lundi 26 août 2013

La Lettre à Helga - Bergsveinn Birgisson

A plus de 90 ans, Bjarni Gislason a décidé d’écrire une dernière lettre. Une lettre destinée à sa chère Helga, son seul véritable amour. Avec sa femme Unnur, ce n’était pas pareil. Elle n’a jamais pu avoir d’enfant et leurs relations en ont été particulièrement détériorées. Une vie de couple pleine de rancœur et d’amertume que Bjarni fuyait dès qu’il le pouvait. Éleveur de moutons et contrôleur cantonal des réserves de fourrage, il devait souvent se rendre dans les fermes alentour pour évaluer la santé des cheptels. C’est dans une de ces fermes, pendant la seconde guerre mondiale, qu’il a rencontré Helga. Une femme sensuelle à la poitrine opulente qui l’a rendu fou de désir. Leur adultère fut aussi passionné que foudroyant. Lorsqu’Helga tomba enceinte, elle lui proposa de quitter leur trou perdu pour partir à Reykjavik. Mais le fermier refusa d’abandonner sa terre et brisa à jamais leur relation. Quarante ans plus tard, il ressent le besoin d’écrire cette longue lettre pour expliquer à Helga les raisons de son choix. Forcément trop tard…  

Ce pourrait être la triste litanie d’un vieillard en bout de course. Ce pourrait être un texte tire-larmes où un homme se retourne une dernière fois sur des occasions manquées. Et bien c’est tout sauf ça. Certes Bjarni constate qu’il a raté quelque chose. Mais il le fait avec tellement de détachement, d’humour et d’autodérision que c’est un régal. Avec lui on découvre la vie dans les campagnes islandaises au tournant de la modernité. On accueille les premiers tracteurs mais l’isolement est tel qu’il faut parfois fumer les morts comme des poissons au cœur de l’hiver pour les conserver en attendant de pouvoir les enterrer au printemps. Pour traiter les brebis contre la gale, il faut les tremper manuellement dans une mixture composée à 90% d’urine. Il raconte aussi son échec au concours du plus beau bélier où il était pourtant certain de gagner. Des pratiques d’un autre âge sur lesquelles il revient sans amertume mais avec un réel plaisir. Concernant la fin de leur histoire, il assume totalement son choix même s’il sait que c’était sans doute une erreur : « Ici, à la campagne, j’ai eu de l’importance. Et si ce n’est qu’une idée, au moins aurais-je eu l’impression d’en avoir. Voila une différence qui compte. »     

Ce qui est formidable, c’est le ton sur lequel il rédige sa lettre. Léger et fleuri, souvent très drôle (« Te voir nue dans les rayons de soleil était revigorant comme la vision d’une fleur sur un escarpement rocheux. Je ne connais rien qui puisse égaler la beauté de ce spectacle. La seule chose qui me vienne à l’esprit est l’arrivée de mon tracteur Farmall. »), c’est franc, direct, en toute sincérité. J’ai aussi adoré la façon dont il parle du désir qui a été l’aiguillon de sa relation avec Helga : « Ensuite je t’aurais embrassée, des attouchements hâtifs auraient eu lieu avant que je ne baisse mon froc tandis que tu relevais ton pull de grosse laine pour dénuder tes seins et là, mes cuisses couleur d’aspirine se seraient mises à claquer contre toi, tandis que le courlis roucoulais dans l’air lourd du parfum de la bruyère, et nous deux, pauvres créatures, là, dans le creux, n’en aurions plus fait qu’une, l’espace d’un instant, jusqu’au dernier soupir de la montée de sève, quand la gelée blanche aurait dégouliné sur la face  interne de ta cuisse sur quelques brins d’herbe sèche, seuls témoins de l’embrasement qui nous avait saisis. »  Ces quelques lignes sont à des années lumières du purin que nous offre les Cinquante nuances de grey et consorts. Tellement supérieur, tellement plus proche de la littérature que j’aime.

Un premier roman somptueux, tragi-comique à souhait et qui m’a fait passer un délicieux moment de lecture. Un véritable coup de cœur. Pour le plaisir, je vous offre une dernier extrait : « Je te le dis du fond du cœur, ma Belle, je ne suis plus qu’une vieille bûche vermoulue et pourrie gisant sur le rivage du temps, d’où le ressac m’emportera bientôt. Et nul ne pleurera ma disparition. C’est bien vrai ce que disaient les anciens : on devient lâche en vieillissant. »  


La Lettre à Helga
de Bergsveinn Birgisson. Zulma, 2013. 130 pages. 16,50 euros. 


Comme hier c'est une lecture commune que je partage avec Marilyne et comme hier c'est un coup de cœur commun. Jamais deux sans trois ?









dimanche 25 août 2013

Monde sans oiseaux - Karin Serres

C’est un village isolé au bord d’un lac. Un village sur roulettes où chaque maison peut être déplacée quand les eaux montent pour éviter l’inondation. Un village où les cochons sont fluorescents et savent nager. Au fond du lac repose une forêt de cercueils, ceux des habitants morts qu’on laisse glisser sous les flots sombres en guise d’enterrement. Dans ce village est née « Petite boîte d’os », la fille du pasteur. A l’adolescence, la gamine est en crise : «  Je ne les supporte plus, tous, leurs vies, nos vies ordonnées, régulières et policées. Je déteste notre joli village aux maisons multicolores, bien droites et propres au-dessus de leur joli reflet. Je hais les jours qui se succèdent, toujours les mêmes. Le temps passe, je grandis, mon destin se dessine au-dessus de l’eau plate, planche après planche, pas après pas : mariage, enfants, promenade, vaisselle… et je n’en veux pas. » Mais quand  le vieux Joseph réapparaît comme par enchantement, la donne change. Le vieux Joseph que la légende qualifie de cannibale et qui va devenir l’amour de sa vie.

Ce premier roman est magique. Une bulle hors du temps et des modes. Karin Serres vous prend par la main et vous emmène dans un univers étrange, à la fois improbable et tellement réel. Elle raconte une histoire d’amour et de mort(s),  la fin d’un monde. Sa prose au lyrisme contenu est ciselée, très musicale. On traverse avec délice l’existence de Petite boîte d’os, ses joies et ses peines. L’originalité tient dans le ton choisi, ce souffle de liberté que l’on ressent dans chaque phrase. Aucune timidité dans cette écriture qui allie poésie, sensualité et réalisme mais au contraire beaucoup d’audace. Forcément je suis fan.

Le texte est truffé de très beaux passages :
-  sur la mort (après une fausse couche) : « Je ne pense qu’à la mort. Elle est entrée en moi, elle y a tué quelque chose que je n’ai pas su protéger réparer, ressusciter, alors elle peut bien rester, me coloniser tout entière, je ne résisterai pas. Plus de force. Je suis une enveloppe vide, une cosse humaine qui parle, mange ou dort sans savoir pourquoi. »
- sur la douleur (au moment d’un accouchement) : « La douleur est peut-être un organisme vivant, invisible mais réel, qui habite à l’intérieur de notre corps. Parfois il se réveille, s’agite violemment, mais le reste du temps il dort. Du bout de ses tentacules, soudain, il appuie sur nos gencives, nos tympans, nos seins adolescents ou notre utérus comme là, maintenant, aaargh ! […] Mais que devient-il quand on meurt ? »

- sur la perte des êtres chers : « On ne sait jamais, la dernière fois qu’on voit les gens qu’on aime, que ce sera la dernière fois. »

Un grand premier roman, je pèse mes mots.

