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mercredi 6 juin 2018

Strip-tease - Emma Subiaco

Camille prend une décision radicale après avoir découvert son mec au lit avec une autre : fini la gentille demoiselle qui marche dans les clous et ne fait pas de vague, fini ce boulot d’architecte qui ne lui apporte aucune satisfaction. Pour être libre et s’accomplir, la jeune femme décide de se lancer dans le strip-tease. A peine engagée dans un club par une patronne peu regardante sur son manque d’expérience, Camille devient Elise et après une formation express (à peine cinq minutes), la voilà lancée sur scène pour un tour de piste dont le but en de donner à envie au client de la solliciter pour un tête à tête privé où l’on peut juste regarder sans jamais toucher, où la danse est facturée 300 euros et la bouteille de champ 500.

Autour de Camille la concurrence est rude. De Pétra aux lèvres pulpeuses et aux énormes seins refaits à Linda qui porte la vulgarité à des sommets inégalés en passant par Amanda l’accro à la cocaïne et Judith la cougar, la néophyte découvre que ses consœurs ont des profils et des motivations bien différentes. Elle découvre aussi un univers très particulier et des clients qui font plus pitié qu’envie. Mais surtout, et c’est bien le plus important, elle se rend compte que ce job tant décrié lui permet de s’affirmer en tant que femme.

Basée sur l’expérience personnelle d’Emma Subiaco, qui a été barmaid puis strip-teaseuse dans un club, ce roman graphique jette un regard à la fois réaliste et décalé sur ce milieu d’habitude si fermé.

Un regard critique d’abord : sans salaire fixe, uniquement payées en fonction du nombre de danses « privées », en CDD de deux mois renouvelables ou pas au bon vouloir de la direction, les filles ont des conditions d’exercice particulièrement précaires. Les clients quant à eux sont soit des machos venus s’en payer une bonne tranche, soit des pauvres gars paumés à la sexualité inexistante ou des jeunes trouducs en virée entre potes. Aucun n’attire la moindre sympathie et au final tous sont bien plus fragiles que les femmes qu’ils viennent mater la bave aux lèvres. 

Un regard plein d’empathie ensuite sur les strip-teaseuses, bien plus soudées que les apparences ne pourraient le laisser penser. Des filles lucides, qui savent ce qu’elles veulent et comment s’y prendre pour l’obtenir, qui portent un jugement sans pitié sur les hommes et ne leur font pas le moindre cadeau.

Au final une chouette BD, qui brille plus par son propos que par son graphisme parfois tremblotant. Une BD engagée, féministe, qui a le mérite de ne jamais tomber dans le sordide, préférant empiler les anecdotes et les petits soucis plutôt que les grands drames. Emma Subiaco explique d’ailleurs sa démarche en fin d’ouvrage dans une postface instructive qui  éclaire son projet avec beaucoup de conviction. Une vraie réussite que ce premier album culotté en diable (même si la couverture pourrait laisser croire le contraire !).

Strip-tease d’Emma Subiaco. Editions du Long Bec, 2018. 144 pages. 20,00 euros.





mercredi 24 décembre 2014

Coups de cœur BD 2014 !

Première fois depuis des lustres que je lis moins de 150 BD en une année. Un ralentissement dû au fait que j’ai lu bien plus de romans que d’habitude mais qui s’explique aussi parce que je trouve moins mon compte dans la production BD actuelle. Beaucoup d’albums corrects, sympas, mais sans plus. J’ai quand même eu quelques coups de cœur, heureusement !

La crème de la crème :



Le très très bon :




Ces albums excellents dont je n’ai pas parlé :




Le top jeunesse :




Des séries lues ou relues cette année :











Les flops :




Ma pal, qui devient enfin raisonnable :














mercredi 17 décembre 2014

Petit Pierrot T3 : Des étoiles plein les yeux - Alberto Varanda

Petit Pierrot fait partie de ces personnages attachants en diable que l’on a plaisir à retrouver. C’est un rêveur, fasciné par la lune et amoureux de la petite Émilie, qui le fait rougir à chaque fois qu’il la voit. Son camarade préféré est un escargot, sorte de Jiminy Cricket, à la fois bonne conscience et confident terre à terre un poil rabat-joie. Dans ce troisième tome, Pierrot s’égare avec sa belle parmi les coquelicots de Claude Monet et sur le pont japonais du bassin aux nymphéas. Il se lance dans la rédaction d’un dictionnaire, philosophe toujours un peu et laisse son imagination prendre le pouvoir. C’est un contemplatif qui a la tête dans les étoiles, et c’est un peu l’enfant que j’aurais aimé être.

