mardi 2 juillet 2013

Le premier mardi c'est permis (18) : Déshabille-moi de Mila Braam

Je n’avais pas du tout prévu de lire ce livre ce mois-ci pour le rendez-vous de Stéphie. A vrai dire je ne connaissais même pas son existence. C’est Liliba qui a pensé à moi après avoir découvert cette histoire de culotte sale. Une charmante attention, je la remercie...    

Eh oui, parce que dans Déshabille-moi, la narratrice est une culotte. Une culotte achetée en vitesse par Célia dans un bazar en bas de chez elle. Plus aucun sous-vêtement de propre avant de partir au boulot, elle n’avait pas d’autre solution. Une culotte toute simple en coton avec un hippocampe sur le devant. Très cul-cul, quoi. Donc la culotte raconte. Elle raconte qu’elle possède un pouvoir magique et qu’elle ressent les expériences sexuelles vécues précédemment par ses propriétaires. Plus fort même puisque la femme qui l’enfile va elle aussi ressentir le passé sexuel de celles qui l’ont portée avant elle. Bon, pour ça, il faudrait que l’on se prête une culotte comme on se prête un pull. Je vous passe les détails mais figurez-vous que c’est exactement ce qui va arriver. La culotte va naviguer de main en main (ou plutôt de chatte en chatte, excusez ce langage un peu vulgaire mais j’essaie de me mettre au niveau du texte.) sans que jamais personne ne la lave (c’est mieux pour garder les sensations des porteuses précédentes). Oui parce que dites-vous bien que ses porteuses sont ou vont devenir de sacrées petites cochonnes, forcément. Et qu’une fois qu’elles auront découvert son pouvoir, plus question de la laver au cas où ce pouvoir disparaisse. Du coup ça nous vaut ce constat plein d’à-propos de ladite culotte : « Je vous rappelle au passage qu’il y a moins de quatre ou cinq jours que j’ai été sortie de mon emballage, que depuis quatre femmes différentes m’ont portée et je n’ai toujours pas bénéficié du moindre lavage. Je sens si fort que je me dégoûterais presque moi-même. Mon entrejambe est si imprégné de liquides divers, asséchés et solidifiés, qu’il a perdu toute souplesse. » Il y en a qui aiment, il paraît. Des fétichistes de la culotte. Perso je préfère quand un sous-vêtement sent la lessive et l’assouplissant. Chacun son truc.

Un petit livre sans prétention, c’est le moins que l’on puisse dire si on ne veut pas être méchant. L’histoire est totalement tirée par les cheveux (j’aurais pu écrire « par les poils pubiens » pour rester au niveau) et la narration ne tient pas debout. Ben oui, si c’est la culotte qui raconte, elle ne peut normalement relater que les événements qui se passent sous les yeux de son hippocampe. Alors quand elle décrit les faits et gestes d’un mec tout seul à l’hôtel qui attend sa maîtresse, on n’y croit plus (déjà qu’au départ c’était pas gagné). Comment elle fait pour savoir ce qui se passe dans cette chambre d’hôtel alors qu’elle n’y est pas ? Elle est omnisciente la culotte? Bon je chipote mais avec des détails comme ça, je décroche.

Sinon, sachez que dans ce livre on « frémit du gland » (longtemps que ça ne m’est pas arrivé), il y a des « copeaux de plaisir qui éclaboussent la chambre, les draps, les vêtements » (longtemps que ça ne m’est pas arrivé non plus) et notre narratrice est une petite sensible qui n’hésite pas à s’exclamer : « Je refuse de sentir ces grosses couilles poilues sur moi ! ». Voila, voila. La grande classe.

Soyons clair, ça sent à plein nez le texte de commande torché à la va vite et sous pseudo. Battons le fer tant qu’il est chaud, pas certain que la ménagère soit encore demandeuse de clit litt l’année prochaine...  Lamentable et sans aucun intérêt. Désolé Lili, ça m’a fait sacrément plaisir que tu penses à moi en m’envoyant ce roman mais j’avoue que je n’ai pas aimé grand-chose en dehors de quelques passages qui m’ont arraché un sourire. Finalement je constate que je suis plutôt mauvais public pour ce genre de bouquin. Je devrais le savoir depuis le temps. Et pourtant à chaque fois je replonge. Y a comme un hic, non ?

