attirance pour les étudiantes ou son incapacité à gérer correctement l’argent gagné au fil des années.

J’ai adoré retrouver l’écriture fluide et bourrue, la légèreté de ton et l’humour d’Harrison. Aucune tristesse dans ces pages où ne cesse de planer l’ombre de la Grande Faucheuse. Beaucoup d’humilité et de lucidité, une bonne dose d’autodérision aussi, notamment lorsqu’il relate la disparition du désir et de sa virilité, sa crainte de finir sur le banc des vieux croulants installés face à l’hôtel de ville que tout le monde surnomme « le banc des bites mortes ».

Un recueil comme une dernière salve, sincère et malicieuse, sans le moindre filtre, à l’image de ce grand monsieur libre et indomptable qui n’aura cessé de brûler la chandelle par les deux bouts.

Le vieux saltimbanque de Jim Harrison. Flammarion, 2016. 150 pages. 15,00 euros.





samedi 8 octobre 2016

Les lectures de Charlotte (24) : Une île sous la pluie de Morgane de Cadier et Florian Pigé


Il existe une île où il pleut chaque jour du matin jusqu’au soir. Juste à côté se trouve une seconde île sur laquelle il ne pleut jamais. Les habitants de la première île ont constamment la mine triste et sortent toujours avec un parapluie. « Ce sont des chats très distingués : ils ne se mouilleraient pour rien au monde ». Le jour où un habitant de l’île ensoleillée débarque chez eux à la nage, ils s’offusquent. Ce matou vulgaire saute dans les flaques et danse en riant sous la pluie, c’est une honte ! Après avoir vainement tenté d’éduquer ce sauvageon comme il se doit, les chats au parapluie décident de le chasser de chez eux. Une décision dont ils vont vite se mordre les doigts…

Un album intelligent qui démontre à quel point il importe de s’enrichir de nos différences. L’ouverture à l’autre, l’entraide et le nécessaire changement de comportement face à l’étranger sont également abordés tout en suggestion au fil de cet ouvrage au format à l’italienne où chaque double page offre au regard une grande profondeur.



Et si on cessait de vouloir à tout prix intégrer car au final, n’est-ce pas ce qui tue l’identité ? Charlotte adore le déroulement de l’histoire, la mine chafouine des chats n’aimant pas l’eau et l’insouciance du sauvageon. Un album malheureusement de circonstance dont le message positif apporte un peu de lumière dans la grisaille ambiante.

Une île sous la pluie de Morgane de Cadier et Florian Pigé. Balivernes, 2016. 40 pages. 13,00 euros.






jeudi 6 octobre 2016

Là où les lumières se perdent - David Joy

« Rester me semblait tout simplement inimaginable. J’ai alors su qu’il y avait dans ce monde des choses ben pires que mourir, des choses qui pouvaient pousser un homme à accueillir la mort comme une vieille amie le moment venu. Et rester en était une. Rester signifiait qu’avec le temps je deviendrais exactement comme lui. »

Rejeton d’un baron de la drogue, Jacob sait que son chemin est tout tracé. Mais contrairement à son père, Jacob n’est pas un gros dur violent et impitoyable. Contrairement à son père, il garde de l’affection pour sa mère camée jusqu’à l’os qui sombre peu à peu dans la folie. Contrairement à son père, il se verrait bien quitter ce trou paumé des Appalaches dont il n’est jamais sorti depuis sa naissance. Car contrairement à son père, Jacob éprouve des sentiments. Il s’imagine un avenir avec Maggie, cette copine d’enfance qui est devenue sa petite amie. Mais pour que cet avenir puisse se concrétiser, il va lui falloir couper le cordon. Et pour couper le cordon, pas d’autre solution que de tuer le père…

Là où les lumières se perdent, c’est l’histoire d’une impossible rédemption, l’histoire d’un drame inévitable. Le poids de l’atavisme a ici tout de la malédiction. L’hérédité que voudrait fuir Jacob est une chape de plomb pesant trop lourd pour ses frêles épaules. S’en extraire nécessite des choix douloureux qu’il ne semble pas encore prêt à faire, sauf si, poussé par les circonstances et la rancœur, il décide d'agir sans réfléchir.

Un premier roman sombre au titre on ne peut plus évocateur. Le récit emmène le lecteur vers une tragédie à venir dont personne ne doute dès les premières pages. Une noirceur qui n’est pas sans rappeler des auteurs tels que Benjamin Whitmer, John Bassoff ou Jake Hickson. Du polar « redneck » qui ne brille certes pas par son originalité mais reste diablement efficace. La fin, aussi prévisible que crépusculaire, m’a beaucoup plu.

Là où les lumières se perdent de David Joy. Sonatine, 2016. 300 pages. 19,00 euros.