Varanda possède cette capacité rare à dire beaucoup avec trois fois rien. Il préfère jouer sur les attitudes, les regards notamment, plutôt que de lancer ses personnages dans de longs discours. Ses illustrations pleine page muettes sont autant de tableaux d’une stupéfiante expressivité. Petit Pierrot, c’est la douceur incarnée, une bulle hors du temps et des modes à savourer avec gourmandise. Une série inclassable et véritablement tout public qui prouve, s’il en était encore besoin, qu’il est possible de faire de la poésie en bande dessinée.


Petit Pierrot T3 : Des étoiles plein les yeux d’Alberto Varanda. Soleil, 2014. 52 pages. 17.95 euros.


Une lecture commune que je partage une fois de plus avec Noukette.

Les avis d'Hélène et Yaneck.


mercredi 10 décembre 2014

L’arabe du futur T1 : Une jeunesse au Moyen-Orient (1978-1984) - Riad Sattouf

Riad Sattouf est né en 1978, d’un père Syrien et d’une mère bretonne. En 1980, il découvre la Lybie de Kahdafi, où son père vient d’obtenir un poste de professeur. Une Lybie où « Le Guide » a aboli la propriété privée et créé un « État des masses populaires » où, en théorie, « tout le monde a un toit, tout le monde mange à sa faim, tout le monde travaille. » Après un retour en France, la famille déménage en Syrie en 1984 et rejoint le berceau des Sattouf dans un village près de Homs. L’occasion pour Riad de découvrir le quotidien des paysans, la misère, la promiscuité, l’antisémitisme omniprésent et la violence gratuite. Une plongée dans une culture totalement différente, déstabilisante mais à laquelle il finira par s’adapter, à marche plus ou moins forcée…

Premier tome d’une trilogie, ce témoignage purement autobiographique a quelque chose de dérangeant. Parce que le regard du petit Riad, tout en candeur, ne passe par aucun filtre. Et son point de vue présente les libyens et les syriens comme des êtres frustes à l’hygiène douteuse et sans aucune éducation. Il les découvre plein de haine à l’égard des juifs et des occidentaux, gratuitement méchants, cruels avec les animaux, bref il ne les montre pas sous leur meilleur jour, c’est le moins que l’on puisse dire. Pour autant je ne vois là aucun racisme, juste la vision d’un enfant en proie à des émotions brutes ne possédant pas les critères d’appréciation permettant de prendre le moindre recul. Et puis la présence d’une voix off accompagne le récit, informe le lecteur et met les choses en perspective.

En fait, j’ai l’impression que cet album est avant tout et surtout un hommage au père. Un père laïc, féru de politique et de panarabisme, vouant un culte naïf aux dictateurs, qu’ils soient libyen ou syrien. Un père au brillant parcours universitaire, se considérant comme moderne mais toujours très à cheval sur les relations hommes/femmes, trouvant le plus naturel du monde que le mari commande et que la femme obéisse sans jamais discuter. Un père obsédé par l’idée que son fils aille à l’école, s’instruise et devienne « L’arabe du futur ».

Il serait stupide de réduire cet album à un quelconque règlement de compte. C’est pour moi un travail de mémoire (sans doute sélective) relatant une histoire familiale riche et peu banale que j’ai trouvée passionnante.

Et si je ne devais garder qu’une seule image, une image qui résume parfaitement l'album, ce serait celle-là :




L’arabe du futur T1 : Une jeunesse au Moyen-Orient de Riad Sattouf. Allary Éditions, 2014. 158 pages. 20,90 euros.





vendredi 5 décembre 2014

Fenêtre sur cour d’école - Laëtitia Coryn

Pendant une année, de la fenêtre de son atelier, Laetitia Coryn a observé une cour d'école. Elle y a croqué, au fil des mois, les heures d’entrée et de sortie des classes, les récréations toujours animées ou encore le centre aéré du mercredi.

Au menu, des jeux d’enfants, des chamailleries, des bobos, un caïd qui veut faire le malin, des incontournables comme le jour de la rentrée, la bataille de boules de neige, les déguisements du carnaval ou encore le ballon qui passe par-dessus le mur et que l’on réclame à corps et à cris au voisin.

