mercredi 21 août 2013

Mon ami Dahmer - Derf Backderf

Au cours des années 70, Derf Backderf a côtoyé Jeffrey Dahmer au collège puis au lycée. Dahmer qui sera arrêté en 1991 et reconnaîtra dix-sept meurtres perpétrés sur de jeunes hommes. Des crimes affreux commis pour la plupart à la fin des années 80 et accompagnés de viols, de nécrophilie et de cannibalisme. Dans ce roman graphique en noir blanc, Backderf revient sur cette période de sa jeunesse où il a fréquenté sans le savoir un serial killer en devenir.

L’exercice est casse-gueule. Ne pas tomber dans le sensationnalisme, ne pas non plus être dans le jugement mais simplement essayer de comprendre comment un ado à priori comme les autres a pu devenir un tel monstre. Je dis à priori parce que Dahmer était quand même un gamin un peu particulier. Taciturne, solitaire, vivant avec des parents qui passaient leur temps à s’enguirlander et qui ne se sont jamais intéressés à lui. Sans parler son homosexualité qui apparaît comme une évidence et qu’il voudrait refouler, son attirance pour les univers morbides et les cadavres d’animaux sur lesquels il se livrait à de sordides expériences, un alcoolisme chronique dès les premières années du lycée, bref pas vraiment un ado comme les autres en fait.

Soyons clair, je n’ai pas du tout été fasciné par le parcours de Dahmer ni par sa relation avec Backderf. Horrifié plutôt de constater que personne n’a pu, su ou voulu voir à quel point cet élève en souffrance avait besoin d’aide. Les profs surtout auraient dû déceler les signaux de ce mal-être persistant. Facile à dire après coup, c’est vrai, mais quand même.    

Quoi qu’il en soit voila un drôle d’album. Glaçant et dérangeant. Dérangeant dans la mesure où j’ai du mal à saisir les intentions de l’auteur. Pourquoi avoir voulu raconter cette relation qui n’était même pas amicale ? Comme ses camarades, Backderf a passé son temps à ignorer Dahmer. Tout juste le considérait-il comme une espèce de freaks capable d’amuser la galerie lorsqu’il se lançait dans d’étranges imitations. Son récit est très documenté mais il tombe parfois dans l’anecdotique. Alors quel est le but ? Dérouler comme il le prétend dans la préface le fil d’une « histoire tragique qui n’a rien perdu de sa puissance dramatique » ? Pourquoi pas mais je n’ai pas du tout ressenti cet aspect. Une manière pour lui d'exorciser une expérience qui, à posteriori, avait tout pour être flippante ?  Possible. Ou alors, mais je n’ose le croire, une tentative opportuniste de mettre en lumière son talent d’auteur en appâtant le chaland avec une figure de tueur en série qui exerce toujours une certaine fascination sur le grand public ?

Disons qu’il y a comme un malaise et que j’ai été incapable en refermant l’ouvrage de savoir si j’avais ou pas apprécié cette lecture. Très bizarre comme sensation, j’ai l’impression d’être un peu perdu…


Mon ami Dahmer de Derf Backderf. Çà et Là, 2013. 222 pages. 20 euros. 

Une nouvelle lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' ! Filez-vite voir son avis qui vous éclairera sans doute davantage que le mien.

Les avis de Lunch ; Choco ; Joëlle ; Theoma ; Yvan ; Oliv











34 commentaires:

  1. Eclairé, éclairé... c'est vite dit ! ^^ Je comprends un peu mieux ce que tu me disais hier et cela me fait revenir sur une question : avant même de passer à la lecture, pensais-tu déjà au fait que l'auteur n'avait fait référence à cette expérience uniquement pour attirer l'attention sur lui ?

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    1. Non pas du tout, je suis parti sans aucun à priori. Mais j'avais lu la 4ème de couv où l'on nous dit que tous deux se sont liés d'amitié alors que ce n'est pas du tout le cas. Et dans son intro, Backderf présente Dahmer comme un camarade avec lequel il traînait alors que là-encore ce n'est pas le cas. Du coup j'ai eu l'impression d'une légère tromperie sur la marchandise, comme s'il avait eu besoin pour la commodité du récit de créer entre eux une intimité n'ayant en fait jamais existé. Et ça, ça me gêne...

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    2. Ah ! Alors les éléments dont tu parles m'ont également déstabilisée (4è de couv et propos de l'auteur). Je suis complètement d'accord avec toi pour dire que décrire la relation qu'ils avaient comme une "relation d'amitié" n'est pas du tout approprié à la situation. Ça m'a énervée même qu'il y ait un si grand décalage entre l'emballage et le produit !

