Ce témoignage est recueilli par le journaliste Albert Londres à Cayenne, en 1923. Il lui est fourni par Dieudonné, membre supposé de la bande à Bonnot envoyé au bagne après un procès inique. Enfermé suite à une tentative d’évasion, Dieudonné se confie et montre à Londres l’innommable réalité d’une vie de bagnard. Une prison à ciel ouvert où l’état français a mis en œuvre une déportation de masse pour se débarrasser de ses criminels les plus dangereux. Une prison à ciel ouvert où la durée de vie moyenne n’excède pas cinq ans. Une prison à ciel ouvert où l’on paie pour attraper la tuberculose ou la lèpre afin de s’offrir un séjour prolongé à l’infirmerie et s’extraire de l’horreur du quotidien.
« Jamais je n’oublierai ce que j’ai vu ici. Quelle que soit la nature des crimes qu’ils ont commis, ces hommes ne méritent pas le traitement indigne que la république leur inflige. Rien ne justifie qu’on dépossède à ce point un homme de son humanité. La Guyane est une machine à broyer, sans distinction ni remords ».
Je crois que j’ai lu tout Albert Londres dans ma jeunesse. Au-delà de son engagement, de sa vision du journalisme (« notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie »), j’ai adoré son écriture, son lyrisme contenu et sa façon incroyablement puissante de vivre et de raconter chacun de ses reportages. C’est un plaisir de le retrouver ici dans cette libre adaptation de son recueil d'articles « Au bagne », adaptation fidèle à la réalité historique mais prenant parfois les accents d’un roman d’aventure.
Graphiquement, je découvre avec bonheur le trait aiguisé de Fabien Bedouel, ses grands aplats noirs, son bleu profond, son rouge sang, sa façon de retranscrire l’atmosphère suffocante et la violence de la colonie pénitentiaire, l’absence totale d’espoir et de lumière pour les condamnés.
Une plongée dans l’indicible sur les pas d’Albert Londres pour rappeler à quel point Cayenne et son bagne sont à jamais restés une honte pour la France (d'ailleurs l'enquête du journaliste aura un tel retentissement qu’elle aboutira à la fermeture du pénitencier de Saint-Laurent-du-Maroni).
Forçats T1 : Dans l’enfer du bagne de Bedouel et Perna. Les arènes, 2016. 64 pages. 15,00 euros.