Il n’y a pour ainsi dire aucun texte, c’est doux et sensible, poétique. C’est pour le lecteur un retour en enfance qui rappelle bien des souvenirs. Certaines trouvailles graphiques font mouche, comme le surveillant gérant les élèves à la manière d'un chien de berger regroupant son troupeau et le trait, spontané, donne beaucoup de dynamisme à ces élèves en perpétuel mouvement. On pourra reprocher à cet album son coté « bisounours », on pourra lui reprocher de caricaturer, de laisser les filles jouer à l’élastique et les garçons au foot (alors que c’est juste la réalité de cette cour de récré je suppose), on pourra s’étonner d’y voir des enfants sans portable et sans console de jeux (alors que ces objets sont simplement interdits dans la très grandes majorité des écoles), bref, on pourra toujours trouver des choses à redire. Moi je m’y suis senti bien dans cet album et j’ai aimé cette succession d’instantanés tout en simplicité. Pour tout vous dire, c’est un livre que j’aimerais glisser au pied du sapin, je sais déjà à qui il ferait très plaisir.

Fenêtre sur cour d’école de Laëtitia Coryn. Dargaud, 2014. 96 pages. 16,00 euros.

mercredi 3 décembre 2014

Petites coupures à Shioguni - Florent Chavouet

« Kenji avait emprunté de l'argent à des gens qui n'étaient pas une banque pour ouvrir un restaurant qui n'avait pas de clients. Forcément, quand les prêteurs sont revenus, c'était pas pour Goûter les plats. » Alors oui, forcément, il a pris cher Kenji. Mais les choses ne sont pas si simples, les policiers chargés de l’enquête vont s’en rendre compte. Le procès verbal de la nuit du 26 octobre montre à quel point les événements se sont enchaînés de manière étrange avant et après l’agression subie par Kenji dans son restaurant. Et s’il s’avérait que les yakuzas n’étaient pas venus pour lui mais pour la seule cliente qu’il avait eue ce soir-là ? Et si cette jeune femme était la clé de voûte de cette soirée dont chacun se souviendra longtemps ?


Pour sa première intrusion dans la fiction après deux excellents carnets de voyage (Tokyo Sanpo et Manabé Shima), Florent Chavouet fait fort et se lance dans une trépidante course poursuite dans les rues de Shioguni (je ne suis pas certain que cette ville ou ce quartier existe d’ailleurs, mais peu importe). Il y met en scène des gangsters pieds-nickelés, des policiers pas fute-fute, un chauffeur de taxi aigri, un cuisinier revanchard, un tigre en liberté et surtout une insaisissable gamine qui tire les ficelles sans avoir l’air d’y toucher. Ça peut paraître foutraque de prime abord mais les pièces du puzzle s’imbriquent petit à petit lorsque l'on découvre les éléments venant peu à peu s’ajouter au rapport de police qui sert de fil conducteur à l’intrigue.


Chavouet met sa virtuosité graphique au service de l’histoire sans jamais tomber dans l'exercice de style et le résultat est bluffant. Sa science du cadrage fait mouche, même si la prise de risque est permanente. L’objet-livre en lui-même est superbe avec sa couverture cartonnée maousse costaud et ses pages saturées d’encre qui dégagent une odeur entêtante.

Un conseil : accrochez votre ceinture avant d’ouvrir cet album parce qu’il va à cent à l’heure et ne vous lancez pas si vous n’êtes pas certain de pouvoir tout lire d’un coup, il doit vraiment se savourer sans interruption du début à la fin.


Petites coupures à Shioguni de Florent Chavouet. Picquier, 2014. 180 pages. 21,50 euros.









lundi 1 décembre 2014

La tendresse des pierres - Marion Fayolle

Samedi à Montreuil, dans les allées du salon, Moka me rappelle l'air de rien que je n'ai toujours pas lu cet album pour lequel elle avait eu un véritable coup de cœur et qu'il y a là quelque chose d'absolument inadmissible ! Elle m'avait déjà fait le coup avec « Le bleu est une couleurchaude », je m'étais exécuté fissa et je ne l'avais pas regretté, ce n'est rien de le dire. Cette BD, je l'ai achetée il y a un an et depuis, elle traîne sur mes étagères, attendant que je lui accorde l'attention qu'elle mérite. Alors hier matin, j'ai profité d'une maisonnée endormie pour m'y plonger la tête la première.