Déshabille-moi de Mila Braam. J'ai lu, 2013. 156 pages. 5,60 euros.

L'avis de Liliba ; ceux de L'irrégulière et Fée Bourbonnaise

PS : juste un petit retour sur mon billet du mois dernier qui a soulevé un nombre inattendu de réactions positives, drôles ou émoustillées. Je tenais vraiment à remercier toutes celles (et les rares « ceux ») qui ont pris le temps de découvrir ma nouvelle et m’ont fait part du plaisir qu’elles ont eu à la lire. Je ne m’y attendais pas du tout et je peux vous avouer aujourd’hui que j’étais absolument terrifié à l’idée de me mettre « à poil » de la sorte sur ce blog.
Un clin d’œil particulier à Cess sans qui rien de cela ne serait arrivé, à Noukette pour sa complicité et son avis plein de bon sens, à Sarah pour son incroyable billet sur mon billet et à Mo'Stéphie et Sara (qui va me manquer !) pour la gentillesse de leurs commentaires. 



lundi 1 juillet 2013

Tobi et les souvenirs - Anne-Kathrin Behl

Tobi ne sait pas comment s’occuper. Tous ses copains sont partis en vacances et il n’y a plus personne pour jouer avec lui. Dans la rue, c’est simple, il n’y a que des vieux. « Les vieux, c’est ennuyeux » ronchonne Tobi. Quand Mr Bouc lui demande pourquoi il est de mauvaise humeur, sa réponse est simple : « Tout le monde est au moins un million de fois plus vieux que moi dans cette ville. » Mais quand Mr Bouc commence à lui parler de son passé de pilote de ligne, Tobi est intéressé. Puis c’est Madame Rhino qui revient sur sa carrière de chanteuse et enfin Mr Loup qui lui révèle qu’il était détective et qu’il a arrêté bien des criminels. Au final, Tobi se rend compte qu’être vieux, ce n’est pas si mal que cela : au moins on a toujours de belles histoires a raconter !     

Un album qui souligne avec malice l’importance de l’échange entre les générations. Tobi ne voit pas chez les vieux qu’il croise dans la rue des interlocuteurs dignes d’intérêt et pourtant, ils vont le faire rêver. C’est simple mais bien amené et très facilement compréhensible pour un petit lecteur. Les illustrations s’étalent sur des doubles pages et fourmillent souvent de détails rigolos. Une lecture vraiment très sympathique sur un thème pas si courant, à recommander chaudement.  


Tobi et les souvenirs d’Anne-Kathrin Behl. Tourbillon, 2013. 28 pages. 11,95 euros. A partir de 4 ans.



samedi 29 juin 2013

Archanges : roman a capella - Velibor Colic

Vous ai-je déjà dit à quel point j’appréciais Athalie ? Enfin pas elle personnellement puisque je ne la connais pas. Son blog plutôt et ses billets plus particulièrement. Elle possède cette capacité rare à vous empoigner dès les premières lignes pour vous emmener dans un tourbillon de bons mots, de phrases enlevées, de tournures qui vous font rire ou vous laisse béat d’admiration devant tant d’inventivité. C’est un fait, je suis fan des billets d’Athalie. Tout à fait fan. Alors quand j’ai découvert son avis concernant ce roman de Velibor Colic, impossible de ne pas craquer. Je me le suis procuré dare-dare et j’avoue que je ne le regrette pas.   

Archanges est une succession de monologues. Quatre voix témoignent de l’horreur de la guerre en ex-Yougoslavie. Trois bourreaux et une victime. Deux vivants et deux morts. Le premier a sévi en Bosnie. Il s’appelle Esdras. Ses compagnons d’armes le considéraient comme un poète. C’était aussi et surtout un tueur implacable, grisé par le mauvais alcool, qui aimait couper les oreilles de ses victimes après les avoir violées. Aujourd’hui c’est un clodo qui vit dans un parc, à Nice. Ses journées sont toujours les mêmes : « Je bois et je pue. Et j’invente mes poèmes et je pense aux femmes. » Son état physique est déplorable, il se sait condamné, il veut juste qu’on le laisse tranquille. La guerre, il y pense avec nostalgie et il ne regrette rien, à part la défaite.

