jeudi 16 octobre 2014

Un été en famille - Arnaud Delrue

Ça commence par un enterrement. Celui de Claire, la sœur de Philippe, le narrateur. Un narrateur qui s’adresse tout au long du texte à Marie, son autre sœur de onze ans. Sur le ton de la confession, il dévoile petit à petit une étrange histoire de famille. Sa relation ambigüe avec Claire, la maladie de cette dernière, qui l’a poussée au suicide, le conflit permanent avec leur mère, son job d’assureur qu’il a abandonné sans regret. Et bien d’autres choses encore qui, peu à peu, font froid dans le dos…

Bon, soyons clair, c'est une déception. J’ai aimé le malaise qui s’est emparé de moi petit à petit, les révélations fracassantes et dérangeantes disséminées l’air de rien au détour d’une phrase. Mais pour le reste, je me suis perdu face aux membres de cette famille aussi nombreuse que tordue, j’ai trouvé que le récit manquait d’âme, que les pièces s’imbriquaient de façon mécanique, limite exercice de style, et j’ai vu la fin arriver à des kilomètres, grosse comme une maison. De toute façon, quand un narrateur à la première personne ne suscite ni empathie ni réaction épidermique, juste un soupçon d’indifférence polie (parce que, quand même, je suis un lecteur bien élevé), il n’y a pas grand-chose à faire, juste attendre de tourner la dernière page en se disant qu’il est temps de passer à autre chose.

Un premier roman à la construction maîtrisée mais bien trop froid (glaçant même par moment) pour me donner un quelconque plaisir de lecture. Décevant, quoi.

Un été en famille d’Arnaud Delrue. Seuil, 2014. 160 pages. 16,00 euros.









mercredi 15 octobre 2014

Perico T2 - Philippe Berthet et Régis Hautière

Joaquin, Livia et leur valise pleine de billets ont pu quitter Cuba et sont en route pour Hollywood. A leurs basques, les tueurs de l’odieux Santo Trafficante Jr, bien décidés à récupérer l’argent de leur patron. Une route pavée d’embûches les attend et le voyage entre Miami et la Californie sera tout sauf un long fleuve tranquille.

Suite et fin du diptyque « old school » scénarisé par Régis Hautière pour lancer la collection « Ligne noire », dont tous les titres seront mis en images par l’excellentissime Philippe Berthet. Une fin en apothéose, bourrée d’action et de rebondissements qui contraste avec le premier tome où régnait une sorte de moiteur immobile. Comme d’habitude avec le papa d’Abélard, la complexité des personnages fait le sel du récit. Arrachée des griffes de Trafficante par Joaquin, Livia n’est pas pour autant un faire-valoir à la plastique avantageuse, une nunuche qui va tomber amoureuse de son sauveur. Accro à la cocaïne, elle reste avec lui par intérêt personnel et non par amour. Et comme d’habitude, l’histoire est sombre, très sombre, personne n’est épargné et pas de happy end à l’horizon. Bref, du Hautière dans le texte, rugueux, âpre et pessimiste comme je l’aime.

Aux pinceaux, Berthet fait encore des miracles. Je retrouve le charme de son trait découvert il y a près de trente ans dans les pages du magazine Spirou et je ne m’en lasse toujours pas. Du travail à l’ancienne, appliqué et rigoureux, une science du cadrage très cinématographique et un jeu sur la lumière, les ombres et les couleurs qui vous installe une ambiance comme personne.

J’apprécie trop ces deux auteurs pour rester objectif. Alors vous n’êtes pas obligé de me croire si je vous dis que ce diptyque est une pépite, un polar digne des grands films noirs américains des années cinquante dont la délicieuse amertume vous restera longtemps en bouche. Mais je vous le dis quand même…


Perico T2 de Philippe Berthet et Régis Hautière. Dargaud, 2014. 64 pages. 15,00 euros.

L'avis de Moka











mardi 14 octobre 2014

Un endroit pour vivre - Jean-Philippe Blondel

Le narrateur a seize ans et est en première ES. C'est un élève lambda, réservé, sans histoire. Un rêveur qui passe son temps à observer, contempler le monde. Et son monde, justement, change radicalement le jour où le proviseur décide de mettre un terme au laisser-aller ambiant. Pour lui, avant d'être un lieu de vie, le lycée doit être un lieu de travail. La reprise en main se fait à coup de mesures de rétorsions inédites : tenue impeccable exigée, plus personne d'assis dans les couloirs, interdiction aux amoureux de « se frotter », etc. De la discipline et de l'autorité avant toute autre considération. Effaré par le manque de réaction de ses camarades, l'adolescent va s'insurger à sa façon. Caméra au poing, il va filmer les petits riens du quotidien pour montrer que le lycée, c'est aussi et surtout la vie.

Jean-Philippe Blondel est prof d'anglais, il connaît parfaitement les rouages de l'administration scolaire. Il sait que, d'un établissement à l'autre, le personnel de direction peut imposer sa patte de manière plus ou moins intelligente. Et s'il prend soin de préciser à la fin de son texte  que « ceci est une œuvre de fiction, toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé serait purement fortuite », son histoire sent le vécu à plein nez.

« Un endroit pour vivre » n'est pas une ode au laxisme post soixante-huitarde.C'est plus fin. Avec sa caméra, son personnage capte une humanité en mouvement. L'amour bien sûr, mais aussi l'amitié, le dialogue permanent entre enseignants et élèves, la souffrance, la violence, la haine, la solidarité ou le courage. La vie dans toute sa diversité, encore et toujours. L'acte militant est ici relaté dans un long monologue, d'une seule voix. A l'image de cette collection dont je ne cesse avec ma complice Noukette de vous vanter les mérites depuis plusieurs mois.

Un endroit pour vivre de Jean-Philippe Blondel. Actes sud Junior, 2014 (première édition en 2007). 64 pages. 9,00 euros.


Et c'est évidemment une nouvelle lecture commune que je partage avec elle.

