samedi 30 juin 2012

Scène de plage de Charles Gancel

Gancel © Buchet Chastel 2012
Le narrateur s’apprête à passer une journée estivale sur une plage Corse. Mateur invétéré, ce célibataire venu du continent repère d’emblée « une de ces Vénus lycéennes attardées », « beauté boudeuse dont la grâce vacille entre la fraîcheur de l’enfance et la triste corruption de l’âge adulte. » S’installant de manière stratégique afin de ne pas perdre de vue sa proie, notre homme va laisser s’écouler les heures entre baignade, sudoku et tartinage de crème solaire jusqu’au moment où il décide de passer à l’action et d’attirer la naïade dans ses filets…

Le titre résume parfaitement l’ensemble. Ces 130 pages décrivent une seule et unique journée passée en bord de mer par un fonctionnaire du sénat un rien pédant. Un parisien arrivé avec condescendance sur l’île de beauté dans le but d’étudier les tropismes culturels locaux mais qui se révèle avant tout être un érotomane maniaque et vaniteux.

Tout l’intérêt du texte tient dans les élucubrations à la première personne de ce cuistre pathétique et dans la scène finale, furieusement drôle. L’écriture volontairement boursouflée colle à merveille à la mentalité du personnage et s’il faut bien reconnaître que l’ensemble est loin d’être inoubliable, cette scène de plage fera malgré tout passer un bon moment aux lecteurs qui partiront à la rencontre de ce pseudo-expert de la drague persuadé du caractère imparable de sa stratégie.

Scène de plage de Charles Gancel. Buchet Chastel, 2012. 135 pages. 14,00 €.


Un grand merci aux éditions Buchet Chastel et à Babelio pour l’envoi de cet ouvrage.

samedi 23 juin 2012

Motel Life de Willy Vlautin

Vlautin © J'ai lu 2012
Reno, Nevada, une nuit d'hiver. Alors qu’il conduit en état d’ébriété, Jerry Lee Flannigan renverse un ado à vélo. Constatant la mort du jeune homme, il camoufle le corps sur sa banquette arrière et file chez son frère Frank. Ce dernier le convainc d’abandonner la victime devant un hôpital et tous deux partent pour le nord, décidés à faire disparaître la voiture. Commence alors une fuite sans buts, de motels en motels, pour ces hommes désespérément seuls et en totale perdition.

Célèbre chanteur et compositeur du groupe Richmond Fontaine, Willy Vlautin mène en parallèle une belle carrière d’écrivain. Dans ce 1er roman, il met en place les éléments qui caractériseront son œuvre par la suite, à savoir une plongée dans le quotidien des paumés de l’Amérique et une écriture essentiellement descriptive, très cinématographique. A l’évidence, Raymond Carver l’a beaucoup influencé, tout comme le behaviorisme, ce genre littéraire où les auteurs bannissent toute trace de psychologie au profit de la description pure. En France, Manchette a été le chantre du behaviorisme tandis qu’aux Etats-Unis, parmi les écrivains actuels, on pourrait citer Paul Auster où Georges Pelecanos. Personnellement, j’aime beaucoup cette écriture, ce qui est loin d’être le cas de tout le monde.

Vlautin cherche avant tout la sobriété et la justesse. Ses deux anti-héros, losers pathétiques sans aucune perspective d’avenir, ont quelque chose d’attachant. Le texte, traversé par une insondable tristesse, se termine de façon forcément tragique. Un premier roman qui, malgré quelques maladresses, sacre une nouvelle voix de la littérature américaine sur laquelle il va à l’évidence falloir compter.

Motel Life, de Willy Vlautin, J’ai lu, 2012. 254 pages. 7,10 euros.

 
Ce billet signe ma troisième participation au challenge au challenge Premier roman de Anne.
 