Monde sans oiseaux de Karin Serres. Stock, 2013. 106 pages. 12,50 euros.

Un lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Marilyne. Mon petit doigt me dit qu'elle a aussi beaucoup aimé.








samedi 24 août 2013

Myrmidon T1 : Myrmidon au pays des cow-boys - Loïc Dauvillier et Thierry Martin

Il a une bonne bouille ce Myrmidon avec ses cheveux roux et son sourire en coin. En plus il est un peu magicien. Il suffit qu’il enfile un costume pour que le monde qui l’entoure change radicalement. Ici c’est en coiffant un chapeau de cow-boy qu’il se retrouve avec des indiens  aux trousses. En route pour la grande aventure !

Myrmidon, c’est l’imagination au pouvoir.  Avec lui les jeux d’enfants les plus classiques prennent une tournure exceptionnelle. Cow-boy contre indiens, fuite à cheval et pluie de flèches, il va falloir au jeune garçon une bonne dose de malice et de courage pour s’en sortir.

Encore un album sans texte des éditions de La Gouttière qui est une vraie réussite. Dans ce type d’ouvrage, le plus important reste la lisibilité. Loïc Dauvillier et Thierry Martin (dont j’avais soit dit en passant adoré l’adaptation du Roman de Renart en BD) l’ont bien compris : se focaliser sur le déplacement de la caméra, le rendre le plus fluide possible ; réduire le décor au minimum pour concentrer l’attention su le mouvement, la recette est bien moins facile à mettre en œuvre qu’il n'y parait. Finalement il faut développer une forme de complicité avec le tout jeune lecteur, lui offrir des codes de compréhension simples lui permettant de s’affranchir de longues explications. L’hermétisme n’a pas lieu d’être dans un tel album, il serait un frein trop important au plaisir de la lecture. Ici, l’alternance entre les illustrations pleine page, et les planches en deux cases où se succèdent bandes horizontales te verticales donnent du rythme à la course folle de Myrmidon et évite toute lassitude.

Un gamin auquel il est possible de s’identifier au premier coup d’œil, une aventure que l’on aimerait pouvoir vivre soi-même et un livre que l’on peut lire en totale autonomie dès 3-4 ans. Que demander de plus ?

Myrmidon au pays des cow-boys de Loïc Dauvillier et Thierry Martin. Éd. de la Gouttière, 2013. 32 pages. 9,70 €. A partir de 3-4 ans.

Une lecture commune avec Mo' et Noukette. C'est toujours un bonheur pour moi de partager un album de La Gouttière avec vous mesdames !





vendredi 23 août 2013

Just Kids - Patti Smith

A quoi ça tient un destin parfois ? Celui de Patti Smith s’est joué dans une cabine téléphonique. L’été 1967, à 21 ans, elle décide de quitter son New Jersey natal et de rejoindre New York avec pour seule possession une valise et le montant exact du trajet en petite monnaie. Arrivée à la gare routière, elle découvre que le prix du billet a presque doublé depuis la seule et unique fois où elle s’est rendue dans la Big Apple. Honteuse à l’idée de devoir rentrer chez elle, elle s’isole dans une cabine téléphonique pour réfléchir à la situation et découvre un sac à main posé sur un annuaire. A l’intérieur, 32 dollars, largement de quoi se payer le voyage : «  J’ai pris l’argent et déposé le sac au guichet. […] Je ne peux que remercier, comme je l’ai bien souvent fait intérieurement toutes ces années durant, cette bienfaitrice inconnue. C’est elle qui m’a donné l’ultime encouragement, le porte-bonheur de la voleuse. J’ai accepté le don du petit sac à main blanc comme si c’était le doigt du destin qui me poussait en avant. »

Passionnée de dessin, de peinture, de littérature et de poésie, Patti quitte les siens sans véritable but. Arrivé sur place, elle pense pouvoir se loger chez des amis mais ceux-ci ont déménagé sans laisser d'adresse. Se retrouvant à la rue, elle dépose des CV dans des librairies et des magasins de mode. En attendant des réponses qui tardent à venir, elle dort dans des cimetières, des cages d’escalier ou des wagons de métro. Elle trouve enfin un boulot de caissière dans une échoppe vendant des bijoux fantaisies et son destin bascule à nouveau le jour où elle sert un jeune homme qui deviendra son inséparable compagnon de route. Il s’appelle Robert Mapplethorpe et avec lui elle veut refaire le monde. Fascinés par l’art, ils vont se lancer dans de nombreuses expérimentations allant du collage à la photographie en passant bien sûr par le dessin et la poésie.  Pendant des semaines, des mois et même des années, le couple va subir quelques tempêtes et bouffer de la vache enragée.  D’abord amants puis liés par un indéfectible lien d’amitié, Patti et Robert vont traverser la fin des années 60 et le début des années 70 portés par le souffle d’intense créativité qui balaie New York. Dans leur sillage, on croise Andy Wharol, Allen Ginsberg, Janis Joplin, Jimi Hendrix et tant d’autres.

La carrière de chanteuse de Patti commence par le biais de la poésie. Fascinée par Rimbaud (le chapitre où elle relate son périple à Charleville en 1973 est tout en émotion), elle parvient à placer quelques textes dans des revues avant de faire des lectures dans les bars. Elle y affronte un public difficile, chahuteur, indifférent ou vindicatif. C’est grâce à ces prestations souvent chaotiques qu’elle va se forger une identité scénique des plus solides. En posant des notes de musique sur ses mots, c’est la révélation. Entourée de musiciens, Patti déploie ses ailes et créé une parfaite fusion entre la poésie et le rockn’roll. Une recherche de simplicité dépouillée de tout artifice, une forme de sauvagerie et de pureté : « Nous avions peur que la musique qui était notre nourriture ne se trouve en danger de famine spirituelle. Nous avions peur qu’elle perde sa raison d’être. Nous avions peur qu’elle s’enlise dans un bourbier de spectacle, de finances et d’insipides complexités techniques. »

Cette autobiographie m’a passionné. Quelle femme, quelle vie, quelle époque ! Patti et Robert, c'est un couple indestructible à la curiosité intellectuelle permanente guidé sur la voie de l’art par la fréquentation de figures mythiques et qui n’aura cessé d’élargir le champ des possibles. Just Kids, des gamins inséparables qui seront parvenus à réaliser leurs rêves. Une histoire belle et tragique.