L'avis de Saxaoul













lundi 13 octobre 2014

Les zombies n’existent pas - Sylvain Escallon

L’homme laisse les cadavres à la pelle sur son chemin. A st Brieuc, à Brest, à Agen, à Paris. A chaque victime, il coupe un doigt de la main gauche. Pas de sa faute, c’est la voix qui lui ordonne de passer à l’acte. L’inspecteur Kowalski, chargé de l’enquête, a du mal à comprendre le mode de fonctionnement et les motivations du tueur. Un tueur vite identifié d’ailleurs, un certain Picquier. Le problème, c’est que Picquier est mort et enterré. Depuis un an. Suicide par pendaison, le légiste qui a pratiqué l’autopsie l’a confirmé avec certitude. Or, les zombies n’existent pas, on a donc affaire à un sosie, pas possible autrement. Mais pour être sûr, il vaut mieux exhumer le corps du « vrai » Picquier. Seulement, en dessellant le caveau, on ne trouve à l’intérieur aucun cercueil…

Les Zombies n’existent pas est une adaptation du thriller « Lazarus » d’Emanuel Dadoun. Une histoire de Serial Killer glaçante, mystérieuse, chamanique. Le premier album d’un auteur de 23 ans que je qualifierais avec plaisir de « couillu ». Parce qu’il fallait oser se lancer dans un roman graphique aussi dense et ambitieux. La narration est aussi torturée que l’esprit du meurtrier et il faut parfois s’accrocher pour suivre mais tout se tient. On alterne entre le point de vue du tueur et celui de l’enquêteur, on saute en une page d’un lieu à l’autre, du présent au passé, de la France au Mexique. Et tout se tient. Ça mériterait parfois d’être un poil plus fluide, plus limpide, mais rien de bien méchant.

Et puis au niveau du dessin, c‘est énorme je trouve. Du noir et blanc très travaillé, un gros jeu sur les ombres et le cadrage, un trait qui n’est pas sans rappeler celui de l’excellentissime argentin Eduardo Risso, bref, j’adore.

Une bien belle surprise, donc. Un auteur débutant qui prend autant de risques et parvient à créer une ambiance pesante à souhait avec une telle maîtrise graphique, chapeau bas. Et vivement votre prochain album, monsieur Escallon !  


Les zombies n’existent pas de Sylvain Escallon. Sarbacane, 2013. 132 pages. 22,00 euros. 






vendredi 10 octobre 2014

Los boys - Junot Diaz

Quel plaisir de retrouver Yunior. Un Yunior avant Yunior si j’ose dire. Un Yunior enfant et ado qui n’est pas encore tout à fait le salopard macho et imbuvable découvert l’an dernier dans le Guide du loser amoureux. Yunior et les siens, émigrés de Saint-Domingue débarqués dans le New Jersey par un froid matin d’hiver, vont prendre le rêve américain de plein fouet. A l’époque, son grand frère Rafa n’a pas encore été emporté par le cancer et son "Papi" ne s’est pas encore tiré avec une jeunette. A dix ans, Yunior est malade à chaque fois qu’il monte en voiture. Plus tard, il dealera de l’herbe comme tout le monde, sera livreur de billards et tentera de vivoter comme il peut.

Les nouvelles de ce recueil alternent entre les années d’enfance passées sur l’île dominicaine avec sa mère et Rafa (loin du père, parti des années auparavant chercher fortune chez l’oncle Sam) et la période où la famille est réunie aux Etats-Unis pour le meilleur et pour le pire. J’ai retrouvé avec plaisir la langue si particulière de Junot Diaz, mélange d’anglais (traduit, pour le coup) et d’argot hispano-dominicain. Une forme d’oralité bien plus travaillée qu’il n’y paraît, pleine de force et de vitalité. Bien sûr, c’est parfois cru, un poil vulgaire mais c’est aussi drôle et touchant, anecdotique et profond, comme la vie quoi.

Diaz décrit une communauté touchée par la misère, une famille en souffrance et un gamin qui ne sait que trop bien d'où il vient. Mais il le fait sans pathos, avec une tendresse et une énergie qui vous donne le sourire. Publié en 1996, ce recueil sera suivi onze ans plus tard de "La Brève et Merveilleuse Vie d'Oscar Wao", un premier roman qui remportera le National Book Critics Circle Award et le Prix Pulitzer de la Fiction. Rien que ça. Un roman qui est bien au chaud dans ma pal et que je vais me faire un plaisir de déguster d'ici peu.
    

Los boys de Junot Diaz. 10/18, 2000. 172 pages. 6,10 euros.

Une lecture commune que je partage avec Marilyne, en souvenir de nos pérégrinations dans les allées du festival America. Il y avait longtemps que l'on n'avait pas lu quelque chose ensemble et ça fait du bien ;)






jeudi 9 octobre 2014

Surtout rester éveillé - Dan Chaon

Ces dernières semaines, j’ai lu Paul Harding et son père sombrant dans la folie après la perte de sa fille. J’ai lu Burnside et ses noyés du fin fond de la Norvège, Denis Michelis et son apprenti serveur devenu le souffre-douleur de ses collègues, Leïla Slimani et sa nymphomane dépressive, Stéphane Guibourgé et son skinhead ultraviolent, Antoine Dole et sa femme battue, Radhika Jha et son accro du shopping poussée à la prostitution ou encore Marcus Malte et sa borgne cinglée qui enferme les hommes dans son coffre après les avoir assommés. Autant dire que je nage dans un océan de bonheur et de béatitude. Pour compléter le tableau, et avant d’entamer une inévitable cure de Prozac, je me suis lancé dans le recueil de nouvelles de Dan Chaon, un auteur qui avait fait sensation il y a quelques années avec son premier roman, « Le livre de Jonas ».

Pourquoi je dis « compléter le tableau » ? Parce que l’univers de Chaon est, en termes de noirceur, au diapason de mes récentes lectures. Jugez plutôt : dans ce recueil, on trouvera l’histoire d'un bébé à deux têtes qu'il va falloir opérer juste au moment où son père a un accident de voiture qui lui sectionne la moelle épinière, celle d’un fils arrivant dans la maison de ses parents et trouvant une lettre de sa mère le suppliant de ne pas grimper à l'étage et d’appeler la police (je vous laisse imaginer la suite…), d’un ancien alcoolique ayant refait sa vie après avoir abandonné femme et enfant qui va subir une terrible vengeance, de Dave Deagle, quarante ans, déjà veuf et déjà victime d’une crise cardiaque ou encore d’un lycéen dont la petite amie va donner naissance à un nourrisson non viable et qui, le jour de l’enterrement, ne trouvera rien de mieux à faire que de disparaître au moment où cinquante personnes viennent lui présenter leurs condoléances. Vous en voulez encore ou je m’arrête là ? C’est léger, joyeux, guilleret et on en sort revigoré, je ne vous dis que ça.

Blague à part, j’ai beaucoup aimé. Ça dégouline de tristesse, de douleur et de solitude, il y a parfois un soupçon d’étrangeté qui n’est pas sans rappeler l’univers de Chris Adrian. Après, le problème, c’est que depuis peu, en matière de nouvelles américaines, mon mètre-étalon est Bruce Machart. Et avec lui, la barre est placée tellement haut que les autres souffrent forcément de la comparaison. Donc, non, Dan Chaon n’a pas la grâce et la puissance d’écriture de Machart. Mais ses histoires tiennent quand même sacrément la route et ce recueil ravira sans problème les amateurs du genre. Du moins si on aime les atmosphères un peu (beaucoup) plombantes…

Surtout rester éveillé de Dan Chaon. Albin Michel, 2014. 300 pages. 22,00 euros.