 


vendredi 22 juin 2012

La cavale de Billy Micklehurst

Willocks © Allia 2012
Billy était un « transparent ». Il appartenait à la classe la plus misérable qui soit. « Quand on le regardait, Billy pouvait avoir dix ans au-dessous ou au-dessus de la cinquantaine. Des décennies sur les routes et d’innombrables litres […] de spiritueux méthylés avaient forgé son squelette, sa peau et ses organes internes en une épave indestructible. Son visage était remarquable pour ses yeux et ses dents. Les yeux parvenaient à être à la fois profondément enfoncés et férocement protubérants ; et pendant que sa mâchoire inférieure se glorifiait d’une rangée complète de chicots jaunissants, ses gencives supérieures affreusement ravagées n’en abritaient que deux – une canine et une incisive – qui oscillaient, précaires, et dépassaient quand il refermait la bouche. » Billy le SDF vivait à Manchester, « une cité sombre. Une ville fantôme. Une ville de parias fièrement dressée, majestueusement brisée. » Billy passait ses nuits dans les cimetières, couché sur les conduits du crématorium, à la recherche d’un peu de chaleur humaine. C’est là qu’il voyait les morts et leur parlait, désespéré à l’idée de ne pouvoir leur venir en aide. Ayant depuis longtemps basculé dans la folie, parvenu au dernier degré de la misère physique et morale, Billy a été retrouvé pendu à une croix du cimetière Sud, un matin d’hiver.

Dans cette courte nouvelle rédigée à l’origine pour un magazine vendu dans la rue par des sans-abris, Tim Willocks ressuscite un souvenir de jeunesse. Alors qu’il avait 17 ans, il est devenu l’ami d’un SDF ressemblant beaucoup à Billy. Au cœur du texte, il y a la souffrance. Dans un entretien avec l’auteur en fin d’ouvrage, ce dernier affirme : « La souffrance est presque la condition sine qua non de la vie de tout être humain. Riches, pauvres, bons, mauvais, laids, nous l’éprouvons tous. » Plutôt que de la pitié, le narrateur ressent pour Billy beaucoup de respect : « Il était dur sans pour autant être méchant. Il était passé maître dans l’art de la survie. Il s’affirmait libre là où nombre d’entre nous en sont incapables. »

Un beau portrait, où, finalement, la folie n’est jamais très éloignée d’une certaine forme de lucidité. Touchant et juste.

A noter que ce tout petit livre (9 x 14 cm) propose à la fois le texte en anglais et la traduction française.

La cavale de Billy Micklehurst, de Tim Willocks, éd. Allia, 2012. 80 pages. 3,10 euros.

jeudi 21 juin 2012

Il était une fois deux oies dans une maison en feu

Baltscheit et Badel © Glénat 2009 
Second billet de ma semaine spéciale P’tit Glénat consacré cette fois-ci à un ouvrage de l’auteur allemand Martin Baltscheit.

Tout est dans le titre. Cet album raconte en effet l’histoire de deux oies dans leur maison en feu. Deux oies stupides qui passent en revue les animaux susceptibles de venir les aider sans qu’aucun, jamais, ne trouve grâce à leurs yeux. L’éléphant ? Ce gros balourd va tout piétiner. Le taureau ? Si ce vantard vient les sauver, elles vont en entendre parler jusqu’à la fin de leurs jours. Le chien ? Ce flemmard ne sortirait pas sa propre mère des flammes, c’est trop fatiguant. Plus le temps passe, plus elles tergiversent et plus l’incendie se propage. Au final, évidemment, c’est la catastrophe et les deux oies se retrouvent ensevelies sous les cendres.

Un album vraiment drôle, mais pas seulement. Bien sûr, la bêtise des deux volatiles et le langage relativement familier font sourire. Mais en filigrane l’auteur aborde la question de l’entraide, de la suffisance ou encore de l’importance de prendre des décisions quand la situation l’exige. Bref, il interpelle les enfants et sans donner une morale claire et précise, il les pousse à la réflexion ce qui est toujours une bonne chose.

Les illustrations de l’excellent Ronan Badel (Félicien Moutarde) vont à l’essentiel et complètent à merveille le texte. Un petit souci néanmoins avec le lettrage un poil trop tremblotant que les lecteurs débutants pourront avoir du mal à déchiffrer à certains endroits.

Voila en tout cas un album rigolo et intelligent à recommander chaudement.

Il était une fois deux oies dans une maison en feu de Martin Baltscheit et Ronan Badel (ill.). Glénat, 2009. 32 pages. 11 euros. A partir de 4 ans.