« C'était un homme insaisissable, souvent absent et au tempérament très dur. La maladie venait mettre un grand coup dans sa vie. Tout s'écroulait. C'était triste mais j'étais convaincue que ça allait le rendre meilleur, que tout irait mieux entre nous, maintenant que tout allait mal pour lui. S'il avait failli mourir mais qu'il n'était pas mort, c'était que la vie lui avait donné un sursis pour qu'on aille à la rencontre l'un de l'autre ».

La narratrice raconte l'agonie de son père. C'est d'abord un poumon qu'on lui ôte, puis le nez, qu'il va dorénavant porter au cou comme un ruban, et enfin la bouche. On lui offre de nouveaux poumons, qu'il doit traîner derrière lui comme une valise à roulettes. Petit à petit, le père redevient un enfant dont il faut s'occuper sans cesse, incapable de marcher, incapable de se nourrir seul, qui ne parle plus, faisant la sieste chaque après-midi et qu'il faut embrasser chaque soir sur le front pour le rassurer avant de dormir. Un père tyrannique auquel chaque membre de la famille offre son temps sans jamais avoir le moindre remerciement. Un père finalement condamné le jour où la sentence des médecins tombe, définitive : « Papa va mourir ».

Incroyable album à l'inventivité graphique sans limite, parfois proche du surréalisme, épuré à l'extrême et d'une force d'évocation stupéfiante. Le rapport au père est souligné avec une pudeur bouleversante. On sent la souffrance, la perte à venir, les non-dits, ces mots d'amour qui jamais ne viendront. L'accompagnement vers les derniers instants est décrit avec une sensibilité qui mettrait la larme à l’œil au gros dur le plus aguerri. Au delà du sujet pour le moins douloureux, je trouve le rapport texte/images proprement fascinant. Un très, très, très grand album. Moka avait raison, il aurait été inadmissible de le laisser prendre la poussière plus longtemps.

« Si j'avais dû trouver un élément pour symboliser mon père, j'aurais choisi les pierres. Mais, attention pas les galets lisses et doux. Non, plutôt les rochers qui piquent les pieds si on leur marche dessus sans chaussures. Ceux qui sont recouverts d'aspérités. Ceux qui râpent, qui coupent, qui sont agressifs et froids. Mon père était un rocher sur lequel on aurait aimé s'agripper sans se blesser. Sous lequel on aurait aimé s'abriter sans se sentir menacé ».

La tendresse des pierres de Marion Fayolle. Magnani, 2013. 140 pages. 25,90 euros.

Les avis de Mirontaine et Moka.





mercredi 26 novembre 2014

Ernest et Rebecca T6 : La boîte à blagues - Bianco et Dalena

J’ai déjà eu l’occasion de crier l’amour que je porte à Ernest et Rebecca ici, ici et ici. J’adore cette série parce qu’elle est drôle et intelligente, parce qu’elle porte de profondes réflexions tout en restant accessible.

Le volume précédent se concluait sur l’annonce de la maladie de Pépé Bestiole, le grand-père de Rebecca. Dès la première planche de ce sixième tome, on retrouve la fillette en route pour l’hôpital. Si pépé est mal en point, c’est à cause "du vin et du virus de la cigarette". Avec le microbe Ernest à son chevet pour le protéger, pépé s’accroche. Et parce que la bonne humeur guérit tout, il va confier une mission à sa petite fille : remplir une casquette de blagues et revenir les lui raconter pour accélérer son rétablissement. Aidée d’une factrice débutante et de ses amis Chris, Romuald et Diego, Rebecca part en quête d’histoires drôles…

Une des plus belles séries jeunesse actuelles ! J’adore le personnage de Rebecca. Pétillante, colérique, sensible, d’une franchise déconcertante, démarrant au quart de tour, elle rayonne. Franchement, j’ai eu peur que Pépé Bestiole casse sa pipe, j’aurais eu l’air fin à chialer comme une madeleine devant une BD pour enfants. Heureusement, Guillaume Bianco a épargné mon petit cœur tout mou. Mais il sait ménager le suspens et donner des sueurs froides à son lecteur, l’animal. Et puis il sait aussi parfaitement manier l’humour et l’émotion en abordant des thèmes graves avec une forme de légèreté parfaitement dosée.

Fan je suis, fan je resterai ! Et vivement le tome 7 qui s’intitulera « Il faut sauver Monsieur Rébaud » (c’est l’instituteur de Rebecca, on apprend à la dernière page qu’il vient d’être renvoyé et que sa remplaçante est une vraie sorcière. Tout un programme !).