Extrait :

Ton avenir se modifie et se déforme au moindre de tes pas, au moindre de tes coups de tête merdiques. L’homme que tu deviendras est à ta merci. 
Un des hommes que tu aurais pu être est déjà mort et tu devrais prendre le temps de t’ôter de la tête ses ossements couverts de toile d’araignée. Sa maison, son jardin, son travail ennuyeux de loser. Son bébé. Et Meg – ton ex-future femme – tu devrais aussi te l’ôter de la tête avant de lui parler, tu devrais te débarrasser de l’épouse que tu projetais déjà d’embrasser au réveil, de baiser et d’aimer pendant d’hypothétiques décennies. Dis adieu à cette dimension alternative, à cette autre vie. Chasse-là et puis appelle Meg et mets un terme à tout ça – tu seras comme une jeune feuille d’arbre qui s’ouvre.






mercredi 8 octobre 2014

L’aliéniste - Fabio Moon et Gabriel Bá

A Itagaï, petit village brésilien, le docteur Simon Bacamarte parvient à convaincre les édiles de construire un bâtiment pour accueillir et soigner les fous. L’asile, baptisé « La maison verte », est inauguré en grande pompe et reçoit ses premiers « déshérités de l’esprit ». Mais Bacamarte voit plus loin, il voudrait « étendre le territoire de la folie », déplacer les limites entre la raison et la démence. Pour mener à bien sa tâche, il va peu à peu interner la majorité des habitants du village, trouvant en chacun d’eux une pathologie cérébrale à traiter…

L’aliéniste est l’adaptation d’un classique de la littérature brésilienne publié en 1882. Joaquim Maria Machado de Assis y dresse une imparable chronique de l’absurdité humaine. Partant du principe que la raison est le parfait équilibre de toutes les facultés mentales et constatant que personne ne parvient à être raisonnable, Bacamarte multiplie à l’infini les enfermements dans la maison verte et soulève l’ire de la population. Pour lui, la lucidité, la clairvoyance, la loyauté, la franchise, la sagesse ou la sincérité sont autant de symptômes de la folie. Se retranchant derrière le dogmatisme scientifique pour légitimer ses décisions, le médecin semble être le seul à posséder les caractéristiques du parfait équilibre mental et moral. Sauf que tout est relatif…

Le propos est d’une grande finesse et la démonstration, pleine d’ironie, prouve au final qu’il est impossible de répondre à la question centrale soulevée par le texte, à savoir, qu’est-ce que la normalité ?

L’adaptation est fidèle, l’ensemble peut paraître un poil trop bavard mais difficile de faire autrement. J’ai retrouvé avec plaisir le trait souple et élégant des frères Moon et Bá qui m’avait tant séduit dans Daytripper. Le travail au lavis et les tons cuivrés donnent au dessin une patine digne des gravures d’antan. Un album qui pousse à la réflexion et interroge sur les méandres de la nature humaine. A mettre entre toutes les mains !


L’aliéniste de Fabio Moon et Gabriel Bá. Urban Comics, 2014. 70 pages. 14,00 euros.


Une lecture commune que j'ai une fois de plus le plaisir de partager avec Noukette.








mardi 7 octobre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : Les chambres - Tran Arnault

« La chambre ici est chambre de passage. Passage de celui ou celle qui fait halte en échange d’un dû acquitté. Le lieu est sans repère, que seul désigne un numéro. […] Ce lieu est sans témoins et sans lois, sans passé ni avenir. Dans la clôture et le secret toute demande y est recevable. Je suis pour l’autre qui m’accueille apparition avant la disparition. Dans l’effacement sitôt sortie d’un champ de vision. Mon corps ne prend forme qu’invité à en rejoindre un autre. Je n’existe que convoquée. »

La narratrice franchit le seuil de chambres d’hôtel anonymes  pour rejoindre celles qui ont fait appel à elle. Elle loue ses services pour « vivre des seuls plaisirs à dispenser » et ne traite qu’avec des femmes. Après chaque rencontre, elle envoie au mystérieux D. le rapport détaillé de ses ébats. Elle n’agit pas sous la contrainte, n’entre jamais à reculons dans les alcôves où on l’accueille. Elle aime le renouvellement permanent des demandes, des corps, des situations, des caresses. Elle aime plaire, être désirée. Elle aime jouir et faire jouir…

Je pourrais jouer le blasé, le gars détaché, revenu de tout, que plus rien ne surprend. Mais avec ce genre de plans entre filles, racontés de cette façon-là, j'avoue, je ne peux pas rester de marbre. Souvent je m’ennuie ferme avec la littérature érotique mais pour le coup je dois reconnaître que ce bouquin est diablement émoustillant. L’écriture est très belle, les scènes sont variées, les descriptions ont une rare force d’évocation et m’ont réellement fait de l’effet. A chaque chambre sa nouveauté, sa mise en scène originale, sa « cliente » aux attentes particulières. Même la description de la toilette coquine d’une obèse m’a mis dans tous mes états alors que normalement j’aurais dû en avoir des hauts le cœur, c’est dire ! Un livre dont je n’attendais strictement rien et qui s’avère être au final une divine surprise, c'est rare mais ça arrive encore de temps en temps.

PS : Ne cherchez pas ce titre en librairie, il n’est malheureusement plus disponible. Vraiment dommage tant il est d’une qualité bien supérieure aux médiocrités publiées ces derniers temps dans le même genre.

Les chambres de Tran Arnault. Hors Collection, 2010. 142 pages. 12,90 euros.










lundi 6 octobre 2014

A l'origine notre père obscur - Kaoutar Harchi

« Envie brutale de fuir cette maison singulière, aux frontières de l’irréel, cette maison dont les femmes disent qu’elle est le vestige d’un temps ancien, archaïque, une maison de pierres aux chambres carrées, à peine meublées, une maison sans la moindre trace de couleur où règne le silence des cimetières, l’obscurité des forêts, une maison entourée d’un terrain vague, construite à l’écart de la ville par des hommes aidés de femmes dans le but d’isoler d’autres femmes, la maison des délits du corps où l’on ne châtie ni ne violente, où on rééduque, jour après jour, au risque d’y passer des années, par la seule force de l’enfermement. Il faudrait dire de l’emmurement. Aucun gardien, ici, ne surveille les femmes. Elles vivent sous le poids des règles familiales inculquées depuis l’enfance et sont devenues leurs propres sentinelles. »

La maison des femmes est un lieu où sont parquées les recluses, celles convaincues d’avoir fauté, celles qui ont bafoué l’honneur de leur mari et de leur famille, celles qui ont parfois simplement voulu être elles-mêmes. La narratrice y vit avec sa mère. Elle y est née. Devenue adolescente, elle se heurte au silence maternel et ne supporte plus la passivité de cette communauté courbant l’échine sous le joug des traditions. Les circonstances vont lui donner la force de pousser la lourde porte en bois de la bâtisse et d’aller chercher des réponses auprès de ce père qu’elle n’a jamais connu.