Baltscheit et Badel © Glénat 2009



mercredi 20 juin 2012

Martha Jane Cannary 3 : Les dernières années (1877-1903)

Blanchin et Perrissin
© Futuropolis 2012 
« Ma vie… c’est un ramassis de malheurs et de catastrophes. Trop de choses dont je n’ai pas à être fière. Je préfère encore les ragots qu’on colporte à mon sujet. » Cette phrase résume tout le paradoxe et la complexité du personnage. Difficile de faire la part des choses entre Martha Jane Cannary et Calamity Jane. La première est une femme solitaire, dépressive, terriblement fragile. La seconde est un mythe, une image d’Epinal qu’elle a elle-même érigée et qui lui a permis de devenir une figure légendaire de l’ouest.

Ce troisième tome couvre les dernières années d’une vie trépidante. Sans le sou après la disparition du Pony Express, Jane enchaîne les petits boulots, noie son mal être dans l’alcool et multiplie les conquêtes d’un soir. Engagée pour raconter son histoire dans des spectacles itinérants, elle peine certains jours à monter sur scène. Invitée d’honneur des festivités d’Oelrichs City le 4 juillet 1887, elle passe la matinée à faire le tour des saloons et sombre dans un coma éthylique qui aurait pu lui être fatal. Elle décède en 1903, à 51 ans, désespérément seule. 
      
Au-delà du mythe, Perrissin et Blanchin ont tenté de rester au plus proche de la dure réalité. Fieffée menteuse, Calamity Jane aimait s’attribuer des aventures incroyables auxquelles elle n’avait jamais participé, pour le plus grand bonheur des chroniqueurs en mal de sensations fortes. La lecture intégrale de cette remarquable trilogie permet de comprendre comment le mythe s’est construit. Femme libre ayant transgressé les codes de son époque, elle apparaît aussi indépendante et courageuse que sentimentale avec ses nombreux amants. Coquette, elle ne dédaignait pas les belles toilettes et ne s’habillait en homme que lorsqu’elle devait monter à cheval. Sans jamais l’idéaliser, les auteurs montrent avec brio comment elle a pu passer aux yeux de la majorité pour une héroïne flamboyante alors que ceux qui la connaissaient vraiment ne voyaient en elle qu’une vulgaire mythomane analphabète et alcoolique.

Aux pinceaux, Mathieu Perrissin fait encore des merveilles. Ses lavis aux tons sépia sont toujours aussi expressifs et l’ambiance qu’il parvient à distiller tout au long de l’album colle parfaitement à l’époque.
Personnage indomptable, Martha Jane Cannary restera à jamais cette femme éprise de liberté dans un monde où les hommes régnaient en maîtres. Une excellente biographie, idéale pour découvrir cette icône attachante en diable.             


Martha Jane Cannary T3 : Les dernières années (1877-1903) de Matthieu Blanchin et Christian Perrissin. Futuropolis, 2012. 110 pages. 22,50 euros.


Blanchin et Perrissin © Futuropolis 2012



lundi 18 juin 2012

Le petit vent

Collet et Boutin © Glénat 2009
Ça commence à faire un petit bout de temps que je n’ai pas présenté d’albums pour enfants ici. Il faut dire que mes filles grandissent et qu’elles lisent de moins en moins ce type d’ouvrage. Malgré tout, elles aiment toujours autant quand papa ou maman leur font la lecture à voix haute. Du coup, j’ai profité d’un passage à la librairie pour faire le plein de p’tit Glénat. J’adore cette collection hétéroclite et dans l’ensemble plutôt irrévérencieuse, j’en avais déjà parlé ici et ici. Si j’ai le temps et le courage, je vais faire une semaine spéciale pt’tit Glénat. Allez, on commence aujourd’hui avec Le petit vent.

Gauthier a une envie pressante. Non non, pas le pipi, disons plutôt un petit prout. Mais comme Gauthier est discret, il va chercher un endroit tranquille pour laisser sortir son petit vent. Malheureusement pour lui, sous l’escalier, il y a déjà sa sœur. Dans la véranda, il y a son père et dans sa chambre, il y a sa mère. Du coup, Gauthier préfère aller dans le jardin pour enfin se soulager, mais il n’a pas pensé aux voisins…

Un album sur les prouts, ça marche à tous les coups. Celui-là ne fait pas exception à la règle. Très peu de texte, des illustrations naïves aux couleurs criardes et des situations répétitives qui déclenchent le sourire. La recette est simple mais efficace. D’aucuns objecteront que tout cela ne vole pas bien haut. C’est un fait. Il n’empêche, le plaisir de la lecture et la bonne humeur qui se dégage du texte valent que l’on flirte pendant quelques minutes avec une certaine forme de mauvais goût. Et puis ce petit vent est un tremplin idéal pour partir à la découverte des Prouts célèbres ! 