Ernest et Rebecca T6 : La boîte à blagues de Bianco et Dalena. Le Lombard, 2014. 48 pages. 10,60 euros. A partir de 7-8 ans.







mercredi 19 novembre 2014

Little Tulip - Boucq et Charyn

New York, années 70. Alors qu’un tueur en série agresse les femmes seules dans des ruelles sombres, Pavel le tatoueur voudrait venir en aide à la police en réalisant un portrait-robot de l’assassin, mais malheureusement aucun témoin ni indice ne lui permet de se mettre à l’œuvre. Il faut dire que Pavel possède depuis l’enfance un don pour le dessin. Un don qui lui a sauvé la vie des années plus tôt, en 1947, lorsqu’il fut déporté avec ses parents dans un goulag sibérien. Il n’avait que sept ans à l’époque et pour survivre au cœur de cet enfer, il s’était rapproché du chef de gang « Kiril la baleine », dont il avait fini par devenir le tatoueur officiel. Un statut qui lui offrit pendant un temps une certaine forme de protection…

Il était inimaginable pour moi de rater le retour du duo Boucq/Charyn vingt-cinq ans après la publication du fabuleux « Bouche du diable ». Comme toujours avec le romancier originaire du Bronx, New York sert de toile de fond à une intrigue multipliant les va-et-vient entre l’URSS de Staline et l’Amérique de Nixon. Le récit est dans l’ensemble violent, sombre et cruel mais pas que. Il propose une réflexion sur les luttes de pouvoir dans le microcosme du goulag et insiste sur l’importance du sens que prenait chaque tatouage pour les prisonniers.

Un vrai plaisir de lecture simple et direct comme je les aime. Sans chichi, sans considérations intellos ou nombrilistes. De la BD populaire dans le bon sens du terme avec de l’action, des sentiments, de la tension et des drames. Le dessin de Boucq est comme d’habitude à tomber par terre et les couleurs sont somptueuses. Concernant le scénario, j’avoue que la fin est quelque peu tirée par les cheveux tant certaines coïncidences sont difficiles à croire. Mais on s’en fiche. Tout ce qui  compte est de se laisser prendre par la main dès la première page pour voir se déployer le destin hors du commun de ce tatoueur aux doigts de fée. Pas l’album de l’année, comme certains l’affirment déjà, mais sans conteste un incontournable pour les fans de ce duo aussi rare que talentueux.

Little Tulip de Boucq et Charyn. Le Lombard, 2014. 88 pages. 16,45 euros.











lundi 17 novembre 2014

Toxic Boy T1 - Xavier

Dans un monde au bord de l'asphyxie, où des éruptions d'eaux toxiques condamnent à plus ou moins long terme toute activité humaine, le jeune Poko fait figure d'exception. Contaminé comme beaucoup d'autres par ces eaux polluées, il semble depuis insensible à leurs effets. Au contraire, il s'en nourrit comme d'une drogue et voit sa force décuplée dès qu'il plonge dans un bain de toxines. Poko intrigue et fascine. Il semble aussi attirer les ennuis comme un aimant...

Un shonen à la française de près de 300 pages, premier volume d'une série prévue en quatre tomes, il fallait oser ! Le pari de Xavier est risqué mais réussi. Son western futuriste post-apocalyptique est enlevé en diable et l'univers créé, d'une rare profondeur, offre de nombreuses perspectives. Un poil d'écologie, des personnages bien campés, des péripéties variées, une intrigue qui mêle mafia et politique et un épilogue qui ne peut que donner envie de connaître la suite, la recette est éprouvée mais efficace.

Le dessin, nerveux à souhait, offre une belle caisse de résonance à l'enchaînement des scènes d'action. A souligner aussi le travail très intéressant sur les décors, qu'ils soient désertiques ou maritimes. Une agréable surprise que ce mélange de manga et de BD franco-belge très éloigné de ma zone de confort habituelle. Il faut saluer la prise de risque d'un jeune auteur audacieux, capable de mettre en images un véritable page turner. Chapeau !



Toxic Boy T1 de Xavier. Sandawe, 2014. 296 pages. 13,90 euros.