Au-delà de la quête des origines, ce texte d’une beauté élégiaque est avant tout un cri de révolte. Contre la complaisance, la résignation de ces femmes acceptant leur sort, ces femmes devenues dépendantes au mal qu’infligent les hommes. C’est une voix qui s’élève pour dire « je viens de vous mais je ne suis pas à vous et je refuse de me sacrifier comme les femmes, depuis des millénaires, se sacrifient ». Sacrifiées « par fidélité, par honneur, par devoir, n’osant pas se lever et se rebeller. On les avait, ces femmes, dressées pour et quand est venu mon tour de choisir quel chemin prendre, il y eut, d’abord, ce besoin viscéral de me dresser contre. Contre elles et leur docilité de petites chiennes effrayées par l’ombre du maître quand moi, moi ma vie, moi mon destin, c’était, ce maître, l’approcher, le sentir, le toucher, et, yeux dans yeux, malgré le souffle court et le soulèvement vif du cœur dans la poitrine, lui murmurer à l’oreille : vois comme je n’ai pas peur de toi. Vois comme je te comprends. Vois comme je t’aime. »

Je suis sorti de ce roman abasourdi par la puissance de l’écriture, sensuelle, heurtée, poétique. L’absence d’ancrage géographique et temporel donne au propos un coté universel. Et mon regard masculin ne peut que constater l’évidence : oui, en se réfugiant derrière le poids des traditions et la force brute, les hommes ne font que signifier leur lâcheté. Incontestablement ma lecture la plus marquante de la rentrée littéraire.

A l'origine notre père obscur de Kaoutar Harhci. Actes Sud, 2014. 164 pages. 17,80 euros.

Les avis de Jostein, Leiloona, Marilyne, Nadael, Noukette, Stephie










dimanche 5 octobre 2014

Le festin de Raccoon - Marianne Ratier

Comme chaque année, les Smith vont donner une grande fête. La veille, alors que la maisonnée est endormie et le festin préparé, Racoon se glisse dans le garde manger, affamé. Au menu pour lui, brunch à l’anglaise, salade Caesar, gnocchis au fromage, limonade, saumon sauce chien, tartare de bœuf, cheese burger, fondant au chocolat, punch et cheesecake. De quoi se régaler à priori. Sauf que…

Un excellent « cherche et trouve » grand format fourmillant de détails. Pour passer inaperçu, Raccoon se fond dans le décor. Plus fort encore, on découvre parfois sa présence en voyant uniquement les dégâts qu’il a causés. Il faut alors chercher parmi les aliments celui qu’il a dévoré. Les illustrations sont magnifiques, couvrant des doubles pages dans un style « papier peint »très coloré du plus bel effet.



En plus, l’album raconte une véritable histoire, ce n’est pas un simple exercice d’observation, et à la fin sont listés les ingrédients de chaque plat qu’il faut retrouver parmi différents dessins. Beau et ludique, une alternative au classique mais ronronnant  « Où est Charlie »dont l’esthétique particulièrement léchée séduira petits et grands.

Le festin de Raccoon de Marianne Ratier. Marmaille & compagnie, 2014. 44 pages. 16,00 euros. A partir de 3-4 ans.

L'avis de MyaRosa


samedi 4 octobre 2014

Tag défi positif



Tiens, un tag. Il y avait longtemps. Philisine a pensé à moi, c’est gentil de sa part et elle sait que je ne peux rien lui refuser. Le principe est simple, citer trois choses positives de ma journée, et ce trois jours de suite. Par chose positive, j’entends surtout moments agréables, et j’avoue qu’ils se font plutôt rares ces derniers temps. Mais en cherchant bien, j’ai trouvé quelques bricoles.

Jeudi 2 octobre

1) Prendre un café en bonne compagnie pour attaquer la journée sur de bons rails.


2) Aller parler de livres dans un collège. Soixante élèves en face de moi, 45 minutes pour leur donner envie de lire et me sentir bien, à ma place.

3) Trouver dans la boîte aux lettres le cadeau d’anniversaire de ma femme. Elle est déjà au courant mais rien ne pouvait lui faire plus plaisir.



Vendredi 3 octobre

1) Déposer comme chaque matin la petite dernière à la crèche et la sentir heureuse d’y aller. Jamais un pleur, jamais un au revoir. Elle m’ignore totalement dès la porte franchie pour aller rejoindre sa grande copine Emma qui lui tombe dans les bras. C’est trop mimi et je me réjouis de la voir couper le cordon aussi facilement (bon, entendons-nous, elle est quand même très contente de nous retrouver chaque soir, et c’est rien de le dire !).



2) Avoir comme chaque vendredi après-midi un « rendez-vous » que je ne raterais pour rien au monde tant il me fait du bien.

3) Apprendre un nouveau mot : sérendipité. J’aime bien enrichir mon vocabulaire, j’ai l’impression de me coucher moins bête le soir venu. Si vous ne savez pas ce que ça veut dire, vous ferez comme moi, vous chercherez. Et si vous êtes joueur, vous pourrez essayer de le placer dans une conversation. Pas simple…

Samedi 4 octobre

1) Aller à la banque pour finaliser le rachat de notre crédit immobilier et se dire que l’on va faire de sacrées économies.

2) Aller pour la 4ème fois de l’année chez le coiffeur, un record ! Avant c’était plutôt une fois tous les deux ans… Bon, là, je triche un peu, ce n’est pas vraiment un bon moment parce que j’ai horreur de ça mais on va dire que la chose positive c’est de sortir de chez le coiffeur en se disant que la corvée est terminée !

3) Un samedi soir entre amis, de l'excellent champagne... ou comment finir la semaine sur une note des plus agréables.