Les dernières pages sont bouleversantes. A la fin des années 80, Patti s’est mariée et a eu deux enfants. Robert est devenu un célèbre photographe. Malade du sida, il se meurt et sa compagne de toujours lui rend visite le plus souvent possible. Entre eux la magie est toujours présente. De leur ultime rencontre elle dira : « La lumière ruisselait à travers les vitres sur ses photos et ce poème silencieux que nous formions, assis ensemble une dernière fois. Robert mourant : il créait le silence. Moi, destinée à vivre, j’écoutais attentivement un silence qu’il faudrait toute une vie pour exprimer. »  Juste avant sa mort, elle lui écrit quelques mots : « l’idée m’est venue, en regardant tout tes objets, tes œuvres et en passant en revue mentalement des années de travail, que de toutes tes œuvres tu es encore la plus belle. La plus belle de toutes les œuvres. »

Robert s’est éteint le 9 mars 1989. Lorsqu’elle a appris sa mort, Patti écoutait La Tosca entamer la sublime aria « Vissi d’arte » : J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art.  « J’ai fermé les yeux et joint les mains. La providence décidait des termes de mon adieu. »


Just Kids de Patti Smith. Folio, 2012. 380 pages. 7,70 euros.

Un grand merci à Manu sans qui je n'aurais jamais eu l'idée de me pencher sur ce titre. C'est son billet enthousiaste qui m'a convaincu et je ne le regrette pas !

L'avis de Voyelle et consonne

jeudi 22 août 2013

Une nuit d’angoisse - Clément Bouvier

On est à la veille de la rentrée scolaire et Tomy ne peut pas fermer l’œil. Demain il va découvrir sa nouvelle école et il angoisse terriblement. Peur de ne pas se faire d’amis, d’être pris à partie dans la cour de récré, de devenir la tête de turc de la classe. L’idée lui est insupportable. Il décide donc de fuguer. Pour aller où, il ne sait pas trop. Juste s’éloigner le plus possible du sombre lendemain qui l’attend. Mais quand un enfant part seul en pleine nuit à travers les rues d’une ville endormie, c’est risqué. Surtout quand un kidnappeur rôde et qu’il a déjà fait trois victimes.  

Un roman à suspens qui joue avec malice sur les codes du genre. La tension monte au fil des pages, le coté angoissant est bien amené et si tout se termine évidemment bien, on a quand même eu le temps de se faire quelques frayeurs. Avec ces chapitres courts, sa pagination limitée et son écriture très simple, c’est un ouvrage idéal pour remettre en confiance des enfants de 9-10 ans qui auraient quelques soucis avec la lecture. Pas si courant finalement de tomber sur des petits romans jeunesse à la mécanique aussi bien huilée.


Une nuit d’angoisse de Clément Bouvier. Oskar, 2013. 62 pages. 7,95 euros. A partir de 9 ans.

mercredi 21 août 2013

Mon ami Dahmer - Derf Backderf

Au cours des années 70, Derf Backderf a côtoyé Jeffrey Dahmer au collège puis au lycée. Dahmer qui sera arrêté en 1991 et reconnaîtra dix-sept meurtres perpétrés sur de jeunes hommes. Des crimes affreux commis pour la plupart à la fin des années 80 et accompagnés de viols, de nécrophilie et de cannibalisme. Dans ce roman graphique en noir blanc, Backderf revient sur cette période de sa jeunesse où il a fréquenté sans le savoir un serial killer en devenir.

L’exercice est casse-gueule. Ne pas tomber dans le sensationnalisme, ne pas non plus être dans le jugement mais simplement essayer de comprendre comment un ado à priori comme les autres a pu devenir un tel monstre. Je dis à priori parce que Dahmer était quand même un gamin un peu particulier. Taciturne, solitaire, vivant avec des parents qui passaient leur temps à s’enguirlander et qui ne se sont jamais intéressés à lui. Sans parler son homosexualité qui apparaît comme une évidence et qu’il voudrait refouler, son attirance pour les univers morbides et les cadavres d’animaux sur lesquels il se livrait à de sordides expériences, un alcoolisme chronique dès les premières années du lycée, bref pas vraiment un ado comme les autres en fait.

Soyons clair, je n’ai pas du tout été fasciné par le parcours de Dahmer ni par sa relation avec Backderf. Horrifié plutôt de constater que personne n’a pu, su ou voulu voir à quel point cet élève en souffrance avait besoin d’aide. Les profs surtout auraient dû déceler les signaux de ce mal-être persistant. Facile à dire après coup, c’est vrai, mais quand même.    

Quoi qu’il en soit voila un drôle d’album. Glaçant et dérangeant. Dérangeant dans la mesure où j’ai du mal à saisir les intentions de l’auteur. Pourquoi avoir voulu raconter cette relation qui n’était même pas amicale ? Comme ses camarades, Backderf a passé son temps à ignorer Dahmer. Tout juste le considérait-il comme une espèce de freaks capable d’amuser la galerie lorsqu’il se lançait dans d’étranges imitations. Son récit est très documenté mais il tombe parfois dans l’anecdotique. Alors quel est le but ? Dérouler comme il le prétend dans la préface le fil d’une « histoire tragique qui n’a rien perdu de sa puissance dramatique » ? Pourquoi pas mais je n’ai pas du tout ressenti cet aspect. Une manière pour lui d'exorciser une expérience qui, à posteriori, avait tout pour être flippante ?  Possible. Ou alors, mais je n’ose le croire, une tentative opportuniste de mettre en lumière son talent d’auteur en appâtant le chaland avec une figure de tueur en série qui exerce toujours une certaine fascination sur le grand public ?

Disons qu’il y a comme un malaise et que j’ai été incapable en refermant l’ouvrage de savoir si j’avais ou pas apprécié cette lecture. Très bizarre comme sensation, j’ai l’impression d’être un peu perdu…


Mon ami Dahmer de Derf Backderf. Çà et Là, 2013. 222 pages. 20 euros. 

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' ! Filez-vite voir son avis qui vous éclairera sans doute davantage que le mien.

Les avis de Lunch ; Choco ; Joëlle ; Theoma ; Yvan ; Oliv











mardi 20 août 2013

Pas assez pour faire une femme - Jeanne Benameur

Judith croise son regard dans un amphi bondé. Il parle avec éloquence. C’est le coup de foudre immédiat. Son premier amour, sa première fois. Elle a 17 ans et vient de rentrer à la fac, on est au cœur des années 70. Avec lui elle va grandir et exorciser les démons de l’enfance. Peu à peu, elle va se politiser et constater avec lucidité que le conservatisme paternel est un frein à sa propre liberté. 

Jeanne Benameur signe son retour chez Thierry Magnier avec un texte tout en sensibilité. Comme d’habitude me direz-vous. Il est ici question d’amour, de désir, d’éveil à une conscience politique, d’émancipation, du rapport au père, de secret de famille. C'est l'histoire d'une métamorphose, d'un chemin tortueux qui mène une jeune fille vers le statut de femme à part entière. Des phrases courtes, susurrées comme dans un souffle. Les livres tiennent évidemment une place importante dans ce récit à la première personne proche de la confession intime. Oscillant sans cesse entre retenue et sensualité, la voix de Judith résonne avec force.                

Un très beau texte (forcément avec Jeanne Benameur), peut-être un poil trop féminin (féministe ?) pour emporter ma totale adhésion. Mais bon, je chipote. Lire cette auteure reste un plaisir à nul autre pareil. Ce n’est pas ma chère Noukette, avec qui j’ai le plaisir de partager cette lecture commune, qui dira le contraire. Filez donc voir son avis, ce sera l'occasion de découvrir son nouveau "chez elle". En plus vous êtes certain d'y être accueilli avec le sourire. 