Une lecture que j'ai le plaisir de partager avec Mo.




mercredi 12 novembre 2014

Ce n’est pas toi que j’attendais - Fabien Toulmé

Je me rappelle de nos rendez-vous chez le gynéco lors de la première grossesse de ma femme. Le gars devait avoir pas loin de 70 ans et son matériel était aussi vieux que lui. Il ponctuait chacune de ses phrases d’un tonitruant « Hein ? D’accord ? » et nous on était toujours d’accord, forcément. Il montrait un truc sur l’écran de son échographe et disait, « là, c’est les reins, là, le cœur... hein, d’accord ? » et moi je ne voyais qu’un haricot, de la neige et quelques traits. Je me rappelle qu’il comptait les doigts, aux pieds et aux mains, qu’il insistait toujours sur l’importance du pouce (« le pouce, c’est la pince, hein, d’accord ? »). Pépette n°1 avait des pouces, on était sauvé. Elle semblait aussi avoir tout ce qu’il fallait là où il fallait mais je n’étais jamais franchement rassuré en sortant de son cabinet.

L’inquiétude n°1, celle qui m’a toujours terrorisé (parmi tant d’autres, mais celle-là prenait largement le dessus) concernait la trisomie. Avoir un enfant trisomique était ma hantise. J’étais persuadé que je ne pourrais pas assumer, que je serai lâche et irresponsable. Je finissais par me convaincre que mon amour pour cet enfant ne souffrirait pas de sa différence, mais la méthode Coué ayant ses limites, je gardais en moi l’intime conviction que je n’arriverais pas à gérer une telle situation.

Bien sûr, il est aujourd’hui possible, très tôt dans la grossesse, d’écarter (ou pas) le risque de trisomie. Mais le système n’est pas infaillible et le taux d’erreur, même infime, existe. C’est ce qui est arrivé à Fabien Toulmé et à sa femme Patricia. Parents d’une petite Louise de quatre ans en parfaite santé, leur seconde fille, Julia, est née trisomique. Pourtant, la grossesse s’était passée sans souci, les examens de contrôle n’ayant décelé aucune anomalie particulière. Le choc fut d’autant plus rude.

L’album raconte le point de vue d'un papa face à ce cataclysme (ce serait d'ailleurs mon seul petit bémol, le fait que la maman soit assez effacée tout au long du récit, un peu mise à distance. En même temps, il n'est pas simple pour le père de se mettre à sa place). Il raconte l’angoisse, le dégoût, le rejet, la colère. Il raconte le difficile accouchement d’un amour paternel, le long chemin vers l’acceptation. Sa peur, sa méconnaissance de la trisomie, sa propre intolérance face aux handicapés, le parcours du combattant entamé face aux professionnels de santé, Fabien Toulmé ne cache rien. Avec pudeur, délicatesse et sincérité. Avec parfois des mots durs mais aussi de l’autodérision et de l’humour. Son témoignage m’a bouleversé à un point inimaginable. J’en suis ressorti ébloui, admiratif devant la façon dont il a abordé le sujet. J’ai été touché par cette humanité, cette simplicité ne laissant aucune place au pathos et à la mièvrerie.

Je ne vais pas en rajouter, je ne vais pas en faire des tonnes. mais sachez que si j’étais riche, j’achèterais ce livre par palettes entières pour l’offrir partout autour de moi. Si j’étais influent et que j'avais une vraie force de persuasion, je convaincrais mon large auditoire de se jeter dessus. Je ne suis rien de tout cela mais je voudrais quand même crier sur les toits que cet album est un petit bijou. Et ne venez pas me dire que l'histoire vous fait peur, que dès que l'on vous parle d'enfants malades, handicapés ou mourants, vous partez en courant, je n'accepterai aucun de ces arguments en amont de la lecture. Parce que ce témoignage est une leçon de vie d'une intelligence, d'une justesse et d'une humilité désarmantes. Parce qu'il est porteur d'un espoir lucide qui vous fouille les tripes et vous ouvre les yeux. Parce que... bon, je suis à court d'arguments mais j'espère que le message est passé.


Ce n’est pas toi que j’attendais de Fabien Toulmé. Delcourt, 2014. 244 pages. 18,95 euros.


Une lecture que je partage avec Noukette. Et partager cet immense coup de cœur avec elle, rien ne pouvait me faire plus plaisir !