Le second était surnommé le duc. C’était le meilleur ami d’Esdras. Un officier d’une effroyable cruauté qui menait ses troupes d’une main de fer. Il se déplaçait avec un chien monstrueux portant un collier fait avec des yeux humains. Ce gars était une légende. On a écrit des chansons sur lui. Une bombe lui a ôté les bras et les jambes. Pour cela que maintenant on l’appelle le tronc. Il a été arrêté et emprisonné. C’est un maton qui vient le nourrir tous les jours. Au biberon. Pour passer le temps, il n’a plus que ses souvenirs. Les villages pillés, les hommes et les femmes tués de la pire des façons, les jeunes filles torturées avant d’être violées. L’âge d’or de son armée, avant la défaite.        

La troisième est Senka, une jeune fille qui a subi les assauts de ces ordures. Elle avait 13 ans. C’est un ange qui erre dans un paradis où tout lui semble être un enfer : « Dieu existe et c’est un chien. » Elle vient régulièrement hanter les nuits d’Esdras. Pas pour se venger. Juste parce qu’il faut que son bourreau ne l’oublie jamais car elle sait que l’on meurt deux fois : « La première fois physiquement, et la deuxième fois quand il n’y a plus personne sur cette terre qui puisse se souvenir de vous. Et moi, je suis toute seule. Et si on m’oublie, on oublie aussi le crime. C’est pourquoi j’espère qu’il vivra encore longtemps, ce vieux salaud. »

Le quatrième est le fils du tronc, il accompagnait son père sur le terrain de ses « exploits ». Lui aussi est mort. Égorgé dans un train, bien après la guerre. Il porte à son tour un regard nostalgique sur les heures glorieuses du conflit : « Tout était si facile. La guerre n’était qu’une rigolade, une camaraderie, on flinguait un peu, et on sautait tout ce qui bougeait. On libérait enfin, cinq siècles après, toute notre terre, une ville après l’autre, et le soir on fêtait ça comme il faut. » Il est aussi le plus lucide des quatre : «  Et puis merde, voilà, si l’on regarde bien, n’importe quelle tragédie peut devenir une farce. N’importe quelle victime n’est qu’un bourreau raté ; vous aussi, vous êtes tous coupables, parce que vous étiez témoins. » 

Archanges, c’est le requiem des vaincus. Un texte d’une rare dureté. La guerre est montrée dans toute son horreur, sans apologie. Les mots sont durs, crus, lyriques ou poétiques. Ils claquent, ils sonnent et laissent groggy. Ces voix résonnent et bousculent, elles dérangent et vous mettent mal à l’aise. La quatrième de couverture parle d’ « une parabole tourmentée pour faire acte de mémoire. » Pas mieux.     


Archanges (roman a capella) de Velibor Colic. Gaïa, 2008. 156 pages. 16,30 euros. 


vendredi 28 juin 2013

A l’heure du loup - Kochka et Les Manouchkas

Quand la nuit arrive, le jour s’enfuit, il a peur du loup. Pour Lili, c’est pareil : à l’heure du loup, quand elle est seule dans son lit, c’est son courage qui s’enfuit. Mais heureusement, Lili a un papa très fort et très intelligent. Pour éviter que Lili soit terrorisée lorsqu’arrive l’heure du loup, il lui construit un nid. C’est bien connu, aucun loup n’a jamais grimpé dans un nid. Du coup, le courage de Lili revient et la petite fille peut tranquillement fermer les yeux.      