Comme d'habitude je ne tague personne, j'ai une réputation de "briseur de tag" à préserver.





vendredi 3 octobre 2014

Fannie et Freddie - Marcus Malte

Deux longues nouvelles dans ce recueil. La première se déroule à New York. On y croise Fannie et son œil de verre, en route pour un parking de Wall Street. Elle s’y gare et attend. Un homme lui demande de bouger sa voiture mais elle voudrait d’abord qu’il l’aide à sortir sa roue de secours du coffre. Le gars se penche vers la roue et elle lui balance une décharge de 900 000 volts avec un poing électrique avant de lui enfoncer une aiguille dans le cou et de l’embarquer jusque chez elle…

Dans la seconde, un flic de la Seyne-sur-Mer revient sur la plage où, des années plus tôt, on a trouvé le cadavre de son meilleur ami. « Il lui manquait une partie du visage. Le quart supérieur droit. Il lui manquait les cils, les sourcils et une oreille. Il lui manquait cette lueur de malice au fond des yeux qui souvent lui tenait lieu de passe-droit. […] Il lui manquait cette incroyable énergie, cette époustouflante santé des jeunes plants poussés à l’air libre. Il lui manquait le souffle et la vie. Paul avait quatorze ans. » Si la thèse du suicide a toujours été privilégiée, il n’y a jamais cru. Depuis, il s’est juré de retrouver le coupable…

Bienvenue chez Marcus Malte. Son univers glaçant, sa prose au scalpel et ses personnages un rien flippants. Dans la première nouvelle, je me suis cru revenu chez D. Ray Pollock avec une routarde du crime qui trouve ses victimes par hasard et cherche à leur en faire baver. Sauf que ce n’est pas si simple. La seconde est plus classique, pleine de tristesse et de mélancolie. Les deux sont parfaitement ciselées. On y trouve en toile de fond les dégâts de la mondialisation, la solitude, la violence, le poids des souvenirs, le temps qui passe et ravage les espoirs. Le propos se veut aussi politique, engagé. L’écriture est tendue, froide comme le marbre. Du Malte pur jus, oserais-je dire.

Fannie et Freddie de Marcus Malte. Zulma, 2014. 160 pages. 15,50 euros.

Et une nouvelle lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette.










jeudi 2 octobre 2014

La beauté du diable - Radhika Jha

Si vous passez ici régulièrement, vous savez que je suis un adepte du grand écart. Au niveau des lectures du moins. J’aime varier les plaisirs, sortir de ma zone de confort, m’aventurer sur des chemins totalement inconnus. C’est pour cela que je me suis laissé tenter par ce roman de prime abord digne du diable s’habille en Prada ou des confessions d’une accro du shopping. Je dis de prime abord parce qu’au final, on en est loin.

A Tokyo, Kayo, la narratrice, s’adresse à un mystérieux destinataire. Elle lui explique son parcours : mariée trop vite à un salaryman accaparé par son métier de banquier, elle devient mère trop jeune et végète dans un rôle de femme au foyer sans avenir ni perspectives. Son désœuvrement la ronge. L’ennui insondable qu’elle vit au quotidien la pousse inexorablement vers la dépression.  En retrouvant Tomoko, une ancienne camarade de lycée, elle découvre le monde de la mode, le shopping compulsif, les vêtements, chaussures et accessoires de marque. Elle enchaîne les ventes privées, fait sienne la devise de son mentor (« Les vêtements représentent le seul vrai pouvoir que nous autres femmes détenons sur le monde ») et finit par se brûler les ailes.

Ayant ouvert un compte sans en parler à son mari grâce à un don de sa mère, elle dépense sans compter jusqu’au jour où la source se tarît. Croulant sous les dettes, elle s’adresse à des usuriers mafieux pour obtenir un crédit. Les yakuzas vont lui faire comprendre qu’il y a un moyen très simple d’obtenir tout l’argent qu’elle désire en toute discrétion : la prostitution…

J’ai vraiment beaucoup, beaucoup aimé ce roman. Radhika Jha est indienne mais j’ai retrouvé dans son texte le sombre désespoir que j’apprécie tant dans la littérature japonaise contemporaine, notamment chez Murakami Ryu. Aucune superficialité malgré les apparences. Le mal être de Kayo est profond, elle achète pour exister, pour ne pas devenir invisible. Elle achète pour combler un vide qui a désespérément besoin d’être rempli. Sa confession agace, touche, inquiète. Elle fascine aussi. Sous les abords légers la cruauté affleure, le glamour devient glauque, l’ivresse du shopping tourne à l’aigre. Percutant et fort bien mené.


La beauté du diable de Radhika Jha. Picquier, 2014. 274 pages. 19,50 euros.









mercredi 1 octobre 2014

Chlorophylle T1 - Godi et Zidrou

Chlorophylle le lérot et son comparse Minimum le mulot sont de retour sur l’île de Coquefredouille, lieu de leurs anciens exploits. Invités par le roi Mitron XIII à la cérémonie d’ouverture de la 33ème édition du festival international de cinéma, les deux compères vont devoir affronter un groupuscule indépendantiste bien décidé à renverser le pouvoir en place. L’occasion pour eux de sortir de leur semi-retraite et de revivre une aventure digne de leur glorieux passé.

Attention, série culte ! Pour moi du moins. Chlorophylle, c’est toute mon enfance. Le premier album date de 1954, je n’étais évidemment pas né (ben oui, je suis encore très, très jeune, faut pas croire) mais je l’ai découvert trente ans plus tard, lorsque j’ai enfin eu le droit de mettre le nez dans les BD de mon père. Et Raymond Macherot, le créateur de Chlorophylle, reste dans mon panthéon  personnel comme un des plus grands auteurs de l’âge d’or de la bande dessinée franco-belge. Certes bien moins connu que Franquin, Morris, Uderzo, Peyo ou Roba, mais tout aussi talentueux. Un dessinateur animalier dont la poésie et les ambiances bucoliques ont fait rêver le petit garçon que j’étais à l’époque.

Bref, trêve de nostalgie, je me suis plongé dans cet album avec pas mal d’appréhension, tant les reprises de ce genre sont rarement convaincantes. Avant coup, la présence de Zidrou avait de quoi rassurer. Après coup, je me dis que le pari est gagné et que ce diable de scénariste a su trouver un certain équilibre en saupoudrant d’un zeste de modernité un univers forcément un peu daté et, oserais-dire, suranné. Ainsi, lorsque Chlorophylle reconnaît, en bon personnage de BD des années 50-60, qu’il ne sait pas s’y prendre avec les filles parce que, de son temps, « on naissait célibataire et on le restait jusqu’à ce que mort s’ensuive », il s’entend répondre : « De ton temps, c’est bien simple, on n’avait pas encore inventé le sexe ».

Le mélange de thématiques modernes et de respect de l’esprit original est donc une réussite. Niveau dessin, Godi n’est pas Macherot, c’est une évidence, mais il s’en sort plutôt bien. Maintenant, je ne sais pas si la résurrection d’une aussi vieille série va trouver son public, notamment chez les enfants. Sincèrement, j’en doute. Par rapport à Titeuf, aux P’tits diables ou aux Sisters, Chlorophylle ne fait pas vraiment le poids. Et par rapport aux BD jeunesse d’aventure, Les légendaires ou La rose écarlate sont bien plus attirants. Finalement, ce n’est peut-être qu’une madeleine de Proust à destination des « vieux » lecteurs comme moi. Pas certain que cela suffise à pérenniser cette reprise, même si un second tome est d’ores et déjà annoncé.

Chlorophylle T1 de Godi et Zidrou. Le Lombard, 2014. 48 pages. 10,60 euros.