L'avis de Sandrine


















mercredi 5 novembre 2014

Le linge sale - Rabaté et Gnaedig

Après vingt ans derrière les barreaux, Pierre Martino retrouve la liberté. Trompé par sa femme, il avait voulu l’assassiner avec son amant dans l’hôtel où ils avaient l’habitude de se retrouver. Mais il s’était trompé de chambre et avait tué un autre couple avant de blesser un des policiers venus l’interpeller. Libéré pour bonne conduite, le prisonnier modèle n’a rien oublié et il est bien décidé à terminer la mission qu’il n’avait pu achever deux décennies plus tôt. Et comme entre temps son ex s’est mariée avec l’amant, il imagine que la tâche n’en sera que plus facile. La vengeance est un plat qui se mange froid mais que l’on peut parfois avoir bien du mal à digérer…

Un récit tenant à la fois du polar rural, de la chronique sociale et de la comédie de mœurs. La nouvelle famille de l’ex-femme est beauf jusqu’au trognon, vivant de rapines dans une maison délabrée en pleine cambrousse. Père, mère, enfants et grands-parents dorment sous le même toit, vident les bouteilles à l’unisson et jurent comme des charretiers. Un quart monde décrit avec humanité et sans misérabilisme. C’est sordide mais jamais cynique, Rabaté n’étant pas du genre à se mettre au-dessus de ses personnages. Et c’est aussi très drôle, tant grâce aux dialogues plein de gouaille qu’aux péripéties pathétiques vécues par cette bande de pieds nickelés ingérable. Le cocu assassin est quant à lui un antihéros aigri et déterminé, tendant méticuleusement et patiemment la toile qui doit lui permettre de prendre sa revanche. Tellement déterminé qu’il en deviendrait presque sympathique et que l’on souhaiterait de tout cœur le voir mener à bien son entreprise.

Si ce linge sale est bien du Rabaté pur jus, je n’en ferais pas mon préféré. Dans la même veine, Crève saucisse et La marie en plastique m’avaient plu davantage. Ici, la fin, grinçante à souhait, est bien trouvée mais le reste est par moment poussif. Il faut dire aussi que j’ai eu beaucoup de mal avec le trait particulièrement naïf de Sébastien Gnaedig qui ne sert pas au mieux le scénario, c’est le moins que l’on puisse dire. Une lecture agréable, du bon Rabaté mais pas de l’excellent Rabaté.

Le linge sale de Rabaté et Gnaedig. Vents d’ouest, 2014. 126 pages. 19,50 euros.








mardi 4 novembre 2014

Le premier mardi c'est permis (30) : In Bed - Lydia Frost et Kalondji

Dans un hôtel de Central Park, un couple après l’amour. La femme est rayonnante, l’homme bien plus soucieux. Il faut dire que Rachel et Luka sont mariés, mais pas ensemble. Une relation adultérine vécue différemment par ses deux protagonistes, l’un culpabilisant beaucoup plus que l’autre…

Une réflexion très fine sur l’adultère. Il est appréciable que les auteurs ne se soient pas emparés du sujet pour tomber dans la simple histoire de cul multipliant les visuels aussi froids que cliniques. Ici, tout est en suggestion, l’approche étant essentiellement psychologique. L’histoire est certes des plus banales mais l’intérêt tient dans le fait que l’on s’intéresse aux causes et aux conséquences de la tromperie. Sans jugement, sans défendre où accuser. Lui va voir ailleurs parce qu'il est dans une fuite en avant, ne sachant pas vraiment ce qu’il cherche ni ce qu’il veut. Il est fragile, mal à l’aise, manquant d’assurance. Il est lâche et ne parvient pas à compartimenter les choses. C’est un homme, quoi. Rachel est au contraire une working girl bien sa peau, qui veut juste briser la routine d’un quotidien avec mari et enfants. Elle assume, fait la part des choses et ne se prend pas la tête. Je ne dirais pas qu’elle a le beau rôle, mais presque.

Et finalement, c’est ce que j’ai aimé. Le portrait, même un poil caricatural, d’une femme belle, talentueuse et sûre d’elle face à un homme qui se perd en tergiversations. Comme j’ai aimé l’individualisation d’une problématique universelle, le fait que leur histoire banale possède un caractère unique. Et puis niveau dessin, c‘est d’une rare élégance et les scènes « coquines », certes discrètes, sont passionnées et brûlantes.

Finalement, la réflexion est plus profonde qu'elle n'en a l'air. Pour Rachel, coucher n'est pas tromper. Pour Luka, ce n'est pas si simple, loin de là. Pour le lecteur, c'est une question de point vue, d'opinion ou d'expérience personnelle, voire de mauvaise foi...

In Bed de Lydia Frost et Kalondji. Delcourt, 2014. 90 pages. 15,95 euros.