Le petit vent de Géraldine Collet et Arnaud Boutin (ill.). Glénat, 2009. 32 pages. 10 euros. A partir de 3 ans.

Collet et Boutin © Glénat 2009


dimanche 17 juin 2012

Les années n°11

Au sommaire de ce numéro 10, un portrait de Pierre Charras, une réflexion de Roger Wallet sur son statut d'auteur en résidence à Beaugency, une balade à Mexico, des chroniques plus ou moins bienveillantes, deux nouvelles de Sylvie Van Praët et, comme toujours, la chronique du professeur Hernandez. De mon coté, je ne vous parle d'une magnifique adpatation en BD du Joueur de flûte de Hamelin.

Pour consulter gratuitement ce numéro, rendez-vous sur  : http://lesannees.blogspot.fr/

Si vous souhaitez recevoir chaque nouveau numéro par mèl, il vous suffit de me laisser vos coordonnées dans la rubrique Contact.

Rendez-vous vers le 30 juin pour le n°12.



samedi 16 juin 2012

L'art du jeu

Harbach © JC Lattès 2012
Mike Schwartz est le capitaine de l’équipe de baseball de l’université de Westish. Lorsqu’il croise le chemin d’Henry Skrimshander au cours d’un match de seconde zone, il comprend que le gamin possède un potentiel exceptionnel. Devenu le mentor d’Henry, Schwartz va faire de son protégé une véritable star. Mais il suffira d’un mauvais lancer pour que les destins de plusieurs personnages basculent. Ceux d’Henry et de Mike, bien sûr, mais aussi celui d’Owen, le compagnon de chambre d’Henry, gracieux jeune homme vivant une histoire d’amour impossible avec Guert Affenlight, le président de l’université. Un président qui doit gérer, en plus de la découverte de son homosexualité, le retour de sa fille Pella dont il n’avait plus de nouvelles depuis des années…

Il aura fallu dix ans à Chad Harbach pour rédiger la version définitive de L’art du jeu. Ce premier roman à la narration incroyablement fluide imbrique avec maestria les existences des cinq personnages principaux. Chacun d’eux est parfaitement incarné et déclenche l’empathie du lecteur. Roman d’apprentissage empreint d’un grand classicisme formel, L’art du jeu met en scène des jeunes gens sur le point de basculer dans le monde des adultes. Basé en grande partie sur les relations que nouent les hommes entre eux (fidélité, amitié, jalousie, colère…), le texte joue sur la corde de l’héroïsme et de la virilité pour mieux affirmer l’impossibilité de parvenir à la perfection. Au final, il semble simplement que chacun aura grandi dans la beauté et la grandeur de l’échec, même si le capitaine Schwartz pense évidemment tout le contraire : « J’en ai marre de perdre. On est en Amérique. Les bons gagnent. Les nuls sortent. »

Encore un premier roman américain d’une exceptionnelle ampleur. Chad Harbach glisse avec aisance d’un personnage à l’autre. Sa prose est simple, précise, réaliste, et la construction du récit, de prime abord complexe, se révèle à la lecture simplement palpitante. Un vrai tour de force qui a dû demander une somme de travail considérable à l’auteur. Le résultat est tellement impressionnant que l’Art du jeu a été classé par le New York Times parmi les dix meilleurs livres de l’année 2011 et que la chaîne HBO en a acheté les droits afin d’en faire une série télévisée. Juste une précision néanmoins, même s’il n’est pas nécessaire de connaître toutes les subtilités du baseball pour apprécier ce texte, il faut bien avouer que certains passages décrivant les matchs risquent de paraître obscurs aux profanes.

Personnellement j’adore ce sport donc cela ne m’a posé aucun problème et j’ai été tout simplement emballé par ce roman qui pousse ses protagonistes à s’interroger sur le désir, la quête de perfection ou encore le doute, autant de questionnements propres à l’âme humaine : « Une âme, on ne nait pas avec. C’est quelque chose qu’il nous faut construire, au fil de nos efforts et de nos erreurs, de nos études et de nos amours. »

Assurément un gros coup de cœur pour moi !