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    3. C'est vraiment le gros problème pour moi. S'il y avait eu une vraie intimité entre eux j'aurais pu comprendre sa démarche. Mais là finalement il fait un travail de journaliste avec un certain regard distancié et il l'emballe avec un peu de vécu, quelques anecdotes pour rajouter une touche de proximité un peu artificiellement je trouve.

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    4. C'est sûr que le mot "ami" n'a pas le même sens chez moi... je parle plus de "camarade". Se moquer d'un élève en le faisant passer pour une mascotte, sans vraiment l'accueillir dans le cercle des amis dont on apprécie la compagnie, j'appelle pas ça de l'amitié.
      Maintenant, c'est tout de même une expérience forte dont l'auteur parle, forte et déstabilisante. Sincèrement, la démarche je trouve qu'elle coule de source, il y a un besoin de parler, d'extérioriser toute l'angoisse qu'il a eue de côtoyer un tueur en série et d'avoir pu, peut-être, être une victime. Ce sont des choses flippantes qui lui sont passées par la tête (après coup certes, mais il y a pensé, la dernière anecdote du livre y fait référence) et je ne place pas ce livre dans une optique "commerciale"... d'ailleurs, il a galéré avant d'être édité.

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    5. Difficile en effet de se mettre à sa place alors que l'on a pas été confronté à une telle expérience. Besoin d'en parler ? Peut-être mais la démarche ne coule pas de source pour moi.

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  2. Je comprends tes réticences. Je ne pense pas (mais bon je ne le connais pas) que l'auteur ait eu l'intention d'exploiter ce drame. Il ne me semble pas avoir lu dans les diverses interview qu'il a données qu'il ait dit être ami avec Dahmer. Je pense qu'il s'agit plutôt d'un raccourci de l'éditeur et de la presse. Ce qui m'a intéressée, sans n'avoir ressenti aucune fascination pour ce personnage non plus, c'est justement le fait que la situation fragile de Dahmer était connue. On ressent pas mal de culpabilité de la part de l'auteur : si nous avions fait quelque chose à l'époque (sans savoir quoi), aurions-pu éviter la mort d'innocents ? Horrifiant comme tu dis, l'indifférence des adultes qui démontre qu'il s'agissait bel et bien d'une autre époque. Un tel comportement aujourd'hui passerait-il aussi "inaperçu" ? Intéressant également : lorsque Derf apprend au téléphone qu'il connait l'auteur de ces crimes, il ne pense à Dahmer qu'en seconde position.

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    1. La question de l'opportunisme "commercial" je la pose mais je n'y crois pas beaucoup. La non prise en charge de cet ado en souffrance est clairement le nœud central de l'album. Facile quand on connait la chronologie des événements de se dire qu'il aurait fallu faire quelque chose mais en même temps il y a sans doute eu des milliers d'autres "Dahmer" dans les lycées américains à l'époque, non pris en charge eux auusi et qui ne sont pas pour autant devenus des serial killer (heureusement d'ailleurs !).

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  3. En te lisant Jérôme j'ai l'impression qu'on surfe effectivement sur la vague de curiosité malsaine qu'engendre ce type d’événement. Je me trompe peut être mais pour tout dire je n'ai pas envie de savoir je préfère passer !

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    1. Je n'en suis pas certain et je regrette presque d’avoir avancer cette idée de curiosité malsaine mais ce qui est sûr c'est que je suis sorti très mal à l'aise de cette lecture.

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  4. Le malaise est évident, il paraît même double, celui de l'auteur et celui du lecteur, aucun des deux ne parvient à se situer si je comprends bien.

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    1. Dans mon cas tout du moins. J'ai lu de nombreuses autres critiques élogieuses où les lecteurs n'ont pas ressenti l'album de la même façon que moi.

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  5. Comme Cristie : je pense qu'il y a un public pour les histoires sordides de déviances humaines. Essayer de comprendre comment une personne peut devenir un monstre est chose ardue et je ne pense pas que ce livre y soit parvenu. si ?

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    1. Je ne suis pas certain que l'auteur cherche à comprendre. Il remonte le fil des événements et s'arrête au moment du 1er meurtre. Mais quel est son but, c'est LA question que je me pose...

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  6. Je ne partage pas ton point de vue négatif sur l'auteur et son propos. Du coup, je proposerai prochainement la chronique de l'album un mercredi, histoire de continuer le débat.
    a moi, il me semble qu'il veut montrer comment le société américaine, individualiste, ne valorisant que les bons, ceux qui réussissent, est capable d'oublier certain de ses membres. Souvent ça n'a que des incidences pour les individus, mais parfois, comme avec Dahmer, qui devait avoir une maladie mentale, ça peut très mal tourner...