Une histoire toute simple qui traite des peurs nocturnes avec finesse. L’occasion d’aborder la question en douceur afin de dédramatiser ce moment qui reste angoissant pour nombre d’enfants. Des illustrations naïves et très parlantes, des couleurs pastel qui laissent à distance les teintes trop sombres et un super papa trop fort qui trouve une solution magique au problème... décidément, rien n’est grave à l’heure du loup. Il suffit juste de faire comprendre à ce dernier qu’il n’est pas le bienvenu dans la chambre des petites filles !  


A l’heure du loup de Kochka et Les Manouchkas (Laura Guéry et Julie Wendling). Ricochet, 2013. 32 pages. 13,70 euros. A partir de 3 ans.



jeudi 27 juin 2013

Le bâtard - Erskine Caldwell

« Ça n'a jamais été pour mon plaisir que j'ai pu voir des hommes, des femmes et des enfants naître, vivre et mourir dans la misère, l'ignorance et la dégradation. J'ai récolté le coton avec eux ; j'ai partagé leur pain ; j'ai creusé avec eux la tombe de leurs morts. Personne ne peut se considérer comme l'un d'eux à plus juste titre que moi. Mais je n’ai pas aimé du tout voir l’un de ces hommes attaché, fouetté par son propriétaire jusqu’à en perdre connaissance. Je n’ai pas aimé voir un politicard minable qui se faisait passer pour un homme d’affaires dépouiller l’un de ces hommes de son année de travail. Il ne m’a pas plu de voir un contremaître abattre de sang-froid un père de famille qui avait eu le tort de protester contre le viol de sa fille, commis sous ses propres yeux. C’est parce que je n’ai pas aimé toutes ces choses que j’ai voulu montrer que le Sud, non content d’avoir engendré une race d’esclaves, a soudain, ce qui est pire, fait volte-face pour lui lancer une ruade en plein visage. »

Ces quelques lignes de Caldwell furent publiées dans le New York Times en 1936 en réponse aux attaques d’un député de Géorgie. Caldwell a été l’écrivain le plus censuré des États-Unis. Le bâtard est son premier roman. Il a été interdit et saisi dès sa parution en 1929. Si vous ne supportez pas la littérature américaine pleine de violence et de sexualité, vous devez quand même lire Caldwell. Au moins pour comprendre d’où vient cette sauvagerie si typique de nombre de romans nord-américains. Je pensais que cela remontait à la fin des années 30, notamment avec Fante. Mais si Fante a mis un coup de pied dans la fourmilière, Caldwell y avait carrément foutu le feu dix ans plus tôt. L’héritage de Caldwell se retrouve chez D. Ray Pollock, chez Bruce Benderson, Joel Williams, Richard Price, Selby, E.M Williamson, Larry Fondation, Frank Bill, Benjamin Whitmer et tant d’autres. Tous ces gars-là ont lu Caldwell, pas possible autrement. Contemporain de Faulkner et Steinbeck, il ne joue, contrairement à eux, sur aucune intensité dramatique. Il ne cherche pas non plus à transformer le monde à travers la rhétorique. Son propos est celui d’un naturaliste. Des faits, uniquement des faits, sans aucune forme de jugement. Le discours devient forcément dérangeant car lorsque l’inhumanité côtoie le grotesque avec un tel réalisme, le lecteur ne peut qu’être mal à l’aise.

Le bâtard, c’est Gene, né de mère prostituée et de père inconnu. Après avoir pas mal bourlingué, il revient où il a grandi, à Lewisville, bled paumé de Géorgie. Il trouve un boulot à l’usine du coin, séduit quelques filles, s’installe chez un copain, rencontre celle qu’il pense être la femme de sa vie, part avec elle à Philadelphie. Ils ont un enfant, bébé monstrueux couvert de poils aux retards psychomoteurs irrécupérables. Gene finira par le noyer dans une rivière. Entre temps il aura violé une gamine en prison et il aura vu son ami John, patron d’une scierie, couper un ouvrier noir en deux sans motif véritable. Tous les personnages ont des conduites amorales, le bien et le mal semblent ne pas exister. Les choses adviennent, un point c’est tout. Forcément dérangeant…