L’art du jeu, de Chad Harbach, JC Lattès, 2012. 664 pages. 22,50 euros.

L'avis de Voyelle et consonne

Ce billet signe ma seconde participation au challenge Premier roman de Anne.




jeudi 14 juin 2012

Les disparus de Shangri-La

Zuckoff © Flammarion 2012
13 mai 1945. Alors qu’il survole un territoire jusqu’alors inexploré de la Nouvelle-Guinée Néerlandaise, un avion de l’armée américaine s’écrase en pleine jungle. Sur les 24 passagers, seuls trois survivront, dont deux grièvement blessés. Isolés, totalement perdus, à la merci des tribus autochtones qu’ils imaginent belliqueuses et s’adonnant avec plaisir à l’anthropophagie, les survivants tentent de s’organiser au mieux en attendant d’éventuels secours. Mais la zone est tellement inaccessible que l’armée va éprouver les pires difficultés pour localiser et récupérer ses soldats.

Alternant la description de l’épopée des survivants et les préparatifs du sauvetage sur la base militaire de Hollandia, Mitchell Zuckoff ne cède jamais à la tentation de la fiction. Chaque événement rapporté est strictement conforme à la réalité. Citant ses nombreuses sources et multipliant les notes en fin d’ouvrage, l’auteur s’est attaché à restituer les faits, rien que les faits. Au-delà de l’aspect « robinsonnade », le récit s’avère souvent passionnant, notamment lors des passages s’attardant sur le mode de vie et les croyances des tribus de la vallée. Rendez-vous compte, ces peuplades coupées du monde n’avaient jamais vu d’hommes blancs ! Dans l’épilogue, on comprend que depuis ce premier contact les choses ont bien changé et que cette région appartenant désormais à l’Indonésie est exploitée pour ses richesses naturelles sans aucune considération pour les populations indigènes continuant à y vivre.

Les disparus de Shangri-la relate une incroyable aventure humaine. Petit reproche, les trop nombreuses digressions autour de personnages « secondaires » alourdissent quelque peu le propos et me semblent loin d’être indispensables. Il n’empêche, l’enquête menée par Mitchell Zuckoff , solidement documentée, se révèle palpitante et l’ensemble se lit d’une traite.

Les disparus de Shangri-la, de Mitchell Zuckoff. Flammarion, 2012. 374 pages. 22 euros.

Un grand merci aux éditions Flammarion pour la découverte.

L'avis de Soukee


mercredi 13 juin 2012

Bêtes de somme 1 : Mal de chiens

Dorkin et Thompson
© Delcourt 2012
Sommer Hill. Une banlieue américaine cossue avec des pavillons proprets et de bons toutous dans chaque jardin. Problème, l’un d’eux est persuadé que sa niche est hantée. L’occasion pour ses camarades à poils de découvrir que Sommer Hill n’est pas forcément un havre de paix idyllique...

Animaux zombies, loups garous, chats sorciers, grenouille géante, rats maléfiques, etc. Quand une bande de chiens (et un chat) est confrontée à des phénomènes surnaturels, le résultat est plutôt sanglant.

Destinée au départ à être publiée dans un ouvrage collectif, l’histoire qui ouvre le recueil aurait dû constituer la seule et unique apparition de cette drôle de brigade d’intervention canine. Mais l’accueil des lecteurs fut tellement chaleureux que les auteurs décidèrent de poursuivre l’aventure. Après trois nouvelles histoires courtes constituant autant de galops d’essai, les Bêtes de somme prirent définitivement leur envol dans des récits plus denses et plus mouvementés. Les personnages sont tous très attachant, avec une mention spéciale pour Carl le carlin, un trouillard cynique et de mauvaise foi à l’humour dévastateur.

Graphiquement, les aquarelles de Jill Thompson sont tout simplement somptueuses. Les attitudes données à chaque animal sont criantes de vérité et les couleurs, particulièrement travaillées, participent grandement à rehausser l’ambiance angoissante qui traverse chaque chapitre.

Car que l’on ne s’y trompe pas, Bêtes de Somme n’est pas un album pour enfants. Les auteurs donnent dans l’horrifique parfois assez gore et nul doute que les âmes trop sensibles pourraient être fortement secouées par certains passages. A ne pas conseiller avant 12-13 ans, donc.