Pas assez pour faire une femme de Jeanne Benameur. Thierry Magnier, 2013. 90 pages. 12,80 €.

Les avis de : Un autre endroit pour lire ; Bricabook








lundi 19 août 2013

Arelate T1 et T2 - Laurent Sieurac et Alain Genot

Arles, fin du premier siècle après J-C. Vitalis le tailleur de pierres vient une fois de plus de se faire renvoyer d’un chantier. La fois de trop sans doute puisque plus aucun contremaître ne veut de lui. Bagarreur et incurable joueur de dés, il passe son temps à parier avec les autres ouvriers au lieu de travailler. Ayant contracté pas mal de dettes, il rentre chez lui la queue entre les jambes annoncer à sa femme enceinte qu’il est une fois de plus au chômage. Sollicité quelques temps plus tard par Atticus, un ancien gladiateur devenu entraîneur, Vitalis doit se résoudre à embrasser une carrière à laquelle il n’était absolument pas destiné au départ. En signant son contrat d’engagement auprès d’un promoteur, le jeune homme renonce à la citoyenneté mais trouve par la même le seul et unique moyen de gagner l’argent nécessaire pour rembourser ses créanciers. Seulement le plus dur commence, car pour devenir un gladiateur de talent, le parcours est long et difficile...

Une BD historique de plus sur la Rome antique ? Pas vraiment. Ne cherchez ici aucun empereur aux mœurs débridées. Point non plus d’épiques batailles ou d’intrigues politiques complexes mais plutôt une plongée dans le quotidien des gens du peuple. Le pari est très didactique. Aidé par un archéologue, Laurent Sieurac met en perspective les connaissances scientifiques les plus actuelles concernant le monde romain. Ainsi l’image des gladiateurs  présentée dans cette BD est à des années lumières des standards Hollywoodiens et du Gladiator de Ridley Scott. Contrairement aux idées reçues, la gladiature n’était pas une infâme boucherie au cours de laquelle des esclaves s’entretuaient pour le plaisir d’un public assoiffé de sang. Les gladiateurs étaient en fait des sportifs de haut niveau choyés par des promoteurs ayant beaucoup investi sur leur compte. Des athlètes volontaires grassement payés pour assurer un spectacle certes violent mais où, contrairement à ce que l’on croit, la mort des combattants était extrêmement rare.

Parfaitement documentée jusque dans les moindres détails (architecture, vêtements, objets), Arelate reste éloignée d’un ton professoral qui plomberait le déroulement des événements. Intelligemment, les auteurs ont préféré apporter les éclaircissements scientifiques nécessaires dans un copieux dossier à la fin de chaque volume. L’histoire racontée n’est donc en aucun cas parasitée par des considérations historiques et scientifiques qui rendraient la lecture pour le moins indigeste.

Visuellement les planches aux tons sépia sont du plus bel effet même si parfois les personnages souffrent d’une certaine raideur, notamment dans l’expression des visages. Quoi qu’il en soit, voila une série restituant le plus fidèlement possible la vie quotidienne d’une ville antique que j’ai trouvée passionnante et dont j’ai hâte de dévorer le troisième tome sorti il y a peu.

Arelate T1 : Vitalis de Laurent Sieurac et Alain Genot. Cleopas, 2012. 64 pages. 14,85 €
Arelate T2 : Auctoratus de Laurent Sieurac et Alain Genot. Cleopas, 2012. 64 pages. 14,85 €





samedi 17 août 2013

Arrive un vagabond - Robert Goolrick

1948. Quand Charlie Beale débarque à Brownsburg, Virginie, il n’a pour seules possessions que son vieux pick up et ses deux valises. Très vite il achète un petit bout de terrain et s’y installe de la manière la plus sommaire possible, vivant dans sa voiture et dormant le plus souvent à la belle étoile. Embauché dans la boucherie locale, il va peu à peu commencer à se faire apprécier par les autochtones, prenant notamment sous son aile Sam, le fils du boucher. Surtout, son regard va croiser celui de Sylvan Glass, femme du plus riche propriétaire terrien du coin. Un coup de foudre auquel il ne s’attendait pas et qui va causer sa perte. 

Un roman lauréat du prix des lectrices de « Elle » 2013 que Canel a eu la gentillesse de me prêter. Je dois reconnaître qu’elles ont bon goût les lectrices de « Elle » parce que ce récit tragique et nerveux est vraiment excellent. Bon, j’avoue que la mise en place m’a paru un peu lente. La présentation de Charlie, de son nouvel environnement et des différents personnages traîne parfois en longueur. Mais les 150 dernières pages font monter la tension crescendo jusqu’au final crépusculaire et inévitable. 


Robert Goolrick décortique les us et coutumes d’une communauté en apparence idéale. Mais ici comme ailleurs, la ségrégation raciale a toujours une raison d’être et le poids écrasant de la religion guide les faits et gestes de chacun. Charlie est sans doute, et de loin, le meilleur d’entre eux et sa relation passionnée avec Sylvan va peu à peu craqueler le vernis des conventions dans lesquelles cette microsociété est confortablement installée. Leur passion brûlante semble dans un premier s’affranchir de toutes ces conventions  mais le rêve d’une autre vie possible n’est qu’une chimère. Et lorsque la dure réalité rattrape le pauvre Charlie, elle lui est insupportable.


C’est beau et triste à la fois. Goolrick fouille dans les tréfonds de l’âme humaine et ce qu’il en ressort n’est pas joli-joli. Arrive un vagabond, c’est le drame d’une passion destructrice, le sacrifice d’un homme bon dont tout le monde finira par s’éloigner par peur du jugement dernier. Terrible et poignant, loin de la guimauve des harlequinades à la mord moi le nœud, un excellent roman.  





Arrive un vagabond
de Robert Goolrick. Éd. Anne Carrière, 2012. 316 pages. 21,50 euros. 

Les avis de Canel ; Jostein ; Théoma ; Clara ; Valérie 

vendredi 16 août 2013

Tartes aux pommes et fin du monde - Guillaume Siaudeau

La rentrée littéraire commence de plus en plus tôt. Quelques éditeurs ont choisi cette année de se lancer dès le 14 août. Et parmi cette première livraison, j’ai eu la chance de tomber sur une bonne pioche.


Il se souvient de Bobby, son labrador, mort d’une crise cardiaque au cours d’une balade. Puis ce fut le départ de sa mère. Avec sa sœur, il n’a pu que constater les dégâts : Papa qui tombe dans la bouteille et commence à cogner, de plus en plus. Ensuite il a eu droit à l’armée puis au premier appart et aux premiers petits boulots. Peu après il a rencontré Alice grâce à une boite de maquereaux. Une belle histoire qui se terminera mal comme celle d’Arni, un collègue devenu ami qui va sombrer après son licenciement. Quand Alice le quitte, il achète un flingue. Son nouveau et plus fidèle compagnon…      

Un premier roman dans l’air du temps. Le roman d’une génération de jeunes trentenaires un peu paumés. Roman de l’inquiétude aussi. Constater que l’on est difficilement arrivé jusque-là, avoir conscience d’être au monde mais ne pas savoir où l’on va. Rien de plombant pour autant, c’est là toute la force de ce court récit. Malgré l’adversité permanente qui semble le frapper, le narrateur garde un ton léger et non dénué d’humour où l’autodérision affleure à chaque page. Une mise à distance bienvenue et plutôt fine entre la réalité de sa situation et la façon dont il l’analyse.  