Soyons honnêtes, l’écriture, sèche comme un coup de trique, n’a rien de transcendant. L’histoire elle-même ne casse pas trois pattes à un canard. Une succession de scénettes sans véritable lien pour lesquelles il est difficile de se passionner. Mais peu importe, l’intérêt est ailleurs. Il faut prendre Le bâtard pour ce qu’il est, à savoir un des romans fondateurs de la littérature américaine pleine de bruit et de fureur qui a caractérisé la seconde partie du 20ème siècle et qui est aujourd’hui encore une marque de fabrique pour nombre d’écrivains US. Pas certain que cela suffise à convaincre beaucoup de lecteurs mais je tenais quand même à vous en parler…

En cadeau bonus, un petit dialogue, juste pour vous mettre dans l’ambiance :
- Il n’y a que deux sortes de femmes : celles qui sont propres et les salopes.
- Moi j’les aime propres.
- Non, y a pas beaucoup de différence.
- C’est vrai, y a pas beaucoup de différence.
- Si elles sont propres, elles d’viennent des salopes, et si elles sont des salopes, elles le restent !






mercredi 26 juin 2013

Loin des yeux… - Luke Pearson

C’est l’histoire d’un couple en bout de course, qui tente encore de faire semblant d’y croire. A peine. Elle ne le voit plus, il lui demande si elle veut un amoureux ou juste une présence. Il aimerait hurler sa colère, lui dire qu’elle est devenue tellement chiante… ça ne peut plus durer. Il choisit de se taire. Les silences et les non-dits sont pires qu’une franche discussion. Puis viennent les engueulades inutiles, les accusations non fondées. La ligne rouge est franchie, la séparation inéluctable. Il y a bien une occasion ratée. Cette ultime possibilité de recoller les morceaux à coté de laquelle on passe...     

Un sujet des plus banals, déjà vu des milliards de fois. Certes. Mais quand Luke Pearson s’en empare, les choses prennent une autre tournure. Le génial créateur de la série jeunesse Hilda possède un ton inimitable. Il crée un univers, une atmosphère où l’onirisme s’imbrique le plus naturellement du monde dans la réalité. Pendant que ce couple se sépare, des géants veillent sur la mer ou s’amusent à jeter des astéroïdes vers la terre depuis l’espace. Pendant que ce couple se sépare, d'étranges créatures scrutent minutieusement les faits et gestes des humains et un sapin se déracine et se met à danser. Mais personne ne remarque rien. Une famille ne remarque pas l’intrus dans l’entrée qui y reste une heure et puis s’en va. Une petite fille ne remarque pas les efforts d’un garçon pour communiquer par télépathie. Un vieil homme ne remarque pas le corps de son épouse s’élever et se séparer en seize morceaux avant de se rassembler parfaitement.  
          
Sous ses airs naïfs, le dessin exprime beaucoup de choses avec très peu d’effets. La bichromie d’orange et de noir donne un coté crépusculaire parfaitement adapté à cette histoire d’amour qui se termine en douleur.

Bon, ok, ce n’est pas un album super joyeux. Mais il serait dommage de s’arrêter à l’aspect tristounet du scénario. Ce petit livre est beaucoup plus que cela, tellement plus que cela même. Éthéré, vaporeux, inventif,  tout en subtilité, il possède un charme fou. C’est juste de la poésie en BD et ça fait du bien.   
 

Loin des yeux… de Luke Pearson. Nobrow, 2013. 40 pages. 14 euros.

Une lecture que j'ai l'immense plaisir de partager avec les indispensables Moka et Noukette. Mesdames, j'espère que vous avez autant apprécié cet ovni que moi !














lundi 24 juin 2013

Mes petits bateaux - Éric Battut

Je vous ai déjà dit à plusieurs reprises à quel point j’appréciais l’excellentissime collection Pont des Arts, coéditée par L’Élan vert et le CRDP d’Aix-Marseille. C’est une collection qui offre « une nouvelle façon de découvrir les œuvres d’art : y entrer par une fiction et des illustrations originales qui sollicitent l’imagination et renforcent le plaisir de la lecture. » Pour les enseignants, chaque album est accompagné d’un livret d’exploitation pédagogique contenant des séquences clés en main et des propositions d’activités transversales.  