Aussi original qu’inclassable, cet excellent comics a été récompensé en 2010 par le Will Eisner Award de la meilleure publication pour ados.


Bêtes de somme T1 : Mal de chiens d’Evan Dorkin et Jill Thompson. Delcourt, 2012. 170 pages. 20 euros.

L'avis de Lunch ; l'avis de Manu


Dorkin et Thompson © Delcourt 2012

Dorkin et Thompson © Delcourt 2012





Will Eisner awards 2010
Meilleure série pour ados

samedi 9 juin 2012

Le poids du papillon

De Luca © Gallimard 2011
D’un coté, il y a le roi des chamois. De l’autre, un vieux braconnier, alpiniste et chasseur réputé. Ces deux là s’épient, se cherchent, se croisent depuis des années. Solitaires et taciturnes, ils savent qu’ils arrivent au bout de leurs chemins respectifs. L’animal voit sa force décroitre. Il ne pourra bientôt plus vaincre les jeunes mâles qui le défient régulièrement pour prendre la tête de la harde. A 60 ans, l’homme veut relever un dernier challenge et abattre le seul chamois qui lui ait toujours échappé. Deux forces exceptionnelles face à face. Un duel que chacun sait perdu d’avance…

L’écriture de De Luca est parfaitement épurée, à la fois réaliste et poétique, grattée jusqu’à l’os, aussi dense que recherchée. Une prose contemplative, riche d’odeurs et de sensations. Il y a dans ce court roman toute la rudesse et la beauté de la nature. Les deux personnages n’en font qu’un. Chez l’homme et le chamois, on retrouve les silences, les hésitations, les certitudes. Le même regard posé sur la fugacité de la vie.

Le poids du papillon est une fable, une parabole sur le coté immuable de l’existence. Quoi que l’on fasse, la fin sera la même pour tous. Le dénouement tragique et fusionnel qui unit à jamais les deux protagonistes n’a rien de désespérant, bien au contraire. Finalement, on peut voir dans ce texte une réécriture du combat entre Moby Dick et le capitaine Achab, le bruit et la fureur en moins.

Un texte magnifique et rare, loin de toutes les modes littéraires actuelles. De Luca est décidément un conteur au talent exceptionnel.

Le poids du papillon, de Erri De Luca. Gallimard, 2011. 80 pages. 9 ,65 euros.



Ce billet signe ma 1ère participation au challenge il viaggio de Nathalie.



vendredi 8 juin 2012

Toby mon ami

Panaccione © Delcourt 2012
Toby est un chien. Toby aime se balader dans la nature et marquer son territoire. Toby n’aime pas les chats ni le facteur. Toby a un maître, un artiste peintre sans le sou. Toby aime son maître. Surtout, il aime voir sa gamelle se remplir régulièrement. Il se fait d’ailleurs un point d’honneur à la vider avec le plus bel entrain. Toby est donc un chien qui a une vie de chien simple et heureuse, ni plus, ni moins.


C’est tout le problème avec cet album sans texte. Il n’est ni plus ni moins bon qu’un autre. Grégory Panaccione est un dessinateur italien ayant œuvré dans l’animation, notamment sur le film Corto Maltese. Il propose ici un univers graphique tout simple aux couleurs douces. Un joli travail à l’aquarelle et un trait dynamique qui retranscrit avec fidélité les différentes attitudes du chien. Petit bémol, le découpage en gaufrier de six cases par planches se révèlent au final assez monotone et sans grande originalité.

Le souci c’est que l’on referme ce petit volume en se disant qu’il risque d’être aussi vite lu qu’oublié. J’aime beaucoup la BD sans texte, c’est une forme d’expression extrêmement difficile car en s’affranchissant du texte l’auteur doit déployer des trésors d’ingéniosité pour donner à son histoire une lisibilité irréprochable. Ici, l’exercice est parfaitement réussi, c’est incontestable. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit justement d’un exercice de style et rien de plus. Une sorte de travail d’étude réalisé par un excellent élève mais qui n’a pas forcément vocation à être publié. Dans la période de surproduction actuelle, Toby mon ami n’est qu’un album parmi tant d’autres. Je serais tenté de le qualifier de « dispensable » même si le travail de Grégory Panaccione mérite évidemment le plus grand respect.