Qui dit Zidrou dit Noukette, c'est donc une fois de plus avec elle que je partage cette lecture commune.











mardi 30 septembre 2014

Mots rumeurs, mots cutter - Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini

Le collège. Une histoire d’amour qui balbutie parce que le prince charmant, coureur patenté, ne veut pas se contenter de simples bisous et aimerait passer à la vitesse supérieure. Une fête entre copines qui tourne à la mauvaise blague, une photo compromettante et la vie de Léa devient un enfer, entre rumeurs, harcèlement, violence et cruauté…

Un vrai plaisir de retrouver le duo Charlotte Bousquet - Stéphanie Rubini après l’excellent « Rouge Tagada ». Une fois encore, l’adolescence est au cœur de leur propos. Et une fois encore, elles en dressent un tableau aussi sensible que réaliste. Des personnalités fragiles, une vraie souffrance, une réflexion profonde sur la force de l’image. Celle que l’on voudrait préserver, cultiver. Et celle que l’on renvoie, parfois bien malgré nous. Destructrice. Aujourd’hui les nouvelles technologies et les réseaux sociaux changent fortement notre rapport au monde. Tous les faits et gestes peuvent être relayés, partagés en deux clics. La méchanceté gratuite fait ensuite le reste et l’humiliation subie est parfois impossible à supporter. Tout cela est ici abordé en finesse, sans pathos, sans en rajouter des tonnes, sans tomber dans la mise en garde moralisatrice.

Le dessin est simple et efficace, le découpage reste constamment au service du récit et de la lisibilité tandis que les couleurs pastel adoucissent l’âpreté de certaines situations. La fin est joliment trouvée, elle montre que l’adversité offre parfois de magnifiques rencontres, mais je l’ai trouvée trop abrupte. J’ai refermé l'ouvrage avec la désagréable impression de laisser Léa en plan au moment où une éclaircie s’annonce, et j’aimerais vraiment découvrir la façon dont les choses vont se passer pour elle par la suite. Espérons que ce sera dans le dernier volume de cette trilogie adolescente qui, pour l'instant, ne souffre d'aucune fausse note.



Mots rumeurs, mots cutter de Charlotte Bousquet et Stéphanie Rubini. Gulf Stream, 2014. 72 pages. 15,00 euros.


Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Leiloona, Noukette et Stephie. M'est avis qu'elles ont aimé autant que moi...

Les avis de Laël et Liyah.





lundi 29 septembre 2014

Hyperbole - Allie Brosh

Bon, bon, bon. Un roman graphique qui donne dans l’autofiction avec un dessin digne d’une gamine de cinq ans, j’avais de quoi me réjouir à l’avance et me préparer à un dézingage en règle. Quand en plus la 4ème de couv m’apprend que tout cela est tiré d’un blog comptant 72 millions de visites, que son auteure, une américaine de vingt-cinq ans, a 500 000 fans sur Facebook et que le bouquin a été élu meilleur livre d’humour de l’année, Prix des libraires et best-seller du New York Times,  je me dis que tous les ingrédients sont réunis pour que je déteste ce que je vais lire.

Premier chapitre, elle revient sur quelques souvenirs d’enfance. Une gamine un peu étrange, qui consomme de la crème pour le visage comme on mange une glace, qui a des amis imaginaires morts, se balade constamment à poil et aime tellement les chiens qu’elle se comporte comme eux. Ok, c’est bien amené et je n’ai pu éviter quelques sourires. Le second chapitre est d’ailleurs consacré au meilleur ami de l’homme. Des chiens, elle en a deux. L’un est totalement crétin (elle va lui faire passer un test de QI dont les résultats parleront d’eux-mêmes…) et l’autre a tout du psychopathe. Là, j’ai franchement ri. Puis Allie se met à parler de son présent. Sa procrastination chronique, son incapacité à se comporter comme une adulte, ses angoisses existentielles, sa quête d’identité. Et sa dépression. Là on ne rigole plus vraiment.

Pour autant, pas question de sortir les mouchoirs. C’est là que la différence avec les autofictions graphiques que j’ai pu lire précédemment est la plus marquante. Allie Brosh affronte ses névroses avec humour et légèreté, avec une forme de désinvolture qui fait mouche. Ça ne l’empêche pas d’avoir de vraies réflexions profondes sur le mal qui la ronge, mais elle n’en rajoute pas des caisses et c’est franchement agréable. Du coup, on a envie d’écouter sa confession, on se sent moins voyeur et on est davantage touché.

Conclusion, alors que j’étais prêt à sortir les couteaux et à jouer les méchants, je dois bien reconnaître que tu m’as eu, Allie. Bon, tu dessines comme une patate, c’est indiscutable, mais tu as un vrai don pour l’autodérision. Il est devenu tellement rare de tomber sur des gens qui abordent des sujets graves sans se prendre au sérieux que je ne peux que te remercier pour ta fraîcheur revigorante.



Hyperbole d’Allie Brosh. Les arènes, 2014. 310 pages. 20,80 euros.




samedi 27 septembre 2014

Petit point sur ma rentrée littéraire

Plus d’un mois après la rentrée littéraire, j’ai déjà envie de faire un petit bilan perso. J’ai enchaîné des romans très différents les uns des autres et j’ai aimé l’érudition légère de Patrick Deville, l’ironie mordante d’Alma Brami, le sombre désespoir de Paul Harding, la langue éblouissante de Michel Jullien, la rudesse de Stéphane Guibourgé, la sauvagerie du western corse de Marc Biancarelli, l’univers flippant de Denis Michelis, le personnage lunaire d’Isabelle Minière, la drôlerie et l’irrévérence de Gauz et la finesse de la réflexion de Bertrand Guillot sur le monde des livres. Seul le roman de Burnside m’a laissé de marbre tandis que celui de Leïla Slimani m’a dans l’ensemble agacé. Bref, de très bonnes pioches  mais pour autant je n’ai pas encore eu le vrai gros coup de cœur absolu. Quelque part, ce n’est pas plus mal, je me dis qu’il reste à venir…

Donc, pour l’instant,

J'ai lu :

(pour lire mes billets sur ces ouvrages, c’est par ici)



Je lis :

Je lis toujours plusieurs titres en même temps, je ne sais pas faire autrement. Et parmi les trois ci-dessous, le Marcus Malte, commencé hier, s’annonce très prometteur.


Je lirai :

Il me reste de nombreux titres de la rentrée dans ma pal. Le futur est de mise et il pourra être très lointain puisque, comme d’habitude, j’ai les yeux plus gros que le ventre et certains de ces ouvrages ne seront pas lus avant plusieurs années, c’est une certitude. Malade, moi ? Sans doute. Et le pire c’est que je n’ai pas l’intention de me soigner.