Le tout dernier volume de la collection, sorti il y a quelques jours, permet de découvrir les impressionnistes au fil de l’eau. Écrit et illustré par Éric Battut, il met en scène un petit garçon qui transforme son lit en radeau et descend ainsi la Seine jusqu’à l’océan, traversant les paysages, notamment ceux de Normandie, qui ont inspiré les peintres impressionnistes. En chemin, il se délecte en croisant barques et baigneurs, grenouilles et crapauds, crabes ou chevaux… L’occasion pour lui de poser son regard sur des œuvres de Boudin, Caillebotte, Manet, Monet, Pissarro, Renoir et Seurat. Chaque double-page s’organise de la même façon avec un texte de 4 ou 5 lignes, une miniature du tableau original et l’illustration grand format d’Éric Battut. Comme d’habitude on trouvera en fin d’ouvrage des informations d’ordre documentaire adaptées aux petits lecteurs dès 6 ans.

Encore une très bonne surprise dans cette collection devenue absolument incontournable. Un outil idéal pour faire découvrir l’histoire des arts aux plus jeunes, de façon ludique et légère, et pas seulement à l’école.

Mes petits bateaux d’Éric Battut. L’Élan vert / CRDP d’Aix-Marseille, 2013. 30 pages. 14,20 euros. A partir de 5-6 ans.

Le fichier d’exploitation pédagogique de cet album sera disponible dès septembre au prix de 5 euros.



dimanche 23 juin 2013

Pixley Mapogo - Tore Renberg

Jarle Kleppe a 35 ans. En ce soir d’août 2007, il s’apprête à assister au concert de son groupe culte, The Smiths, reformé depuis peu. Envoyé par le quotidien qui l’emploie pour couvrir l’événement, Jarle sent qu’il va écrire l’article de sa vie, celui qui va faire de lui le journaliste reconnu qu’il rêve d’être. A quelques minutes du début du show, il se rend aux toilettes et découvre soudain dans un bosquet un couple en train de faire l’amour. Une adolescente blonde et un sculptural jeune homme... noir. Fasciné par le « spectacle », Jarle s’approche de plus en plus et découvre abasourdi que l’adolescente n’est autre que sa fille, Lotte. A 17 ans à peine, la gamine n’a à l’évidence pas froid aux yeux. Paralysé par cette découverte, incapable de savoir comment il doit réagir, Jarle, va vivre une nuit où la rage et les questionnements existentiels ne vont cesser de se bousculer jusqu’au petit matin.

Tragicomique et pessimiste, voila comment on pourrait qualifier ce roman dans lequel le norvégien Tore Renberg se plaît à briser une à une les images d’Épinal qui présentent la société scandinave comme un modèle d’intégration. Jarle est norvégien, il se considère comme « chrétien et humain. Ouvert, dialogique, à l’écoute et positif. [...] Il avait lu des livres. Il était contre le racisme et il était tour à tour attiré par le communisme, la droite cultivée et les sociaux-libéraux. » Mais quand Jarle voit sa fille forniquer avec un nègre, la jolie façade humaniste se lézarde : « il aurait voulu lui flanquer des coups de poing jusqu’à ce que le visage couleur chocolat noir ne soit plus qu’une mare de sang frais. » Puis il s’en prend inconsciemment à cette fille conçue par hasard un soir de beuverie et redécouverte brusquement alors qu’elle avait 7 ans (une histoire relatée dans Charlotte Isabel Hansen, le précédent roman de l’auteur publié en France en 2011) : « Les gamins sont injustes. Ils ne sont pas venus au monde pour contenter leurs parents, ça, c’est sûr. [...] Les gosses sont vraiment capables de vous arracher le cœur et de le balancer à bouffer aux chiens, ça c’est sûr. [...] Les gosses sont vraiment capables de transformer vos jours en cauchemars éveillés, aucun doute sur la question. »   