Toby mon ami de Grégory Panaccione. Delcourt, 2012. 144 pages. 14,30 €.



Panaccione © Delcourt 2012

mercredi 6 juin 2012

Lorna : Heaven is here

Brüno © Treize étrange 2012
Une femme géante de 40 mètres de haut qui se balade à poil. Une pilule magique qui agrandit de manière substantielle la taille du pénis. Un virus boosté à l’ADN de tarentule qui transforme les humains en monstres incontrôlables. Un alien qui veut faire des terriens ses amis et une actrice porno au sommet de sa gloire. Il y a tout ça dans Lorna, le dernier album de Brüno. Franchement, pas besoin d’en dire plus au sujet de l’histoire, il me semble que les quelques arguments déclinés ci-dessus devrait suffire à convaincre les plus réticents. Qui a dit que ça ressemblait à du grand n’importe quoi ? Le dessinateur d’Atar Gull assume. Son but était de rendre au hommage à l’émission Cinéma de quartier de Jean-Pierre Dionnet et à tous ces films de série B réalisés avec des bouts de ficelle. Mélangeant allègrement SF, horreur, porno et road-movie, Brüno se lâche.

Entre improvisation et exercice de style, le dessinateur marche sur un fil et frôle à plusieurs reprises la correctionnelle. Mais sa maîtrise de la narration lui permet de récupérer le coup à chaque fois que le récit s’apprête à sombrer dans le ridicule le plus complet. Surtout, graphiquement, l’ensemble tient sacrément la route. La bichromie d’orange et de noir se révèle beaucoup moins agressive pour la rétine que l’on pourrait le croire. Et si le trait est plus relâché que dans ses albums précédents, sa patte assez unique garde un charme vintage qui, personnellement, me ravit.

Un hommage à la contre-culture US et au cinéma populaire à réserver aux fans du genre. Pas sûr que l’on tienne là un best-seller en puissance mais en même temps, on s’en tape un peu. De toute façon, avec une couverture pareille, je ne pouvais pas passer à coté de cet album !

Lorna : Heaven is here de Brüno. Treize étrange, 2012. 150 pages. 17,25 euros.


Brüno © Treize étrange 2012

mardi 5 juin 2012

Le premier mardi, c'est permis (7) : Madame de V. a des idées noires

Morin © Pocket 2001
1917. Quand le mari de Maroussia de V. meurt à la guerre, elle choisit de devenir infirmière dans un hôpital militaire. C’est là qu’elle rencontre Doudou, un « sergent nègre dont la verge, énorme et longue, avait l’air d’une asperge monstrueuse, une asperge noire des enfers. » Une véritable révélation pour Madame de V. Grâce au sergent, elle découvre le bonheur d’une jouissance que son défunt mari, de 20 ans son ainé, n’a jamais pu lui faire connaître. Ses premiers ébats avec Doudou sont mémorables. En même temps c’est pas tous les jours que l’on se sent « pénétrée jusqu’à l’estomac par un épieu frémissant. »

Malheureusement, quand Doudou doit repartir au front, Mme de V. se trouve fort dépourvue. Son désarroi grandit encore lorsqu’elle apprend sa mort au combat. Déçue par ses expériences avec quelques blancs-becs bien moins vigoureux que son amant d’ébène, Maroussia décide de partir pour l’Afrique. Au moins là-bas, pense-t-elle, je suis certaine de trouver chaussure à mon pied...

Ah le vieux fantasme de l’homme noir endurant et bien membré ! Franchement, je n’aurais jamais cru tomber un jour sur un roman consacré au sujet. Juste pour info, sachez que dans ma glorieuse jeunesse (hélas fort lointaine), j’ai joué au foot dans un club réputé de ma région. Il y avait pas mal de joueurs originaires d’Afrique noire et je dois concéder que leur réputation ne relève pas de la légende urbaine. Bien sûr, tous n’étaient pas logés à la même enseigne, mais j’ai vu dans les vestiaires des trucs tellement impressionnants qu’il y avait de quoi donner à un ado boutonneux des complexes jusqu’à la fin de ses jours. J’avais beau me dire que ce n’est pas la taille qui compte et me répéter à l’envi que les plus courtes sont les meilleures, il était évident que jamais je ne pourrais soutenir la comparaison. Du coup, j’aimais bien prendre ma douche en dernier, tout seul dans mon coin. On se console comme peu.