Sinon, je me dis que le vrai coup de cœur se cache peut-être parmi ces seize candidats. Je place mes plus grands espoirs sur le Meyer et le Harchi, en espérant qu’un autre, dont j’attends peut-être moins, sera la divine surprise…




vendredi 26 septembre 2014

Je reviens de mourir - Antoine Dole

Il suffit de trois fois rien pour me donner envie de lire. Entendre Stephie et Noukette parler d’un roman coup de poing par exemple. Du genre « J'en suis encore le cul par terre moi, véridique... Fini il y a un petit quart d'heure et je sens qu'il va longtemps me hanter... Quel roman nom de Zeus !! » (Noukette) ou « Un titre qui tabasse. Je pense bien que c’est la première fois que je lis quelque chose comme cela. » (Stephie). Elles ont ce don de me donner envie, je n’y peux rien (envie de lire, hein !). Du coup j’ai regardé si ce roman était disponible dans le réseau des médiathèques de ma ville. Il y était. Je me suis donc précipité pour aller l’emprunter. Je l’ai dévoré d’une traite et je peux vous en parler aujourd’hui. Enfin, si j’y parviens, parce qu’avec ce titre, on est au-delà du coup de poing…

Deux histoires s’entrecroisent. D’un coté celle de Marion, folle amoureuse de Nicolas. Au point de tout accepter. Les coups, les clients qu’il lui trouve et auxquels elle s’offre contre une enveloppe pleine de cash. De l’autre celle d’Ève, mangeuse d’hommes qui se perd en rencontres d’un soir, juste pour le sexe, sans jamais laisser la moindre chance aux sentiments. Deux femmes totalement perdues dont les routes vont finir par se croiser, pour le pire…

Ce roman est dégueulasse. Dégueulasse dans la mesure où il s’en dégage quelque chose de répugnant. Physiquement et moralement. Et malgré cela, une fois ouvert, impossible de le lâcher. Pas à cause d’une fascination un peu morbide. Juste parce que le phrasé syncopé d’Antoine Dole vous saute à la gorge et vous décrit l’indicible avec une puissance qui submerge. Il vous fouille les entrailles, gratte jusqu’à l’os et vous met les nerfs à vif.

Incroyable de découvrir un premier roman si mature alors qu’au moment de sa publication son auteur n’avait même pas 30 ans. La façon de décrire la douleur physique et morale de ces femmes est d’une justesse et d’un réalisme à couper le souffle. Aucune facilité, pas de déballage gratuit en dépit des apparences. Les mots se gravent au fer rouge sur la rétine, vous mettent mal à l’aise, vous laissent au bord de la nausée. C’est cru, c’est extrêmement violent, c’est d’une noirceur absolue, c’est l’expression du désespoir et de la solitude comme je ne l’ai jamais lue. C’est une fin que l’on ne voit pas venir, sur laquelle on réfléchit longtemps après avoir refermé le livre. On cherche alors à rembobiner le fil du récit pour retrouver les indices et l’évidence apparaît : il ne pouvait pas en être autrement.

Je ne veux pas en dire plus, je me demande même si je n’en ai pas déjà trop dit. C’est un roman que l’on doit se prendre de plein fouet, sans en savoir trop à l’avance. Une expérience de lecture intense et qui bouscule. Vraiment très, très fort !

Je reviens de mourir d’Antoine Dole. Sarbacane, 2014. 135 pages. 10 euros.

Une lecture commune dans laquelle m'a embarqué ma binômette préférée. Ce n'était pas prévu au programme mais, comme d'habitude, elle a su trouver les bons arguments...

L'avis de Stephie

Extraits :

« Il l’a gardé six mois au fond de lui, petit diable dans sa boîte à l’intérieur du ventre. Juste attendre que l’hameçon soit profond dans mon cœur, bien ancré dans mes chairs, pour faire jaillir le monstre. Patient, pour voir si je n’étais pas le genre de filles cinglée qui s’emballe trop vite. Être sûr que je serais prête à tout. Et je l’étais, clair que je l’étais. »

« Il ne franchit pas la limite, il la repousse, et plus j’accepte, plus je dois accepter. Si notre histoire s’arrêtait j’aurais peur de réaliser tout ce qu’il m’a fait. Tout ce que j’ai fait. Ne pas formuler le gâchis. »







jeudi 25 septembre 2014

Dans la chambre obscure - R.K Narayan

Savitri est une épouse modèle qui élève ses trois enfants et est au service de son mari, Ramani. Un mari dont le job d’assureur offre un confortable niveau de vie à la famille mais qui est aussi un caractériel lunatique difficile à supporter au quotidien. Après quinze années de vie conjugale, elle regrette de ne pas s’être affirmée dès le départ, de ne pas avoir pris la direction du ménage pour mener son époux à la baguette, comme a su le faire son amie Gangu. Au lieu de cela, elle subit chaque jour les affronts sans broncher. Mais lorsqu’elle découvre la liaison que monsieur entretient avec l’une de ses employés, elle décide de quitter le foyer pour s’assumer pleinement.

Un roman indien de 1938 qui navigue entre comédie de mœurs et chronique familiale. Le ton est faussement léger et les rêves d’émancipation de Savitri résonnent de manière touchante. Cette femme qui se révolte en vain, prisonnière de traditions séculaires sur lesquelles elle n’a aucune prise, devra se rendre à l’évidence : impossible d’échapper à sa condition dans la bourgeoisie indienne des années 30.

La façon dont elle est traitée par son mari l’insupporte et elle ne se prive pas de lui faire remarquer : « Je suis un être humain. Vous autres hommes, vous ne l’admettrez jamais. Pour vous, nous ne sommes que des jouets quand vous êtes d’humeur à caresser, et des esclaves le reste du temps. Ne croyez pas que vous pouvez nous cajoler quand ça vous chante et nous donner des coups de pied selon votre bon plaisir ». Mais quelques pages plus loin, l’évidence la rattrape : « Que puis-je faire par moi-même ? Je ne suis pas capable de gagner une poignée de riz, si ce n’est en mendiant. Si j’étais allée au collège, si j’avais étudié, j’aurais pu devenir institutrice par exemple. J’ai été stupide de ne pas poursuivre mes études. […] Quelle différence y-a-t-il entre une prostituée et une femme mariée ? La prostitué change d’hommes, une femme mariée n’en change pas, mais c’est tout, toutes les deux sont entretenues de la même façon. »

Pour Ramani, il y a bien moins de questions à se poser : « Il admettait, bien sûr, que le Mouvement des femmes n’était pas complètement absurde : il n’y avait pas de raison de les empêcher de lire des romans anglais, de jouer au tennis, d’organiser des conférences nationales et d’aller de temps en temps au cinéma ; mais cela ne devait pas leur faire oublier leurs devoirs primordiaux d’épouses et de mère ; il ne fallait pas qu’elles essaient de singer les femmes occidentales, qui, toutes, vivaient dans un déferlement de libertinage et de divorces. Pour lui, l’Inde devait sa prééminence spirituelle au fait que les gens comprenaient que le premier devoir d’une femme était d’être épouse et mère, mais quelle femme gardait le droit d’être considérée comme une épouse, si elle désobéissait à son mari ? ».