Jarle est un nombriliste qui refuse de regarder la vérité en face. Il découvre cette même nuit que son meilleur copain, celui dont il est censé être le plus proche, est gravement malade. Il découvre que finalement il ne sait rien de lui. Son monde plein de certitudes s’effondre. Jarle est complexé, Jarle est raciste, Jarle n’est ni un bon père ni un ami fiable. Lorsqu’il pourra discuter plus sereinement avec Pixley Mapogo, l’amant de sa fille, il tentera une fois de plus de défendre son humanisme de façade : « Je n’ai rien contre les gens qui ne sont pas originaires de mon pays. Je ne me suis jamais autoriser à penser autre chose. » Mais Pixley est sans conteste le plus lucide des deux : « C’est le mode de pensée norvégien. C’est ainsi que vous voulez penser, mais ce n’est pas ainsi que vous pensez. »

Tore Renberg semble prendre un malin plaisir à verser du sel sur les plaies béantes ouvertes depuis quelques années dans les pays nordiques : appauvrissement, chômage, immigration mal maîtrisée, violence, montée de l’extrême droite, etc. C’est politiquement incorrect, l’écriture est franche et directe, sans chichi, les personnages sont des losers pathétiques, bref, ce roman est en tout point excellent.  


Pixley Mapogo de Tore Renberg. Mercure de France, 2013. 260 pages. 19,50 euros. 







vendredi 21 juin 2013

Jack Joseph, soudeur sous-marin - Jeff Lemire

Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.
Je suis soudeur sous-marin sur une plate-forme pétrolière, sur la côte de Tigg's Bau, en nouvelle-écosse.
Je suis né ici, et j'y mourrai sans doute.
J'ai l'âge qu'avait mon père quand je suis né.
Il a disparu en 1990.
Dans la nuit d'halloween. J'avais 10 ans
Je m'appelle Jack Joseph et j'ai 33 ans.
J'ai une femme, Susie... et un bébé en route.

Je m'appelle Jack Joseph, et j'ai 33 ans.
L'âge qu'avait mon père quand je suis né.
J’étais marié… Ma femme s’appelait Susie Joseph.
Nous allions bientôt avoir un enfant. Un garçon.
Mais je me suis enfui. Et maintenant je suis seul.
Je m'appelle Jack Joseph et j’étais soudeur sous-marin. J’allais être père.
Mais aujourd’hui je ne suis plus rien.
Et je ne suis nulle part.

Jack à un problème avec son père. Ce père alcoolique dont sa mère s’est rapidement séparé. Ce père qui lui a donné le virus de la plongée et qui s’est noyé un soir d’Halloween. Son corps n’a jamais été retrouvé et depuis Jack semble vivre avec son fantôme. Il aimerait connaître la vérité, savoir comment les choses se sont déroulées ce soir là. Au cours d’une intervention au large d’une plate forme pétrolière, il tombe sur un objet qui ne lui est pas inconnu. Un objet qui va ouvrir les portes d’une dimension d’où le passé va resurgir, comme dans un rêve…

Je ne connaissais pas Jeff Lemire, n’ayant pas lu Essex County, mais je dois avouer que notre première rencontre est une réussite. J’ai embarqué sans peine dans ce récit introspectif qui laisse la part belle à l’onirisme. La préface nous présente cet album comme "l’épisode le plus spectaculaire de La quatrième dimension jamais produit". Pas de bol, je ne connais pas du tout cette série télé qui doit commencer à dater donc je n’ai aucun point de comparaison. Le fait est que Jack le soudeur bascule dans un autre monde au cours d’une plongée. Rêve ou réalité, on est bien en peine de démêler le vrai du faux. C’est un aspect qui ne m’a pas gêné le moins du monde. Derrière les éléments fantastiques affleurent des questions plus complexes. L’angoisse de la paternité à venir le renvoie sans cesse vers l’image de son propre père. Plus l’accouchement approche et plus les relations avec sa femme se tendent. Elle ressent son malaise, lui reproche de ne pas être plus présent. Lui semble toujours perdu dans ses pensées, comme s’il devait régler une fois pour toute le solde de cette tragique nuit d’Halloween. Finalement, le monde parallèle dans lequel il entre a presque une fonction cathartique, il va lui permettre de tirer un trait définitif sur ses maux d'enfance et le faire entrer avec apaisement dans le vie de parent qui l'attend.