Une lecture commune que je partage avec Moka. Et ce n'est rien dire que ça me fait très plaisir !









mercredi 29 octobre 2014

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot - Lupano et Cauuet

Quel plaisir de retrouver ces chers vieux fourneaux ! Pierrot, l’activiste du groupe, se retrouve à la tête d’une coquette somme d’argent, offerte « pour la cause ». Mais c’est moins l’impressionnant paquet de fric que le nom de la généreuse donatrice qui le bouleverse. Ce cadeau tombé du ciel est le point de départ d’un enchaînement de situations cocasses où l’on découvre une fois de plus que le 4ème âge n’a besoin d'aucune leçon pour faire chier le système.

Invasion de bars branchouilles par des commandos d’ancêtres au son de la java bleu, attentats gériatriques malodorants dans les soirées sélects de l’UMP, hacking du blog de Nadine Morano par une mamy férue de nouvelles technologies, communauté libertaire autogérée plutôt que maison de retraite, Lupano se lâche et le lecteur se marre ! Après le passé d'Antoine, l’accent est cette fois mis sur celui de Pierrot et de Mimile, avec toujours en toile de fond une vieille histoire d’amour qui gratte et sur laquelle il est difficile de tirer un trait. Et comme dans le tome précédent, de nombreux flashbacks apportent les éclaircissements nécessaires à la compréhension de l’ensemble.

Le premier volume restera sans doute mon grand coup de cœur BD de l’année. Si ce second est lui aussi très réussi, je l’ai quand même trouvé un cran en dessous (il faut dire que la barre était haute !). Peut-être l’effet de surprise en moins. Peut-être le propos beaucoup plus politique. Peut-être le fait d’insister davantage sur le comique de situation et de répétition (l’histoire des baguettes de pain) au détriment des dialogues, un poil moins savoureux. Franchement, je chipote, mais qui aime bien châtie bien.

Et puis peu importe après tout.  J'ai beaucoup rigolé au cours de ma lecture et ce n’est pas le genre de chose qui m’arrive tous les jours. Je salue donc à nouveau la prise de risque des auteurs, leur inventivité et leur engagement. Trois qualités qui se font de plus en plus rares, même (et surtout…)  dans le monde de la BD.

Les vieux fourneaux T2 : Bonny and Pierrot de Lupano et Cauuet. Dargaud, 2014. 56 pages. 12,00 euros.

Une lecture commune que j'ai le plaisir de partager avec Mo' et Noukette, deux vieilles de la vieille que l'on ne présente plus !







lundi 27 octobre 2014

Melvile T1 : L'histoire de Samuel Beauclair - Romain Renard

Noukette en a tellement bien parlé la semaine dernière que j'ai craqué. Oui, je suis faible, ce n'est pas un scoop...

Samuel Beauclair souffre. Lui, l'écrivain fils d'écrivain, dont le premier roman a connu un certain succès, ne parvient plus à aligner trois mots sur une feuille blanche. Malgré les relances de son éditeur, malgré les menaces des huissiers, malgré le soutien de sa femme enceinte, rien n'y fait. Installé depuis quelques mois à Melvile, au cœur d'une nature sauvage, dans la maison de ce père qu'il aura finalement peu connu avant son décès, Samuel semble perdu. Répondant à une petite annonce, il s'improvise peintre en bâtiment pour gagner un peu d'argent et tombe peu à peu sous la charme de la sœur de son client...

Très beau portrait d'un homme torturé, en proie au doute et rongé par la culpabilité. Un homme qui va devoir affronter ses démons intérieurs et tuer le fantôme paternel pour tracer sa propre voie. Au départ, on se dit que tout cela est cousu de fil blanc, prévisible au possible. Mais on se laisse prendre au jeu, Romain Renard nous embarque sur des chemins de traverse inattendus, il joue sans cesse entre contemplation et introspection et nous mène par le bout du nez dans un univers très personnel et très travaillé où la frontière entre le réel et l'imaginaire est en permanence poreuse.

Graphiquement, c'est impressionnant. Les décors naturels aux couleurs mordorées, parfois proches du photomontage, sont sublimes, tandis que chaque personnage, croqué à l'encre et au fusain, est criant de réalisme.

Un superbe album. J'ai aimé son ambiance si particulière, son héros qui se cherche et la réflexion proposée sur le poids de la filiation et sur ces amarres qu'il est parfois difficile mais indispensable de rompre pour pouvoir suivre son propre chemin.


Melvile de Romain Renard. Le Lombard, 2013. 128 pages. 20,00 euros.