Solitude, instabilité chronique, précarité et crise existentielle… un cocktail dans l’air du temps je vous dis ! Mais le plus important reste que la petite musique de Guillaume Siaudeau est des plus agréables. Un premier roman réussi, ce n‘est pas toujours le cas. Autant en profiter…

Tartes aux pommes et fin du monde de Guillaume Siaudeau. Alma, 2013. 132 pages. 14 €.


Une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Anne. Filez-vite découvrir son avis !






jeudi 15 août 2013

Le guide des voyages (3)

Déjà le troisième et avant dernier rendez-vous du Guide des voyages, modeste «périodique sporadique » regroupant des chroniques livresques rédigées par des auteurs et des passionnés de littérature. Ce numéro est sans conteste le meilleur des trois, je le dis d’autant plus facilement que je n’y ai pas contribué.

Un numéro en partie consacré à la mort, cette salope qui frappe sans crier gare et sans distinction. Déjà, l’éditorial est particulièrement touchant, pour des tas de raisons dont je ne veux pas parler ici. On trouve dans les pages suivantes et sur ce douloureux sujet des romans de Duras (La douleur), de José Giovanni (Le trou), d’Hubert Mingarelli (Un repas en hiver) ou encore de Philippe Besson (Son frère).
Mais il est aussi question dans ce numéro de Pérec (Les choses), du Che (Voyage à motocyclette),  de Pierre Bergounioux (La mort de Brune), d’Andreï Makine (La femme qui attendait) et d’Agnès Desarthe (Comment j’ai appris à lire).

Riche, varié et de qualité ce n°3 est vraiment un excellent cru.

Et comme d’habitude, si vous souhaitez recevoir directement ce numéro par mail, n'hésitez pas à me le demander, je me ferais un plaisir de vous l'envoyer.

mercredi 14 août 2013

La balade de Yaya : intégrales 1 à 6 - Jean-Marie Omont et Golo Zhao

Shangai, novembre 1937. Les japonais s’apprêtent à attaquer la chine. Poussé à l’exode, le richissime père de Yaya décide d’emmener sa famille à Hong Kong. Le matin du départ, la petite fille fugue. Elle veut absolument passer un concours de piano qui devrait lui ouvrir les portes d’une grande carrière. Mais sur le chemin de l’école de musique, les bombardements commencent et Yaya se retrouve au milieu du chaos. Secourue par un gamin des rues prénommé Tuduo, elle va tenter de rejoindre le bateau de ses parents qui est sur le point de quitter le port. Malheureusement rien ne va se passer comme prévu.
Au fil des six tomes de ces deux intégrales, Yaya et Tuduo vont multiplier les déboires. Poursuivis par un terrible bandit, exploités par des pêcheurs de perles sans pitié, trompés par ceux qu’ils pensaient être leurs amis, frappés de plein fouet par la maladie, rien ne leur est épargné. Le récit est parfois assez dur et ne donne pas dans l’angélisme. C’est trépidant, les événements s’enchaînent et chaque album se termine sur un insupportable cliffhanger. Une écriture digne d’une série télé en quelque sorte. La recette fonctionne et il faut dire que le trait de Golo Zhao y est pour beaucoup. Son découpage cinématographique à souhait dynamise le récit. C’est à la fois beau et parfaitement lisible.

La balade de Yaya est une BD jeunesse de grande qualité qui mêle avec brio action et émotion. Une vraie réussite mais je vous préviens, si vous laissez vos enfants mettre le doigt dans ce pot de confiture, isl ne vous lâcheront pas avant d’avoir découvert l’ensemble de la série (dont le 7ème tome vient d’ailleurs de sortir…).

La balade de Yaya : intégrale 1-3 de Jean-Marie Omont et Golo Zhao. Édition Fei, 2012. 144 pages. A partir de 8 ans.  

La balade de Yaya : intégrale 4-6 de Jean-Marie Omont et Golo Zhao. Édition Fei, 2013. 144 pages. A partir de 8 ans.  






mardi 13 août 2013

L’été slovène - Clément Bénech

Ils sont partis pour respirer l’air pur de la Slovénie. Leur couple bat de l’aile, c’est l’occasion de se retrouver et de prendre un nouveau départ. Des vacances simples, en immersion dans ce pays dont ils ne connaissent rien. Les péripéties s’enchaînent, la complicité semble toujours là malgré quelques moments plus tendus que d’autres. Pourtant, au fond d’eux-mêmes ils savent que le fil ténu qui les relie est sur le point de céder…   

Un premier roman agréable mais loin d’être inoubliable. De courts paragraphes, un style très descriptif qui empile de petites saynètes souvent proches de l’anecdotique, une dose de dérision et d’ironie, c’est frais et léger, rien de plus. Dans le genre « couple au bord de la rupture », le dernier roman de Stewart O’Nan (Les joueurs) a placé la barre tellement plus haut qu’il est difficile de soutenir la comparaison. Finalement si j’ai lu ce texte avec un certain plaisir c’est essentiellement parce que je me suis souvent retrouvé dans le personnage masculin, pas forcément au niveau du ton mais plus pour ce qui est de son attitude. Cette façon de tout prendre à la légère, de lancer des traits d’humour à contre temps qui agacent sa compagne, d’enfiler le costume du rabat-joie à la moindre occasion, c’est tout moi !  Bon, pour revenir au texte je dirais que c’est une lecture de vacances idéale : gouleyante mais sans prétention, un peu comme le rosé pamplemousse que l’on s’enfile à l’apéro avant d’attaquer les brochettes.

Il ne faut pas non plus oublier que Clément Bénech n’a que 21 ans. Pour une première tentative, c’est indéniable, le potentiel est là. Un écrivain à suivre donc...
 
L’été slovène de Clément Bénech. Flammarion, 2013. 126 pages. 14 €.


Un titre repéré chez Keisha et Clara et une lecture commune que j’ai le plaisir de partager avec Noukette (il y avait longtemps !).