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    1. Je ne sais pas si mon point de vue est négatif, il est surtout plein d'incompréhension. Je ne crois pas que Dahmer soit une victime de son environnement. L'esprit libertaire et permissif des années 70 est bien rendu mais je ne sais pas si les gamins paumés comme lui sont mieux pris en charge aujourd'hui aux États-Unis.
      En tout cas j'aime beaucoup les discussions qui se mènent autour de cet album et je suis à l'écoute de tous les points de vue.

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    2. On pourras reprendre cette discussion Mercredi, vu que je proposerai cet album là. ^^

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    3. Je ne sais pas pourquoi mais je pense que ton avis sera sensiblement différent du mien.

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  7. De mon côté, je trouve que l'auteur a du mal à choisir entre une narration subjective ou omnisciente. Néanmoins, j'ai pris du plaisir à découvrir cet album que j'ai trouvé intéressant. Au plaisir de te relire...

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    1. C'est peut-être en effet son positionnement qui pose problème. En même temps pas facile de trouver le ton juste tant sa position est "particulière".

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  8. J'avoue que j'étais plutôt intriguée par cet album au départ, et plus ça va, plus je suis dubitative... J'ai peur d'être très mal à l'aise...

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    1. Oh toi tu aimes bien les trucs un peu glauques, les tueurs de mamans tout ça, je pense que ça te plairait ;)

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  9. Tu te demandes quel est son but mais... est-on obligé d'en avoir un en tant qu'auteur ? ;-)

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    1. Évidemment non, tu as bien raison mais avec un sujet tel que celui-là c'est plus fort que moi, il faut que je me pose la question.

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  10. Choco m'avait donné envie de découvrir cette BD et toute cette polémique m'y incite encore plus ;-)

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    1. Je te reconnais bien là et j'avoue que j'aimerai beaucoup découvrir ton avis sur ce titre.

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  11. Démarche dérangeante pour un sujet dérangeant...

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  12. Une lecture dérangeante en effet ! Néanmoins, je n'avais pas noté ces différences subtiles quant à l'annonce de la 4ème de couverture. Un truc d'éditeur certainement. Pour ma part, je rejoins Lunch sur le côté exorcisation de cette "camaraderie". Si aujourd'hui, j'apprenais qu'un élève de ma classe était devenu tueur en série, j'aurais tendance à revenir sur mon expérience avec lui et à essayer de chercher des signes que je n'aurais pas su voir à l'époque. Une façon de me déculpabiliser peut-être ? Cet album m'a mis mal à l'aise mais je peux dire que je l'ai aimé. Pourtant, je suis loin d'être adepte des trucs de faits divers, des émissions sur les serial killers et j'en passe. Ce que j'ai vraiment trouvé intéressant, c'est ce décryptage psychologique du tueur en devenir. Sans être une victime, Dahmer bascule par une accumulation de facteurs internes et externes. Bien que l'auteur mélange son expérience et celle issue de ses recherches, je trouve le portrait très cohérent, très éclairant. Finalement, le point sur lequel tout le monde se rejoint, c'est comment aucun adulte n'a pas déceler les problèmes de Dahmer. Choquant et inquiétant...

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    1. Je comprends tout à fait ton point de vue mais je n'arrive pas à voir les choses de la sorte. En tout cas je suis bien content que ce billet ait déclenché autant d'échanges avec les autres lecteurs de cet album, ça enrichit et complète grandement ma propre analyse.

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  13. Lu d'une traite, en pleine nuit, quelle andouille. Très mal à l'aise après, tu t'en doutes.
    Comme toi, j'ai des réserves sur la place de l'auteur, sur cette prétendue 'amitié', etc.
    Pour la passivité, l'inertie et l'aveuglement des proches (lycéens, profs, parents), je suis persuadée que c'est hélas très fréquent... Et que le pb n'est pas résolu auj., quoi que prétende l'auteur en p. 84.
    Merci pour cette découverte. :-)

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    1. Oui il y a mieux à lire la nuit... Tu as cerné à peu près les mêmes problématiques que moi mais tu as aussi beaucoup aimé il me semble. Rien que pour ça je suis content de te l'avoir fait découvrir.

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  14. PS : j'aime par contre le fait que le tueur nous soit sympathique, nous bouleverse + qu'il ne nous répugne (idem 'Avenue des Géants' de Dugain).

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    1. Moi je dirais pas qu'il me répugne mais je ne l'ai pas trouvé touchant. Juste carrément flippant, surtout dans la façon dont son identité se construit.

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