Niveau dessin j’ai beaucoup aimé ce noir et blanc un peu cradingue et torturé, ces personnages aux visages taillés à la serpe et ce décor maritime extrêmement bien reconstitué.

Un album intimiste, tout en sensibilité, où la narration n’hésite pas à bousculer le lecteur. Les souvenirs et les remords sont au cœur de l’histoire. Ce n’est certes pas d’une folle originalité mais la construction imparable provoque un incontestable plaisir de lecture. Une vraie belle découverte en ce qui me concerne.


Jack Joseph, soudeur sous-marin de Jeff Lemire. Futuropolis, 2013. 220 pages. 26 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Cristie et Mo'.





jeudi 20 juin 2013

Une dernière fois la nuit - Sébastien Berlendis

Le narrateur a 30 ans et il se meurt. Il a trouvé refuge dans un ancien sanatorium qui sera bientôt détruit et remplacé par un hôtel de luxe. Il est seul, sa chambre a les volets clos, il vit son dernier été et sa mémoire s’effiloche. Son corps est un corps qui tousse, qui s’essouffle et s’asphyxie. « C’est une toux qui vient de loin. De l’enfance. A quatre ans, les premières crises apparaissent, l’asthme commence à rythmer les nuits. »

Il arrive au bout du chemin et il le sait. « C’est le début de l’été et je sens la mort qui accélère. » Une dernière fois il se rappelle les cures, les séjours sans fin près du lac de Côme, les bains de Trieste, les thermes de l’hôpital St Vincent, la maison de santé du Val d’Aoste… Il se souvient de son père, des premières années à Bracca, près de Bergame, quand ses parents ont fui l’aridité des terres du sud. Il pense souvent à Simona, malade comme lui. Simona, morte il y a longtemps déjà. Simona qu’il a aimé passionnément, avec laquelle il a connu ses premières étreintes : « Mordre le bas du ventre, les fesses et l’intérieur des cuisses. Entre deux crises. Ne pas craindre la montée des pulsations du cœur. […] Simona lèche ma bouche, respire plus vite, frotte son pubis contre mon ventre. Dans le creux de la nuque, un grain de beauté noir et net. Les mains découvrent le corps dans ses retraits. Timide et aspiré, j’ai un goût de sang dans la gorge. N’aie pas peur, n’aie pas peur. »

Je ne sais pas si on peut qualifier ce texte de roman. A vrai dire je m’en contrefiche. Ce récit bref, au lyrisme contenu, à l’écriture mélancolique et sensuelle, est une pure merveille. Sébastien Berlendis est professeur de philosophie à Lyon. J’avoue que ça aussi je m’en fiche un peu. Ce qui compte, c’est qu’il signe un premier livre éblouissant de maîtrise. Chaque phrase semble scandée entre deux râles. Des phrases courtes, hachées, lâchée par un corps au bord de l’asphyxie. Un corps qui lutte : « je me demande s’il faut mourir le plus tard possible, si je dois garder la maladie dans mon camp. »   

C’est tellement beau que je pourrais recopier chaque paragraphe. « Dans la chambre du chemin de la Résistance, je me demande combien de temps ça prend un cœur qui cesse de battre. Je n’ai pas de nostalgie, je ne souffre pas d’un manque d’enfance et les bouffées du dehors ne me sautent pas à la gorge. »

Je vous offre pour conclure les dernières phrases, celles qui m’ont collé des frissons : « Un matin de brumes de juillet, mon corps au ralenti ne se lève plus. Il reste dans la nuit. » J’avoue que je ne sais plus quoi dire. Une écriture d’une telle pureté est rare, elle se déguste, mot après mot. C’est magnifique et triste à pleurer, c’est juste de la littérature.
   

Une dernière fois la nuit de Sébastien Berlendis. Stock, 2013. 92 pages. 12,50 euros.

L'avis (enthousisate) du petit carré jaune et celui (tout aussi enthousiaste) de Noukette.