Les avis de Kathel, Keisha et Clara



lundi 12 août 2013

La petite cloche au son grêle - Paul Vacca

Quand Noukette parle avec sa faconde habituelle d’un livre qu’elle a beaucoup aimé, elle sait se montrer persuasive. Il faut dire aussi que je suis fan de ses billets. Fan et faible, incapable de résister à l’appel d’un bon texte, j’ai une fois de plus craqué. Elle a mis son avis en ligne vendredi, j’ai trouvé l’ouvrage à la médiathèque samedi et l’ai avalé d’une traite …   

La petite cloche au son grêle est un premier roman. Le narrateur raconte son enfance. Il avait 13 ans et vivait à Montigny, dans le nord de la France. Ses parents tenaient le café du village. Chaque soir, le rituel était immuable : en rentrant du collège, il fallait attaquer les devoirs, sur une table près du flipper. La corvée terminée, il était temps de partir vers les sous-bois et la rivière avec maman pour flâner entre les arbres et les fleurs. Des moments privilégiés et inoubliables. Un jour d’orage, un heureux concours de circonstances lui permet de mettre la main sur un livre abandonné dans l’herbe par sa propriétaire. La couverture indique sobrement : Marcel Proust, Du coté de chez Swann. Une découverte qui va bouleverser le quotidien du garçon et au final de tout le village.  

Le problème quand un récit de jeunesse se passe dans un troquet c’est qu’il me ramène sans cesse vers Annie Ernaux. Et forcément il est difficile de soutenir la comparaison avec l’auteure de La place. Mais si l’on oublie cette aïeule encombrante, il faut bien reconnaître que le premier roman de Paul Vacca est une belle réussite. Une histoire d’amour fusionnelle et tragique avec la mère, une tranche d’enfance douce-amère dont on ressort avec un petit goût sucré en bouche. Le ton est juste, la sensibilité affleurant à chaque page sans tomber dans la nostalgie tire-larme. Beaucoup de tendresse chez ces gens simples et aimants qui osent rêver et gardent chevillé au corps un optimisme à tout épreuve. Et puis il est question d’éveil à la lecture, de la découverte du pouvoir des mots et de la littérature. Difficile d’y rester insensible. 

Maintenant je ne crierais pas au chef d’œuvre et n’en ferais pas non plus un coup de cœur. Un peu trop gentillet pour moi. Il n’empêche, je serais sacrément ingrat si je ne reconnaissais pas avoir passé un excellent moment avec cette famille touchante en diable.
 

La petite cloche au son grêle de Paul Vacca. Le livre de poche, 2013. 162 pages. 6,10 €.

Les avis de : Blablamia ; Clara ; Luocine ; Keisha




samedi 10 août 2013

Un pays à l’aube de Dennis Lehane

Je dois la découverte de Dennis Lehane à Syl. Des mois qu’elle me recommande de découvrir cet auteur qu’elle adore et qui, selon elle, a tout pour me plaire. Comme je suis toujours à l’écoute des bons conseils, j’ai foncé. Bon, plutôt que ses polars, j’ai préféré me lancer dans le roman historique qu’il a consacré à sa ville natale, Boston (ça vous étonne ?). Un pavé de 850 pages, le genre de bouquin que je ne peux lire qu’en vacances. Verdict ? Une fresque monumentale et passionnante !  

A Boston, Danny Coughlin, fils d’un ponte de la police locale, est un simple flic qui aspire à grimper les échelons au plus vite. Dans l’Ohio, Luther Laurence est un ouvrier noir qui vient de perdre son boulot. Avec sa compagne enceinte depuis peu, il part pour Tulsa. En cette fin de première guerre mondiale, l’Amérique souffre économiquement et les classes populaires ont du mal à joindre les deux bouts. Les grandes luttes syndicales se développent et anarchistes et bolchéviques venus d’Europe commencent à faire parler d’eux. Pour obtenir sa promotion, Danny doit infiltrer ceux que les forces de l’ordre appellent les « séditieux ». De son coté, Luther s’acoquine de trop près avec quelques truands locaux et doit quitter au plus vite l’Oklahoma. Deux destins à priori impossibles à réunir et pourtant leurs routes vont se croiser au cours de l’année 1919, pour le meilleur et pour le pire.

Rien de plus classique que d’insérer la petite histoire dans la grande mais quand c’est fait avec une telle maestria, on se régale. La description des événements de cette année 1919 à Boston, qui culminera avec la grève de la police et les émeutes qui s’en suivront, est palpitante. Très documenté sans jamais tomber dans le didactisme, le roman vous emporte dès les premières pages. Lehanne décortique le processus politique et social qui a poussé les policiers à entamer la première grève des forces de l’ordre en Amérique. On découvre la chasse aux sorcières menée contre les « rouges », les manigances pour briser toute aspiration syndicale, l’espoir d’une vie meilleure pour ses hommes et leur famille qui se fracasse face à l’intransigeance des élus. Et puis avec Luther, on plonge au cœur des premiers mouvements de défense de la cause noire et on reste abasourdi devant le traitement réservé aux gens de couleur dans une ville de l’Est pourtant réputée pour être une des plus tolérantes du pays.  

La construction est imparable et les chapitres consacrés aux émeutes urbaines sont d’un réalisme à couper le souffle. Personnages nombreux et incarnés, art consommé du dialogue, alternance entre tension dramatique, scènes plus légères et explosion de violence, le canevas est tissé au millimètre.

Ceux qui passent souvent par ici savent que je préfère de loin les écritures minuscules, les nouvelles et les textes courts aux pavés indigestes. Pour tout vous dire je n’avais pas dévoré un roman historique aussi dense et ambitieux depuis l’excellentissime « Mémoire des vaincus » de Michel Ragon il y a près de vingt ans.  Mais pour le coup, je ne regrette pas cette première rencontre avec le sieur Lehanne. Nul doute que nous serons amenés à nous revoir, ne serait-ce qu’avec son dernier ouvrage, « Ils vivent la nuit » qui est la suite d’ « Un pays à l’aube » et que je viens de réserver à la médiathèque. 


Un pays à l’aube
de Dennis Lehane. Rivages, 2010. 857 pages. 10,65 euros. 


Ce billet signe ma 1ère participation au challenge Pavé de l'été de Brize. 
Autant vous prévenir, ce sera ma seule et unique. 
Un pavé par an, c'est mon grand maximum !

vendredi 9 août 2013

Bonolon le gardien de la forêt - Seibou Kitahara, Go Nagayama et Tetsuo Hara

Bonolon est un géant orange qui vit à Tasman, la forêt des arbres sacrés. Un gentil géant qui s’est fait la promesse de protéger les êtres humains et de soulager leur tristesse. C’est pourquoi chaque fois qu’une personne en détresse pleure entre les racines d’un grand arbre, il accourt pour lui proposer d’exaucer un vœu.
 
Chacune des cinq histoires qui composent ce recueil commence par « Il était une fois ». Le schéma narratif à cinq temps du conte est ici respecté à la lettre : situation initiale, élément perturbateur, action, résolution et situation finale. Le propos est très positif, pétri de bons sentiments. La nature, l’amitié et l’entraide sont célébrées à chaque page. La gentillesse de Bonolon plaira forcément aux enfants. Ce géant bienveillant, Kawaï à souhait, ne peut qu’attirer la sympathie. Et puis le graphisme est séduisant, tout en douceur et en rondeur.

Beaucoup d’atouts donc pour cet ouvrage à partager en famille, à déguster en petite lecture du soir avant le coucher. Idéal pour partir dans les bras de Morphée avec de belles images plein la tête.