Un très joli portrait de femme, tout en délicatesse. Seule la conclusion, bien trop abrupte, m’a laissé sur ma faim. Il faut dire que j’aurais aimé passer davantage de temps encore avec l’indomptable Savitri.

Dans la chambre obscure de R.K Narayan. Zulma, 2014. 185 pages. 8,95 euros.



mercredi 24 septembre 2014

Prévert, inventeur - Cailleaux et Bourhis

Prévert est le poète de l'école par excellence. Celui que tous les élèves vont croiser au moins une fois au cours de leur scolarité. Mais avant d'être poète, le bon Jacques a été un gamin de vingt ans. Après la conscription en Turquie où il rencontrera Marcel Duhamel, il rentre à Paris. Nous sommes en 1921 et avec son ami le peintre Yves Tanguy, il va connaître une existence bohème. De petits boulots en glandouille permanente, de colocations festives en soirées arrosées, le jeune homme traverse les années 20 en toute insouciance, comme si demain n'existait pas.

Une biographie dessinée passionnante car elle montre Prévert avant Prévert. Un gosse jouant les dandys, punk avant l'heure, vivant au crochet de ses proches, reconnaissant qu'il n'a « aucun goût pour le travail ». Il multiplie les excès, ne respecte rien ni personne. Alors qu'il na pas encore écrit quoi que ce soit, il se permet de déclarer à Desnos : « Je connais votre travail, vous savez. Je trouve ça dégueulasse. Positivement dégueulasse. » Fréquentant André Breton et les surréalistes, participant activement à l'invention des fameux « cadavres exquis », il va peu à peu trouver sa voix en scénarisant des courts métrages, notamment pour son frère, Pierre. A la fin de ce premier volume (il y en aura trois en tout), alors que le cinéma l'accapare à plein temps, un de ses textes est publié dans la revue « Commerce » fondée par Paul Valéry. Une entrée en littérature timide, au cours de l'été 1931, qui lui ouvrira bien d'autres portes.

Graphiquement, Christophe Cailleaux a pris le parti de faire sauter les cadres classiques de la narration en faisant de chaque page un mini tableau sans véritable case. Une façon de recréer le foisonnement du Paris des années folles et de mettre en lumière la liberté et l’irrévérence de son personnage. Ce coté déstructuré ne nuit en aucun cas à la lisibilité, il donne au contraire une dimension supplémentaire au récit.

Un vrai bonheur de découvrir Prévert loin de l'image d'Épinal du vieux poète chantant la nature et l'enfance. Sa jeunesse rock'n roll méritait bien un album et Cailleaux et Bourhis lui rendent ici un bel hommage !


Prévert, inventeur de Cailleaux et Bourhis. Dupuis, 2014. 72 pages. 16,50 euros.







mardi 23 septembre 2014

Confessions d’un apprenti gangster - Axl Cendres

Pas facile d’avoir un père gangster. Le voir uniquement au parloir de la prison, être élevé par une maman courageuse dans un quartier populaire et découvrir en grandissant que si papa est derrière les barreaux pour « un braquage qui a mal tourné », c’est surtout parce qu’il a tué un homme. Et le vrai danger, c’est de vouloir suivre les traces de son paternel. Un danger que le narrateur ne pourra éviter à l’adolescence, en se lançant dans le banditisme sans véritablement connaître la réussite escomptée…

Un petit roman que je qualifierais de « sans prétention ». C’est bien mené, le héros est attachant mais l’ensemble manque un peu de profondeur. Tout va trop vite et certaines situations ne m’ont pas du tout semblé crédibles. Après, c’est suffisamment rythmé pour qu’on ne le lâche pas une fois entamé et le message se veut positif : non, l’atavisme n’est pas une fatalité et il suffit quelquefois d’une rencontre, d’une personne qui vous tient le bon discours au bon moment pour qu’une prise de conscience salvatrice s’opère.

Ce texte, par son thème et sa simplicité, constitue le livre accroche idéal pour les enfants qui ont du mal à trouver un quelconque intérêt à la lecture. Finalement, c’est typiquement le genre d’ouvrage dont on a besoin au CDI pour « ferrer » ceux qui ne sont pas des dévoreurs de livres.

Confessions d’un apprenti gangster d’Axl Cendres. Sarbacane, 2013. 94 pages. 8,50 euros. A partir de 13 ans.

Une nouvelle lecture jeunesse que je partage comme chaque mardi avec Noukette.

lundi 22 septembre 2014

Entre ciel et terre T1 - Golo Zhao

Soyons honnête, je n’ai pas tout compris. Pourtant j’aime beaucoup Golo Zhao et sa balade de Yaya m’avait enchanté mais là, rien à faire, je me demande encore où il a voulu m’emmener.

Ça commence par l’histoire de Huit, une petite fille qui voudrait monter au ciel pour rejoindre sa maman décédée (déjà, bonjour l’ambiance !). Un soir, elle escalade le plus grand arbre du village avant de disparaître. Son ami Ming, parti la secourir, ne retrouvera que ses chaussures posées sur des branches. Quelques années plus tard, Ming s’est installé dans un autre village. Devenu marchand de graines, il se perd un jour dans la forêt, rencontre une créature fabuleuse ayant pris l’apparence d’une jeune fille et la ramène chez lui. Au même moment entrent en scène un prêtre taoïste, une chasseuse de démon et l’inspecteur Zhou Butong, chargé d’enquêter sur la disparition de Huit. Quant à la créature fabuleuse, elle explique à son hôte qu’elle doit pratiquer la Voie (????), « un processus incessant d’apprentissage et d’imitation des humains ».

Vous me suivez ? Ça m’étonnerait… En tout cas c’est tout ce qui m’est resté en tournant la dernière page. Une grande confusion, l’impression que l’on ouvre des tas de porte sans jamais penser à les refermer. Les fils narratifs jetés dans tous les sens vont sans doute se rejoindre à un moment ou l’autre mais ce n’est malheureusement pas le cas à la fin de ce premier tome. En plus, les références au taoïsme semblent importantes pour saisir le pourquoi du comment mais je manque cruellement de connaissances sur le sujet pour y voir clair.

Au final, il me reste la désagréable sensation d’avoir perdu mon temps. Le dessin est toujours aussi agréable mais pour le reste, mieux vaut attendre la suite et tout lire d’une traite parce que là, je ne suis que frustration.

Entre ciel et terre T1 de Golo Zhao. Cambourakis, 2014. 206 pages. 15,00 euros.