Ces quelques lignes de Caldwell furent publiées dans le New York Times en 1936 en réponse aux attaques d’un député de Géorgie. Caldwell a été l’écrivain le plus censuré des États-Unis. Le bâtard est son premier roman. Il a été interdit et saisi dès sa parution en 1929. Si vous ne supportez pas la littérature américaine pleine de violence et de sexualité, vous devez quand même lire Caldwell. Au moins pour comprendre d’où vient cette sauvagerie si typique de nombre de romans nord-américains. Je pensais que cela remontait à la fin des années 30, notamment avec Fante. Mais si Fante a mis un coup de pied dans la fourmilière, Caldwell y avait carrément foutu le feu dix ans plus tôt. L’héritage de Caldwell se retrouve chez D. Ray Pollock, chez Bruce Benderson, Joel Williams, Richard Price, Selby, E.M Williamson, Larry Fondation, Frank Bill, Benjamin Whitmer et tant d’autres. Tous ces gars-là ont lu Caldwell, pas possible autrement. Contemporain de Faulkner et Steinbeck, il ne joue, contrairement à eux, sur aucune intensité dramatique. Il ne cherche pas non plus à transformer le monde à travers la rhétorique. Son propos est celui d’un naturaliste. Des faits, uniquement des faits, sans aucune forme de jugement. Le discours devient forcément dérangeant car lorsque l’inhumanité côtoie le grotesque avec un tel réalisme, le lecteur ne peut qu’être mal à l’aise.
Le bâtard, c’est Gene, né de mère prostituée et de père inconnu. Après avoir pas mal bourlingué, il revient où il a grandi, à Lewisville, bled paumé de Géorgie. Il trouve un boulot à l’usine du coin, séduit quelques filles, s’installe chez un copain, rencontre celle qu’il pense être la femme de sa vie, part avec elle à Philadelphie. Ils ont un enfant, bébé monstrueux couvert de poils aux retards psychomoteurs irrécupérables. Gene finira par le noyer dans une rivière. Entre temps il aura violé une gamine en prison et il aura vu son ami John, patron d’une scierie, couper un ouvrier noir en deux sans motif véritable. Tous les personnages ont des conduites amorales, le bien et le mal semblent ne pas exister. Les choses adviennent, un point c’est tout. Forcément dérangeant…
Soyons honnêtes, l’écriture, sèche comme un coup de trique, n’a rien de transcendant. L’histoire elle-même ne casse pas trois pattes à un canard. Une succession de scénettes sans véritable lien pour lesquelles il est difficile de se passionner. Mais peu importe, l’intérêt est ailleurs. Il faut prendre Le bâtard pour ce qu’il est, à savoir un des romans fondateurs de la littérature américaine pleine de bruit et de fureur qui a caractérisé la seconde partie du 20ème siècle et qui est aujourd’hui encore une marque de fabrique pour nombre d’écrivains US. Pas certain que cela suffise à convaincre beaucoup de lecteurs mais je tenais quand même à vous en parler…
En cadeau bonus, un petit dialogue, juste pour vous mettre dans l’ambiance :
- Il n’y a que deux sortes de femmes : celles qui sont propres et les salopes.
- Moi j’les aime propres.
- Non, y a pas beaucoup de différence.
- C’est vrai, y a pas beaucoup de différence.
- Si elles sont propres, elles d’viennent des salopes, et si elles sont des salopes, elles le restent !