Bonolon, le gardien de la forêt de Seibou Kitahara, Go Nagayama et Tetsuo Hara. Nobi nobi, 2013. 138 pages. 16,50 euros. A partir de 5 ans.




jeudi 8 août 2013

Le pianiste afghan - Chabname Zariâb

C’est l’histoire d’une petite fille née dans les années 80 en Afghanistan. Ses parents font partie de l’intelligentsia locale et suite à l’invasion russe, il leur faut envisager l’exil. Ce sera la France, à Montpellier, chez une tante. L’intégration est difficile, tant à l’école que dans la vie quotidienne. Apprendre la langue, comprendre les us et coutumes de cet étrange pays. La petite fille grandit, devient une lycéenne comme les autres, en oublie presque son passé afghan. Mais là-bas elle a laissé Milad, son ami et son amour d’enfance. Devenue adulte, elle ressent un irrépressible besoin de le retrouver et de renouer avec ses racines. Plus dure sera la chute…

Un texte qui a reçu le prix du festival du premier roman de Chambéry et le prix méditerranée des lycéens en 2012. Personnellement, j’avoue que n’ai pas été emballé. C’est une jolie réflexion sur l’identité et le déracinement mais je suis resté à l’écart du  destin de cette jeune femme qui se raconte à la première personne. Aucune empathie, un regard distancié et presque indifférent sur son parcours que j’ai du mal à m’expliquer. Je crois que c’est à cause de l’écriture que j’ai trouvé plate, très scolaire. Et si l’ensemble se veut touchant, c’est quand même plutôt convenu. Bref je ne vais pas m’attarder, ça a été pour moi une déception même si comprends qu’il ait pu plaire à un public de lycéens (je veux dire par là que quand j’étais au lycée, c’est tout à fait le genre de lecture « facile » qui m’aurait séduit).

Le pianiste afghan de Chabname Zariâb. L’aube, 2012. 184 pages. 7,40 €.




mercredi 7 août 2013

Le vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah - Michel Plessix

Après leur périple dans le désert, Rat, Taupe et Crapaud retrouvent la ville et leur ami Blaireau. Grâce à lui, le trajet de retour vers le Bois Sauvage est enfin envisageable. Mais les choses ne sont pas si simples et un saucisson va entrer dans la danse, provoquant une course poursuite aussi folle que trépidante.

Voila c’est fini. Dix-huit ans après avoir entamé l’adaptation du roman Le vent dans les saules de Kenneth Grahame, Michel Plessix met un point final à l’aventure en clôturant ce second cycle avec maestria. Dix-huit ans pour neuf albums en tout, il aura fallu se montrer patient. Mais Plessix est sans doute l’un des derniers artisans de la BD actuelle : une semaine pour tomber une planche, dix à douze mois pour dessiner un album de trente-deux pages et quatre à cinq mois supplémentaires pour la couleur. Le résultat est là, c’est juste somptueux, découpé au millimètre, bourré de détails et toujours fort drôle. L’écriture des récitatifs et les dialogues sont très travaillés et le ton reste étonnamment léger.

Ce dernier tome est beaucoup plus mouvementé que les quatre précédents et fonctionne avec les mêmes ressorts que la conclusion du premier cycle à savoir un maximum d’humour et d’action. Ce second cycle sous forme de récit de voyage et d’ode à la culture maghrébine aura vraiment été un enchantement graphique : le travail sur la lumière, la minutie des décors et des costumes, tout est parfaitement ciselé.

Je ne suis pas objectif parce que je suis un fan absolu de Plessix mais il faut reconnaître que cette ambiance exotique à souhait, cette délicatesse du trait, cet éloge permanent de l’amitié et de la franche camaraderie rendent l’ensemble irrésistible. De la BD jeunesse réellement tout public comme on en fait plus. A lire, à relire et à faire lire sans modération.


Le  vent dans les sables T5 : Du souk dans la casbah de Michel Plessix. Delcourt, 2013. 32 pages. 12,50 euros.





mardi 6 août 2013

Le premier mardi c'est permis (19) : Il faut jouir, Édith

Bon, ce mois-ci, pas de clit lit à la c.., pas d’essai à la mords-moi-le-nœud mais un petit texte tout en finesse. Un texte publié pour la première fois en 2004 aux PUF dans la collection « Perspectives critiques ». Oui, vous avez bien lu, aux Presses Universitaires de France. Un roman érotique aux PUF, ça a quand même plus de gueule qu’un Passion intense chez j’ai lu, non ?

Ça commence par un coup de téléphone. Elle prospecte pour tenter de placer des stations d’affinage censées purifier l’eau courante. Il décroche et se lance dans un plan drague plutôt convenu mais qui a l’air de fonctionner. Il lui annonce qu’il est écrivain et lui demande ses coordonnées afin de lui envoyer son livre. Ils se recontactent à plusieurs reprises par téléphone puis entament une correspondance. Elle est mariée et mère de famille mais elle se laisse petit à petit embarquer dans un jeu de séduction qui bouscule son train-train quotidien et réveille une libido en sommeil depuis trop longtemps. Leurs échanges deviennent de plus en plus torrides et ils vont se rencontrer à plusieurs reprises, dans un parc, dans une voiture et finalement à l’hôtel. Lui n’a qu’une idée en tête, la faire jouir (car elle ne s’en croit plus capable depuis longtemps). Avec obstination, imagination et persévérance, il va parvenir à ses fins.

Enfin un vrai plaisir de lecture dans le cadre du rendez-vous de Stephie, je commençais à désespérer. Un délicieux petit roman, uniquement basé sur des échanges téléphoniques et épistolaires. C’est fin, jamais vulgaire, tout en suggestion, loin des descriptions quasi gynécologiques qui fleurissent partout ailleurs. Tellement plus émoustillant en somme. Et puis les personnages ont de l’épaisseur. D’un coté l’écrivain canaille, un brin pervers, séducteur patenté qui sait parfaitement ce qu’il fait et ce qu’il veut (sans compter qu’il n’a ni passé douloureux avec une fêlure d’enfance à cicatriser et encore mois un physique de dieu grec) et de l’autre une mère de famille faussement ingénue qui cherche juste à pimenter son quotidien et reste d’une totale lucidité quant à cette relation adultère (pas une oie blanche nunuche qui tombe amoureuse de son patron en attaquant son premier jour de stage).    

Les échanges sont enlevés, il y a ce petit soupçon vachard qui empêche le récit de tomber dans la guimauve et en plus quelques passages sont plutôt drôles. Bref, je recommande chaudement si vous voulez sortir de la médiocrité ambiante.

Il faut jouir, Édith d’Alain Bonnand. La Musardine, 2013. 138 pages. 7,60 €.





dimanche 4 août 2013

Zéro pour l’éternité T1 - Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto

Kentarô est un NEET, un célibataire sans emploi ayant arrêté ses études. Un jeune qui passe son temps à ne rien faire et a du mal à se voir un avenir. Quand sa sœur lui propose de faire des recherches sur leur grand-père mort au cours de la seconde guerre mondiale, Kentarô accepte du bout des lèvres. Dès le début de son enquête il découvre que ce grand-père a perdu la vie au cours d’une mission suicide. En rencontrant un des derniers pilotes encore vivant ayant connu son aïeul, il comprend que ce dernier était tout sauf un héros.       