Mais bon, revenons à ce très court roman. Ça démarre sur les chapeaux de roue avec quelques scènes de copulation bien senties mais très vite le soufflé retombe. Madame de V. la nympho se transforme en cougar paternaliste et ses déambulations dans les rues de Dakar sont ennuyeuses au possible. Pour couronner le tout, j’ai trouvé la fin absolument grotesque. Bref, vous l’aurez compris, par encore ce mois-ci que je vais me réconcilier avec la littérature érotique. Mais qui sait, je vais peut-être finir, moi aussi, par trouver chaussure à mon pied.

Madame de V. a des idées noires de Loulou Morin. Pocket, 2001. 90 pages. 4,40 euros.



Allez donc voir chez Stéphie les autres lectures inavouables du mois de juin.


dimanche 3 juin 2012

Les affligés

Womersley © Albin Michel 2012
5 juillet 1909, dans le petit village de Flint, en Nouvelles-Galles du sud. Alors que la tempête fait rage, on découvre le corps de la petite Sarah, violée et poignardée. A coté d’elle se tient son grand frère Quinn, un couteau ensanglanté à la main. Le jeune homme s’enfuit et personne ne peut le rattraper. Dix ans plus tard, Quinn revient en Australie après avoir bataillé sur le front du nord de la France. Défiguré par une grenade, rendu presque sourd par le fracas des combats et ayant de gros problèmes pulmonaires après avoir inhalé du gaz moutarde, le soldat démobilisé retourne à Flint. Le village, comme le reste du pays, est mis en quarantaine suite à une épidémie de grippe espagnole faisant des milliers de morts.

Quinn n’a pas tué sa sœur et lui seul connaît le vrai coupable. Persuadé que s’il se montre devant son père, ce dernier ne voudra jamais le croire, il se terre dans les collines. C’est là qu’il rencontre Sadie, une orpheline vivant dans les bois. Cette drôle de gamine semble en savoir beaucoup sur son passé et cherche absolument à le convaincre de venger la mémoire de sa sœur...

Les affligés est un roman au titre particulièrement bien choisi. Les personnages et les lieux décrits semblent frappés par les pires tourments. La force d’évocation de l’auteur est proprement sidérante. Alternant les flashbacks et le présent, Chris Womersley donne à son récit des élans de tragédie. Entre les phases contemplatives et les scènes douloureuses, il créé une atmosphère suffocante et entraîne le lecteur vers une fin que chacun sait inéluctable. Parce qu’il est question de vie, de mort, de famille, de guerre, de maladie et de vengeance, ce récit touche à l’universel. Revenu chez lui pour rendre la justice, Quinn ne croit plus à une quelconque rédemption : « Dieu ne nous surveille pas. Je crois que nous sommes livrés à nous- mêmes. Rien n’a d’importance... [...] Il en a fini avec nous il y a longtemps. Il nous a abandonnés. » Vagabond défiguré arpentant les collines comme un fantôme, il va enfiler les habits de l’ange de la mort (titre de la dernière partie) pour tenter, enfin, d’apaiser son âme.

Le final, crépusculaire, vient clore en beauté un roman plein de souffle, à la fois sombre et, par bien des aspects, tout à fait lumineux.

Les affligés, de Chris Womersley, Albin Michel, 2012. 320 pages. 20 euros.

L'avis de Reading n the rain

L'avis d'Athalie

vendredi 1 juin 2012

Les années n°10 : spécial fête des mères

Au sommaire de ce numéro 10, un portrait de Michèle Desbordes , des chroniques présentant des romans consacrés aux mamans, une nouvelle de Dominique Cornet et un texte rédigé en atelier d'écriture par une lycéenne nimoise dont les mères sont les personnages principaux, un portrait de la résisatnte Raymonde Carbon et, comme toujours, la chronique du professeur Hernandez. De mon coté, je ne vous parle pas de ma manman mais d'une BD consacrée aux soldats fous de la Grande Guerre.

Petite nouveauté, tous les numéros sont consultables en ligne (et gratuitement bien sûr !) : http://lesannees.blogspot.fr/

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Rendez-vous le 15 juin  pour le n°11.