J’avoue que j’y suis allé à reculons. Un manga sur les kamikazes japonais, pas vraiment mon truc. La surprise fut d’autant plus belle. Adaptée d’un roman, cette histoire met en lumière la difficulté pour la jeunesse nippone actuelle d’accepter le passé guerrier de l’archipel. Elle montre aussi à quel point la société a toujours du mal à se considérer à la fois comme victime de la bombe et complice de la folie du Reich. Et puis l’on découvre que nombre de Kamikazes n’étaient pas habités par une quelconque fierté et que leur sacrifice, loin de relever du courage, était souvent dicté par un ordre de la hiérarchie auquel il était impossible de ne pas se plier. Des hommes comme les autres et non des ultranationalistes prêt à tout pour la prospérité éternelle de leur pays (le fameux cri « banzaï » signifie « prospérité éternelle »). Autre thème abordé par ce manga, l’attentat du 11 septembre au cours duquel les djiadistes d’Al-Qaida furent qualifiés par les médias de kamikazes. Une appellation inadmissible pour les japonais tant l’attitude des kamikazes de la seconde guerre mondiale n’avait pour eux strictement rien à voir avec celle des terroristes.         

Une lecture passionnante qui insiste sur la difficulté pour le Japon d’aujourd’hui de faire sereinement son devoir de mémoire. Trois autres tomes sont parus (la série en comptera 5 en tout) et je vais me faire un plaisir de tous les découvrir.



Zéro pour l’éternité  T1
de Naoki Hyakuta et Souichi Sumoto. Delcourt, 2013. 205 pages.  8,00 euros.

L'avis de Choco
L'avis de Yaneck



samedi 3 août 2013

Le guide des voyages (2)

Le guide des voyages revient pour un second numéro (il devrait y en avoir quatre en tout d’ici fin août). Le principe est simple, cette publication de 12 pages regroupe des chroniques livresques réparties en trois catégories : Pays chauds (des ouvrages que l’on a aimé) ; Pays froids (des ouvrages que l’on n’a pas aimé) ; Ailleurs (où l'on parle de quelque chose qui a à voir avec la littérature sans en être directement : une maison d'écrivain, un recueil de photos, une bio de compositeur, de peintre...).

Ce second numéro regroupe une fois encore les chroniques de 11 ouvrages. Parmi les pays froids, nous avons pour la première fois une visite en pays glaciaire avec « L’envie » de Sophie Fontanel (le degré zéro de l’écriture selon l’auteur de la critique) et  une balade sans saveur parmi la bourgeoisie de province avec Stéphane Hoffmann ("Les auto tamponneuses"). Du coté des pays chauds, Lydie Salvayre, Pierre Gamarra, Stewart O’Nan, Philippe Besson ou encore Sandor Marai…

Si je n’avais rien écrit dans le premier numéro, j’ai cette fois-ci contribué avec deux textes (à vous d’essayer de les retrouver, même si je reconnais que d’une part, c’est plutôt facile et que, d’autre part, ce petit jeu n’a aucun intérêt).


En tout cas si vous souhaitez recevoir ce numéro par mail, n'hésitez pas à me le demander, comme d’habitude, je me ferais un plaisir de vous l'envoyer.

vendredi 2 août 2013

Petit éloge des vacances - Frédéric Martinez

Le narrateur se balade dans les rues de Paris. Il pense à l’enfant qu’il était à la fin des années 70, au dernier jour d’école, à la nationale 7, aux séjours dans la Creuse... Surtout, il regarde les passantes et leur imagine un destin. Elles sont jeunes, belles, attirantes et lui il divague, se laisse emporter par son imagination...

Vu le titre, je m’attendais à une variation en finesse sur le thème des vacances, des textes à la Delerm, légers et délicieux. Pour tout dire, ça a été la grosse déception, je me suis retrouvé avec un petit exercice de style tout en futilité. Regarder les jolies filles et fantasmer leur vie, on fait tous ça non ? Là, c’est bien réalisé mais au final on n’est pas loin d’une certaine forme de masturbation littéraire. Le gars sait qu’il a une belle plume mais il ne pense qu’à se chatouiller tout seul dans son coin plutôt que d’en faire profiter le lecteur. Une pratique solitaire qui n’intéresse que lui il me semble. Tout cela m’a paru tellement vain, tellement inutile. Il n’y a rien d’autre à retenir que la vacuité des réflexions, certes bien troussées mais aussi vite lues qu’oubliées. C’est vraiment bien écrit, il y a de forts beaux passages mais j’ai juste eu l’impression de partager les soliloques d’un dandy qui s’écoute parler, tout ce qui me fait horreur quoi.   

Une lecture qui m’a agacé au plus haut point (mais je crois que l’avez compris...).

Petit éloge des vacances de Frédéric Martinez. Folio, 2013. 116 pages. 2 euros.

PS : vous savez quoi, je suis tellement passé à coté de ce texte que je veux bien lui offrir une seconde chance. Alors le premier ou la première qui se manifeste dans les commentaires en précisant qu’il souhaite recevoir ce livre, je lui envoie avec plaisir.


L’avis d’Hélène


jeudi 1 août 2013

Moi après mois : juillet 2013

Moi après mois, d’après une idée de Moka. C’est une grande première, je ne sais pas si je ferai ça régulièrement mais comme je suis en vacances et que j’ai un peu de temps, je me lance.  Et puis bon, c’est une idée Moka et j’adore Moka (elle me le rend bien il me semble). Je m’étais toujours dit que je me prêterai à l’exercice au moins une fois, alors voila. J’espère que vous serez indulgents…


Être sollicité par une chercheuse de l’université // Croiser Hardoc et Hautière par hasard dans une librairie et discuter longuement avec eux de leurs lulus // Amener sa fille une dernière fois à l’école avant le collège // Représenter les collègues au cours d’une réunion houleuse avec la direction pour demander qu’ils soient traités avec un minimum de respect // Recevoir un beau colis de Canel et un livre précieux de la part de Marilyne // Appeler le samu à 4h du mat pour son bébé dans une ville totalement inconnue et tomber sur un médecin de bon conseil qui vous évite de vous précipiter à l’hosto // Faire plus de 2000 km en voiture sans jamais entendre une seule fois bébé pleurer // Porter ce même bébé en écharpe façon kangourou et attirer les regards de la gente féminine // Profiter des vacances en bord de mer pour faire quelques excès alors que l’on est restés sages depuis trop longtemps // Souffrir de la chaleur comme rarement dans une maison trop petite et impossible à aérer // Fêter les 11 ans de sa grande et se dire qu’il y a 11 ans j’avais 10 kilos de moins // Constater une fois de plus que j’ai une femme en tout point admirable // Recevoir un mail qui fait partie de ceux que l’on ne voudrait jamais lire et penser comme Stig Dagerman que notre besoin de consolation est impossible à rassasier // changer de téléphone portable et avoir l’impression de changer de monde // Réaliser et programmer toujours plus de LC BD avec ma partenaire préférée // Passer les 15 derniers jours à lire encore et toujours plus parce que, bordel, il n’y a rien de meilleur quand on a enfin du temps devant soi !